Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date : 20060822

Dossier : T‑1492‑04

Référence : 2006 CF 1009

Ottawa (Ontario), le 22 août 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE TREMBLAY‑LAMER

 

 

ENTRE :

LE CHEF ROBERT SAM,

LE CONSEILLER NICK ALBANY,

LE CONSEILLER NORMAN GEORGE,

LE CONSEILLER FRANK E. GEORGE,

LE CONSEILLER JOHN R. RICE, en leur propre nom à titre de membres du

CONSEIL DE LA BANDE INDIENNE DE SONGHEES,

et au nom de la BANDE INDIENNE DE SONGHEES

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN,

LE SURINTENDANT DE LA BANDE INDIENNE DE SONGHEES,

SYLVIA ANN JOSEPH, ALICE LARGE,

LA SUCCESSION D’IRENE COOPER, représentée par ses administrateurs,

HARVEY GEORGE, CHARLOTT THOMPSON

ET WILLIAM GOSSE, et HARVEY GEORGE,

CHARLOTTE THOMPSON ET WILLAM GOSSE

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (le ministre) en date du 15 juillet 2004, qui a approuvé la vente de neuf parcelles de la nouvelle réserve indienne de Songhees no 1A (les parcelles CP), conformément au paragraphe 50(4) de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I‑5 (la Loi).

 

QUESTION PRÉLIMINAIRE

 

[2]               Le défendeur s’oppose à la version des faits donnée par les demandeurs, au motif qu’ils se réfèrent abondamment aux circonstances historiques entourant le dossier, une preuve que le ministre n’avait pas devant lui lorsqu’il a pris sa décision.

 

[3]               Ce point a été l’objet d’une requête présentée à la protonotaire Tabib, et la protonotaire a jugé que les demandeurs ne pouvaient pas modifier l’avis de demande pour y inclure la mention selon laquelle la testatrice Irene Cooper n’avait pas en réalité la possession valide des terres, et la mention selon laquelle les offres se rapportant aux terres avaient en réalité été financées et garanties par des prêteurs n’ayant pas le droit de résider sur les terres de la réserve de Songhees, ni d’en tirer avantage. La protonotaire a estimé que [traduction] « une preuve extrinsèque de ce genre ne peut pas être produite dans une demande de contrôle judiciaire ». En appel, son ordonnance a été confirmée par le juge Sean Harrington, qui a estimé que, même si les demandeurs ne pouvaient pas faire allusion à des faits que le ministre n’avait pas eus devant lui quand la décision de vendre fut prise, il restait la question de savoir si le ministre avait l’obligation légale d’explorer les antécédents des certificats de possession (CP) pour savoir s’ils étaient valides.

 

[4]               À l’audience, la question de la preuve extrinsèque a de nouveau été soulevée. J’ai considéré que les demandeurs étaient empêchés de soulever la question, compte tenu de la décision du juge Harrington. Ce qui précède étant gardé à l’esprit, les faits qui sont pertinents et admissibles se présentent comme il suit.

 

LES FAITS

 

[5]               Irene Cooper est décédée le 26 avril 1996. À son décès, elle détenait des CP se rapportant aux parcelles CP. Dans son testament, elle léguait les parcelles CP aux défendeurs Harvey George, Charlotte Thompson et William Gosse (les légataires défendeurs), qui ne sont pas membres de la bande indienne de Songhees (la bande).

 

[6]               Le paragraphe 50(1) de la Loi interdit à une personne qui n’est pas autorisée à résider dans une réserve d’acquérir, par legs ou transmission sous forme de succession, le droit de posséder ou d’occuper une terre dans cette réserve. Puisque les légataires défendeurs n’étaient pas autorisés à résider dans la réserve de Songhees (la réserve), ils n’avaient pas droit aux parcelles CP.

 

[7]               En conséquence, conformément au paragraphe 50(2), le surintendant a entrepris de mettre en vente les parcelles CP (la vente selon l’article 50), dont le produit serait versé aux légataires défendeurs.

 

[8]               En application du paragraphe 50(4) de la Loi, la vente selon l’article 50, une fois conclue, requiert l’approbation du ministre.

 

[9]               Le 10 juillet 2003, en précision de la vente selon l’article 50, Robert Janes, alors l’avocat du conseil de la bande indienne de Songhees (le conseil), a écrit à David Gill, l’avocat du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le MAINC). Dans sa lettre, il écrivait que le conseil aiderait le surintendant désigné à procéder à la vente, mais uniquement si les pièces remises aux intéressés mentionnaient que le chef et le conseil s’opposaient à la procédure d’après laquelle la vente selon l’article 50 était menée, et qu’ils comptaient aussi s’opposer à l’approbation, par le ministre, de la vente selon l’article 50.

 

[10]           Le 17 juillet 2003, David Gill répondait à Robert Janes que la demande du conseil ne pouvait pas être acceptée.

 

[11]           Entre le 24 février et le 27 avril 2004, Rory Morahan a remplacé Robert Janes comme avocat du conseil.

 

[12]           Le 27 avril 2004, David Gill écrivait à Rory Morahan pour lui dire où en était la vente des parcelles CP. M. Gill écrivait aussi : [traduction] « Les observations reçues [du conseil] d’ici au 4 juin 2004 seront examinées par le ministre avant qu’il donne son approbation en application du paragraphe 50(4) de la Loi sur les Indiens ».

 

[13]           Le 11 mai 2004, le demandeur, le chef Robert Sam, écrivait à David Gill et au ministre une lettre exposant la position de la bande quant à la vente selon l’article 50. À la dernière page de la lettre, il écrivait ce qui suit :

[TRADUCTION] Nous voudrions, au cours des deux prochaines semaines, conférer avec le ministre et ses représentants, à la faveur d’une réunion organisée sous toutes réserves, afin d’examiner les points contenus dans la présente lettre. Nous aimerions recevoir rapidement, c’est‑à‑dire au moins quatre (4) jours avant la réunion, une réponse précisant la position du MAINC sur les points susmentionnés.

 

[14]           Le 15 juillet 2004, le ministre approuvait le transfert de possession des terres, et la possession des parcelles CP correspondantes était transférée à Alice Large et Sylvia Ann Joseph (les acheteuses défenderesses) dès l’approbation, par le ministre, des transferts de possession, en application du paragraphe 50(4).

 

[15]           Le 16 juillet 2004, Thomas Howe, directeur de la Direction des services fonciers et fiduciaires, au MAINC, écrivait aux acheteuses défenderesses, à l’avocat des légataires défendeurs, ainsi qu’au chef et au conseil, pour les informer que le ministre avait approuvé le transfert de possession des parcelles CP. À la lettre était annexée la décision écrite du ministre exposant les raisons qu’il avait d’approuver le transfert de possession des parcelles CP.

 

LES POINTS LITIGIEUX

 

[16]           La présente affaire soulève les quatre points suivants :

1.            Le ministre a‑t‑il l’obligation de s’assurer de la validité des certificats de possession du testateur ou de la testatrice avant d’approuver le transfert de possession en application du paragraphe 50(4)?

2.            Le ministre a‑t‑il l’obligation, avant d’approuver le transfert de possession en application du paragraphe 50(4), d’obtenir une attribution du conseil de la bande?

3.            Le ministre est‑il débiteur d’une obligation fiduciaire envers la bande lorsqu’une vente selon l’article 50 a lieu?

4.            Le ministre a‑t‑il manqué à l’obligation d’équité procédurale parce qu’il n’a pas donné aux demandeurs une occasion de le rencontrer, ou à tout le moins de lui présenter d’autres conclusions écrites?

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES APPLICABLES

 

[17]           L’article 50 de la Loi prévoit ce qui suit :

Non‑résident d’une réserve

 

Non‑resident of reserve

 

50. (1) Une personne non autorisée à résider dans une réserve n’acquiert pas, par legs ou transmission sous forme de succession, le droit de posséder ou d’occuper une terre dans cette réserve.

 

50. (1) A person who is not entitled to reside on a reserve does not by devise or descent acquire a right to possession or occupation of land in that reserve.

 

Vente par le surintendant

 

Sale by superintendent

 

(2) Lorsqu’un droit à la possession ou à l’occupation de terres dans une réserve est dévolu, par legs ou transmission sous forme de succession, à une personne non autorisée à y résider, ce droit doit être offert en vente par le surintendant au plus haut enchérisseur entre les personnes habiles à résider dans la réserve et le produit de la vente doit être versé au légataire ou au descendant, selon le cas.

 

(2) Where a right to possession or occupation of land in a reserve passes by devise or descent to a person who is not entitled to reside on a reserve, that right shall be offered for sale by the superintendent to the highest bidder among persons who are entitled to reside on the reserve and the proceeds of the sale shall be paid to the devisee or descendant, as the case may be.

 

Les terres non vendues retournent à la bande

 

Unsold lands revert to band

 

(3) Si, dans les six mois ou tout délai supplémentaire que peut déterminer le ministre, à compter de la mise en vente du droit à la possession ou occupation d’une terre, en vertu du paragraphe (2), il n’est reçu aucune soumission, le droit retourne à la bande, libre de toute réclamation de la part du légataire ou descendant, sous réserve du versement, à la discrétion du ministre, au légataire ou descendant, sur les fonds de la bande, de l’indemnité pour améliorations permanentes que le ministre peut déterminer.

 

(3) Where no tender is received within six months or such further period as the Minister may direct after the date when the right to possession or occupation of land is offered for sale under subsection (2), the right shall revert to the band free from any claim on the part of the devisee or descendant, subject to the payment, at the discretion of the Minister, to the devisee or descendant, from the funds of the band, of such compensation for permanent improvements as the Minister may determine.

 

Approbation requise

 

Approval required

 

(4) L’acheteur d’un droit à la possession ou occupation d’une terre sous le régime du paragraphe (2) n’est pas censé avoir la possession ou l’occupation légitime de la terre tant que le ministre n’a pas approuvé la possession.

(4) The purchaser of a right to possession or occupation of land under subsection (2) shall be deemed not to be in lawful possession or occupation of the land until the possession is approved by the Minister.

 

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[18]           Je voudrais d’entrée de jeu dire quelques mots sur l’argument des demandeurs selon lequel constitue une « question de compétence » ou une condition sine qua non l’obligation pour le ministre, avant qu’il puisse exercer son pouvoir d’approuver la vente, de constater que la personne indienne décédée avait, à la date de son décès, un droit licite de possession sur la terre qui est vendue.

 

[19]           Dans la décision Bande indienne de Songhees c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2005 CF 1464, [2005] A.C.F. no 1794 (C.F.), qui faisait suite à l’appel susmentionné formé contre la décision de la protonotaire Tabib, le juge Sean Harrington examinait l’argument de la « question de compétence ». Au paragraphe 32, il écrivait ce qui suit :

32     La question à trancher est de savoir comment la question de compétence telle que décrite dans certains arrêts, notamment Bell, précité, permettrait la présentation d’une preuve extrinsèque lors d’un contrôle judiciaire. La Cour suprême du Canada a adopté une nouvelle approche en matière de contrôle judiciaire, à savoir l’approche pragmatique et fonctionnelle. Il n’y a qu’à examiner les arrêts Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, et Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247. Dans Dr Q, précité, le juge en chef a dit au paragraphe 24 : « Si les motifs nommés, le libellé de la disposition habilitante et les interprétations sclérosées des formulations législatives demeurent utiles comme repères familiers, ils ne dictent plus le cheminement. »

 

[20]           Comme l’a dit la Cour suprême à maintes reprises, « la terminologie et la méthode de la question “préalable”, “accessoire” ou “de compétence” [ont] été remplacées par [l’]analyse pragmatique et fonctionnelle ». L’accent est mis sur la disposition particulière invoquée et interprétée par le tribunal : arrêt Pushpanathan c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 982, paragraphe 28. L’acte d’étiqueter une question comme « question de compétence » pour décider directement que la norme est la décision correcte n’est plus suffisant. « [Les cours de justice] ne doivent sauter aucune étape de l’analyse pragmatique et fonctionnelle » : Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, [2003] 1 R.C.S. 247, paragraphe 21.

 

[21]           Les deux parties disent que la norme de contrôle qui est applicable ici est la décision correcte. Cependant, avant de faire cette affirmation, aucune d’elles n’a procédé à une analyse pragmatique et fonctionnelle. Elles ont plutôt simplement affirmé que la décision du ministre fait intervenir des questions de droit et que c’est donc la décision correcte qui s’impose. Eu égard aux multiples prononcés de la Cour suprême selon lesquels il faut toujours recourir à une analyse pragmatique et fonctionnelle, j’analyserai les quatre facteurs de l’arrêt Pushpanathan afin de savoir quelle est la norme à appliquer. Les quatre facteurs de cette analyse sont les suivants : la présence ou l’absence d’une disposition privative; la spécialisation du décideur par rapport à celle de la juridiction de contrôle; l’objet de la Loi en général, et de la disposition en particulier; enfin la nature de la question en litige.

 

[22]           L’arrêt Bande indienne Tsartlip c. Canada, [2000] 2 C.F. 314 (C.A.F.) concernait une demande de contrôle judiciaire déposée contre la décision du ministre de louer la terre d’une réserve indienne en application du paragraphe 58(3) de la Loi. Aux paragraphes 45 à 50 de cet arrêt, le juge Robert Décary a fait une analyse détaillée de chacun des facteurs, dans le contexte d’une décision prise en application du paragraphe 58(3). Je crois utile de reproduire ici les paragraphes en question :

45     Le premier facteur porte sur les clauses privatives. L’absence d’une clause privative, comme en l’instance, milite en faveur d’une norme de retenue judiciaire moins exigeante.

 

46     Le deuxième facteur porte sur l’expertise du décideur, le ministre en l’instance. C’est la catégorie la plus importante et, comme le souligne le juge Bastarache dans Pushpanathan, précité, à la page 1007, elle est liée de près à la quatrième catégorie, savoir la nature du problème. Lorsqu’il s’agit de décider d’octroyer un bail ou non et de pondérer les intérêts sociaux, culturels, économiques, environnementaux, etc., d’un membre de la bande vis‑à‑vis ceux de la bande dans son ensemble, le ministre a une grande expertise. Ce facteur milite en faveur d’une plus grande retenue judiciaire.

 

47     Le troisième facteur est l’objet de la Loi dans son ensemble et de la disposition en cause. Comme l’indique le juge Bastarache dans Pushpanathan, précité, à la page 1008, l’objet et l’expertise se confondent souvent. Dans Boyer, précité, à la page 406, l’objet du paragraphe 58(3) est décrit comme suit : « d’accorder à chaque membre de la bande une certaine autonomie, et une indépendance relative à l’égard des dicta de son Conseil de bande dans l’exercice de son esprit d’entreprise et la mise en valeur de son terrain ». Toutefois, l’objet de la Loi va généralement plus dans le sens des intérêts généraux de la bande et de la réserve lorsqu’il s’agit de l’utilisation des terres de la réserve (voir les articles 20, 24, 28 et 38). Je reviendrai sur ces articles en examinant les facteurs qui devraient servir de guide au ministre dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

 

48     En l’instance, même s’il est clair que le but ultime de la décision est d’établir les droits relatifs des diverses parties, le processus, du fait qu’il est rattaché au contexte plus large des droits autochtones, ressemble plus à la réalisation d’un « équilibre délicat entre divers intérêts » (Pushpanathan, précité, à la page 1008). Ceci va dans le sens d’une norme plus élevée de retenue judiciaire. La structure administrative en place s’apparente davantage à un modèle polycentrique et suppose la retenue judiciaire.

 

49     Le quatrième facteur est la nature du problème, savoir s’il s’agit d’une question de droit ou de fait. La décision d’octroyer ou non un bail comporte une grande appréciation des circonstances, selon les points de vue respectifs de l’occupant et de la bande. Le ministre n’a pas à appliquer ou à interpréter des règles de droit précises. Comme on le précise dans Baker, précité, à la page 228, « le fait que cette décision soit de nature hautement discrétionnaire et factuelle est un facteur qui milite en faveur de la retenue ».

 

50     Compte tenu de tous ces facteurs, je conclus que le ministre a droit à un niveau élevé de retenue judiciaire et que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

 

[23]           En l’espèce, le premier facteur, à savoir l’absence d’une disposition privative, milite en faveur d’un faible niveau de retenue (arrêt Tsartlip, paragraphe 45).

 

[24]           Le second facteur concerne la spécialisation du ministre par rapport à celle de la Cour, un facteur qui, comme le faisait observer le juge Bastarache dans l’arrêt Pushpanathan, au paragraphe 33, est étroitement lié au quatrième facteur, celui de la nature du problème. Le ministre a une connaissance spécialisée de l’approbation d’un transfert de possession en application du paragraphe 50(4), fonction qui l’oblige à déterminer qui est ou n’est pas autorisé à résider dans une réserve, et qui est ou n’est pas autorisé, par legs ou transmission sous forme de succession, à acquérir le droit de posséder ou d’occuper une terre dans une réserve, et il a aussi une connaissance spécialisée de la procédure d’adjudication prévue par l’article 50, mais, comme je l’expliquerai davantage durant l’examen du quatrième facteur, la décision dont le contrôle est demandé comporte trois questions de droit. Les questions de droit font généralement intervenir des conclusions qu’il revient aux cours de justice d’examiner et qui commandent de leur part peu de retenue, voire aucune. Ainsi, à mon avis, ce deuxième facteur milite en faveur d’un faible niveau de retenue.

 

[25]           Quant au troisième facteur, comme on peut le lire dans l’arrêt Tsartlip, l’objet de la Loi est généralement davantage orienté vers la bande et la réserve lorsque c’est l’utilisation des terres de la réserve qui est en cause. S’agissant de l’objet de la disposition considérée, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, examinant la disposition antérieure à l’actuel article 50, écrivait dans l’arrêt Okanagen Indian Band c. Bonneau, 2002 BCSC 748, [2002] B.C.J. no 1819 (C.S.) (QL), que l’objet d’un tel régime était de permettre à la bande [traduction] « de conserver les terres entre les mains des membres définis de la bande et de les redistribuer parmi ses membres afin de préserver l’intérêt de l’ensemble des membres de la bande » (paragraphe 85). Je partage cet avis. Selon moi, l’objet de l’article 50 est de faire en sorte que les terres de la réserve restent entre les mains des membres de la bande et, simultanément, de donner effet aux volontés du testateur ou de la testatrice. Par conséquent, le ministre doit s’assurer que les acheteurs de la terre, dans une vente selon l’article 50, sont effectivement des membres de la bande. Le paragraphe 50(4) fait intervenir le contexte global de droits ancestraux, et l’examen est davantage assimilable à la délicate mise en balance d’intérêts divergents (arrêt Pushpanathan, paragraphe 36); ce modèle polycentrique milite en faveur d’un niveau élevé de retenue.

 

[26]           Finalement, le quatrième facteur concerne la nature de la question, c’est‑à‑dire le point de savoir s’il s’agit d’une question de droit, d’une question de fait ou d’une question mixte de droit et de fait. La décision qui est contestée soulève de pures questions de droit, plus précisément de savoir si, selon le paragraphe 50(4), le ministre avait : (i) une obligation fiduciaire envers la bande; (ii) l’obligation de s’interroger sur la validité des CP; (iii) l’obligation d’obtenir une attribution préalable de la bande. Ce sont là de pures questions de droit, dont la solution fera jurisprudence puisqu’elle servira à définir pour l’avenir les obligations du ministre selon le paragraphe 50(4) : arrêt Ryan, paragraphe 41. Elles ne se limitent pas aux particularités de la présente affaire. Je citerai les propos tenus par le juge La Forest dans l’arrêt Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau‑Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825, en disant que les questions de droit de ce genre « relève[nt] en dernière analyse des cours de justice » (paragraphe 28). Par conséquent, après mise en parallèle de ce facteur et des autres, ces trois questions de droit seront revues selon la norme de la décision correcte.

 

[27]           Quant à la question de l’équité procédurale, j’examinais récemment, dans la décision Campbell c. Canada (Procureur général), 2006 CF 510, [2006] A.C.F. no 637 (C.F.) (QL), aux paragraphes 24 et 25, le prononcé de la Cour suprême du Canada sur l’inapplicabilité des normes de contrôle aux questions touchant l’équité procédurale :

¶ 24     Dans l’arrêt Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539, le ministre avait effectué des désignations discrétionnaires en vertu de la Loi de 1995 sur les relations de travail de l’Ontario, L.O. 1995, ch. 1. Les syndicats s’étaient opposés aux désignations mêmes et avaient en outre allégué que les actes du ministre violaient l’équité procédurale et constituaient un déni de justice naturelle.

 

¶ 25 En rejetant l’appel, le juge Binnie, au nom de la majorité de la Cour suprême du Canada, a fait une distinction entre les questions de fond et les questions de procédure dont la Cour était saisie. Il a dit que les désignations discrétionnaires en tant que telles sont assujetties à l’analyse pragmatique et fonctionnelle, mais qu’il appartient aux tribunaux judiciaires et non au ministre de trancher toute question concernant les actes ou les omissions qui touchent l’équité procédurale et les principes de justice naturelle (paragraphe 100). « L’équité procédurale concerne la manière dont le ministre est parvenu à sa décision, tandis que la norme de contrôle s’applique au résultat de ses délibérations » (paragraphe 102).

 

[28]           Le juge Binnie considérait aussi qu’une certaine confusion peut parfois se manifester lorsqu’on tente de faire la distinction entre les questions de fond et les questions de procédure. L’analyse pragmatique et fonctionnelle à quatre facteurs, qui est applicable aux questions de fond, et l’analyse « Baker » à cinq facteurs, qui intéresse les questions de procédure, requièrent toutes les deux d’examiner plusieurs facteurs, dont certains peuvent chevaucher. Comme le signalait cependant le juge Binnie, « même s’il existe certains “facteurs” communs, l’objet de l’examen du tribunal judiciaire diffère d’un cas à l’autre » (paragraphe 103). L’analyse pragmatique et fonctionnelle a pour but de déterminer le niveau de retenue que doit montrer la juridiction de contrôle envers la décision contestée. L’analyse « Baker » a pour but de déterminer le contenu de l’obligation d’équité procédurale dont le décideur était débiteur envers le destinataire de sa décision.

 

ANALYSE

 

Point no 1 : Le ministre a‑t‑il l’obligation de s’assurer de la validité des certificats de possession du testateur ou de la testatrice avant d’approuver le transfert de possession en application du paragraphe 50(4)?

 

[29]           Les demandeurs disent que, avant d’approuver une vente en application du paragraphe 50(4), le ministre doit s’assurer que le testateur ou la testatrice, à la date de son décès, avait un droit licite de possession sur les terres. Selon les demandeurs, la lecture globale de la Loi montre que le ministre a effectivement le pouvoir de faire une telle investigation. Le paragraphe 20(1) donne au ministre toute latitude d’entériner ou non l’occupation licite d’une terre. Le paragraphe 20(4) confère au ministre le pouvoir absolu d’autoriser une occupation temporaire, et le paragraphe 20(5) celui de délivrer un certificat d’occupation. L’article 23 confère au ministre le pouvoir absolu de fixer l’indemnité devant être payée au titre des améliorations. L’article 26 donne au ministre toute latitude de modifier un certificat de possession si une erreur a été commise.

 

[30]           Toutes ces dispositions doivent être lues en même temps que l’article 18, qui prévoit ce qui suit : « Sa Majesté détient des réserves à l’usage et au profit des bandes respectives pour lesquelles elles furent mises de côté ». L’article 49 et le paragraphe 50(4) ont un point commun. L’article 49 dispose qu’une personne qui prétend avoir droit à la possession ou à l’occupation de terres situées dans une réserve en raison d’un legs ou d’une transmission par droit de succession est censée ne pas en avoir la possession ou l’occupation légitime tant que le ministre n’a pas approuvé cette possession. Le paragraphe 50(4) renferme les mêmes éléments.

 

[31]           Les demandeurs disent aussi que l’observation de l’article 50 n’est manifestement pas le seul élément à prendre en compte puisque le ministre doit également se demander s’il y a eu possession valide de la terre qui fait l’objet de la vente potentielle prévue par l’article 50, et qu’il a le pouvoir de ne pas entériner une vente conformément au paragraphe 50(4) s’il croit que le titre comporte un vice.

 

[32]           Subsidiairement, les demandeurs disent que s’en rapporter à un CP (ou à la confirmation donnée par un agent foncier quant à l’existence d’un CP) comme preuve d’une occupation licite d’une terre ne suffit pas à fonder une attribution de compétence. Sur ce point, les demandeurs appellent l’attention de la Cour sur la preuve par affidavit de Jacques Desrochers, gestionnaire intérimaire auprès de la Direction des services fonciers et fiduciaires, au MAINC, selon laquelle le système des CP ne donne pas un compte rendu fidèle de la possession licite de terres. Pour ce qui concerne les autres indices possibles d’une possession licite, les demandeurs affirment qu’il n’y a eu aucune recherche de titre. De plus, avant 1951, aucune attribution ni aucun billet de location n’ont été enregistrés auprès du gouvernement, et donc aucun droit foncier antérieur à 1951 n’a pu être enregistré au titre des CP.

 

[33]           Le défendeur fait valoir quant à lui que le ministre n’avait aucune obligation de s’assurer de la validité des CP. Le Registre des terres de réserve (le registre), établi par l’article 21 de la Loi, a pris officiellement naissance à la faveur de modifications d’ensemble apportées à la Loi en 1951. Il n’existait avant cette date aucun registre légal des terres de réserve.

 

[34]           Lorsqu’ils mènent des enquêtes techniques se rapportant à une vente selon l’article 50, les agents fonciers du MAINC consultent le registre pour savoir si un CP a été délivré au membre de la bande qui a légué les CP concernés. Dans l’affidavit de Jacques Desrochers, et durant le contre‑interrogatoire de Sherry Evans (tous deux agents du MAINC), chacun a déclaré que le MAINC n’a pas pour principe ou coutume de demander à ses agents fonciers d’explorer les antécédents du dernier CP enregistré pour voir si des erreurs ont pu se glisser dans les titres successifs ayant conduit au dernier instrument enregistré.

 

[35]           Au lieu de cela, selon le défendeur, pour ce qui concerne l’approbation par le ministre d’une vente selon l’article 50, le MAINC applique des procédures fondées sur l’équité qui confèrent à toutes les parties ayant un intérêt dans la vente le droit de présenter des observations.

 

[36]           De plus, les articles 26 et 27 de la Loi donnent au ministre le pouvoir discrétionnaire de corriger ou d’annuler un CP si le CP a été délivré par erreur ou par fraude :

Certificat corrigé; billet de location

 

Correction of Certificate or Location Tickets

 

26. Lorsqu’un certificat de possession ou d’occupation ou un billet de location délivré sous le régime de l’Acte relatif aux Sauvages, 1880 ou de toute loi traitant du même sujet, a été, de l’avis du ministre, délivré par erreur à une personne à qui il n’était pas destiné ou au nom d’une telle personne, ou contient une erreur d’écriture ou une fausse appellation, ou une description erronée de quelque fait important, le ministre peut annuler le certificat ou billet de location et délivrer un certificat corrigé pour le remplacer.

 

26. Whenever a Certificate of Possession or Occupation or a Location Ticket issued under The Indian Act, 1880, or any statute relating to the same subject‑matter was, in the opinion of the Minister, issued to or in the name of the wrong person, through mistake, or contains any clerical error or misnomer or wrong description of any material fact therein, the Minister may cancel the Certificate or Location Ticket and issue a corrected Certificate in lieu thereof.

 

Certificat annulé; billet de location

 

Cancellation of Certificates or Location Tickets

 

27. Le ministre peut, avec le consentement de celui qui en est titulaire, annuler tout certificat de possession ou occupation ou billet de location mentionné à l’article 26, et peut annuler tout certificat de possession ou d’occupation ou billet de location qui, selon lui, a été délivré par fraude ou erreur.

27. The Minister may, with the consent of the holder thereof, cancel any Certificate of Possession or Occupation or Location Ticket referred to in section 26, and may cancel any Certificate of Possession or Occupation or Location Ticket that in his opinion was issued through fraud or in error.

 

[37]           Le défendeur dit que la possibilité de recourir aux articles 26 et 27 et de faire contrôler judiciairement les approbations ministérielles d’attributions et de transferts de CP suppose implicitement qu’il faut attribuer une forme de « garantie », ou un certain niveau de certitude, à un CP qui n’a pas été contesté, soit par procédure de contrôle judiciaire, soit au titre des articles 26 ou 27 de la Loi. Le ministre était donc fondé à compter sur la validité des CP d’Irene Cooper dans la présente affaire, et il n’était pas tenu de s’enquérir de la validité desdits CP, contrairement à ce que prétendent les demandeurs.

 

[38]           Le défendeur dit aussi que, s’agissant du paragraphe 50(4), l’obligation du ministre est de s’assurer que l’acheteur, dans une vente selon l’article 50, est membre d’une bande. Le ministre n’est pas investi, par le seul article 50, du pouvoir de s’interroger sur la validité des CP vendus. Par conséquent, la décision du ministre ne saurait être annulée au motif qu’il n’aurait pas exercé un pouvoir discrétionnaire qu’il ne possédait d’ailleurs pas. C’est plutôt par l’article 27 qu’est conféré le pouvoir de corriger la présumée invalidité d’un CP. Lorsqu’il exerce le pouvoir que lui confère le paragraphe 50(4), le ministre peut décider d’exercer le pouvoir que lui confèrent les articles 26 et 27, c’est‑à‑dire celui de corriger ou d’annuler un CP.

 

[39]           Le défendeur relève aussi que, dans un autre litige où la bande avait réussi à obtenir une ordonnance lui reconnaissant le droit aux loyers découlant des parcelles CP d’Irene Cooper, la bande avait fait valoir que Mme Cooper était membre de la bande et qu’elle possédait les parcelles CP à son décès : Songhees First Nation c. Canada, 2002 BCSC 255, décision confirmée : 2003 BCCA 187.

 

[40]           Pour l’essentiel, je partage l’avis du défendeur. Il m’est impossible de dire qu’il incombe au ministre de s’assurer de la validité de certificats de possession quand il ne dispose d’aucun élément de nature à mettre en doute leur validité. À mon avis, une telle obligation n’existera que s’il a une raison de douter de la validité des CP, au vu de la preuve qu’il a devant lui ou des soupçons d’une partie concernée. Dans un tel cas, le ministre serait tenu de décider s’il devrait, en application des articles 26 ou 27, exercer son pouvoir discrétionnaire et corriger ou annuler le CP. Ce n’était pas le cas dans l’affaire dont je suis saisie. Le ministre n’avait pas devant lui la moindre preuve qui lui eût donné une bonne raison d’explorer les antécédents des CP, ou qui l’eût obligé à les explorer.

 

[41]           Les demandeurs ont eu l’occasion de présenter des arguments, ce qu’ils ont fait. Pas une seule fois ils n’ont évoqué la question de la validité des CP, en dépit de nombreuses rencontres et communications entre les parties au cours de la vente et tout au long du litige antérieur dans l’affaire Songhees First Nation.

 

[42]           D’ailleurs, la lecture de la décision Songhees First Nation montre clairement que, d’après la bande, Irene Cooper était effectivement membre de la bande et possédait, à son décès, huit parcelles dans la réserve. Les demandeurs ne sont certainement pas empêchés de soulever devant moi la question de l’obligation du ministre de s’interroger sur la validité des CP, mais la décision Songhees First Nation est la preuve que, durant cette période, la bande n’avait aucun doute sur le droit de possession d’Irene Cooper et se reposait en fait sur la validité de son droit de possession pour obtenir gain de cause. Par conséquent, si la bande a maintenu tout au long du litige en question que le droit de possession d’Irene Cooper était valide et si elle n’a par la suite jamais mis en doute la validité des CP, il n’y avait absolument rien pour inciter le ministre à croire qu’il devait s’assurer de la validité des CP.

 

[43]           Au reste, l’examen des titres successifs en vue d’y déceler des erreurs possibles n’aurait pas pour autant rendu le titre incontestable. Selon l’article 21 de la Loi, le Registre des terres de réserve (le registre) conserve la description détaillée des CP et autres opérations intéressant les terres d’une réserve. Comme l’explique M. Desrochers dans son affidavit, le registre, qui a été établi en 1951 et qui constitue un élément du Registre des terres indiennes (le RTI), n’est pas l’équivalent d’un régime provincial d’enregistrement. Il s’agit d’un registre d’actes dans lequel des droits fonciers sont enregistrés volontairement. C’est un « système fondé sur la bonne volonté ». Il y a probablement des droits fonciers qui ne sont jamais consignés dans le registre. Ainsi, contrairement à un système provincial d’enregistrement immobilier, il n’y a aucune garantie du droit de possession étant donné que d’autres droits pourraient modifier le droit de possession sans pour autant être enregistrés. J’accorde un certain crédit à l’argument de l’avocat des demandeurs selon lequel il est plutôt commode pour le défendeur de prétendre que, puisque le MAINC a établi un système peu fiable d’enregistrement immobilier, il ne devrait pas être tenu de faire des recherches dans ce système peu fiable. Finalement cependant, je reconnais avec le défendeur que, vu les « failles » du système, il ne serait ni prudent ni très honnête de s’en remettre simplement à de telles recherches. Il faut plutôt disposer absolument d’une autre sauvegarde, plus exactement donner aux parties concernées l’occasion de présenter des observations, et ne pas se limiter à vérifier la dernière inscription portée au registre.

 

[44]           Les plaintes des demandeurs à propos du RTI semblent venir de ce qu’ils sont contrariés par ses apparentes lacunes. À mon sens, puisque toutes les parties s’accordent à dire que le RTI n’est pas totalement fiable, l’unique moyen pour le ministre de prendre connaissance des difficultés que peuvent présenter les CP est de faire en sorte que telles difficultés soient portées à son attention. Ainsi, dans certains cas, l’information entourant la prétendue invalidité d’un CP pourrait n’être connue que de la bande, auquel cas le ministre devra compter sur les faits signalés par la bande pour exercer son pouvoir discrétionnaire et corriger ou annuler un CP en vertu des articles 26 ou 27. C’est pourquoi je dois reconnaître avec le défendeur que l’obligation du ministre, dans une vente selon l’article 50, est de vérifier la dernière inscription portée au RTI, ce à quoi s’ajoutera la sauvegarde, propre au droit administratif, qui permet aux parties concernées de présenter des observations si elles suspectent une erreur ou une fraude. Le ministre aura alors l’obligation de faire enquête et pourra user de son pouvoir discrétionnaire, selon les articles 26 ou 27, pour corriger ou annuler le CP.

 

[45]           Les demandeurs relèvent aussi que les CP mêmes ne figuraient pas dans les documents soumis au ministre. Cela est vrai, mais, comme il ressort clairement de l’affidavit de M. Desrochers ainsi que du contre‑interrogatoire de Mme Evans, avant de procéder à une vente selon l’article 50, le personnel du ministre confirme l’existence d’un CP pour les terres en question, ce qui, d’après moi, a également été fait ici. Ce n’est que bon sens car, comme l’a dit Mme Evans, [traduction] « il est impossible que Jean Dupont transfère une terre qui appartenait à Marie Lachance ».

 

[46]           Les demandeurs disent aussi que le ministre devrait explorer les antécédents d’un CP parce que le CP ne constitue pas une preuve concluante de possession dans une vente selon l’article 50. Je reconnais avec les demandeurs qu’une vente selon l’article 50 requiert que le testateur ou la testatrice ait eu la possession licite de la terre. Cependant, même s’il est vrai qu’un CP n’atteste qu’un droit de possession (voir le paragraphe 20(2) de la Loi), je crois que le ministre est fondé à s’en remettre aux CP lorsqu’il donne son approbation selon le paragraphe 50(4). À mon avis, un CP constitue une preuve suffisante de possession licite pour que le ministre approuve un transfert de possession selon le paragraphe 50(4). À moins d’être contesté, un CP suffit. Je crois que l’objet d’un CP est en réalité de constituer une preuve de possession dans des cas tels qu’une vente selon l’article 50. Autrement, comme le dit l’avocat de la succession d’Irene Cooper, un CP n’aurait en réalité aucune valeur. S’il n’y avait pas eu de CP pour les parcelles en question, c’eût été tout à fait différent car le ministre aurait alors dû vérifier par d’autres moyens l’existence d’une possession licite. Par bonheur, il y avait des CP et, comme je l’ai déjà dit, le ministre était fondé à se reposer sur eux. En définitive, ce que le ministre avait devant lui, c’était des CP. Ce que le ministre n’avait pas devant lui, c’était des allégations d’invalidité des CP. Encore une fois, s’il n’est pas mis au fait d’une possible invalidité, le ministre n’a aucune raison d’aller au‑delà des CP.

 

[47]           En résumé, la décision du ministre d’approuver le transfert de possession en application du paragraphe 50(4) ne saurait être annulée au motif qu’il ne s’est pas assuré de la validité des CP d’Irene Cooper, une obligation qu’il n’a pas à moins qu’un doute ne soit émis par l’une des parties intéressées ou n’apparaisse dans la preuve qu’il a devant lui, auquel cas le ministre a le pouvoir discrétionnaire, en vertu des articles 26 et 27, de corriger ou d’annuler le CP et de ne pas approuver le transfert de possession.

 

Point no 2 : Le ministre a‑t‑il l’obligation, avant d’approuver le transfert de possession en application du paragraphe 50(4), d’obtenir une attribution du conseil de la bande?

 

[48]           Le paragraphe 20(1) de la Loi, qui a pour titre « Possession de terres dans une réserve », dispose qu’un Indien n’est légalement en possession d’une terre dans une réserve que si possession de la terre lui a été accordée par le conseil de la bande.

 

[49]           Selon les demandeurs, le paragraphe 20(1) est une disposition capitale de la Loi, et le ministre est tenu d’obtenir de la bande une attribution avant d’approuver le transfert de possession selon le paragraphe 50(4). Les demandeurs disent que le paragraphe 20(1) est un texte prohibitif parce qu’il n’autorise pas le transfert de possession tant qu’il n’y a pas eu attribution. L’article 50 n’exclut pas ni n’interdit l’application du paragraphe 20(1), et il doit donc s’appliquer, car autrement ce serait aller à l’encontre de l’esprit et de l’objet de la Loi, qui est de donner aux conseils de bande une certaine mainmise sur leurs terres.

 

[50]           Le défendeur dit qu’aucune attribution n’est requise de la part d’une bande avant une approbation selon le paragraphe 50(4). D’après lui, lorsqu’il a élaboré les dispositions de la Loi en matière de successions, ce qui a conduit à l’adoption de l’article 50, le législateur entendait élargir le droit de tester et donner effet aux volontés d’un testateur ou d’une testatrice membre d’une bande à l’égard de ses terres visées par un CP. Les conseils de bande étaient vus comme une entrave aux clauses testamentaires portant sur des terres visées par des CP, parce qu’ils refusaient de respecter les volontés d’un testateur, et l’on avait donc jugé nécessaire d’éliminer l’exigence d’une approbation des conseils de bande pour les clauses testamentaires en question.

 

[51]           Je partage l’avis du défendeur. Si l’on examine l’évolution historique des dispositions successorales insérées dans la Loi, on constate une intention manifeste du législateur d’éliminer l’exigence d’une approbation du conseil de bande et d’accorder plus de poids aux volontés du testateur ou de la testatrice.

 

[52]           Dans la loi de 1876, il n’était pas possible pour un membre d’une bande de léguer ses biens meubles ou immeubles par testament, mais la loi exposait la manière dont une terre visée par un CP serait transmise dans une succession ab intestat (c’est‑à‑dire lorsqu’un membre d’une bande décède sans testament). Dans un tel cas, l’approbation du conseil de bande (outre celle du surintendant général) était nécessaire avant qu’un réclamant (c’est‑à‑dire un bénéficiaire) puisse obtenir la possession licite de la terre visée par le CP. L’approbation du conseil de bande était également requise pour le transfert entre vifs d’une terre visée par un CP : S.C. 1876, ch. 18, articles 6, 8 et 9.

 

[53]           Dans la loi de 1880, la nécessité de l’approbation du conseil de bande fut éliminée pour les transferts entre vifs. Cependant, quand une terre visée par un CP était transmise par succession ab intestat, l’approbation du conseil de bande (outre celle du surintendant général) demeurait nécessaire avant qu’un bénéficiaire pût être légalement en possession de la terre : S.C. 1880, ch. 28, articles 9 et 20.

 

[54]           En 1884, la loi fut modifiée pour permettre la transmission par testament d’une terre visée par un CP. Que la terre en question fût transmise par testament ou par succession ab intestat, l’approbation du conseil de bande (outre celle du surintendant général) demeurait nécessaire avant qu’un bénéficiaire pût être légalement en possession de la terre. Le consentement du conseil de bande demeurait non requis pour les transferts entre vifs : S.C. 1884, ch. 27, article 20.

 

[55]           En 1894 cependant, la nécessité de l’approbation du conseil de bande fut éliminée totalement : S.C. 1894, ch. 32, article 1. Cette année‑là, les conseils de bande perdaient tout pouvoir d’approuver les transmissions testamentaires (ou entre vifs) de droits individuels sur des terres de réserve. L’approbation des testaments, la délivrance des billets de location aux bénéficiaires et l’approbation des transmissions entre vifs incombaient totalement au surintendant général.

 

[56]           La modification de 1918 a accru encore le droit de tester. Avant cette modification, un membre d’une bande ne pouvait pas léguer par testament (sauf une catégorie spéciale d’exceptions) une terre visée par un CP à des non‑membres. Par conséquent, même de proches parents ne pouvaient pas hériter des droits du défunt sur une terre visée par un CP s’ils n’étaient pas membres de la bande. En 1918, le législateur a adopté des modifications pour corriger cette situation et pour élargir le droit de tester et donner plus de poids aux volontés du testateur. La solution fut la disposition qui a précédé l’actuel article 50 de la Loi.

 

[57]           La modification de 1918 disposait que les terres d’une réserve pouvaient être léguées par testament (ou transmises intestat) à des personnes non membres de la bande, mais qu’elles devaient alors être vendues à un membre de la bande, et le produit de la vente versé aux bénéficiaires, comme ce que prévoit l’actuel article 50 de la Loi : S.C. 1918, ch. 26, article 1.

 

[58]           L’analyse faite ci‑dessus de l’évolution historique des dispositions qui ont conduit à l’adoption de l’actuel article 50 de la Loi montre que la formalité de l’approbation, par le conseil de bande, des transmissions testamentaires a été clairement éliminée. L’intention du législateur était d’élargir le droit de tester et d’accorder plus de poids aux volontés testamentaires du membre concerné de la bande. L’article 50 doit être interprété d’une manière qui s’accorde avec cette intention. Prétendre que l’article 50 exige implicitement l’approbation de la bande par voie d’acte d’attribution avant que l’acheteur, membre de la bande, puisse obtenir la possession licite de la terre, c’est aller à l’encontre de la volonté du législateur, qui était d’élargir et accroître le droit de tester des membres d’une bande.

 

[59]           La jurisprudence milite clairement elle aussi en faveur d’une interprétation d’après laquelle une vente selon l’article 50 ne requiert pas de la bande un acte d’attribution.

 

[60]           Comme je l’évoquais plus haut, le titulaire d’un CP peut, en vertu du paragraphe 58(3) de la Loi, demander au ministre de louer sa terre à son profit. Dans l’arrêt Boyer c. R., [1986] 2 C.F. 393 (C.A.F.), la bande faisait valoir que le ministre était tenu d’obtenir le consentement de la bande avant de conclure un bail en vertu du paragraphe 58(3). La Cour d’appel fédérale a rejeté cet argument et considéré les nombreuses restrictions formelles déjà imposées par la Loi aux membres d’une bande, par exemple l’interdiction de disposer du droit à la possession ou l’interdiction de louer la terre à un non‑membre. Elle écrivait que de telles restrictions « n’ont qu’un seul but : empêcher que la fin poursuivie par la mise de côté du terrain, c’est‑à‑dire l’utilisation de celui‑ci par la bande et ses membres, soit contrecarrée » (paragraphe 15). La Cour d’appel était d’avis que, après qu’une attribution est faite, le droit d’utiliser la terre et d’en tirer avantage passe de la bande en tant que collectivité, au membre concerné de la bande, à qui est conféré un certain degré d’autonomie dans l’exercice de ses activités et dans la mise en valeur de la terre. L’intérêt de la bande disparaît, ou il est en tout cas suspendu (paragraphes 15 et 18). En dernière analyse, la Cour d’appel fédérale a jugé que ce serait contrarier l’économie de la Loi que d’interpréter le paragraphe 58(3) comme s’il contenait les mots « avec le consentement de la bande ». L’obligation du ministre était une obligation envers la loi, non envers la bande.

 

[61]           Dans la décision Simpson c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1996] A.C.F. no 25 (1re inst.), la Cour a suivi l’arrêt Boyer. Dans cette affaire, le demandeur sollicitait une prorogation du délai de dépôt de son avis de requête introductif d’instance. Pour obtenir cette prorogation, il devait justifier son retard et établir que sa demande avait une chance raisonnable de succès, ce qui l’obligeait à produire une preuve pouvant fonder un argument défendable. Le demandeur a fait valoir que l’approbation par la bande d’une attribution selon l’article 20 de la Loi était requise. La Cour a estimé que cet argument n’avait aucun fondement. Elle s’est exprimée ainsi, au paragraphe 9 :

[…] Le requérant, au moment du transfert, était titulaire d’un certificat de possession valide et possédait donc tous les attributs de la propriété à l’exception du titre juridique lui‑même, qui reste à la Couronne. Conséquemment, il avait droit de transférer son droit sur la propriété à lui‑même et à sa fille en location conjointe conformément à l’article 24 de la Loi sur les Indiens. Cet article n’impose pas la nécessité, explicite ou implicite, d’une résolution du conseil de la bande à l’égard de ce transfert. Le droit de la bande sur une terre déjà attribuée à un de ses membres a disparu ou est pour le moins suspendu (voir l’arrêt Re Boyer and the Queen (1986), 26 D.L.R. (4th) 284 aux pages 291 et 292.

 

[62]           Comme je l’ai déjà dit, l’objet de l’article 50 est de faire en sorte que les terres d’une réserve restent entre les mains des membres de la bande, tout en respectant les volontés du testateur ou de la testatrice. Pour accomplir cet objet, le ministre doit s’assurer que les acheteurs d’une terre, dans une vente selon l’article 50, sont effectivement membres de la bande. Cela n’exige pas de la bande une attribution. Le législateur ayant clairement mis fin à l’exigence de l’approbation du conseil de bande, il serait absurde, et contraire à la volonté clairement exprimée du législateur, de prétendre que l’article 50 requiert implicitement l’approbation de la bande en établissant une règle d’après laquelle la bande doit, dans la vente selon l’article 50 d’une terre visée par un CP, attribuer la terre en question avant que l’acheteur, membre de la bande, puisse en avoir la possession licite.

 

[63]           J’en conclus que, comme le prévoit expressément le paragraphe 50(4), seule l’approbation du ministre est requise avant qu’un acheteur membre de la bande puisse avoir la possession licite d’une terre de réserve achetée à l’occasion d’une vente selon l’article 50. Une telle interprétation s’accorde avec le sens ordinaire et grammatical de la disposition, considérée dans le contexte de la Loi tout entière, et avec la jurisprudence.

 

Point no 3 : Le ministre est‑il débiteur d’une obligation fiduciaire envers la bande lorsqu’une vente selon l’article 50 a lieu?

 

[64]           La notion d’obligation fiduciaire a de longs antécédents au Canada. Aujourd’hui, l’état du droit permet d’affirmer qu’un examen de la relation considérée est capital lorsqu’il s’agit de savoir s’il y a une relation fiduciaire entre deux parties. Dans un arrêt récent, Gladstone c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 21, [2005] 1 R.C.S. 325, la Cour suprême s’est attardée, aux paragraphes 23 à 27, sur l’obligation fiduciaire de la Couronne envers la population autochtone. Le juge Major, s’exprimant pour la cour, écrivait que « bien que la Couronne ait, dans bien des cas, une obligation fiduciaire envers la population autochtone, c’est la nature des rapports, et non la catégorie d’acteurs en question, qui donne naissance à une obligation fiduciaire. Les situations mettant en cause des autochtones et la Couronne ne donnent pas toutes naissance à une obligation fiduciaire. » Les principes fiduciaires entreront généralement en jeu lorsqu’une partie est obligée d’agir pour l’avantage d’une autre.

 

[65]           Les demandeurs disent que le ministre a commis une erreur en affirmant qu’aucune obligation fiduciaire ne découlait de l’article 50 de la Loi. D’après eux, l’article 50 oblige le ministre à dire, avant la mise des terres en vente, qu’il y a possession licite des terres à transférer. La bande détient un droit de retour sur les terres soumises à une vente selon l’article 50, et cela en application du paragraphe 50(3), qui autorise aussi le ministre à fixer un délai avant que soit acquis ce droit de retour. Les demandeurs se fondent sur les trois caractéristiques d’une relation fiduciaire énoncées au paragraphe 26 de l’arrêt Gladstone, et ils disent que, dans l’article 50, (1) le ministre peut exercer un certain pouvoir discrétionnaire; (2) il peut exercer unilatéralement ce pouvoir de manière à avoir un effet sur le droit de la bande sur la terre ou sur l’exercice de ce droit; et (3) la relation entre la bande et le ministre est telle que la bande est totalement à la merci du ministre pour ce qui est de l’octroi ou du refus d’une approbation selon le paragraphe 50(4). Je ne partage pas l’avis des demandeurs. Pour les motifs qui suivent, je crois que la vente selon l’article 50 ne donnait pas lieu à une obligation fiduciaire.

 

[66]           Dans l’arrêt Guerin c. Canada, [1984] 2 R.C.S. 335, le juge Dickson, s’exprimant pour les juges majoritaires, écrivait qu’une relation fiduciaire ne pourra naître en général que dans le contexte du droit privé. L’acquittement d’une obligation de droit public, qui nécessite l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, comme celui dont il s’agit ici, ne donnera pas lieu en général à une relation fiduciaire car « on ne prête pas généralement à Sa Majesté la qualité de fiduciaire lorsque celle‑ci exerce ses fonctions législatives ou administratives » (page 385). La Cour suprême s’est exprimé de la même manière dans l’arrêt Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2002] 4 R.C.S. 245, au paragraphe 96. Dans cet arrêt, le juge Binnie a reconnu que l’existence d’une obligation de droit public n’exclut pas la possibilité pour la Couronne d’assumer une obligation fiduciaire si l’obligation qu’elle a envers les peuples autochtones est « de la nature d’une obligation de droit privé » (paragraphes 74 et 85). Tel n’est pas le cas ici. Lorsque le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 50(4), il n’y a rien qui évoque une responsabilité « de la nature d’une obligation de droit privé ». Il s’agissait plutôt d’une simple fonction de droit public commandant l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire pour lequel la Couronne n’est pas vue comme un fiduciaire.

 

[67]           Dans l’arrêt Tsartlip, le ministre avait pris la décision de louer les terres d’une réserve en vertu du paragraphe 58(3) de la Loi. La bande appelante affirmait que le ministre n’avait pas pris en compte les préoccupations de la bande et que, en conséquence, sa décision était déraisonnable. Deux points furent soulevés en appel, d’abord celui de savoir si la Couronne était débitrice d’une obligation fiduciaire envers la bande, et ensuite celui de savoir si la décision était raisonnable. La Cour d’appel a fait droit à l’appel de la bande sur le deuxième point, en disant que la décision du ministre était déraisonnable parce qu’il avait écarté sans plus les préoccupations de la bande. Quant au premier point (qui intéresse la présente affaire), la Cour d’appel a fait observer qu’elle avait jugé auparavant que la Couronne, agissant sous l’autorité du paragraphe 58(3) de la Loi, n’avait aucune obligation fiduciaire envers une bande. La Cour d’appel n’a trouvé aucun précédent permettant d’affirmer qu’il existe une obligation fiduciaire envers la bande ou envers un membre de la bande lorsque le ministre gère les terres d’une réserve. S’agissant de savoir si la notion d’obligation fiduciaire était ou non appropriée, la Cour d’appel écrivait ce qui suit, au paragraphe 35 :

 

[…]

 

À mon avis, le concept de l’obligation fiduciaire n’est pas du tout approprié lorsqu’il s’agit de définir le rôle du ministre quand, dans l’exercice des devoirs que lui impose la loi par rapport à la gestion des terres dans une réserve, il doit pondérer les intérêts divergents d’un membre de la bande d’une part, et de la bande d’autre part. Le ministre n’a pas d’intérêt à défendre dans une telle décision. La Couronne ne tirera aucun avantage de la décision du ministre. Quelle que soit cette décision, les terres resteront des terres sur la réserve. Il n’y a pas de relation conflictuelle entre la Couronne et la bande dans son ensemble ou un des membres de la bande. Il n’y a pas d’intérêt public légitime que le ministre doit défendre qui serait contraire à l’intérêt des peuples autochtones. La Couronne « n’exploite pas » les droits de la bande ou ceux de l’occupant.

 

[68]           La Cour d’appel fédérale a plutôt jugé que les principes du droit administratif étaient mieux à même de s’appliquer aux affaires relevant du paragraphe 58(3). Au paragraphe 38, elle écrivait que ce qui était proposé sous l’étiquette d’obligation fiduciaire correspondait en réalité à l’approche adoptée en droit administratif lorsqu’un décideur doit mettre en balance les intérêts antagonistes des personnes touchées par sa décision.

 

[69]           Je fais miens les propos de la Cour d’appel, dans l’arrêt Tsartlip, selon lesquels la notion d’obligation fiduciaire n’est pas adaptée à l’exercice, par le ministre, des pouvoirs discrétionnaires que lui confère la Loi en ce qui a trait à la gestion des terres d’une réserve. Dans le paragraphe 50(4), le rôle du ministre consiste simplement à approuver ou à ne pas approuver le transfert de possession. Le ministre est, dans le processus, un participant désintéressé. La Couronne n’est pas partie et n’a rien à gagner de ventes faites selon l’article 50, car ne peuvent se porter acquéreurs que les personnes admissibles selon la Loi, c’est‑à‑dire les membres de la bande.

 

[70]           En l’espèce, comme dans l’affaire Tsartlip, ce que les demandeurs proposent de faire relever de la notion d’obligation fiduciaire, c’est le principe de droit administratif d’équité dans la conduite d’une vente selon l’article 50, plus précisément le point de savoir si le ministre a considéré les vues respectives des personnes touchées par la décision, et s’il les a considérées en fonction de facteurs adéquats. Dans une vente selon l’article 50, le ministre doit prendre en compte : les intérêts collectifs de la bande, les intérêts de chacun des acheteurs membres de la bande, les intérêts du testateur et les intérêts de chacun des bénéficiaires non membres de la bande.

 

[71]           Il n’est pas établi ici que le ministre n’a pas tenu compte des vues des personnes intéressées ou qu’il a fondé sa décision sur des facteurs irréguliers ou hors de propos. Les motifs de la décision sont détaillés et complets, et ils abordent chacune des préoccupations évoquées par le chef et les deux conseillers représentant la bande, dans leur lettre du 11 mai 2004.

 

Point no 4 : Le ministre a‑t‑il manqué à l’obligation d’équité procédurale parce qu’il n’a pas donné aux demandeurs une occasion de le rencontrer, ou à tout le moins de lui présenter d’autres conclusions écrites?

 

[72]           Les demandeurs disent qu’ils n’ont pas eu une possibilité suffisante d’explorer tous les aspects qui pouvaient être en jeu. Ils prétendent qu’ils auraient dû avoir la possibilité de rencontrer le ministre, ou celle de présenter d’autres conclusions écrites. Le défendeur reconnaît que les demandeurs étaient créanciers d’une obligation d’équité, mais, selon lui, l’obligation a été remplie ici.

 

[73]           « La nature souple de l’obligation d’équité reconnaît qu’une participation valable peut se faire de différentes façons dans des situations différentes » : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, paragraphe 33. Des droits équitables de participation peuvent donc être exercés par divers moyens, selon le contexte. Dans l’arrêt Baker, la Cour suprême du Canada a exposé une méthode en cinq facteurs servant à déterminer le contenu de l’équité procédurale. Ce sont les facteurs suivants : (1) la nature de la décision qui est prise et le processus suivi pour y parvenir; (2) la nature du régime légal et les termes de la loi régissant l’organisme; (3) l’importance de la décision pour les personnes visées; (4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; et (5) les choix de procédure que l’organisme fait lui‑même. Cette liste n’est pas limitative (arrêt Baker, paragraphes 23 à 28).

 

[74]           Appliquant ces facteurs à la présente affaire, je suis d’avis, pour les motifs qui suivent, que seules des protections procédurales minimales étaient requises, qui n’englobaient ni le droit à une rencontre avec le ministre, ni le droit de présenter d’autres conclusions écrites.

 

[75]           S’agissant du premier facteur, la juge L’Heureux‑Dubé a réaffirmé, dans l’arrêt Baker, le principe, exposé dans l’arrêt Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, selon lequel plus le processus administratif se rapproche du processus judiciaire, plus l’obligation d’équité sera susceptible d’exiger des protections procédurales proches du modèle du procès (arrêt Baker, paragraphe 23). Le processus de vente prévu par l’article 50 et dont il est ici question est purement administratif et ne ressemble en rien au processus contradictoire ou judiciaire.

 

[76]           Quant au second facteur, la juge L’Heureux‑Dubé a donné deux exemples où seront requises des protections procédurales accrues, le premier lorsque la loi ne prévoit aucune procédure d’appel, et le second lorsque la décision est déterminante pour la question en litige et qu’il ne sera plus possible de présenter d’autres demandes (arrêt Baker, paragraphe 24). Cela est vrai des ventes faites selon l’article 50. Il n’y a pas de droit d’appel, uniquement une procédure de contrôle judiciaire devant la Cour, comme celle qui a été introduite ici. Par ailleurs, la décision d’approuver une vente est déterminante pour l’aliénation des terres.

 

[77]           Le troisième facteur est l’importance de la décision pour les personnes concernées. Selon la juge L’Heureux‑Dubé, plus la décision est importante pour les personnes concernées et plus ses répercussions sont grandes en ce qui les concernent, plus les protections procédurales requises seront rigoureuses (arrêt Baker, paragraphe 25). Ce facteur soulève une question intéressante dans le contexte d’une vente selon l’article 50, en ce sens que la bande n’est pas automatiquement concernée par la vente. L’intérêt de la bande est plutôt subordonné à une condition puisqu’elle détient un droit de retour de la terre en vertu du paragraphe 50(3), qui prévoit que, si, dans les six mois ou tout délai supplémentaire que peut déterminer le ministre, il n’est reçu aucune soumission, les terres non vendues retourneront à la bande. Selon les demandeurs, la décision du ministre est une décision qui influe sensiblement sur les droits et sur les intérêts fonciers de la bande et des autres membres de la bande. Dans la vente dont il est question ici, le produit total tiré de la vente se chiffrait à 1 278 500 $. Une vente selon l’article 50 n’intéresse pas la bande avec autant de certitude qu’elle intéresse les héritiers qui recevront le produit, et les soumissionnaires, mais je crois que le droit de retour que détient la bande milite effectivement en faveur de certaines protections procédurales dans la conduite de la vente.

 

[78]           Le cœur de l’argumentation des demandeurs au soutien d’un niveau plus élevé d’équité procédurale s’appuie sur le quatrième facteur, celui des attentes légitimes. Le principe des attentes légitimes est un prolongement des règles de justice naturelle et d’équité procédurale. Si le demandeur peut légitimement espérer qu’une certaine procédure sera suivie, l’obligation d’équité exigera cette procédure (arrêt Baker, paragraphe 26). Les demandeurs disent que, par suite d’un échange de lettres, ils pouvaient légitimement espérer une audience ou une rencontre avec le ministre avant que la décision soit rendue, ou à tout le moins espérer que leur demande d’organisation d’une rencontre fût étudiée directement. Le défendeur dit que la correspondance échangée ne renfermait rien pouvant équivaloir à une offre de procédures additionnelles, ou de possibilités additionnelles de faire des observations. Tout au plus, le représentant du MAINC écrivait que le ministre étudierait leur demande de le rencontrer.

 

[79]           Je partage l’avis du défendeur. Un examen de la correspondance pertinente confirme que c’est ce qui est arrivé. Comme je l’écrivais au début dans la section intitulée « Les faits », le demandeur, le chef Robert Sam, a écrit au ministre une lettre exposant les préoccupations qu’il avait à propos de la vente selon l’article 50 et sollicitant une rencontre avec lui en vue d’en discuter. L’avocat du ministre a répondu qu’il croyait que le ministre répondrait directement à la Première nation concernant sa demande à le rencontrer. Dans une lettre ultérieure, l’avocat de la bande voulait savoir ce qu’il était advenu de l’invitation de la bande à rencontrer le ministre. Avant qu’une rencontre ait pu avoir lieu, le ministre a pris sa décision, par laquelle il approuvait la vente selon l’article 50.

 

[80]           Il y a divergence entre les parties à propos d’une lettre datée du 2 juin 2004, qui aurait été envoyée par le MAINC au chef et au conseil, et qui vraisemblablement mentionnait que l’emploi du temps du ministre ne lui permettait pas d’assister à une réunion, mais qu’il tiendrait compte de toute correspondance ou observation lorsqu’il donnerait ou refuserait son approbation pour la vente selon l’article 50. La bande affirme qu’elle n’a pas reçu cette lettre. Il est difficile, au vu de la preuve par affidavit, et de la preuve obtenue durant le contre‑interrogatoire, de dire si cette lettre a été reçue. Je crois cependant qu’il n’est pas nécessaire de le savoir pour régler la question. À mon avis, il ressort clairement de la correspondance qu’aucune promesse d’une réunion n’a jamais été faite aux demandeurs. Pareillement, je n’ai pu rien trouver donnant à entendre que les demandeurs pouvaient légitimement espérer qu’ils auraient le droit de présenter d’autres conclusions.

 

[81]           Les demandeurs me renvoient à la décision Mercier‑Néron c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1995] A.C.F. no 1024 (1re inst.) (QL), une affaire dans laquelle la demanderesse sollicitait le contrôle judiciaire d’une décision qui avait rejeté sa demande d’assistance présentée en vertu du Régime d’aide extraordinaire aux victimes de la thalidomide. Après qu’elle eut demandé à bénéficier du programme, le défendeur lui envoya des documents l’informant clairement que sa demande pourrait être jugée soit sur la base de pièces écrites et de renseignements, soit à la suite d’une audience à laquelle la demanderesse pourrait assister ou être représentée. La demanderesse a choisi de faire juger sa demande par tenue d’une audience. Aucune audience du genre n’a eu lieu et, environ un an plus tard, sa réclamation fut rejetée parce que le défendeur n’avait pas été convaincu par les pièces justificatives qu’elle avait produites. Faisant droit à la demande de contrôle judiciaire, la Cour a jugé que, lorsque le défendeur avait informé la demanderesse qu’elle avait droit à une audience, il avait créé chez elle l’attente légitime qu’elle pourrait se prévaloir d’une telle audience, au cours de laquelle elle serait à même d’expliquer en détail les circonstances de son cas. Le défendeur avait donc manqué à l’obligation d’équité pour ne pas avoir tenu l’audience.

 

[82]           En l’espèce, il n’y avait rien qui pût être assimilé à une offre ou à une possibilité de prendre part à d’autres procédures, ou de présenter d’autres observations au cours d’une réunion ou d’une audience. Le représentant du ministre a simplement dit que la requête formulée par les demandeurs en vue de rencontrer le ministre avait été transmise à celui‑ci. Il n’y a eu aucune promesse ni assurance qu’une telle rencontre aurait lieu. Je dois donc conclure que le principe des attentes légitimes n’a pas d’application ici.

 

[83]           J’observe de plus que la première demande formulée en vue d’une rencontre avec le ministre est apparue à la fin de la première lettre de cinq pages de la bande évoquant ses préoccupations, lettre dans laquelle on pouvait lire que le conseil souhaitait débattre [traduction] « les points contenus dans la présente lettre ». Nulle part dans sa correspondance ultérieure sollicitant une rencontre la bande n’a écrit que la rencontre porterait sur des sujets nouveaux, ni n’a laissé entendre que d’autres points allaient être évoqués avec le ministre (concernant par exemple la validité des CP). Pour ce qui concerne les préoccupations de la bande, cette lettre a été la seule à en faire état.

 

[84]           Le cinquième facteur porte sur le choix du ministre en matière de procédure. La juge L’Heureux‑Dubé s’est référée à l’arrêt SITBA c. Consolidated‑Bathurst Packaging Ltd., [1990] 1 R.C.S. 282, dans lequel la Cour suprême écrivait que, même si cela n’est pas déterminant, il faut accorder beaucoup de poids au choix de procédure qui est fait par le décideur, surtout quand la loi est silencieuse sur le sujet, laissant ainsi au décideur la liberté de choisir sa propre procédure (arrêt Baker, paragraphe 27). Le défendeur dit que la manière dont le MAINC conduit une vente visée par l’article 50 est une question d’ordre administratif, tout comme l’approbation donnée par le ministre. Le MAINC a donc institué des procédures de droit administratif donnant effet à son obligation d’équité, afin que toutes les parties concernées aient la possibilité de présenter des conclusions.

 

[85]           Prenant en compte tous ces facteurs, j’arrive à la conclusion que, en l’espèce, l’obligation d’équité commandait un faible niveau de protections procédurales et que l’équité procédurale déjà accordée aux demandeurs était suffisante. Ils ont eu la possibilité de présenter des observations écrites, ce qu’ils ont fait. Il m’est impossible de voir pourquoi ils auraient dû bénéficier d’un « deuxième tour de piste » pour faire d’autres observations, surtout compte tenu du fait que les demandeurs n’ont jamais dit qu’ils avaient de nouveaux sujets de préoccupation qui n’avaient pas déjà été évoqués dans leur correspondance antérieure adressée au ministre. Je relève aussi que le ministre a exposé des motifs détaillés à l’appui de sa décision d’approuver le transfert de possession en application du paragraphe 50(4), motifs qui manifestement prenaient en compte les préoccupations de la bande.

 

[86]           Je suis donc d’avis que le ministre a rempli son obligation d’équité.

 

DISPOSITIF

 

[87]           La présente affaire met essentiellement en cause les obligations et responsabilités du ministre lorsqu’il approuve un transfert de possession en vertu du paragraphe 50(4). Il est donc nécessaire d’exposer les paramètres généraux du pouvoir discrétionnaire du ministre dans la prise d’une telle décision. Dans l’arrêt Tsartlip, la Cour d’appel a cité l’arrêt Baker et évoqué la « marge de manœuvre » qu’il faut déterminer pour l’examen d’une décision discrétionnaire. Dans l’arrêt Baker, la juge L’Heureux‑Dubé faisait observer que « l’exercice du pouvoir discrétionnaire doit quand même rester dans les limites d’une interprétation raisonnable de la marge de manœuvre envisagée par le législateur […] » (arrêt Baker, paragraphe 53). Dans l’arrêt Tsartlip, la Cour d’appel faisait observer que la marge de manœuvre du ministre « n’[était] pas totale » en ce sens que, lorsqu’il s’est demandé s’il devait ou non approuver un bail en vertu du paragraphe 58(3), la Loi renfermait, à propos de l’utilisation des terres d’une réserve par des non‑Indiens, suffisamment de dispositions pour que la décision du ministre fût plus ou moins dictée.

 

[88]           L’avocat des demandeurs a décrit la manière du défendeur d’interpréter le pouvoir discrétionnaire du ministre comme une route à voie unique, tandis que lui l’aurait qualifiée d’« autoroute à quatre voies ». Je ne partage pas cet avis. Selon moi, le paragraphe 50(4) est encore plus restrictif que le paragraphe 58(3) et offre une marge de manœuvre encore plus mince. Le paragraphe 50(2) dispose que le droit à la possession ou à l’occupation de terre « doit être offert en vente […] au plus haut enchérisseur entre les personnes habiles à résider dans la réserve ». Le choix des solutions offertes au ministre est donc considérablement limité par l’économie de la Loi. Le paragraphe (4), lu à la lumière du paragraphe (2), donne même à penser que, après que le ministre a tiré les conclusions qu’il doit tirer sur le plan légal, qu’il a pris en compte tous les arguments des parties concernées et qu’il est convaincu que l’acheteur est un membre de la bande, alors ce n’est que dans des circonstances impérieuses qu’il pourra décider de ne pas approuver le transfert de possession selon le paragraphe 50(4) alors que la vente est impérative selon le paragraphe 50(2). Si l’on applique ces principes, alors, bien que le ministre possède le pouvoir discrétionnaire de prendre en compte de nombreux facteurs, il a estimé ici que les déclarations de la bande à propos des besoins fonciers de la première nation constituaient une preuve insuffisamment convaincante. Je ne vois aucune raison de modifier, sur ce fondement, la décision.

 

[89]           Finalement, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée, avec dépens en faveur du défendeur le ministre et en faveur de la défenderesse la succession d’Irene Cooper.

 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens en faveur du défendeur le ministre et en faveur de la défenderesse la succession d’Irene Cooper.

 

 

« Danièle Tremblay‑Lamer »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T‑1492‑04

 

INTITULÉ :                                       Le chef Robert Sam et autres

 

                                                            et

 

                                                            Le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et autres

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (C.‑B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 4 juillet 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE TREMBLAY‑LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      le 22 août 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

B. Rory B. Morahan

 

POUR LES DEMANDEURS

Patrick Walker

Isabel Jackson

 

POUR LA DÉFENDERESSE – LA COURONNE

Michael J. Lomax

POUR LA DÉFENDERESSE – LA SUCCESSION D’IRENE COOPER

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Morahan et Compagnie

Victoria (C.‑B.)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Vancouver (C.‑B.)

 

POUR LA DÉFENDERESSE – LA COURONNE

Milton Johnson

Victoria (C.‑B.)

POUR LA DÉFENDERESSE – LA SUCCESSION D’IRENE COOPER

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.