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Date : 20250820


Dossier : IMM-10320-24

Référence : 2025 CF 1394

Ottawa (Ontario), le 20 août 2025

En présence de madame la juge en chef adjointe St-Louis

ENTRE :

DORCAS NDITO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Le 10 juin 2017, la demanderesse, Mme Dorcas Ndito, citoyenne de la République démocratique du Congo [RDC] arrive au Canada avec sa mère et ses quatre sœurs et elle demande l’asile. En 2019, la Section de protection des réfugiés [SPR] refuse la demande d’asile de Mme Ndito et en 2020, la Section d’appel des réfugiés rejette son appel.

[2] En août 2023, Mme Ndito présente une demande de résidence permanente sous l’égide du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [Loi], demandant au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [Ministre] de lever tout ou partie des critères et obligations applicables sur la base de considérations d’ordre humanitaire [Demande CH].

[3] Le 27 mai 2024, un agent principal d’immigration [Agent] refuse la Demande CH de Mme Ndito [Décision], Décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[4] Devant la Cour, Mme Ndito soutient que l’Agent a (1) erronément évalué sa demande de résidence permanente sous l’angle de la difficulté; (2) commis une erreur en évaluant la crédibilité de Mme Ndito; et (3) erré dans son évaluation de la suspension temporaire des renvois vers la RDC.

[5] Le Ministre répond que la Décision est raisonnable et il souligne que la question déterminante est l’insuffisance de la preuve soumise à l’Agent, ce dernier ayant souligné tout au long de ses motifs le manque d’informations dans la preuve et dans les soumissions de sorte qu’elles étaient insuffisantes pour lui permettre d’accorder un poids favorable à de nombreux éléments.

[6] Pour les motifs énoncés ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Contexte

[7] En bref, le 11 août 2023, Mme Ndito dépose sa Demande CH et le 5 janvier 2024, Mme Ndito, par la voie de son avocat, transmet au Ministre de longues représentations écrites et des documents additionnels. Le 11 janvier, le 1er février et le 23 avril 2024, elle transmet d’autres documents.

[8] Dans ses soumissions écrites du 5 janvier 2024, l’avocat de Mme Ndito soutient que la Demande CH de cette dernière repose sur (1) son établissement au Canada, alléguant qu’il est solide compte tenu de ses moyens, de son âge, du temps qu’elle a passé au Canada, des activités qu’elle y a exercées et du réseau qu’elle y a établi; (2) l’intérêt supérieur des enfants touchés, soit celui du fils de Mme Ndito, né au Canada, ainsi que celui des quatre sœurs de Mme Ndito; et (3) les difficultés significatives advenant le retour de Mme Ndito dans son pays d’origine, en lien avec des facteurs liés aux conditions dans la RDC et à la condition personnelle de Mme Ndito. L’avocat souligne alors entre autres que Mme Ndito a été victime d’une attaque brutale en RDC en 2014, alors que plusieurs officiers de la police générale de Kinshasa sont entrés de force dans la maison de la famille et qu’ils ont violé Mme Ndito et la mère de cette dernière. L’avocat souligne aussi alors que cet évènement de 2014 a précipité le départ de Mme Ndito de son pays d’origine. Mme Ndito, une de ses sœurs et sa mère réfèrent à cet évènement dans les déclarations non assermentées qu’elles ont signées et que Mme Ndito a transmises avec sa Demande CH (pages 120 à 126 du dossier certifié du tribunal.).

[9] Le 27 mai 2024, l’Agent refuse la demande de Mme Ndito. En lien avec le facteur de l’établissement, l’Agent considère que Mme Ndito démontre s’être assez peu établie depuis son arrivée au Canada et conclut que cet aspect a relativement peu de poids dans son évaluation. En lien avec le facteur des difficultés significatives, l’Agent conclut que les conditions ayant court en RDC ont un bon poids dans son évaluation et note que l’existence de la suspension temporaire des renvois pour la RDC atténue quelque peu les difficultés liées au refus de la Demande CH. Enfin, en lien avec le facteur de l’intérêt supérieur des enfants, l’Agent estime que Mme Ndito ne s’est pas déchargée de son fardeau d’établir avec satisfaction que le refus de la dispense compromettrait le bien-être émotionnel, social, culturel et physique des enfants et plus particulièrement celui de son fils. L’Agent se déclare réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants, il estime qu’il s’agit d’un élément important auquel il accorde un poids moyen, mais qu’il ne s’agit pas en soi d’un élément déterminant.

[10] Dans l’ensemble, considérant le profil de Mme Ndito, ses circonstances personnelles et familiales, l’effet peu établi des conditions du pays d’origine sur elle et l’intérêt supérieur des enfants concernés, l’Agent conclut être insatisfait que les motifs d’ordre humanitaires présentés justifient l’octroi d’une dispense selon le paragraphe 25(1) de la Loi.

III. Arguments des parties et norme de contrôle

[11] Tel que mentionné plus haut, Mme Ndito présente trois arguments, soit que l’Agent a (1) erronément évalué sa demande de résidence permanente sous l’angle de la difficulté; (2) commis une erreur en évaluant sa crédibilité; et (3) erré dans son évaluation de la suspension temporaire des renvois vers la RDC.

[12] Bien que Mme Ndito fasse valoir que la norme de la décision correcte devrait s’appliquer en lien avec son deuxième argument, je suis d’accord avec le Ministre que seule la norme de la décision raisonnable s’applique dans les circonstances. En effet, la Cour suprême du Canada a confirmé une présomption que la norme de la décision raisonnable s’applique pour le contrôle judiciaire d’une décision administrative et la présomption n’est en l’instance pas rebutée (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux paras 10, 25, 33, 53 [Vavilov]).

[13] Mme Ndito porte le fardeau de démontrer le caractère déraisonnable de la Décision. Tel que l’enseigne la Cour suprême du Canada au paragraphe 100 de Vavilov, Mme Ndito doit convaincre la Cour que la Décision « [] souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision ». Ainsi, une décision raisonnable est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles qui ont une incidence sur la décision. Au titre des contraintes, le régime législatif d’exception, la preuve dont disposait l’Agent et la nature des observations soumises par Mme Ndito sont des éléments particulièrement pertinents en l’instance.

IV. Analyse

A. Cadre législatif

[14] Le paragraphe 25(1) de la Loi confère au Ministre le pouvoir discrétionnaire d’octroyer le statut de résident permanent ou de lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché. Le pouvoir discrétionnaire fondé sur les considérations d’ordre humanitaire que prévoit le paragraphe 25(1) se veut une exception souple et sensible à l’application habituelle de la Loi et du règlement en permettant de mitiger la sévérité de la Loi selon le cas Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 au para 19 [Kanthasamy]); Diaz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 321 au para 42.

[15] Tel que l’exprime la Cour suprême du Canada dans Kanthasamy, l’objectif est d’offrir une mesure à vocation équitable lorsque les faits sont « de nature à inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne » (au para 21).

[16] Au surplus, tel que nous le rappelle Mme la juge Love Saint-Fleur au paragraphe 37 de sa décision dans Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Brutus, 2025 CF 895, il est fondamental de réaffirmer que les exemptions pour motif d’ordre humanitaire sont exceptionnelles et représentent un recours discrétionnaire. Je souscris aux propos de Mme la juge Saint-Fleur lorsqu’elle réaffirme qu’en conséquence, ces exemptions ne devraient être réservées qu’à des cas exceptionnels pour ne pas constituer un « volet d’immigration distinct ou un mécanisme d’appel°» (citant Semana c Canada (Citoyenneté et Immigration, 2016 CF 1082 au para 15; Joseph c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 904 au para 24; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Legault, 2002 CAF 125 au para 15; Kanthasamy au para 90; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Nizami, 2016 CF 1177 au para 16).

B. Premier argument : l’Agent n’a pas erronément évalué l’ensemble de la demande sous l’angle de la difficulté significative

[17] Mme Ndito soumet que l’Agent a évalué l’ensemble de la demande, donc tous les facteurs, sous un angle des difficultés significatives et que ceci va à l’encontre de la prescription de l’arrêt Kanthasamy.

[18] Le Ministre répond que l’Agent peut tenir compte des difficultés que Mme Ndito encourrait advenant un retour dans son pays d’origine pour y présenter sa demande de résidence permanente (citant Kanthasamy aux paras 30-31). À l’audience, il a souligné que la jurisprudence de cette Cour est claire à l’effet que l’analyse des difficultés est un élément important dans une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaires et qu’il ne s’agit pas d’une erreur de nature à faire intervenir la Cour (citant Carter c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1019 aux paras 11-23 [Carter]).

[19] La Cour note d’emblée que la moitié des volumineuses représentations soumises par Mme Ndito au soutien de sa Demande CH est dédiée aux allégations de difficultés significatives (hardship). Ces représentations, comptant quelques 25 pages, allèguent les difficultés significatives en lien avec un grand nombre de sujets, tels l’éventuelle séparation familiale, l’insuffisance de la communication par Internet, la perte de son réseau de support, la situation dans le pays, sa situation personnelle, l’emploi et la pauvreté, l’éducation, les soins médicaux, le traitement des femmes et des filles, la situation des personnes qui retournent, la suspension temporaire des renvois et les difficultés significatives liées au fait de demeurer au Canada sans statut.

[20] Ces représentations sur les difficultés significatives font parfois double emploi avec les représentations sur l’établissement et l’intérêt supérieur des enfants. Ainsi, il n’est pas inutile de souligner, tel que la soussignée l’a précédemment fait dans des circonstances similaires, qu’: « On ne peut reprocher à [l’Agent] d’avoir tenu compte des observations [de Mme Ndito], qui, là encore, se sont fortement appuyées sur les difficultés. » (Carter para 22).

[21] En outre, la Cour note que dans l’évaluation de l’établissement, l’Agent ne réfère à des difficultés qu’à deux occasions. La première, après avoir conclu qu’aucune des relations au Canada n’est d’une interdépendance telle que les difficultés liées à une éventuelle séparation ne pourraient être palliées par les modes de communication moderne. La seconde, discutant des activités de bénévolat de Mme Ndito au sein d’une église, l’Agent conclut alors qu’« [il] se trouverait des difficultés pour les œuvres de l’Église en l’absence de la demanderesse, ce qui limite le poids [qu’il] puisse y accorder », ne référant pas aux difficultés de Mme Ndito.

[22] Par ailleurs, l’Agent ne fait aucune référence à des difficultés dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants, prenant plutôt note de l’insuffisance des soumissions concernant les sœurs mineures et le fils de Mme Ndito.

[23] La Cour constate les références laconiques aux difficultés significatives dans l’analyse de ces deux facteurs et conclut qu’il n’a pas été établi que l’Agent a erronément évaluer la demande sous cet angle. D’abord, pour les raisons déjà exprimées aux paragraphes 13 à 16 de Carter, la Cour n’est pas convaincue que l’Agent ne puisse pas considérer les difficultés dans son évaluation des facteurs tels que l’établissement et l’intérêt supérieur des enfants, tel que le soutient Mme Ndito. À tout événement, rien n’indique que l’Agent se soit, en l’instance, déraisonnablement appuyé sur des éléments de difficultés significatives dans l’analyse de ces deux facteurs; sa référence aux difficultés est en fait minime et répond plutôt aux préoccupations soulevées par Mme Ndito elle-même.

[24] Mme Ndito ajoute que l’Agent erre puisqu’il démontre un manque absolu d’empathie et de compassion envers elle. Elle soutient que suivant Kanthasamy, le test global d’une demande humanitaire est de déterminer si les demandeurs méritent d’être soulagés de leur situation, tout en démontrant de la compassion pour les demandeurs, ce qui nécessiterait de se mettre dans leur situation. Mme Ndito ajoute que dans Kanthasamy, la Cour aurait averti les officiers d’immigration que l’approche prise devait être une de compassion. À l’appui de sa position, Mme Ndito cite également Dela Pena c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1407 aux paras 16-22; Bhalla c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1638 aux paras 17-24.

[25] Cet argument de Mme Ndito trouve vraisemblablement sa genèse dans l’obiter prononcé par M. le juge Campbell dans sa décision Damte c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1212 aux paragraphes 33 et 34, proposition que M. le juge Richard Boivin a écarté dans sa décision Richardson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1082 au para 41 [Richardson].

[26] Tel que je l’ai mentionné lors de l’audience, je n’ai lu, ni dans le paragraphe 25(1) de la Loi, ni dans la décision de la Cour suprême du Canada dans Kanthasamy, un avertissement aux décideurs ou l’imposition d’une obligation pour le décideur lui-même de faire preuve de compassion dans l’analyse d’une demande CH. Tel que précédemment mentionné, le décideur est plutôt chargé d’examiner si les faits établis par la preuve sont « de nature à inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne » (Kanthasamy au para 21). Mme la juge Abella aux paragraphes 13 et 14 de Kanthasamy, rédigeant pour la majorité, confirme en outre que, bien que les mots « considérations d’ordre humanitaire » s’inspirent de la compassion, cela ne permet pas d’outrepasser la nature exclusive de la Loi et de ses règlements. Au surplus, tel que mentionné lors de l’audience, il est difficile de concevoir comment une telle obligation, si elle existe, doit être exprimée par le décideur, comment elle peut être mesurée, et jugée suffisante ou insuffisante, et comment elle doit, ou peut, être contrôlée par la Cour.

[27] Cet argument mériterait certes des représentations plus complètes et un débat plus approfondi, mais il pas nécessaire de le tenir en l’instance puisque, présumant même que l’obligation existe, Mme Ndito n’a pas convaincu la Cour que l’Agent ne l’a pas respectée.

C. Deuxième argument : l’Agent n’a pas évalué la crédibilité de Mme Ndito

[28] Mme Ndito soutient que l’Agent a violé les principes de justice naturelle en concluant qu’elle n’était pas crédible quant au viol qu’elle a subi à la RDC à l’âge de 14 ans. Elle ajoute que la conclusion de l’Agent est déraisonnable car elle est basée uniquement sur le manque de preuves à l’appui. Selon Mme Ndito, il s’agit d’un principe fondamental que la crédibilité d’une demanderesse ne peut être mise en question basée seulement sur le manque de preuve de corroboration (citant Ismaili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 84 aux paras 31-36 [Ismaili]). Mme Ndito ajoute que des preuves corroboratives ne sont requises que si un officier a des raisons de douter de la crédibilité d’une personne. Or, Mme Ndito soumet que l’Agent n’a aucune raison de douter de la crédibilité de la demanderesse, étant donné que celle-ci n’a jamais été évaluée par la SPR.

[29] D’emblée, et tel que mentionné lors de l’audience, la Cour note que cet argument repose sur une conclusion de fait que l’Agent n’a pas exprimé dans sa Décision. En effet, contrairement à la prétention de Mme Ndito au paragraphe 25 de son mémoire des faits et du droit, l’Agent n’a pas conclu que Mme Ndito, sa mère et sa sœur mentait. En effet, l’Agent a plutôt conclu que le peu que Mme Ndito avait soumis en lien avec les événements qui se seraient déroulés en RDC était insuffisant pour établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle avait effectivement subi ce qu’elle indique; l’Agent ajoute, il est important de la noter, que la preuve ne démontre pas que Mme Ndito rencontrerait des difficultés particulières suivant un retour en raison de ces allégations, que ce soit en raison de la possibilité de futures violences ou du traumatisme qu’elle indique avoir. En l’instance, l’Agent n’a pas évalué la crédibilité de Mme Ndito.

[30] Les lettres que Mme Ndito a soumises sont effectivement laconiques sur le sujet et ne donnent que très peu de détails sur les circonstances des événements de 2014 ou sur leurs motifs, leur lecture permet de confirmer le caractère raisonnable de la conclusion de l’Agent à cet égard.

[31] En l’espèce, l’Agent a souligné que Mme Ndito est restée trois ans en RDC après ces événements et qu’elle aurait donc pu présenter un certificat médical, un certificat de décès ou des rapports d’hôpitaux ou de thérapeutes, mais qu’elle ne l’a pas fait. En outre, selon l’avocat de Mme Ndito, ces évènements de 2014 auraient précipité le départ de la famille de leur pays, lequel n’a cependant eu lieu que 3 ans plus tard, en 2017, et le dossier ne contient effectivement aucune information sur cette période de trois ans. Il n’est pas contesté qu’il revenait à Mme Ndito de prouver ses allégations, cependant et vu le dossier de preuve qui lui a été présenté, la conclusion de l’Agent à l’effet qu’il n’y avait aucune information permettant de démontrer que Mme Ndito rencontrerait des difficultés particulières suivant un retour en raison de ces allégations, que ce soit en raison de la possibilité de futures violences ou du traumatisme qu’elle indique avoir, n’est pas déraisonnable. La Cour est satisfaite que la conclusion de l’Agent est raisonnable compte tenu du dossier de preuve.

[32] La Cour reconnait qu’il peut être difficile de distinguer une conclusion d’insuffisance de preuve d’une conclusion voilée quant à la crédibilité. À cet égard, notons ici les propos de M. le juge Denis Gascon dans Lv c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 935 au paragraphe 40, maintes fois repris depuis : « Lorsque l’analyse met en lumière des lacunes dans les éléments de preuve, il est indiqué pour le juge des faits de déterminer si le demandeur a satisfait au fardeau de la preuve. Ce faisant, le juge des faits ne met pas en doute la crédibilité du demandeur. Le juge des faits cherche plutôt à déterminer, en présumant que les éléments de preuve présentés sont crédibles, s’ils sont suffisants pour établir, selon la prépondérance des probabilités, les faits allégués » (Zdraviak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 305, aux paras 17 et 18). Autrement dit, « le fait de ne pas être convaincu par les éléments de preuve ne signifie pas nécessairement que le juge des faits ne croit pas le demandeur ». C’est la situation dans laquelle nous nous trouvons en l’espèce et la conclusion de l’agent n’est pas déraisonnable vu la preuve soumise par Mme Ndito.

D. Troisième argument : l’Agent n’a pas erré dans son évaluation de la STR vers la RDC

[33] Quant au dernier argument, Mme Ndito soutient qu’un officier ne peut pas se servir d’une suspension temporaire des renvois en tant que facteur permettant d’atténuer les conditions au pays ou les difficultés associées au refus d’une décision, et qu’en l’espèce, l’Agent tient compte de ladite suspension vers la RDC pour conclure que le moratorium atténue les difficultés associées avec un refus de sa demande. Mme Ndito soutient que, par cette conclusion, l’Agent signifie que Mme Ndito ne sera pas sujette aux conditions défavorables du pays, ce qui est une erreur puisqu’une demande humanitaire doit être évaluée au présent, pas à l’avenir.

[34] L’argument de Mme Ndito au sujet de la suspension vers la RDC ne peut réussir. L’Agent a indiqué que l’existence de la suspension atténuait quelque peu les difficultés liées au refus de la demande de Mme Ndito et ce, après avoir souligné que le refus de la demande n’entraînera pas le renvoi, de sorte que Mme Ndito pourra demeurer au Canada jusqu’à ce que la suspension temporaire des renvois soit levée, et elle pourra continuer à obtenir des permis de travail ou d’études au besoin. L’Agent a, au contraire, noté que les conditions ayant court en RDC avaient un bon poids dans son évaluation et n’a pas réduit le poids à accorder à ce facteur sur la base de l’existence d’une suspension temporaire des renvois.

V. Conclusion

[35] Mme Ndito n’a pas rencontré son fardeau de démontrer que la décision est déraisonnable. La Décision est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles l’Agent était assujetti (Vavilov au para 85; Mason au para 8). Tel que mentionné plus haut, le régime législatif d’exception, la preuve dont disposait l’Agent et la nature des observations soumises par Mme Ndito au soutien de sa Demande CH sont des éléments particulièrement pertinents en l’instance.

[36] Lorsque la norme de la décision raisonnable s’applique dans le cadre d’un contrôle judiciaire, il n’appartient pas à la Cour de soupeser la preuve à nouveau pour arriver à une autre décision (Vavilov au para 125). Or, c’est essentiellement ce que Mme Ndito demande à la Cour de faire.

[37] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée et aucune question ne sera certifiée.


JUGEMENT au dossier IMM-10320-24

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés;

  3. Aucune question n’est certifiée.

« Martine St-Louis »

Juge en chef adjointe


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

imm-10320-24

INTITULÉ :

DORCAS NDITO c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO, on

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 JUILLET 2025

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE EN CHEF ADJOINTE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 20 août 2025

COMPARUTIONS :

Richard Wazana

Pour lA demanderESSE

Larissa Foucault

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wazana Law

Toronto, (Ontario)

Pour lA demanderESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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