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Date : 20250724

Dossier : T-1784-23

Référence : 2025 CF 1321

Ottawa (Ontario), le 24 juillet 2025

En présence de madame la juge en chef adjointe St-Louis

ENTRE :

CHRISTOPHER LILL

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] M. Christopher Lill, détenu fédéral s’identifiant comme autochtone, purge une peine d’emprisonnement à perpétuité après avoir été condamné, en 2007, pour meurtre au premier degré.

[2] En janvier 2021, la cote de sécurité de M. Lill est augmentée de minimum à médium et M. Lill est transféré d’urgence de l’établissement Archambault à celui de Cowansville. M. Lill demande ensuite plusieurs fois un transfèrement vers un établissement à sécurité minimum et une déclassification de sa cote de sécurité.

[3] Le 15 mai 2022, suivant le refus de sa deuxième demande, M. Lill dépose un grief final numéro V30R00072058 dont le sujet est le « Refus de demande de diminution de cote de sécurité et de transfèrement ». Le 4 janvier 2023, à la suite d’un autre refus, M. Lill dépose un addendum à son grief final, addendum dont le sujet est quant à lui le « Refus de demande de transfèrement et de reclassification » [Grief 2058].

[4] Le 7 juin 2023, le Commissaire adjoint, Politiques du Service correctionnel du Canada [le Décideur] rejette le Grief 2058 de M.°Lill [Décision], notant que ledit grief porte sur des allégations de discrimination et de harcèlement de la part de la direction de l’établissement de Cowansville.

[5] M.°Lill demande le contrôle judiciaire de la Décision et il sollicite, avec dépens, les réparations suivantes:

(a) Une déclaration que la Décision est déraisonnable;

(b) Une ordonnance de mandamus enjoignant le défendeur de radier toute information contenue dans le dossier carcéral du demandeur en lien avec les demandes de transfèrement et de réévaluation de cote de sécurité du demandeur daté [sic] de juin et décembre 2021, ainsi que de juin 2022;

(c) Une déclaration que le Service Correctionnel [sic] du Canada a pris des mesures de représailles à l’endroit du demandeur suivant ses plaintes formulées auprès du Bureau de l’enquêteur correctionnel du Canada ainsi qu’auprès de la Commission canadienne des droits de la personne;

(d) Une ordonnance de mandamus enjoignant le défendeur de radier toute information contenue dans le dossier carcéral du demandeur en lien avec les outils actuariels provenant des évaluations psychologiques du risque dans les recommandations et décisions administrative [sic] faites à son endroit;

(e) Une déclaration à l’effet que l’utilisation de toute information en lien avec les outils actuariels (étiquettes diagnostiques et scores bruts) provenant des évaluations psychologiques du risque dans les recommandations et décisions administratives à l’endroit du demandeur est illégale et discriminatoire;

(f) Une déclaration à l’effet que les décisions administratives prises à l’endroit du demandeur sont illégales pour manquement à l’équité procédurale;

(g) Une ordonnance de mandamus enjoignant le défendeur d’émettre une lettre d’excuse officielle au demandeur;

(h) Toute autre mesure appropriée.

[6] À l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, M. Lill dépose son propre affidavit, assermenté le 22 septembre 2023, introduisant 22 pièces en preuve ainsi que le Dossier certifié du tribunal du 15 septembre 2023. M. Lill n’a pas été contre-interrogé.

[7] Lors de l’audience de la présente demande, M. Lill a demandé à la Cour l’autorisation de déposer un document additionnel, présenté comme une plaidoirie écrite; le défendeur, le Procureur général du Canada [PGC] s’y est opposé. La Cour a considéré le document et les arguments des parties, a conclu que le document n’est pas admissible dans le cadre du présent contrôle et refuse donc le dépôt du document.

[8] M. Lill soulève plusieurs arguments pour contester la Décision, notamment que le Décideur a omis de considérer l’ensemble des arguments avancés dans le Grief 2058. Lors de l’audience, M. Lill a précisé que le Décideur n’a pas bien cerné la nature du Grief 2058 et qu’en le classifiant selon le code 14, le Décideur a limité son examen aux allégations de harcèlement et de discrimination et qu’il a omis d’examiner les allégations en lien avec le refus des demandes de transfèrement et de reclassification de la cote de sécurité.

[9] En effet, M. Lill soutient que le Grief 2058 ne vise pas uniquement et simplement une question de discrimination ou de harcèlement, qu’il est plus que manifeste que son Grief 2058 attaque les refus de ses demandes de transfèrement et de déclassement de sa cote de sécurité, que ces questions n’ont pas été dument considérées et que le Décideur a donc fatalement omis de considérer des éléments essentiels de son Grief 2058.

[10] M. Lill n’a pas soulevé d’argument spécifiquement dirigé contre la classification du grief, dans son mémoire, mais la Cour a accepté de le considérer. Les parties se sont prévalues de l’opportunité offerte par la Cour de déposer des représentations écrites additionnelles pour traiter de cet argument, soit la classification du grief de M. Lill et l’impact, s’il y a lieu, de cette classification sur la Décision.

[11] Le PGC a déposé, avec ses représentations additionnelles, l’affidavit de Mme Emma Costain visant à introduire deux pièces en preuve, soit une lettre transmise à M. Lill le 3 juin 2022 concernant son Grief 2058 (Pièce EC-1) ainsi qu’une copie d’un autre grief, le grief final numéro V30R00073445 déposé par M. Lill le 22 août 2022 [Grief 3445] (Pièce EC-2). Ces pièces portent une date postérieure à la date de la Décision et elles ne se trouvent pas dans le Dossier certifié du tribunal; cependant, et puisqu’elles sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire, la Cour accueille la demande du PGC et admet en preuve les pièces EC-1 et EC-2 (Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 aux para 97-98; Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263 aux para 20-23; Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 20).

[12] En bref, le PGC répond que l’argument de M. Lill n’a pas de mérite. Le PGC soutient d’abord que M. Lill connaissait le code et la classification de son Grief 2058 depuis longtemps (Pièces EC-1 et EC-2) et qu’il ne s’y est pas opposé. Le PGC soutient que la qualification du grief n’a, de toute façon, pas d’impact puisque le Décideur a répondu aux mêmes questions que s’il avait traité le grief comme en étant un relatif aux refus de transfèrement et de déclassification de la cote de sécurité.

[13] La Cour doit ainsi examiner si M. Lill a établi que le Décideur a omis de considérer des éléments essentiels de son Grief 2058 et que la Décision est déraisonnable.

[14] Pour les motifs détaillés ci-dessous, la Cour conclut que M. Lill a rencontré son fardeau. M. Lill a démontré que le Décideur a omis de considérer des éléments essentiels du Grief 2058 et que la Décision est déraisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 127-128 [Vavilov]).

[15] En effet, la classification initiale du Grief 2058 a été modifiée et il a ultimement été classé sous le code 14 qui concerne la discrimination. Le Décideur a examiné le Grief 2058 sous l’angle de la discrimination et du harcèlement et la Cour est convaincue que le Décideur a ainsi omis de considérer adéquatement les allégations liées au refus de transfèrement et de déclassification de la cote de sécurité, éléments essentiels du grief de M. Lill. Le fait que M. Lill ait été informé du nouveau code de classification attribué à son Grief 2058 et qu’il ait reconnu ce code, accordant un traitement prioritaire, n’est pas déterminant puisque rien n’indique que M. Lill ait alors compris ou accepté que des éléments de son grief seraient ignorés du fait de cette nouvelle classification.

II. Contexte

[16] Le 12 janvier 2021, M. Lill est transféré d’urgence de l’établissement Archambault, à sécurité minimum, à l’établissement de Cowansville, à sécurité moyenne. Le lendemain, sa cote de sécurité est réévaluée à la hausse et établie à moyenne. En 2021 et 2022, M. Lill présente trois demandes de transfèrement vers l’établissement d’Archambault et déclassification de sa cote de sécurité.

[17] Le 15 mai 2022, à la suite d’un deuxième refus de sa demande de transfèrement et de déclassification sécuritaire, M. Lill dépose, au palier national, son Grief 2058 dont le sujet est le « Refus de demande de diminution de cote de sécurité et de transfèrement ». M. Lill indique entre autres, au premier paragraphe, que son grief est une suite directe des représailles qu’il subit de la part du Service correctionnel du Canada [Service] et qu’il a exposées dans un autre grief, celui portant le numéro V30R00064462 [Grief 4462]. Il souligne, entre autres, qu’une fois de plus, on lui a refusé sa demande de réévaluation, ou déclassification, de sa cote de sécurité et de transfèrement à un établissement à sécurité minimale. À la dernière page de son Grief 2058, M. Lill indique l’information qui, selon lui, doit être analysée et prise en considération pour son Grief 2058. Il indique une liste de documents à cet égard, parmi lesquels se trouvent notamment (1) le Grief 4462; (2) la plainte et le grief initial numéro V30R00070550 déposé le 11 février 2022 référant aux inactions de ses agents de libération conditionnelle depuis son arrivée à l’établissement de Cowansville [Grief 0550]; (3) la demande de transfèrement du 29 décembre 2021; et (4) la décision du 29 avril 2022 refusant sa demande de transfèrement.

[18] Initialement, le Service attribue au Grief 2058 le code 08B, correspondant à un grief en lien avec un « Transfèrement sollicité » selon la Ligne directrice 081-1 : Processus de règlement des plaintes et griefs des délinquants [LD 081-1].

[19] Cependant, le 3 juin 2022, le Service informe M. Lill que le code de son Grief 2058 est modifié et que le code 14, correspondant à « Discrimination », lui est attribué. Le Service indique alors à M. Lill que le Grief 2058 est considéré comme hautement prioritaire et que la date d’échéance initiale de décision du 20 septembre 2022 est devancée au 22 août 2022.

[20] Le 20 août 2022, M. Lill dépose le Grief 3445 dont le sujet est « Non-respect des procédures de réponse pour mon [Grief 2058] considérer [sic] comme étant Prioritaire et Urgent » et dans lequel M. Lill indique, ou reconnait, que son Grief 2058 a reçu le nouveau code 14 (Discrimination).

[21] Le 4 janvier 2023, à la suite d’un troisième refus de sa demande de transfèrement et de déclassification sécuritaire, M. Lill dépose l’addendum de son Grief 2058 dont le sujet est le « Refus de demande de transfèrement et de reclassification ». L’addendum ne contient aucune mention ou allégation de discrimination, de harcèlement ou de représailles.

[22] Le 7 juin 2023, le Décideur rend sa Décision. Dans les premiers paragraphes de celle-ci, le Décideur résume alors les allégations de M. Lill et les documents qui ont été considérés.

[23] Après avoir indiqué la procédure applicable à un grief concernant des allégations de discrimination et de harcèlement selon la Directive du commissaire 081 : Plaintes et griefs des délinquants [DC 081] et la LD 081-1, le Décideur établit une chronologie des faits et analyse les allégations de M. Lill en quatre sections, soit « Réévaluation de la cote de sécurité », « Allégations de discrimination et de harcèlement », « Délais de traitement des griefs finaux » et « Mesures correctives demandées en lien l’article 24 de la [Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition] ». Au terme de son analyse, le Décideur rejette le Grief 2058 de M. Lill et indique qu’aucune mesure corrective n’est nécessaire.

III. Analyse

A. Norme de contrôle

[24] En l’espèce, la Cour est convaincue que la Décision doit être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable puisqu’aucune des situations permettant de renverser la présomption d’application de cette norme n’est en jeu en l’instance (Vavilov aux paras 10, 25).

[25] Le demandeur porte le fardeau de démontrer que la décision est déraisonnable, en ce qu’elle ne possède pas les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et qu’elle n’est pas justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur elle (Vavilov au para 99). La Cour suprême du Canada indique que les éléments du contexte juridique et factuel d’une décision constituent des contraintes qui exercent une influence sur le décideur dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont délégués et souligne entre autres que la preuve dont disposait le décideur et les observations des parties constituent de tels éléments (Vavilov aux para 125-128). Ainsi, les principes de justification et de transparence exigent que les motifs du décideur tiennent valablement compte des questions et préoccupations centrales soulevées par les parties.

B. Procédure de grief

[26] À titre de contexte, il est utile de signaler d’emblée que la DC 081 prévoit, à son article 7, que le processus de règlement des plaintes et griefs des délinquants est composé de trois paliers, soit (a) la plainte écrite; (b) le grief initial; et (c) le grief final (palier national) lequel est présenté au commissaire adjoint, politiques, conformément à l’article 8 de la DC 081. Un grief final peut être prioritaire ou non prioritaire et selon le cas, la décision devra être rendue respectivement dans les 60 ou 80 jours (DC 081, art 12).

[27] L’article 2 de la LD 081-1, adoptée conformément à la DC 081, prévoit que certains griefs doivent automatiquement être présentés à un palier plus élevé que celui des plaintes.

[28] Ainsi selon les paragraphes 2(a) et (c) de la LD 081-1, un grief contenant des allégations de harcèlement, de harcèlement sexuel ou de discrimination contre le directeur de l’établissement, ou un grief portant sur un transfèrement à un autre établissement doit automatiquement être présenté au palier national comme un grief final. Les articles 9 à 11 de la LD 081-1 prévoient quant à eux l’attribution d’un code de grief et l’article 10 prévoit spécifiquement que le code demeure le même tout au long du processus de règlement. Le code déterminera la nature prioritaire ou non d’un grief.

C. Le Décideur a omis de considérer des éléments essentiels du Grief 2058.

[29] Tel que mentionné plus haut, le code du Grief 2058 a été modifié et le code 14-Discrimination lui a alors été attribué. Or, après avoir considéré attentivement l’ensemble du dossier, la Cour est convaincue que le Décideur a analysé le Grief 2058 sous l’angle de la discrimination et du harcèlement, en lien avec la classification, et qu’il a ainsi fatalement omis de considérer des éléments essentiels soulevés par M. Lill en lien avec les refus de transfèrement et de déclassification de sa cote de sécurité.

[30] En effet, il semble clair, à la lecture du Grief 2058 que M. Lill contestait surtout le refus de son transfèrement et de la déclassification, ou déclassement, de sa cote de sécurité. D’emblée, la Cour note que les sujets du grief et de l’addendum réfèrent clairement et exclusivement aux refus de ses demandes de transfèrement et de déclassement sécuritaire et qu’ils ne réfèrent pas à de la discrimination ou du harcèlement. Le texte de l’addendum ne contient d’ailleurs quant à lui aucune référence à de la discrimination ou à du harcèlement.

[31] Au surplus, plusieurs arguments soulevés par M. Lill dans son Grief 2058 concernent la légalité du processus même ayant mené au refus de ses demandes. Par exemple, M. Lill soulève divers enjeux liés à l’information utilisée pour refuser ses demandes de transfèrement et de déclassification, information qu’il allègue n’est pas à jour, exacte et complète, contrevenant ainsi au paragraphe 24(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20, à la DC 081 et à la LD 081-1. Il ajoute que des informations jugées discriminatoires par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ewert c Canada, 2018 CSC 30 auraient été utilisées pour justifier ces refus.

[32] Il appert donc que le Grief 2058 de M. Lill concerne, au mieux, deux sujets distincts. En effet, d’une part, M. Lill y conteste la légalité des refus de ses demandes de transfèrement et de déclassification sécuritaire et notamment le fait que ces refus sont fondés sur des informations jugées discriminatoires; d’autre part, il allègue que ces refus seraient des mesures de discriminations, de harcèlement et de représailles de la part de la direction pour son utilisation du processus de règlement de plaintes et griefs des délinquants.

[33] Lors de l’audience, le PGC a initialement soutenu que le Décideur a effectivement restreint son examen aux allégations de discrimination et de harcèlement dirigées contre la direction de l’établissement puisque ces allégations sont régies par une procédure de grief distincte. Le PGC a précisé que dans ce cas, le grief est automatiquement présenté à titre de grief final au palier national, selon le paragraphe 2a) de la LD 081-1 tandis que les griefs visant d’autres types d’allégations ne sont pas, eux, présentés à ce niveau. Ainsi, lors de l’audience, le PGC a initialement plaidé que les autres allégations soulevées par M. Lill dans son Grief 2058, celles liées au refus de ses demandes de transfèrement et de déclassification, ne pouvaient pas être abordées par le Décideur dans le cadre d’un grief final présenté directement au palier national.

[34] Toutefois, la Cour a alors noté le paragraphe 2c) de la LD 081-1 lequel, tel que mentionné plus haut, prévoit qu’un grief portant sur un transfèrement à un autre établissement est également automatiquement présenté comme un grief final au palier national. Cet argument du PGC, ne pouvait donc pas réussir; il tend au contraire à confirmer que le Décideur s’est limité aux allégations de discrimination et de harcèlement.

[35] Il est utile de noter que dans le cadre d’un grief relatif au harcèlement et à la discrimination le décideur doit, certes, se conformer au cheminement décrit aux articles 25 à 30 de la LD-081-1, ce que le Décideur a fait en l’instance. Cependant, rien n’indique que le Décideur ne pouvait pas, dans le cadre du Grief 2058, traiter distinctement les allégations liées au refus de transfèrement et de déclassification sécuritaire. Le Décideur n’a pas traité de cette question et il s’est limité à examiner l’affaire sous l’angle des allégations de discrimination et de harcèlement.

[36] En réponse aux questions de la Cour, le PGC a ensuite soutenu que si M. Lill souhaitait effectivement contester la légalité des refus de ses demandes de transfèrement, il avait accès à d’autres procédures de contestation telle que la procédure de demande d’habeas corpus, à laquelle il a effectivement eu recours auprès de la Cour supérieure du Québec (Lill c Béland, 2023 QCCS 1704; Lill c Béland, 2023 QCCS 1918 [Béland]; voir aussi Lill c Service correctionnel du Canada (Établissement Cowansville), 2021 QCCS 751 en lien avec le transfèrement de janvier 2021) et qui ont été refusées.

[37] Cette précision du PGC ne convainc pas la Cour. Le fait que M. Lill ait exercé d’autres procédures auprès d’autres cours n’est pas utile. La LD 081-1 prévoit la possibilité pour M. Lill de présenter automatiquement un grief final portant sur un transfèrement à un autre établissement et, tel que la Cour supérieure du Québec le souligne dans Béland :

[100] La Cour supérieure n’est pas non plus l’instance appropriée pour réviser les réponses finales aux différents griefs, demandes de revue externe, demandes de corrections ou plaintes logés par M. Lill auprès du [Service]. En effet, la Cour d’appel du Québec a rappelé que les litiges relatifs aux conditions d'incarcération du requérant et à ses rapports avec les autorités carcérales relèvent de la compétence de la Cour fédérale. De plus, elle précise que le recours à l’habeas corpus ne peut pas devenir la manière usuelle de contester les décisions du [Service].

[Notes en bas de page omises; soulignement ajouté.]

[38] Le PGC plaide aussi que le fait que le code 14 ait été attribué au Grief 2058 n’a pas d’impact puisque le Décideur aurait néanmoins répondu aux allégations liées au refus de transfèrement et de déclassification et les aurait traitées entièrement.

[39] Encore une fois, la Cour n’est pas convaincue que ce soit le cas. Dans les premiers paragraphes de sa Décision, le Décideur indique la nature du grief de M. Lill et confirme qu’il porte sur des allégations de discrimination et de harcèlement et aussi sur des allégations d’illégalité en lien avec les refus de ses demandes. Toutefois, le grief est entièrement analysé sous l’angle de la discrimination.

[40] Cette conclusion est renforcée par la constatation que le Décideur semble avoir ignoré plusieurs des documents que M. Lill a listés dans son Grief 2058. En effet, l’examen du Dossier certifié du tribunal produit en réponse à la demande de transmission de M. Lill sous la règle 317 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles] révèle qu’il ne contient pas tous les documents que M. Lill a listés dans son Grief 2058 comme étant déterminants, soit :

1. La plainte no# V30R00070550 et sa réponse;

2. Le grief initial no# V30R00070550 (et sa réponse si celle-ci a été formulé [sic]);

3. Le grief final no# V30R000644642 et sa réponse;

4. Demande de transfèrement date [sic] du 29 Décembre [sic] 2021;

5. EVD daté du 23 mars 2022;

6. Commentaire en vue d'une décision (demande d'un Cercle en vertu de la LD 081-1 annexe D daté du 23mars 2022;

7. Commentaire écrit en vue d’une décision daté du 21 avril 2022 pour le cercle du 28 avril 2022;

8. Décision daté [sic] du 29 avril 2022;

[41] En particulier, le Dossier certifié du tribunal ne contient aucun document en lien avec le Grief 4462, confirmant ainsi qu’il n’a pas été considéré par le Décideur. La Décision elle-même ne fait d’ailleurs aucune mention du Grief 4462 et la table des matières jointe à la fin du document indique qu’aucun document lié au Grief 4462 n’a été analysé. La lettre d’opposition du PGC en vertu du paragraphe 318(2) des Règles, confirme d’ailleurs que les documents liés au Grief 4462 n’étaient pas devant le Décideur et que ceux liés au Grief 0550 n’était pas tous devant le Décideur.

[42] Ainsi le dossier révèle que le Décideur n’a pas considéré l’ensemble des informations soulevées par M. Lill comme étant pertinentes à la détermination de son Grief 2058, et liées aux refus de ses demandes, sans expliquer pourquoi. La Cour n’est pas convaincue que l’attribution du code 14 au Grief 2058 n’a pas eu d’impact compte tenu des conclusions ci-dessus. Tout indique, tel que le PGC l’a soulevé lors de l’audience, que le fait d’avoir classé le Grief 2058 sous le code 14 a erronément limité l’analyse du Décideur aux allégations de discrimination et de harcèlement et aux documents qui étaient liés à ces allégations.

IV. Conclusion

[43] La demande de contrôle judiciaire de M. Lill sera accueillie. La Cour est convaincue que le Décideur a omis de considérer des informations et arguments essentiels soulevés par M. Lill dans son Grief 2058.

[44] La Décision ne répond pas à des allégations essentielles soulevées par M. Lill dans son Grief 2058 et ne tient pas compte d’informations liées à ces allégations présentées par M. Lill, particulièrement le Grief 4462 mentionné dès le premier paragraphe du Grief 2058. Ces erreurs suffisent pour rendre la Décision déraisonnable (Vavilov aux para 100, 127 et 128).

[45] Conformément à la jurisprudence de la Cour sur le sujet, il convient en l’instance de renvoyer l’affaire pour une nouvelle détermination par un décideur différent.

[46] Conformément aux soumissions des parties, les dépens seront accordés à M. Lill selon le milieu de la colonne III du Tarif B.


JUGEMENT dans le dossier T-1784-23

LA COUR STATUE que :

  1. Le document présenté comme une plaidoirie écrite de M. Lill n’est pas admissible.

  2. La demande de contrôle judiciaire de M. Lill est accueillie.

  3. La Décision est annulée et le grief numéro V30R00072058 est renvoyé pour une nouvelle détermination par un décideur différent.

  4. Les dépens sont adjugés en faveur de M. Lill selon le milieu de la colonne III du Tarif B.

« Martine St-Louis »

Juge en chef adjointe


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1784-23

INTITULÉ :

CHRISTOPHER LILL c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 DÉCEMBRE 2024

DATE DES SOUMISSIONS ÉCRITES

LE 23 JANVIER 2025

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE EN CHEF ADJOINTE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 24 JUILLET 2025

COMPARUTIONS :

Christopher Lill

Pour LE DEMANDEUR

EN SON PROPRE NOM

Me Meriem Bahroumi

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

 

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