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Date : 20250905


Dossiers : T-1643-24

T-1645-24

T-1646-24

Référence : 2025 CF 1464

Montréal (Québec), le 5 septembre 2025

En présence de madame la juge Ferron

ENTRE :

DENIS RICHARD

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Denis Richard, demande le contrôle judiciaire de trois décisions rendues le 28 mai 2024 [Décisions] par l’Agence du revenu du Canada [ARC], qui a conclu qu’il était inadmissible à recevoir la Prestation Canadienne d’Urgence [PCU], la Prestation canadienne de la relance économique [PCRE] et la Prestation canadienne pour les travailleurs en cas de confinement [PCTCC] qu’il a reçues en 2020, 2021 et en 2022, et ce, parce qu’il n’avait pas gagné au moins 5 000 $ de revenu d’emploi ou de revenu net de travail indépendant durant les périodes pertinentes. Les dossiers T-1643-24, T-1645-24 et T-1646-24 concernent respectivement la PCU, la PCRE, et la PCTCC. Les trois dossiers ont été joints à la demande des parties.

[2] En somme, M. Richard allègue que l’ARC a erronément conclut qu’il n’avait pas prouvé avoir gagné au moins 5 000 $ en revenus de travail pour chacune des périodes pertinentes. Selon lui, les factures, relevés de compte et formulaires de redressements T2125, qu’il a soumis suffisent à prouver qu’il était éligible à la PCU, la PCRE et la PCTCC [collectivement, les Prestations]. M. Richard a reçu 39 680 $ de Prestations, soit 14 000 $ de PCU, 24 600 $ de PCRE et 1 080 $ de PCTCC.

[3] M. Richard soutient également que l’ARC a fait défaut de prendre en considération l’explication qu’il a donné pour expliquer pourquoi il avait initialement déclaré des revenus nets de moins de 1 000 $ pour 2019 et 2020 et qu’elle aurait erré en ne tenant pas compte de ses demandes de redressement qu’il a soumises à l’ARC le 23 août 2023 pour modifier ses déclarations de revenus des années 2019 et 2020.

[4] Quant à l’intelligibilité et à la transparence des Décisions, il soumet qu’elles sont insuffisamment motivées, dans la mesure où elles se borneraient à réitérer que ses revenus de travail sont insuffisants pour la PCU, la PCRE et la PCTCC.

[5] Lors de l’audience, M. Richard a indiqué qu’il a toujours été un citoyen honnête, qui respecte les lois, mais que les critères d’admissibilité aux Prestations étaient ambigus. Il note d’ailleurs que dans les notes au dossier des agents de l’ARC, eux-mêmes spécialisés dans ce genre de dossier, des conclusions contradictoires sont indiquées. Enfin il rappelle que lors de sa conversation avec une des agentes de l’ARC le 4 avril 2023, elle lui avait indiqué qu’il était éligible.

[6] De son côté, le Procureur général du Canada [PGC], qui représente l’ARC en l’instance, soumet que l’ARC a raisonnablement conclu que M. Richard n’avait pas fourni de preuve suffisante pour démontrer les revenus de travail qu’il allègue. Le PGC souligne notamment que M. Richard a admis que les factures qu’il soumettait à l’ARC comme preuve de revenus n’avaient jamais été payées (au moment des Décisions).

[7] Bien que la Cour ait beaucoup d’empathie pour la situation de M. Richard, pour les motifs qui suivent, ses demandes de contrôle judiciaire seront rejetées. À la suite de l’examen des motifs de l’ARC et de la preuve qui était devant le décideur administratif, la Cour est d’avis que les Décisions sont raisonnables. Elles sont fondées sur la preuve, et le raisonnement relatif à l’inadmissibilité de M. Richard aux Prestations est logique et cohérent à la lumière des contraintes juridiques et factuelles pertinentes.

II. Contexte

A. Conditions d’admissibilité à la PCRE et la PCTCC

[8] À compter de mars 2020, le gouvernement fédéral a mis en place un certain nombre de mesures visant à atténuer les impacts économiques causés par la pandémie de COVID-19, dont la PCU, la PCRE et la PCTCC. L’ARC est l’organisme fédéral responsable de l’administration de ces Prestations.

[9] Établie par la Loi sur la prestation canadienne d’urgence, LC 2020, ch 5, art 8 [LPCU], la PCU visait à soutenir les employés et travailleurs autonomes qui avaient subi une perte de revenu en raison de la COVID-19. Elle fut versée pendant sept périodes de quatre semaines entre le 15 mars 2020 et le 26 septembre 2020. Quant à la PCRE, établie en vertu de la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12 [LPCRE], elle a suivi la PCU et était offerte pour toute période de deux semaines entre le 27 septembre 2020 et le 23 octobre 2021. Les employés et les travailleurs autonomes qui avaient subi une perte de revenu en raison de la pandémie de COVID-19 y étaient admissibles (Aryan c Canada (Procureur général), 2022 CF 139 au para 2 [Aryan]). Enfin, la Loi sur la prestation canadienne pour les travailleurs en cas de confinement, LC 2021, c 26, art 5 [LPCTCC] a apporté la PCTCC, une prestation destinée aux personnes dont l’emploi ou les revenus ont été affectés par un ordre de confinement lié à la COVID-19 dans des régions désignées. La PCTCC était disponible entre le 24 octobre 2021 et le 7 mai 2022.

[10] Bien que les conditions d’admissibilités afférentes aux Prestations comportent des différences à certains égards, pour recevoir la PCU, la PCRE ou la PCTCC, tout demandeur devait, notamment, justifier d’un revenu d’au moins 5 000 $ pour l’année 2019 ou au cours des douze mois précédant sa demande. Seuls les revenus provenant de certaines sources étaient comptabilisés pour les fins du calcul (LPCU, arts 2, 6 ; LPCRE, art 3(1)d)-e); LPCTCC, art 4(1)e)). Il s’agit essentiellement des revenus issus d’une activité professionnelle, d’où l’utilisation de l’expression « revenus d’emploi ou revenus nets de travail indépendant » dans les décisions de l’ARC. Dans le présent jugement, la Cour utilisera l’expression « revenus de travail ».

[11] Il appartenait à la personne présentant une demande de Prestations, M. Richard en l’espèce, de démontrer qu’elle satisfaisait à l’ensemble des critères d’admissibilité, selon la prépondérance des probabilités. Ces critères ne sont pas discrétionnaires (Fortin c Canada (Procureur général), 2024 CF 2031 au para 15 [Fortin]; Xin c Canada (Procureur général), 2023 CF 595 [Xin] au para 83).

[12] La question de la raisonnabilité des conclusions de l’ARC relativement à l’insuffisance des preuves que M. Richard a fournies pour s’acquitter de son fardeau de prouver ses revenus de travail est le seul point litigieux en l’espèce. En effet, bien que M. Richard explique que ses revenus bruts ont bien diminué d’au moins 50% du fait de la pandémie, et bien que cette question soit parfois abordée dans les notes des agents de l’ARC, les Décisions ne contiennent aucune conclusion sur cet autre critère d’éligibilité, qui ne concerne par ailleurs que la PCRE et la PCTCC.

[13] Puisque les conditions d’admissibilité sont cumulatives, il suffisait qu’une personne ait gagné moins de 5 000 $ sur la période pertinente pour qu’elle ne soit pas éligible aux Prestations. (Mailloux c Canada (Procureur général), 2025 CF 583 [Mailloux] au para 44). En l’instance, puisque l’ARC se fonde exclusivement sur l’insuffisance des revenus de travail de M. Richard, la Cour n’a pas à considérer les faits liés aux autres conditions. Ainsi, bien que la Cour ne nie pas que les confinements répétés aient pu impacter la capacité de M. Richard à trouver des mandats, la question de l’impact de la pandémie, et des mesures gouvernementales prises pour y répondre, sur ses revenus de travail n’est pas pertinente en l’instance et ne sera donc pas abordée.

B. Demandes de prestations de M. Richard et échanges menants aux Décisions

[14] M. Richard présente ses demandes de PCU à partir d’avril 2020, de PCRE à partir d’octobre 2020 et de PCTCC à partir de janvier 2022. L’ARC débourse initialement la quasi-totalité des sommes demandées, soit 39 680 $, et ce sans examen réel de l’admissibilité de M. Richard aux Prestations.

[15] C’est en juin 2022 que le dossier du Demandeur est finalement sélectionné pour un examen de son admissibilité aux Prestations, d’où l’envoi de deux lettres de contact lui demandant de produire les documents nécessaires pour prouver que son revenu de travail pour les périodes pertinentes atteint bien le seuil minimal de 5 000 $. La seconde lettre de contact, datée du 11 août 2022, fut rendue nécessaire par le fait que l’ARC avait omis de mentionner la PCU dans sa première lettre en date du 21 juin 2022.

[16] À ce stade, dans ses déclarations de revenus pour les années pertinentes, soit 2019 et 2020, le Demandeur ne fait mention d’aucun revenu du travail, que ce soit comme employé ou travailleur autonome.

[17] Le 9 janvier 2023, alors qu’elle n’a reçu aucune réponse du Demandeur, l’ARC informe M. Richard qu’elle le considère inadmissible aux Prestations, par le biais d’une lettre. Elle l’informe toutefois qu’il peut encore soumettre de nouvelles informations ou de nouveaux documents.

[18] Le même jour, le Demandeur modifie sa déclaration de revenu pour l’année 2019 en produisant un formulaire T4RSP dans lequel il déclare 14 000 $ de sommes décaissées d’un Régime enregistré d’épargne-retraite enregistré (REER).

[19] Puis, le 2 février 2023, le Demandeur transmet à l’ARC plusieurs documents en soutien à sa déclaration de revenus pour l’année 2019. Le seul revenu qu’il déclare à ce stade provient du retrait de 14 000 $ d’un de ses REER.

[20] M. Richard reconnaît avoir parlé, le 16 mars 2023, à une agente (qu’il identifie clairement au moyen de son prénom et de son numéro unique d’identification). Selon les notes au dossier, le 16 mars 2023, son interlocutrice à l’ARC lui explique que les revenus issus de retraits d’un REER ne sont pas pertinents pour les fins de l’éligibilité aux Prestations. Elle l’invite à soumettre des documents au soutien de sa prétention à l’effet qu’il aurait également eu des revenus de travailleur autonome. Les deux factures pour services professionnels que M. Richard dit liées à ses conseils pour la mise sur le marché d’une marque de commerce du nom de « BHealth », datées respectivement de janvier 2019 et janvier 2020, et que M. Richard envoie à l’ARC deux semaines plus tard (le 31 mars) sont spécifiquement évoquées lors de cet appel.

[21] M. Richard indique dans sa lettre ne garder aucun souvenir de la conversation téléphonique initiée par l’ARC qui, selon les notes saisies par l’agente et versées au dossier, serait intervenue le 4 avril 2023. Les notes au dossier indiquent qu’il aurait expliqué à la même agente de l’ARC qu’il allait envoyer des relevés de compte, comme preuve additionnelle de revenus, tout en soulignant que les sommes afférentes aux factures de janvier 2019 et janvier 2020 ne s’y retrouveront pas car lesdites factures n’ont toujours pas été payées.

[22] Des relevés de la Banque Nationale du Canada sont transmis par M. Richard le jour même mais ils ne fournissent aucune preuve de revenus puisqu’aucun crédit porté au compte de Mme Mezzapelle ne semble correspondre aux sommes exigibles en lien avec les factures susmentionnées. D’abondant, bien que lors de l’audition M. Richard indique qu’il s’agissait d’un compte conjoint, les relevés fournis n’indiquent que le nom de Lucia Mezzapelle, son épouse.

[23] À l’audition, M. Richard indique désormais se souvenir dudit appel du 4 avril 2023, qui aurait par ailleurs été enregistré, et que dans le cadre de celui-ci, l’agente l’aurait avisé qu’il était admissible aux Prestations. D’abord, notons que la Cour n’a pas accès à cet enregistrement. Ensuite, notons que bien que les notes au dossier de l’ARC indiquent que les factures reçues confirment qu’il a un revenu de travail indépendant suffisant pour remplir le critère de 5 000 $, elles indiquent également qu’il manque toujours des informations pour confirmer si M. Richard est éligible ou non aux Prestations.

[24] Ainsi, bien que dans les notes de première révision de l’ARC, il semble y avoir une conclusion que M. Richard serait admissible aux Prestations, cette conclusion sera révisée à la lumière de son dossier complet. En effet, le 23 mai 2023, l’ARC transmet à M. Richard une lettre dite de premier examen dans laquelle elle conclut à son inadmissibilité aux Prestations, tout en l’informant des démarches à suivre pour demander un second examen, s’il le désire. Le seul motif consigné concerne le fait que ses revenus de travail pour les années pertinentes semblent en-deçà du seuil minimal de 5 000 $.

[25] Le 8 juin 2023, l’ARC reçoit la demande de deuxième examen du Demandeur. Les documents joints à cette dernière sont ceux qui avaient déjà été soumis à l’Agence, auxquels sont ajoutés des documents commerciaux liés à la marque BHealth.

[26] Dans la lettre jointe à sa demande, M. Richard exprime sa frustration quant au processus décisionnel de l’ARC. Il affirme notamment n’avoir aucune trace de certains des appels que les agents de l’ARC auraient effectués, autre que celui du 16 mars 2023. Il estime aussi avoir été traité injustement car il n’aurait jamais pu s’expliquer de vive voix avec le personnel de l’ARC avant la décision initiale du 23 mai 2023. En conséquence, Mr. Richard demande que l’ARC traite sa demande de deuxième examen comme portant plutôt sur un premier examen -notons que cette prétention est absente de son mémoire et n’a pas été évoquée à l’audience.

[27] Dans sa lettre du 8 juin 2023, le Demandeur ne mentionne pas non plus la discussion intervenue une semaine plus tôt, le 31 mai 2023, lorsqu’il a lui-même contacté l’ARC. Selon les notes au dossier, une agente lui a alors expliqué comment soumettre sa demande de deuxième examen, en plus de lui poser quelques questions relativement à ses activités professionnelles.

[28] Après sa demande de deuxième examen, M. Richard contacte l’ARC une dernière fois, le 12 octobre 2023. Alors que le nouveau formulaire T1 qu’il tentait de soumettre a été refusé, l’agente lui explique que, pour ses revenus de travailleur autonome, il doit plutôt remplir un formulaire T2125.

[29] Le 21 novembre 2023, le Demandeur produit deux formulaires T2125 (« état des résultats des activités d’une entreprise ou profession libérale »), pour 2019 et 2020. Il y déclare des revenus nets de 700 $ pour 2019 et 200 $ pour 2020.

[30] Le 23 mai 2024, le Demandeur est contacté par téléphone par l’agente de l’ARC qui rendra plus tard les Décisions.

III. Décisions en contrôle judiciaire

[31] Le 28 mai 2024, l’ARC transmet les lettres de Décisions à M. Richard. Elle y confirme que le Demandeur est inéligible aux Prestations, toujours au motif qu’il n’a pas prouvé que ses revenus d’emploi ou de travail indépendant étaient d’au moins 5 000 $ pendant les périodes pertinentes. Dans les notes au dossier et le rapport de deuxième révision, qui font partie intégrante des Décisions (Fortin au para 19; Grandmont c Canada (Procureur général), 2023 CF 1765 au para 30 ; Aryan au para 22), l’ARC indique, au soutien de sa conclusion à l’effet que M. Richard n’a pas prouvé que son revenu du travail était suffisant, (1) qu’il n’avait initialement déclaré aucun revenu d’entreprise; (2) qu’il n’a pas d’historique de travail autonome; (3) qu’il ne fournit que deux factures (une en 2019 et une en 2020); (4) qu’il confirme que ces factures ne lui ont toujours pas été payées (en mai 2024); et (5) que dans les formulaires de demande de redressement (qu’il a soumis après l’ouverture de l’examen de son admissibilité pour dorénavant déclarer des revenus d’entreprise), il indique lui-même des revenus nets insuffisants. Ces Décisions de deuxième examen font chacune l’objet d’une demande de contrôle judiciaire déposée le 26 avril 2024 devant cette Cour.

IV. Analyse

A. Questions préliminaires

(1) Documents de nature procédurale nouvellement soumis par le Demandeur

[32] Le PGC souligne, avec raison, que les documents intitulés « Avis de demande au défendeur » et « Demande en contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale » produits aux pages 4 à 8 du dossier du Demandeur n’ont pas été régulièrement porté à l’attention de cette Cour. N’ayant jamais été déposés au greffe de la Cour, ces documents indiquent joindre et amender les avis de demande et les demandes que M. Richard avait produit dans les dossiers T-1643-24, T-1645-24 et T-1646-24 avant la jonction des instances. Le Demandeur, qui reste soumis aux règles de cette Cour nonobstant le fait qu’il se représente seul (Davis v Canada (Royal Canadian Mounted Police), 2024 FCA 115 au para 53), n’a en effet pas suivi la procédure applicable. Bien que la Cour estime que ceux-ci n’auraient pas changé l’issue de ce recours, la Cour n’en tiendra pas compte.

(2) Autres documents nouvellement soumis par le Demandeur au soutien de ses prétentions

[33] Tel que le souligne également le PGC, M. Richard a inclut dans son dossier en annexes 4 et 5 à son Mémoire des faits et du droit, deux demandes de redressement adressées à l’ARC le 23 août 2023 dans le but de modifier ses déclarations de revenus pour les années 2019 et 2020.

[34] D’abord, la Cour constate que ces documents n’ont pas été produits par le biais d’un affidavit, conformément à la Règle 306 ou 307 des Règles des Cours fédérales, SORS/98-106 [Règles]. Ces Règles visent notamment à offrir au défendeur la possibilité de répondre adéquatement aux allégations de la partie adverse en se préparant par avance, voire de contre-interroger les signataires des affidavits s’il le désire. Les documents, pour être validement mis en preuve, doivent être joints à un affidavit (Khodaverdi c Canada (Le procureur général), 2023 CF 1710 aux para 7-15; Governor and Company of the Bank of Scotland c Nel (Le), 1998 CanLII 9120 (FC) aux para 5-6) . Vu ce qui précède, ces documents sont donc inadmissibles en preuve. Il en est de même pour les documents que M. Richard a voulu remettre à la Cour lors de l’audience.

[35] De plus, même si ces documents avaient été produits en preuve devant cette Cour, ceux-ci ne font pas partie du dossier certifié du tribunal. En effet, ils n’avaient pas été porté à la connaissance de l’agente qui a pris les Décisions.

[36] Dans une demande de contrôle judiciaire, le rôle de la Cour se limite à évaluer si le décideur administratif a rendu une décision cohérente d’un point de vue interne, répondant de façon suffisante aux moyens et éléments soumis par l’administré, et qui faisait partie de l’éventail des possibilités auquel il pouvait arriver eu égard au droit applicable et aux faits du dossier. Ce faisant, la Cour ne doit normalement pas examiner les éléments de preuve qui n’ont pas été préalablement examinés par le décideur administratif (Gittens c Canada (Procureur général), 2019 CAF 256 au para 14 citant Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 [Access Copyright]; Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 aux para 97-98; Xin au para 54; Taileb c Canada (Procureur général), 2025 CF 1303 [Taileb] aux para 24-27, citant Mailloux aux para 23-24 et 27; Lapointe c Canada (Procureur général), 2024 FC 172 au para 12).

[37] En effet, comme la Cour d’appel fédérale le rappelle dans Access Copyright : « [l]e but premier du contrôle judiciaire est de contrôler des décisions, et non pas de trancher, par un procès de novo, des questions qui n'ont pas été examinées de façon adéquate sur le plan de la preuve devant le tribunal ou la cour de première instance » (au para 19 [Access Copyright] citant Gitxan Treaty Society c Hospital Employees’ Union, 1999 CanLII 7628 (CAF), [2000] 1 CF 135, aux pp 144-45; Mailloux au para 23).

[38] En somme, la Cour n’a pas le pouvoir de décider de l’admissibilité de M. Richard aux Prestations. Elle n’interviendra pour écarter la Décision que si le décideur administratif « s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte. » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 125-26 [Vavilov]).

[39] Cette règle d’exclusion des nouveaux éléments de preuve souffre d’exception restreintes (Taileb au para 27 citant Mailloux au para 24; Xin au para 55), mais aucune ne s’applique en l’espèce. De plus, comme l’indique le juge Gascon dans Mailloux :

[27] … On ne saurait reprocher à l’ARC de ne pas avoir tenu compte de documents qui n’ont pas été portés à son attention, même si ceux-ci étaient disponibles sur l’Internet. L’ARC n’était pas tenue d’effectuer ses propres recherches sur Internet pour compléter le dossier de M. Mailloux (Loeb c Canada (Procureur général), 2023 CF 1463 au para 7). De plus, les documents ne rencontrent aucune des exceptions reconnues par la jurisprudence pour admettre de la nouvelle preuve. La Cour ne peut donc pas les examiner dans son analyse des Décisions. …

[40] Ainsi, bien que M. Richard ait transmis ses demandes de redressements à l’ARC, cela ne veut pas automatiquement dire que le décideur administratif avait l’obligation d’analyser son dossier de l’ARC et d’en tenir compte dans le cadre de l’analyse des Prestations. Dans Schillaci c Canada (Revenu National), notre Cour a confirmé qu’une partie ne peut introduire de nouveaux faits ou documents à l’occasion d’un contrôle judiciaire, même lorsque ces derniers faisaient partie du dossier de l’ARC, de telle sorte que le décideur aurait pu les consulter (2021 CF 27 aux para 57-59). C’est le contribuable qui doit guider le personnel de l’ARC vers les documents à même de soutenir sa demande. De la même façon, dans Aryan, la Cour a conclu que la demanderesse se pourvoyant en contrôle judiciaire ne pouvait pas demander à la Cour qu’elle prenne connaissance d’un extrait de son dossier de l’ARC que le décideur administratif n’avait pas lui-même consulté (au para 42).

[41] La Cour conclut donc que ces éléments de preuve sont inadmissibles.

[42] À tout événement, la Cour constate qu’aucune preuve n’apparait au dossier à l’effet que l’ARC aurait émis de nouvelles cotisations. De plus, la Cour est en accord avec le PGC que les nouveaux documents ne permettent pas de prouver que M. Richard rencontrer le critère de 5 000 $ de revenus minimaux, ni de démontrer une erreur de la part de l’ARC et sont donc non pertinents.

[43] En effet, les demandes de redressement ne constituent pas, en elles-mêmes, une preuve suffisante de l’existence réelle des revenus de travail que M. Richard prétend avoir générés (Aryan au para 35). En l’occurrence, les demandes de redressement visaient à amender le T1 du Demandeur pour déclarer comme salaire et autres avantages les sommes que M. Richard avait déjà déclaré comme revenus d’entreprises dans ses T2125, qui faisaient eux-mêmes suite des recommandations de l’ARC alors que M. Richard n’avait déclaré que des revenus de REER. Considérant la jurisprudence abondante que la modification après le début d’une évaluation de l’admissibilité aux Prestation ne constitue pas une preuve suffisante de revenus de travail, lesdits nouveaux documents n’auraient donc pas bonifié la preuve du Demandeur.

(3) Autres nouveaux arguments et informations soumis par le Demandeur

[44] Les arguments soulevés par le Demandeur quant aux confinements et à leur impact sur sa capacité à travailler n’ont pas non plus été portés à l’attention du décideur administratif et ne sont donc pas admissibles devant cette Cour.

[45] En effet, encore ici, il est de jurisprudence constante que, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la Cour ne peut considérer des arguments ou des faits qui n’ont pas été mis de l’avant devant l’ARC lors du deuxième examen (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers' Association, 2011 CSC 61 aux para 22-24; Access copyright aux para 15, 18-20; Taileb au para 30v).

[46] Comme le procureur général le note en citant Loeb c Canada (Procureur général) (2023 CF 1463 au para 7), à moins que le demandeur ne cherche à démontrer un bris d’équité procédurale en éclairant le contexte de la décision attaquée -ce qui n’est pas le cas en l’espèce, l’exclusion relative aux nouveaux éléments de preuve et informations s’applique même lorsque les informations ou documents, que le décideur administratif n’a pas pris en compte, étaient accessibles au public. En effet, pour qu’ils soient admissibles, il faut que le demandeur les ait portés à son attention, et en l’instance, ceci n’a pas été fait par M. Richard.

[47] Cela dit, puisque les Décisions ne se basent que sur le fait que les revenus de travail de M. Richard ne remplissaient pas le critère de 5 000 $ et que ceci était suffisant pour le rendre inadmissible aux Prestations, lesdits arguments ne sont pas pertinents en l’instance et n’auraient pas changé l’issue de ce dossier.

[48] De plus, la Cour ne considérera pas l’argument soulevé pour la première fois à l’audience que les factures qu’il a soumises ont été payées entre les mois de juin 2023 et décembre 2023, ni la preuve au soutien de ces paiements qui auraient été déposés dans un autre compte bancaire que celui fourni à l’ARC, puisque cela causerait préjudice à l’autre partie. De plus, n’ayant pas le bénéfice de la position éclairée du défendeur, la Cour ne serait pas en mesure d’évaluer comme il se doit le bien-fondé d’un nouvel argument (Abdulkadir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 318 au para 81; Taileb au para 30).

[49] Cela dit, sur ce dernier point, la Cour note que cette prétention de M. Richard est contredite par les notes du dossier de l’ARC, en date du 23 mai 2024, qui indiquent : « Les factures de 2019 et 2020 qu’il a fourni sont des honoraires prévu (sic) pour le mandat de travail. Il explique qu’il paie la totalité à la fin, mais il n’a pas encore reçu les paiements. Il avait pris une entente avec eux d’accepter de reporter les paiements (…) ».

B. Norme de contrôle

[50] Il est maintenant établi que la norme de la décision raisonnable s’applique (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]). Tel que l’indique le juge Gascon dans l’affaire Mailloux :

[16] Il ne fait aucun doute que la norme de la décision raisonnable s’applique aux décisions de l’ARC relatives aux prestations de PCU et de PCRE (Devi c Canada (Procureur Général), 2024 CF 33 au para 14 [Devi]; Flock c Canada (Procureur général), 2022 CF 305 au para 15; He c Canada (Procureur général), 2022 CF 1503 au para 20 [He]; Lajoie c Canada (Procureur général), 2022 CF 1088 au para 12; Aryan aux para 15–16). Ce courant jurisprudentiel est conforme avec le cadre d’analyse relatif au contrôle judiciaire du mérite d’une décision administrative qui a été fixé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt de principe Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] (Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 au para 7 [Mason]). Ce cadre d’analyse repose sur la présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit désormais la norme applicable dans tous les cas lors d’examens au mérite.

[17] Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, le rôle d’une cour de révision est d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et de déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Mason au para 64 ; Vavilov au para 85). La cour de révision doit donc se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov au para 99, citant notamment Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 aux para 47, 74).

[18] Il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur administratif « doit également, au moyen de ceux-ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique » [en italique dans l’original] (Vavilov au para 86). Ainsi, le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable s’intéresse tant au résultat de la décision qu’au raisonnement suivi (Vavilov au para 87). L’exercice du contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit comporter une évaluation rigoureuse des décisions administratives. Toutefois, dans le cadre de son analyse du caractère raisonnable d’une décision, la cour de révision doit adopter une méthode qui « s’intéresse avant tout aux motifs de la décision », examiner les motifs donnés avec « une attention respectueuse », et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion (Mason aux para 58, 60 ; Vavilov au para 84).

[19] La cour de révision doit adopter une attitude de retenue et n’intervenir que « lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov au para 13). La norme de la décision raisonnable, la Cour le souligne, tire toujours son origine du principe de la retenue judiciaire et de la déférence, et elle exige des cours de révision qu’elles témoignent d’un respect envers le rôle distinct que le législateur a choisi de conférer aux décideurs administratifs plutôt qu’aux cours de justice (Mason au para 57 ; Vavilov aux para 13, 46, 75).

[20] Il incombe à la partie qui conteste une décision de prouver qu’elle est déraisonnable. Pour annuler une décision administrative, la cour de révision doit être convaincue qu’il existe des lacunes suffisamment graves pour rendre la décision déraisonnable (Vavilov au para 100).

C. Les Décisions sont raisonnables

[51] Comme l’a bien fait valoir le PGC, l’ARC a raisonnablement conclu que M. Richard ne s’était pas acquitté de son fardeau d’établir qu’il satisfaisait, selon la prépondérance des probabilités, aux critères d’admissibilité aux Prestations (Taileb au para 39, citant Grandmont au para 38 et Fortin au para 15).

[52] En effet, tout demandeur de programmes de prestations tels que la PCU, la PCRE et la PCTCC avait le fardeau de produire suffisamment d’éléments de preuve à l’appui de sa demande, et l’ARC pouvait lui demander de fournir des documents ou de l’information additionnelle afin de prouver son admissibilité (Taileb au para 41, citant Fortin au para 16; voir aussi LPCU, par 5(3); LPCRE, art 6; LPCTCC, art 7).

[53] Dans le cas de M. Richard, un examen des notes et du rapport de l’agente de l’ARC révèle que l’analyse faite par l’ARC possède tous les attributs requis de transparence, de justification et d’intelligibilité (Vavilov au para 99). Les Décisions ne sont entachées d’aucune erreur ou lacune grave susceptible de contrôle (Vavilov aux para 100–101).

[54] En l’instance, les éléments fournis par le Demandeur pour prouver la suffisance de ses revenus, à savoir essentiellement les factures de décembre 2019 et décembre 2020 en lien avec BHealth et les relevés de compte de son épouse pour les mois de septembre 2019 à octobre 2020, ont tous été pris en considération par l’ARC, et ce conjointement avec ses T1 originaux et ses T2125. L’agente de deuxième examen pouvait raisonnablement conclure qu’ils n’étaient pas suffisants pour prouver que les revenus de travail de M. Richard avaient dépassé le seuil de 5000 $ pour les périodes pertinentes.

[55] Le raisonnement qui l’a menée à cette conclusion est intrinsèquement cohérent dans la mesure où les prémisses explicitées -soit (1) le fait que M. Richard admettait ne jamais avoir été payé pour ses factures et ne soumettait que des relevés bancaires de son épouse ; (2) l’absence de tout historique de revenu de travailleur indépendant avant 2019; et (3) le fait qu’il ait modifié ses déclarations de revenus après l’ouverture de l’examen de son admissibilité aux Prestations, alors qu’il n’avait initialement déclaré aucun revenu du travail- sont capables de soutenir la conclusion mise de l’avant. D’abondant, le Demandeur indique lui-même, dans ses formulaires T2125, des revenus nets n’atteignant pas le seuil de 5 000 $.

(1) Factures non payées

[56] Quant au premier élément, puisque l’ARC s’appuie notamment sur le fait que les factures de décembre 2019 et 2020 soumises par le Demandeur n’ont jamais était payées, une question se pose : un travailleur indépendant peut-il comptabiliser ses comptes à recevoir en souffrance comme des revenus? La Cour doit en effet déterminer si l’ARC pouvait raisonnablement interpréter le terme « revenu » utilisé dans la LPCU, la LPCRE et la LPTCC comme excluant les comptes à recevoir exigibles mais non encore payés.

[57] Le PGC soutient que l’ARC pouvait raisonnable exclure tous les montants facturés mais non encore perçus par un contribuable de la définition de « revenu » lorsqu’elle détermine l’admissibilité aux Prestations. En citant le dictionnaire Larousse, il propose que le caractère raisonnable de cette interprétation législative est évident, puisque le sens courant et ordinaire du mot « revenu » n’inclut que « ce qui est perçu en nature ou en monnaie » comme produit du capital ou rémunération d’une activité ou d’un travail (Larousse, Paris, sub verbo « revenu », Éditions Larousse, en ligne : <www.larousse.fr> (consulté le 21 août 2025)).

[58] En soutien à sa position, le PGC cite également deux décisions de cette Cour. L’une reprend l’entrée du Larousse précitée, mais elle porte spécifiquement sur le cas d’un contribuable ayant déclaré comme revenus des sommes dont il ne pouvait pas encore exiger le paiement (Konlambigue c Canada (Procureur général), 2022 CF 1781, aux para 23-25). Néanmoins, dans la seconde, Duchesneau c Canada (Procureur général), la juge St-Louis (désormais juge en chef adjointe de notre Cour) extirpe le principe plus large qui suit : « si le montant (…) n’a pas été versé au contribuable (…) mais qu’il est simplement inscrit au niveau comptable, il est raisonnable de conclure que ce montant n’a pas été gagné et qu’il ne s’agit pas d’un revenu au sens de la loi » (2023 CF 1632 au para 31). La Cour est en accord avec ce raisonnement.

[59] En tant que décideurs administratifs chargés par le législateur de l’administration d’un régime législatif précis en raison de leur expertise, les agents de l’ARC ont droit à une grande déférence lorsqu’ils interprètent une loi fiscale. Les décideurs administratifs « jouissent d’un privilège en matière d’interprétation » (Vavilov aux para 40, 116 ; Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 au para 68 ; Pepa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2025 CSC 21 au para 179 [Pepa]). Ils n’ont pas besoin de procéder à un exercice d’interprétation législatif complet et formaliste, comparable à celui qu’une cour de justice aurait mené (Pepa au para 180).

[60] Au stade du contrôle judiciaire, il suffit donc de dire que l’ARC pouvait raisonnablement conclure que les comptes à recevoir n’étaient pas des revenus, dans la mesure où cette interprétation, soutenue par le sens usuel du mot « revenu », faisait à tout le moins partie de l’éventail des interprétations raisonnables.

[61] D’abondant, dans un contexte où le Demandeur n’avait pas d’historique de revenu de travailleur indépendant avant 2019 et que ses déclarations de revenu originales n’indiquaient aucun revenu, l’ARC pouvait raisonnablement douter de la crédibilité ou de la valeur probante des deux factures soumises par le Demandeur.

(2) Déclarations de revenus modifiées

[62] Quant au troisième élément, tel que susmentionné, l’ARC n’est pas tenue de tenir compte des modifications qu’un contribuable fait à ses déclarations de revenus après l’ouverture d’un examen d’admissibilité : « si elle croit qu’elles sont inexactes ou apportées seulement dans le but de satisfaire aux critères d’admissibilité » (Zouita c Canada (Procureur général), 2025 CF 1084 au para 43 citant Lavigne c Canada (Procureur général), 2023 CF 1182 au para 37).

[63] En effet, les contribuables doivent être imposées en fonction de leur action réelle et non de ce qu’ils auraient souhaités faire, d’où une proscription des tentatives de planification fiscale rétroactive visant à rendre une personne admissible aux prestations de COVID-19 (Foisy c Canada (Procureur général), 2024 CF 1462 au para 16 citant Laplante c Canada (Procureur général), 2023 CF 1450 au para 19; Morin c Canada (Procureur général), 2023 CF 751 au para 22).

[64] Le 21 novembre 2023, le Demandeur a nouvellement déclaré des revenus de travailleur indépendant, en indiquant des revenus nets de 700 $ pour l’année 2019 et 200 $ pour l’année 2020. Il a plus tard expliqué au personnel de l’ARC qu’il s’agissait d’une erreur de sa part. Toutefois, il prétend que « l’agent de PARC [sic] qui a rendu la décision finale ne [lui] a pas donné l’opportunité de lui expliquer [son] erreur ».

[65] Devant la Cour, le Demandeur élabore sur cette erreur dans son Mémoire de faits et de droit, en explicitant qu’il a indûment déclaré le salaire versé à l’un de ses collaborateurs, en l’occurrence son épouse, comme dépense, et ce, du fait de son « manque de connaissance » en comptabilité. À l’audience, M. Richard indique plutôt que ledit salaire aurait été payé directement par son client et n’aurait donc jamais dû se retrouver sur son formulaire T2125.

[66] Les notes des agents ne permettent pas de savoir si le Demandeur a effectivement fourni cette explication précise à l’ARC avant que les Décisions aient été rendues, mais il appert de ces notes qu’une discussion est bien intervenue à ce sujet.

[67] Quoiqu’il en soit, il n’appartient aucunement à la Cour saisie d’une demande en contrôle judiciaire d’évaluer la crédibilité de cette allégation. Le rôle de cette Cour se limite à juger du caractère raisonnable des Décisions. Or, cette allégation n’enlève rien au fait qu’eu égard aux éléments qu’elle avait en sa possession, l’ARC pouvait raisonnablement conclure que le Demandeur n’avait pas prouvé que ses revenus de travail excédaient effectivement 5 000 $ pour chacune des périodes pertinentes selon la prépondérance des probabilités.

[68] D’ailleurs, la Cour a déjà souligné que les déclarations fiscales ne sont pas suffisantes pour remplir les conditions d’admissibilité aux Prestations. En effet, ces déclarations ne sont pas des preuves irréfutables qu’un demandeur a effectivement gagné et reçu le montant indiqué dans celles-ci (Fortin aux para 17-18; Taileb aux para 42-44).

[69] Par conséquent, il n’était pas déraisonnable pour l’ARC de conclure que le redressement fait aux déclarations d’impôt ne suffisait pas à prouver que M. Richard avait gagné au moins 5 000 $ de revenus nets en 2019.

D. Les Décisions sont suffisamment motivées

[70] Contrairement à ce que le Demandeur allègue, les Décisions de l’ARC ne manquent pas non plus de motivation. L’agente a, dans les lettres de Décision adressées au Demandeur ainsi que dans ses notes, fourni les motifs qui justifient ses Décisions de manière transparente et intelligible.

[71] Les notes de l’agente établissent que cette dernière n’a pas fait abstraction des documents fournis par le demandeur. Elle les a plutôt jugés insuffisants pour prouver ses revenus de travail, notamment dans la mesure où, avant que l’ARC n’ouvre une procédure d’examen de son admissibilité, le Demandeur n’avait déclaré aucun revenu du travail pour 2019 et 2020. De la même manière, l’ensemble révèle qu’elle n’a pas fait fi de ses explications relatives aux modifications qu’il souhaitait apporter à ses déclarations de revenus mais les a plutôt jugées non convaincantes eu égard à l’ensemble des informations dont elle disposait.

V. Les notes au dossier et décisions antérieures

[72] Au soutien de ses recours, M. Richard réfère à des discussions antérieures avec l’ARC et soumet qu’il croyait avoir répondu aux demandes faites. Il considère donc que les Décisions vont à l’encontre de ce que l’ARC avait « décidé » préalablement.

[73] Toutefois, bien que les notes aux dossiers de l’ARC fassent partie du dossier et soient pertinentes pour appuyer les Décisions, et bien que parmi ces notes il y ait des indications que l’ARC jugeait, à un certain moment, M. Richard admissible, aucune décision formelle d’admissibilité n’a été émise. Tant les premières décisions que les Décisions de deuxième examen l’ont déclaré inadmissible.

[74] À tout événement, les notes auxquelles fait référence M. Richard font parties du dossier de premier examen et ne sont donc pas pertinentes quant à l’analyse de la raisonnabilité des Décisions (de deuxième examen) (Peiris v Canada (Attorney General), 2024 FC 331 [Peiris] au para 38; Ntuer c Canada (Procureur général), 2022 CF 1596 au para 18). Outre la mention inopportune « Décision finale : Ct admissible PCU, PCRE, admissibilité partielle PCTCC », rien dans la preuve ne suggère qu'une décision finale avait effectivement été prise par un agent de l'ARC et communiquée à M. Richard. Cette entrée est d’ailleurs contredite par une autre note rédigée par la même agente dès le lendemain, puis par une troisième note saisie quatre jours plus tard -toujours par la même personne- et concluant à l’inadmissibilité de M. Richard. L’agente semble plutôt avoir modifié ses conclusions après avoir pris connaissance des éléments envoyés par le Demandeur, alors que se fondant exclusivement sur ses dires, elle le croyait initialement admissible. Or, seule la dernière décision de cet agente, concluant donc à son inadmissibilité, a été communiquée à M. Richard. Il semble que M. Richard ait interprété la réponse donnée lors d’un appel téléphonique comme une décision finale quant à son admissibilité. Notons à nouveau que les notes antérieures à sa demande de deuxième examen, ne font pas l’objet du présent contrôle judiciaire.

[75] La Cour partage la position du PGC à l’effet qu’il est souhaitable que les décisions de l’ARC soient le plus cohérentes possible. Toutefois, même si une décision avait effectivement été prise, il est vrai que rien n’oblige l’ARC en deuxième examen à rendre la même décision ou à utiliser le même raisonnement que le premier décideur (Hodder c MNR, 2005 CCI 615, aux para 9-12).

[76] En fait, comme l’ARC l’indique dans ses lettres de premier examen lorsqu’elle explique le processus au contribuable, le deuxième examen est une analyse effectuée de novo. Il se veut indépendant et est toujours effectué par un agent n’ayant pas participé au premier examen, qui peut se fonder sur des documents et informations que l’auteur de la décision de premier examen n’avait pas en sa possession. Procéder ainsi peut notamment permettre au décideur de deuxième examen d’identifier des erreurs dans l’analyse de l’agent ayant mené le premier examen (Peiris au para 13; Fang v Canada (Attorney General), 2024 FC 1399 au para 40).

[77] À l’audience, M. Richard ajoute que si les agents spécialisés de l’ARC peuvent modifier leurs conclusions, il serait injuste qu’un contribuable ne puisse pas, lui aussi, modifier ou bonifier ses explications et éléments de preuve.

[78] Avec égard pour M. Richard, c’est justement à quoi servait le processus de deuxième examen. Il était de sa responsabilité de transmettre à l’ARC tous ses éléments de preuve et arguments pertinents à ce moment. Une demande de contrôle judiciaire n’est pas le forum approprié pour bonifier sa preuve (Kim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1357 au para 5 cité dans Zabsonre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 499 au para 21; Neale c Canada (Procureur général), 2016 CF 655 au para 36; Arrechavala de Roman c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 478 au para 20).

VI. Conclusion

[79] Pour ces motifs, les demandes de contrôle judiciaire de M. Richard sont rejetées. La Cour est d’avis que les Décisions possèdent les attributs de transparence, de justification et d’intelligibilité requis en vertu de la norme de la décision raisonnable et qu’elles ne sont entachées d’aucune erreur justifiant l’intervention de la Cour.

[80] Le PGC suggère des dépens de 500 $. Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour juge qu’il n’y a pas lieu de condamner M. Richard, qui se représente seul, à payer des dépens. (Laflamme c Canada (Agence du revenu), 2025 CF 336 au para 42 citant Lalonde c Canada (Agence du revenu), 2023 CF 41 au para 97 et Hu c Canada (Le Procureur Général), 2023 CF 1590 au para 36, conf par 2024 FCA 215).

VII. Obiter

[81] Lors de l’audience, M. Richard a soulevé l’application du Décret de remise visant la prestation canadienne d’urgence et la prestation d’assurance-emploi d’urgence, TR/2021-19 [Décret], en indiquant que celui-ci était justement venu corriger certaines ambiguïtés dans les critères d’éligibilité aux Prestations.

[82] Il est vrai que le Décret fut instauré à la suite d’une confusion entre les revenus bruts et nets, afin de permettre aux personnes dont les revenus bruts issus d’un travail autonome étaient d’au moins 5 000 $ et qui avaient présenté leurs déclarations de revenus pour les années d’imposition 2019 et 2020 au plus tard le 31 décembre 2022 de conserver la PCU qui leur avait été attribuée, même si leur revenu net était de moins de 5 000 $ (Décret, art. 1(1); Taileb au para 6).

[83] Notons toutefois que celui-ci ne s’applique qu’à la PCU. En effet, contrairement à la LPCU, tant la LPCRE que la LPCTCC précisent que le revenu de la personne qui exécute un travail pour son compte est constitué de son revenu moins les dépenses engagées pour le gagner (LPCRE, art 3(2); LPCTCC, art 4(2)). Ainsi, il n’y a aucune confusion, pour ces deux lois, le critère du revenu mentionné ici-haut concernait le revenu net (Taileb au para 9). La portée de ce Décret n’a jamais été étendu à la PCRE et à la PCTCC (Taileb au para 47 citant Flock v Canada (AG), 2022 FC 305 [Flock] au para 22).

[84] Notons que le Décret n’a pas pour effet de rendre un contribuable admissible à la PCU. Le Décret permettait plutôt, dans certains cas, de conserver des sommes qu’un contribuable aurait normalement dû rembourser (Taileb au para 47).

[85] Toutefois, l’argument quant à l’application du Décret n’a jamais été soulevé par M. Richard au préalable et l’ARC n’en fait aucunement mention dans les Décisions ou dans les notes de l’ARC. Dans ces circonstances, et tel que susmentionné, ce nouvel argument ne peut être considéré par la Cour dans le cadre de la révision judiciaire des Décisions.

[86] Ainsi, bien qu’il aurait été utile que l’ARC adresse d’emblée la question de l’application ou non du Décret (Olivet v Canada (AG), 2024 FC 1452 au para 25), puisque cette analyse ne semble pas avoir été faite par l’ARC dans le dossier de M. Richard, la Cour invite ce dernier à s’adresser à l’ARC pour déterminer si le Décret peut s’appliquer à sa situation (Flock au para 18). Il sera alors important pour M. Richard de s’assurer de fournir à l’ARC un dossier complet vis-à-vis les revenus qu’ils allèguent.


JUGEMENT aux dossiers T-1643-24, T-1645-24 & T-1646-24

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire dans chacun des dossiers T-1643-24, T-1645-24 et T-1646-24 est rejetée, sans dépens.

« Danielle Ferron »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T-1643-24

T-1645-24

T-1646-24

INTITULÉ :

DENIS RICHARD c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 août 2025

JUGEMENT ET MOTIFS :

ferron J.

DATE DES MOTIFS

LE 5 septembre 2025

COMPARUTIONS :

Denis Richard

POUR LE DEMANDEUR
(pour son propre compte)

Me Simon-Gabriel-Morin

POUR LE DÉFENDEUR

(PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Simon-Gabriel Morin

Ministère de la Justice Canada Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

(PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA)

 

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