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Dossier : T-2312-23

Référence : 2025 CF 1471

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2025

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

LA COMPAGNIE D’ASSURANCE ELITE, FAISANT AFFAIRE SOUS LE NOM D’AVIVA

demanderesse

et

LA SUCCESSION DE FEU NEIL BORGATTI (ALIAS RICHARD NEIL BORGATTI),

JANET KATHLEEN BORGATTI, EN SA QUALITÉ D’ADMINISTRATRICE DE LA SUCCESSION DE FEU RICHARD NEIL BORGATTI

défenderesses

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une requête par laquelle la demanderesse, la Compagnie d’Assurance Elite, faisant affaire sous le nom d’Aviva [Aviva], demande qu’un jugement sommaire soit rendu à l’égard d’une action intentée contre Neil Borgatti (alias Richard Neil Borgatti), aujourd’hui décédé, la succession de Neil Borgatti [la succession] et Janet Kathleen Borgatti (la mère de Neil Borgatti) en sa qualité d’administratrice de la succession [l’action principale].

[2] Neil Borgatti était le propriétaire d’une embarcation de plaisance décrite comme un bateau de marque et de modèle Triton TR21 1999 équipé d’un moteur Mercury [l’embarcation de M. Borgatti]. Comme je l’explique plus en détail ci‑dessous, le ou vers le 4 février 2019, Aviva a émis une police d’assurance bateau visant l’embarcation de M. Borgatti, soit la police no P39608136PWP. Le soir du 24 août 2019, l’embarcation de M. Borgatti est entrée en collision avec une autre embarcation, décrite comme un bateau de marque et de modèle Tracker Pro Team 190TX 2008 appartenant à David Koch [l’embarcation de M. Koch]. M. Borgatti et un de ses passagers ont été tués dans la collision; l’autre passager de M. Borgatti et les personnes qui se trouvaient à bord de l’embarcation de M. Koch ont été blessés.

[3] Dans l’action principale, Aviva demande entre autres un jugement déclaratoire portant que la police d’assurance ne couvre pas les pertes alléguées et les réclamations présentées dans diverses actions intentées (devant la Cour fédérale et la Cour supérieure de justice de l’Ontario) contre la succession relativement à la collision et qu’Aviva ne doit aucune indemnité contractuelle aux défenderesses aux termes de la police d’assurance. Aviva fait valoir que la couverture n’était plus en vigueur au moment de la collision, parce que M. Borgatti avait omis de se conformer à une garantie énoncée dans la police d’assurance, aux termes de laquelle l’embarcation de M. Borgatti devait être dotée de l’équipement de sécurité exigé par la loi, lequel équipement devait être maintenu en tout temps en bon état de fonctionnement [la garantie relative à l’équipement de sécurité].

[4] Par avis de requête daté du 24 mars 2025, Aviva demande à la Cour de rendre un jugement sommaire en sa faveur à l’égard de l’action principale. Les défenderesses conviennent que les questions soulevées dans la requête se prêtent au jugement sommaire, mais elles soutiennent que celles-ci devraient plutôt être tranchées – et le jugement sommaire accordé – en leur faveur.

[5] Les défenderesses n’ont pas présenté de requête incidente en jugement sommaire, mais l’avocat d’Aviva a confirmé, lors de la conférence de gestion de l’instruction tenue le 28 mai 2025, qu’Aviva était d’avis que cela n’empêchait pas la Cour de rendre un jugement sommaire en faveur de l’une ou l’autre des parties à l’égard des questions soulevées dans la requête en l’espèce. Je souscris à la position des parties sur ce point d’ordre procédural. La Cour a déjà conclu qu’elle a le pouvoir de rendre un jugement sommaire en faveur de la partie qui répond à la requête en jugement sommaire, dans les cas où l’ordonnance sollicitée relève de la portée de la requête, même si la partie intimée n’a pas officiellement présenté de requête incidente (Sea Tow Services International, Inc c C-Tow Marine Assistance Ltd, 2025 CF 27 [Sea Tow] aux para 219, 222).

[6] Les défenderesses font valoir que les doctrines de la renonciation, de la préclusion et du manque de diligence s’appliquent, de sorte qu’Aviva ne peut pas refuser la couverture prévue par la police d’assurance. Elles font également valoir que la garantie relative à l’équipement de sécurité ne vise pas les feux de navigation, contrairement à ce qu’Aviva prétend. Si la Cour juge que la garantie relative à l’équipement de sécurité vise les feux de navigation, les défenderesses font valoir que les paragraphes 39(3) et 39(4) de la Loi sur l’assurance maritime, LC 1993, c 22 [la Loi sur l’assurance maritime], dont l’effet est expliqué plus loin, s’appliquent de manière à empêcher Aviva de refuser la couverture en se fondant sur la garantie.

[7] Pour les motifs expliqués de façon plus détaillée ci-dessous, je conclus qu’Aviva est empêchée par préclusion de refuser la couverture prévue par la police d’assurance, notamment en ce qui concerne l’obligation d’Aviva de défendre les défenderesses et son obligation de leur fournir une indemnité contractuelle aux termes de la police d’assurance, et je rends par conséquent un jugement sommaire en faveur des défenderesses.

II. Le contexte

A. La police d’assurance en cause

[8] Aviva est une société ontarienne qui exploite une entreprise comme assureur. Elle offre divers types d’assurance, dont une assurance corps et une assurance responsabilité pour les bateaux. Le ou vers le 4 février 2019, Aviva a émis la police d’assurance en cause au nom de M. Borgatti. La police d’assurance offrait, entre autres, une couverture en cas de dommages matériels ou de décès accidentel ainsi qu’une assurance responsabilité.

[9] La police d’assurance contient des conditions suspensives et des garanties. Ces termes sont définis ainsi dans la police d’assurance :

[traduction]

« condition suspensive » Condition particulière de la présente police qui doit être respectée à la lettre, à défaut de quoi la couverture d’assurance cesse à compter de la date du manquement, jusqu’à ce que la condition soit respectée.

« garantie » Condition particulière de la présente police qui doit être respectée à la lettre, à défaut de quoi la couverture d’assurance cesse à compter de la date du manquement. Dans ce cas, l’assurance ne peut être remise en vigueur, même s’il est remédié au manquement. Les garanties ne sont pas des conditions suspensives.

[Caractères gras dans l’original.]

[10] La section G de la police d’assurance énonce les garanties (et les conditions suspensives) applicables, dont la garantie relative à l’équipement de sécurité, qui est ainsi libellée :

[traduction]

Garantie relative à l’équipement de sécurité

Vous vous engagez à ce que l’embarcation assurée soit dotée de l’équipement de sécurité exigé par la loi, dont des extincteurs d’incendie, et à ce que cet équipement soit en tout temps maintenu en bon état de fonctionnement.

[Caractères gras dans l’original.]

B. La collision et les mesures d’enquête prises par Aviva

[11] Le soir du 24 août 2019, Neil Borgatti naviguait aux commandes de son embarcation sur le lac Stoney, dans le comté de Peterborough, en Ontario, avec deux passagers, Charles McCrie et Kristian Brudek.

[12] Vers 21 h 15, l’embarcation de M. Borgatti est entrée en collision avec l’embarcation de M. Koch. Au moment de la collision, l’embarcation de M. Koch était pilotée par Kevin Koch, et deux passagers, Foster Matthews et Damian de la Guardia, se trouvaient à bord. Neil Borgatti et Kristian Brudek ont été tués dans la collision; Kevin Koch, Foster Matthews, Damian de la Guardia et Charles McCrie ont été blessés.

[13] Le ou vers le 30 août 2019, la collision a été signalée à Aviva. Le 3 septembre 2019, Aviva a confié la question de la responsabilité à Deborah Canute, experte en sinistres, après quoi Aviva a commencé à enquêter sur les circonstances de la collision. Dans le cadre de son enquête, Aviva a déployé des efforts pour obtenir des renseignements et des documents des témoins, des policiers et d’autres représentants du gouvernement.

[14] Aviva fait valoir que, malgré les efforts déployés, elle n’a pas réussi à obtenir de renseignements concrets sur les circonstances de la collision avant le 24 novembre 2020, date à laquelle elle a reçu le rapport de reconstitution de la collision préparé par la Police provinciale de l’Ontario [le rapport de la Police provinciale]. Quelques jours plus tard, soit le 27 novembre 2020, Aviva a reçu le rapport d’investigation du coroner, le rapport d’examen post-mortem et le rapport de toxicologie se rapportant à Neil Borgatti [collectivement, le rapport du coroner].

C. Les actions découlant de la collision

[15] À partir de novembre 2020, plusieurs actions ont été intentées devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario contre la succession relativement à la collision :

  1. Le 2 novembre 2020, Damian de la Guardia a intenté une action contre la succession (dossier de la Cour no CV-20-00000200-0000) [l’action de M. de la Guardia];
  2. Le 6 novembre 2020, Kevin Koch a intenté une action contre la succession (dossier de la Cour no CV-20-00000207-0000) [l’action de Kevin Koch];
  3. Le 9 décembre 2020, Anna Skotnicka et Estera Lawrence (respectivement la mère et la sœur de Kristian Brudek) ont intenté une action contre Kevin Koch, David Koch et la succession (dossier de la Cour no CV-20-00652817-0000) [l’action de Mmes Skotnicka et Lawrence];
  4. Le 12 mars 2021, Charles McCrie a intenté une action contre David Koch, Kevin Koch et la succession (dossier de la Cour no CV-21-00658696-0000) [l’action de M. McCrie];
  5. Le 21 juin 2021, David Koch a intenté une action contre la succession (dossier de la Cour no CV-21-00000163-0000) [l’action de David Koch].

[16] Le 11 décembre 2020, Mme Canute a informé les défenderesses qu’Aviva allait retenir les services d’un avocat au début de 2021 pour défendre la succession dans le cadre des actions intentées contre elle, et qu’elle avait obtenu le report de la défense jusqu’en janvier 2021. Le ou vers le 19 février 2021, Aviva a retenu les services d’un avocat pour défendre la succession dans le cadre des actions [l’avocat de la défense].

[17] Le 2 février 2021, Kevin Koch et David Koch ont intenté une action devant la Cour fédérale (dossier de la Cour no T-198-21) en vue d’obtenir un jugement déclaratoire limitant leur responsabilité à l’égard de la collision à 1 000 000 $, conformément aux dispositions de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, LC 2001, c 6 [l’action en limitation de responsabilité de MM. Koch]. De même, le 31 mars 2021, Janet Borgatti a intenté, en sa qualité d’administratrice de la succession, une action devant la Cour fédérale (dossier de la Cour no T‑558‑21) en vue d’obtenir un jugement déclaratoire limitant la responsabilité de la succession à l’égard de la collision à 1 000 000 $ [l’action en limitation de responsabilité de la succession]. Le 21 juillet 2021, la Cour a rendu des ordonnances prévoyant la procédure et l’échéancier applicables à la présentation des réclamations dans le cadre de l’action en limitation de responsabilité de MM. Koch et de l’action en limitation de responsabilité de la succession [collectivement, les actions en limitation de responsabilité] et suspendant toutes les autres procédures se rapportant à la collision.

[18] Par la suite, Ireneusz Brudek (le père de Kristian Brudek), Janet Borgatti, Richard Borgatti (le père de Neil Borgatti), Robin Dawson (la sœur de Neil Borgatti), Craig McCrie, Anna Skotnicka et Estera Lawrence ont présenté des réclamations contre le fonds de limitation dans l’action en limitation de responsabilité de MM. Koch. Craig McCrie, Damian de la Guardia, Ireneusz Brudek, Kevin Koch, Anna Skotnicka et Estera Lawrence ont présenté des réclamations contre le fonds de limitation dans l’action en limitation de responsabilité de la succession.

D. Les lettres de réserve de droits

[19] Le 12 février 2021, soit une semaine avant de retenir les services d’un avocat pour défendre la succession dans le cadre des actions intentées contre celle-ci, Aviva a envoyé à la succession une lettre se rapportant à l’action de M. de la Guardia, à l’action de Kevin Koch et à l’action de Mmes Skotnicka et Lawrence. Dans cette lettre, Aviva évoque la possibilité que Neil Borgatti ait omis de se conformer à la garantie relative à l’équipement de sécurité et elle avise la succession qu’elle réserve ses droits découlant de la police d’assurance [la lettre de février 2021]. La lettre de février 2021 énonce certaines des allégations formulées dans le cadre de l’action de M. de la Guardia, de l’action de Kevin Koch et de l’action de Mmes Skotnicka et Lawrence, notamment en ce qui concerne les feux de navigation de l’embarcation de M. Borgatti. La lettre est ainsi libellée, en partie :

[traduction]

[…]

La section B de la police d’assurance bateau de Neil Borgatti prévoit une assurance responsabilité. Les conditions de paiement figurant à la rubrique « Base du règlement – section B » prévoient ce qui suit : « Il n’y a aucune responsabilité au titre de la section B si les modalités, les conditions et les garanties de la présente police n’ont pas été respectées intégralement […] ».

La section G de la police d’assurance bateau contient une garantie relative à l’équipement de sécurité, qui est ainsi libellée : « Vous vous engagez à ce que l’embarcation assurée soit dotée de l’équipement de sécurité exigé par la loi, dont des extincteurs d’incendie, et à ce que cet équipement soit en tout temps maintenu en bon état de fonctionnement. »

Les garanties doivent être respectées à la lettre, et si la cour juge que la garantie relative à l’équipement de sécurité n’a pas été respectée, les réclamations présentées contre la succession ne seront pas couvertes.

[Aviva] réserve ses droits découlant de la police d’assurance. Le fait d’enquêter sur l’accident et ses circonstances, de défendre la succession contre toute réclamation ou action, de négocier le règlement d’une réclamation ou d’une action ou d’effectuer des paiements relativement à l’accident n’équivaut pas à la renonciation de ses droits.

Sous réserve de la question de la couverture, [Aviva] retiendra les services d’un avocat pour défendre la succession et vous informera des détails dans les prochains jours. Le fait qu’Aviva défende la succession dans le cadre des actions intentées contre elle ne doit pas être interprété comme une renonciation aux modalités et aux conditions de la police d’assurance. [Aviva] réévaluera sa position à mesure qu’elle obtiendra de nouveaux renseignements. [Aviva] se réserve le droit d’invoquer d’autres dispositions de la police d’assurance, qui pourraient devenir applicables à la lumière des nouveaux renseignements qu’Aviva pourrait obtenir, y compris le droit de refuser la couverture.

[…]

[Italiques dans l’original.]

[20] À la suite de l’introduction de l’action de M. McCrie et de l’action de David Koch, Aviva a envoyé à la succession deux autres lettres, datées respectivement du 31 mars 2021 [la lettre de mars 2021] et du 5 août 2021 [la lettre d’août 2021]. Dans ces lettres, Aviva confirme la position exprimée dans la lettre de février 2021 quant au non-respect éventuel de la garantie relative à l’équipement de sécurité et à la réserve de ses droits découlant de la police d’assurance. (Dans les présents motifs, le terme « lettres de réserve de droits » désigne collectivement la lettre de février 2021, la lettre de mars 2021 et la lettre d’août 2021.)

[21] Dans un courriel envoyé le 11 mai 2021, Jonathan Barker, analyste principal en sinistres à Aviva, a informé Janet Borgatti que c’était dorénavant lui qui s’occupait du dossier, que l’enquête d’Aviva se poursuivait et qu’Aviva assurait la défense de la succession dans le cadre des actions intentées contre elle conformément aux lettres de réserve de droits qui lui avaient été envoyées en date de mai 2021.

[22] À l’heure actuelle, Aviva finance toujours l’avocat de la défense et lui donne des instructions.

E. L’action principale

[23] Le 11 septembre 2023, Janet Borgatti a envoyé un courriel à Aviva pour lui demander si une décision avait été prise quant à la couverture. Le 26 septembre 2023, Jonathan Barker lui a répondu par courriel et l’a informée qu’Aviva comptait introduire une action devant la Cour fédérale en vue d’obtenir un jugement déclaratoire portant que la collision n’était pas couverte. (Comme je l’explique plus loin, le dossier de requête dont dispose la Cour n’inclut pas une copie du courriel de M. Barker, mais ce détail n’est pas pertinent.)

[24] Le 1er novembre 2023, Aviva a introduit l’action principale à laquelle se rapporte la requête en jugement sommaire. Dans la déclaration, Aviva affirme que la police d’assurance ne couvre pas les réclamations découlant de la collision, parce que Neil Borgatti a omis de se conformer à la garantie relative à la sécurité de l’équipement en pilotant son embarcation alors qu’elle n’était pas équipée des feux requis ou de feux en bon état de fonctionnement, notamment en utilisant un détecteur de poissons et un ou plusieurs cellulaires comme feux de navigation. Dans l’action principale, Aviva sollicite un jugement déclaratoire portant :

  • A.d’une part, que la police d’assurance ne couvre pas les pertes alléguées et les réclamations présentées dans l’action en limitation de responsabilité de MM. Koch, les réclamations présentées en réponse à l’action en limitation de responsabilité de la succession, les réclamations présentées dans l’action de M. de la Guardia, les réclamations présentées dans l’action de Mmes Skotnicka et Lawrence, les réclamations présentées dans l’action de M. McCrie ou toute autre réclamation découlant de la collision;

  • B.d’autre part, qu’Aviva ne doit aucune indemnité contractuelle aux défenderesses aux termes de la police d’assurance.

[25] Dans leur défense, déposée le 16 avril 2024, les défenderesses nient que la collision était attribuable à la faute ou à la négligence des défenderesses et affirment que M. Borgatti s’est en tout temps conformé aux garanties, aux modalités et aux conditions de la police d’assurance en cause. Subsidiairement, les défenderesses affirment que les paragraphes 39(3) et 39(4) de la Loi sur l’assurance maritime s’appliquent de manière à empêcher Aviva de refuser la couverture en se fondant sur la garantie relative à l’équipement de sécurité. Subsidiairement encore, les défenderesses font valoir que les doctrines de la renonciation, de la préclusion et du manque de diligence s’appliquent, de sorte qu’Aviva ne peut pas refuser la couverture prévue par la police d’assurance.

F. La requête en jugement sommaire

(1) La position et la preuve d’Aviva

[26] Le 24 mars 2025, Aviva a déposé la requête en vue d’obtenir un jugement sommaire en sa faveur à l’égard de l’action principale.

[27] Je répète qu’Aviva fait valoir, dans l’action principale, qu’au moment de la collision, Neil Borgatti ne se conformait pas à la garantie relative à l’équipement de sécurité, parce que son embarcation n’était pas équipée des feux requis. Dans la requête en l’espèce, Aviva soutient notamment que M. Borgatti ne respectait pas les règlements applicables pris en vertu de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, LC 2001, c 26, dont le Règlement sur les petits bâtiments, DORS/2010-91 [le Règlement sur les petits bâtiments], et le Règlement sur les abordages, CRC, c 1416 [le Règlement sur les abordages].

[28] Aviva cherche à étayer sa position au moyen des éléments de preuve contenus dans deux affidavits inclus dans son dossier de requête. Le premier est un affidavit souscrit le 24 mars 2025 par Jonathan Barker, analyste principal en sinistres à Aviva [l’affidavit de M. Barker]. Dans son affidavit, M. Barker décrit le contexte dans lequel la collision a été signalée à Aviva, les efforts déployés par Aviva pour enquêter sur les circonstances de la collision, à quel moment de son enquête elle a reçu certains renseignements et documents, les actions intentées contre la succession par suite de la collision, la délivrance par Aviva des lettres de réserve de droits, l’embauche par Aviva de l’avocat de la défense, et le recours subséquent d’Aviva à un expert, M. Frans Schouffoer, chargé de donner son opinion sur la question de savoir si, au moment de la collision, les feux de l’embarcation de M. Borgatti étaient conformes aux règlements applicables.

[29] Les pièces jointes à l’affidavit de M. Barker comprennent une grande partie des documents que celui-ci mentionne dans sa description des événements, dont le rapport de la Police provinciale, le rapport du coroner et la transcription de l’interrogatoire préalable de Charles McCrie mené dans le cadre des actions en limitation de responsabilité [la transcription de l’interrogatoire préalable de M. McCrie]. Cet interrogatoire préalable a été mené le 1er mars 2022, mais Aviva en a reçu la transcription le 1er novembre 2024.

[30] Dans son affidavit, M. Barker indique que, selon le rapport de la Police provinciale, au moment de la collision, les pôles de feux de navigation n’étaient pas fixés à l’embarcation de M. Borgatti. Ils se trouvaient plutôt dans le compartiment de rangement situé à bâbord de l’embarcation. Selon M. Barker, le rapport du coroner indique (sur le fondement des déclarations des témoins) que M. Borgatti avait essayé d’allumer les feux de navigation de son embarcation, mais qu’il n’avait pas réussi à les faire fonctionner. Pour tenter d’assurer la visibilité de son embarcation, M. Borgatti a donc tourné vers l’extérieur l’écran illuminé du détecteur de poissons situé sur la poupe du bateau, et ses deux passagers ont utilisé leur cellulaire comme source de lumière.

[31] Dans son affidavit, M. Barker renvoie aussi à certains éléments de la transcription de l’interrogatoire préalable de M. McCrie qui concordent avec les renseignements fournis dans le rapport de la Police provinciale et le rapport du coroner. M. Barker indique que M. McCrie a déclaré que M. Borgatti, M. Brudek et lui n’avaient pas l’intention de rentrer avant le coucher du soleil et qu’ils ne s’étaient pas assurés que les feux de navigation fonctionnaient avant de débarquer (c’est-à-dire avant de quitter le quai situé au chalet de M. Borgatti, suivant – selon ma compréhension – l’interprétation donnée à ce terme par Aviva).

[32] L’avocat des défenderesses a contre-interrogé M. Barker sur son affidavit, et la transcription de ce contre-interrogatoire [la transcription du contre-interrogatoire de M. Barker] figure dans le dossier de requête supplémentaire déposé par Aviva dans le cadre de la requête en l’espèce.

[33] Le deuxième affidavit inclus dans le dossier de requête d’Aviva est un affidavit souscrit par M. Schouffoer le 21 mars 2025, auquel est annexé son rapport du 20 mars 2025 [le rapport de M. Schouffoer]. Dans son rapport, M. Schouffoer se dit d’avis que M. Borgatti n’a pas respecté les règlements applicables, car il ne s’est pas servi, après le coucher du soleil, des feux de navigation exigés pour une petite embarcation (bateau à moteur) comme la sienne, il ne s’est pas assuré que les feux de navigation étaient installés correctement et il n’a pas maintenu une vitesse de sécurité. M. Schouffoer est également d’avis que la lumière émise par les cellulaires et les détecteurs de poissons utilisés au moment de la collision n’aurait pas permis aux autres navigateurs de voir l’embarcation de M. Borgatti.

[34] Pour appuyer sa position quant au moment choisi pour envoyer les lettres de réserve de droits, Aviva affirme que, malgré les efforts qu’elle a déployés pour obtenir les documents et les renseignements pertinents, elle n’a pas bénéficié de renseignements concrets sur les circonstances de la collision avant de recevoir le rapport de la Police provinciale le 24 novembre 2020 et le rapport du coroner le 27 novembre 2020. Notamment, ce n’est qu’à ce moment-là qu’elle a eu la confirmation qu’aucun pôle de feu de navigation n’était fixé à l’embarcation de M. Borgatti au moment de la collision, survenue après le coucher du soleil, et que les personnes qui se trouvaient à bord de l’embarcation de M. Borgatti utilisaient des cellulaires et des détecteurs de poissons comme source de lumière au moment de la collision.

(2) La position et la preuve des défenderesses

[35] Dans la requête en l’espèce, les défenderesses font valoir que les doctrines de la renonciation, de la préclusion et du manque de diligence s’appliquent, de sorte qu’Aviva ne peut pas refuser la couverture prévue par la police d’assurance. Plus précisément, les défenderesses soutiennent qu’Aviva savait, dès le 17 septembre 2019, que Charles McCrie avait déclaré que les feux de navigation de l’embarcation de M. Borgatti ne fonctionnaient pas, et qu’elle avait reçu, en février 2020, des renseignements additionnels de -30- Forensic Engineering [Forensic], une société chargée par Aviva d’inspecter l’embarcation et d’enquêter sur les circonstances de la collision, selon lesquels les feux de l’embarcation de M. Borgatti avaient été rangés avant la collision. Les défenderesses affirment que, malgré qu’Aviva avait connaissance de ces renseignements et des renseignements contenus dans le rapport de la Police provinciale et le rapport du coroner transmis en novembre 2020, elle n’a informé la succession de ses doutes au sujet du respect de la garantie relative à l’équipement de sécurité qu’en février 2021, dans la première lettre de réserve de droits.

[36] Parmi les arguments présentés à l’appui de leur position selon laquelle les doctrines de la renonciation, de la préclusion et/ou du manque de diligence s’appliquent, les défenderesses soulignent qu’Aviva a effectué des paiements aux termes de la police d’assurance (le 11 mai 2020 elle a versé à la succession une indemnité pour les dommages matériels causés à l’embarcation de M. Borgatti et le 30 juin 2020 elle lui a versé l’indemnité de décès accidentel) et que le 11 décembre 2020 elle a avisé la succession qu’elle allait retenir les services d’un avocat de la défense, sans jamais évoquer la question des feux de navigation ni prévoir la réserve de ses droits. Comme je l’explique de façon plus détaillée ci-dessous, les défenderesses affirment qu’elles ont ainsi subi un préjudice.

[37] Les défenderesses font également valoir que la garantie relative à l’équipement de sécurité ne vise pas les feux de navigation et que, même si c’était le cas, les paragraphes 39(3) et 39(4) de la Loi sur l’assurance maritime ont pour effet d’empêcher Aviva de refuser la couverture en se fondant sur la garantie relative à l’équipement de sécurité. Comme je l’explique de façon plus détaillée ci-dessous, ces dispositions s’appliquent pour protéger les assurés, dans certaines circonstances, contre l’effet de ce qui constituerait autrement le non-respect d’une garantie énoncée dans une police d’assurance maritime.

[38] Le dossier de requête des défenderesses comprend un affidavit souscrit le 26 mai 2025 par Robin Dawson (la sœur de Neil Borgatti et la fille de Janet Borgatti, l’administratrice de la succession) [l’affidavit de Mme Dawson]. Dans son affidavit, Mme Dawson explique qu’elle aide activement sa mère à administrer la succession. Elle décrit l’expérience de M. Borgatti en tant que plaisancier et le soin dont il faisait preuve à cet égard, les communications avec Aviva (des copies des échanges avec Aviva sont jointes à son affidavit en tant que pièces) et les communications avec l’avocat chargé par la succession d’engager une poursuite en son nom contre le conducteur de l’embarcation de M. Koch. Mme Dawson offre un témoignage sur les paiements qu’Aviva a versés à la succession, soit l’indemnité pour les dommages matériels causés à l’embarcation de M. Borgatti et l’indemnité de décès accidentel. Elle décrit également les mesures que l’avocat de la défense a prises pour le compte de la succession depuis qu’Aviva a retenu ses services.

[39] À l’appui de l’allégation selon laquelle les défenderesses ont subi un préjudice en raison du défaut prétendu d’Aviva de les aviser en temps utile de ses doutes au sujet du respect de la garantie relative à l’équipement de sécurité, Mme Dawson affirme que sa mère a beaucoup souffert sur les plans émotionnel et financier et que la succession a été privée de renseignements qui l’aurait incitée à retenir les services d’un avocat pour déposer plus rapidement une demande visant à établir si la succession a droit à la couverture prévue par la police d’assurance.

[40] Bien que Mme Dawson ne l’ait pas mentionné dans son affidavit, les défenderesses font également valoir dans la requête en l’espèce qu’elles ont subi un préjudice en raison du fait qu’Aviva a disposé de l’embarcation en cause (qui était en sa possession) à la fin du mois d’août 2020, ce qui a eu pour effet de les priver de la possibilité d’obtenir des éléments de preuve matériels qui auraient pu les aider à répondre à l’allégation d’Aviva selon laquelle M. Borgatti a omis de se conformer à la garantie relative à l’équipement de sécurité.

[41] L’avocat d’Aviva a contre-interrogé Mme Dawson sur son affidavit, et la transcription de ce contre-interrogatoire [la transcription du contre-interrogatoire de Mme Dawson] figure dans le dossier de requête supplémentaire déposé par Aviva.

[42] À la lumière du dossier décrit ci-dessus, la Cour a entendu les observations orales des parties le 23 juillet 2025.

III. Les questions en litige

[43] Dans leurs observations écrites, les parties soulèvent essentiellement les mêmes questions en litige, mais elles ne les formulent pas exactement de la même façon. Voici comment je propose de les formuler :

[44] À l’audience, la Cour a porté à l’attention des avocats certaines questions liées à la preuve contenue dans le dossier de la Cour, et un différend est survenu entre les parties concernant la demande d’Aviva visant à faire introduire en preuve un document omis par inadvertance d’une des pièces jointes à l’affidavit de M. Barker (la pièce JJ). Dans mon analyse ci-dessous, j’examine les questions liées à la preuve avant de me pencher sur les questions de fond.

IV. Le droit applicable

A. L’octroi d’un jugement sommaire

[45] Une partie peut présenter une requête en jugement sommaire à l’égard de toutes ou d’une partie des questions que soulèvent les actes de procédure. Le cas échéant, elle la présente après le dépôt de la défense du défendeur et avant que l’instruction soit fixée (art 213(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles]). Suivant le paragraphe 215(1) des Règles, la Cour rend un jugement sommaire si elle est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense.

[46] Il n’existe aucune véritable question litigieuse lorsque la déclaration ou la défense n’a pas de fondement juridique ou lorsque la Cour dispose de la preuve nécessaire pour trancher justement et équitablement le litige (Milano Pizza Ltd c 6034799 Canada Inc, 2018 CF 1112 [Milano Pizza] au para 31, citant Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7 au para 66).

[47] La question qui se pose lors de l’examen d’une requête en jugement sommaire est de savoir si le succès de la demande est tellement douteux que celle-ci ne mérite pas d’être examinée par le juge des faits dans le cadre d’un futur procès. Les jugements sommaires ne sont pas réservés aux affaires particulièrement claires, et le requérant n’a pas à établir que la déclaration ou la défense n’a aucune chance de succès au procès (Milano Pizza, au para 33).

[48] Un jugement sommaire ne doit pas être rendu lorsque le juge n’est pas en mesure de dégager les faits nécessaires pour trancher le litige ou lorsqu’il serait injuste de le faire. L’existence d’une preuve contradictoire n’empêche pas nécessairement la Cour d’accorder un jugement sommaire si la Cour est d’avis que les questions en litige peuvent être tranchées malgré la preuve contradictoire. Cela dit, les questions de crédibilité ne doivent pas être tranchées dans le cadre d’une requête en jugement sommaire (Milano Pizza, aux para 36–39).

[49] En réponse à une requête en jugement sommaire, l’intimé ne peut se fonder sur un élément qui pourrait être produit ultérieurement en preuve dans l’instance. Il doit énoncer les faits précis et produire les éléments de preuve démontrant l’existence d’une véritable question litigieuse (art 214 des Règles; Milano Pizza, aux para 34–35; Gupta c Canada, 2021 CAF 31 au para 29).

B. La Loi sur l’assurance maritime

[50] Les défenderesses s’appuient sur certaines parties de l’article 39 de la Loi sur l’assurance maritime, qui est ainsi libellé :

Respect de l’engagement

39 (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’engagement doit être observé à la lettre, qu’il soit pertinent ou non à l’égard du risque.

Effet du manquement

(2) Sauf stipulation contraire de la police maritime ou renonciation de l’assureur, tout manquement à l’engagement dégage l’assureur de sa responsabilité à l’égard de toutes pertes qui surviennent à la date du manquement ou subséquemment, sans pour autant porter atteinte à sa responsabilité avant cette date.

Engagement de bon état

(3) L’engagement quant au fait que la chose assurée est en bon état ou en sécurité pour un jour donné est observé si la chose est dans cet état à n’importe quel moment de la journée.

Exception

(4) Le manquement à l’engagement est cependant excusé si, en raison d’un changement de circonstances, l’engagement cesse d’être applicable aux circonstances envisagées par le contrat ou si une règle de droit ultérieure en rend l’observation illicite.

Moyen de défense irrecevable

(5) En cas de manquement à l’engagement, l’assuré ne peut invoquer en défense le fait qu’il y a été remédié et que l’engagement a été observé avant toute perte.

Compliance with warranty

39 (1) Subject to this section, a warranty must be exactly complied with, whether or not it is material to the risk.

Effect of breach of warranty

(2) Subject to any express provision in the marine policy or any waiver by the insurer, where a warranty is not exactly complied with, the breach of the warranty discharges the insurer from liability for any loss occurring on or after the date of the breach, but does not affect any liability incurred by the insurer before that date.

Breach of warranty of good safety

(3) A warranty that the subject-matter insured is “well” or “in good safety” on a particular day is not breached if the subject-matter is safe at any time during that day.

When breach of warranty excused

(4) A breach of a warranty is excused if, because of a change of circumstances, the warranty ceases to be applicable to the circumstances contemplated by the contract or if compliance with the warranty is rendered unlawful by any subsequent law.

Limit on defence to breach of warranty

(5) It is no defence to a breach of a warranty that the breach was remedied and the warranty complied with before any loss was incurred.

 

C. Le Règlement sur les petits bâtiments et le Règlement sur les abordages

[51] Aviva s’appuie sur l’article 207 du Règlement sur les petits bâtiments, qui prévoit que toute embarcation de plaisance d’au plus 9 mètres a à bord des feux de navigation conformes aux exigences du Règlement sur les abordages si l’embarcation de plaisance est utilisée après le coucher du soleil ou avant son lever ou par visibilité réduite. (Il n’est pas contesté que l’embarcation de M. Borgatti mesurait moins de 9 mètres et que la collision est survenue après le coucher du soleil.)

[52] La règle 23 énoncée à l’annexe 1 du Règlement sur les abordages s’applique aux navires à propulsion mécanique faisant route, c’est-à-dire à tout navire mû par une machine qui n’est ni à l’ancre, ni amarré à terre, ni échoué (règle 3, définitions b) et i)). Elle impose les exigences suivantes :

Règle 23

Navires à propulsion mécanique faisant route — International

a) Un navire à propulsion mécanique faisant route doit montrer :

(i) un feu de tête de mât à l’avant;

(ii) un second feu de tête de mât à l’arrière du premier et plus haut que celui-ci; toutefois, les navires de longueur inférieure à 50 mètres ne sont pas tenus de montrer ce feu, mais peuvent le faire;

(iii) des feux de côté;

(iv) un feu de poupe.

b) Un aéroglisseur exploité sans tirant d’eau doit, outre les feux prescrits au paragraphe a) de la présente règle, montrer un feu jaune à éclats visible sur tout l’horizon.

c) Lorsqu’il décolle, atterrit ou vole près de la surface, un navion doit montrer, outre les feux prescrits à l’alinéa a) de la présente règle, un feu rouge à éclats de forte intensité, visible sur tout l’horizon.

d) (i) Un navire à propulsion mécanique de longueur inférieure à 12 mètres peut, au lieu des feux prescrits à l’alinéa a) de la présente règle, montrer un feu blanc visible sur tout l’horizon et des feux de côté.

(ii) Un navire à propulsion mécanique de longueur inférieure à sept mètres et dont la vitesse maximale ne dépasse pas sept nœuds peut, au lieu des feux prescrits à l’alinéa a) de la présente règle, montrer un feu blanc visible sur tout l’horizon; il doit, si possible, montrer en outre des feux de côté.

(iii) Le feu de tête de mât ou le feu blanc visible sur tout l’horizon à bord d’un navire à propulsion mécanique de longueur inférieure à 12 mètres peut ne pas se trouver dans l’axe longitudinal du navire s’il n’est pas possible de l’installer sur cet axe à condition que les feux de côté soient combinés en un seul fanal qui soit disposé dans l’axe longitudinal du navire ou situé aussi près que possible de l’axe longitudinal sur lequel se trouve le feu de tête de mât ou le feu blanc visible sur tout l’horizon.

Navires à propulsion mécanique faisant route — Modifications canadiennes

e) La règle 23d)(ii) ne s’applique pas à un navire canadien à propulsion mécanique, quelles que soient les eaux où il se trouve, ni à un navire étranger à propulsion mécanique qui se trouve dans les eaux canadiennes d’une rade, d’un port, d’un cours d’eau, d’un lac ou d’une voie navigable intérieure.

f) Un navire à propulsion mécanique faisant route dans les eaux du bassin des Grands Lacs peut porter, au lieu du deuxième feu de tête de mât et du feu de poupe prescrits à l’alinéa a), un seul feu blanc visible sur tout l’horizon ou deux feux du même genre placés l’un près de l’autre à une distance horizontale ne dépassant pas 800 millimètres, un sur chaque côté de la quille, et disposés de façon que l’un ou l’autre, ou les deux, soient visibles par tous les angles d’approche et pour la même distance minimale que les feux de tête de mât.

 

Rule 23

Power-driven Vessels Underway — International

(a) A power-driven vessel underway shall exhibit:

(i) a masthead light forward,

(ii) a second masthead light abaft of and higher than the forward one; except that a vessel of less than 50 metres in length shall not be obliged to exhibit such light but may do so,

(iii) sidelights,

(iv) a sternlight.

(b) An air cushion vessel when operating in the non-displacement mode shall, in addition to the lights prescribed in paragraph (a) of this Rule, exhibit an all-round flashing yellow light.

(c) A WIG craft only when taking off, landing and in flight near the surface shall, in addition to the lights prescribed in paragraph (a) of this Rule, exhibit a high intensity all-round flashing red light.

(d) (i) A power-driven vessel of less than 12 metres in length may in lieu of the lights prescribed in paragraph (a) of this Rule exhibit an all-round white light and sidelights.

(ii) A power-driven vessel of less than seven metres in length whose maximum speed does not exceed seven knots may in lieu of the lights prescribed in paragraph (a) of this Rule exhibit an all-round white light and shall, if practicable, also exhibit sidelights.

(iii) The masthead light or all-round white light on a power-driven vessel of less than 12 metres in length may be displaced from the fore and aft centreline of the vessel if centreline fitting is not practicable, provided that the sidelights are combined in one lantern which shall be carried on the fore and aft centreline of the vessel or located as nearly as practicable in the same fore and aft line as the masthead light or the all-round white light.

Power-driven Vessels Underway — Canadian Modifications

(e) Rule 23(d)(ii) does not apply to a Canadian power-driven vessel in any waters or to a non-Canadian power-driven vessel in the Canadian waters of a roadstead, harbour, river, lake or inland waterway.

(f) In the waters of the Great Lakes Basin, a power-driven vessel when underway may, instead of the second masthead light and sternlight prescribed in paragraph (a), carry, in the position of the second masthead light, a single all-round white light or two such lights placed not over 800 millimetres apart horizontally, one on either side of the keel and so arranged that one or the other or both shall be visible from any angle of approach and for the same minimum range as the masthead lights.

 

 

[53] Aviva s’appuie également sur la règle 20 énoncée à l’annexe 1 du Règlement sur les abordages, qui est ainsi libellée :

Règle 20

Champ d’application

a) Les règles de la présente partie doivent être observées par tous les temps.

b) Les règles concernant les feux doivent être observées du coucher au lever du soleil. Pendant cet intervalle, on ne doit montrer aucun autre feu pouvant être confondu avec les feux prescrits par les présentes règles et pouvant gêner la visibilité ou le caractère distinctif de ceux-ci ou pouvant empêcher d’exercer une veille satisfaisante.

c) Les feux prescrits par les présentes règles, lorsqu’ils existent, doivent également être montrés du lever au coucher du soleil par visibilité réduite et peuvent être montrés dans toutes les autres circonstances où cette mesure est jugée nécessaire.

d) Les règles concernant les marques doivent être observées de jour.

e) Les feux et les marques prescrits par les présentes règles doivent être conformes aux dispositions de l’appendice I du présent règlement.

 

Rule 20

Application

(a) Rules in this Part shall be complied with in all weathers.

(b) The Rules concerning lights shall be complied with from sunset to sunrise, and during such times no other lights shall be exhibited, except such lights as cannot be mistaken for the lights specified in these Rules or do not impair their visibility or distinctive character, or interfere with the keeping of a proper look-out.

(c) The lights prescribed by these Rules shall, if carried, also be exhibited from sunrise to sunset in restricted visibility and may be exhibited in all other circumstances when it is deemed necessary.

(d) The Rules concerning shapes shall be complied with by day.

(e) The lights and shapes specified in these Rules shall comply with the provisions of Annex I to these Regulations.

 

 

D. Les doctrines de la renonciation, de la préclusion et du manque de diligence

[54] Les questions en litige soulevées dans la requête en l’espèce font intervenir les principes juridiques régissant l’application des doctrines de la renonciation, de la préclusion et du manque de diligence. Ces principes sont énoncés plus loin, dans la section de l’analyse se rapportant à ces doctrines.

V. Analyse

A. Les questions liées à la preuve

(1) Le ouï-dire

[55] À l’audience relative à la requête en l’espèce, la Cour a demandé aux avocats si certains éléments de preuve contenus dans le dossier étaient présentés à des fins de ouï-dire, ce qui mettrait en doute leur admissibilité. À l’audience, les avocats ont traité de la question au regard du rapport de la police provinciale, du rapport du coroner et de la transcription de l’interrogatoire préalable de M. McCrie.

[56] Le rapport de la Police provinciale et le rapport du coroner constituent tous les deux des déclarations extrajudiciaires faites par leurs auteurs. En fait, comme l’avocat d’Aviva l’a fait remarquer, le rapport du coroner pourrait être qualifié de ouï-dire double, car l’auteur relate les déclarations faites par les témoins de la collision. Les parties conviennent toutefois que les deux rapports sont admissibles à des fins autres que le ouï-dire, c’est-à-dire pour établir à quel moment Aviva a reçu certains renseignements se rapportant aux circonstances de la collision. Je conviens que cette fin est pertinente relativement à l’application éventuelle des doctrines de la renonciation, de la préclusion et du manque de diligence, et que le rapport de la Police provinciale et le rapport du coroner sont donc des éléments de preuve admissibles.

[57] Cependant, il est clair qu’Aviva cherche aussi à s’appuyer sur le rapport de la Police provinciale et le rapport du coroner à des fins de ouï-dire, c’est-à-dire pour établir certains des faits se rapportant aux circonstances de la collision qui y sont relatés. À l’appui de sa position selon laquelle M. Borgatti ne se conformait pas à la garantie relative à l’équipement de sécurité au moment de la collision, Aviva se fonde sur ces rapports pour établir que l’embarcation de M. Borgatti n’avait pas les feux de navigation requis et que les pôles de feu de navigation étaient rangés au moment de la collision.

[58] Il importe de signaler que les défenderesses ne s’opposent pas à ce qu’Aviva s’appuie sur ces rapports à des fins de ouï-dire. Comme elles l’indiquent dans leur mémoire des faits et du droit, il n’est pas contesté que les feux de l’embarcation de M. Borgatti ne fonctionnaient pas au moment de la collision. De plus, il ressort clairement des observations présentées par les parties à la conférence de gestion de l’instruction et à l’audience que celles-ci souhaitent toutes deux régler le différend relatif à la couverture au moyen de la requête dont la Cour est saisie, au lieu d’aller en procès, ce qui serait coûteux et laborieux.

[59] Il aurait peut-être été préférable, à cette fin, que les parties s’entendent sur un énoncé conjoint des faits au lieu de s’appuyer sur des éléments de preuve qui pourraient être inadmissibles à des fins de ouï-dire. Cela dit, il faut applaudir les efforts déployés par les parties et leurs avocats pour régler le différend qui les oppose au moyen de la procédure sommaire, ce qui est manifestement dans l’intérêt de l’administration efficace de la justice. De plus, comme je l’explique ci-dessous, je statue sur le différend relatif à la couverture sans tirer de conclusions de fait se rapportant à la question de savoir si M. Borgatti a omis de se conformer à la garantie relative à l’équipement de sécurité. Par conséquent, malgré les réserves exprimées par la Cour à l’audience, je m’abstiens de me prononcer sur l’admissibilité du rapport de la Police provinciale ou du rapport du coroner.

[60] L’analyse qui précède quant au désir conjoint des parties de régler leur différend de manière efficace s’applique aussi à la transcription de l’interrogatoire préalable de M. McCrie, qui est jointe comme pièce à l’affidavit de M. Barker, lequel figure dans le dossier de requête d’Aviva.

[61] Je prends également note de l’explication donnée à l’audience pour justifier le recours à cet élément de preuve : les avocats des parties à l’action principale et aux actions en limitation de responsabilité ont signé un document par lequel celles-ci ont consenti à ce qu’Aviva et ses avocats produisent et utilisent les transcriptions de certains interrogatoires préalables, dont la transcription de l’interrogatoire préalable de M. McCrie, dans le cadre de l’action principale [le consentement]. Des copies signées du consentement ont été fournies à la Cour et cotées comme pièces à l’audience.

[62] La transcription de l’interrogatoire préalable de M. McCrie pourrait être pertinente à des fins autres que le ouï-dire relativement aux questions en litige dans l’action principale, car, à l’instar du rapport de la Police provinciale et du rapport du coroner, la transcription, combinée au témoignage de M. Barker selon lequel Aviva a obtenu une copie de la transcription le 1er novembre 2024, permet d’établir à quel moment Aviva a obtenu certains renseignements se rapportant aux circonstances de la collision.

[63] Cela dit, les deux parties cherchent aussi à s’appuyer sur la transcription de l’interrogatoire préalable de M. McCrie à des fins de ouï-dire. Aviva se fonde sur le fait que M. McCrie a déclaré que M. Borgatti, M. Brudek et lui n’avaient pas l’intention de retourner au chalet de M. Borgatti avant le coucher du soleil et qu’ils ne s’étaient pas assurés que les feux de navigation de l’embarcation de M. Borgatti fonctionnaient avant de partir. Les défenderesses se fondent sur les déclarations de M. McCrie pour établir que l’embarcation de M. Borgatti fonctionnait sans problème avant la collision et que rien n’indique que l’embarcation n’était pas en bon état lorsque le groupe a quitté le chalet.

[64] Le consentement n’indique pas expressément à quelle fin Aviva peut utiliser la transcription de l’interrogatoire préalable de M. McCrie dans le cadre de l’action principale. Toutefois, puisque les deux parties cherchent à s’appuyer sur la transcription à des fins de ouï‑dire et vu l’absence d’objection de la part des défenderesses, je suis disposé à interpréter le consentement comme autorisant l’utilisation de la transcription à des fins de ouï-dire.

(2) La preuve d’expert

[65] Comme je le mentionne ci-dessus, le dossier de requête d’Aviva comprend le rapport de M. Schouffoer, qu’Aviva souhaite invoquer à titre de preuve d’expert. Bien qu’Aviva n’ait pas inclus, dans son mémoire des faits et du droit, des observations sur la qualité d’expert de M. Schouffoer, son avocat a expliqué à l’audience qu’Aviva avait l’intention de faire reconnaître M. Schouffoer comme expert en matière de navigation et de pilotage de navires afin qu’il puisse donner son opinion sur les exigences relatives aux feux de navigation.

[66] Les défenderesses font valoir qu’il n’était pas du tout approprié qu’Aviva, leur assureur en responsabilité civile, dépose dans le cadre de la requête en jugement sommaire une preuve d’expert qui appuie la conclusion selon laquelle M. Borgatti est responsable de la collision. Je me penche sur cet argument plus loin dans les présents motifs. Cela dit, les défenderesses soulèvent cet argument dans leurs observations sur l’acte de confiance préjudiciable ou le préjudice dans le contexte de la question de la préclusion. Les défenderesses n’ont pas contesté la qualité d’expert de M. Schouffoer.

[67] Je le répète, comme je l’explique ci-dessous, je statue sur le différend relatif à la couverture sans tirer de conclusions de fait se rapportant à la question à laquelle le rapport de M. Schouffoer se rapporte, c’est-à-dire la question de savoir si M. Borgatti a omis de se conformer à la garantie relative à l’équipement de sécurité. Cependant, par souci de clarté, sur le fondement des compétences et de l’expérience de M. Schouffoer énoncées dans son rapport, y compris dans la biographie qui y est annexée, je conclus que M. Schouffoer possède les qualités requises pour fournir un témoignage d’expert dans les limites proposées par Aviva.

(3) La pièce JJ de l’affidavit de M. Barker

[68] Au début de l’audience relative à la requête en l’espèce, l’avocat d’Aviva a indiqué que sa cliente souhaitait faire ajouter au dossier une copie d’un courriel envoyé par Jonathan Barker à Janet Borgatti le 26 septembre 2023 [le courriel de M. Barker]. Aviva a expliqué que ce courriel avait été omis par inadvertance de la chaîne de courriels jointe à l’affidavit de M. Barker comme pièce JJ. Aviva a mentionné qu’au paragraphe 45 de son affidavit, M. Barker a déclaré que le 26 septembre 2023 il avait informé Mme Borgatti par courriel qu’Aviva comptait introduire une action devant la Cour fédérale en vue d’obtenir un jugement déclaratoire portant que les pertes et les réclamations découlant de la collision n’étaient pas couvertes par la police d’assurance. M. Barker a ensuite mentionné que des copies des courriels échangés par Mme Borgatti et lui étaient jointes comme pièce JJ.

[69] L’avocat des défenderesses s’est opposé à ce que le courriel de M. Barker soit ajouté dans le dossier de la Cour, parce qu’il n’avait jamais vu le document avant qu’Aviva tente de l’introduire en preuve à l’audience et qu’il n’avait donc pas eu l’occasion de contre-interroger M. Barker à son sujet.

[70] J’accepte que c’est par inadvertance que le courriel de M. Barker a été omis de la pièce JJ de l’affidavit de M. Barker. Toutefois, bien que les défenderesses n’aient fait mention d’aucun préjudice précis découlant du fait qu’elles n’avaient pas pu contre-interroger M. Barker au sujet de son courriel, je suis d’avis qu’Aviva a tenté de faire introduire le courriel en preuve au tout dernier moment.

[71] De plus, j’ai examiné le contenu du courriel de M. Barker et j’estime que celui-ci n’ajoute pas grand-chose à la preuve d’Aviva dans le contexte de la requête dont je suis saisi, hormis le fait qu’il corrobore la déclaration faite par M. Barker dans son affidavit au sujet des renseignements qu’il a communiqués à Mme Borgatti le 26 septembre 2023. À ma connaissance, les défenderesses ne contestent pas cette déclaration.

[72] Par conséquent, je refuse d’ajouter le courriel de M. Barker dans le dossier de la Cour.

B. Les questions soulevées dans la requête se prêtent-elles à un jugement sommaire?

[73] Comme je l’explique ci-dessus, les parties conviennent que les questions soulevées dans la requête se prêtent au jugement sommaire. Bien que la Cour ne soit pas liée par cette entente, je souscris à la position des parties. Les faits nécessaires pour régler le litige se trouvent dans le dossier soumis à la Cour, et il n’y a aucune question de crédibilité à trancher (Milano Pizza, aux para 36–39). Je conclus que les questions soulevées dans la requête peuvent être tranchées par procédure sommaire.

C. Neil Borgatti a-t-il omis de se conformer à la garantie relative à l’équipement de sécurité, de sorte que, sous réserve des autres questions soulevées dans la requête en l’espèce, Aviva est dégagée de l’obligation de fournir une indemnité contractuelle aux défenderesses aux termes de la police d’assurance?

[74] Je renvoie plus haut à certains des éléments de preuve factuels sur lesquels Aviva s’appuie pour établir son allégation selon laquelle, au moment de la collision, l’embarcation de M. Borgatti n’avait pas de feux de navigation. En fait, comme je le mentionne plus haut, les défenderesses ne contestent pas cette allégation. Toutefois, les arguments formulés par Aviva à l’appui de sa position selon laquelle M. Borgatti a donc omis de se conformer à la garantie relative à l’équipement de sécurité reposent sur plus que ces éléments de preuve factuels; ils mettent nécessairement l’accent sur le libellé de la garantie en question et des dispositions susceptibles d’application du Règlement sur les petits bâtiments et du Règlement sur les abordages qui prescrivent les exigences relatives à l’équipement applicables à l’embarcation de M. Borgatti.

[75] Selon le libellé de la garantie relative à l’équipement de sécurité, l’embarcation de M. Borgatti devait être [traduction] « dotée de l’équipement de sécurité exigé par la loi, dont des extincteurs d’incendie » (non souligné dans l’original) et [traduction] « cet équipement [devait] en tout temps [être] maintenu en bon état de fonctionnement ». Aviva soutient que le terme [traduction] « équipement de sécurité », tel qu’il est employé dans la garantie, comprend l’équipement de navigation prescrit par l’article 207 du Règlement sur les petits bâtiments, dont les feux de navigation. Les défenderesses, pour leur part, soutiennent que les feux de navigation font partie de l’équipement de navigation et non de l’équipement de sécurité.

[76] Les deux parties avancent des arguments fondés sur le libellé et la structure de certaines dispositions susceptibles d’application du Règlement sur les petits bâtiments. Par exemple, Aviva s’appuie sur les titres utilisés dans la partie pertinente du Règlement sur les petits bâtiments. Aviva fait valoir que, bien que l’article 207 porte le titre « Équipement de navigation », il se trouve dans la partie 2 du Règlement sur les petits bâtiments, intitulé « Équipement de sécurité pour les embarcations de plaisance ». En revanche, les défenderesses font valoir que l’article 206, qui exige qu’une embarcation ait à bord de l’équipement comme un dispositif de propulsion manuelle, une ancre, une écope ou une pompe de cale manuelle (mais qui ne fait aucune mention des feux de navigation), porte le titre « Équipement de sécurité de bâtiment ».

[77] Aviva se fonde aussi sur la preuve d’expert contenue dans le rapport de M. Schouffoer. Dans l’affidavit auquel son rapport est joint et dans le rapport comme tel, M. Schouffoer explique qu’Aviva l’a mandaté de donner son opinion sur a) la question de savoir si M. Borgatti se conformait ou non aux règlements applicables au moment de la collision; b) la question de savoir si la lumière émise par les détecteurs de poissons et les cellulaires utilisés au moment de la collision auraient permis aux autres navigateurs de voir l’embarcation de M. Borgatti; et c) la norme applicable en ce qui a trait à la vérification des feux de navigation avant et pendant le voyage. Dans son rapport, M. Schouffoer explique qu’à son avis, a) M. Borgatti ne se conformait pas aux règlements applicables; b) la lumière émise au moment de la collision n’aurait pas permis aux autres navigateurs de voir l’embarcation de M. Borgatti; et c) le conducteur d’une embarcation doit s’assurer que ses feux de navigation fonctionnent correctement avant d’entreprendre un voyage.

[78] Comme je le fais remarquer plus haut, les défenderesses contestent le caractère approprié du dépôt, par Aviva, d’un rapport d’expert dans lequel l’auteur exprime des opinions qui étayent vraisemblablement la responsabilité de M. Borgatti à l’égard de la collision, surtout étant donné qu’Aviva défend toujours la succession dans le cadre des actions en responsabilité délictuelle intentées contre elle. Les défenderesses font valoir cet argument dans le contexte de leurs arguments relatifs à la préclusion, dont je traite plus loin dans les présents motifs. À mon avis, cependant, à la lumière de cet argument et de la jurisprudence que les parties ont soumise à la Cour en l’espèce, le fait que l’assureur en responsabilité civile des défenderesses demande à la Cour, dans le cadre de la requête, de tirer des conclusions de fait qui pourraient avoir des conséquences préjudiciables pour les défenderesses dans les actions en responsabilité délictuelle auxquelles celles-ci sont toujours parties soulève un problème plus général.

[79] L’analyse dans l’arrêt Monenco Ltd c Commonwealth Insurance Co, 2001 CSC 49 [Monenco], illustre ce problème. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur la question de savoir dans quelle mesure une cour peut prendre en considération une preuve extrinsèque (allant au-delà des actes de procédure déposés dans une action intentée contre l’auteur allégué d’un délit) dans le cadre de son évaluation de l’obligation de l’assureur en responsabilité civile de l’auteur du délit de défendre celui-ci dans l’action.

[80] Dans l’arrêt Monenco, la Cour suprême a répété le principe général selon lequel il y a obligation de défendre lorsque les actes de procédure portent sur des réclamations qui seraient payables en vertu de la clause d’indemnisation du contrat d’assurance. Elle a également expliqué que l’obligation de défendre n’existe pas lorsqu’il ressort clairement des actes de procédure que la réclamation ne relève pas de la portée de la police en raison d’une clause d’exclusion. Cependant, il n’est pas nécessaire d’établir qu’il y aura effectivement obligation d’indemniser pour déclencher l’obligation de défendre. En ce sens, l’obligation de défendre de l’assureur a une portée plus large que l’obligation d’indemniser (au para 29).

[81] Ces principes posés, la Cour suprême a conclu qu’il était possible de tenir compte de la preuve extrinsèque mentionnée explicitement dans les actes de procédure (au para 36), mais elle a formulé une mise en garde contre l’examen d’une preuve « prématurée », c’est-à-dire une preuve qui exigerait que des conclusions susceptibles d’influer sur l’action en responsabilité délictuelle intentée contre l’assuré soient tirées avant le procès (au para 37).

[82] Les observations formulées par la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans la décision Unique Labeling Inc v Gerline Canada Insurance Co, 2008 CarswellOnt 6098, 171 ACWS (3e) 182 (CSJ Ont) [Unique Labeling], illustrent aussi le problème que pose selon moi le fait qu’un assureur demande à la cour de tirer des conclusions potentiellement préjudiciables. Dans cette affaire, la Cour supérieure de justice de l’Ontario était saisie d’une action intentée sur le fondement du paragraphe 132(1) de la Loi sur les assurances de l’Ontario, LRO 1990, c I.8. La demanderesse avait obtenu un jugement contre les auteurs du délit et cherchait à recouvrer le montant du jugement auprès de leurs assureurs en responsabilité civile. Les assureurs ont invoqué en défense les clauses d’exclusion des polices d’assurance en cause, et la Cour supérieure de justice a rejeté l’action (au para 229).

[83] Dans son analyse, la Cour supérieure de justice a fait référence à la nécessité d’évaluer l’obligation de défendre sur le fondement des actes de procédure déposés dans une action intentée contre un assuré, puis a affirmé que, peu importe s’il accepte ou refuse d’indemniser l’assuré à l’égard d’une réclamation donnée, l’assureur doit veiller à ne pas compromettre la position de l’assuré dans l’action principale (au para 219). Bien qu’à mon avis cette remarque ait été formulée de façon incidente dans la décision Unique Labeling, je souscris à la conclusion selon laquelle il est problématique qu’un assureur, qui a l’obligation d’agir de bonne foi au regard d’un contrat d’assurance (voir la Loi sur l’assurance maritime, art 20; Fidler c Sun Life du Canada, compagnie d’assurance-vie, 2006 CSC 30 [Fidler] au para 63), prenne des mesures qui portent préjudice à l’assuré dans le contexte de la poursuite engagée contre lui, et ce, même si l’assureur conclut que la couverture ne s’applique pas.

[84] Je suis conscient que l’action principale en l’espèce se rapporte à l’obligation d’Aviva d’indemniser la succession aux termes de la police d’assurance, et non à son obligation de la défendre dans les actions en responsabilité délictuelle intentées contre elle. Or, logiquement, le raisonnement qui sous-tend les réserves exprimées dans les décisions mentionnées ci-dessus s’applique aussi lorsque, dans le cadre d’une instance visant à déterminer si la couverture prévue par une police d’assurance responsabilité s’applique, l’assureur demande à la cour de tirer des conclusions de fait qui se rapportent à la responsabilité de l’assuré, laquelle fait l’objet du débat dans l’action en responsabilité délictuelle à laquelle l’assuré souhaite que son assureur réponde.

[85] Selon moi, le raisonnement exprimé dans la décision Slough Estates Canada Ltd v Federal Pioneer Ltd, 1994 CanLII 7313 (CSJ Ont) [Slough], concorde avec cette conclusion. Dans l’affaire Slough, la défenderesse dans une action en matière environnementale a déposé une mise en cause contre ses assureurs en responsabilité civile et a demandé une ordonnance déclaratoire portant que ses assureurs avaient l’obligation de la défendre dans le cadre de l’action. Les assureurs ont demandé un jugement sommaire, faisant valoir que la mise en cause devait être rejetée pour divers motifs et que la police d’assurance dans son ensemble était nulle. Par application des principes régissant l’évaluation de l’obligation de défendre, la Cour était disposée à accueillir la requête de l’assurée et à ordonner aux assureurs de la défendre dans l’action en matière environnementale, à moins que la police d’assurance soit déclarée nulle au terme de l’examen de la requête en jugement sommaire des assureurs.

[86] Pour trancher la requête en jugement sommaire des assureurs visant à faire déclarer la police d’assurance nulle, la Cour supérieure de justice de l’Ontario, dans la décision Slough, s’est appuyée sur la jurisprudence américaine selon laquelle l’assureur qui demande un jugement sommaire doit établir que la couverture ne s’applique pas, sans porter préjudice aux intérêts de l’assuré dans l’action en responsabilité délictuelle intentée contre lui. La Cour supérieure de justice a conclu que les assureurs dans cette affaire tentaient d’établir certains des faits qui étaient contestés dans l’action en responsabilité délictuelle intentée contre l’assurée et que, si ces faits étaient établis, ils porteraient préjudice à l’assurée, et elle a rejeté la requête des assureurs (pour ce motif et pour d’autres motifs).

[87] Je reviens plus loin dans les présents motifs à l’argument des défenderesses portant que le fait qu’Aviva ait commandé le rapport de M. Schouffoer a mené à un préjudice ou à un acte de confiance préjudiciable, ce qui est pertinent quant aux arguments relatifs à la doctrine de la préclusion formulés par les défenderesses. Aux fins qui nous concernent ici, je m’appuie sur la jurisprudence examinée ci-dessus pour m’abstenir de trancher la question de savoir si M. Borgatti a omis de se conformer à la garantie relative à l’équipement de sécurité. Peu importe si le fait qu’Aviva ait commandé le rapport de M. Schouffoer appuie ou non les arguments relatifs à la préclusion formulés par les défenderesses ou toute autre théorie empêchant Aviva d’invoquer la garantie relative à l’équipement de sécurité, je suis convaincu qu’il n’est pas dans l’intérêt de la justice que la Cour tire des conclusions qui, si elles étaient favorables à Aviva, auraient des conséquences préjudiciables pour les défenderesses dans les actions en responsabilité délictuelle intentées contre elles.

[88] Pour arriver à cette conclusion, je tiens compte du fait que les défenderesses reconnaissent que les feux de navigation de l’embarcation de M. Borgatti ne fonctionnaient pas au moment de la collision. Or, il ressort aussi clairement des actes de procédure déposés dans l’action en limitation de responsabilité de la succession que les défenderesses nient la responsabilité de M. Borgatti à l’égard de la collision. Pour que la Cour puisse trancher les arguments formulés par Aviva à l’appui de sa position selon laquelle M. Borgatti a omis de se conformer à la garantie relative à l’équipement de sécurité, en particulier ceux qui sont fondés sur le rapport de M. Schouffoer, il faudrait qu’elle tire des conclusions sur d’autres questions que l’état de fonctionnement des feux de l’embarcation de M. Borgatti, lesquelles pourraient être pertinentes quant à la responsabilité.

[89] De plus, la question de savoir si M. Borgatti a omis ou non de se conformer à la garantie relative à l’équipement de sécurité n’est pas déterminante quant à l’issue de la requête en l’espèce. Comme je l’explique ci-dessous, ma décision repose sur la conclusion selon laquelle Aviva est empêchée par préclusion de s’appuyer sur la garantie relative à l’équipement de sécurité. Autrement dit, même si la Cour concluait que M. Borgatti a omis de se conformer à la garantie, Aviva ne pourrait pas s’appuyer sur ce manquement en raison de ma conclusion sur la question de la préclusion.

[90] Pour l’analyse des autres questions en litige en l’espèce, je fais donc comme si Aviva avait établi que M. Borgatti a omis de se conformer à la garantie relative à l’équipement de sécurité, bien que je ne tire aucune conclusion en ce sens.

D. Les paragraphes 39(3) et/ou 39(4) de la Loi sur l’assurance maritime ont-ils pour effet d’empêcher Aviva de s’appuyer sur la garantie relative à l’équipement de sécurité?

[91] L’article 39 de la Loi sur l’assurance maritime, en particulier les paragraphes 39(3) et 39(4), sur lesquels se fondent les défenderesses, est reproduit plus haut dans les présents motifs. Selon les défenderesses, les paragraphes 39(3) et 39(4) sont des dispositions de sauvegarde, qui s’appliquent pour protéger les assurés, dans certaines circonstances, contre l’effet du non-respect d’une garantie énoncée dans une police d’assurance.

[92] Le paragraphe 39(3) prévoit qu’une garantie quant au fait que la chose assurée est en bon état est observée si la chose est dans cet état à n’importe quel moment de la journée. Les défenderesses font valoir que la preuve contenue dans la transcription de l’interrogatoire préalable de M. McCrie établit que l’embarcation de M. Borgatti (soit la chose assurée aux termes de la police d’assurance) était en bon état le jour de la collision. De fait, M. McCrie a déclaré que l’embarcation fonctionnait sans problème avant la collision. Selon les défenderesses, rien n’indique que l’embarcation n’était pas en bon état lorsque le groupe a quitté le chalet de M. Borgatti.

[93] Les défenderesses s’appuient également sur la preuve contenue dans la transcription du contre-interrogatoire de Mme Dawson selon laquelle les feux de l’embarcation de M. Borgatti fonctionnaient dans les jours précédant la collision. Les défenderesses reconnaissent que M. McCrie a déclaré n’avoir vu personne effectuer un contrôle de sécurité avant que le groupe quitte le chalet de M. Borgatti, mais elles soutiennent que cette preuve n’est pas, à elle seule, déterminante.

[94] Le paragraphe 39(4) excuse le non-respect d’une garantie si, en raison d’un changement de circonstances, la garantie cesse d’être applicable aux circonstances envisagées par le contrat d’assurance. Les défenderesses font valoir que la défaillance inattendue de l’équipement, le soir, alors que l’embarcation se trouvait au milieu du lac, est un changement de circonstances qui a rendu la garantie impossible à respecter.

[95] Aviva soutient que ni l’une ni l’autre de ces dispositions ne s’applique en l’espèce. Elle reconnaît que Mme Dawson a déclaré, dans son affidavit, que M. Borgatti n’aurait pas selon elle quitté le quai si les feux de navigation de son embarcation ne fonctionnaient pas et que, s’il y a eu défaillance des feux le jour de la collision, il s’agit d’un changement de circonstances important et inattendu. Cependant, Aviva souligne que Mme Dawson a reconnu en contre-interrogatoire qu’elle n’était pas sur les lieux le jour de la collision. De plus, M. McCrie, le seul survivant de la collision parmi les personnes qui se trouvaient à bord de l’embarcation de M. Borgatti, a déclaré qu’ils n’avaient pas vérifié si les feux fonctionnaient avant de quitter le quai.

[96] Pour que la Cour puisse répondre à la question de savoir si les circonstances de la collision excusent le manquement par application du paragraphe 39(3) ou 39(4), il faudrait, comme pour la question de savoir si M. Borgatti a omis de se conformer à la garantie relative à l’équipement de sécurité, que la Cour examine la preuve mentionnée ci-dessus et qu’elle tire des conclusions de fait se rapportant à la conduite de M. Borgatti le jour de la collision, qui pourraient être pertinentes quant à sa responsabilité dans le contexte des actions en responsabilité délictuelle intentées contre la succession. Je suis conscient que ce sont les défenderesses, et non Aviva, qui ont soulevé l’application de l’article 39. Toutefois, puisque je m’abstiens de répondre à la question de savoir si M. Borgatti a omis de se conformer à la garantie relative à l’équipement de sécurité, soulevée par Aviva, je suis d’avis que je dois également m’abstenir de répondre à la question relative à la Loi sur l’assurance maritime soulevée en réponse par les défenderesses.

[97] Qui plus est, l’application éventuelle du paragraphe 39(3) ou du paragraphe 39(4) n’est pas déterminante quant à l’issue de la requête en l’espèce. Celle-ci repose plutôt, je le répète, sur l’application de la doctrine de la préclusion, dont je traite ci-dessous.

[98] Par conséquent, la Cour s’abstient de se prononcer sur la question de savoir si la garantie relative à l’équipement de sécurité est sauvegardée par le paragraphe 39(3) ou 39(4) de la Loi sur l’assurance maritime.

E. Les doctrines de la renonciation, de la préclusion et/ou du manque de diligence empêchent-elles Aviva de s’appuyer sur la garantie relative à l’équipement de sécurité?

(1) La renonciation

[99] Le paragraphe 39(2) de la Loi sur l’assurance maritime prévoit que, sauf renonciation de l’assureur, le non-respect d’une garantie dégage l’assureur de sa responsabilité à l’égard de toutes pertes qui surviennent à la date du manquement ou subséquemment (non souligné dans l’original). La loi qui régit l’assurance maritime au Canada prévoit donc la possibilité que le non-respect d’une garantie soit excusé par application de la renonciation. Toutefois, les principes applicables pour conclure qu’il y a eu renonciation sont énoncés dans la jurisprudence.

[100] Il y a renonciation lorsqu’une partie à un contrat agit de façon à ne pas se prévaloir d’un droit ou d’un vice dont elle connaît l’existence en ce qui concerne l’exécution d’une obligation par l’autre partie (Saskatchewan River Bungalows Ltd c La Maritime, Compagnie d’assurance-vie, [1994] 2 RCS 490, 1994 CanLII 100 (CSC) [Saskatchewan River Bungalows] à la p 499). On conclura à la renonciation si la preuve démontre que la partie qui renonce avait a) parfaitement connaissance de ses droits et b) l’intention claire et consciente d’y renoncer. Le critère est strict, vu l’absence de contrepartie de la part de la partie en faveur de laquelle joue la renonciation (Saskatchewan River Bungalows, à la p 500). Or, contrairement à la doctrine de la préclusion, la partie qui cherche à invoquer la doctrine de la renonciation n’a pas à établir l’existence d’un acte de confiance préjudiciable (Bradfield v Royal Sun Alliance Insurance Company of Canada, 2019 ONCA 800 [Bradfield] au para 42). À ma connaissance, ces principes ne sont pas contestés en l’espèce.

[101] L’argument des défenderesses quant à l’application de la doctrine de la renonciation est fondé sur les mesures prises par Aviva aux termes de la police après la collision, jusqu’à l’envoi de la première lettre de réserve de droits, en février 2021. Plus précisément, les défenderesses soulignent qu’Aviva a effectué des paiements aux termes de la police d’assurance – le 11 mai 2020 elle a versé à la succession une indemnité pour les dommages matériels causés à l’embarcation de M. Borgatti et le 30 juin 2020 elle lui a versé l’indemnité de décès accidentel – et que, le 11 décembre 2020, elle a avisé la succession qu’elle allait retenir les services d’un avocat de la défense.

[102] Conformément au principe selon lequel la partie à un contrat qui cherche à établir qu’il y a eu renonciation doit établir que l’autre partie (celle qui renonce) avait connaissance de ses droits, on ne peut conclure qu’un assureur a renoncé à son droit d’invoquer la violation d’une police d’assurance que s’il avait connaissance des faits ayant mené à la violation (Bradfield, au para 31). Pour satisfaire à cette exigence en l’espèce, les défenderesses se fondent sur la preuve selon laquelle : a) Aviva savait, dès le 17 septembre 2019 (soit moins d’un mois après la collision), en raison de ses échanges avec M. McCrie, qu’il y avait un problème avec les feux de navigation de l’embarcation de M. Borgatti; b) en février 2020, Aviva a reçu des renseignements additionnels sur la question de l’éclairage de la part de son entrepreneur, Forensic, après que celui-ci eut procédé à l’inspection de l’embarcation de M. Borgatti en la présence de M. McCrie; et c) en novembre 2020, Aviva a reçu le rapport de la Police provinciale et le rapport du coroner, qui contenaient d’autres renseignements sur la question de l’éclairage.

[103] En se fondant sur cette preuve, les défenderesses font valoir que le critère pour conclure à la renonciation était rempli bien avant qu’Aviva n’envoie sa première lettre de réserve de droits, en février 2021. Elles affirment également que l’envoi d’une lettre de réserve de droits, après qu’il y a eu renonciation, ne rétablit pas le droit de l’assureur de réserver les droits auxquels il a renoncé ou de refuser la couverture prévue par la police d’assurance applicable.

[104] En rapport avec cette dernière observation, à l’audience, la Cour a demandé aux parties si la jurisprudence qu’elles invoquent témoigne de l’existence de courants jurisprudentiels divergents quant à la capacité de l’assureur d’annuler une renonciation.

[105] Au paragraphe 30 de la décision The Commonwell Mutual Assurance Group v Campbell, 2018 ONSC 5899 [Commonwell], la Cour supérieure de justice de l’Ontario a affirmé que l’assureur peut choisir de faire abstraction de la violation de la police ou renoncer à son droit d’invoquer une clause d’exclusion, mais que s’il a renoncé à son droit d’invoquer une violation, il ne peut pas par la suite résilier sa renonciation, ce qui concorde avec la position adoptée en l’espèce par les défenderesses. Cependant, à la page 502 de l’arrêt Saskatchewan River Bungalows, la Cour suprême du Canada a affirmé qu’on peut résilier une renonciation si un avis raisonnable est donné à la partie en faveur de laquelle elle joue. De fait, dans cet arrêt, la Cour suprême a conclu que l’assureur avait résilié sa renonciation, de sorte que celle-ci ne s’appliquait plus lorsque les assurées ont tenté de l’invoquer (à la p 503).

[106] En l’espèce, ni l’une ni l’autre des parties n’a offert de fondement rationnel permettant de concilier la décision Commonwell et l’arrêt Saskatchewan River Bungalows, quoique les défenderesses font remarquer que l’arrêt Saskatchewan River Bungalows porte sur des primes d’assurance impayées, plutôt que sur la violation d’une police d’assurance ou l’existence d’une clause d’exclusion. Aviva souligne que, si ces décisions ne sont pas conciliables, l’arrêt Saskatchewan River Bungalows rendu par la Cour suprême du Canada a un poids plus important.

[107] L’explication donnée par la Cour suprême dans l’arrêt Saskatchewan River Bungalows à l’effet qu’un avis raisonnable doit être donné pour qu’une renonciation puisse être résiliée est peut-être utile dans le contexte de cet exercice de conciliation. Vraisemblablement, il est important de donner un avis raisonnable de la résiliation pour empêcher l’assuré de se fier à la renonciation. Ainsi, bien qu’il ne soit pas généralement nécessaire d’établir un acte de confiance préjudiciable ou un préjudice pour invoquer la doctrine de la renonciation (Bradfield, au para 42), la notion de confiance pourrait entrer en ligne de compte lorsqu’un assureur tente de résilier sa renonciation.

[108] Je note aussi que les défenderesses ont fait remarquer, à l’audience, que la décision Commonwell mentionne l’alinéa 131(1)b) de la Loi sur les assurances de l’Ontario, LRO 1990, c I.8, qui dispose que l’assuré est dispensé de son obligation d’observer une exigence prévue par une police d’assurance dans la mesure où, compte tenu de la conduite de l’assureur, l’assuré a des motifs raisonnables de se croire en tout ou en partie dispensé d’observer l’exigence et agit en conséquence à son propre détriment. Dans la décision Commonwell, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a affirmé que cette disposition codifie en partie le principe de la renonciation. Il serait peut-être plus juste de dire que l’alinéa 131(1)b) codifie le principe de la préclusion, vu qu’il met l’accent sur la notion d’acte de confiance préjudiciable. Cependant, ce renvoi, dans la décision Commonwell, au fait que la notion de confiance constitue un élément de la doctrine de la renonciation pourrait donner à penser (du moins implicitement) que la notion de confiance faisait partie intégrante du raisonnement de la Cour supérieure de justice lorsqu’elle a fait la déclaration (au para 30) sur laquelle les défenderesses s’appuient en l’espèce.

[109] Par conséquent, bien que les parties n’aient pas présenté d’observations utiles à la Cour sur cette question, je suis enclin à penser que, dans le cas où la preuve est compatible avec la résiliation d’une renonciation, la Cour doit se demander si l’assuré a déjà agi à son détriment en se fondant sur la renonciation.

[110] Dans cette optique, même si, en effectuant des paiements et en retenant les services d’un avocat, Aviva avait renoncé à son droit d’invoquer le non-respect de la garantie relative à l’équipement de sécurité, elle avait l’intention claire de résilier cette renonciation lorsqu’elle a envoyé la première lettre de réserve de droits, le 12 février 2021. Les défenderesses ne pouvaient donc plus, à partir de cette date, s’appuyer sur la doctrine de la renonciation, à moins qu’elles puissent établir qu’elles s’étaient déjà fondées à leur détriment sur les déclarations ou la conduite d’Aviva témoignant de sa renonciation. Cette analyse recoupe donc celle qui s’applique à la doctrine de la préclusion (qui nécessite un acte de confiance préjudiciable ou un préjudice), dont je traite dans la prochaine section des présents motifs. Je préfère analyser les arguments des défenderesses dans le cadre de la doctrine de la préclusion, qui est la plus souvent invoquée lorsqu’un assuré fait valoir que son assureur lui a causé un préjudice.

(2) La préclusion

a) Les principes généraux

[111] La doctrine de la préclusion promissoire est un moyen de défense d’equity qui nécessite : a) que les parties entretiennent des rapports juridiques au moment de la promesse ou de l’assurance donnant lieu à la préclusion; b) que la promesse ou l’assurance ait été destinée à modifier ces rapports et à inciter à l’accomplissement de certains actes; et c) que l’autre partie se soit fiée à la promesse ou à l’assurance à son détriment (Trial Lawyers Association of British Columbia c Royal & Sun Alliance du Canada, société d’assurances, 2021 CSC 47 [Trial Lawyers Association] au para 15).

[112] Au paragraphe 16 de l’arrêt Trial Lawyers Association, les juges majoritaires ont décrit ainsi la doctrine de la préclusion promissoire dans le contexte de l’assurance :

[…] Dans le contexte de l’assurance, la préclusion naît le plus souvent lorsqu’un assureur, ayant initialement entrepris des démarches compatibles avec la couverture, refuse ensuite la couverture, parce que l’assuré a contrevenu à une modalité de la police ou parce qu’il n’était pas admissible à l’assurance dès le départ. Pour éviter que l’assureur ne refuse la couverture, l’assuré tentera de démontrer que l’assureur est préclus de modifier sa position à l’égard de la couverture par ses paroles ou par sa conduite antérieure.

[113] Dans l’arrêt Trial Lawyers Association, les juges majoritaires ont confirmé que, lorsqu’il s’agit de déterminer l’intention de l’auteur de la promesse de modifier les rapports juridiques, la connaissance des faits est un facteur pertinent (aux para 21–23). Cela dit, les juges majoritaires ont précisé que, ce qui compte, c’est que l’auteur de la promesse connaissait les faits et non qu’il en appréciait la portée juridique, à savoir qu’il s’agissait d’une violation de la police (au para 24). Plus précisément, les juges majoritaires ont affirmé ce qui suit (au para 30) :

En résumé, lorsqu’il est établi que l’assureur a en sa possession les faits établissant une contravention, une inférence peut être tirée selon laquelle l’assureur, par sa conduite, avait l’intention de modifier ses rapports juridiques avec l’assuré — nonobstant le fait que l’assureur n’a pas saisi la portée juridique des faits ou n’a pas su autrement comprendre les modalités de sa police conclue avec l’assuré.

[114] Dans l’arrêt Trial Lawyers Association, la Cour suprême décrit une autre forme de préclusion, soit la préclusion par assertion de fait, qui interdit à l’auteur de la promesse de nier la véracité d’une représentation antérieure (au para 17). Pour conclure à la préclusion par assertion de fait, il faut établir : a) une assertion, ou une conduite y équivalant, qui a pour but d’inciter la personne à qui elle est faite à adopter une certaine ligne de conduite; b) une action ou une omission résultant de l’assertion, en paroles ou en actes, de la part de la personne à qui l’assertion est faite; et c) un préjudice causé à cette personne en conséquence de cette action ou omission. L’assertion doit être sans ambiguïté et non équivoque (Vallelunga c Canada, 2016 CF 1329 aux para 9–10).

[115] Les défenderesses ne précisent pas dans leurs observations si elles invoquent la préclusion promissoire ou la préclusion par assertion de fait. Toutefois, comme les juges majoritaires l’ont affirmé au paragraphe 17 de l’arrêt Trial Lawyers Association, les deux formes de la doctrine sont similaires. À l’instar des juges majoritaires dans l’arrêt Trial Lawyers Association, j’applique les principes de la préclusion promissoire en l’espèce, tout en faisant remarquer qu’un raisonnement similaire s’appliquerait si les arguments des défenderesses étaient examinés en fonction de la doctrine de la préclusion par assertion de fait.

b) Le versement d’une indemnité pour les dommages matériels et de l’indemnité de décès accidentel

[116] Les défenderesses avancent un certain nombre d’arguments à l’appui de leur position selon laquelle Aviva est empêchée par préclusion de refuser la couverture prévue par la police d’assurance. S’agissant de la période précédant l’envoi de la première lettre de réserve de droits, en février 2021, les défenderesses ne font pas valoir que le fait qu’Aviva défend la succession dans le cadre des actions intentées contre elle donne lieu à la préclusion, car elles n’affirment pas avoir subi un préjudice entre le 11 décembre 2020, date à laquelle Aviva l’a informée qu’elle allait retenir les services d’un avocat de la défense, et la date à laquelle elle a envoyé la lettre de réserve des droits. Cependant, comme elles l’ont fait pour la renonciation, les défenderesses avancent un argument fondé sur la préclusion découlant des paiements effectués par Aviva aux termes de la police d’assurance et du préjudice qu’elles affirment avoir subi en conséquence.

[117] Ces paiements sont expliqués dans l’affidavit de Mme Dawson. Outre la section B, qui prévoit la couverture d’assurance responsabilité, la police d’assurance en cause comprend la section A, qui prévoit la couverture pour les dommages matériels causés à l’embarcation de M. Borgatti, et la section D, qui prévoit la couverture pour les frais médicaux et funéraires et l’indemnité de décès accidentel. Mme Dawson explique que, le 11 mai 2020, Aviva a versé à la succession 27 120 $ au titre de la section A pour les dommages matériels causés à l’embarcation de M. Borgatti et que, le 30 juin 2020, Aviva a versé à la succession l’indemnité de décès accidentel de 25 000 $ prévue à la section D. (Le 29 octobre 2020, Aviva a versé à la succession une somme additionnelle de 2 880 $ pour les dommages matériels causés au bateau, mais en raison du moment où il a été fait relativement à l’acte de confiance préjudiciable allégué, qui est examiné ci-dessous, ce paiement est moins pertinent dans le contexte de l’argument fondé sur la préclusion.)

[118] Mme Dawson déclare et les défenderesses font valoir qu’en effectuant ces paiements aux termes des sections A et D de la police d’assurance, Aviva a amené les défenderesses à croire qu’elle traitait la collision comme un sinistre couvert et qu’elle continuerait donc de couvrir toutes les réclamations présentées à l’égard de la collision, y compris au titre de la couverture d’assurance responsabilité prévue à la section B.

[119] En ce qui a trait aux éléments de la préclusion promissoire, Aviva reconnaît que les parties entretenaient des rapports juridiques résultant de la police d’assurance. Cependant, elle nie la prétention des défenderesses selon laquelle elle aurait, directement ou par inférence, fait une promesse de couverture.

[120] En réponse à l’argument des défenderesses portant que les paiements effectués par Aviva au titre des sections A et D constituent ou supposent une promesse à l’égard de la couverture d’assurance responsabilité prévue à la section B, Aviva s’appuie sur la clause suivante de la section B de la police d’assurance [les conditions de paiement] :

[traduction]

Conditions de paiement

Il n’y a aucune responsabilité au titre de la section B si les modalités, les conditions et les garanties de la présente police n’ont pas été respectées intégralement ou avant que l’obligation de payer de l’assuré ait été établie et que le montant de cette obligation ait été fixé soit dans un jugement rendu contre l’assuré au terme d’un procès, soit dans un accord écrit conclu entre l’assuré, le demandeur et nous.

[Caractères gras dans l’original.]

[121] Aviva soutient que cette clause ne s’applique qu’à la section B et que les sections A et D ne contiennent pas de clause semblable prévoyant à quel moment et à quelles conditions les paiements sont effectués. Or, comme les défenderesses le font remarquer, la garantie relative à l’équipement de sécurité se trouve dans une autre section de la police (la section G), qui précise que les garanties et les conditions suspensives énoncées dans cette section s’appliquent à tous les aspects de la police d’assurance. J’estime donc sans fondement l’argument d’Aviva portant que les conditions de paiement énoncées à la section B font en sorte que la décision d’Aviva d’effectuer des paiements au titre des sections A et D ne peut être interprétée comme une reconnaissance, par Aviva, du fait que la police d’assurance couvrait les réclamations présentées contre les défenderesses par suite de la collision.

[122] Aviva fait également valoir que le fait qu’elle a versé des paiements aux défenderesses en mai et en juin 2020 ne signifie pas qu’elle confirmait la couverture, parce que, au moment où ces paiements ont été versés, elle ne disposait pas encore de renseignements clairs permettant de conclure que M. Borgatti avait omis de se conformer à la garantie relative à l’équipement de sécurité. Aviva s’appuie sur le témoignage de M. Barker, qui a déclaré que, malgré les efforts déployés par Aviva, notamment les demandes présentées aux défenderesses, Aviva n’a obtenu le rapport de la Police provinciale et le rapport du coroner qu’en novembre 2020 et elle n’a pas réussi à obtenir une déclaration officielle de M. McCrie avant de recevoir la transcription de l’interrogatoire préalable de M. McCrie en novembre 2024. Selon M. Barker, lorsqu’Aviva a reçu le rapport de la Police provinciale le 24 novembre 2020, c’était la première fois qu’elle recevait des renseignements concrets au sujet des circonstances de la collision.

[123] En réponse à cet argument, les défenderesses s’appuient sur les notes prises par les employés d’Aviva, dont une copie est jointe comme pièce à l’affidavit de Mme Dawson [les notes liées au cas], et sur des éléments de preuve connexes tirés de la transcription du contre-interrogatoire de M. Barker portant sur les renseignements obtenus par Aviva au début de son enquête sur les circonstances de la collision, notamment en ce qui concerne l’éclairage de l’embarcation de M. Borgatti. En contre-interrogatoire, M. Barker a décrit les notes liées au cas comme un bloc-notes numérique se rapportant au dossier de M. Borgatti, que tous les experts en sinistres assignés au dossier pouvaient consulter et modifier.

[124] Les notes liées au cas comprennent une entrée du 17 septembre 2019 (soit 24 jours après la collision) dans laquelle l’employée d’Aviva chargée de traiter la demande d’indemnité de décès accidentel, Jolene Barker, indique avoir reçu un appel téléphonique de M. McCrie et relate leur conversation. Cette entrée indique ce qui suit : [traduction] « Il a mentionné que certains des feux de navigation étaient brisés, que le feu de balisage fonctionnait et qu’ils tenaient des lampes de poche. »

[125] Interrogé au sujet de cette entrée en contre-interrogatoire, M. Barker a reconnu que le dossier comportait, dès septembre 2019, des éléments indiquant que les feux de navigation de l’embarcation de M. Borgatti étaient brisés. Il a aussi reconnu qu’à ce moment-là Aviva n’avait aucune raison de croire que les feux n’étaient pas brisés.

[126] Les notes liées au cas comprennent une autre entrée, celle-là datée du 10 février 2020, dans laquelle Deborah Canute, experte en sinistres à Aviva, relate sa conversation téléphonique avec un représentant de Forensic. Elle indique entre autres : [traduction] « Selon les renseignements reçus, les feux du bateau de notre assuré étaient ÉTEINTS 30 FE a aussi rencontré Charles McCrie car il voulait voir le bateau (visite contrôlée/supervisée) les feux étaient amovibles; le feu arrière avait subi des dommages dans le passé ». Cette affirmation est immédiatement suivie de la phrase suivante : [traduction] « Les deux feux étaient rangés. »

[127] Contre-interrogé sur cette entrée, M. Barker a encore une fois reconnu qu’en date du 10 février 2020, Mme Canute disposait de renseignements témoignant d’un problème avec les feux de l’embarcation de M. Borgatti. Il a également reconnu que Mme Canute aurait pu envoyer une lettre de réserve de droits à ce moment-là, mais qu’elle ne l’a pas fait.

[128] Comme la Cour suprême du Canada l’explique dans l’arrêt Trial Lawyers Association, l’argument lié à la préclusion – fondé sur une communication de l’assureur ou sur sa conduite qui, selon l’assuré, représentent ou supposent une promesse de couverture malgré la violation de la police – sera rejeté à moins que, au moment de la communication ou de la conduite, l’assureur avait connaissance des faits ayant mené à la violation (au para 18). Aviva soutient que les renseignements dont elle disposait en septembre 2019 et en février 2020 au sujet des feux de navigation de l’embarcation de M. Borgatti n’étaient pas suffisamment précis pour établir qu’elle avait une connaissance des faits suffisante pour que les défenderesses puissent invoquer la doctrine de la préclusion promissoire sur le fondement des paiements effectués en mai et juin 2020 au titre des sections A et D de la police d’assurance. Aviva affirme que, bien que les renseignements figurant dans les notes liées au cas témoignent d’un problème avec les feux de l’embarcation de M. Borgatti, ils ne précisent pas, par exemple, quels feux ne fonctionnaient pas ni à quel moment ils ont cessé de fonctionner.

[129] Je comprends qu’Aviva disposait de moins de renseignements en septembre 2019 et en février 2020 qu’en novembre 2020, lorsqu’elle a reçu le rapport de la Police provinciale, et qu’elle a continué d’enquêter sur les circonstances de la collision jusqu’à l’envoi des lettres de réserve de droits et même par la suite (car elle n’a obtenu une copie de la transcription de l’interrogatoire préalable de M. McCrie qu’en novembre 2024). Or, je partage l’avis des défenderesses que les renseignements à la disposition d’Aviva en septembre 2019 et en février 2020 indiquent clairement que l’embarcation de M. Borgatti n’était pas bien illuminée, parce qu’au moins certains de ses feux de navigation étaient brisés ou endommagés (et rangés) au moment de la collision. Je ne reprocherais pas à Aviva d’avoir continué son enquête pour obtenir des détails additionnels sur les circonstances de la collision. Cependant, comme M. Barker l’a reconnu en contre-interrogatoire, rien n’empêchait Aviva d’envoyer une lettre de réserve de droits à ce moment-là, puis de continuer son enquête sans préjudice de ses droits.

[130] Comme la Cour supérieure de justice de l’Ontario l’a expliqué dans la décision Rosenblood Estate v Law Society of Upper Canada, 1989 CarswellOnt 642, 1989 CanLII 10413 (CSJ Ont), à la page 157, lorsqu’une réclamation est présentée à un assureur et que celui-ci, aux termes de son enquête quant aux faits ayant donné lieu à la réclamation, a des doutes quant à savoir si la couverture s’applique ou non, l’assureur doit en informer immédiatement l’assuré. En l’absence d’une convention de non-renonciation ou d’une lettre de réserve de droits en bonne et due forme, l’assureur défend l’assuré au risque d’être empêché par préclusion de refuser la couverture.

[131] À mon avis, les paiements qu’Aviva a effectués au titre des sections A et D malgré qu’elle avait connaissance de faits permettant de douter de l’application de la couverture satisfont au deuxième élément du critère pour établir la préclusion promissoire. Cela dit, il faut tout de même déterminer si le troisième élément du critère est rempli, c’est-à-dire que les défenderesses doivent établir qu’elles se sont fiées à la promesse ou à l’assurance de l’assureur à leur détriment.

[132] En ce qui concerne l’acte de confiance préjudiciable, les défenderesses ont affirmé dans leurs observations que la mère de Neil Borgatti et l’administratrice de la succession, Janet Borgatti, a beaucoup souffert sur le plan émotionnel en raison des revirements d’Aviva au regard de la couverture. Mme Dawson a déclaré dans son témoignage que Mme Borgatti avait pris sa retraite en juin 2019, quelques semaines avant le décès de son fils, et qu’au lieu de profiter de sa retraite, elle est accablée de problèmes juridiques liés à la succession, dont le fait qu’elle ignore si elle aura à utiliser ses propres actifs pour financer les actions impliquant la succession ou les réclamations liées à la responsabilité de celle-ci.

[133] La Cour est sensible aux circonstances décrites dans ces observations. Cependant, comme Aviva l’affirme, le dossier devant la Cour comprend peu d’éléments de preuve à l’appui de celles-ci. Il n’y a aucune preuve directe de la part de Mme Borgatti, et aucune preuve ne permet de conclure que le fardeau émotionnel de Mme Borgatti aurait été allégé si Aviva avait envoyé une lettre de réserve de droits plus tôt ou adopté plus rapidement une position de refus de couverture.

[134] Les défenderesses font également valoir que, si elles avaient su plus tôt qu’Aviva refuserait la couverture prévue par la police, elles auraient retenu les services d’un avocat et intenté plus rapidement une action pour demander à la Cour de confirmer la couverture. Encore une fois, je partage l’avis d’Aviva que les défenderesses n’ont pas présenté de preuve ni d’observations utiles sur la question de savoir en quoi le fait de régler plus rapidement le différend relatif à la couverture aurait été avantageux pour elles.

[135] Cela dit, je trouve plus convaincant l’argument des défenderesses selon lequel le fait qu’Aviva a disposé de l’embarcation de M. Borgatti en août 2020, soit après les paiements effectués au titre des sections A et D mais avant l’envoi de la première lettre de réserve de droits, a eu pour effet de priver les défenderesses de la possibilité d’obtenir des éléments de preuve matériels qui auraient pu les aider à répondre au refus de couverture d’Aviva.

[136] En contre-interrogatoire, M. Barker a été confronté à une entrée des notes liées au cas consignée par Mme Canute le 21 août 2020, qui témoigne de la décision d’Aviva de disposer de l’embarcation de M. Borgatti après le paiement de l’indemnité pour les dommages matériels. M. Barker a confirmé que rien dans les notes liées au cas n’indique qu’Aviva avait, à ce moment-là ou avant l’envoi de la première lettre de réserve de droits, fait part aux défenderesses d’un quelconque problème de couverture.

[137] Les défenderesses font valoir que si elles avaient su, au moment où Aviva a disposé de l’embarcation de M. Borgatti à la fin août 2020, qu’il existait peut-être un problème de couverture, elles auraient pu prendre des mesures pour préserver l’embarcation, au moins le temps de déterminer si elles pouvaient en tirer des éléments de preuve matériels susceptibles de les aider à répondre à l’allégation concernant le non-respect de la garantie relative à l’équipement de sécurité. Plus précisément, elles affirment qu’une inspection des composantes du système de feux de navigation aurait pu leur permettre de trouver des éléments de preuve qui auraient justifié l’application des dispositions de sauvegarde que sont les paragraphes 39(3) et (4) de la Loi sur l’assurance maritime.

[138] Cet argument comporte nécessairement un élément de conjecture, car les défenderesses ne peuvent pas savoir précisément ce que l’inspection du système de feux de navigation de l’embarcation de M. Borgatti leur aurait permis de découvrir. Cependant, j’accepte que, si elles avaient eu l’occasion d’inspecter les éléments de preuve matériels, les défenderesses auraient pu arriver à mieux comprendre à quel moment et pour quelles raisons il y a eu défaillance des feux, et que ces renseignements auraient pu être pertinents dans le contexte de l’analyse fondée sur les paragraphes 39(3) et (4). Le fait est que les défenderesses ont été privées de cette occasion, car elles n’ont pas été avisées, en date d’août 2020, que la défaillance des feux de navigation de l’embarcation de M. Borgatti pouvait conduire Aviva à refuser la couverture. J’accepte la position des défenderesses selon laquelle il y a eu un acte de confiance préjudiciable suffisant pour invoquer la doctrine de la préclusion promissoire.

[139] Il s’ensuit que, lorsqu’Aviva a envoyé la première lettre de réserve de droits en février 2021, elle était déjà empêchée par préclusion de refuser la couverture. Cette conclusion suffit pour donner gain de cause aux défenderesses dans la présente requête et pour rendre le jugement déclaratoire qu’elles demandent, portant que la succession a droit à la couverture prévue par la police d’assurance à l’égard de la collision. Cependant, par souci de clarté, je traite ci-dessous des autres arguments fondés sur la préclusion que les défenderesses ont avancés.

c) Aviva a envoyé les lettres de réserve de droits après avoir conclu que la collision n’était pas couverte

[140] Les défenderesses font remarquer que, dans son mémoire des faits et du droit, Aviva indique qu’elle a conclu que la garantie relative à l’équipement de sécurité avait pour effet de rendre inapplicable la couverture prévue par la police d’assurance avant d’envoyer la première lettre de réserve de droits, le 12 février 2021. Selon les défenderesses, Aviva était tenue de les informer de sa conclusion à ce moment-là, d’adopter une position de refus de couverture et de cesser d’intervenir dans le dossier des défenderesses, y compris à l’égard des actions en responsabilité délictuelle, au lieu d’aviser les défenderesses (comme elle l’a fait dans les lettres de réserve de droits) qu’elle enquêtait sur la possibilité qu’il y ait un problème de couverture.

[141] Les défenderesses font aussi valoir que, lorsqu’Aviva a retenu les services d’un avocat de la défense le 19 février 2021, tout en réservant ses droits dans la première lettre de réserve de droits, cet avocat s’est immédiatement trouvé en situation de conflit d’intérêts, parce que la question de la couverture reposait sur un élément de la conduite de l’assuré qui était en litige dans les actions en responsabilité délictuelle intentées contre la succession. Ainsi, pour leur défense dans ces actions, les défenderesses recevaient des conseils juridiques d’un avocat qui agissait conformément aux instructions d’un assureur qui avait déjà conclu que la perte en cause n’était pas couverte.

[142] Je comprends mal comment ces arguments s’inscrivent dans le cadre de la préclusion promissoire. Rappelons que les défenderesses doivent établir qu’Aviva a fait une promesse destinée à modifier les rapports entre les parties et qu’elles se sont fiées à la promesse à leur détriment, de sorte qu’Aviva devrait être tenue de respecter sa promesse. Je comprends que les défenderesses soutiennent qu’elles ont été amenées à croire à tort qu’il était toujours possible qu’Aviva conclue que la collision était couverte, et qu’elles se sont fiées à ce renseignement à leur détriment. Or, il est difficile de cerner la promesse qu’Aviva devrait être tenue de respecter. Dans la mesure où les défenderesses font valoir que la promesse d’Aviva était l’assurance qu’elle n’avait pas encore conclu si la collision était couverte par la police ou non, j’ai de la difficulté à comprendre en quoi le fait d’obliger Aviva à respecter cette assurance (qui n’était manifestement pas une assurance de couverture) pourrait aider les défenderesses.

[143] Les défenderesses font également valoir qu’au moment où Aviva a envoyé la première lettre de réserve de droits, elle était elle-même en conflit d’intérêts, comme en témoigne le fait qu’elle a commandé le rapport de M. Schouffoer, qui, comme je l’explique ci-dessus, comprend des éléments de preuve ayant un effet préjudiciable sur la position des défenderesses quant à la responsabilité dans le contexte des actions en responsabilité délictuelle.

[144] Encore une fois, il est difficile de comprendre comment cet argument s’inscrit dans le cadre de la préclusion promissoire. Je n’arrive pas à cerner la promesse ou l’assurance qu’Aviva devrait être tenue de respecter par application de cette doctrine. Dans le contexte de cet argument précis, je ne vois pas non plus comment le fait qu’Aviva a commandé le rapport de M. Schouffoer – certes préjudiciable pour les défenderesses – pourrait découler d’un acte de confiance préjudiciable, par les défenderesses, fondé sur une promesse faite par Aviva.

[145] Avant de passer au prochain point, je reviens sur la remarque formulée plus haut, à savoir que les défenderesses ont raison de faire valoir qu’il n’était pas approprié qu’Aviva produise, par l’intermédiaire du rapport de M. Schouffoer, des éléments de preuve qui pourraient étayer la responsabilité de M. Borgatti à l’égard de la collision, surtout étant donné qu’Aviva a commandé ce rapport alors qu’elle défend toujours la succession dans le cadre des actions en responsabilité délictuelle intentées contre elle. Bien que cette situation ne donne pas lieu à la préclusion, ces éléments de preuve pourraient être contestés sur le fondement de l’obligation contractuelle de l’assureur d’agir de bonne foi. Cela dit, les défenderesses n’ont pas formulé leur argument de cette façon, et les parties n’ont pas présenté à la Cour d’observations utiles à l’appui de cette analyse. Par conséquent, je ne tire aucune conclusion à cet égard.

(3) Le manque de diligence

[146] Les défenderesses n’ont présenté que de brèves observations sur la doctrine du manque de diligence (et, bien qu’elles l’aient plaidée dans leur défense, elles ne présentent pas d’observations indépendantes sur la question du délai). Les défenderesses soutiennent qu’Aviva a attendu plusieurs années avant de refuser la couverture. Elles affirment qu’Aviva disposait de tous les renseignements nécessaires pour trancher la question de la couverture dès la fin de 2019 et que, même si elle a conclu en février 2021 que la garantie relative à l’équipement de sécurité avait pour effet d’annuler la couverture, Aviva a attendu jusqu’en 2024 pour refuser la couverture en intentant l’action principale. Les défenderesses font valoir que, pour les motifs invoqués dans leurs observations sur la préclusion, ce délai leur a causé un préjudice.

[147] Aviva répond par un argument technique, selon lequel la défense du manque de diligence s’applique aux actions fondées sur l’equity et non aux actions fondées sur la common law (M (K) c M (H), 1992 CanLII 31 (CSC), [1992] 3 RCS 6 à la p 77). À cet égard, les défenderesses font valoir que les rapports entre un assureur et son assuré sont régis par l’obligation réciproque d’agir de bonne foi (Loi sur l’assurance maritime, art 20; Fidler, au para 63) et que, de par sa nature, l’obligation d’agir de bonne foi repose sur des principes d’equity qui obligent l’assureur à traiter équitablement la réclamation de son assuré. Les défenderesses sont d’avis que la doctrine du manque de diligence est donc applicable en l’espèce.

[148] Les défenderesses ne m’ont pas convaincu que l’obligation d’agir de bonne foi qui est inhérente aux contrats d’assurance est un produit de l’equity. Dans l’arrêt Fidler, la Cour suprême du Canada a indiqué qu’il s’agissait d’une obligation contractuelle (au para 63). Par conséquent, je souscris à la position d’Aviva selon laquelle la doctrine du manque de diligence ne s’applique pas. Quoi qu’il en soit, les défenderesses reconnaissent qu’elles avancent, pour justifier l’application de la doctrine du manque de diligence, les mêmes arguments que ceux que la Cour a déjà examinés ci-dessus dans le contexte de la doctrine de la préclusion promissoire.

VI. La réparation

[149] En conséquence, pour les motifs exposés ci-dessus et vu, en particulier, la conclusion selon laquelle Aviva est empêchée par préclusion de refuser la couverture prévue par la police d’assurance, la Cour prononcera un jugement sommaire en faveur des défenderesses, leur accordant la mesure de réparation principale qu’elles demandent, à savoir un jugement déclaratoire portant que la succession a droit à la couverture prévue par la police d’assurance à l’égard de la collision et qu’Aviva est tenue de défendre et d’indemniser la succession conformément aux modalités de la police d’assurance.

[150] Je note que les défenderesses font également valoir que, en raison des conflits d’intérêts allégués dans leurs observations, la Cour devrait ordonner à Aviva d’abandonner la défense de la succession et de payer les services d’un avocat indépendant choisi par la succession pour la défendre dans le cadre des actions en responsabilité délictuelle intentées contre elle. Les défenderesses renvoient la Cour à l’arrêt Hoang v Vicentini, 2015 ONCA 780 [Hoang], dans lequel la Cour d’appel de l’Ontario a expliqué que cette mesure de réparation peut être ordonnée lorsqu’il existe une crainte raisonnable de conflit d’intérêts de la part de l’avocat choisi par l’assureur, par exemple lorsque l’assureur a réservé ses droits et que la couverture dépend de la conduite de l’assuré au moment de l’accident ayant donné lieu au litige (au para 14).

[151] À l’audience, Aviva a soutenu que la Cour n’est pas saisie régulièrement de cette demande de mesure de réparation, et je suis d’accord. Comme je le mentionne plus haut, la Cour a le pouvoir de rendre un jugement sommaire en faveur de la partie qui répond à la requête en jugement sommaire, dans les cas où l’ordonnance sollicitée relève de la portée de la requête, même si la partie intimée n’a pas officiellement présenté de requête incidente (Sea Tow, aux para 219, 222). Or, selon moi, la mesure de réparation comme celle qui a été accordée dans l’arrêt Hoang ne relève pas de la portée de la requête en l’espèce.

VII. Les dépens

[152] À l’audience, la Cour a demandé aux parties de se consulter et de tenter de s’entendre en vue de présenter à la Cour une recommandation conjointe sur la somme globale à accorder au titre des dépens à la partie ayant gain de cause.

[153] Dans une lettre du 28 juillet 2025, l’avocat d’Aviva a informé la Cour que les parties s’étaient entendues sur des dépens de 15 000 $, débours et TVH compris. Il s’agit selon moi d’une somme raisonnable, et j’adjugerai en conséquence ces dépens aux défenderesses, qui ont gain de cause dans la requête en l’espèce.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-2312-23

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. À la suite de la requête présentée par Aviva, un jugement sommaire est accordé en faveur des défenderesses, et la Cour déclare que la succession a droit à la couverture prévue par la police d’assurance à l’égard de la collision et qu’Aviva est tenue de défendre et d’indemniser la succession conformément aux modalités de la police d’assurance.

  2. J’adjuge aux défenderesses une somme globale de 15 000 $, débours et TVH compris, au titre des dépens de la requête.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh, jurilinguiste principale

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2312-23

 

INTITULÉ :

LA COMPAGNIE D’ASSURANCE ELITE, FAISANT AFFAIRE SOUS LE NOM D’AVIVA c LA SUCCESSION DE FEU NEIL BORGATTI (ALIAS RICHARD NEIL BORGATTI), JANET KATHLEEN BORGATTI, EN SA QUALITÉ D’ADMINISTRATRICE DE LA SUCCESSION DE FEU RICHARD NEIL BORGATTI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 JUILLET 2025

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

 

DATE DES MOTIFS :

le 8 septembre 2025

 

COMPARUTIONS :

Rui M. Fernandes

Conal Calvert

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Daniel Strigberger

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gardiner Roberts LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Strigberger Law

Waterloo (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

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