Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 20250829

Dossier : T-2398-25

Référence : 2025 CF 1443

Ottawa (Ontario), le 29 août 2025

En présence de monsieur le juge adjoint Shannon

ENTRE :

NAZIK MERZOUKI

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le défendeur demande par voie de requête écrite en vertu de la Règle 369 des Règles des Cours fédérales [Règles] que la Cour rejette l’avis de demande de la demanderesse pour les motifs suivants :

  • a)l’avis n’identifie pas la décision administrative que la demanderesse cherche à attaquer et semble viser plus d’une décision dans le même avis de demande sans avoir obtenu l’autorisation de la Cour;

  • b)l’avis ne présente pas un énoncé complet et concis des motifs invoqués – c’est-à-dire que l’avis de demande ne contient aucune allégation expliquant le contenu des décisions visées ni aucun motif pour soutenir qu’elles sont déraisonnables; et,

  • c)l’avis demande des remèdes qui ne peuvent être accordés par la Cour.

[2] Bien qu’elle ait été signifiée avec la présente requête le 8 août 2025, tel qu’il appert de l’attestation de signification qui figure au dossier de la Cour, la demanderesse n’a ni signifié ni déposé un dossier de réponse à la présente requête, ni demandé de prorogation de délai pour le faire. La requête sera donc tranchée sans représentations de la demanderesse.

[3] Pour les motifs qui suivent, la requête du défendeur est accueillie, l’avis de demande est radié sans autorisation pour sa modification, et la demande de la demanderesse est rejetée.

I. LE DROIT APPLICABLE

[4] Le juge Pentney a bien résumé le droit applicable aux requêtes en radiation d’un avis de demande de contrôle judiciaire aux paragraphes 52 à 54 de l’arrêt Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie c Premières Nations de Listuguj Mi’gmaq, 2023 CF 1206 comme suit :

[52] L’arrêt de principe portant sur le critère relatif aux requêtes en radiation d’un avis de demande de contrôle judiciaire devant la Cour est JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c Canada (Revenu national), 2013 CAF 250 [JP Morgan], dans lequel la Cour d’appel fédérale a décrit l’approche à suivre de la façon suivante :

[47] La Cour n’accepte de radier un avis de demande de contrôle judiciaire que s’il est « manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli » : David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.), à la page 600. Elle doit être en présence d’une demande d’une efficacité assez radicale, un vice fondamental et manifeste qui se classe parmi les moyens exceptionnels qui infirmeraient à la base sa capacité à instruire la demande : Rahman c. Commission des relations de travail dans la fonction publique, 2013 CAF 117, au paragraphe 7; Donaldson c. Western Grain Storage By‑Products, 2012 CAF 286, au paragraphe 6; Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959.

[48] Il existe deux justifications d’un critère aussi rigoureux. Premièrement, la compétence de la Cour fédérale pour radier un avis de demande n’est pas tirée des Règles, mais plutôt de la compétence absolue qu’ont les cours de justice pour restreindre le mauvais usage ou l’abus des procédures judiciaires : David Bull, précitée, à la page 600; Canada (Revenu national) c. Compagnie d’assurance‑vie RBC, 2013 CAF 50. Deuxièmement, les demandes de contrôle judiciaire doivent être introduites rapidement et être instruites « à bref délai » et « selon une procédure sommaire » : Loi sur les Cours fédérales, précitée, au paragraphe 18.1(2) et à l’article 18.4. Une requête totalement injustifiée — de celles qui soulèvent des questions de fond qui doivent être avancées à l’audience — fait obstacle à cet objectif.

[53] Lorsqu’elle examine un avis de demande de contrôle judiciaire, la Cour « doit faire une “appréciation réaliste” de la “nature essentielle” de la demande en s’employant à en faire une lecture globale et pratique, sans s’attacher aux questions de forme » (JP Morgan, au para 50, renvois omis). (Voir aussi Wenham c Canada (Procureur général), 2018 CAF 199 aux para 33‑34; Bernard c Canada (Procureur général), 2019 CAF 144 au para 33.)

[54] Les affidavits ne sont généralement pas admissibles à l’appui de requêtes en radiation d’une demande de contrôle judiciaire, essentiellement parce que le vice dans l’avis de demande doit être fondamental et manifeste. « Un vice dont la démonstration nécessite le recours à un affidavit n’est pas manifeste » (JP Morgan, au para 52.) Les faits allégués dans l’avis de demande de contrôle judiciaire sont tenus pour avérés à condition qu’ils puissent être prouvés devant un tribunal (Turp c Canada (Affaires étrangères), 2018 CF 12 au para 20). Puisque le demandeur est tenu de présenter l’ensemble de ses motifs dans son avis de demande, il n’a pas besoin de déposer d’affidavit pour compléter sa version des faits. Constitue une exception relative à l’interdiction de présenter un affidavit le fait que chaque partie peut déposer un affidavit comprenant des renseignements contextuels, lequel est mentionné et incorporé par renvoi à l’avis de demande (JP Morgan, au para 54).

[5] La décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Wenham c Canada (Procureur général), 2018 CAF 199 [Wenham] confirme que le test applicable exige qu’il soit manifeste et évident que l’avis de demande soit voué à l’échec (Wenham au para 33).

[6] Au paragraphe 36 de cette même décision, la Cour précise qu’une demande de contrôle judiciaire peut échouer à chacune des trois étapes du processus :

[36] Une demande peut être vouée à l’échec à l’une ou l’autre de ces trois étapes :

I. Objections préliminaires. Une demande qui n’est pas autorisée par la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C., 1985, ch. F‑7, ou qui ne vise pas des questions de droit public peut être annulée dès le départ : JP Morgan, au paragraphe 68; Highwood Congregation of Jehovah's Witnesses (Judicial Committee) c. Wall, 2018 CSC 26, [2018] 1 R.C.S. 750; Air Canada c. Administration portuaire de Toronto, 2011 CAF 347, [2013] 3 R.C.F. 605. Les demandes qui ne sont pas présentées en temps opportun peuvent être prescrites en vertu du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales. Les contrôles judiciaires qui portent sur des questions qui ne sont pas justiciables peuvent également être interdits : Première nation des Hupacasath c. Ministre des Affaires étrangères, 2015 CAF 4. Parmi les autres interdictions possibles, mentionnons la chose jugée, la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et l’abus de procédure (Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, [2001] 2 R.C.S. 460; Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77), l’existence d’un autre recours à un autre tribunal (caractère prématuré) (C.B. Powell Limited c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 61, [2011] 2 R.C.F. 332; JP Morgan, aux paragraphes 81 à 90), et le caractère théorique (Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342).

II. Le bien-fondé de l’examen. Les décisions administratives peuvent comporter des erreurs de fond, des erreurs de procédure ou les deux. Les erreurs de fond sont évaluées conformément à l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; les erreurs de procédure sont évaluées en grande partie selon Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817. Dans certaines circonstances, la demande est vouée à l’échec dès le départ. Par exemple, une demande fondée sur des vices de procédure qui ont fait l’objet d’une renonciation n’a aucune chance d’être accueillie :Irving Shipbuilding Inc. c. Canada (Procureur général), [2010] 2 R.C.F. 488, 2009 CAF 116.

III. La réparation. Dans certains cas, la réparation demandée n’est pas disponible en droit (JP Morgan, aux paragraphes 92 à 94), et la demande peut donc être annulée en tout ou en partie pour cette raison.

[7] La présente requête en est une qui soulève une objection en matière de procédure de base : la demanderesse ne plaide ni les faits matériels nécessaires à la viabilité de l’instance, ni un énoncé complet et concis des motifs qu’elle entend invoquer. Le défendeur soulève aussi des objections quant à la réparation recherchée.

II. L’AVIS DE DEMANDE

[8] La demanderesse sollicite la révision judiciaire d’une ou plusieurs décisions de l’Agence du revenu du Canada (« l’ARC ») concernant le deuxième examen de son dossier relativement à son admissibilité aux « prestations de la covid ». La décision en question est datée du 6 juin 2025.

[9] L’avis de demande comprend la description suivante de la ou des décisions contestées ainsi que des motifs de la contestation :

La présente est une demande de contrôle judiciaire concernant Agrence [sic] du Revenu du Canada le 6 [j]uin 2025 et reçu le lendemain le 7 [j]uin 2025 par l’entremise de l’agent Ahmed R.

Décision prise par Revenu Canada (Ahmed R Agent validation des prestations d’urgence.) Réf C0065380467-001-45 au nom de Nazik Merzouki

Décision en lien de rembourser les prestations de la covid (PCU…) alors que nous avons respecté les directives fédérales de l’époque.

L’objet de la demande est le suivant : Contrôle judiciaire pour revoir la décision prise par Revenu Canada le 6 juin 2025 communiqué reçu par l’agent afin de ne pas être obligé de rembourser la somme totale qui dépasse 30.000 $

Les motifs de la demande sont les suivants : revoir la Décision prise par Revenu canada [sic] selon toute disposition législative ou règle applicable pour ne pas être obligé de rembourser la somme totale qui dépasse 30.000 $

[10] La demanderesse n’identifie pas et ne plaide pas de quelle manière ni pour quels motifs l’ARC aurait erré dans sa décision. De plus, la demanderesse ne précise pas quelles prestations d’urgence ont été refusées par l’ARC. Bref, elle ne met pas véritablement en cause la ou les décisions de l’ARC en question et, bien qu’elle demande la révision judiciaire, sa demande ne spécifie pas la ou les décisions administratives qui ont été prises par l’ARC à son égard.

[11] Quant à la réparation recherchée, la demanderesse demande à la Cour de « revoir la décision » de l’ARC pour qu’elle ne soit pas obligée de rembourser les prestations reçues.

III. L’ARGUMENT

[12] Le défendeur plaide que l’avis de demande ne précise pas quelle(s) décision(s) la demanderesse cherche à contester. La lettre du 6 juin 2025 de l’ARC contient trois décisions, concluant à l’inadmissibilité de la demanderesse à la Prestation canadienne d’urgence (« PCU »), à la Prestation canadienne de la relance économique (« PCRE ») et à la Prestation canadienne pour les travailleurs en cas de confinement (« PCTCC »). Contrairement à la Règle 301(c)(ii), qui requiert qu’un avis de demande contienne « les particularités de l’ordonnance qui fait l’objet de la demande », l’avis de demande n’identifie pas laquelle des trois décisions de l’ARC est visée.

[13] Or, si la demanderesse cherche à contester les trois décisions de l’ARC, l’avis de demande ne le précise pas. La Règle 302 stipule qu’en l’absence d’autorisation de la Cour, une seule décision administrative peut être contestée dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire.

[14] Le défendeur plaide également que la demanderesse a fait défaut de présenter un énoncé de la réparation demandée ou un énoncé complet et concis des motifs invoqués au soutien de sa demande, contrairement aux Règles 301(d) et (e). Ce faisant, ce dernier ne satisfait pas aux exigences procédurales de la Cour. Le défaut de formuler adéquatement les allégations qui, si elles sont avérées, pourraient amener le tribunal à exercer son pouvoir discrétionnaire en matière de contrôle judiciaire, porte un coup fatal à une demande de contrôle judiciaire (Couture c Canada (Agence du revenu), 2024 CF 1283 au para 12, conf par 2025 CF 67 (CanLII); JP Morgan aux paras 38 à 46; Soprema Inc c Canada (Procureur général), 2021 CF 732 aux paras 37 à 39, conf par 2022 CAF 103; Blair c Canada (Procureur général), 2022 CF 957 [Blair] au para 10).

IV. ANALYSE

[15] Même interprété de façon large et libérale, l’avis de demande n’identifie pas clairement la ou les décisions de l’ARC visées. Un avis de demande qui ne présente pas les particularités de la décision attaquée conformément à la Règle 301(c)(ii) ne satisfait pas aux exigences procédurales de la Cour (Coalition canadienne pour les droits aux armes à feu c Canada (Procureur générale), 2021 CF 447 aux paras 30 et 31). De plus, si la demanderesse avait l’intention de contester les trois décisions de l’ARC contenues dans la lettre du 6 juin 2025, son avis de demande enfreint la Règle 302, qui exige qu’un demandeur obtienne l’autorisation de la Cour s’il souhaite contester plusieurs décisions dans le cadre d’une seule demande de contrôle judiciaire.

[16] De surcroît, la demanderesse n’identifie pas comment ni pour quels motifs l’ARC aurait erré dans sa décision, ce qui contrevient aux exigences de la Règle 301(e). Il est bien établi que :

[…] dans un avis de demande de contrôle judiciaire, le demandeur doit présenter un énoncé « précis » de la mesure demandée et un énoncé « complet et concis » des motifs qu’il entend invoquer. L’énoncé « complet » des motifs englobe tous les moyens de droit et les faits essentiels qui, s’ils sont exacts, appellent l’octroi de la mesure demandée (JP Morgan aux para 38 et 39).

(Couture c Canada (Agence du revenu), 2025 CF 67 (CanLII) au para 39)

[17] Par conséquent, je suis d’accord avec le défendeur : l’avis de demande ne contient pas les éléments essentiels ou minimaux nécessaires pour qu’il puisse avoir une chance de succès (JP Morgan aux paras 38 à 40; Blair au para 10). L’avis de demande n’énonce aucun fait ni motif susceptible de démontrer que la décision de l’ARC est déraisonnable, puisqu’il ne fournit aucune information substantielle sur le contenu de la décision à examiner.

V. CONCLUSION

[18] Je conclus que la demande de contrôle judiciaire formulée par la demanderesse est manifestement irrégulière et vouée à l’échec, au point de n’avoir aucune chance d’être accueillie pour les motifs ci-dessus. Étant donné que l’avis de demande n’a aucune chance d’être accueillie, je ne vais pas autoriser sa modification (Al Omani c Canada, 2017 CF 786 au para 18).

[19] Compte tenu de la conclusion ci-dessus, il n’est pas nécessaire que la Cour se prononce sur l’argument supplémentaire du défendeur selon lequel l’avis de demande sollicite des réparations qui ne peuvent être accordées par la Cour fédérale.


 

JUGEMENT au dossier T-2398-25

LA COUR STATUE que :

  1. L’intitulé de la présente affaire est modifié afin de refléter que le défendeur est le « Procureur général du Canada ».

  2. La requête du défendeur est accueillie.

  3. L’avis de demande de la demanderesse est radié en son entièreté sans autorisation pour sa modification.

  4. La demande de la demanderesse est rejetée en vertu de la Règle 168 des Règles.

  5. La demanderesse doit payer au défendeur ses dépens de cette requête qui sont fixés à 250 $, tout inclus.

 

« Kirk G. Shannon »

 

Juge adjoint


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-2398-25

INTITULÉ :

NAZIK MERZOUKI c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR ÉCRIT EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

JUGEMENT ET MOTIFS :

JUGE ADJOINT SHANNON

DATE DES MOTIFS :

29 AOÛT 2025

OBSERVATIONS ÉCRITES PAR :

Me Simon-Gabriel Morin

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.