Date : 20250902
Dossier : T-1374-24
Référence : 2025 CF 1445
Montréal (Québec), le 2 septembre 2025
En présence de l'honorable madame la juge Ferron
ENTRE : |
RÉGIS BENIEY |
demandeur |
et |
AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] M. Régis Beniey, le demandeur, a intenté un recours fondé sur les articles 77 et 79 de la Loi sur les langues officielles, LRC 1985, c 31 (4e suppl) [Loi] à la suite du refus du Commissaire aux langues officielles [Commissaire] d’enquêter sa plainte contre l’Agence des services frontaliers du Canada [Agence], au motif que celle-ci n’avait pas été déposée dans un délai raisonnable après que son objet ait pris naissance et ce, en application de l’alinéa 58(4)d) de la Loi. Déposée le 13 mai 2024, la plainte de M. Beniey concerne des faits qui se seraient déroulés en 2017 [Plainte].
[2] En bref, M. Beniey fait valoir que l’Agence n’a pas respecté les droits et les obligations qu’elle avait en vertu des parties IV, V et VII de la Loi. Dans son avis de demande du 30 mai 2024, M. Beniey décrit son recours ainsi:
Le demandeur intente un recours fondé sur les articles 77 et 79 de la Loi sur les langues officielles, LRC 1985, c 31 (4e suppl) (ci-après la « Loi ») à l’encontre de l’Agence des services frontaliers du Canada (ci-après l’« Agence »). Il sollicite une condamnation imposant des conséquences concrètes, des changements immédiats, des mesures punitives, des dommages punitifs, des dommages et intérêts, une lettre d’excuses officielle et publique du Ministre, une correction immédiate des actions entreprises et de leurs conséquences, des réparations pour les torts causés à sa personne; ainsi que la réparation de torts potentiels et avérés subis par tous les francophones, ainsi que les membres du Syndicat des Douanes et de l'Immigration (ci-après « SDI ») et de l'Alliance de la Fonction publique du Canada (ci-après l'« AFPC »).
[3] L’Agence, défenderesse en l’instance, s’oppose au recours de M. Beniey. Elle soumet essentiellement qu’elle n’a pas enfreint les droits de M. Beniey en lui faisant signer un formulaire en anglais le 28 juillet 2017. Dans l’alternative, elle soumet qu’il n’y a pas lieu d’accorder les réparations recherchées par M. Beniey.
[4] Pour les raisons qui suivent, le recours de M. Beniey est rejeté.
II. Enjeux procéduraux
[5] M. Beniey se représente seul. Ses représentations faites oralement lors de l’audition étaient claires et bien présentées. Toutefois, son recours fait face à plusieurs enjeux de procédure non négligeables, tel que plus amplement détaillé ci-après.
A. Enregistrements audios
[6] D’abord, au soutien de sa demande, M. Beniey a déposé son propre affidavit (assermenté le 4 juillet 2024), auquel il joint huit pièces, dont plusieurs enregistrements de rencontres entre lui-même et des gestionnaires de l’Agence. Il a d’ailleurs été contre-interrogé le 20 août 2024 sur son affidavit.
[7] Au niveau des enregistrements, qui font près de 5 heures, M. Beniey a soulevé une inquiétude quant au fait que la Cour n’en avait pas pris connaissance avant l’audition. Toutefois, tel que la Cour l’en a assuré à l’audition, la Cour les a tous écoutés à la suite de celle-ci.
B. Allégations non appuyées par de la preuve admissible
[8] L’Agence s’objecte à ce que la Cour tienne compte des faits allégués dans le mémoire de faits et de droit de M. Beniey [Mémoire] ou à son avis de demande qui ne sont pas soutenus par un affidavit ou qui n’ont pas été communiqués conformément à la Règle 306 ou 307 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles]. Elle rappelle que ces Règles visent notamment à offrir au défendeur la possibilité de répondre adéquatement aux allégations de la partie adverse en se préparant par avance, voire de contre-interroger les signataires des affidavits s’il le désire.
[9] Elle ajoute que M. Beniey ne peut simplement référer à des faits dans son avis de demande ou son Mémoire sans qu’ils soient mis en preuve conformément aux Règles. Les documents, pour être validement mis en preuve, doivent être joints à un affidavit (Khodaverdi c Canada (Le procureur générale), 2023 CF 1710 aux para 7-15; Governor and Company of the Bank of Scotland c Nel (Le), 1998 CanLII 9120 (FC) aux para 5-6).
[10] Ainsi, l’Agence soumet que les seuls éléments qui peuvent servir de trame factuelle doivent être contenus à l’affidavit de M. Beniey daté du 4 juillet 2024, ou à l’affidavit d’Isabelle Barbeau daté du 1er août 2024 déposé par l’Agence. De ce fait, elle s’objecte aux paragraphes 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 17, 22, 24 et 28 qui se trouvent dans la section «
Contexte qui a précédé le formulaire intitulé Consent to Undergo A Fitness to Carry Defensive Equipment Evaluation »
du Mémoire (débutant à la page 359 du dossier du demandeur), ainsi qu’aux paragraphes 18, 19, 23 et 28 qui se trouvent dans la section « Questions en litige »
du Mémoire (débutant à la page 370). Il convient de noter que la numérotation du Mémoire est dédoublée à partir de la section « Questions en litige »
.
[11] Lors de l’audience, la Cour a pris l’objection en délibéré, tout en informant M. Beniey que la preuve dans un dossier est effectivement limitée à ce qui est soumis par affidavit, et que le Mémoire ne constitue pas de la preuve (Bernard c Alliance de la Fonction Publique du Canada et Conseil du Trésor, 2017 CAF 35 aux para 7-8 [Bernard]; Canada (Revenu national) c Distribution Carflex Inc, 2023 CanLII 110323 (CF) au para 27).
[12] Les Règles concernant la preuve admissible dans les procédures devant cette Cour font partie de la loi contraignant les parties et elles doivent être respectées (Lefebvre c Canada (Agence d'inspection des aliments), 2024 CF 1906 au para 30 citant Le-Vel Brands, LLC c Canada (Procureur général), 2023 CAF 66 au para 14). Elles s’appliquent aux personnes qui se représentent seules comme aux plaideurs les plus expérimentés (Davis v Canada (Royal Canadian Mounted Police), 2024 FCA 115 au para 53).
[13] Après analyse des paragraphes sous objection, la Cour accueille l’objection de l’Agence quant à l’ensemble des paragraphes mentionnés ici-haut, à l’exception du paragraphe 23 de la section « Questions en litige »
. Dans ce paragraphe, M. Beniey réfère à des statistiques publiées par Statistique Canada, qui sont des faits « dont l’existence peut être démontrée immédiatement et fidèlement en ayant recours à des sources facilement accessibles dont l’exactitude est incontestable »
(R c Spence, 2005 CSC 71 au para 53). Il s’agit ainsi de faits dont la Cour peut prendre connaissance d’office et l’une des exceptions prévues par la jurisprudence quant à la nécessité d’établir les faits par éléments admissibles s’applique donc (Bernard aux para 7-8). Quant aux autres paragraphes, ceux-ci sont inadmissibles et la Cour n’en tiendra donc pas compte.
C. Absence d’une copie de la Plainte de M. Beniey
[14] Par ailleurs, l’Agence soulève un autre enjeu procédural important : M. Beniey n’a pas mis en preuve sa Plainte qu’il aurait déposée le 13 mai 2024 auprès du Commissaire. D’abondant, M. Beniey ne détaille pas le contenu de sa Plainte à son affidavit du 4 juillet 2024 et le seul document mis en preuve qui traite de la Plainte est la réponse du Commissaire datée du 22 mai 2024. Ainsi, la Cour doit donc se limiter à ces informations parcellaires.
[15] La Cour constate effectivement que la Plainte de M. Beniey n’est pas en preuve et que le courriel de refus d’enquêter transmis le 22 mai 2024 par le Commissaire ne réfère que sommairement à l’incident du 28 juillet 2017 :
Au nom du commissaire aux langues officielles (le commissaire), je donne suite à la plainte que vous avez déposée le 13 mai 2024 dans laquelle vous avez allégué que le 28 juillet 2017, [l’Agence] vous a demandé de signer un formulaire en anglais intitulé : « Consent to undergo a fitness to carry defensive equipment evaluation », et ce, en dépit du fait que votre langue officielle de préférence soit le français.
[16] Considérant que le rôle de la Cour dans le cadre d’un recours fondé sur le paragraphe 77(1) de la Loi est d’analyser le bien-fondé d’une plainte, et que sa compétence se limite aux articles et parties de la Loi qui sont mentionnés au paragraphe 77(1) de la Loi, le défaut de M. Beniey d’inclure une copie de sa Plainte est un vice fatal à son recours. En d’autres mots, la Cour ne peut tout simplement pas exercer son rôle en l’absence de cet élément de preuve crucial.
[17] Notons que M. Beniey a été informé de ce vice par l’Agence, qui l’indique précisément au paragraphe 28 de son mémoire daté du 23 octobre 2024. M. Beniey aurait pu prendre les mesures requises pour tenter de corriger cette situation. Il n’a rien fait.
[18] Cette Cour a précédemment conclu qu’elle ne peut pas effectuer le contrôle judiciaire d’une décision contestée lorsque la demanderesse n’a pas inclus ladite décision dans son dossier de demande, tel qu’exigé par l’alinéa 309(2)c) des Règles (Kelowna Flightcraft Air Charter Ltd c Withers, 2006 CF 807 aux para 14, 36).
[19] Tout comme une décision contestée est au cœur d’une demande de contrôle judiciaire, il va de soi qu’une plainte est au cœur du recours intenté en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi. Ainsi, il était impératif que la Plainte soit déposée dans le dossier du demandeur pour que la Cour puisse juger de son bien-fondé (voir à cet effet Bossé c Canada (Agence de la santé publique), 2023 CAF 199 au para 15 : « Ce rapport n’est cependant pas l’objet du recours; c’est au bien-fondé de la plainte que doit plutôt s’intéresser la Cour fédérale, le rapport du Commissaire n’étant en quelque sorte qu’une condition préalable à l’exercice du recours prévu à l’article 77 »
).
[20] Cela est également confirmé par la jurisprudence à l’effet que la partie V des Règles s’applique au recours fondé sur ce paragraphe (Lavigne c Société canadienne des postes, 2009 CF 756 au para 26) ainsi que par la jurisprudence indiquant que seuls les articles et parties de Loi mentionnés au paragraphe 77(1) de la Loi peuvent justifier un recours fondé sur ce dernier (Forum des maires de la Péninsule acadienne c Canada (Agence d’inspection des aliments), 2004 CAF 263 au para 28 [Forum des maires]; voir également DesRochers c Canada (Industrie), 2009 CSC 8 aux para 32-33 [DesRochers], où la Cour suprême note que depuis 2005, le paragraphe 77(1) vise les articles 4 à 7, 10 à 13 et 91 ainsi que les parties IV, V et VII de la Loi).
[21] Ces enjeux sont à eux seuls suffisants pour justifier le rejet du recours de M. Beniey.
[22] Mais il y a plus. En effet, malgré ce qui précède, et dans l’éventualité où elle aurait tort, la Cour a choisi de creuser le dossier de M. Beniey, en tenant compte des affidavits déposés par les parties et des pièces jointes, dont les enregistrements susmentionnés, mais également en tenant compte des éléments indiqués dans l’avis de demande. La Cour arrive encore ici à la conclusion que le recours de M. Beniey doit être rejeté.
[23] Non seulement il n’y a pas eu de violation de la part de l’Agence en 2017, selon la Loi applicable à l’époque, mais les enjeux soulevés par M. Beniey avaient été rectifié avant même le dépôt de sa Plainte en mai 2024. D’abondant, même s’il y avait eu faute, M. Beniey n’a pas mis en preuve un quelconque dommage.
[24] À tout événement, vu l’ensemble des faits de ce dossier, la Cour juge qu’aucune réparation n’aurait été requise en l’instance.
III. Contexte
[25] Tel que souligné par l’Agence, M. Beniey soulève plusieurs faits dans son mémoire qui ne sont pas pertinents aux fins de son recours. À l’audience, M. Beniey a indiqué que ces faits visent à fournir du contexte à sa Plainte, et c’est sur cette base limitée que la Cour les a considérés.
[26] Par ailleurs, bien que l’analyse faite par les parties varie quant à la teneur des échanges et rencontres ayant menés à la Plainte, la Cour retient principalement les éléments suivants.
[27] M. Beniey est francophone. C’est sa langue première. Aux moments des faits relatifs à sa Plainte, M. Beniey était un agent des douanes au pont de Queenston, dans la région du sud de l’Ontario. Son environnement de travail était principalement anglophone.
[28] Le 15 juillet 2017, M. Beniey participe à une rencontre, tenue en anglais, avec certains gestionnaires locaux sur son lieu de travail, accompagné de sa représentante syndicale. À ce moment, on l’avise qu’on lui retire ses équipements de sécurité (arme à feu, etc.) jusqu’à ce qu’une évaluation psychologique puisse avoir lieu. On l’avise qu’une lettre suivra dans les prochains jours pour lui fournir les détails des enjeux ayant mené à cette décision. Cette rencontre et une rencontre subséquente en privé avec sa représentante syndicale font l’objet de l’enregistrement RB-1.
[29] Le 27 juillet 2017, M. Beniey participe à une rencontre avec certains gestionnaires locaux sur son lieu de travail, accompagné de sa représentante syndicale, encore ici en anglais. Lors de cette rencontre, une lettre décrivant ce qu’on lui reproche, une description de son emploi et un formulaire, en anglais, intitulé «
Consent to Undergo A Fitness to Carry Defensive Equipment Evaluation »
[ci-après « Formulaire
Evaluation »
], lui sont remis pour signature.
[30] Dès le début de la rencontre (enregistrement RB-2 vers la minute 2), M. Beniey communique sa surprise que les documents lui soient remis en anglais car il aurait préalablement demandé que ceux-ci soient en français pour que qu’il soit plus facile pour lui de les comprendre.
[31] Au niveau du formulaire qu’on lui demande de signer, la Cour note que les propos de M. Beniey lors de la rencontre sont clairs. Il explique ne pas signer de façon volontaire, mais simplement pour éviter d’être renvoyé chez lui sans paie (enregistrement RB-2; vers la minute 17 environ). Il note que le formulaire indique aussi qu’il a pu obtenir des conseils indépendants au préalable avant de signer mais que cela n’est pas le cas. Aussi, lui et sa représentante syndicale questionnent quel type d’évaluation son médecin spécialiste devra effectuer.
[32] L’enregistrement démontre que le gestionnaire n’est pas en mesure de répondre aux questions de M. Beniey mais qu’il prend en note celles-ci et certains des éléments à valider. M. Beniey indique aussi qu’il faudrait que les questions et réponses soient fournies en français car son médecin spécialiste sera francophone (enregistrement RB-2 vers la minute 25). Cette demande sera réitérée auprès de sa représentante syndicale (enregistrement RB-2 vers la minute 35). Il demande également à ce qu’une version française de la lettre de reproches lui soit remise (enregistrement RB-2 vers la minute 55).
[33] Cela dit, lors de cette rencontre, le gestionnaire de M. Beniey lui offre la possibilité de soumettre par écrit ses questions, en français, en rapport avec le Formulaire Evaluation (enregistrement RB-2 vers la minute 48).
[34] Le 28 juillet 2017, une autre rencontre, tenue en anglais, a lieu entre M. Beniey, sa représentante syndicale et son gestionnaire. Lors de cette rencontre, M. Beniey demande à nouveau que la lettre destinée à son médecin et la liste de questions et réponses soient rédigées en français car il désire faire son évaluation en français (enregistrement RB-3 dès le départ, et à nouveau vers la minute 9 :00). Son gestionnaire indique qu’il fera traduire ces documents (enregistrement RB-3 vers la minute 2 :30 et à nouveau à vers la minute 12 :30).
[35] Lors de cette rencontre, il est confirmé à M. Beniey, tel qu’on le lui avait déjà indiqué, que s’il refuse de signer le Formulaire Evaluation, il sera suspendu sans solde (enregistrement RB-3 vers la minute 16 :40).
[36] Le même jour, soit le 28 juillet 2017, à 5:29 a.m., M. Beniey transmet un courriel en anglais à son gestionnaire et son représentant syndical, entre autres destinataires, donnant son consentement à cette évaluation sous réserve de l’obtention de certaines précisions en français et après avoir consulté son représentant syndical. Dans ledit courriel, conformément à ce que M. Beniey avait verbalement indiqué lors de la rencontre du 27 juillet 2017, il écrit: «
Also since it was said to me that the failure to sign the consent form would result in an immediate leave without pay, we all agreed to a verbal consent until the following questions I had could be addressed
»
. Plus tard ce même jour, M. Beniey signe malgré tout le Formulaire Evaluation en anglais, en présence de son gestionnaire.
[37] Vu ce qui précède, même si les rencontres susmentionnées sont très cordiales, il appert assez clairement que ce n’est pas de son plein gré que M. Beniey signe ledit formulaire en anglais, mais par obligation, pour éviter une suspension sans solde.
[38] Le 2 août 2017, le gestionnaire de M. Beniey lui transmet des traductions françaises des autres documents demandés, soit la lettre adressée au professionnel de la santé de M. Beniey ainsi qu’une liste de questions et réponses. Aucune version française du Formulaire Evaluation ne lui est remise.
[39] Après la signature du Formulaire Evaluation en anglais, M. Beniey effectue plusieurs recherches sur le site intranet de l’Agence et tente de communiquer avec plusieurs personnes afin de trouver le Formulaire Evaluation en français, sans succès. Il trouve toutefois un autre formulaire intitulé «
Fitness to Carry Defensive Equipment Assessment »
[ci-après « Formulaire
Assessment »
] sur l’intranet de l’Agence, et ce, tant en anglais qu’en français. Selon lui, le contenu de ce formulaire comporte des différences par rapport à celui qu’il avait signé.
[40] Le dossier de Cour fait état de plusieurs échanges quant au contenu du Formulaire Assessment par rapport au Formulaire Evaluation utilisé par ses gestionnaires locaux, et la légitimité de ce dernier. Notamment, la preuve démontre que suite aux questions de M. Beniey, les gestionnaires régionaux de l’Agence ont pris contact avec la direction nationale qui leur a confirmé que le Formulaire Evaluation est parfaitement endossé par l’Agence, tout en indiquant devoir vérifier s’il est substantiellement similaire au Formulaire Assessment disponible sur l’Intranet. De son côté, M. Beniey juge que le Formulaire Evaluation n’est pas le formulaire adéquat ou officiel et retire son consentement à signer celui-ci. Il insiste pour signer le Formulaire Assessment, ce que ses gestionnaires refusent.
[41] Dans le cadre desdits échanges, l’Agence comprend toutefois que M. Beniey désire obtenir une copie du Formulaire Evaluation en français. Le courriel du 13 septembre 2017 transmettant une copie française de celui-ci indique notamment « Until this past weekend, I was not aware that you were looking for a French version of the consent form.
Please find attached »
.
[42] Dans ledit courriel, l’Agence réitère auprès de M. Beniey qu’elle attend toujours le nom et les coordonnées du médecin spécialiste sélectionné par M. Beniey pour procéder à l’évaluation requise depuis le mois de juillet, en plus de lui confirmer que s’il ne coopère pas pleinement, il sera suspendu sans solde.
[43] Le 15 septembre 2017, persistant dans sa position, M. Beniey remet à l’Agence une copie du Formulaire Assessment, en français, qu’il a signé. Toutefois, M. Beniey ne transmet pas à l’Agence le nom du médecin qu’il désire consulter, et ce malgré les multiples demandes de l’Agence à cet effet. L’Agence ayant déjà au préalable indiqué à M. Beniey que la date du 15 septembre était son délai ultime pour fournir cette information, ce dernier est alors suspendu sans solde.
[44] Les faits subséquents ne sont pas pertinents à l’analyse de la Plainte, qui sera déposée par M. Beniey le 13 mai 2024, soit près de 7 ans plus tard.
[45] Le 22 mai 2024, le Commissaire transmet un avis de refus de mener une enquête sur la Plainte de M. Beniey en vertu de l’alinéa 58(4)d) de la Loi, soit en raison de son défaut de déposer sa Plainte dans un délai raisonnable après que son objet ait pris naissance.
[46] Le 30 mai 2024, M. Beniey dépose son avis de demande fondé principalement sur les articles 77 et 79 de la LLO. Il s’appuie également sur les articles 16 à 23 de la Charte des droits et libertés, art 7, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [Charte canadienne], de même que sur les parties IV, V et VII de la Loi.
IV. Compétence de la Cour
[47] L’Agence soumet que le véritable litige porte sur des enjeux de contenu et de légitimité du Formulaire Evaluation, qui sont principalement des enjeux de gestion non soumis à la révision de cette Cour.
[48] La Cour est d’accord que les enjeux de gestion ne relèvent pas de sa juridiction. Toutefois, les faits à la base de la Plainte ne sont pas limités à des enjeux de gestion. Au contraire, il apparait évident au regard de la preuve, et particulièrement des enregistrements déposés par M. Beniey, qu’un enjeu de langue était également au cœur de ses préoccupations, et c’est sur cet enjeu que le recours déposé devant cette Cour porte principalement.
[49] Selon les informations au dossier, la Plainte déposée devant le Commissaire le 13 mai 2024 allègue que le 28 juillet 2017, l’Agence aurait demandé à M. Beniey de signer un formulaire en anglais intitulé « Consent to Undergo a Fitness to Carry Defensive Equipment Evaluation »
, et ce, en dépit du fait que sa langue officielle de préférence soit le français. C’est donc le seul enjeu qui est devant cette Cour.
V. Cadre juridique
[50] Le recours de M. Beniey est substantiellement fondé sur l’article 77 de la Loi. Dans la décision Forum des maires, la Cour d’appel fédérale établit les principes entourant la nature et la portée d’un tel recours. Ces principes ont par la suite été cité avec approbation par la Cour suprême du Canada dans DesRochers et sont résumés comme suit :
-
Bien que le recours fondé sur l’article 77 de la Loi ne soit pas une demande de contrôle judiciaire, sur le plan procédural, il est régi par les Règles applicables à ce type de demande (DesRochers au para 32; Forum des maires au para 15 et Règles des Cours fédérales, DORS 98/106, à l’alinéa 300b));
-
Le Commissaire n’est pas un tribunal et ne rend donc pas une décision; il reçoit les plaintes, mène une enquête puis fait un rapport dans lequel il peut inclure des recommandations (Loi, arts 63(1), 61(3); Forum des maires au para 16);
-
Puisque l’absence de suite des recommandations formulées dans ce rapport ne mène qu’à un remède politique, et pour s’assurer que la LLO
« ait des dents »
et que« les droits ou obligations qu’elle reconnaît ou impose ne demeurent pas lettres mortes »
, le législateur a prévu un recours devant cette Cour permettant ainsi au Commissaire ou au plaignant d’obtenir des redressements à la discrétion de la Cour (Loi, art 77-78; DesRochers au para 35; Forum des maires aux para 16-18); -
C’est la qualité de plaignant devant le Commissaire qui permet la qualité de demandeur devant cette Cour; le rapport du Commissaire est ainsi la source ou le prérequis à l’exercice du recours et la date de communication du rapport correspond au point de départ aux fins des délais (Loi, art 77(1); DesRochers au para 34; Forum des maires au para 17);
-
Ce recours vise à vérifier le bien-fondé de la plainte, ou plus précisément des prétentions avancées par le plaignant, et non celui du rapport du Commissaire (DesRochers au para 34; Forum des maires au para 17);
-
Le bien-fondé d’une plainte est examiné en fonction du moment de la violation alléguée et ce sont donc les faits qui existaient à la date du dépôt de la plainte auprès du Commissaire qui sont déterminants quant à l’issue du recours (DesRochers aux para 34, 37, 42; Forum des maires aux para 20, 53);
-
La Cour entend le recours de novo et elle peut examiner toute preuve admissible, dont le rapport du Commissaire; la Cour n’est toutefois pas liée par ce rapport, qui peut être contredit par toute preuve (DesRochers au para 36; Forum des maires aux para 20-21) -et elle peut même, exceptionnellement, prendre connaissance d’éléments de preuve qui n’avaient pas été portés à la connaissance du Commissaire (Loi, art 79);
-
Afin d’accorder des réparations au demandeur, la Cour doit d’abord être satisfaite qu’une institution fédérale a fait défaut de se conformer à la Loi (Loi, par. 77(4); Forum des maires aux para 20-21; Canada (Commissaire aux langues officielles) c CBC/Radio-Canada, 2015 CAF 251 aux para 43, 48);
-
Toute réparation recherchée par un demandeur doit être justifiée par les faits existants au moment de la décision de la Cour et des circonstances qui prévalent à ce moment (DesRochers aux para 34, 37, 42; Forum des maires aux para 20, 53);
-
Enfin, la Cour doit
« exercer son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur son appréciation prudente de la nature du droit et de la violation en cause, sur les faits et sur l’application des principes juridiques pertinents »
(Forum des maires au para 57, citant la Cour suprême du Canada dans Doucet-Boudreau c Nouvelle-Écosse, 2003 CSC 62, aux para 52-55).
[51] Tel que précédemment mentionné, notons qu’au paragraphe 28 de Forum des maires, la Cour d’appel fédérale a conclu que « le recours prévu à l'article 77 est limité aux plaintes fondées sur les articles et parties énumérées au paragraphe 77(1) »
(voir également DesRochers aux para 32-33, notant que depuis 2005, le paragraphe 77(1) vise les articles 4 à 7, 10 à 13 et 91 ainsi que les parties IV, V et VII de la Loi).
VI. Arguments des parties
A. M. Beniey
[52] M. Beniey soumet que l’Agence n’a pas respecté ses droits linguistiques et les obligations qu’elle avait en vertu de la Loi et de la Charte canadienne. Son avis de demande soulève plus spécifiquement les articles 24, 27, 34, 35 à 37 et 41 de la Loi, qui se retrouvent aux parties IV, V et VII de la Loi. Son mémoire contient plus de 100 paragraphes (32 pages) et ses représentations orales faites à l’audition ont durée plus de deux heures. Ainsi, sans mettre de côté aucun des arguments de M. Beniey, la Cour se permet de les résumer ainsi.
[53] Premièrement, au niveau de la partie IV de la Loi qui concerne les communications avec le public et les prestations de services, M. Beniey cite le paragraphe 24(1) de la Loi en soumettant que cette obligation est déterminante car les formulaires de consentement à une évaluation psychologique, ont été envoyés depuis les quartiers généraux de l’Agence, bien que la désignation d’un bureau et les obligations procédurales en matière de première langue officielle ne changent pas selon le type de procédure suivie.
[54] Il ajoute que l’article 27 de la Loi a été rédigé dans l’optique d’obliger les quartiers généraux de l’Agence à toujours fournir leurs services dans les deux langues officielles, sur tout le territoire canadien, et pour l’ensemble de leurs employés, peu importe l’endroit où ses derniers travaillent, et surtout peu importe leur degré de maîtrise de leur seconde langue officielle.
[55] Or, selon lui, à la lecture de l’affidavit de l’affiant de l’Agence et de ses réponses au contre-interrogatoire, il est évident que l’Agence a volontairement et consciemment décidé de ne pas respecter la Loi.
[56] Deuxièmement, quant à la partie V de la Loi qui concerne la langue de travail, M. Beniey réfère au paragraphe 34(1) de la Loi afin de faire valoir qu’il est clairement indiqué qu’il est du devoir des quartiers généraux de l’Agence de veiller à ce que, dans la région de la capitale nationale, leur milieu de travail soit propice à l’usage effectif des deux langues officielles tout en permettant à leur personnel d’utiliser l’une ou l’autre.
[57] Or, M. Beniey soumet que l’Agence n’a présenté aucune politique, ni règlement, qui établit les principes, les règles, les rôles et les responsabilités gouvernant l’utilisation du formulaire en anglais qu’elle lui a fait signer sous la menace. Selon lui, il s’agissait d’une prestation de service avec un employé dans le milieu de travail et ce formulaire provenait directement des quartiers généraux, situés dans la région de la capitale nationale.
[58] M. Beniey fait également valoir que l’Agence a toujours su que les articles 35 à 37 de la Loi prévoient de façon plus précise la teneur des obligations des institutions fédérales en matière de langue de travail. Ainsi, ces articles ont toujours créé une obligation pour les quartiers généraux de l’Agence, en tant qu’institution fédérale, de prendre toutes les mesures permettant de créer et de maintenir un milieu de travail propice à l’usage effectif du français des deux langues officielles.
[59] Selon M. Beniey, les différences entre les formulaires visés par le présent litige créeraient une inégalité entre les anglophones et les francophones.
[60] Troisièmement, quant à la partie VII de la Loi concernant la progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais, M. Beniey soumet qu’il est clair que l’Agence avait une obligation en vertu de l’article 41. Selon lui, il incombe aux institutions fédérales – en l’espèce l’Agence – de veiller à ce que les engagements du gouvernement fédéral en ce qui concerne l’épanouissement des minorités et la promotion du français et de l’anglais sur le lieu de travail, la protection et la promotion du français, ainsi que l’offre de services et de communications dans la langue de la minorité, lesquels sont énoncés aux paragraphes 41(1) à 41(12) de la Loi et conformes aux objectifs de la Loi figurant à l’article 2, soient mis en œuvre par la prise de mesures positives (citant le para 41(5) de la Loi). Notons toutefois que M. Beniey réfère ici à la Loi telle qu’elle existe au moment du dépôt de sa Plainte, en mai 2024, et non telle qu’elle existait au moment des faits à l’origine de la Plainte, qui ont eu lieu en 2017. En 2017, l’article 41 ne contenait que trois paragraphes.
[61] Sous cet argument, M. Beniey ajoute dans son mémoire que les incidents successifs démontrent que l’Agence n’a jamais pris en considération les valeurs consacrées par le paragraphe 16(1) de la Charte canadienne. À l’audience, M. Beniey a souligné qu’il était présumé que la Charte canadienne s’appliquait et qu’il ne se considérait pas inférieur aux autres du fait de sa langue ou de sa couleur de peau. Or, selon lui, l’Agence n’aurait eu aucune retenue et aucune considération pour ses droits sous la Charte canadienne.
[62] Enfin, en ce qui concerne les réparations, M. Beniey soumet que le refus de fournir des explications, les menaces de représailles immédiates pour forcer un employé francophone à signer un formulaire envoyé par les quartiers généraux et rédigé uniquement en anglais, le refus de cesser ce type d'actions dangereuses pour l’unité nationale, la posture d'impunité de l’Agence, l’implication des plus hauts placés de l’Agence basés dans la capitale nationale, illustrent de façon accablante le mépris de cette institution fédérale pour la langue française au Canada et pour les citoyens dont cette langue, bel et bien vivante, est un héritage maternel.
[63] Pour ces raisons, il estime qu’il est capital que cette Cour prenne les mesures fermes, nécessaires et inédites afin que l’Agence dans son ensemble change immédiatement et mette en place des véritables mesures correctives de fond afin que ses gestionnaires régionaux, sa haute direction, ses quartiers généraux et sa présidence elle-même décident de respecter la Constitution canadienne et les droits des francophones du Canada.
B. Agence
[64] Au-delà des questions procédurale et juridictionnelle susmentionnées, au niveau du mérite de la Plainte, l’Agence soumet qu’elle n’a pas enfreint les droits de M. Beniey en lui faisant signer le Formulaire Evaluation en anglais le 28 juillet 2017.
[65] D’abord, lors des événements en cause dans le présent dossier, M. Beniey a admis qu’il était encore à l’emploi de l’Agence. Ainsi, puisque les faits à la base de la Plainte se sont déroulés dans le cadre d’une relation d’emploi, l’Agence soumet que la partie IV de la Loi, qui vise des obligations des institutions fédérales envers le public, n’est pas pertinente.
[66] Quant à la partie VII de la Loi, tel qu’elle existait au moment des faits allégués, elle ne conférait pas de droits individuels à M. Beniey. Elle énonçait plutôt un engagement général des institutions fédérales à prendre des mesures positives afin de favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et d’appuyer leur développement, ainsi que de promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne.
[67] En ce qui concerne la partie V de la Loi, applicable aux employés d’institutions fédérales, l’Agence soumet que dans les régions unilingues comme celle où travaillait M. Beniey au moment des faits, la Loi énonce un critère de comparabilité : la situation des deux langues officielles en milieu de travail doit être « comparable »
entre les régions ou secteurs où l’une ou l’autre prédomine. L’Agence ne soumet toutefois aucune autorité pour supporter sa prétention.
[68] L’Agence ajoute que les droits découlant de la partie V ne sont pas absolus et illimités. Comme l’indique l’article 34 de la Loi, les employés ont le droit d’utiliser le français et l’anglais. La Loi n’a toutefois pas pour objet de conférer à tous les employés fédéraux un droit absolu de travailler exclusivement dans la langue de leur choix (citant Tailleur c Canada (Procureur général), 2015 CF 1230 au para 112).
[69] En l’espèce, l’Agence souligne que M. Beniey allègue que la différence entre les formulaires dont il est question crée une inégalité entre les anglophones et les francophones. Or, selon l’Agence, c’est le principe de la comparabilité à l’alinéa 35(1)b) qui est applicable aux faits de ce dossier. L’obligation pour les institutions fédérales dont les bureaux sont situés en région unilingue pour les fins de la partie V est d’assurer que la situation des deux langues officielles en milieu de travail soit comparable entre les régions ou secteurs où l’une ou l’autre de ces langues prédomine.
[70] L’Agence soumet que puisque M. Beniey travaillait dans la région du pont Queenston dans le sud de l’Ontario, et que cette région n’était pas désignée bilingue au sens du paragraphe 35(2) de la Loi, la langue de supervision du travail était l’anglais (Annexe B de la Circulaire no. 1977-46, Les langues officielles dans la fonction publique du Canada, Déclaration de politiques). Dans un tel contexte, le fait de fournir le formulaire dans cette langue ne constituait pas une violation de la Loi par l’Agence.
[71] De plus, nonobstant l’absence d’obligation sous la partie V de la Loi, l’Agence a tout de même fait des efforts considérables afin de répondre aux préoccupations et aux questions de M. Beniey en français. L’Agence mentionne également que, à la suite d’échanges sur le sujet, le 13 septembre 2017, M. Beniey a reçu une copie en français du formulaire qu’il avait signé le 28 juillet 2017 (Formulation Evaluation), soit le document intitulé « Consentement à subir une évaluation de l’aptitude à porter de l’équipement de défense »
.
[72] Dans ces circonstances, l’Agence soumet que la Cour ne peut conclure que l’Agence a enfreint les exigences des parties IV, V et VII de la Loi lorsque l’Agence a fait signer à M. Beniey un formulaire en anglais le 28 juillet 2017, puisque sa langue de supervision était l’anglais et que de toute façon, il aurait été possible pour M. Beniey de signer la version française dudit Formulaire Evaluation, qui lui a été remis le 13 septembre 2017.
[73] M. Beniey a toutefois refusé de signer la version française du Formulaire Evaluation et a plutôt insisté pour utiliser le Formulaire Assessment, dont il a signé la version française le 15 septembre 2017. Ainsi, à partir de ce moment, il ne s’agit pas d’un enjeu lié aux langues officielles, mais plutôt d’un enjeu de contenu des formulaires, qui constitue une question liée au droit de gérance et de ressources humaines.
[74] Enfin, au niveau des réparations recherchées par M. Beniey, l’Agence souligne que les mesures de réparation convenables et justes doivent être déterminées à la lumière du contexte et des circonstances propres à l’Agence et des manquements en cause au moment où l’affaire est mise en délibéré. Le remède variera selon que la violation a continué ou non et il doit être équitable pour l’institution fédérale. L’Agence fait ainsi valoir que si l’institution fédérale a pris des mesures et a remédié aux problèmes soulevés par la Plainte au moment de l’audition (voire même, comme en l’instance, avant le dépôt de la Plainte), la Cour peut choisir de ne pas accorder de réparation (citant Doucet-Boudreau c Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62 aux para 55, 58-59; Forum des maires aux para 20, 53, 62; et DesRochers au para 37).
[75] En l’espèce, l’Agence soumet qu’elle a mis à jour ses formulaires, autant en anglais qu’en français, sur son site web interne, et ce, avant même le dépôt de la Plainte. Conséquemment, dans l’éventualité où la Cour conclut que l’Agence avait enfreint la Loi en faisant signer un formulaire en anglais à M. Beniey le 28 juillet 2017, étant donné l’évolution de la situation, l’Agence soumet qu’aucune réparation ne devrait être accordée. Subsidiairement, l’Agence soumet qu’une déclaration à l’effet qu’elle a violé les droits linguistiques de M. Beniey le 28 juillet 2017, en lui faisant signer un formulaire disponible uniquement en anglais, devrait être la seule réparation convenable si la Cour considère qu’il est souhaitable d’exercer sa discrétion pour accorder une réparation.
VII. Analyse
[76] M. Beniey avait le fardeau de démontrer que l’Agence a violé un droit ou une obligation prévu à l’un des articles mentionnés au paragraphe 77(1) de la Loi (Leduc c Canada, 2000 CanLII 15454 (CF) au para 20; Knopf c Canada (Chambre des Communes), 2006 CF 808 au para 38, appel rejeté 2007 CAF 308, autorisation de pourvoi à la CSC rejetée, 32416 (20 mars 2008); Fédération de la Police Nationale c Canada (Procureur général), 2024 CF 53 au para 15). Il n’a pas réussi.
[77] Tel que plus amplement détaillé ci-après, non seulement les faits reprochés ont été corrigés avant le dépôt de la Plainte, mais même en fonction des faits qui existaient en 2017, la Cour est d’avis que la Plainte était non fondée.
A. Les faits à la base de la Plainte ont été corrigés au moment de son dépôt
[78] Près de sept ans se sont écoulés entre les faits à la base de la Plainte et le dépôt de celle-ci par M. Beniey. Bien qu’à l’audition il ait fourni certaines informations pour expliquer le caractère tardif de son recours, celles-ci n’ont pas été mise en preuve. Tel que déjà mentionné, la Cour ne peut donc les considérer.
[79] À tout événement, tel que mentionné précédemment, le bien-fondé d’une plainte « est déterminé en fonction du moment de la violation alléguée »
, c’est-à-dire en fonction de la Loi et selon les faits tels qu’ils existent au moment où ladite plainte est déposée devant le Commissaire (DesRochers au para 34; Forum des maires au para 20; Fédération des francophones de la Colombie-Britannique c Canada (Emploi et Développement social), 2018 CF 530 au para 68 infirmé sur d’autres points par 2022 CAF 14, autorisation de pourvoi à la CSC refusée 40114 (2 février 2023)). Or, l’affidavit et le contre-interrogatoire de Mme Barbeau révèlent que les formulaires utilisés par l’Agence depuis au moins avril 2023, soit la date d’entrée en fonction de Mme Barbeau, sont disponibles pour les employés de l’Agence sur l’intranet dans les deux langues officielles.
[80] Mme Barbeau confirme également que le Formulaire Evaluation, au cœur de la Plainte de M. Beniey, a été remplacé par des formulaires bilingues.
[81] Ainsi, sur le fondement des seules informations disponibles à la Cour au sujet de la Plainte de M. Beniey, soit celles qui se trouvent dans l’avis de refus d’enquêter, et sur la base de la preuve disponible, il appert évident pour la Cour que l’Agence a remédié à tout enjeu lié au formulaire faisant l’objet de la Plainte et ce, avant même que celle-ci ait été déposée.
[82] La Plainte n’était donc pas fondée au moment où elle est déposée en 2024 (Forum des maires au para 53). Mais il y a plus.
B. La Plainte n’est pas bien fondée en droit
[83] En juillet 2017, selon la Loi applicable à l’époque, la Cour est d’avis que le fait pour un employeur dans une région anglophone (non désignée bilingue) de transmettre des documents en anglais à un employé, ne constituait pas nécessairement une violation de la Loi, même lorsque la langue première de cet employé était le français.
[84] En effet, même en tenant pour acquis que les faits allégués au paragraphe 29 du Mémoire seraient les mêmes que ceux soulevés dans la Plainte au Commissaire (ce que, je le répète, la Cour n’est pas en mesure de vérifier), la Cour est d’avis que les parties IV et VII ne s’appliquaient pas à la Plainte, et qu’il n’y a pas eu violation à la partie IV de la Loi, et ce, pour les motifs que l’Agence détaille dans son mémoire, avec lesquels la Cour est en accord.
[85] La Cour partage notamment l’avis de l’Agence que la partie IV de la Loi vise les communications avec le public et les prestations de services des institutions fédérales auprès du public. Une lecture holistique de la Loi permet de conclure que cette section ne s’applique pas aux employés des institutions fédérales, lorsque les violations alléguées ont été faites dans le cadre de la relation d’emploi. Le caractère mutuellement exclusif des catégories « employé »
et « public »
est rendu évident par l’article 31 de la Loi qui prévoit notamment qu’en cas d’incompatibilité, les droits reconnus au public par la Partie IV l’emportent sur ceux reconnus aux travailleurs fédéraux par la Partie V. (voir notamment Tailleur aux para 40, 54-60); voir aussi Temple c Via Rail Canada inc, 2019 CF 858 au para 76 et 77). Ceci semble également confirmé par la définition de « public »
qui se retrouve dans la Directive sur les langues officielles pour les communications et services [Directive] (disponible en ligne) et qui exclut les employés.
[86] La Cour n’est pas convaincue par l’argument de M. Beniey fait à l’audience, que le fait d’exiger qu’un employé procède à une évaluation psychologique afin de déterminer son aptitude à porter une arme à feu dans le cadre de ses fonctions, constituerait un service au sens de la partie IV de la Loi, même si ceci implique qu’un service sera fourni par un médecin spécialiste, membre du public.
[87] Par ailleurs, bien qu’il soit vrai que la preuve au dossier indique que les gestionnaires de M. Beniey désiraient communiquer eux-mêmes les documents pertinents au médecin spécialiste qui serait choisi par M. Beniey, il n’y a aucune preuve que ceci fut le cas. Ainsi, dans les faits, l’argument de « communication au public »
soulevé par M. Beniey ne peut être retenu.
[88] C’est plutôt la partie V de la Loi qui impose des droits et des obligations en matière de langue de travail des employés fédéraux qui s’applique. Toutefois, comme on peut le constater è la lecture de l’article 35 de la Loi, ces obligations varient selon que la région visée est une région désignée bilingue ou non.
[89] En l’instance, la région du sud de l’Ontario n’est pas une région désignée bilingue selon la circulaire no 1977-46 du Conseil du Trésor et de la Commission de la fonction publique du 30 septembre 1977, à l’annexe B (disponible en ligne) (paragraphe 35(2) de la Loi), et ainsi c’est le paragraphe 35(1)b) de la Loi qui trouve application.
[90] La Cour accepte ici l’argument de l’Agence que, dans un tel cas, la Loi énonce un critère de comparabilité, et ce, même si l’Agence ne soumet aucune autorité pour supporter sa prétention. En effet, bien que le libellé du paragraphe 35(1)b) de la LLO soit inchangé depuis au moins 23 ans (voir Loi sur les langues officielles, LRC 1985, c 31 (4e suppl) tel que parue le 31 décembre 2002 à l’art 35), le contenu exact de cette norme de comparabilité ne semble pas avoir fait l’objet d’une analyse jurisprudentielle.
[91] L’affaire Dionne c Canada (Bureau du surintendant des institutions financières), 2019 CF 879 aux para 596-598 (inf sur d’autres points par 2021 CAF 159), indique néanmoins ce qui suit sur l’article 35(1)b) de la LLO :
[596] La seule disposition pertinente concernant les droits linguistiques dans les régions unilingues est l’article 35(1)b) de la LLO, qui est rédigé ainsi :
Obligations des institutions fédérales
35 (1) […]
b) ailleurs au Canada, la situation des deux langues officielles en milieu de travail soit comparable entre les régions ou secteurs où l’une ou l’autre prédomine.
[597] Dans les régions non désignées, le concept d’égalité de statut, d’usage et de privilèges des deux langues est remplacé par celui de langue prédominante. Cela semblerait être un indicateur très pertinent de la manière dont cette question devrait être réglée.
[598] Comme on le voit, la seule directive légale sur les milieux de travail concerne les milieux de travail d’une institution. Si une institution a des bureaux dans les deux régions unilingues dominantes, ses milieux de travail devraient être comparables.» (emphase ajouté)
[92] C’est également ce qu’indique la Directive, à sa section 6.3.2 (Régions unilingues). Selon cette Directive, l’Agence devait « s'assurer que, sous réserve des exigences établies dans la Directive sur les langues officielles pour la gestion des personnes, les communications et les services qui s'adressent exclusivement aux employés situés dans les régions unilingues sont dans la langue officielle qui prédomine dans la province ou le territoire où sont situés les employés »
(emphase ajouté).
[93] Vu ce qui précède, et puisque la langue anglaise est celle qui prédomine dans la région unilingue de Queenston, M. Beniey n’a pas convaincu la Cour que le fait que ses gestionnaires lui aient communiqué un formulaire anglophone constituait une violation de la Loi.
[94] D’abondant, la Cour partage la position de l’Agence que les droits découlant de la partie V ne confèrent pas à tous les employés fédéraux un droit absolu de travailler exclusivement dans la langue de leur choix. Cela est vrai même dans les régions désignées bilingues (Canada (Commissaires aux langues officielles) c Bureau du surintendant des institutions financières, 2021 CAF 159 au para 105; Tailleur au para 112).
[95] Vu ce qui précède, M. Beniey n’a pas convaincu la Cour que les gestionnaires de Queenston avaient une obligation en vertu de la partie V de la Loi, de fournir à M. Beniey le Formulaire Evaluation en français, et ce, même si ce formulaire provenait des quartiers généraux, situés dans la capitale nationale et donc en région bilingue, comme le prétend M. Beniey.
[96] Cela dit, sans être un droit en la matière, la demande de M. Beniey d’obtenir les documents pertinents en français, afin de bien en comprendre la teneur, était légitime. Ses gestionnaires ont d’ailleurs fait le nécessaire pour les lui transmettre, et ce, dans un délai raisonnable. Ainsi, même s’il y avait eu violation, celle-ci a été corrigée rapidement.
[97] Selon M. Beniey, les différences entre les formulaires visés par le présent litige créent une inégalité entre les anglophones et les francophones. Toutefois, il n’est pas clair s’il fait référence ici aux différences entre le contenu du Formulaire Evaluation et le Formulaire Assessment, ou à des différences entre les versions françaises et anglaises.
[98] Le Demandeur affirme en effet, à plusieurs reprises, constater des différences substantielles entre le Formulaire Evaluation qu’on lui a fait signer en anglais, et la version française du Formulaire Assessment qu’il a lui-même localisé sur l’intranet de l’Agence, notamment quant aux droits que chacun garantirait au travailleur signataire, sans diriger la Cour vers des éléments concrets. Il appert des échanges courriels entre le Demandeur et les responsables de l’Agence que certaines différences ont bien pu exister, notamment dans la mesure où on lui a indiqué que le Formulaire Assessment -disponible sur l’Intranet- serait modifié pour rapprocher son contenu de celui du Formulaire Evaluation qu’on lui a fait signer, mais aucune différence de nature à lui causer un préjudice n’a été spécifiquement identifiée. À tout événement, ces différences semblent viser des enjeux de contenu et non de langue.
[99] Dans le premier cas, la Cour est en accord avec l’Agence que le fait d’insister pour que M. Beniey signe le Formulaire Evaluation, plutôt que le Formulaire Assessment, relève du droit de gérance sur lequel la Cour n’a aucune juridiction. Essentiellement toute question qui, en substance, concerne le droit de gérance de l’employeur et son exercice vis-à-vis un employé plutôt que les droits linguistiques, échappe à la compétence de notre Cour, dans la mesure où la seule question dont elle est valablement saisie concerne de potentielles violations des obligations que la Loi impose à l’Agence en termes de langues officielles (Rogers c Canada (Ministre de la Défense nationale), 2001 CFPI 90, aux para 28-29; Knopf au para 40).
[100] Quant aux différences entre les versions françaises et anglaises, d’un même formulaire, la preuve au dossier n’indique aucune inégalité et M. Beniey n’a fourni aucune explication au soutien de cet argument.
[101] Enfin, et contrairement aux prétentions de M. Beniey à l’effet qu’il aurait été maltraité par l’Agence, après l’écoute des nombreux enregistrements et la révision des échanges courriels entre M. Beniey et ses dirigeants, la Cour ne voit aucun mauvais traitement de la part de l’Agence envers M. Beniey. Ainsi, la Cour est d’avis qu’il n’y a pas eu violation de la partie V de la Loi en l’instance.
[102] Quant à la partie VII de la Loi, bien que, depuis 2005, l’article 41 ne soit plus de nature exclusivement déclaratoire, grâce à l’ajout des paragraphes 2 et 3 qui étaient en vigueur au moment de la plainte de M. Beniey (Desrochers au para 20; Commissaire aux langues officielles) c Canada (Emploi et Développement social), 2022 CAF 14 [Fédération des francophones de la Colombie-Britannique] aux 128-144), en vertu du paragraphe 41(2) de la Loi, les institutions fédérales comme l’Agence avaient une certaine discrétion quant au choix des mesures à prendre pour réaliser les trois objectifs posés par le paragraphe 41(1). Comme le Procureur général le note, dans Fédération des francophones de la Colombie-Britannique (au para 163), notre Cour d’appel fédérale a défini un test en deux étapes pour analyser les allégations de violation de l’article 41(2) comme celle formulée en l’instance par M. Beniey :
Les institutions fédérales doivent d’abord être sensibles à la situation particulière des diverses minorités de langues officielles du pays et déterminer l’impact des décisions et des initiatives qu’elles sont appelées à prendre les concernant. Dans un deuxième temps, les institutions fédérales doivent, dans la mise en œuvre de leurs décisions et initiatives, agir, dans la mesure du possible, afin de favoriser l’épanouissement de ces minorités; ou dans le cas où ces décisions et initiatives sont susceptibles d’avoir un impact négatif, agir, dans la mesure du possible, afin de pallier ou atténuer ces répercussions négatives.
[103] Ainsi, bien que l’article 41(2) imposait à l’Agence de prendre des mesures pour, entre autres choses, « favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada »
, cet article ne prescrit pas de mesures spécifiques.
[104] Aussi, comme le juge Tremblay-Lamer l’a écrit dans Picard: « les tribunaux doivent se limiter aux circonstances factuelles relatives à une décision particulière plutôt que d’examiner l’ensemble de la politique linguistique du gouvernement à chaque fois qu’ils sont saisis d’un recours fondé sur la partie VII. »
(Picard c Canada (Commissaire aux brevets), 2010 CF 86 au para 68). Autrement dit, l’invocation de l’article 41 ne permet pas au plaignant de demander à la Cour qu’elle examine l’ensemble des politiques de l’Agence. En l’espèce, sa Plainte portait sur une décision spécifique, prise par l’Agence le 28 juillet 2017, soit celle de lui faire signer un formulaire en anglais.
[105] Conséquemment, pour avoir gain de cause, M. Beniey devait d’abord établir que l’Agence avait l’obligation de fournir à ses employés francophones des versions françaises des formulaires qu’elle utilise à l’interne, même dans les régions non désignées bilingues, et ce, non pas dans un délai raisonnable, comme elle l’a fait en l’espèce, mais immédiatement. Il ne s’est pas déchargé de ce fardeau.
[106] Dans Association des juristes d’expression française du Nouveau-Brunswick, la juge Saint-Louis a conclu qu’étant donné le principe constitutionnel de séparation des pouvoirs et dans la mesure où l’article 41(3) tel qu’il se lisait en 2017 prévoit que c’est le gouvernement qui, par voie réglementaire, « fixe les modalités d’exécution »
des obligations de l’article 41,« la Cour ne peut se substituer au gouverneur en conseil pour établir, en l’absence d’un règlement, les modalités d’exécution de [l’obligation prévue par 41(2)] »
(Association des juristes d’expression française du Nouveau-Brunswick c Canada (Ministère de la Justice), 2024 CF 1464, au para 55).
[107] En l’absence de preuve établissant que les objectifs de l’article 41(1) ne pouvaient pas être réalisés en 2017, sans obliger l’Agence à rendre disponibles des versions française et anglaise de tous les formulaires qu’elle remet à ses employés sans délai aucun, quelles que soient les circonstances, même dans les régions non désignées bilingues, il n’appartiendrait pas à cette Cour de faire une telle détermination.
[108] À titre auxiliaire, forcer l’Agence à communiquer avec ses employés dans la langue de leur choix dans tout le pays pourrait effacer la différence que la Loi fait entre les régions désignées bilingues et celles qui ne le sont pas. M. Beniey ne peut pas tenter d’élargir les obligations qu’imposent déjà la Partie V de la Loi en s’appuyant sur sa partie VII, et la Cour ne peut pas bouleverser l’équilibre que le législateur a choisi avec les articles 35 et 36 (Picard au para 77).
C. Dans tous les cas, il n’y a pas lieu d’accorder les réparations recherchées par M. Beniey
[109] Comme le rappelle la Cour d’appel fédérale dans Forum des maires, « la Cour dispose d’une très grande latitude en ce qui a trait au choix de la réparation qu’elle « estime convenable et juste eu égard aux circonstances » »
(Forum des maires au para 56).
[110] De plus, les remèdes recherchés par un demandeur doivent être fondés sur la situation qui prévaut au moment de la décision de la Cour. Tel que le souligne la Cour d’appel fédérale : « Il va de soi que si les carences reprochées ont toutes été corrigées au moment du procès, et si la plainte n'est alors plus justifiée, le juge pourra choisir de n'ordonner aucune réparation, si ce n'est, par exemple, que sous forme de dépens. »
(Forum des maires au para 53; voir aussi DesRochers au para 37; Picard au para 78).
[111] Cela était par exemple le cas dans Forum des maires où la Cour d’appel fédérale a annulé la décision de la Cour fédérale puisque la plainte originale n’était plus fondée au moment de la mise en délibérée et que les réparations ordonnées par la Cour fédérale n'étaient pas convenables et justes eu égard aux circonstances (Forum des maires au para 85).
[112] Une fois de plus, à la lumière de l’affidavit et du contre-interrogatoire de Mme Barbeau qui indiquent tous deux que le formulaire présumément problématique a été traduit dans les deux langues officielles, et ce, avant même le dépôt de la Plainte, la Cour est d’avis qu’il n’y a aucun fondement factuel appuyant les remèdes recherchés par M. Beniey.
[113] À tout événement, même s’il y avait eu une violation, ce qui n’est pas le cas, étant donné le délai pour agir de M. Beniey et le fait que le préjudice qu’il allègue était minime, la Cour aurait refusé d’octroyer des dommages ou autre réparation. À certains égards, la situation me semble analogue à Leduc c Air Canada, où le juge Harrington a refusé tout dépend au demandeur, notamment étant donné la tardiveté de son action, et ce nonobstant le fait qu’il a eu gain de cause sur certains points (2018 CF 1117 au para 64).
[114] D’abondant, M. Beniey n’a soumis aucune preuve justifiant des dommages punitifs (Lavigne c Canada (Développement des ressources humaines) (1ere inst), 1996 CanLII 3854 au para 28 citant la Cour suprême du Canada dans Vorvis c Insurance Corporation of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 1085 aux pp. 1101 et 1108).
VIII. Conclusion
[115] Pour les raisons qui précèdent, le recours de M. Beniey en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi est rejeté.
IX. Dépens
[116] La Cour a invité les parties à tenter de s’entendre sur les dépens dans les dix (10) jours de l’audience ou à défaut, à fournir des représentations écrites sur ceux-ci dans un délai de trente (30) jours. La Cour n’a rien reçu à ce sujet de M. Beniey mais a reçu, le 7 août 2025, une lettre de l’Agence confirment l’absence d’entente vu le silence de M. Beniey malgré les invitations de l’Agence à en discuter, ainsi que des projets de mémoires de frais de l’Agence.
[117] L’Agence soumet « qu’il ne s’agit pas ici d’un cas où le litige a soulevé un principe important et nouveau et que la Cour ne devrait donc pas déroger au principe général prévu au paragraphe 81(1) de la Loi sur les langues officielles selon lequel les frais et dépens suivent le sort du principal »
. Le Cour est d’accord.
[118] Après avoir pris connaissance des mémoires de frais et des circonstances propres au présent dossier, incluant le fait que la Plainte a été déposée près de 7 ans après les événements reprochés et que ceux-ci avaient été réglés avant même le dépôt de la Plainte, et sur la base de ses pouvoirs discrétionnaires, la Cour juge que des dépens de 9 000 $ en faveur de l’Agence sont adéquats.
X. Obiter
[119] Lors de l’audition, M. Beniey a admis qu’il avait utilisé plusieurs mots forts et lourds de sens dans son Mémoire. Bien qu’il admette également que le litige entre les parties n’en est pas un lié à la race, il explique que le langage utilisé visait à démontrer à quel point il avait été mal traité par l’Agence.
[120] Avec égard, la Cour est d’avis que l’usage de tels mots était démesuré et n’avait pas sa place dans le cadre de ce litige et invite M. Beniey à faire usage de retenue dans le futur. Accuser quelqu’un d’esclavage et de racisme peut être lourd de conséquences. Cela peut également impacter la crédibilité de celui qui utilise un tel langage sans un soupçon de preuve et de fondement.
JUGEMENT dans le dossier T-1374-24
LA COUR STATUE que :
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Le recours de M. Beniey en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi est rejeté.
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M. Beniey devra verser des dépens de 9 000 $ à l’Agence dans les 30 jours du présent jugement.
« Danielle Ferron »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
T-1374-24 |
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INTITULÉ : |
RÉGIS BENIEY c. AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA |
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
Montréal (Québec) |
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 10 JUILLET 2025 |
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT : |
LA JUGE FERRON |
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DATE DES MOTIFS : |
LE 2 septembre 2025 |
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COMPARUTIONS :
Régis Beniey |
DEMANDEUR (POUR SON PROPRE COMPTE) |
Me Martin Leblanc Me Michèle Plamondon |
POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE (Agence des services frontaliers du Canada) |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Me Michèle Plamondon Me Martin Leblanc Ministère de la Justice Canada Ottawa (Ontario) |
Pour la partie défenderesse (AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA) |