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Date : 20250715


Dossier : IMM-4776-24

Référence : 2025 CF 1257

Ottawa (Ontario), le 15 juillet 2025

En présence de l’honorable madame la juge Saint-Fleur

ENTRE :

JEANETTE REINA POZO NIEVES

EMILY FRANCHESCA URZUA POZO

Partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

Partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Jeannette Reina Pozo Nieves [demanderesse] et sa fille mineure, Emily Franchesca Urzua Pozo [demanderesse mineure] (ensemble, les « demanderesses »), sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision rendue à leur encontre le 22 février 2024 [décision] par la Section d’appel des réfugiés [SAR] rejetant leur appel de la décision du 23 juin 2023 de la Section de protection des réfugiés [SPR] qui a rejeté leur demande d’asile.

[2] Les demanderesses ont soumis leur demande d’asile avec l’époux de la demanderesse et père de la demanderesse mineure [époux], ainsi que l’autre enfant mineure du couple, la fille de l’époux et fille aînée de la demanderesse, Maitte. Leur demande d’asile se basait sur le récit du frère de l’époux. La demande d’asile des demanderesses et Maitte ont été refusées par la SPR le 23 juin 2023. Cependant, celle de l’époux a été acceptée par la SPR qui l’a reconnu comme personne à protéger face au Chili en raison des problèmes de son frère.

[3] Les demanderesses et Maitte ont fait appel de la décision de la SPR devant la SAR. Le 22 février 2024, tout en rejetant la demande des demanderesses, la SAR a accordé le statut de réfugiée à Maitte face à l’Équateur en raison de son appartenance au groupe social des personnes intersexuées.

[4] Les demanderesses soutiennent que la décision de la SAR est déraisonnable parce qu’elle a rejeté de nouveaux éléments de preuve cruciaux pour leur appel et parce que la SAR n’a pas analysé le risque imminent auquel les demanderesses seraient exposées en Équateur. Le défendeur soutient pour sa part que la décision de la SAR était raisonnable.

[5] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire des demanderesses est rejetée.

II. Contexte

[6] La demanderesse est citoyenne de l’Équateur, son pays d’origine, et du Chili, le pays de son époux où elle a vécu avant son arrivée au Canada. La demanderesse mineure est citoyenne du Chili et peut obtenir la citoyenneté du pays de sa mère.

[7] En mai 2019, les demanderesses sont arrivées au Canada en compagnie de l’époux ainsi que plusieurs autres membres de la famille de ce dernier. Ils ont soumis une demande d’asile se basant sur le récit du frère de ce dernier face au Chili.

[8] Dans le cadre de son entreprise, le frère de l’époux détenait des documents recherchés par des personnes impliquées en politique et pointées du doigt dans un scandale de fraude survenu au Chili en 2015 et connu sous le nom de « Penta Gate ». Parmi ces personnes se trouvait un homme politique influent au Chili. Ces personnes ont menacé le frère de l’époux. Des membres de la famille ont, à tour de rôle, connu des problèmes, et ont fui le pays en groupe pour venir demander l’asile au Canada.

III. Décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[9] La SAR a jugé que la demanderesse bénéficie de la citoyenneté de l’Équateur, et que la demanderesse mineure dispose d’un droit sans équivoque à l’obtenir. En conséquence, la SAR a analysé leur crainte et risque invoqués face à ce pays.

[10] Dans un premier temps, la SAR a refusé d’admettre certains des éléments de preuve que les demanderesses ont soumis à l’appui de leur appel parce qu’ils ne satisfont pas aux critères de l’article 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, ch. 27) [LIPR].

[11] Plus précisément, la SAR a refusé d’admettre les pièces A-5 et A-6 (des messages respectivement reçus sur WhatsApp le 30 mai 2023 et le 22 juin 2023, faisant état de menaces d’extorsion reçues par la famille de la demanderesse en Équateur), la pièce A-8 (des articles concernant l’extorsion en Équateur) et la pièce A-9 (un article daté du 16 février 2022 portant sur les activités du Cartel Jalisco Nueva Generacion [CJNG] en Équateur), parce qu’ils datent d’avant la décision de la SPR et que puisqu’il avait été question de l’Équateur lors des audiences devant la SPR, elles auraient normalement été présentées à la SPR avant qu’elle ne rende sa décision.

[12] Dans un deuxième temps, la SAR a rejeté l’appel des demanderesses parce qu’elles n’ont pas démontré l’existence d’un risque prospectif en Équateur.

[13] La SAR a trouvé que la preuve au dossier est à l’effet que les demanderesses ne sont pas particulièrement visées par les agents persécuteurs et que même si l’époux a reçu des menaces impliquant les demanderesses et la famille en général, ces menaces sont accessoires au principal intéressé, le frère de l’époux. La SAR a également constaté que les menaces en 2019 et qu’aucun autre incident n’a eu lieu depuis 2019.

[14] La SAR a traité de l’allégation des demanderesses voulant que les agents du préjudice par l’entremise d’une compagnie au centre du scandale au Chili aient la capacité de les retrouver en Équateur parce qu’il y a un bureau dans ce pays, et a déterminé que l’existence de succursales d’une entreprise transnationale ne permet pas d’inférer que des individus à l’emploi d’un politicien au Chili soient en mesure de faire appel à des employés d’une succursale spécifique située en Équateur. La SAR a également considéré que la preuve au dossier ne permet pas de conclure que des tueurs à gages, qu’il est possible d’engager, seraient en mesure de localiser les demanderesses en Équateur.

[15] La SAR a déterminé que la preuve démontre que les demanderesses peuvent bénéficier d’une présence familiale en Équateur. Pour la SAR, les problèmes auxquels fait face la famille des demanderesses en Équateur sont étrangers aux problèmes qu’elles ont vécu au Chili en lien avec la situation du frère de l’époux. De plus, aucune preuve n’indique que les demanderesses sont également ciblées par l’extorsion dont seraient victimes les membres de leur famille en Équateur.

[16] Concernant l’allégation de la demanderesse voulant qu’elle soit proche aidante pour son mari, la SAR a considéré que ce dernier a été reconnu comme personne à protéger au Canada et a souligné que le concept d’unité familial ne constitue pas une considération sous les articles 96 et 97(1)b) de la LIPR.

IV. Questions en litige

[17] Les questions en litige dans cette affaire sont les suivantes :

  1. La décision de la SAR de rejeter des éléments de preuve est-elle déraisonnable?

  2. La décision de la SAR est-elle déraisonnable?

V. Norme de contrôle

[18] Les parties soumettent, et je suis d’accord, que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable. Je dois donc évaluer si la décision rendue par la SAR était intelligible et justifiée à la lumière du droit applicable et des faits qui lui ont été soumis (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 99).

VI. Dispositions législatives pertinentes

[19] Le paragraphe 110(4) de la LIPR prévoit les conditions d’admissibilité de la preuve devant la SAR. Cette disposition se lit comme suit :

110(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

110(4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

VII. Observations des parties

A. Observations des demanderesses

(1) L’admission des preuves

[20] Les demanderesses prétendent que la SAR a été déraisonnable dans son appréciation de l’admission des captures d’écran de menaces reçues sur WhatsApp le 30 mai et 22 juin 2023 (pièces A-5 et A-6 respectivement) en vertu du paragraphe 110(4) LIPR, en n’appréciant pas les facteurs établis par Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 38, et les circonstances entourant les preuves. Elles prétendent plus tard dans ses observations que, ayant ses preuves au dossier, la SAR aurait déduit une conclusion différente.

[21] Spécifiquement, les demanderesses prétendent qu’elles étaient dans l’impossible de déposer les preuves au moment des faits, soit le 30 mai 2023 et le 22 juin 2023, parce que c’était seulement le 11 juillet 2023 que les persécuteurs ont indiqué au frère de la demanderesse être les auteurs du vol de voiture survenu en mai, et la demanderesse vivait une situation difficile avant la décision alors sa famille avait donc choisi de ne pas l’inquiéter davantage en lui parlant de la situation.

[22] Les demanderesses ajoutent que la SAR a traité les pièces A-5 et A-6 de façon différente que les pièces A-2, A-3 et A-4, alors que ces derniers n’étaient également pas normalement accessibles en tenant compte des circonstances. Enfin, les demanderesses comparent la non-admission du document A-6 avec le document A-2, ce dernier datant de seulement 10 jours avant la décision de la SPR, alors qu’A-6 date d’une seule journée avant la décision de la SPR.

[23] Les demanderesses ajoutent que la décision était déraisonnable en rejetant les pièces A-8 et A-9, les articles concernant l’extorsion en Équateur et les activités des cartels en Équateur, respectivement, puisque la situation d’extorsion n’était pas encore connue de la demanderesse et ne pouvaient être présentées à la SPR avant que la décision soit rendue.

[24] Les demanderesses demandent à la Cour d’accepter les explications de l’affidavit de la demanderesse en vertu de l’exception qui accepte qu’une partie puisse déposer un affidavit qui « [...] vise les observations purs [sic] et simples propres à diriger la réflexion du juge réformateur afin qu’il puisse comprendre l’historique et la nature de l’affaire dont le décideur administratif était saisi », « [...] en relevant, récapitulant et mettant en évidence les éléments de preuve les plus utiles dans cette tâche » (Delios c Canada (Procureur général), 2015 CAF 117 au para 45; Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263 au para 23; Sharma c Canada (Procureur général), 2018 CAF 48 au para 8).

(2) La possibilité de retour en Équateur

[25] Les demanderesses prétendent que la SAR a pris une décision déraisonnable en affirmant que les demanderesses ne sont pas exposées à un risque advenant un retour en Équateur et en concluant qu’elles ne deviendront pas la cible des persécuteurs du simple fait de leur appartenance à la famille de la demanderesse. Elles soumettent qu’une femme seule, avec des problèmes de santé mentale et une fille ne pourraient bénéficier du soutien d’une famille persécutée par un groupe criminel dangereux en Équateur. Les demanderesses prétendent que la preuve démontre que les persécuteurs ciblent la famille et ont de l’information là-dessus, et que le soutien de la famille est illusoire. Les demanderesses prétendent que la décision était déraisonnable pour avoir omis de tenir compte de cette preuve.

[26] La demanderesse prétend aussi que, considérant les problèmes de santé d’ordre psychologique de son époux et le fait que personne d’autre au Canada ne puisse s’occuper de Maitte et son suivi médical, elles devront amener Maitte avec elles en Équateur. La demanderesse soutient que cela mettrait en péril la santé de Maitte.

[27] Les demanderesses ajoutent que le traitement par la SAR du cas de la demanderesse mineure était déraisonnable, car les chances que la demanderesse mineure ait la même condition médicale que Maitte « sont très élevées » et elle pourrait donc être confrontée par les mêmes dangers en Équateur. Les demanderesses prétendent également que la conclusion de la SAR et le silence de la déclaration de la demanderesse du 14 septembre 2023 concernant les résultats des tests génétiques conclut à une absence de preuve et, par extension, à une absence de résultats similaires pour la demanderesse mineure a été déraisonnable.

[28] Les demanderesses ajoutent que la SPR était déraisonnable en n’ayant pas reconnu les dangers auxquels elles pourraient être confrontées en tant que mère seule et la sœur de Maitte, un enfant intersexué dans un pays où la discrimination basée sur l’identité sexuelle est répandue.

B. Observations du défendeur

(1) L’admission des preuves

[29] Le défendeur note qu’il repose sur les demanderesses de convaincre la SAR que les éléments de preuve qu’elles veulent faire admettre satisfont aux exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR. Le défendeur soutient que l’analyse de la SAR sur l’admissibilité de la nouvelle preuve et sur la tenue d’une audience est conforme aux prescriptions de la LIPR et à l’approche proposée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96.

[30] Le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour la SAR de tenir compte que, comme les audiences de la SPR datent d’octobre 2021 et octobre 2022, soit huit mois avant que la décision ne soit prise le 23 juin 2023, et que lors de ces audiences il était déjà question de l’Équateur comme étant le pays de référence pour les demanderesses, il était normalement attendu que toute preuve de risque relative à l’Équateur soit soumise avant que le tribunal de première instance rende sa décision.

[31] Par rapport à l’admissibilité du nouvel affidavit, le défendeur soutient que, comme les demanderesses n’indiquent pas précisément les allégations auxquelles elles font référence, le principe voulant que de la nouvelle preuve ne puisse être considérée en contrôle judiciaire est applicable (Moreau c Canada (Procureur général), 2019 CAF 237 au para 4).

(2) La possibilité de retour en Équateur

[32] Le défendeur rappelle que l’objet de l’évaluation d’une demande d’asile consiste à déterminer si le demandeur d’asile a déjà eu des risques dans le passé, mais aussi s’il fera face à des risques actuels ou prospectifs—soit des risques présents et futurs—advenant son retour dans son pays. Il fait référence à l’arrêt Kiharangwa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1159 au paragraphe 25, où le Juge Ahmed a exprimé que les incidents passés peuvent indiquer la possibilité d’une persécution future, mais qui n’en sont pas nécessairement garants.

[33] Le défendeur soutient que la SAR a raisonnablement conclu que, même s’il est admis que les membres de la famille de la demanderesse en Équateur sont ciblés par des criminels qui les extorquent, le problème est différent de ce que la demanderesse a vécu au Chili découlant des problèmes du frère de son époux, et aucune preuve n’indique que les demanderesses sont également ciblées.

[34] En réponse à l’argument des demanderesses que la SAR n’a déraisonnablement pas pris en considération le fait qu’elles devront amener Maitte avec elles en Équateur, le défendeur soumet que la SAR a attentivement considéré les situations de chacune des demanderesses, et a raisonnablement conclu que seul Maitte a établi un risque prospectif de retour. Pour ce qui du risque que la demanderesse mineure ait la même condition médicale de sa sœur, le défendeur soumet que sans les résultats des tests, cet argument est spéculatif.

VIII. Analyse

A. Question préliminaire – l’admissibilité des affidavits

[35] D’abord, en ce qui concerne les explications fournies par les demanderesses contenues dans l’affidavit déposé à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire sur les raisons pour lesquelles elles ont tardé à présenter les preuves à la SAR, je suis d’avis qu’elles ne doivent pas être acceptées à l’étape d’un contrôle judiciaire.

[36] La règle générale est que la Cour n’accepte pas de considérer de la nouvelle preuve, dont une preuve qui n’était pas devant le décideur administratif au moment qu’il avait pris la décision faisant l’objet en litige, sauf dans le cas d’une situation exceptionnelle soit: i) lorsqu’un nouvel élément de preuve est nécessaire pour fournir des renseignements généraux dans des circonstances où ces renseignements pourraient aider à comprendre les questions que soulève le contrôle judiciaire, ii) pour signaler les manquements à l’équité procédurale, et iii) pour faire ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une certaine conclusion (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 aux para 19–20 [Access Copyright]; Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 aux para 97–98).

[37] Comme le souligne le défendeur, les demanderesses demandent à la Cour d’accepter des explications contenues dans l’affidavit parce que ces explications dirigeraient la réflexion de la Cour. Cependant, elles n’indiquent pas précisément les allégations auxquelles elles font référence. Surtout à mon avis, elles ne démontrent pas en quoi les explications contenues dans l’affidavit rencontreraient les exigences de l’une des trois situations d’exceptions énoncées plus haut. Les explications contenues dans l’affidavit ne constituent pas l’une des trois exceptions prévues (Access Copyright aux para 19–20).

[38] Ensuite, en plus de l’affidavit initialement déposé à l’appui de leur demande de contrôle judiciaire, les demanderesses ont déposé un affidavit supplémentaire le 31 mars 2025. Celui-ci fait principalement état de facteurs d’ordre humanitaire concernant les problèmes de santé d’ordre psychologique de l’époux et le fait que personne d’autre au Canada ne puisse s’occuper de Maitte et de son suivi médical. Ces considérations d’ordre humanitaire ne sont pas pertinentes dans le cadre d’un contrôle judiciaire visant à déterminer la raisonnabilité de la décision de la SAR concluant que les demanderesses n’ont pas démontré l’existence de risque de retour des demanderesses en Équateur.

B. L’admission des preuves

[39] Je suis d’accord avec le défendeur qu’il était raisonnable pour la SAR de ne pas admettre en preuve les pièces A-5, A-6, A-8 et A-9 décrites plus hautes.

[40] En particulier, les pièces A-5 et A-6, des messages reçus par le frère de la demanderesse adulte sur WhatsApp lui demandant de payer des sommes d’argent comme montant d’extorsion datent d’avant le rejet de la demande d’asile par la SPR. Conséquemment, il était raisonnable pour la SAR de conclure qu’il ne s’agit pas de documents survenus depuis le rejet de leur demande d’asile.

[41] Quant à savoir s’il s’agit d’éléments de preuve qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elles n’auraient pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet de la demande d’asile, les demanderesses expliquent à la Cour que leur famille Équateur ne les avait pas informées de ces messages dont elles n’ont pris connaissance qu’en août 2023. Cependant, les demanderesses n’indiquent nulle part que ces explications ont été fournies à la SAR. Les demanderesses ont simplement fait valoir à la SAR que ces éléments de preuve n’étaient pas accessibles au moment de l’audience sans expliquer pourquoi ils ne l’étaient pas au moment du rejet de la demande d’asile. Or, les demanderesses ne peuvent pas fournir devant la Cour, une explication plus étayée que celle qu’elles ont donnée à la SAR pour expliquer pourquoi elles n’ont pas pu soumettre leurs nouveaux éléments de preuve plus tôt. Puisque la nouvelle preuve a été soumise à la SAR, c’est à la SAR qu’il revient de lire et d’en analyser la trame justificative (Jules c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 882 (CanLII) 2022 CF 882 au para 38).

[42] Quant à l’argument des demanderesses selon lequel les pièces A-2 et A-6 ont été traitées de manière différente du rapport médical A-2, je ne peux y souscrire. La SAR a analysé chacun des éléments de preuve qui lui ont été soumis et a expliqué pourquoi chacun d’entre-eux rencontre ou non les exigences de 110(4) de la LIPR.

[43] Le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour la SAR de tenir compte que, comme les audiences de la SPR datent d’octobre 2021 et octobre 2022, soit de huit (8) mois avant la décision de la SPR, il avait été question de l’Équateur comme pays de référence pour les demanderesses et donc elles savaient qu’il était nécessaire de démontrer l’existence de crainte et de risque pour elles dans ce pays. Dans ces circonstances, il était raisonnable pour la SAR de conclure qu’il était normalement attendu que toute preuve de risque en Équateur soit soumise à la SPR avant qu’elle rende sa décision.

[44] Il en va de même pour les arguments des demanderesses relativement à la non-admissibilité des articles de presse soumis sous A-8 et A-9, portant sur l’extorsion et le cartel CJNG en Équateur voulant que la situation sur l’extorsion ne fût pas connue d’elles avant le rejet de la demande d’asile par la SPR. Lors de leur audience devant la SPR, l’Équateur était un pays de référence, il était attendu qu’elles soumettent leur preuve de risque à la SPR avant qu’elle ne rende sa décision.

C. La possibilité de retour en Équateur

[45] La SAR a déterminé que la question déterminante dans l’appel des demanderesses porte sur le risque prospectif pour elles en Équateur. La SAR a conclu qu’elles n’ont pas démontré l’existence d’un tel risque. À mon avis, il était raisonnable pour la SAR de conclure ainsi.

[46] Selon la preuve au dossier, la famille du frère de l’époux n’est pas retournée au Chili. Bien qu’il y ait eu mention dans les menaces des personnes accessoires au frère de l’époux de la demanderesse et des demanderesses en avril 2019 et mai 2029, les personnes impliquées en politique du Chili et agents persécuteurs voulaient contraindre le frère de l’époux à leur remettre des documents compromettants. Les menaces que ces personnes ont proférées à l’ensemble de la famille du frère de l’époux sont accessoires au principal intéressé et datent de 2019 sans qu’aucun autre incident ait eu lieu depuis. Les membres de la famille des demanderesses en Équateur n’ont pas eu de problèmes en lien avec les problèmes du frère de l’époux.

[47] De plus, la SAR a pris en compte que la mère et le frère de la demanderesse en Équateur ont été extorqués, mais a trouvé qu’il n’a pas été démontré que ce soit d’une part en lien avec le scandale au Chili et d’autre part que les demanderesses soient elles-mêmes ciblées par l’extorsion en Équateur. Cette conclusion de la SAR est raisonnable et est fondée sur la preuve au dossier.

[48] Finalement, j’estime que la SAR a attentivement considéré les situations de chacune des demanderesses. Considérant que pour la demanderesse mineure, en l’absence de résultats de test similaires à ceux de sa sœur Maitte, il était raisonnable pour la SAR de conclure qu’elle n’a pas démontré qu’elle est dans la même situation.

[49] En terminant, je constate que les demanderesses font l’argument que la SAR n’a pas analysé les dangers auxquels elles feraient face en Équateur en tant que parent ou sœur d’une personne intersexuée, mais que cet argument n’était pas présenté à la SAR et n’était donc pas devant le décideur administratif. Par conséquent, il n’est pas recevable dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

[50] Il est de jurisprudence constante que la Cour ne peut considérer de la preuve qui n’a pas été soumise au décideur administratif (Goodman c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2022 CAF 21 au para 4; Khalid c Canada (Conseil National de Recherches), 2013 CF 438 au para 49). En règle générale, les cours n’examinent pas une nouvelle question dans le cadre d’un contrôle judiciaire si cette question avait pu être soulevée devant le décideur administratif, mais ne l’a pas été (voir, par exemple, Firsov c Canada (Procureur général), 2022 CAF 191 au para 49, ainsi que les affaires qui y sont citées).

IX. Conclusion

[51] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[52] Aucune des parties n’a proposé de question pour la certification. Les circonstances factuelles de la présente affaire n’en soulèvent aucune.


JUGEMENT dans IMM-4776-24

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« L. Saint-Fleur »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4776-24

INTITULÉ :

JEANETTE REINA POZO NIEVES, ET AL. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 JUIN 2025

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SAINT-FLEUR

DATE DES MOTIFS :

LE 15 JUILLET 2025

COMPARUTIONS :

Me Ana Mercedes Henriquez

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Simone Truong

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Henriquez Avocate Inc.

Avocats

Montréal (Québec)

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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