Dossier : IMM-8695-24
Référence : 2025 CF 1242
Ottawa (Ontario), le 11 juillet 2025
En présence de monsieur le juge McHaffie
ENTRE : |
BLAISE MASUDI LUNDA |
demandeur |
et |
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] Lire une décision administrative à la lumière du dossier ne permet pas à la Cour, ou au Ministre, d’élaborer des motifs qui ne se trouvent tout simplement pas dans le raisonnement du décideur. Dans la présente affaire, l’agent qui a refusé la demande de visa de Blaise Lunda Masudi n’a pas raisonnablement justifié sa décision. Les arguments du Ministre cherchent effectivement à attribuer à l’agent des motifs qu’il n’a pas exprimés. La décision de l’agent ne peut être soutenue et la demande doit être accueillie.
[2] En révision d’une décision refusant une demande de visa, la Cour applique la norme de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16–17, 23–25; Kapenda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 821 au para 12. Lorsqu’elle applique cette norme, la Cour examine les motifs donnés par le décideur administratif afin de déterminer si la décision est fondée sur une analyse cohérente et rationnelle qui est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes : Vavilov au para 85; Kapenda au para 14. La justification, la transparence et l’intelligibilité sont au cœur d’une décision raisonnable: Vavilov aux para 15, 81, 85–86, 94–96.
[3] Cette Cour a énuméré à plusieurs reprises les principes centraux qui s’appliquent lors d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision refusant une demande de visa : Nesarzadeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 568 aux para 5–9, 19; Adjadi v Canada (Citizenship and Immigration), 2024 FC 754 aux para 5–6 [seulement disponible en anglais]; voir également Vavilov aux para 2, 14, 83–86, 91–98. Les principes applicables comprennent les suivants :
-
Une décision raisonnable doit expliquer le résultat obtenu, à la lumière du droit et des principaux faits.
-
L’arrêt Vavilov cherche à renforcer une
« culture de la justification »
obligeant les décideurs à expliquer logiquement le résultat obtenu et à tenir compte des observations des parties. -
La cour de révision doit prendre en considération le contexte administratif dans lequel la décision a été rendue. Les agents des visas reçoivent une avalanche de demandes, et leurs motifs n’ont pas besoin d’être longs ou détaillés. Cependant, ces motifs doivent exposer les principaux éléments de l’analyse de l’agent et tenir compte des éléments centraux de la demande.
-
Il incombe au demandeur de convaincre l’agent qu’il satisfait aux exigences de la loi qui s’appliquent à l’examen de sa demande, notamment qu’il quittera le Canada à la fin du séjour autorisé.
-
Les agents des visas doivent prendre en considération les facteurs
« d’incitation au départ »
et« d’attraction »
qui pourraient soit amener un demandeur à prolonger son séjour au‑delà de la période de validité de son visa et rester au Canada, soit l’encourager à retourner dans son pays d’origine lorsqu’il le doit. -
Il n’appartient pas au Ministre ni à la Cour de révision de formuler ses propres motifs pour étayer ou compléter la décision d’un agent des visas.
[4] En l’espèce, la demande de visa de visiteur (visa de résident temporaire) de Me Lunda a été déposée suivant un refus antérieur qui a été fondé sur trois facteurs : sa situation d’emploi actuelle, l’insuffisance de sa situation financière et la raison de sa visite au Canada. Dans sa demande, Me Lunda a souligné sa situation d’emploi comme avocat inscrit au Barreau de Kinshasa/Gombe depuis vingt ans, tenant actuellement le poste élu de membre du Conseil de l’Ordre de ce barreau. Il a inclus une affirmation à cet égard de la part du Bâtonnier de l’Ordre des Avocats du Barreau. Au sujet de sa situation financière, il a soumis des relevés bancaires indiquant un solde de plus de US$130,000, soulignant que cette somme est supérieure aux besoins d’un séjour de 3 mois avec son épouse et l’une de ses filles. Quant à la raison de la visite, Me Lunda a indiqué qu’il a sollicité le visa pour des vacances de fin d’année scolaire et de fin d’année civile.
[5] L’agent ayant traité de la demande de Me Lunda n’était pas satisfait qu’il quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée et a donc rejeté sa demande selon l’alinéa 179(b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227. L’agent a cité un seul facteur pertinent, soit la suffisance des biens et de la situation financière de Me Lunda pour subvenir au motif du voyage. Dans ses notes dans le Système mondial de gestion de cas [SMGC], qui font partie de ses motifs, l’agent a écrit ce qui suit, reproduit dans son entièreté, dans la version anglaise originale et sa traduction :
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[6] La Cour accepte les prétentions de Me Lunda selon lesquelles les motifs de l’agent n’expliquent pas de façon adéquate pourquoi « [l]es biens et la situation financière du demandeur sont insuffisants pour justifier le but déclaré du voyage »
pour lui et sa famille. Le « but déclaré du voyage »
est simplement des vacances. Me Lunda a déposé de la preuve indiquant des biens et une situation financière dépassant toute exigence raisonnable pour des vacances d’un mois. L’agent n’a pas rejeté ni même critiqué cette preuve. La phrase qui suit, selon laquelle l’agent a tenu compte « des revenus justifiés du demandeur »
, n’ajoute pas d’explication pertinente. On ne comprend pas quels sont les revenus que l’agent a qualifiés de « justifiés »
, ni le lien entre ces revenus et/ou les biens prouvés et la « dépense raisonnable »
des vacances. De plus, on ne voit pas dans la conclusion de l’agent que Me Lunda n’est pas « suffisamment bien établi »
en considération de sa pratique d’avocat ou de son statut au Barreau de Kinshasa/Gombe.
[7] Une décision administrative qui ne tient pas compte de la preuve au dossier et ne répond pas aux préoccupations centrales soulevées de façon transparente, intelligible et justifiée n’est pas une décision raisonnable : Vavilov aux para 99–101, 105, 125–128. La Cour conclut que la décision de l’agent en l’espèce est une telle décision.
[8] Le Ministre prétend que Me Lunda n’a pas produit suffisamment de renseignements financiers établissant sa situation financière et que la décision de l’agent se fonde sur cette insuffisance de preuve. Ce n’est pas ce qui est indiqué dans les motifs de l’agent, qui ne soulèvent pas l’insuffisance de preuve, mais plutôt l’insuffisance des biens et de la situation financière de Me Lunda. On ne voit pas non plus dans les motifs une explication quant à l’insuffisance des éléments de preuve déposés. Comme indiqué ci-dessus, il n’appartient pas au Ministre ni à la Cour de formuler ses propres motifs pour étayer la décision de l’agent.
[9] De la même manière, la Cour ne peut pas accepter la prétention du Ministre fondée sur les dates des relevés bancaires soumis par Me Lunda. Cette prétention n’est pas fondée sur les motifs de l’agent, mais sur la propre appréciation du Ministre de la preuve déposée par Me Lunda. Encore une fois, il s’agit de motifs additionnels pour étayer la décision qui ne se trouvent pas dans les motifs de l’agent. Les arguments du Ministre franchissent la ligne entre la lecture de la décision à la lumière du dossier et la formulation de nouveaux arguments qui pourraient justifier la décision, mais qui n’ont pas été exprimés par le décideur.
[10] La Cour conclut donc que la décision de l’agent n’est pas conforme aux exigences d’une décision raisonnable et doit être infirmée. La demande en contrôle judiciaire est donc accueillie.
[11] Aucune des parties n’a proposé de question d’importance générale à certifier et la Cour convient que l’affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑8695‑24
LA COUR STATUE que
-
La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision d’un agent d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada datée du 19 avril 2024 refusant la demande de visa de résident temporaire (visa de visiteur) est infirmée et la demande est remise pour un nouvel examen par un autre agent.
« Nicholas McHaffie »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM-8695-24 |
INTITULÉ : |
BLAISE MASUDI LUNDA c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
LIEU DE L’AUDIENCE : |
TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE |
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 30 JUIN 2025 |
JUGEMENT ET MOTIFS: |
LE JUGE MCHAFFIE |
DATE DES MOTIFS : |
LE 11 juillet 2025 |
COMPARUTIONS :
Me Chanez Ikhlef |
Pour LE DEMANDEUR |
Me Jeanne Robert |
Pour LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Alepin Gauthier Avocats Inc Laval (Québec) |
Pour lE DEMANDEUR |
Procureur général du Canada Montréal (Québec) |
Pour lE DÉFENDEUR |