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Date : 20250812


Dossier : IMM-15861-23

Référence : 2025 CF 1367

Ottawa (Ontario), le 12 août 2025

En présence de l'honorable madame la juge Tsimberis

ENTRE:

ANDREI KUZNETCOV

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur Monsieur Andrei Kuznetcov, un citoyen de la Russie, demande le contrôle judiciaire de la décision de la Section de l’immigration [SI] datée du 28 novembre 2023 [Décision]. La SI a conclu que M. Kuznetcov est interdit du territoire et a ordonnée son renvoi, aux termes des alinéas 34(1)a) et 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], parce qu’il existait des motifs raisonnables de croire qu’il a été membre du Komitet Gossoudarstvennoï Bezopasnosti [KGB] en vertu de son appartenance aux forces frontalières. La SI a déterminé que les preuves documentaires sont suffisantes pour établir que le KGB était l’auteur de tout acte d’espionnage dirigé contre le Canada. La SI a donc pris une mesure d’expulsion contre lui en vertu de l’alinéa 229(1)(a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 pour raison de sécurité au titre du paragraphe 34(1) de la LIPR.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. La Décision est claire, justifiée, et intelligible au regard de la preuve soumise (Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21au para 8; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 99). M. Kuznetcov ne s’est pas déchargé de son fardeau de démontrer que la Décision était déraisonnable.

II. Contexte factuel

A. Faits

[3] De mai 1988 à mai 1991, M. Kuznetcov a effectué son service militaire obligatoire en Union des Républiques socialistes soviétiques [URSS], au sein de l'unité maritime des forces frontalières russes, soit l'une des directions faisant partie du KGB.

[4] Après la fin de son service militaire obligatoire en mai 1991 et ce, jusqu'en 1993, M. Kuznetcov a continué de travailler volontairement dans les forces frontalières. À l'effondrement de l'URSS en décembre 1991, le KGB a été graduellement dissout, mais les forces frontalières sont restées en place et relevaient du ministère de la Sécurité et des Affaires intérieures jusqu'en 1993.

[5] En mars 1993, M. Kuznetcov a quitté le service jusqu’à avril 1999.

[6] De 1999 à 2003, M. Kuznetcov a rejoint à nouveau les forces frontalières maritimes de la Russie qui relevaient du Federal'naya Pogranichnaya Sluzhba [FPS], travaillant ainsi à la frontière de la Chine, du Japon et de la Norvège.

[7] En 2003, pour des motifs familiaux, M. Kuznetcov a mis fin à son contrat avec les forces frontalières qui, depuis 2003, relève du Federalnaïa sloujba bezopasnosti Rossiyskoï Federatsii [FSB].

[8] Depuis 2003, M. Kuznetcov est témoin de Jéhovah, motif pour lequel il a quitté la Russie pour le Canada.

[9] Le 16 juin 2017, M. Kuznetcov a demandé l'asile au Canada.

[10] Le 11 juillet 2018, une entrevue a été conduite avec l'Agence des services frontaliers du Canada [ASFC]. La demande d'asile a été suspendue à la suite du dépôt par le ministre de l'Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] du rapport daté du 23 juillet 2018 aux termes du paragraphe 44(1) de la LIPR.

[11] Le 13 septembre 2022, une audience s'est tenue devant la SI.

B. Décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire

[12] Le 28 novembre 2023, la SI a rendu la Décision dans laquelle elle a conclu que M. Kuznetcov était membre d'une organisation qui a commis des actes d'espionnages contre le Canada et l'a déclaré interdit de territoire, prenant ainsi une mesure d'expulsion contre lui.

[13] Les conclusions de la SI ont été fondées sur les admissions de M. Kuznetcov lors de son entrevue avec l'agente Blackburn et lors de son témoignage du 13 septembre 2022, ainsi que sur la preuve documentaire jugée crédible et digne de confiance par la SI et soumise par le Ministre. M. Kuznetcov n'a pas présenté de preuve pour contredire la preuve documentaire du Ministre.

[14] Premièrement, la SI a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le KGB est une organisation qui est l'auteur de tout acte d'espionnage contre le Canada au sens de l'alinéa 34(1)f) de la LIPR. La SI a été satisfaite que le KGB possède les éléments de base nécessaire au niveau de leur « identité[,] leadership, hiérarchie et structure organisationnelle » afin de rencontrer la définition statutaire d'une « organisation ». La SI a reposé son interprétation du terme « organisation » sur les arrêts Sittampalam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 326 [Sittampalam], et Thanaratnam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 349. De plus, la SI a conclu que la preuve documentaire a démontré « une continuité à travers des décennies d'opérations d'espionnage par le KGB, ainsi que son prédécesseur et ses successeurs contre le Canada ».

[15] Deuxièmement, la SI a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Kuznetcov était membre du KGB de façon volontaire puisqu'il appartenait aux forces frontalières, une entité sous la direction du KGB. La SI a appliqué une définition large et libérale du terme « membre », tel qu'indiqué par les arrêts Poshteh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CAF 85 [Poshteh] et Motehaver c Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CF 141. La SI a considéré que l’appartenance peut être officielle par association ou par participation officieuse selon l’affaire TK c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 327. M. Kuznetcov a reconnu avoir été membre des forces frontalières. La preuve documentaire du Ministre a confirmé que les forces frontalières relevaient de la direction du KGB au moment où M. Kuznetcov en était membre. M. Kuznetcov a confirmé ce fait lors de son entrevue avec l'agente Blackburn ainsi que lors de son témoignage.

[16] La SI a affirmé avoir considéré que le service militaire de M. Kuznetcov était obligatoire au début de sa carrière. Toutefois, la SI a tout de même déterminé que M. Kuznetcov était membre du KGB de façon volontaire, celui-ci ayant admis avoir signé volontairement un contrat de deux (2) ans à la suite de la portion obligatoire de son service militaire.

III. Contexte légal

A. Législation pertinente

[17] Les dispositions pertinentes de LIPR sont les suivantes:

Interdictions de territoire

Interprétation

33. Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

Sécurité

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

a) être l’auteur d’actes d’espionnage ou se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

[…]

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

Exception

(2) Ces faits n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

Inadmissibility

Rules of interpretation

33. The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

Security

34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

(a) engaging in an act of espionage or an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada;

[…]

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).

Exception

(2) The matters referred to in subsection (1) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest.

[Soulignements ajoutés]

B. Cadre juridique

[18] Afin de conclure à une interdiction de territoire pour raison de sécurité en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR en lien avec l’alinéa 34(1)a) de la LIPR, deux choses doivent être établies :

  • 1)qu’il y a des motifs raisonnables de croire que l’étranger est « membre » d’une organisation, et

2) qu’il y a des motifs raisonnables de croire que cette organisation est, a été ou sera l’auteur d’actes d’espionnage.

[19] Dans l’arrêt Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2005 CSC 40, la Cour suprême du Canada a établi que la norme de preuve correspondant à l’existence de motifs raisonnables de croire exige « davantage qu’un simple soupçon », mais est « moins stricte que la prépondérance des probabilités » qui est appliqué en matière civile (Mugesera au para 114). De plus, afin de satisfaire à cette norme de preuve, il faut l’existence d’une « croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi », et une preuve crédible, objective et convaincante est requise (Geng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 773 [Geng] au para 34; Moiseev c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 88 [Moiseev] au para 16).

IV. Questions en Litige

[20] Les questions soulevées par M. Kuznetcov sont les suivantes :

  1. La SI a-t-elle commis une erreur en concluant que M. Kuznetcov était un membre du KGB?

  2. La SI a-t-elle commis une erreur en concluant que le KGB a été l’auteur de tout acte d’espionnage dirigé contre le Canada au sens de l’alinéa 34(1)(a)?

V. Norme de contrôle

[21] La norme de contrôle applicable quant aux questions en litige devant moi sur le fond de la décision administrative est celle de la décision raisonnable, comme indiqué par la Cour suprême du Canada (Vavilov au para 23). Bien que cette présomption soit réfutable, aucune des exceptions n’est applicable en l’espèce.

[22] Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle. Elle doit être justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov au para 85). Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer que la décision comporte une lacune suffisamment capitale ou importante (Vavilov au para 100).

[23] La Cour ne devrait pas intervenir dans le cas d’une « erreur mineure » (Vavilov au para 100). Ce n’est pas n’importe quelle erreur ou préoccupation qui justifient une intervention de la Cour. Les lacunes reprochées doivent être au-delà des évocations superficielles sur le fond de la décision contestée.

[24] Une cour qui applique la norme de contrôle de la décision raisonnable ne se demande donc pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif. Elle ne tente pas de prendre en compte l’« éventail » des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution « correcte » au problème (Vavilov au para 83).

[25] La norme de la décision raisonnable exige de la cour de révision qu’elle fasse preuve de retenue judiciaire envers une telle décision (Vavilov au para 85).

VI. Analyse

A. La SI a-t-elle commis une erreur en concluant que M. Kuznetcov était un membre du KGB?

[26] Cette question soulève l’appartenance de M. Kuznetcov sous l’alinéa 34(1)f) de la LIPR comme membre d’une organisation (KGB) dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle a été l’auteur d’actes d’espionnages dirigés contre le Canada sous l’alinéa 34(1)(a) de la LIPR.

[27] Les parties sont d’accord sur le fait que la LIPR ne définit pas ce qu’est une « organisation », mais que l’affaire Sittampalam nous indique qu’une interprétation large doit être donnée, que certains facteurs tels que l’identité, le leadership, la hiérarchie, la structure et l’occupation d’un territoire sont utiles, mais non essentiels, pour définir une organisation. Tout dépend des faits et des circonstances de chaque espèce (Sittampalam aux para 38-39; voir aussi Harkat c. Canada (Citoyenneté et Immigation), 2012 CAF 122 au para 150). De plus, les parties sont d’accord que les termes « membre » ou « appartenance » à une organisation doivent aussi être interprétés de manière large, et évalués au cas par cas (Poshteh aux para 27, 30-31 et 35-36).

[28] M. Kuznetcov soumet qu’il est déraisonnable que la SI ait conclu qu’il était « membre » du KGB au sens de la LIPR. Cette conclusion serait déraisonnable parce qu’il n’avait aucun lien direct avec le KGB et qu’il aurait fallu établir un lien entre lui et l’organisation à laquelle on l’assimile, une analyse des facteurs qui n’a pas été faite dans ce dossier (Vukic c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 370 para 38). M. Kuznetcov soumet que le lien sur lequel se base la SI est que le KGB était identifié comme responsable des forces frontalières dans les organigrammes de l’état soviétique. M. Kuznetcov maintient que ce lien est trop lointain pour qu’il soit tenu responsable des actes commis par le KGB étant donné qu’il était seulement membre des forces frontalières.

[29] M. Kuznetcov retrace les faits de l’affaire comme suit :

  • 1)En mai 1988, il a été appelé au service militaire obligatoire et a été affecté à l’armée frontalière marine pour une durée de trois ans, soit jusqu’en 1991.

  • 5)Après son service obligatoire, il est resté volontairement dans la marine jusqu’en 1993, où il a travaillé dans la section des réparations des bateaux militaires frontaliers et parfois pouvait naviguer à la frontière entre la Russie et le Japon.

  • 6)De mars 1993 jusqu’en avril 1999, il quitta le service.

  • 8)En 2003, il quitta de façon définitive le service.

2) Au début de son service, il avait suivi une formation de canonnier pendant 6 mois dans la ville de Anapa, mais M. Kuznetcov a souligné qu’il n’a pas fréquenté l’académie Zarsinsky.

3) Toujours pendant son service obligatoire, il a été envoyé sur un bateau de protection frontalière et naviguait sur un fleuve à la frontière sino-russe. En plus de surveiller la frontière marine, il nettoyait les bateaux et faisait des réparations.

4) En décembre 1990, il a été transféré aux iles Kouriles jusqu’à la fin de son service militaire obligatoire.

7) En 1999, approximativement 6 ans après avoir quitté, il a réintégré l’armée frontalière, assumant notamment des fonctions de l’entretien des bateaux, et effectuait la vérification des équipements et s’occupait de la sécurité dans la région de Mourmansk, à la frontière avec la Norvège.

[30] Je constate que le Ministre ne conteste pas les faits ci-dessus qui sont étayés par la liste de l’expérience militaire et le carnet militaire fourni par M. Kuznetcov.

[31] M. Kuznetcov soutient qu’à travers tout cela, il n’a jamais été officier ni reçu de formation du KGB. Il affirme n’avoir aucune connaissance de collègues ayant été formés par le KGB ou qui faisaient la collecte de renseignements étrangers, ou espionnaient le Canada. M. Kuznetcov admet que la seule collaboration entre l’armée frontalière et le KGB était que ce dernier recueillait des informations concernant les emplacements des bateaux frontaliers. M. Kuznetcov reconnaît que l’armée frontalière faisait partie du KGB à l’époque de l’URSS, mais affirme que le rôle de cette organisation était de s’occuper de la sécurité du pays, et ce, selon lui, sans implication dans des activités d’espionnage.

[32] Selon M. Kuznetcov, la SI a conclu qu’il était membre du KGB uniquement parce qu’il servait dans les troupes frontalières maritimes dont la hiérarchie est militaire, tout en se reposant sur un organigramme sans considérer que le lien était indirect et lointain, et que le concept de membre ne peut être étendu à l’infini (Geng au para 75). M. Kuznetcov renchérit en affirmant que les décisions de la Cour fédérale portant sur l’alinéa 34(1)a) démontrent toujours un lien clair entre l’activité du demandeur, l’organisation dans laquelle il œuvrait et les actes reprochés, afin de démontrer que sa situation est tout autre (voir notamment Lennikov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 43; Weldemariam c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 631).

[33] Le Ministre précise que l’objectif de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR n’est pas de déterminer la « responsabilité » de M. Kuznetcov pour les actes commis par le KGB, et qu’il n’est pas nécessaire que M. Kuznetcov ait lui-même commis les actes d’espionnages ni qu’il ait la connaissance directe des activités ou objectifs de l’organisation (Kanagendren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 86 [Kanagendren]; Canada (Minister of Citizenship and Immigration) v Xu, 2024 FC 267 au para 25). Au vu de la jurisprudence, je ne peux qu’adhérer aux précisions apportées par le Ministre. Le Ministre mentionne que dans Nassereddine c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 85 [Nassereddine] citant Saleh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 303, la Cour fédérale a confirmé qu’en donnant une interprétation large à l’alinéa 34(1)f), l’admission d’appartenance à une organisation justifie en elle-même que le demandeur soit membre au sens de l’article 34 de la LIPR (Nassereddine au para 59). D’autant plus, dans Poshteh, la Cour d’appel fédérale confirme qu’« un critère de l’appartenance fondé sur le niveau d’intégration ne serait pas compatible avec une interprétation libérale du mot « membre » » (Poshteh au para 31).

[34] En l’espèce, bien que M. Kuznetcov maintienne ne pas avoir été membre du KGB, la SI a conclu au contraire dans la Décision. Cette conclusion est soutenue par deux types de preuve : (1) les admissions de M. Kuznetcov faites lors de l’audience devant elle et lors de son entrevu avec l’ASFC, et (2) la preuve documentaire objective pertinente non contredite par M. Kouznetcov devant la SI.

[35] Lors de l’entrevue avec l’ASFC du 11 juillet 2018 et lors de l’audience devant la SI, M. Kuznetcov a admis son appartenance aux forces frontalières marines, que ces troupes frontalières s’appelaient « les armées frontalières liées aux Ordres du KGB de l’Union soviétique », que « les armées frontalières se consid[éraient] comme être les armées du KGB », et qu’elles relevaient du KGB jusqu’à l’effondrement de l’URSS en 1991. Le carnet militaire de M. Kuznetcov indique qu’il a été libéré de son service militaire obligatoire en mai 1991 sous l’ordre no. 47 du KGB le 30 mars 1991. D’ailleurs, en entrevue, M. Kuznetcov a référé à son carnet pour démontrer que le KGB dirigeait l’organisation dont il faisait partie de 1988 à 1991. Finalement, M. Kuznetcov a lui-même volontairement choisi de poursuivre sa carrière de militaire au sein des forces frontalières pour deux ans jusqu’en 1993, et à nouveau de mai 1999 à 2003.

[36] La SI s’est aussi basé sur la preuve documentaire objective qui lui a été soumise pour conclure qu’effectivement les forces frontalières dans lesquelles M. Kuznetcov appartenait faisaient partie du KGB et qu’elles collaboraient étroitement avec les structures du KGB dans le but de surveiller le mouvement de la population soviétique à l’intérieur des frontières. Parmi cette documentation, la SI a pris en considération un document daté de mars 2022 intitulé Le Service fédéral des gardes-frontières – Un pays commence par sa frontière, de Gordon Bennett, dans laquelle il est fait mention que :

Au début de 1992, des troupes frontalières étaient en poste dans toutes les républiques de l’ancienne Union soviétique (AUS). En tant que sous-structure du KGB, les troupes frontalières étaient, dans plusieurs républiques, la seule branche du KGB toujours sur place, ayant en sa possession des documents sensibles. Dans certains cas, les troupes frontalières russes gardaient les frontières parce que Moscou et parfois les autorités locales le voulaient; à l’occasion, elles faisaient les dernières commissions du KGB et transportaient les dossiers du KGB à Moscou.

[…]

La multitude d’organisations fédérales exécutant leurs propres tâches aux frontières rendait très difficile le fonctionnement efficace du nouveau système de contrôle frontalier. En 1995, douze services avaient diverses responsabilités aux frontières de la Russie. Leur nombre avait augmenté à la fin du siècle. Le FPS devait coopérer non seulement avec les structures de pouvoir, mais aussi avec le ministère des Richesses naturelles, le comité d’État pour la pêche, le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation et d’autres instances. Il a le droit de mener des activités de renseignement et de contre-espionnage, dans l’intérêt de la protection des frontières seulement, en coopération avec le service de renseignement extérieur russe (SVR) et le service fédéral de sécurité (FSB).

(Citations omises, soulignements ajoutés)

[37] Le Ministre a comparé la cause en l’espèce à la décision Moiseev en argumentant qu’elles sont similaires. Je suis entièrement d’accord.

[38] Dans Moiseev, le demandeur a essentiellement contesté la conclusion de l’agent des visas selon laquelle le demandeur était membre du KGB en raison de son appartenance aux forces frontalières. Dans Moiseev, le juge de Montigny a jugé que l’agent avait raisonnablement conclu que le demandeur était membre du KGB du fait de son appartenance aux forces frontalières, et ce, malgré le fait qu’il soit possible que toutes les personnes liées à une organisation sous l’égide du KGB ne se livrassent pas nécessairement à des activités d’espionnage:

[11] Le demandeur reconnaît que le KGB était une organisation qui a été l'auteur d'actes d'espionnage contre une institution démocratique. Cependant, il soutient qu'il n'appartenait pas directement à cette organisation, parce qu'il faisait partie de l'unité subalterne des gardes-frontière. Par conséquent, il a soutenu qu'il n'avait pas été satisfait au critère de l'interdiction de territoire pour des raisons de sécurité.

[…]

[20] Comme je l’ai déjà mentionné, les deux parties ont convenu que les membres du KGB sont interdits de territoire en vertu du paragraphe 34(1) de la LIPR. Cependant, le demandeur nie avoir été membre de cette organisation et il soutient que les gardes‑frontière, malgré le fait qu’ils étaient officiellement sous l’égide du KGB, constituaient une unité distincte. Il a ajouté que le KGB contrôlait de nombreux secteurs de l’URSS à l’époque et qu’il serait illogique de supposer que chaque organisme subalterne participait aux activités d’espionnage et de subversion du KGB.

[…]

[22] Cela dit, je dois noter que le demandeur n’a présenté aucune preuve documentaire à l’agent des visas qui expliquait les activités exactes des gardes-frontière. Au contraire, l’agent des visas avait suffisamment de preuves pour conclure raisonnablement que le demandeur était membre du KGB. Premièrement, le demandeur a déclaré lui-même que son unité militaire faisait partie du KGB. Son diplôme démontre aussi qu’il a terminé ses études à un collège du KGB. Son carnet de travail mentionne qu’il a fait son service militaire au sein du KGB. Finalement, le demandeur a mentionné que le supérieur des gardes-frontière rendait compte à Iouri Andropov, alors qu’il était le chef du KGB.

[39] En l’espèce, bien que M. Kuznetcov n’ait pas eu de formation de la part du KGB et que son poste n’impliquait pas nécessairement des activités d’espionnage, il n’était pas déraisonnable pour la SI de conclure que M. Kuznetcov était membre du KGB étant donné la preuve au dossier et l’interprétation large et libérale que devait recevoir le mot « membre » (Poshteh aux para 27, 30-31 et 35-36). Cette preuve démontrait notamment que les forces frontalières composaient l’une des directions du KGB en étant défenseur de l’idéologie soviétique. De plus, la preuve démontrait que les membres des forces frontalières étaient soigneusement sélectionnés par le KGB avant d’être admis, et les forces frontalières avaient en leur possession des documents sensibles.

[40] M. Kuznetcov prétend que l’interprétation qu’a donnée la SI reviendrait à « exclure [du territoire] tous les hommes ayant accompli leur service militaire obligatoire » à l’époque de l’URSS, soit avant décembre 1991. Respectueusement, je ne suis pas de cet avis. Au contraire, je tiens à réitérer que la preuve devant cette Cour est claire à l’effet que M. Kuznetcov a admis son appartenance aux forces frontalières lors de l’entrevue avec l’ASFC et de son témoignage devant la SI. De surcroît, à la lecture du carnet militaire de M. Kuznetcov, il devient clair qu’à la fin de son service militaire obligatoire en mai 1991, il s’est réintégré de manière volontaire aux forces frontalières, alors que le KGB maintenait toujours son rôle. Concernant le dernier point, qui est plus amplement abordé à la prochaine section, la panoplie de preuves documentaires déposée devant la SI et prise en compte par le tribunal dans la Décision révèle que le KGB était encore présent entre le moment où M. Kuznetcov a décidé volontairement de s’engager en mai 1991 et l’effondrement de l’URSS en décembre 1991.

[41] À la lecture du dossier, je suis d’avis que M. Kuznetcov n’a pas présenté de preuve contradictoire contraire à son appartenance. La contestation de M. Kuznetcov se résume au fait que la SI aurait erré, car elle a rendu M. Kuznetcov « responsable » pour les actes commis par le KGB. Je suis d’accord avec le Ministre que l’interdiction de territoire sous l’alinéa 34(1)f) de la LIPR est basée sur l’association d’une personne avec une organisation et non sa participation ni sa responsabilité dans les actes commis ((Poshteh aux para 27, 30-31 et 35-36).

[42] Dans l’ensemble, je juge que le raisonnement de la SI est intelligible en ce qui concerne son évaluation de l’appartenance de M. Kuznetcov. M. Kuznetcov ne peut demander à cette Cour de substituer son opinion à celle du décideur administratif, puisque ce n’est pas le rôle de la Cour en contrôle judiciaire de réévaluer la preuve et d’en arriver à une conclusion différente (Lennikov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 43au para 56 tel que cité dans Moiseev au para 24).

B. La SI a-t-elle commis une erreur en concluant que le KGB a été l’auteur de tout acte d’espionnage dirigé contre le Canada au sens de l’alinéa 34(1)(a)?

[43] Bien que M. Kuznetcov soulève cette question en litige, il a plutôt argumenté dans son mémoire « qu’il n’y a aucune preuve déposée au dossier par le ministre ou citée par [la SI] qui fait état d’actes d’espionnage dirigés contre le Canada de la part de la marine navale frontalière » [soulignements ajoutés]. Le Ministre a raison que la conclusion voulant que le KGB ait commis des actes d’espionnage contre le Canada n’a pas été contestée par M. Kuznetcov dans son mémoire. Cependant, lors de l’audience, M. Kuznetcov a soutenu que la preuve devant la SI n’était pas suffisante pour que celle-ci puisse conclure de façon raisonnable que le KGB a été l’auteur d’acte d’espionnage contre le Canada. L’argument de M. Kuznetcov se résume à une invitation à cette cour de ré-évaluer la preuve qui était devant la SI. En contrôle judiciaire, cette Cour ne peut pas entreprendre une analyse de novo de la preuve présentée devant le décideur administratif (Vavilov aux para 83, 125).

[44] La conclusion du SI voulant qu’il y ait des motifs raisonnables de croire que le KGB a été l’auteur de tout acte d’espionnage contre le Canada est raisonnable. M. Kuznetcov n’a pas été en mesure de se décharger de son fardeau et de démontrer que la Décision était déraisonnable (Vavilov aux para 99-100). La conclusion de la SI a été fondée sur un raisonnement intelligible, transparent et motivé par les éléments de preuve présentée devant la SI. D’autant plus que la preuve du ministre à ce niveau n’a pas été contredite par M. Kuznetcov et que celui-ci n’a pas traité de la question devant la SI :

M. KUZNETCOV a témoigné à l'effet qu'il n'était pas au courant que le KGB aurait fait de l'espionnage contre le Canada. Un survol de la preuve documentaire déposé par le conseil du ministre démontre une continuité d'actes d'espionnage par les autorités russes contre le Canada depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, l'ère de la guerre froide, jusqu'à nos jours, de la part de l'ancêtre du KGB, le NKVD, pendant la vie du KGB de 1954 jusqu'en 1991 et les successeurs le FKS le Service fédéral de contre-espionnage renommé le FSB le Service fédéral de sécurité.

[…]

Le survol de cette preuve documentaire, des sources crédibles et dignes de foi non contredite par M. KUZNETCOV démontrent une continuité à travers des décennies d'opérations d'espionnage par le KGB, ainsi que son prédécesseur et ses successeurs contre le Canada. Cette preuve démontre clairement que la mission et la raison d'être du KGB étaient, comme indiqué à la pièce C-8 à la page 149 comme cité auparavant, de déceler les menaces potentielles pour l'État et d'empêcher que prennent racine toute attitude politique et sociale déviante au sein de la population, notamment en luttant contre les espions et donc que l'organisation a agi de manière cachée, en concordance avec la jurisprudence citée. Le tribunal note que la conseil de M. KUZNETCOV n'a pas traité ce volet dans ses soumissions.

(Décision aux lignes 477-483, 560-568)

[45] Bien que l’analyse pourrait s’arrêter ici, par souci de compréhension et d’intelligibilité, je poursuivrai sur les deux points relevés par M. Kuznetcov dans son mémoire sous cette rubrique.

[46] Selon M. Kuznetcov, la SI aurait 1) assimilé son appartenance au sein du « groupe d’armée navale frontalier » au groupe du KGB, et 2) assimilé le KGB à d’autres groupes qui l’auraient précédé et lui aurait succédé soit le NKVD, et le FKS et FSB, élargissant ainsi la notion du groupe de KGB. M. Kuznetcov allègue le fait que le KGB a disparu avec la fin de l’URSS en 1991, et affirme dans son mémoire que selon le même document Service fédéral des gardes-frontières déposé au dossier « les gardes frontaliers ont été par la suite sous la responsabilité des troupes frontalières, qui est elle-même sous la responsabilité du ministère de la Sécurité et des Affaires intérieures » (Service fédéral des gardes-frontières à la p 199 PDF du DCT). M. Kuznetcov fait valoir que la SI aurait dû analyser les équivalences des fonctions respectives de chaque groupe avant de les assimiler. M. Kuznetcov ayant travaillé comme marin dans des bateaux à la frontière il y a plus de vingt ans deviendrait ainsi responsable des actes commis par le FSB à ce jour, ce qui serait déraisonnable.

[47] Au début, je souligne que le document intitulé Service fédéral des gardes-frontières est plutôt à l’effet que :

Le retour des troupes frontalières sous la responsabilité du ministère de la Sécurité et des Affaires intérieures le 21 décembre 1991, après l’effondrement du KGB et plusieurs jours avant l’effondrement définitif de l’URSS, n’avait que peu d’importance.

[48] En premier lieu, concernant la conclusion de la SI que les forces frontalières faisaient partie du groupe du KGB, la documentation devant le tribunal est à l’effet qu’elles ont fait partie du KGB jusqu’en décembre 1991; qu’elles sont tombées sous la responsabilité du ministère de la Sécurité et des Affaires intérieures jusqu’en 1993 puis renommées le FPS (Service fédéral des gardes-frontières aux pp 202, 203, 204 PDF du DCT). Cette organisation comprenait une direction du renseignement et du contre-espionnage et collaborait avec le FSB, successeur du KGB à partir de 1993 (Service fédéral des gardes-frontières au DCT aux pp 205 PDF du DCT). D’ailleurs, dans sa Décision, la SI a aussi abordé la place qu’occupait le KGB en tant qu’autorité opérationnelle :

Concernant l'argument de la conseil de M. KUZNETCOV à l'effet que les forces frontalières relevaient du ministre de la Défense, plutôt du KGB, le tribunal est en désaccord. C-8 précise à la page 151 « Bien que les troupes frontalières étaient placées sous l'autorité opérationnelle du KGB, leur dotation passée par la conscription dans le cadre de l'appel semestriel du ministère de la Défense, l'incorporation et la libération des conscrits étant régies par la loi de 1967, c'est le service militaire universel couvrant toutes les forces armées de l'Union soviétique. ». Il est donc clair que l'autorité opérationnelle relevait du KGB, pas du fait du ministère de la Défense, qui assumait un rôle administratif lié au service militaire.

(Décision, aux lignes 571-579)

[49] Aussi, les admissions de M. Kuznetcov ne passent pas inaperçues. Lors de l’entrevue avec l’ASFC, après avoir été interrogé à propos de sa carrière militaire entre 1988 et 2003, M. Kuznetcov a clairement indiqué que : « Au dessus[sic] de nous, il y avait aussi le ministre de la défense et les armées frontalières se considèrent comme être les armées du KGB, parce que c'est la sécurité des frontières et comme on nous disait ‘’Vous, vous protégez la paix’’. » D’autant plus, à propos de la période s’étant écoulée entre la fin de son service militaire obligatoire en mai 1991 et l’effondrement de l’URSS emportant la dissolution du KGB en fin 1991, je réitère que M. Kuznetcov a admis s’être volontairement engagé dans un contrat de deux ans dans ces troupes qu’il a lui-même reconnues comme étant sous la direction du KGB, et qui est aussi appuyé par la mention dans son carnet militaire, comme discuté précédemment. À la lumière de ces faits, il était raisonnable pour la SI de conclure que les forces frontalières dans lesquelles M. Kuznetcov faisait partie étaient elles-mêmes sous l’égide du KGB, soit une organisation ayant commis des actes d’espionnages contre le Canada.

[50] En deuxième lieu, concernant l’affirmation de M. Kuznetcov à l’effet que la SI a assimilé le KGB à d’autres groupes qui l’auraient précédé et lui auraient succédé soit le NKVD, et le FKS et FSB, je ne suis pas d’accord. La SI n’a pas simplement procédé à une assimilation entre les groupes. La preuve documentaire non contestée devant la SI démontre une continuité à travers des décennies d'opérations d'espionnage par le KGB, ainsi que par son prédécesseur et ses successeurs contre le Canada. Quelques paragraphes de la Décision de la SI l’illustrent bien :

Le tribunal note que la pièce C-18, une coupure de presse de Radio-Canada révèle le cas d'Igor Gouzenko G-O-U-Z-E-N-K-O, un employé de l'ambassade soviétique, qui en 1945 par peur de la police secrète russe a quitté son travail. Et grâce à sa collaboration, la police d'Ottawa ont surpris des agents du NKVD dans son appartement. À la page 291, l'auteur indique que, « Les documents saisis dans l'affaire Gouzenko révèlent la présence de nombreux espions sur le territoire canadien. Les messages codés dans les documents montrent que les Soviétiques cherchent à obtenir l'information sur les systèmes de radar et l'armement canadien. »

[…]

C-23, une coupure du journal La Presse décrit un stratagème connu du KGB de voler l’identité des enfants canadiens mort. À la p. 374, on peut lire « Dans un scenario typique de la guerre froide, un officier des services secrets russe en poste à Montréal, l’a ressuscité pour attribuer son identité a un super agent infiltré aux États-Unis avec sa femme, elle aussi espionne.

[…]

Concernant l'époque du FSB et l'ascension de Vladimir Putin au pouvoir, à C-14. Un reportage qui provient du site GlobalSecurity.org, à la page 254 « Le pouvoir du FSB prend racine dans l'influence du président Vladimir Putin, un ancien directeur, et d'un vaste réseau d'anciens dirigeants qui a pénétré tous les secteurs du gouvernement et de la société russe. Selon les estimations, 78 pour cent des 1 000 personnalités politiques du premier plan de la Russie ont travaillé avec le FSB ou ses prédécesseurs. Avec ce genre d'influence à sa disposition, le FSB mène des activités de renseignement, de contre-espionnage, de lutte contre le terrorisme, d'enquête sur les crimes économiques, de renseignements électroniques, de contrôle frontalier et de « surveillance sociale ».

[…]

Dans le contexte canadien, C-21, une étude publiée par le Service d'information et de recherche parlementaire en 2018, relate un cas de cyber espionnage impliquant un citoyen canadien en 2014 […]

(Décision aux lignes 485-490, 506-509, 515-520, et 550-551)

[51] En plus, comme reconnu par la Cour d’appel fédérale, un lien temporel n’est pas nécessaire entre l’appartenance de M. Kuznetcov et les actes d’espionnages (Gebreab c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CF 1213, conf. par 2010 CAF 274, tel que cité dans SA c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 494 au para 15).

[52] En tenant compte de la Décision et de tous les faits exposés ci-haut, je conclus que la SI disposaient d’une preuve documentaire permettant de conclure que le KGB a été l’auteur d’actes d’espionnages dirigés contre le Canada, que le KGB était composé de plusieurs directions, dont celle responsable des troupes frontalières, et qu’une étroite collaboration entre les directions du KGB d’une part et son prédécesseur et ses successeurs d’une autre part, notamment en ce qui a trait au contrôle des frontières, existaient et existent.

[53] Finalement, le Ministre souligne qu’une personne interdite de territoire, comme en l’espèce, peut demander une dispense ministérielle en vertu de l’article 42.1 de la LIPR. N’étant pas l’objet du litige, je ne m’avancerais pas dans l’analyse sur le sujet, mais je trouve pertinent de mentionner qu’une option de ce genre existe dans notre droit canadien malgré tout.

VII. Conclusion

[54] Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

VIII. Demande de certification d’une question de M. Kuznetcov

[55] M. Kuznetcov a présenté la question suivante pour la certification :

Une personne est-elle interdite de territoire au Canada conformément à l’alinéa 34(1)f de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés s’il n’y a pas de lien direct entre son organisation et celle responsable des activités d’espionnage contraire aux intérêts du Canada au sens de l’alinéa 34(1)a) de la Loi.

[56] Le Ministre s’oppose à la certification de cette question puisqu’il ne s’agit pas d’une question grave entraînant des conséquences importantes ou de portée générale comme prévu par l’alinéa 74d) de la LIPR.

[57] Je suis d’accord avec le Ministre que la question du lien entre le demandeur et l’organisation qui s’est livrée à des actes d’espionnage dirigés contre le Canada est une question qui se repose sur les faits particuliers d’une affaire et ne transcende donc pas l’intérêt des parties. Je suis aussi d’accord avec le Ministre que la question de savoir s’il existe un lien direct entre l’organisation d’un demandeur et celle qui commet les actes d’espionnage envers le Canada n’est pas déterminante en l’espèce, puisqu’il existe ici un tel lien entre les forces frontalières et le KGB du fait des admissions de M. Kuznetcov, de la preuve documentaire au dossier et de la jurisprudence de cette Cour dans l’affaire Moiseev qui a affirmé qu’il a été raisonnable de conclure que les forces frontalières faisaient partie du KGB.

[58] Dans l’affaire Moiseev, le demandeur avait soulevé la question suivante pour la certification et je note que la sous-question (4) est similaire à celle proposée par M. Kuznetcov :

[Traduction]

Dans le contexte particulier de l’alinéa 34(1)f), afin d’éviter que la disposition ait une portée excessive ou une application trop large, la définition de « membre » devrait-elle être appliquée en tenant compte de critères pertinents tels que :

(1) si ladite organisation existe toujours et constitue une menace actuelle;

(2) s’il existe des motifs raisonnables de croire que le demandeur a participé aux actes d’espionnage ou de subversion contre une institution démocratique;

(3) si le demandeur était un membre « direct » de ladite organisation, comme madame la juge Dawson l’a mentionné dans l’affaire Gariev;

(4) si le demandeur n’était pas un membre « direct » de ladite organisation, l’organisation dont il était un membre « direct » devrait-elle alors faire l’objet de l’examen.

[Soulignements ajoutés]

[59] Le juge de Montigny dans l’affaire Moiseev a refusé la certification de la question proposée se prononçant d’accord avec l’avocate du Ministre que la question soumise pour la certification a déjà était examinée par la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale. Je suis d’accord qu’il y a une abondance de jurisprudence citée par les parties et exposés dans les présents motifs sur la question du lien entre le demandeur et l’organisation qui s’est livrée à des actes d’espionnage dirigés contre le Canada. Plus précisément, la Cour d’appel fédérale a déjà décidé que le terme « organisation » au sens de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR doit être interprété de manière large, que la structure ou la hiérarchie de cette organisation n’est pas essentielle, et que l’identification d’une organisation dépend des faits (Sittampalam, aux para 38-39). Il en est de même en ce qui concerne l’appartenance à une organisation en tant que telle, qui doit recevoir une interprétation large et libérale et qui s’évalue au cas par cas (Poshteh, aux para 27, 30-31 et 35-36; Kanagendren, au para 27; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Gaytan, 2021 CAF 163, aux paras 51 et 76).

[60] Je tiens comme l’a fait le juge de Montigny dans Moiseev à ajouter que ma décision se limite aux faits précis en l’espèce et ne cherche aucunement à déterminer si le critère d’appartenance peut être restreint afin de tenir compte, dans les circonstances appropriées, du lien entre l’organisation prétendument inoffensive dont M. Kuznetcov faisait partie et l’organisation mère responsable des activités d’espionnage.

[61] Pour ces motifs, je refuse de certifier la question de M. Kuznetcov.


JUGEMENT dans le dossier IMM-15861-23

LA COUR STATUE que :

1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Ekaterina Tsimberis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER:

IMM-15861-23

 

INTITULÉ:

ANDREI KUZNETCOV c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE:

ottawa (ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE:

LE 6 février 2025

 

JUGEMENT ET motifs:

LA JUGE TSIMBERIS

 

DATE DES MOTIFS:

LE 12 Août 2025

 

COMPARUTIONS:

STÉPHANIE VALOIS

 

pour le demandeur

 

GENEVIÈVE BOURBONNAIS

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

STÉPHANIE VALOIS

MONTRÉAL, QUÉBEC

pour le demandeur

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

pour le défendeur

 

 

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