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Date : 20250820


Dossier : IMM-14155-24

Référence : 2025 CF 1393

Edmonton, Alberta, le 20 août 2025

En présence de l'honorable madame la juge Ferron

ENTRE :

BARON KAPAJIKA NTUMBA

FANNY KONGOLO MUJINGA

ALEX KAPAJIKA NTUMBA

STEPHY KAPAJIKA MUJINGA

Demandeurs

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Mme Fanny Kongolo Mujinga, la demanderesse principale, M. Baron Kapajika Ntumba, son mari, ainsi que leurs enfants, Stephy Kapajika Mujinga et Alex Kapajika Ntumba [collectivement, les « demandeurs »] demandent le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés [SAR] le 22 juillet 2024. La SAR a rejeté les appels des demandeurs de la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR]. La SAR a confirmé qu’en raison de l’existence d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] dans leur pays de résidence, le Mexique, les demandeurs sont exclus de la protection de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [Loi], conformément à l’article 98 de la Loi et à l’article 1E de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, 189 RTNU 137 [Convention][Décision].

[2] Les demandeurs soumettent essentiellement que la Décision est déraisonnable puisque (1) la SAR, tout comme la SPR, n’a pas fait d’analyse rationnelle sur la PRI pour les demandeurs au Mexique; (2) il y a absence de motifs à plusieurs égards dans la Décision alors que les demandeurs ont soumis plusieurs erreurs dans la décision de la SPR; et (3) la SAR a, comme la SPR, commis une erreur de droit en fondant sont analyse sur l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Zeng, 2010 CAF 118 [Zeng]. Les demandeurs soulèvent également un enjeu d’équité procédurale lié à l’intervention tardive du Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [Ministre] dans leurs dossiers, en plus du fait que l’avis d’intervention ne leur a pas été signifié.

[3] Le Ministre, le défendeur, répond essentiellement que la Décision est raisonnable puisque (1) la SAR a appliqué le cadre juridique approprié; (2) la SAR n’a pas erré en déterminant la présence d’une PRI au Mexique; (3) la SAR a raisonnablement considéré l’ensemble de la preuve; et (4) les attaques des demandeurs contre la décision de la SPR ne sont pas pertinentes.

[4] Pour les raisons qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Comme l’indique à juste titre le Ministre, la détermination de la SAR que les demandeurs n’avaient pas établie, selon la prépondérance des probabilités, que l’agent de préjudice du Mexique avait la capacité et la motivation de les retrouver dans les PRI proposées ou qu’il serait déraisonnable que les demandeurs y déménagent ne contient aucune erreur révisable. La Décision de la SAR est raisonnable. Les demandeurs n’ont, de plus, démontré aucun bris d’équité procédurale.

II. Contexte

[5] Les demandeurs sont des citoyens de la République démocratique du Congo [RDC]. Ils détiennent également le statut de résidents permanents au Mexique. En décembre 2021, les demandeurs sont arrivés au Canada. En avril et mai 2022, ils ont transmis leur demande d’asile.

[6] Dans leurs narratifs joints à leurs formulaires de demande d’asile [FDA], le mari de la demanderesse principale et cette dernière décrivent les événements les ayant menés à quitter la RDC pour se retrouver au Mexique, où le mari de la demanderesse principale a d’abord demandé et obtenu l’asile. La demanderesse principale et leurs enfants l’ont subséquemment rejoint. Il n’est pas nécessaire de revisiter ces faits puisque c’est la situation au Mexique qui est pertinente ici.

[7] La demanderesse principale et son mari expliquent qu’après son arrivée au Mexique, la demanderesse principale aurait été sollicitée, en novembre 2020, par un certain José pour livrer de la drogue. Elle aurait refusé, d’où des menaces de mort et un harcèlement récurrent de la part de José et de ses « collaborateurs ».

[8] En décembre 2020, par peur des menaces, les demandeurs auraient quitté la ville de Mexico, où ils résidaient, pour aller se réfugier à Puebla. Or, le mois suivant, en janvier 2021, la demanderesse principale et son mari se seraient fait enlever et emmenés dans un endroit inconnu où ils auraient été menacés par quatre individus armés. Ces derniers les auraient enjoint à retourner à Mexico pour travailler pour eux, les menaçant de mort en cas de refus.

[9] Selon l’affidavit de la demanderesse principale, les demandeurs sont alors retournés à Mexico, mais ils sont « restés enfermés dans la maison ». Ils n’ont pas contacté la police puisque certains Mexicains qu’ils connaissaient leur ont « formellement interdits de la contacter, [leur] racontant plusieurs exemples des personnes qui avaient recouru à la police dans ce genre de situation [et] qui avaient été assassinées ». Durant cette période, la demanderesse principale dit avoir fait une fausse couche, qu’elle attribue au stress occasionné par la situation.

[10] Toujours selon la demanderesse principale, le prochain appel reçu de José n’intervient que six mois plus tard, en juillet 2021. Il exprime alors sa désolation pour ce qui était arrivé à la demanderesse principale et réclame à nouveau qu’elle livre de la drogue. Quelques jours plus tard, les demandeurs quittent le Mexique pour les États-Unis, puis le Canada où ils déposent leur demande d’asile.

[11] Le 3 octobre 2023, une première audience a lieu devant la SPR. Lors de celle-ci, la demanderesse principale et son mari confirment notamment que leur famille était résidente permanente du Mexique au moment de leur départ de ce pays. La SPR discute également de la PRI dans la RDC, mais pas au Mexique.

[12] Également le 3 octobre 2023, le Ministre transmet une demande de remise et une objection fondée sur les articles 34, 50 et 54 des Règles de la section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256, indiquant qu’il n’a reçu la liste des documents que les demandeurs utiliseraient pour leur audience que le matin de cette dernière. Le Ministre note que ces documents avaient été envoyés à la SPR le 25 septembre 2023, soit huit jours avant la date d’audience, mais sans inclure le Ministre qui était pourtant précédemment intervenu dans les dossiers des demandeurs. Le Ministre souligne alors que ces documents, contenant 119 pages, soulèvent de nouveaux renseignements mettant en cause l’article 1F et/ou 1E de la Convention.

[13] Le 8 mars 2024, à la suite de l’intervention du Ministre, qui n’a été reçue par la SPR qu’après l’audience du 3 octobre 2023, une deuxième audience est tenue. Lors de celle-ci, la SPR discute de la PRI dans deux villes au Mexique, soit Campeche ou Merida, au Yucatán. La demanderesse principale répond alors que José et ses collaborateurs ont déjà dit aux demandeurs qu’ils ne pourraient pas se cacher au Mexique et que n’importe où ils iraient, José et ses acolytes allaient les retrouver.

[14] Le 12 mars 2024, la SPR conclut que les demandeurs n'ont pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celles de personnes à protéger en vertu de l'article 1E de la Convention. Elle note qu’en date de l’audience du 8 mars 2024, les demandeurs détiennent toujours le statut de résidents permanents au Mexique, pays où ils ont déjà établi leur résidence et où ils ont des droits et obligations similaires à ceux des ressortissants de ce pays. Au niveau des risques de retour au Mexique, la SPR estime que les demandeurs n’ont pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que leur agent persécuteur pourrait les retrouver dans les villes de Campeche ou Mérida. Puisque les demandeurs sont exclus conformément à l’article 1E de la Convention, la SPR ne se prononce pas sur le risque encouru par les demandeurs en RDC.

[15] Le 18 mars 2024, les demandeurs portent en appel la décision de la SPR. À titre de motifs d’appel, les demandeurs invoquent que :

  • a)étant donné qu’ils craignent d’être persécutés en RDC comme au Mexique, la SPR a été induite en erreur par la théorie selon laquelle les demandeurs seraient exclus de la demande d’asile en vertu de l’article 1E de la Convention et de l’article 98 de la Loi que présentait le Ministre, et la SPR a conclu par erreur que les demandeurs sont exclus alors que ces dispositions ne s’applique pas au présent dossier;

  • b)la décision de la SPR est fondée sur une interprétation erronée de la preuve.

[16] Les demandeurs ne présentent aucune nouvelle preuve et ne demandent pas d’audience devant la SAR.

[17] Le 22 juillet 2024, dans la Décision, la SAR rejette les appels des demandeurs. Elle conclut d’abord que, contrairement à l’argument des demandeurs, l’évaluation du risque au Mexique se fait dans le cadre de l’analyse de l’exclusion. Ensuite, la SAR affirme que l’existence d’un risque dans le pays de nationalité, soit la RDC, n’empêche pas les demandeurs d’être exclus en vertu de l’article 1E de la Convention puisqu’ils sont résidents permanents du Mexique. Conséquemment, la SAR conclut alors que (1) les demandeurs seraient en sécurité dans la péninsule du Yucatán où se trouvent Campeche et Mérida, villes situées à plus de 1000 kilomètres de leur ancien lieu de résidence, car la preuve n’établit pas, selon la prépondérance des probabilités, que l’agent de préjudice aurait la capacité et/ou la motivation de les retrouver; et (2) il n’est pas déraisonnable que les demandeurs déménagent dans l’une ou l’autre des PRI proposées; ils peuvent donc retourner au Mexique.

[18] Le 6 août 2024, les demandeurs déposent leur demande d’autorisation de contrôle judiciaire devant cette Cour quant à la Décision de la SAR. Le 24 mars 2025, cette demande est accueillie par le juge Roy.

III. Analyse

A. Norme de contrôle

[19] Les parties soumettent, et la Cour est d’accord, que la norme de la décision raisonnable s’applique (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16, 23, 65 [Vavilov]). Aucune des situations justifiant le renversement de cette présomption ne se présente dans le cadre du présent contrôle judiciaire (Vavilov aux paras 25, 33, 53; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 27). Il faut ainsi déterminer si la Décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85).

[20] Lorsqu’il est question d’équité procédurale, aucune norme de contrôle n’est appliquée, mais l’exercice de contrôle de la Cour est « particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54 [Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée]; voir aussi Canadian Hardwood Plywood and Veneer Association v Canada (Attorney General), 2023 CAF 74 au para 57). La Cour doit ainsi se demander si la procédure est équitable compte tenu de toutes les circonstances (Chemin de fer Canadian Pacifique Limitée aux para 54-56).

B. La Décision est raisonnable

[21] Avec égards, la Cour est d’avis que la Décision de la SAR est raisonnable. Elle répond aux deux arguments centraux que les demandeurs ont soulevés en appel. La Décision est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles applicables.

[22] D’emblée, les demandeurs soulèvent devant la Cour plusieurs arguments à l’encontre de la décision de la SPR, et non de la SAR. Bien qu’ils les présentent comme démontrant une absence de motifs de la SAR au sujet d’arguments soulevés en appel, la Cour est plutôt d’avis qu’ils tentent de replaider des arguments déjà soulevés devant la SPR. D’ailleurs, plusieurs paragraphes du mémoire des demandeurs devant la Cour sont sensiblement les mêmes que ceux soumis à la SAR.

[23] De plus, plusieurs de ces arguments ne sont pas pertinents quant à l’analyse de la Décision puisque la SAR ne remet pas en question les faits ayant mené les demandeurs à quitter le Mexique, ni leur crédibilité. Ainsi, les diverses erreurs soulevées par les demandeurs quant à l’interprétation de la preuve qu’ils auraient soumise à la SPR ne sont pas déterminantes en l’instance quant à la question de la raisonnabilité des PRI proposées.

(1) Il n’y a pas d’incertitude juridique au sujet de l’exclusion

[24] Ensuite, les demandeurs avancent qu’il y aurait un manque de clarté quant au cadre juridique applicable dans le cas où une personne ayant la nationalité d’un pays donné est également résidente permanente d’un autre pays, et qu’elle présente une demande d’asile à l’égard de ces deux pays. Ils soulèvent notamment que lorsqu’une personne obtient la résidence permanente dans un pays tiers, avec tous les droits des citoyens du pays tiers, cela crée une « quasi-nationalité ». Selon leur lecture de l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 [Ward], cela requiert que la SPR et la SAR aient l’obligation de se demander si le demandeur d’asile ne peut ou ne veut réclamer la protection de chacun des pays dont il a la nationalité ou la quasi-nationalité (notion comprise en termes de similarité des droits avec les nationaux).

[25] Ainsi, les demandeurs font valoir que lorsqu’une personne demande l’asile envers les deux pays de nationalité ou de quasi-nationalité, c’est le cadre juridique de l’inclusion, discuté dans l’arrêt Ward qui devrait s’appliquer, et non le cadre juridique de l’exclusion discuté dans Zeng. Selon les demandeurs, aucune décision de cette Cour n’a analysé la question ainsi formulée d’où une incertitude juridique nécessitant l’éclairage de cette Cour.

[26] Avec égards, l’argument des demandeurs n’est pas bien fondé en droit et ne peut être retenu. Comme l’indique la Cour d’appel fédérale, « avant d’entreprendre l’interprétation des textes législatifs, il est important de délimiter ce qui est controversé devant nous de ce qui ne l’est pas » (Huruglica c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 93 au para 36). En l’espèce, le concept de « quasi-nationalité » n’existe pas en droit canadien, que ce soit dans la Loi, le Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 ou la jurisprudence.

[27] Ainsi, une personne est soit citoyenne d’un pays - terme interchangeable avec la « nationalité » dans le contexte des réfugiés (Williams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CAF 126 au para 19 [Williams]), soit elle ne l’est pas.

[28] De fait, l’arrêt Ward ne mentionne aucunement ce concept de « quasi-nationalité ». En réalité, Ward discute uniquement des cas de nationalités multiples. Tel que le Ministre l’a souligné à l’audience, l’article 96 de la Loi a été modifié à la suite de l’arrêt Ward afin de consacrer le principe selon lequel un demandeur d'asile possédant la citoyenneté de plusieurs pays doit démontrer qu'il a raison de craindre d'être persécuté dans chacun des pays dont il a la citoyenneté avant de pouvoir demander l'asile dans un pays dont il n'est pas un ressortissant (Williams au para 20). De même l’article 97 de la Loi réfère explicitement au pays de nationalité. Ainsi, la SAR n’a aucunement erré en concluant que seule une personne apatride peut présenter une demande d’asile fondée sur sa crainte raisonnable de persécution dans un ou plusieurs de ses pays de résidence habituelle.

[29] De plus, et contrairement à l’argument des demandeurs, l’article 98 de la Loi est clair à l’effet que certaines personnes ne peuvent avoir la qualité de réfugié ou de personne à protéger, ce qui inclut les personnes exclues en vertu de l’article 1E de la Convention. Ce dernier indique quant à lui clairement que : « Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays ».

[30] Dans l'arrêt Ward, le juge La Forest, s'exprimant au nom d’une Cour suprême du Canada unanime, fait remarquer que « les revendications du statut de réfugié n’ont jamais été destinées à permettre à un demandeur de solliciter une meilleure protection que celle dont il bénéficie déjà » (Ward à la p 726). Ce raisonnement est reflété à l'article 1E de la Convention.

[31] L'autorité principale en matière d'interprétation et d'application de l'article 1E est la décision de la Cour fédérale d’appel dans l’affaire Zeng, qui définit le critère d'exclusion comme suit :

[28] Compte tenu de tous les facteurs pertinents existant à la date de l’audience, le demandeur a‑t‑il, dans le tiers pays, un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants de ce pays? Si la réponse est affirmative, le demandeur est exclu. Si la réponse est négative, il faut se demander si le demandeur avait précédemment ce statut et s’il l’a perdu, ou s’il pouvait obtenir ce statut et qu’il ne l’a pas fait. Si la réponse est négative, le demandeur n’est pas exclu en vertu de la section 1E. Si elle est affirmative, la SPR doit soupeser différents facteurs, notamment la raison de la perte du statut (volontaire ou involontaire), la possibilité, pour le demandeur, de retourner dans le tiers pays, le risque auquel le demandeur serait exposé dans son pays d’origine, les obligations internationales du Canada et tous les autres faits pertinents.

[Emphase ajoutée.]

[32] La Cour fédérale d’appel souligne que l'objectif de l'article 1E est d'exclure les personnes qui n'ont pas besoin de protection et, par conséquent, il « empêche que l’asile soit accordé à une personne qui jouit d’une protection auxiliaire dans un pays où elle a essentiellement les mêmes droits et les mêmes obligations que les ressortissants de ce pays » (Zeng au para 1).

[33] L'article 1E protège également l'intégrité du système d'octroi de l'asile contre ce qu'il est convenu d'appeler la « recherche du meilleur pays d’asile » (asylum shopping), c'est-à-dire le fait qu'une personne cherche à se protéger contre la persécution, la torture ou des peines cruelles et inusitées qu’elle craint dans son pays d'origine en demandant la protection du pays de son choix, alors même qu’elle serait en mesure d’obtenir un statut suffisamment protecteur dans un pays tiers sûr (Zeng aux para 1, 19).

[34] Le fardeau de la preuve relatif à l'article 1E a été examiné dans la décision Romero c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 506, au paragraphe 8. La juge Snider a conclu que « le ministre doit d’abord démontrer que, à première vue, un demandeur peut retourner dans un pays où il jouit des droits des citoyens de ce pays. Le demandeur doit démontrer ensuite pourquoi, ayant laissé son statut de résident permanent expirer, il n’aurait pas pu demander et obtenir une nouvelle carte de résident permanent » (voir plus récemment Freeman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 1839 aux para 43-45).

[35] En l’instance, il est non seulement admis que les demandeurs sont résidents permanents du Mexique, mais qu’ils bénéficient également des mêmes droits que les ressortissants de ce pays. Cela répond entièrement au premier volet du test d’exclusion établi dans Zeng. Ainsi, il ne fait pas de doute que ceux-ci sont exclus du statut de réfugié conformément aux articles 98 de la Loi et 1E de la Convention. Le fait qu’ils se soient adressés à la SPR et à la SAR en demandant l’asile tant vis-à-vis de leur pays de nationalité que vis-à-vis de leur pays de résidence n’y change rien.

[36] L’argument des demandeurs que la SAR devait évaluer les demandes d’asile des demandeurs à la lumière des articles 96 et 97 de la Loi puisqu’en tant que résidents permanents du Mexique, ils sont « assimilables aux nationaux du Mexique », est mal fondé et est contraire au langage clair de ces articles qui s’appliquent uniquement à l’égard du ou des pays de citoyenneté – en l’espèce la RDC – d’un demandeur d’asile, ou encore à une personne apatride demandant l’asile. De ce fait, contrairement à ce qu’ils soumettent au paragraphe 37 de leur mémoire, en tant que résidents permanents du Mexique, les demandeurs ne peuvent pas, « pour les besoins de la cause », être assimilés aux nationaux du Mexique, puisqu’ils ne sont pas citoyens de ce pays. D’ailleurs, les demandeurs n’ont soumis aucune autorité pour appuyer cette proposition.

[37] En somme, ce n’est pas parce qu’un résident permanent bénéficie, dans un pays tiers, des mêmes droits que les citoyens dudit pays, qu’il est considéré comme étant un citoyen aux fins de l’application de la Loi.

[38] Vu ce qui précède, la SAR était entièrement justifiée de conclure qu’elle n’avait pas à évaluer la demande d’asile des demandeurs à la lumière des articles 96 et 97 de la Loi. Ces articles ne s’appliquent tout simplement pas aux résidents permanents du Mexique, qui ne sont pas des citoyens du Mexique.

[39] Bien qu’il existe, comme le souligne le Ministre, un certain débat jurisprudentiel au sein de cette Cour en lien avec l’application de l’article 98 de la Loi, à savoir s’il faut évaluer le risque ou la possibilité sérieuse de persécution dans le pays tiers (ici le Mexique) avant de déterminer que les demandeurs sont exclus en vertu de leur statut dans ce pays (Tshimuangi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 1354 aux para 13-35; Lauture c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1121 aux para 31-37; Mwano c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 792 aux para 13-15, 17, 21-24; Celestin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 97 aux para 33-34, 37; Jean c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 242 aux para 23-30), il n’était pas déraisonnable pour la SAR de conclure que l’analyse du risque dans le pays tiers devait être faite avant de déclarer qu’une personne est visée par la section 1E.

[40] Comme l’indique la SAR aux paragraphes 5 et 9 de sa Décision, son analyse était fondée sur la jurisprudence et le guide jurisprudentiel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada sur le sujet (citant Zeng au para 28; Romelus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 172 au para 43 [Romelus]; X(Re), 2020 CanLII 101305 (CA CISR)). Cette analyse était raisonnable et basée sur la majorité de la jurisprudence pertinente (Matondo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2025 CF 841 aux para 7-9; Sesay c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2025 CF 167 aux para 12-28; Horodiuk c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2025 CF 112 aux para 40-46; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Saint Paul, 2021 CAF 246). La Cour est par ailleurs d’avis que la SAR a appliqué l’analyse appropriée.

[41] Enfin, la Cour est d’avis que l’interprétation que les demandeurs font de la décision Romelus pour tenter de supporter leur argument que la décision Zeng ne leur serait pas applicable est inexacte. En fait, dans Romelus, la Cour a plutôt reproché à la SAR d’avoir analysé la crainte d’un demandeur envers son pays de résidence permanente après avoir conclu à l’exclusion de ce demandeur en vertu de l’article 1E de la Convention et l’article 98 de la Loi. Ce n’est pas ce que la SAR a fait en l’espèce.

(2) La SAR a raisonnablement analysé l’existence de PRI au Mexique

[42] En effet, le risque de persécution au Mexique a été évalué par la SAR avant l’analyse d’exclusion des demandeurs en raison des articles 98 de la Loi et 1E de la Convention. La SAR a, à bon droit, analysé les risques soulevés par les demandeurs quant à un retour au Mexique et a conclu à l’existence d’une PRI viable au Mexique pour les demandeurs, et ce, conformément au test à deux volets établis par la jurisprudence (Rasaratnam c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), 1991 CanLII 13517 (CAF), [1992] 1 CF 706; Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), 1993 CanLII 3011 (CAF), [1994] 1 CF 589 (CAF) [Thirunavukkarasu]).

[43] Au paragraphe 26 de Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 350, la Cour a rappelé que « l’analyse d’une PRI repose sur le principe voulant que la protection internationale ne puisse être offerte aux demandeurs d’asile que dans les cas où le pays d’origine est incapable de fournir à la personne qui demande l’asile une protection adéquate partout sur son territoire » [soulignement ajouté]. Ainsi, si un demandeur d'asile dispose d'une PRI viable, celle-ci rejettera sa demande d'asile, peu importe le bien-fondé des autres aspects de la demande (Olusola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 799 au para 7 [Olusola]).

[44] Lorsqu'une PRI est établie, il incombe au demandeur d'asile de démontrer que la PRI n’est pas viable ou déraisonnable; il s’agit d’un fardeau très élevé (Munoz Ramirez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 221 au para 19 [Munoz]; Olusola au para 9 citant Thirunavukkarasu aux pp 594-595; Salaudeen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 39 au para 26).

[45] Ainsi, une fois que la question de la PRI était soulevée et que des PRI potentielles viables avaient été identifiées, les demandeurs avaient le fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que l’un ou l’autre des critères établis par la jurisprudence n’était pas rempli en l’instance. Ils devaient donc démontrer soit 1) que les circonstances dans les PRI proposées n’étaient pas suffisamment sécuritaires dans la mesure où un risque de persécution, de menace pour leur vie, de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités demeurait ou 2) qu’il serait déraisonnable pour eux de chercher refuge dans les PRI proposées, compte tenu de toutes leurs circonstances particulières (Sadiq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 430 aux paras 41-44).

[46] À cet effet, la SAR indique au paragraphe 10 de la Décision que « [l]es appelants ne m’ont pas persuadé que l’agent de préjudice et ses acolytes représentent une menace pour eux partout au Mexique, et notamment dans la péninsule du Yucatán où se trouvent Campeche et Mérida ». La Cour n’est pas convaincue que cette conclusion de la SAR signifiant que les demandeurs ne s’étaient pas déchargés de leur lourd fardeau de preuve est déraisonnable.

[47] D’abord, sur le premier critère, la SAR n’était pas satisfaite que l’agent de préjudice avait la capacité et la motivation de retrouver les demandeurs partout au Mexique. Au paragraphe 5 de sa Décision, la SAR a jugé que « la preuve qu’ils avaient été menacés lorsqu’ils se sont rendus à Puebla il y a quatre ans n’établit pas pour autant que l’agent de préjudice représente aujourd’hui une menace sérieuse pour eux à Campêche ou Mérida ». Puis, au paragraphe 10 de sa Décision, la SAR considère peu convaincant l’argument des demandeurs qu’il faut présumer que si l’agent de préjudice et ses acolytes ont été capables de les retracer à Puebla, ce sera le cas partout au Mexique. La SAR note à ce sujet que Puebla se situe à environ 130 kilomètres de Mexico, alors que les PRI proposées se trouvent à plus de 1000 kilomètres. Cette analyse par la SAR n’est pas déraisonnable et des raisonnements similaires ont déjà été considérés comme acceptables par la Cour (Fernandez Collahua c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1045 aux para 6, 32; Idris c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 24 aux para 4, 16; Okohue c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1305 au para 16).

[48] De plus, la SAR a jugé que les demandeurs n’avaient pas fait la preuve que l’agent de préjudice opérait à l’extérieur de la ville de Mexico ou qu’il avait la capacité de les retrouver partout au Mexique. La SAR a noté que les demandeurs n’avaient pas d’information qui liait José et ses acolytes à un cartel particulier qui serait présent à travers le pays; les demandeurs savaient seulement que José était associé à un groupe de malfaiteurs opérant dans la ville de Mexico. La SAR a ainsi conclu que cette information ne lui permettait pas d’établir que ce groupe avait la capacité de rechercher des individus dans une région aussi lointaine que le Yucatán. Cette analyse est également raisonnable par rapport à la jurisprudence applicable (Ramirez Peralta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1416 aux paras 8-9).

[49] Enfin, la SAR n’a pas été convaincu par la prétention des demandeurs (non appuyée par de la preuve) que la probabilité de leur disparition ou qu’ils soient tués était de 60%. En l’absence de preuve appuyant leur prétention, cette analyse de la SAR est également raisonnable.

[50] Quant au deuxième critère, la SAR a conclu que les enjeux de santé de la demanderesse principale ne sont pas suffisants pour conclure qu’il serait déraisonnable pour les demandeurs de s’établir dans l’une des PRI proposées. À la lumière de la preuve disponible à la SAR à ce sujet, il n’était pas déraisonnable pour la SAR de conclure ainsi (Armando c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 94 aux para 56-57).

[51] Parce que le fardeau ne saurait reposer exclusivement sur les épaules des demandeurs au seul motif que l’existence potentielle d’une PRI a été invoquée, la SAR devait également se demander s’il était positivement établi que les villes de Mérida et Campeche constituaient bel et bien des lieux de refuge intérieur adéquat pour les demandeurs, toujours selon la prépondérance des probabilités (Sadiq au para 45). En l’espèce, la SAR a abordé la question convenablement, sans commettre d’erreur révisable.

[52] Enfin, les demandeurs avancent que la Décision de la SAR est courte et qu’elle n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve qu’ils ont présenté. Ils soulèvent notamment que la Décision est silencieuse quant au fait que 1) José et ses acolytes auraient dit aux demandeurs qu’ils seraient en mesure de les retracer partout au Mexique; 2) des amis et connaissances des demandeurs au Mexique les auraient enjoints de quitter le Mexique, car d’autres, placés dans des situations similaires, auraient été retracés et tués; et 3) la preuve documentaire sur le Mexique qui indique que les crimes à l’égard des migrants et demandeurs d’asile sont rarement rapportés, investigués ou punis.

[53] La Cour n’est pas convaincue par la prétention des demandeurs que le défaut de la SAR de ne pas mentionner certains éléments de preuve équivaut à une absence de considération de ceux-ci. Comme l’indique à juste titre le Ministre, la jurisprudence est claire qu’un décideur administratif est présumé avoir considéré l’ensemble de la preuve, même s’il n’a pas mentionné spécifiquement tous les éléments de preuve dans sa décision (Arvan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 223 au para 20; Abdelmoneim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 41 au para 28).

[54] Ainsi, bien que certains éléments de preuve présentés par les demandeurs pour soutenir leur crainte subjective que l’agent de préjudice puisse les retrouver partout au Mexique n’ont pas été spécifiquement mentionnés dans la Décision, cela n’est pas suffisant pour conclure que la Décision est déraisonnable.

[55] En effet, les éléments soulevés par les demandeurs semblent surtout appuyer une crainte subjective et non démontrer une crainte objective que l’agent de préjudice pose un risque partout au Mexique. À tout événement, il n’est pas du rôle de la Cour, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, d’apprécier la preuve à nouveau (Vavilov au para 125; Munoz au para 24).

[56] En somme, les demandeurs n’ont pas convaincu la Cour que la Décision est entachée par une erreur manifeste justifiant l’intervention de cette Cour.

C. Il n’y a pas de violation à l’équité procédurale

[57] Enfin, bien qu’ils n’insistent pas sur ce point dans leur mémoire et ne l’ont pas adressé lors de l’audience, les demandeurs soulèvent tout de même un enjeu d’équité procédurale. Cette dernière n’aurait pas été respectée car le 3 octobre 2023, jour de la première audience devant la SPR, le Ministre a demandé un ajournement pour intervenir après l’audience tandis que l’avis d’intervention n’avait pas été signifié aux demandeurs pour leur permettre d’y répondre.

[58] Tel que mentionné ici haut, une deuxième audition, portant notamment sur l’applicabilité de l’article 1E de la Convention, fut tenue devant la SPR à la suite de l’intervention du Ministre. Les demandeurs ont alors eu la possibilité de répondre aux prétentions du Ministre. Ils ont d’ailleurs reconnu que, s’ils n’avaient pas fourni de réponse écrite aux représentations du Ministre, c’était parce que le tout aurait été « très redondant parce que toutes les informations, [ils] les avait donnés dans l'audience et dans tous les documents [qu’ils avaient] fourni (sic) ».

[59] Ainsi, il m’appert évident que les demandeurs connaissaient la preuve à réfuter et qu’ils ont eu plus d’une occasion complète et équitable d’y répondre (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée au para 56).

IV. Conclusion

[60] Les demandeurs n’ont soulevé aucune erreur justifiant l’intervention de la Cour et aucune violation d’équité procédurale n’a été démontrée. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

V. Questions certifiées proposées

[61] À l'audience, l'avocat des demandeurs a soulevé verbalement vouloir certifier une question. Le Ministre s'y est opposé tant au niveau de sa tardiveté qu’en raison du fait que la jurisprudence répondait déjà à la question telle que formulée oralement en lien avec l’interprétation des demandeurs de l’arrêt Ward.

[62] Tel que la Cour l’a indiqué lors de l’audience, une telle demande faite le jour de l’audience n’est pas conforme aux Lignes directrices consolidées pour les instances d’immigration, de statut de réfugié et de citoyenneté (modifiées en dernier lieu le 31 octobre 2023) [Lignes directrices] de cette Cour. De plus, puisqu’aucune représentation nouvelle n’avait été faite lors de l’audience, la Cour était d’avis qu’il n’y avait pas de justification raisonnable pour ne pas s’être conformé à ces Lignes directrices.

[63] Néanmoins, l’enjeu du délai et celui concernant le mérite de la question proposée ont tous deux étés pris en délibéré. Par conséquent, sous réserve de la décision de la Cour concernant le délai, les avocats ont eu l'occasion de déposer des représentations écrites sur la question certifiée proposée. Toutefois, par écrit, les demandeurs ont plutôt soumis les deux questions certifiées suivantes :

1. L’arrêt Ward édicte un principe de droit selon lequel « En examinant la revendication d'un réfugié qui bénéficie de la nationalité de plus d'un pays, la Commission doit se demander si le demandeur ne peut ou ne veut se réclamer de la protection de chaque pays dont il a la nationalité. Ce principe ne s’applique-t-il pas par implication nécessaire à la revendication d’un réfugié qui allègue craindre la persécution dans le pays de citoyenneté et dans celui où il a établi sa résidence habituelle?

2. L’application de l’exclusion à un demandeur d’asile qui demande la protection contre son pays de citoyenneté et son pays de résidence ne viole-t-elle pas le droit à l’égalité garanti par l’article 15 (1) de la Charte canadienne des droits et libertés?

[64] D’abord, en ce qui concerne le délai, les Lignes directrices sont claires. Elles prévoient qu'une partie qui a l'intention de soulever une question certifiée doit en aviser l'autre partie au moins cinq jours avant l'audience :

36. Comme le prévoit l’alinéa 74d) de la [Loi], le « jugement consécutif au contrôle judiciaire n’est susceptible d’appel en Cour d’appel fédérale que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci » [non souligné dans l’original]. On s’attend à ce que les parties formulent des observations au sujet de l’alinéa 74d) dans leurs observations écrites ou oralement à l’audience. Si une partie entend proposer une question à certifier, la partie opposée doit en être informée au moins cinq jours avant l’audience, pour que les parties s’entendent sur le libellé de la question proposée.

[Soulignement dans l’original; emphase ajoutée.]

[65] Tel que le juge Gascon le souligne dans Medina Rodriguez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 401 :

[44] … Ces Lignes directrices doivent être respectées, et le fait de présenter une question certifiée à la dernière minute n’est ni utile à la Cour ni équitable pour la partie adverse. De plus, une question certifiée est censée être une question de portée générale. On peut soutenir que ces questions ne devraient pas être soulevées à la veille d’un contrôle judiciaire ou après coup. En l’espèce, l’avocate de M. Rodriguez n’a fourni aucune raison pour expliquer la présentation tardive de pas moins de cinq questions certifiées. Une telle pratique est fortement déconseillée par la Cour et peut être à l’origine d’un refus d’examiner le bien‑fondé d’une question certifiée proposée, car elle porte préjudice à l’autre partie ainsi qu’à la Cour et ne sert pas les intérêts de la justice.

[66] De plus, dans Varela c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CAF 145, la Cour d'appel fédérale a souligné le fondement du paragraphe 74d) de la Loi et son rôle dans le régime législatif, qui comprend des considérations temporelles :

[23] Cette disposition s’inscrit dans un cadre plus vaste conçu pour faire en sorte que le droit du demandeur d’asile de réclamer l’intervention des tribunaux ne soit pas invoqué à la légère et que cette intervention, lorsqu’elle est justifiée, ait lieu en temps opportun.

[67] En l’espèce, l'avocat des demandeurs n'a fourni aucune explication raisonnable concernant le dépôt tardif. Qui plus est, la première question proposée par l’avocat se trouve explicitement dans le mémoire des faits et du droit des demandeurs. Par conséquent, l'avocat des demandeurs aurait pu signifier et déposer la question certifiée qu'il proposait à n'importe quel moment entre l'autorisation de la demande de contrôle judiciaire et le cinquième jour précédant l’audience. Non seulement l’avocat des demandeurs n'a pas déposé de mémoire supplémentaire dans ce dossier, mais il a également attendu jusqu'à l'audience pour soulever cette question. Dans ces circonstances, la Cour n'est pas disposée à certifier la première question proposée.

[68] Par ailleurs, et tel que mentionné lors de l’audience, la Cour est d'avis que cette question ne satisfait aux critères de certification résumés par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22 au paragraphe 46. Plus particulièrement, la Cour n’est pas convaincue par l’argument du demandeur qu’en dépit des arrêts Ward et Zheng, une incertitude juridique persisterait pour les personnes ayant une citoyenneté dans un pays et la résidence permanente dans un autre, et qui demandent l’asile à l’encontre de ces deux pays.

[69] Quant à la deuxième question à certifier, aucune représentation n’a été faite par les demandeurs dans leur Mémoire ou lors de l’audience, en lien avec le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. Elle constitue donc un nouvel argument non soulevé devant le décideur administratif ou devant cette Cour. Une telle question est donc inadmissible. D’abondant, la Cour partage la position des avocats du défendeur que les demandeurs n’ont fourni aucune justification ou étayé leur argument à ce sujet.


JUGEMENT au dossier IMM-14155-24

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Danielle Ferron »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-14155-24

 

INTITULÉ :

BARON KAPAJIKA NTUMBA et al. c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 juillet 2025

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE FERRON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 AOÛT 2025

 

COMPARUTIONS :

François Kasenda Kabemba

 

Pour LES DEMANDEURS

 

 

Alex Dalcourt

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

François Kasenda Kabemba

 

Pour LES DEMANDEURS

 

Alex Dalcourt

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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