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Date : 20250812


Dossier : IMM-14187-23

Référence : 2025 CF 1366

Ottawa (Ontario), le 12 août 2025

En présence de l'honorable madame la juge Tsimberis

ENTRE:

HERMOGENES ROSAS CASTRO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire visant une décision rendue par la Section de la protection de réfugiés [la SPR] contre le demandeur Monsieur Hermogenes Rosas Castro, citoyen du Pérou. Le 20 octobre 2023, la SPR a accueilli la demande de constat de la perte d’asile présentée par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration au titre du paragraphe 108(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]. La SPR a conclu que M. Castro n’a pas renversé la présomption qu’il s’était réclamé de nouveau et volontairement de la protection des autorités du pays contre lequel il a obtenu la protection du Canada et dont il a la nationalité, soit le Pérou, aux termes de l’alinéa 108(1)(a) de la Loi. La SPR a conclu que sa demande d’asile est réputée rejetée, conformément au paragraphe 108(3) de la Loi [la Décision].

[2] Quelques mois après avoir été octroyé la qualité de réfugié contre son pays au sens de la Convention et obtenu le statut de résident permanent, M. Castro a fait renouveler son passeport péruvien et a voyagé dans son pays d’origine alors qu’il alléguait y faire face à un risque pour sa vie par le Service d’intelligence national [SIN] du Pérou. M. Castro a renouvelé son passeport péruvien à trois reprises et a voyagé à au moins sept reprises au Pérou. Les voyages au Pérou s’étalaient sur une période de 15 ans.

[3] Devant la SPR, M. Castro a indiqué qu’il avait besoin d’aller au Pérou pour se faire soigner pour son diabète, car il ne trouvait pas les soins médicaux nécessaires au Québec et avait une barrière de langue.

[4] M. Castro sollicite l’annulation de la Décision et le renvoi de l’affaire pour nouvel examen. Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I. Contexte

A. Faits

[5] Le 23 avril 1999, M. Castro a fait une demande d’asile au Canada en affirmant qu’il était persécuté par le SIN du Pérou.

[6] Le 22 décembre 1999, M. Castro s’est vu octroyer la qualité de réfugié au sens de la Convention, et le statut de résident permanent le 1er novembre 2000.

[7] Quelques mois après avoir obtenu sa résidence permanente, M. Castro a utilisé son passeport péruvien pour voyager au Pérou, un passeport qu’il a obtenu en se présentant lui-même au consulat de Pérou au Canada. M. Castro a voyagé sept fois au Pérou avec ce passeport, et l’a renouvelé à trois reprises, soit en 2003, 2006 et 2009.

[8] En septembre 2013, M. Castro a obtenu un nouveau passeport péruvien expirant en 2018, et l’a utilisé pour voyager deux fois au Pérou.

[9] En 2017, M. Castro demande une référence pour consulter un spécialiste pour son diabète au Québec qu’il obtient la même année.

[10] Le 8 mai 2017, le ministre a déposé sa demande de constat de perte de l’asile auprès de la SPR, faisant valoir que M. Castro s’est volontairement réclamé de la protection des autorités péruviennes en renouvelant son passeport et en voyageant régulièrement dans ce pays.

[11] En avril 2019, après l’introduction de la demande du ministre, M. Castro a sollicité et obtenu un troisième passeport péruvien, expirant en avril 2024. M. Castro n’a pas utilisé ce troisième passeport péruvien pour voyager.

[12] Le 10 avril 2022, lors d’une conférence de gestion devant la SPR, le tribunal a accordé à M. Castro un délai pour se trouver un conseil et il s’est assuré que M. Castro avait une copie de la demande du ministre. Ensuite, M. Castro a de nouveau demandé plus de temps pour se trouver un conseil, ce que la SPR lui a accordé.

[13] Le 22 mars 2023, M. Castro a communiqué le nom de son conseil à la SPR.

B. Décision interlocutoire refusant changement de la date d’audience

[14] Le 30 août 2023, à deux semaines de l’audience prévue pour le 12 septembre 2023, le conseil précédent de M. Castro a demandé à la SPR un changement de date d’audience de la demande de constat de perte de l’asile, l’avisant que M. Castro traversait une période très difficile avec sa santé physique et mentale, qu’il prenait des médicaments pour la dépression prescrite par son médecin, avait beaucoup de difficulté de concentration et de compréhension de ses explications et qu’il n’avait pas pu lui faire signer un affidavit. À l’appui de la demande de changement de date, le conseil précédent de M. Castro a joint sa liste de médicaments et une lettre à son médecin traitant, le tout afin de s’assurer que M. Castro se trouve dans la condition de santé permettant de s’assurer qu’il a les habilitées pour procéder devant le tribunal et, entre autres, qu’il a la capacité et la compréhension de signer l’affidavit circonstancié.

[15] Le 8 septembre 2023, toujours sans lettre du médecin traitant, la SPR a rejeté la demande de changement de la date d’audience, motifs à l’appui et copie transmise à cette même date à M. Castro. La SPR a estimé qu’il n’a pas été établi qu’il existait des circonstances exceptionnelles comme stipulé à l’article 54(4)a) et b) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256 [Règles de la SPR] qui puisse justifier un changement de date et heure de l’audience.

C. Décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire

[16] Dans sa Décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire, la SPR a fait droit à la demande de constat de perte de l’asile concernant M. Castro qui a été présentée par le ministre. La SPR a conclu que M. Castro s’était réclamé de nouveau et volontairement de la protection de son pays d’origine aux termes de l’alinéa 108(1)a) de la Loi en voyageant avec un passeport péruvien et en retournant au Pérou à de nombreuses reprises. Pour tirer cette conclusion, la SPR s’est fondée sur le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le Guide du HCR) tel que statué au terme de multiples décisions de cette Cour, qui énonce trois conditions relatives au fait de se réclamer de nouveau de la protection du pays :

  • le réfugié a agi volontairement;
  • le réfugié a accompli intentionnellement l’acte pour lequel il s’est réclamé à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité;
  • le réfugié a effectivement obtenu cette protection.

[17] La SPR s’est appuyée sur les décisions de la Cour fédérale et du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié pour expliquer que le renouvellement d’un passeport du pays d’origine entraine une présomption réfutable de réclamation de la protection de celui-ci (Nsende c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.F.), 2008 CF 531 aux para 14-15). Par ailleurs, la SPR a souligné que cette présomption est particulièrement forte lorsque le demandeur retourne dans son pays d’origine, et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, un tel retour entraînera la perte du statut de réfugié (Abadi c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2016 CF 29 aux para 16-18).

[18] Considérant que la jurisprudence impose une interprétation restrictive aux clauses de cessation de l’asile (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Bashir, 2015 CF 51 aux para 43-47), la SPR a procédé à l’analyse des trois critères qui doivent être remplis pour constater la perte de l’asile soit, la volonté, l’intention et le succès de l’action (Kuoch c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 979 au para 26).La SPR a conclu que le demandeur satisfaisait aux trois conditions relatives au fait de se réclamer de nouveau de la protection du pays de nationalité.

[19] Premièrement, la SPR a considéré la volonté de M. Castro de se réclamer de la protection du Pérou. La SPR a considéré ce qui suit :

  • Dans l’analyse du motif de l’obtention ou du renouvellement des passeports, la SPR a conclu que les obtentions et renouvellements de passeport ont été fait dans le but de voyager, ce qui ne constituait pas un motif impérieux découlant d’une circonstance exceptionnelle. M. Castro avait affirmé avoir maintenu un passeport péruvien afin d’accéder à son médecin. Cependant, il a tout de même renouvelé son passeport en 2019 après avoir été pris en charge par un médecin au Canada en 2017;

· Dans l’analyse du motif de ses voyages au Pérou, la SPR a jugé la justification médicale non crédible. La SPR a estimé que M. Castro n’avait pas sérieusement cherché des soins pour son diabète au Canada avant 2017, alors que la preuve démontrait qu’il y avait accès. Ainsi, la SPR a rejeté son argument que ses voyages étaient nécessaires pour « sauver sa vie », soulignant que ses consultations au Pérou étaient principalement des suivis de routine;

· Dans l’analyse du nombre (au moins sept voyages en 15 ans) et de la durée des séjours au Pérou, la SPR a conclu que certains des voyages de M. Castro variaient entre deux semaines et quatre mois, mais il n’avait pas démontré pourquoi la durée des voyages devait être aussi longue, s’il n’y allait que pour des suivis médicaux;

· Dans l’analyse d’autres solutions que de retourner au Pérou, la SPR a conclu que M. Castro n’a pas exploré de solutions alternatives à un retour au Pérou même s’il savait que d’autres moyens existaient. La SPR a ajouté que les explications fournies par M. Castro lors de l’audience pour expliquer pourquoi il n’est pas aller chercher des soins au secteur privé, ou dans un autre pays autre que le Pérou, n’était pas crédible.

[20] Deuxièmement, la SPR a conclu que M. Castro avait l’intention requise de se réclamer de la protection du Pérou. La SPR a pris en considération l’affirmation de M. Castro qu’il ne savait pas que ses voyages mettaient en péril son statut de réfugié. Cependant, la SPR a rejeté cet argument soulignant qu’il était un adulte et responsable lors de ses voyages; qu’il n’a jamais cherché à obtenir des informations sur les conséquences possibles de ses déplacements; et que dès 2017, il savait que son dossier était examiné par le ministre et la SPR, mais il a quand même demandé un nouveau passeport péruvien en 2019.

[21] Troisièmement, la SPR a conclu que M. Castro a effectivement obtenu la protection des autorités du Pérou. La SPR a estimé que le comportement de M. Castro ne démontrait pas qu’il avait pris des précautions spéciales pour se cacher ou éviter d’être vu en public. M. Castro a affirmé qu’au Pérou, il sortait peu, principalement pour aller chez son médecin, où il se rendait en taxi et pour prendre l’air. La SPR a considéré que l’utilisation d’un transport public pour se déplacer dans la ville est un élément pertinent quant à son comportement et les mesures de sécurité qu’il prenait. De plus, la SPR a considéré le fait que M. Castro séjournait chez ses parents à Lima, le lieu et la ville où il avait été persécuté avant son départ initial du Pérou.

[22] Pour toutes ces raisons, la SPR a conclu que M. Castro n’avait pas réussi à renverser la présomption selon laquelle il s’est de nouveau et volontairement réclamé de la protection du Pérou.

II. Questions en litige

[23] Les questions en litige sont les suivantes :

III. Norme de contrôle

[24] Les parties conviennent que la norme de la décision correcte s’applique à l’examen se rapportant aux questions d’équité procédurale et de justice naturelle (i.e., la première question en litige) et que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique à la décision administrative sur le fond (c’est-à-dire la décision de la SPR sur le constat de la perte de l’asile).

[25] Les manquements à l’équité procédurale dans les contextes administratifs sont considérés comme pouvant être contrôlés sur la base de la norme de la décision correcte ou sujet à un « exercice de révision […] “particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte”, même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [Canadien Pacifique] au para 54). L’obligation d’équité procédurale « est “éminemment variable”, intrinsèquement souple et tributaire du contexte »; elle doit être déterminée eu égard à l’ensemble des circonstances, incluant la liste non exhaustive de facteurs mentionnés dans Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 RCS 817 aux para 22-23 (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 77). En somme, la Cour de révision se concentre sur la question de savoir si la procédure a été équitable. Pour reprendre les termes de la Cour d’appel fédérale, les questions ultimes ou fondamentales sont les suivantes :

[56] Peu importe la déférence qui est accordée aux tribunaux administratifs en ce qui concerne l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire de faire des choix de procédure, la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre. Cela pourrait s’avérer problématique si une décision a priori sur la question de savoir si la norme de contrôle applicable est la norme de la décision correcte ou la norme de la décision raisonnable donnait une réponse différente à ce qui est une question singulière fondamentale à la notion de justice ― a-t-on accordé à la partie le droit d’être entendue et la possibilité de connaître la preuve qu’elle doit réfuter? L’équité procédurale n’est pas sacrifiée sur l’autel de la déférence.

(Canadien Pacifique au para 56)

[26] Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov au para 85).

[27] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer que la décision comporte une lacune suffisamment capitale ou importante (Vavilov au para 100). La Cour ne devrait pas intervenir dans le cas d’une « erreur mineure » (Vavilov au para 100; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 au para 36). Ce n’est pas n’importe quelle erreur ou préoccupation qui justifient une intervention de la Cour. Les lacunes reprochées doivent être au-delà des évocations superficielles sur le fond de la décision contestée.

[28] Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Une cour qui applique la norme de contrôle de la décision raisonnable ne se demande donc pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif. Elle ne tente pas de prendre en compte l’« éventail » des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution « correcte » au problème (Vavilov au para 83).

[29] La norme de la décision raisonnable exige de la Cour de révision qu’elle fasse preuve de retenue judiciaire envers une telle décision (Vavilov au para 85).

IV. Analyse

A. La SPR a-t-elle manqué à l’équité procédurale en refusant la demande d'ajournement de M. Castro?

[30] M. Castro conteste la décision interlocutoire refusant la demande d’ajournement, mais n’a pas joint les motifs de la décision dans son dossier devant la Cour. Le ministre s’est donc vu contraint de soumettre la décision interlocutoire contestée même si le fardeau appartenait au demandeur dans le cadre de sa demande d’autorisation. J’inclus un extrait de la décision de refus d’ajournement de la SPR ci-après :

« Le tribunal note qu’à aucun moment avant le 31 août 2023 l’intimé a souligné éprouver des problèmes de santé mentale et qu’il a donc eu plusieurs années depuis la signification de la demande de perte d’asile par la représentante du ministre pour se préparer.

Plus important encore, le tribunal note également que les allégations voulant que l’intimé souffre de dépression ne sont appuyées par aucun rapport d’expert ou même lettre du médecin traitant comme le souligne la représentante du ministre. En ce qui a trait à une copie de la liste des médicaments, le tribunal est d’avis que le simple de fait que soumettre une liste de médicaments ou encore le nom d’un médecin ne constitue ni une preuve d’un diagnostic médical confirmant que le demandeur souffre de dépression, ni une preuve de l’incapacité de l’intimé de comprendre la nature de la procédure ou de répondre aux questions qui lui seront posées lors de son audience.

Pour l’ensemble de ces raisons, le tribunal estime qu’il n’a pas été établi qu’il existait des circonstances exceptionnelles comme stipulé à l’article 54(4) a) b) des Règles de la SPR qui puisse justifier un changement de date et heure. Par conséquent, la demande est rejetée et les parties devront se présenter à la date et heure prévue dans l’avis de convocation.

[Caractères gras ajoutés]

[31] M. Castro conteste ladite décision interlocutoire en soutenant que la SPR « a manqué à son « devoir de mener des audiences équitables et à rendre des décisions bien motivées » », en citant le paragraphe 1.3 des Directives numéro 8 du président: Accessibilité des procédures devant la CISR – mesures d’adaptation d’ordre procédural et considérations de fond - Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada [Directives sur l’accessibilité]. M. Castro soutient que le SPR aurait dû lui accorder des mesures d’adaptation raisonnables, comme établi par les paragraphes 9.3 et 9.4 des Directives sur l’accessibilité. M. Castro soumet que le SPR « a fait preuve de rigidité dans l’application des « règles » », étant donné qu’il est une personne âgée de 59 ans, ayant une barrière linguistique et souffrant notamment du diabète, et qu’il est de connaissance judiciaire que le diabète cause des signes d’anxiété telle que, de la difficulté de concentration, d’agitation et de fatigue. M. Castro soulève que, si le SPR doutait du bien-fondé de la demande d’ajournement de M. Castro, le tribunal aurait dû lui demander d’apporter des clarifications ou des preuves justificatives, citant les Directives sur l’accessibilité, et plus spécifiquement le paragraphe 13.2 (« La preuve d'expert n'est généralement pas requise à l'appui d'une demande de mesures d'adaptation d'ordre procédural (…) ») et le paragraphe 13.3 (“Si les commissaires ont besoin de documents pour évaluer une demande de mesures d'adaptation, ils devraient donner à la personne la possibilité de fournir(…) »).

[32] Je ne suis pas d’accord avec M. Castro qui assimile sa demande d’ajournement (et les Règles de la SPR y sont associées) à une demande de mesures d’adaptation (et les Directives sur l’accessibilité y associées). J’explique.

[33] La SPR a motivé sa décision interlocutoire refusant l’ajournement. La SPR s’est fondée sur l’article 54(4)a) et b) des Règles de la SPR et la décision interlocutoire refusant l’ajournement a prise en compte les paragraphes 1, 4 et 6 de l’article 54 des Règles de la SPR qui se lisent comme suit:

Changement de date ou d’heure d’une procédure

Demande par écrit

54 (1) Sous réserve du paragraphe (5), la demande de changer la date ou l’heure d’une procédure est faite conformément à la règle 50, mais la partie n’est pas tenue d’y joindre un affidavit ou une déclaration solennelle.

(…)

Changing the Date or Time of Proceeding

Application in writing

54 (1) Subject to subrule (5), an application to change the date or time of a proceeding must be made in accordance with rule 50, but the party is not required to give evidence in an affidavit or statutory declaration.

Éléments à considérer

(4) Sous réserve du paragraphe (5), la Section ne peut accueillir la demande, sauf en cas des circonstances exceptionnelles, notamment :

a) le changement est nécessaire pour accommoder une personne vulnérable;

b) dans le cas d’une urgence ou d’un autre développement hors du contrôle de la partie, lorsque celle-ci s’est conduite avec diligence.

(…)

Factors

(4) Subject to subrule (5), the Division must not allow the application unless there are exceptional circumstances, such as

(a) the change is required to accommodate a vulnerable person; or

(b) an emergency or other development outside the party’s control and the party has acted diligently.

Demande pour raisons médicales

(6) Si le demandeur d’asile ou la personne protégée présente une demande pour des raisons médicales, à l’exception de celles ayant trait à son conseil, il transmet avec la demande un certificat médical récent, daté et lisible, signé par un médecin qualifié, et sur lequel sont imprimés ou estampillés les nom et adresse de ce dernier. Le demandeur d’asile ou la personne protégée qui a transmis une copie du certificat à la Section lui transmet sans délai le document original.

Application for medical reasons

(6) If a claimant or protected person makes the application for medical reasons, other than those related to their counsel, they must provide, together with the application, a legible, recently dated medical certificate signed by a qualified medical practitioner whose name and address are printed or stamped on the certificate. A claimant or protected person who has provided a copy of the certificate to the Division must provide the original document to the Division without delay.

[34] Le paragraphe 54(6) des Règles de la SPR s’applique au cas de demandes d’ajournements pour raisons médicales. Ce paragraphe des Règles de la SPR contredit l’allégation de M. Castro que le demandeur n’est généralement pas tenu de soumettre une preuve d’expert au soutien de sa demande de modification de date. M. Castro s’appuyait sur les paragraphes 13.2 et 13.3 des Directives sur l’accessibilité, mais ces paragraphes ne s’appliquent pas dans les circonstances spécifiques de demandes d’ajournements pour raisons médicales devant la SPR et ne les remplacent pas. J’observe aussi que la fin du paragraphe 1.3 des Directives sur l’accessibilité indique: « [Les directives] ne modifient pas les exigences législatives ni les principes établis par la jurisprudence. » alors que le changement de la date d’audience a clairement des exigences législatives.

[35] M. Castro prétend que la SPR a fait défaut de considérer les éléments prescrits aux paragraphes 54(1) et (4) des Règles de la SPR, à savoir « le changement est nécessaire pour accommoder une personne vulnérable ». Selon M. Castro, la SPR devait, pour des motifs d’équité et de justice naturelle, l’accommoder, et devait lui permettre de compléter sa preuve avec une expertise médicale. Cependant, M. Castro n’indique aucunement quelle a été la preuve qui a été présentée devant la SPR à l’appui de son allégation qu’il est une personne vulnérable et, en l’absence de preuve, en quoi il est une personne à qui les Directives s’appliqueraient. Selon M. Castro, la SPR aurait dû accorder des mesures d’adaptation, sans prouver qu’une demande a été faite, sans identifier quelles mesures d’accommodement ont été demandées et sans aucune preuve à l’appui.

[36] Dans les faits, le conseil précédent de M. Castro avait plusieurs mois pour rencontrer son client, et si nécessaire, présenter une demande d’ajournement en bonne et due forme avec la preuve médicale requise tout en respectant les alinéas 54(4)a) et b) des Règles de la SPR et/ou demander les mesures d’adaptation nécessaires sous les Directives d’accessibilité, si nécessaire. Dans les circonstances, il n’y avait aucune explication raisonnable pour ne pas avoir soumis une preuve médicale à la SPR et la SPR ne peut pas être critiquée d’avoir respecté ses Règles de la SPR.

[37] À la lumière du dossier devant cette Cour, je suis d’accord avec le ministre. Le paragraphe 54(4) des Règles de la SPR, prévoit que le changement de date et d’heure de l’instance ne sera accordé que s’il y a « des circonstances exceptionnelles ». Je trouve qu’en l’espèce, la SPR a correctement conclu qu’il n’y avait pas de circonstances exceptionnelles. En l’absence de circonstances exceptionnelles, la SPR ne pouvait pas accueillir la demande d’ajournement (paragraphe 54(4) des Règles de la SPR) et son refus de l’ajournement était correct.

[38] Dans les circonstances, je suis d’avis que la SPR n’a pas enfreint l’équité procédurale de M. Castro en appliquant ses propres Règles de la SPR et en refusant la demande d’ajournement. Contrairement aux allégations de M. Castro, je suis d’avis que la décision interlocutoire de la SPR refusant sa demande d’ajournement pour raisons médicales était justifiée en raison de son non-respect des alinéas 54(4)a) et b) des Règles de la SPR.

B. Dans sa Décision sur le constat de la perte de l'asile, la SPR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation des explications soumises à l'audience par M. Castro?

[39] J’ai pris en considération les observations de M. Castro quant aux conditions de la volonté et de l’intention de se réclamer de nouveau de la protection du pays relatives au fait de se réclamer de nouveau de la protection du pays, et j’ai conclu qu’il n’avait pas démontré que la décision de la SPR était déraisonnable.

[40] M. Castro prétend qu’en ne le permettant pas de soumettre une expertise médicale, la SPR n’a pas satisfait aux volets de l’intention et du succès de l’action et échoue le test conjonctif. Selon M. Castro, la SPR n’a pas procédé à l’analyse de son état de connaissance réelle et de son intention reliée à ses troubles de santé étayée par une preuve d’expert avant de conclure qu’il avait l’intention de se réclamer de nouveau la protection de Pérou. M. Castro conteste la conclusion de la SPR relative à la crédibilité :

[24] […] de l’ensemble de ses réponses, que l’intimé n’est pas crédible dans sa prétention qu’il lui a été impossible, jusqu’en 2017, d’obtenir les soins de santé nécessaires à sa condition médicale.

(Décision, au para 24.)

[41] À mon avis, la SPR n’a pas tenté de dérober le rôle d’expert médical, mais a considéré le témoignage de M. Castro, a analysé la preuve documentaire et a conclu que ses déclarations quant à la justification médicale pour ses voyages répétitifs et de longue durée au Pérou n’étaient pas crédible et était contredit par la preuve et son témoignage. La SPR a donc conclu que M. Castro n’a pas démontré de manière crédible qu’il lui été impossible d’obtenir de tels soins de santé au Canada et que c’est donc volontairement qu’il a fait renouveler son passeport péruvien à trois reprises et à voyager dans son pays d’origine. Afin de remplir son rôle de tribunal, la SPR est en droit de soupeser la preuve, de constater un manque de preuve ou de constater des problèmes de crédibilité. Je ne vois pas, dans le dossier du M. Castro, des éléments de preuves, des arguments légaux ou de la jurisprudence qui me convainquent que la conclusion de la SPR est déraisonnable.

[42] Je suis d’accord avec le défendeur qui argumente qu’à la lecture de la Décision, il est apparent que M. Castro a pu faire valoir toutes les explications qu’il désirait mettre de l’avant, et qu’il appartenait à la SPR d’apprécier la suffisance et la crédibilité de ses explications. C’était ouvert à la SPR de conclure que M. Castro a agi volontairement quand il a fait renouveler son passeport péruvien à trois reprises et à voyager dans son pays d’origine au moins sept fois, alors qu’il alléguait y faire face à un risque pour sa vie par le SIN du Pérou. Sans la démonstration d’aucune lacune dans le raisonnement de la SPR, les arguments de M. Castro invitent la Cour à substituer son opinion à celle du décideur administratif spécialisé, ce qui n’est pas mon rôle en contrôle judiciaire.

[43] Après une analyse approfondie du dossier, je suis également de l’avis que la SPR a soupesé le manque de connaissance réelle de M. Castro quant aux conséquences de ses actes sur l’immigration avec tous les autres éléments de preuve conformément à ce qu’édicte Canada (Citoyenneté et Immigration) c Galindo Camayo, 2022 CAF 50 [Camayo].au paragraphe 70 :

[70] Le manque de connaissance réelle d’une personne quant aux conséquences de ses actes sur l’immigration ne peut pas être déterminant en ce qui concerne la question de l’intention. Il s’agit toutefois d’une considération factuelle clé, et la SPR doit soit la soupeser avec tous les autres éléments de preuve, soit expliquer correctement pourquoi la loi exclut sa prise en compte.

[Soulignement dans l’original.]

[44] Je trouve que la SPR a clairement étayé les raisons et motifs de la Décision basée sur le dossier devant elle. M. Castro ne m’a pas convaincu que la SPR a été déraisonnable en concluant qu’il n’a pas réussi à renverser la présomption selon laquelle le renouvellement d’un passeport du pays d’origine entraine une présomption de réclamation de la protection.

[45] Les motifs de la SPR que la Cour a pris la peine de résumer dans la Section I.C plus haut respectent les exigences de la décision raisonnable puisqu’elles fournissent des motifs suffisants, intelligibles et logiques pour arriver au constat de perte d’asile de M. Castro.

V. Conclusion

[46] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. L’issue de la présente affaire découlant de faits particuliers à celle‑ci, aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.


JUGEMENT dans le dossier IMM-14187-23

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Ekaterina Tsimberis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER:

IMM-14187-23

 

INTITULÉ:

HERMOGENES ROSAS CASTRO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE:

ottawa (ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE:

LE 6 février 2025

 

JUGEMENT ET motifs:

LA JUGE TSIMBERIS

 

DATE DES MOTIFS:

LE 12 Août 2025

 

COMPARUTIONS:

Carlos Rutilio Vanegas

 

pour le demandeur

 

Margarita Tzavelakos

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

VANEGAS GUZMAN INC.

Montréal (Québec)

pour le demandeur

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Montréal (Québec)

pour le défendeur

 

 

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