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Date : 20250711


Dossier : T-446-22

Référence : 2025 CF 1234

Ottawa (Ontario), le 11 juillet 2025

En présence de l’honorable juge Roy

ENTRE :

VILLE DE GATINEAU

Demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Défendeur

et

COMMISSION DE LA CAPITALE NATIONALE

office fédéral visé par la demande

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Ville de Gatineau [Ville], la demanderesse, se pourvoit en contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la Commission de la capitale nationale [CCN] au sujet de paiements en remplacements d’impôts [PERI] au cours des ans qui, selon la demanderesse, ne seraient pas raisonnables. La demande en contrôle judiciaire est présentée en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7.

[2] Dans une affaire menée en parallèle avec la présente, la Cour d’appel fédérale a disposé des mêmes arguments présentés devant cette Cour. Cet arrêt de la Cour d’appel répond à la contestation présentée par la Ville de Gatineau puisque l’arrêt de la Cour d’appel lie cette Cour.

[3] La demanderesse, face à la décision de la Cour d’appel, a cherché après que celle-ci eut rendu jugement à développer des arguments nouveaux qui ne correspondent pas au cadre du litige avancé dans son avis de contrôle judiciaire et son mémoire des faits et du droit. Cette tentative doit être rejetée et, à tout événement, les nouveaux arguments ne mettent pas en danger le caractère raisonnable de la décision dont contrôle judiciaire est demandé. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

I. Question préliminaire

[4] La décision dont contrôle judiciaire est demandé a été rendue le 31 janvier 2022 à la suite d’un long conflit entre la Ville et la CCN au sujet des PERI à être payés. De fait, un dossier courant en parallèle impliquait la Municipalité de Chelsea [Municipalité], voisine de la Ville de Gatineau. Dans les deux cas, il s’agissait de PERI dans la portion du Parc de la Gatineau, propriété fédérale, située par ailleurs sur le territoire respectif de la Municipalité et de la Ville.

[5] Quoique les parties du Parc de la Gatineau, une propriété administrée par la CCN, soient évidemment différentes, les deux litiges impliquaient les mêmes lois, les mêmes avocats et essentiellement les mêmes questions. Les avocats de la Municipalité et de la Ville ont bien tenté de joindre les recours, tentative qui a échoué, et un ajournement demandé dans le dossier de la Ville de Gatineau n’a pas été non plus accordé. Ainsi, l’affaire a été entendue à la date prévue, en avril 2023, alors même que la décision en première instance dans Municipalité de Chelsea avait été rendue quelques semaines plus tôt (2023 CF 103).

[6] La Municipalité avait choisi d’en appeler devant la Cour d’appel fédérale. Étant donné les questions qui se posaient avec une trame factuelle très semblable, il fut convenu qu’il serait approprié de recevoir la décision de la Cour d’appel avant de disposer du contrôle judiciaire.

[7] Nous avons été bien avisés de ce faire puisque, comme on le verra, la Cour d’appel a réglé les mêmes questions que celles soulevées par la demanderesse dans la Ville de Gatineau, grâce à sa décision dans Municipalité de Chelsea, 2024 CAF 89. En effet, la Cour d’appel s’est penchée sur les mêmes questions que celles qui sont devant cette Cour. L’autorisation d’en appeler ayant été refusée par la Cour suprême du Canada, l’état du droit apparaît fixé et la décision de la Cour d’appel lie bien sûr la cour d’instance.

[8] Face à l’évolution de cette situation, les parties ont produit des notes supplémentaires concernant l’effet de la décision Municipalité de Chelsea sur la demande de contrôle judiciaire; elles ont été aussi entendues en juin 2025.


II. Les parties et la législation pertinente

[9] La CCN est maintenue en vertu de la Loi sur la capitale nationale, LRC 1985, c N-4 [LCN]. Elle est dotée de la personnalité morale (art 3) et sa loi constitutive lui confère la « mission d’établir des plans d’aménagement, de conservation et d’embellissement de la région de la capitale nationale […] » (para 10(1)). La loi constitutive établit le but comme étant « de doter le siège du gouvernement du Canada d’un cachet et d’un caractère dignes de son importance nationale » (para 10(1)).

[10] Cette mission est remplie de différentes manières, dont en étant responsable de l’entretien et l’exploitation du Parc de la Gatineau qui se trouve dans la Province de Québec. C’est l’alinéa 10(2)c) de la LCN qui permet à la CCN d’exploiter des parcs. L’article 16 de la LCN est particulièrement pertinent puisqu’il permet de verser des subventions aux municipalités locales. Il se lit ainsi :

Paiements tenant lieu de taxes

Payments in lieu of taxes

16 (1) La Commission peut verser aux municipalités locales des subventions n’excédant pas le montant des taxes qui pourraient être perçues par celles-ci sur ses biens immeubles si elle n’était pas mandataire de Sa Majesté.

16 (1) The Commission may pay grants to a local municipality not exceeding the taxes that might be levied by the municipality in respect of any real property of the Commission if the Commission were not an agent of Her Majesty.

Exception

Exception

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas aux parcs, places, voies publiques — promenades incluses — ni aux ponts ou ouvrages semblables.

(2) Subsection (1) does not apply to parks or squares, to highways or parkways, or to bridges or similar structures.

Parc de la Gatineau

Gatineau Park

(3) La Commission peut verser aux autorités compétentes, pour ceux de ses biens immeubles situés dans le Parc de la Gatineau, des subventions n’excédant pas, dans une année fiscale donnée, les montants qu’elle estime suffisants pour indemniser ces autorités des pertes de revenu de taxes municipales et scolaires subies par elles pendant l’année en question du fait de l’acquisition de ces biens par la Commission.

(3) The Commission may pay grants to the appropriate authorities in respect of real property of the Commission situated in Gatineau Park not exceeding in any tax year the amounts estimated by the Commission to be sufficient to compensate such authorities for the loss of tax revenue during that tax year in respect of municipal and school taxes by reason of the acquisition of the property by the Commission.

[11] C’est qu’en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Victoria, c 3, « Nulle terre ou propriété appartenant au Canada ou à aucune province en particulier ne sera sujette à la taxation » (art 125). À titre de mandataire de Sa Majesté (art 4 de la LCN), la CCN jouit donc de cette immunité. Comme on le voit du texte de l’article 16, la Commission peut verser à des municipalités des subventions en remplacement de taxes dont elle serait par ailleurs immunes, sauf quant à des parcs (para 16(2)). Mais une exception est faite par la LCN pour le Parc de la Gatineau.

[12] Il est acquis que la Municipalité de Chelsea et la Ville de Gatineau ont sur leur territoire des portions du Parc de la Gatineau. La CCN peut donc verser des « subventions ».

[13] Un régime général a été créé par le Parlement pour encadrer « l’administration juste et équitable des paiements versés en remplacement d’impôts. » C’est la Loi sur les paiements versés en remplacement d’impôts, LRC 1985, c M-13 [Loi sur les PERI], qui trouve application et les mots cités proviennent de son article 2.1. Pour ce qui regarde la méthode à être suivie, la Loi sur les paiements versés en remplacement d’impôts spécifie que les personnes morales mentionnées à l’annexe III de la Loi « sont tenues, pour tout paiement qu’elles versent en remplacement de l’impôt foncier ou de l’impôt sur la façade ou sur la superficie, de se conformer aux règlements pris en vertu de l’alinéa 9(1)f) » (al 11(1)a)). Ce régime s’applique bien sûr à de nombreuses autres entités fédérales. Mais il s’applique aussi à la CCN puisqu’on retrouve la CCN à l’annexe III, si bien que l’obligation faite à l’alinéa 11(1)a) s’applique à elle. De plus, cette obligation s’applique « [p]ar dérogation à toute autre loi fédérale ou à ses règlements » (para 11(1)). Conséquemment, la CCN est tenue de se conformer au règlement adopté en vertu de l’alinéa 9(1)f) pour « régir les paiements à verser par les personnes morales mentionnées aux annexes III ou IV […] ».

[14] On le verra la Municipalité et la Ville ont fait porter leur argument sur leur prétention qu’un comité consultatif créé par la Loi sur les PERI jouerait un rôle pratiquement décisif relativement aux paiements à être faits. Étant donné l’importance qu’a prise le Comité consultatif, tant dans les affaires Municipalité de Chelsea que Ville de Gatineau, je reproduis dès à présent les passages pertinents sur la constitution dudit Comité consultatif :

Comité consultatif

Appointment of members

11.1 (1) Le gouverneur en conseil constitue un comité consultatif composé d’au moins deux membres de chaque province et territoire — dont un président — possédant une formation ou une expérience pertinentes. Les membres sont nommés à titre inamovible pour un mandat renouvelable d’au plus trois ans.

11.1 (1) The Governor in Council shall appoint an advisory panel of at least two members from each province and territory with relevant knowledge or experience to hold office during good behaviour for a term not exceeding three years, which term may be renewed for one or more further terms. The Governor in Council shall name one of the members as Chairperson.

Révocation

Removal

(1.1) Les membres du comité nommés en vertu du paragraphe (1) le sont sous réserve de révocation motivée par le gouverneur en conseil.

(1.1) A member appointed under subsection (1) may be removed for cause by the Governor in Council.

Mandat

Mandate

(2) Le comité a pour mandat de donner des avis au ministre relativement à une propriété fédérale en cas de désaccord avec une autorité taxatrice sur la valeur effective, la dimension effective ou le taux effectif ou sur l’augmentation ou non d’un paiement au titre du paragraphe 3(1.1).

(2) The advisory panel shall give advice to the Minister in the event that a taxing authority disagrees with the property value, property dimension or effective rate applicable to any federal property, or claims that a payment should be supplemented under subsection 3(1.1).

[…]

On le voit aux termes de l’article 11.1, le Comité est consultatif et il donne des avis en cas de désaccord avec l’autorité taxatrice sur des sujets précis : (1) la valeur effective; (2) la dimension effective; (3) le taux effectif; ou (4) le versement aura été indûment retardé et il pourrait être augmenté. La valeur effective, le taux effectif et la dimension effective sont tous définis à l’article 2 de cette Loi sur les PERI. J’en reproduis le texte en annexe aux présents motifs, de même que la définition de « propriété fédérale ».

[15] C’est que la Loi sur les PERI est rédigée en termes permissifs. Ainsi, l’article 3 établit le pouvoir de permettre les paiements en ces termes :

Paiements

Authority to make payments

3 (1) Le ministre peut, pour toute propriété fédérale située sur le territoire où une autorité taxatrice est habilitée à lever et à percevoir l’un ou l’autre des impôts mentionnés aux alinéas a) et b), et sur réception d’une demande à cet effet établie en la forme qu’il a fixée ou approuvée, verser sur le Trésor un paiement à l’autorité taxatrice :

3 (1) The Minister may, on receipt of an application in a form provided or approved by the Minister, make a payment out of the Consolidated Revenue Fund to a taxing authority applying for it

a) en remplacement de l’impôt foncier pour une année d’imposition donnée;

(a) in lieu of a real property tax for a taxation year, and

b) en remplacement de l’impôt sur la façade ou sur la superficie.

(b) in lieu of a frontage or area tax in respect of federal property situated within the area in which the taxing authority has the power to levy and collect the real property tax or the frontage or area tax.

Paiement en retard

Delayed payments

(1.1) S’il est d’avis que le versement de tout ou partie du paiement visé au paragraphe (1) a été indûment retardé, le ministre peut augmenter le montant de celui-ci.

(1.1) If the Minister is of the opinion that a payment under subsection (1) or part of one has been unreasonably delayed, the Minister may supplement the payment.

[…]

Personne ne doute que la Ville de Gatineau est une « autorité taxatrice », cela en vertu de la définition du terme à l’article 2. De plus, le caractère permissif de l’article 3 sera tempéré par ce qui est l’objet de la loi, soit « l’administration juste et équitable des paiements versés en remplacement d’impôts ».

[16] C’est ainsi que cette Loi sur les PERI permet la prise de règlements pour régir les paiements à être faits. Le règlement adopté à cet égard est le Règlement sur les paiements versés par les sociétés d’état, DORS/81-1030 [Règlement]. Pour nos fins il n’est besoin que de citer le texte du paragraphe 7(1) du Règlement :

Calcul des paiements

Calculation of Payments

7 (1) Sous réserve du paragraphe (2), un paiement versé par une société en remplacement de l’impôt foncier pour une année d’imposition ne doit pas être inférieur au produit des deux facteurs suivants :

7 (1) Subject to subsection (2), a payment made by a corporation in lieu of a real property tax for a taxation year shall be not less than the product of

a) le taux effectif applicable à la société dans l’année d’imposition en cause à l’égard de la propriété de celle-ci pour laquelle le paiement peut être versé;

(a) the corporation effective rate in the taxation year applicable to the corporation property in respect of which the payment may be made; and

b) la valeur effective de la propriété de la société pour cette année d’imposition.

(b) the corporation property value in the taxation year of that corporation property.

[…]

[17] En vertu de la Loi sur la fiscalité municipale, RLRQ c F-2.1 du Québec, la Ville de Gatineau a le pouvoir d’imposer des taxes sur son territoire et, comme dit plus haut, une partie du Parc de la Gatineau se trouve sur son territoire. Il s’agit d’un parc nous dit le Procureur général qui couvre 361 kilomètres carrés; il abrite une biodiversité riche et unique ce qui explique l’orientation vers la conservation de ce milieu naturel permettant la récréation qui sera respectueuse de l’environnement. Cette caractérisation générale du Parc de la Gatineau n’a pas été contestée. Il n’y avait eu aucune vente ou cession de terrains par la CCN au sujet du Parc de la Gatineau au cours des trente dernières années, sauf pour la construction d’un boulevard servant à desservir certaines communautés hors du Parc. On peut ajouter que le Procureur général a fait valoir que la vocation du Parc est même conforme au schéma d’aménagement de la communauté urbaine de l’Outaouais (auquel la Ville de Gatineau est soumise).

[18] Le Procureur général met en exergue qu’originellement les différends entre la Ville et la CCN portaient sur trois secteurs : la Cité-des-Jeunes, le Secteur du Parc sud et le Secteur Skyridge. Il appert cependant que la CCN avait déjà accepté certaines recommandations du Comité consultatif, si bien que ne restaient en litige que cinq déterminations de valeurs effectives et une détermination du taux effectif pour certaines années fiscales. Comme on le verra plus loin, à la suite de la décision dans Municipalité de Chelsea, la Ville a voulu continuer son litige uniquement au sujet du secteur comme Cité-des-Jeunes et le secteur du Parc sud. On se rappellera que le calcul des paiements en remplacement de l’impôt foncier consiste au produit de la valeur effective par le taux effectif. Il importe de noter que le taux et la valeur sont ceux tels que déterminés par le ministre.

III. La décision dont contrôle judiciaire est demandé

[19] La décision rendue par la CCN l’a été le 31 janvier 2022. Elle touchait les PERI qu’elle était disposée à payer à la Ville pour les rôles triennaux de 2006 à 2018. Les montants sont présentés en tableaux qui incluent les paiements pour les années 2019 et 2020, les montants totaux se trouvant à l’article 1 de la décision, et les valeurs effectives et les taux effectifs sont présentés aux articles 2 et 3. La CCN annonce à l’article 4 de sa décision que dans les cas où des paiements supérieurs aux montants auxquels elle en est arrivé auraient déjà été versés, elle ne demandera pas de remboursements pour les paiements faits en trop. Quant au manque à gagner pour ces années, il était fixé à 166 369,62 $.

[20] Malgré l’immunité fiscale reconnue par la Loi constitutionnelle de 1867, un régime de compensation pour les municipalités a été mis en place par le Parlement pour les services offerts par celles-ci aux propriétés fédérales. Comme indiqué plus haut, ce sera la Loi sur les PERI et ses règlements qui seront appliqués pour fixer les méthodes de calcul. La CCN dit s’en tenir à cette Loi et ses règlements. Le pouvoir discrétionnaire est encadré. Ainsi les montants de PERI ne peuvent être fondés sur un système fictif ou arbitraire. Le point de départ sera le régime fiscal local servant à établir la valeur effective et le taux effectif qui seront appliqués aux propriétés fédérales pour ensuite y faire des ajustements au besoin.

[21] La CCN reconnaît l’Avis émis par le Comité consultatif et dit avoir pris en considération les recommandations faites par celui-ci.

[22] De façon générale, la CCN considère pour les ajustements à être apportés la localisation des propriétés, leur usage le meilleur et le plus profitable (UMEPP), leur superficie et les contraintes objectives liées à ces propriétés. De façon plus particulière pour le Parc de la Gatineau, les considérations suivantes étaient prises en compte :

  • la vocation du Parc de la Gatineau en est une de parc de conservation qui abrite une riche biodiversité. Le Plan directeur du Parc retient qu’il s’agit de propriété de conservation naturelle et de récréation extensive;

  • il y a donc une volonté publique d’en limiter le développement pour en maintenir l’état naturel. Cette volonté n’est pas récente : elle date de presqu’un siècle; même le plan d’urbanisme adopté par la Ville en 2005 mentionne que le Parc de la Gatineau est un grand espace naturel à préserver. Il fait partie des portions de territoire qui ne peuvent être développées à des fins résidentielles;

  • aucune cession de terrain n’a eu lieu au cours des trente dernières années outre une cession au gouvernement du Québec pour construire un boulevard afin de desservir des communautés hors du Parc.

[23] Les propriétés fédérales dont il est question sont presque toutes dans un état naturel assujetti comme aires protégées à des contraintes objectives provenant de législation provinciale et fédérale. De fait, le Parc se veut être orienté vers la conservation à long terme. La CCN déclare que les contraintes objectives rendent l’usage des propriétés fédérales limité :

22. Bien que certaines de ces contraintes découlent en partie de la législation fédérale, il reste qu’elles s’imposent dans l’intérêt de la collectivité et qu’ainsi, elles ne peuvent être ignorées lors de la détermination de la valeur des propriétés.

Sur la base de ces contraintes et des faits au dossier, la CCN a déterminé que l’usage le meilleur et le plus profitable (l’UMEPP) des propriétés des secteurs Parc Sud et Cité-des-jeunes est leur usage actuel, c’est-à-dire un espace naturel dédié à la conservation et récréation. Il en est ainsi compte tenu des probabilités à toutes fins inexistantes que les terrains à l’étude soient utilisés à d’autres fins qu’un Parc.

[24] C’est donc sur cette base que la CCN procède à l’évaluation de la valeur des propriétés fédérales dans différents secteurs de la Ville. La méthode retenue est celle de comparaison par laquelle on recherche des ventes comparables soumises aux mêmes contraintes (usage, localisation, superficie). Si les caractéristiques ne se retrouvent pas, on devra tenir compte des dissemblances.

[25] En ce qui a trait à « l’enclave résidentielle Skybridge », la CCN a accepté la recommandation du Comité consultatif étant donné les caractéristiques particulières.

[26] Quant à la valeur des propriétés du secteur Parc Sud, la CCN accepte la recommandation du Comité consultatif quant à l’élément de localisation; mais le même agrément ne suit pas pour d’autres facteurs, excluant ainsi certaines ventes qui auraient été retenues par le Comité consultatif. La superficie des propriétés ne correspondait pas; de même des ventes qui impliquent un corps public requièrent une grande précaution parce que leur prix est influencé par le mandat des corps publics ou le pouvoir d’expropriation. La CCN conclut donc :

32. À la lumière de ces principes, la CCN est d‘avis que les ventes comparables de l’Expert de la Ville sur lesquelles se base la recommandation du Comité sont appropriées en termes de localisation (ayant eu lieu sur le territoire de la Ville) et de restrictions et peuvent ainsi être considérées pour déterminer la valeur des propriétés à l’étude, mais que celles impliquant un corps public doivent être écartées et que certains autres doivent être ajustées afin de tenir compte de la superficie des sujets.

(soulignement dans l’original)

Des ajustements jugés nécessaires pour la superficie ont été fixés à 35%, sur la base d’un rapport d’expert considéré par la CCN après l’Avis du Comité consultatif.

[27] Pour ce qui regarde le terrain Cité-des-jeunes, les désaccords entre le Comité consultatif (et la Ville) et la CCN sont plus prononcés. Il était recommandé que le terrain soit divisé en deux aux fins d’évaluation : une partie arrière avec zonage récréatif, mais la partie avant ne recevant pas le même traitement. Ainsi, un usage différent devrait selon le Comité consultatif être utilisé. Cela, dit la CCN, est contraire à la doctrine pour une même unité d’évaluation. Mais de façon plus marquée, c’est la prétention du Comité que l’UMEPP doit pour la partie avant faire abstraction des contraintes objectives qui fait problème. Cela mène à l’utilisation de transactions concernant des terrains en vrac destinés à du développement résidentiel, dans la plupart des cas transigés entre des promoteurs immobiliers. Cette approche n’est pas acceptable selon la CCN:

40. Il s’agit d’une déficience importante dans la recommandation du Comité. Il serait contraire aux principes fondamentaux d’évaluation au Québec qu’un terrain « parc » soit utilisé à cette fin depuis des décennies, sans probabilité réaliste de changement d’usage à court ou moyen terme, soit évalué comme s’il pouvait faire l’objet d’un développement imminent.

Il est impératif de ne pas s’écarter de l’UMEPP. La valeur de la propriété doit donc être établie en fonction de l’usage actuel qui s’éloigne de toute utilisation à des fins résidentielles et de développement immobilier.

[28] De façon très directe, la CCN refuse l’interprétation donnée par le Comité consultatif au paragraphe 16(3) de la Loi sur la capitale nationale parce qu’elle est incompatible avec le régime des PERI et s’écartant de l’UMEPP. L’utilisation possible limitée à cause de contraintes objectives ne peut être ignorée.

[29] La CCN se tourne ensuite vers le taux effectif à appliquer. Pour les secteurs Parc Sud et Skybridge, l’Avis du Comité consultatif est accepté. Ce n’est pas le cas pour le secteur Cité-des-jeunes.

[30] C’est que le Comité consultatif était d’avis que le taux effectif devait être celui de « terrain vague desservi ». Cela dit la CCN ignore l’usage de parc de conservation et de récréation qui comporte des restrictions. Ce serait plutôt le « taux résiduel » qui serait approprié. Il est inférieur. Les services municipaux ne sont pas nécessaires et n’offrent de fait aucun bénéfice au Parc. Ils servent à desservir un quartier résidentiel voisin. Le Parc n’est pas un terrain vacant en attente d’une autre utilisation ou construction. On lit :

52. Considérant l’utilisation et la raison d’être de cette propriété soit un parc de conservation naturelle et de récréation extensive à l’avantage et au bénéfice de tous les Canadiens34, il apparait inconcevable de considérer cette propriété comme étant un terrain vacant en attente de sa future vocation, du seul fait de l’absence de bâtiment.

[31] L’impossibilité de déroger au plan directeur du Parc de la Gatineau établi législativement rend le développement impossible. La présence d’espèces protégées en vertu de lois fédérales ou provinciales restreint aussi l’utilisation de la propriété. Le Parc est en outre inscrit au registre provincial à titre d’aire protégée en vertu de la Loi sur la conservation du patrimoine naturel; le ministre responsable doit être consulté avant tout changement d’affectation ou toute transaction modifiant le statut de protection. Les PERI ont donc été établis sur la base de la catégorie résiduelle, et non celle de terrain vague desservi, comme les autres propriétés fédérales dans le Parc de la Gatineau (à l’exception du domaine Mackenzie King).

[32] Finalement, la CCN ne passe pas sous silence son désaccord avec l’Avis fourni par le Comité consultatif. Elle note que la Ville a refusé l’invitation de commenter sur les analyses subséquentes à l’Avis, préférant faire valoir que la CCN devait rendre une décision conforme à l’Avis. Or, la CCN se déclare d’opinion que dans l’exercice de sa décision, elle se doit de considérer tout élément pertinent pour rendre une décision selon les faits et principes applicables. L’UMEPP ne peut être écarté comme l’a fait le Comité; la superficie des terrains est importante; les ventes par des organismes publics doivent être utilisées avec grande prudence. Mais encore davantage, « le comité a outrepassé son mandat en interprétant, erronément à notre avis, l’article de la Loi sur la capitale nationale » (para. 69). Je remarque immédiatement que ces critiques ont été retenues par la Cour d’appel fédérale dans Municipalité de Chelsea.

[33] L’Avis du Comité consultatif n’est pas décisif. Les analyses subséquentes à l’Avis en utilisant d’autres rapports d’experts étaient donc nécessaires étant donné les divergences de vues. L’équité procédurale a été respectée en offrant des occasions à la Ville de commenter. Les invitations n’ont pas été relevées. La décision conclut en présentant une série de tableaux relatifs aux différents matricules et par année pour les trois secteurs.

IV. La demande de contrôle judiciaire

[34] La directive donnée par la Cour le 22 avril 2025 recherchait la position que les parties entendaient prendre à la suite de la décision de la CAF dans Municipalité de Chelsea qui apparaissait comme résolvant de nombreuses questions, peut-être toutes, qui se posaient jusqu’alors. La Cour insistait pour que les remarques soient produites « sur la base des procédures existantes et que la théorie de la cause de chacun reste la même ». C’est tout simplement que le demandeur a décidé dans sa demande de contrôle judiciaire du cadre de sa contestation et du remède recherché. En effet, les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 commandent qu’un demandeur fasse un « énoncé précis de la réparation demandée » (règle 301d)) de même qu’un « énoncé complet et concis des motifs invoqués » (règle 301e)). Cela constituera le cadre du litige tel que requis par un demandeur.

[35] Déjà dans JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 RCF 557, la Cour d’appel fédérale établissait le caractère impératif des alinéas 301d) et e). On lit :

1) Les avis de demande de contrôle judiciaire : les exigences relatives aux actes de procédure

[38] Dans un avis de demande de contrôle judiciaire, le demandeur doit présenter un énoncé « précis » de la mesure demandée et un énoncé « complet et concis » des motifs qu’il entend invoquer : Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, alinéas 301d) et 301e).

[39] L’énoncé « complet » des motifs englobe tous les moyens de droit et les faits essentiels qui, s’ils sont exacts, appellent l’octroi de la mesure demandée.

[40] L’énoncé « concis » des motifs doit comprendre les faits essentiels propres à démontrer à la Cour qu’elle peut et doit accorder la mesure demandée. Il ne comprend pas les éléments de preuve au moyen desquels ces faits doivent être prouvés.

[36] Le caractère impératif de ces énoncés n’a pas été diminué par la Cour d’appel depuis. Il en résulte que la demande de contrôle judiciaire sera limitée aux motifs invoqués dans la demande elle-même. L’arrêt Canada (Procureur général) c Iris Technologies Inc., 2021 CAF 244, confirme éloquemment les principes. Ainsi la Cour déclare sans ambages que « Sous réserve d’exceptions limitées, l’article 301 des Règles est une disposition d’application obligatoire » (para 38). La Cour élabore sur le caractère obligatoire des énoncés requis aux paragraphes 40 à 42 de l’arrêt. Étant donné l’importance de l’obligation dans notre affaire, comme on le verra, je les reproduis :

[40] Depuis l’arrêt Pathak, d’autres arrêts de notre Cour ont limité le contrôle judiciaire aux motifs de contrôle invoqués et à la réparation énoncée dans l’avis de demande, notamment les arrêts SC Prodal 94 SRL c. Spirits International B.V., 2009 CAF 88, par. 11 et 12; République de Chypre (Industrie et Commerce) c. International Cheese Council of Canada, 2011 CAF 201, par. 12 et 13, autorisation de pourvoi à la CSC refusée 34430 (12 avril 2012), citant avec approbation AstraZeneca AB c. Apotex Inc., 2006 CF 7, conf. par 2007 CAF 327; Apotex Inc. c. Canada (Santé), 2019 CAF 97, par. 7 à 9, et Société Makivik c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 184, par. 53.

[41] Comme notre Cour l’a reconnu, les exigences de l’article 301 des Règles ne sont pas simplement techniques : elles garantissent, entre autres, que les défendeurs sont adéquatement informés de l’action intentée contre eux, afin qu’ils puissent répondre utilement. Elles laissent également aux demandeurs sollicitant une ordonnance de mandamus le choix d’inclure dans leur avis de demande une réparation autre demandée à titre subsidiaire ou complémentaire, pourvu que la demande, telle qu’elle est présentée, soit conforme à l’article 301 des Règles. Si le demandeur estime que la description qu’il a faite des motifs invoqués et de la réparation demandée dans l’avis de demande est trop restrictive, il peut demander l’autorisation de la modifier en vertu de l’article 75 des Règles : SC Prodal, par. 15; Astrazeneca, par. 19. Dans ces cas, l’article 317 des Règles s’appliquera aux demandes autres que les demandes de mandamus qui contestent une décision administrative.

[42] Il a été affirmé dans des décisions rendues par la Cour fédérale qu’« il y a de la place pour l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire [dans l’application des exigences de l’article 301 des Règles] lorsque, par exemple, des arguments pertinents sont soulevés après le dépôt de l’avis de demande; les nouveaux arguments sont bien fondés, ils sont apparentés à ceux énoncés dans l’avis et sont étayés par le dossier de la preuve; le défendeur ne subirait pas de préjudice et il n’en résulterait pas de retard indu » : voir, par exemple, la décision Tl’azt’en Nation c. Sam, 2013 CF 226, par. 6 et 7. Cependant, notre Cour a refusé d’élargir la portée des exceptions au-delà des cas dans lesquels l’avis de demande comporte une « clause omnibus » et que le demandeur sollicite un jugement déclaratoire nécessairement accessoire à la réparation expressément demandée : SC Prodal, par. 11 et 12.

(Je souligne)

La raison du caractère obligatoire me semble évidente. Le défendeur doit savoir quels sont les contours de la demande de contrôle judiciaire à laquelle il fait face. C’est l’équité même du processus qui l’exige. On devra donc s’en tenir aux contours de la demande présentée. Ils ne peuvent changer en cours de route.

[37] Il est tout à l’honneur de la Ville qu’elle a respecté les obligations faites par la règle 301. Sa demande de contrôle judiciaire est un modèle d’énoncé précis de la réparation demandée et des motifs invoqués. Ce faisant, le demandeur a nécessairement limité les contours du recours qu’il présente à la Cour. Je me tourne donc vers l’avis de demande de contrôle judiciaire.

[38] La base des procédures existantes, qui génère la théorie de la cause de Ville de Gatineau, tient à une proposition fondamentale : la décision de la CCN serait déraisonnable dans la mesure où elle ne suit pas l’Avis du Comité consultatif : on demande qu’un jugement déclaratoire soit rendu « que les montants légalement payables à la Ville à titre de PERI pour les matricules soumis au Comité et pour les années d'imposition 2007 à 2020 doivent être calculés sur les valeurs et les taux effectifs suivants, conformément à l'Avis du Comité » (demande de contrôle judiciaire, para 6). De fait, la demanderesse recherchait une ordonnance pour que la CCN effectue ces paiements. L’énoncé précis de la réparation demandée requiert que la CCN suive l’Avis du Comité consultatif.

[39] Les motifs invoqués sont aussi sans aucune équivoque. La demanderesse retient l’Avis du Comité consultatif selon lequel, en vertu du paragraphe 16(3) de la LCN, « [c]'est à la hauteur de la perte de revenus de taxes municipales et scolaires du fait de l'acquisition de ces biens par la Commission qu'il faut compenser l'autorité taxatrice de ce manque à gagner » (demande de contrôle judiciaire, para 13, citant le Comité consultatif au para 24). Cet alinéa 16(3) deviendrait donc la méthode de calcul.

[40] La demanderesse articule ensuite son argumentaire en soulevant les éléments suivants :

  • la Ville a été incitée par la CCN à s’adresser au Comité consultatif, ce qui aurait constitué des représentations et promesses. La demanderesse fait expressément le lien avec la Municipalité de Chelsea où des « enjeux similaires » sont soulevés;

  • la demanderesse dit que les prétentions de la CCN ont été rejetées catégoriquement et sans équivoque par le Comité consultatif;

  • au sujet des trois secteurs alors controversés, la demanderesse prétend que la preuve et les arguments de la CCN ont encore été rejetés. Étant donné que les questions relatives au secteur Skyridge ne sont plus litigieuses à ce stade, on ne devrait porter attention qu’au secteur Cité-des-Jeunes, en particulier, et dans une moindre mesure au secteur urbain Sud. Ce qui reste devant la Cour tout particulièrement est le traitement d’une portion du Parc constituant ce que la Ville voudrait considérer comme un terrain vague desservi au sens de l’article 244.3 de la Loi sur la fiscalité municipale. Pour le Comité, « [l]a recherche de la valeur ne peut être limitée par la seule volonté de son propriétaire d'en restreindre l'utilisation à la récréation extensive. Il est ici vraisemblable que ce terrain pourrait être loti à des fins publiques si la CCN n'en avait pas fait l'acquisition » (demande de contrôle judiciaire, para 28, citant le Comité consultatif au para 59). On comprendra que la valeur d’un tel terrain en est rehaussée s’il peut faire l’objet de développement. Pour le Comité, c’est le paragraphe 16(3) qui compte et « [i]l faut plutôt regarder quelles sont les taxes foncières qui pourraient être exigées de tout propriétaire autre que la CCN » (demande de contrôle judiciaire, para 29, citant le Comité consultatif au para 60);

  • pour le Comité consultatif, l’usage le meilleur et le plus profitable des propriétés fédérales [UMEPP] ne saurait être celui de « parc » pour appliquer un ajustement à la valeur de la propriété; l’absence de développement après la transaction, invoquée par la CCN, ne serait pas appropriée parce que constituant une vision a posteriori.

[41] Ainsi, la CCN se devait de suivre l’avis donné par le Comité consultatif selon la Ville. On se plaint que la CCN n’a pas respecté l’Avis, choisissant de retenir que le Parc est à usage restreint qui est détenu principalement à des fins de conservation. Sa valeur aux fins de PERI en est ainsi négativement affectée vu son UMEPP. Il en résulte évidemment que la valeur du terrain est évaluée à la baisse, contrairement à l’avis du Comité consultatif. Cela serait inacceptable et déraisonnable.

[42] Le processus décisionnel de la CCN après l’Avis reçu est aussi pris à partie. Ainsi, la Ville argue que pour justifier sa position, la CCN cherchait appui sur un rapport préparé par une firme de consultants pour les fins du dossier impliquant la Municipalité. La Ville rappelle que ce rapport avait été rejeté par le Comité consultatif, inférant ainsi que son utilisation serait inappropriée.

[43] Non satisfaite de l’absence de réponse positive à l’Avis du Comité consultatif, la Ville mettait la CCN en demeure de faire les paiements auxquels le Comité en était arrivé (7 octobre 2021). Effectivement, la demanderesse se plaignait que la CCN continuait son analyse après avoir reçu l’Avis du Comité consultatif. Elle disait à son avis de demande de contrôle judiciaire que cela constituait un exercice de novo afin de continuer à justifier ses propres conclusions. L’utilisation du rapport de consultants rejeté par le Comité consultatif était particulièrement mal avisée selon la Ville.

[44] Malgré cela, la CCN offrait à la Ville de faire des commentaires sur son analyse (5 novembre 2021) postérieure à l’Avis du Comité consultatif. Plutôt que de commenter, la Ville choisissait de dénoncer la justification déjà rejetée par le Comité consultatif. Le 2 décembre 2021, la CCN prenait acte que la Ville ne désirait pas commenter davantage malgré l’occasion qui lui avait été offerte. La décision de la CCN tombait le 31 janvier 2022. La demande de contrôle judiciaire déclare que « les motifs font totalement fi des enseignements du Comité » (para 70).

[45] La Ville fait les observations suivantes à l’égard de la décision de la CCN :

  • la CCN prétend à discrétion dans l’établissement des PERI. Elle ne serait pas liée par l’Avis du Comité consultatif; la CCN rejette l’application des paragraphe 16(3), telle que préconisée par le Comité consultatif;

  • la CCN dit avoir considéré localisation, usage (UMEPP), superficie et les contraintes objectives liées aux propriétés. Je cite au texte le paragraphe 75 de l’avis de demande :

75. La CCN retient que « Ainsi, les propriétés à l'étude sont presque toutes complètement dans un état naturel et se trouvent entièrement dans une aire protégée assujettie à des contraintes objectives contenues à la loi provinciale et dans le régime statutaire fédéral. Aussi, propriété Cité-des-Jeunes abrite un milieu humide et est l'habitat d'espèces désignées en péril selon le régime statutaire fédéral ou menacées ou vulnérables selon le régime provincial, ce qui constitue d'autres contraintes objectives » (paragr. 19 de la Décision);

  • cette critique est relative à la prétention de la CCN selon laquelle la demanderesse constate que les paragraphes de la décision de la CCN sont similaires, sinon identiques à ceux utilisés dans la décision Municipalité de Chelsea; la vocation de conservation et l’historique du Parc constituent des contraintes qui ne peuvent être ignorées pour déterminer la valeur des propriétés. L’UMEPP, soit l’usage du Parc, est donc « un espace naturel dédié à la conservation et récréation » (décision de la CCN, para 2).

  • enfin, la Ville note que la CCN a rejeté « les enseignements fondamentaux du Comité » au sujet du taux effectif. Concernant à nouveau le secteur Cité-des-Jeunes, une inscription à titre de terrain vague desservi a été refusée par la CCN à cause de restrictions liées à la mission de la CCN qui en empêcheraient leur développement.

Cette description de la décision de la CCN est utile pour nos fins en ce qu’elle fournit la base invoquée par la Ville pour la contestation de celle-ci. On aura compris que la Ville était en désaccord avec ces éléments de la décision en particulier. On n’y conteste pas les tableaux et autres éléments particuliers. De fait la constatation judiciaire tourne autour de ces questions davantage de principe.

[46] La Ville dit reconnaître la discrétion de la CCN mais, dans un même souffle, la CCN « ne peut aucunement faire fi des enseignements fournis par le Comité prévus dans la LPRI et établir des paiements contraires à ceux-ci et conformes à des arguments pourtant rejetés par le Comité présidé par un expert dans le présent dossier et par trois experts pancanadiens dans le dossier de la Municipalité de Chelsea » (avis de demande, para 87). La demanderesse déclare avoir été incitée à se présenter devant le Comité consultatif ce qui, argue la demanderesse, démontrait « manifestement que la CCN entendait initialement, et avant de revoir l'Avis, de respecter ceux-ci dans le cadre de sa Décision » (avis de demande, para 87).

[47] La demanderesse se plaint que des éléments rejetés par le Comité ont été retenus par CCN. La logique suivie par la CCN avait été rejetée par le Comité consultatif : ce faisant, la CCN contourne les enseignements du Comité et l’objectif de la loi. La demanderesse déclare ceci au paragraphe 95 de son avis de demande :

95. À partir du moment où la CCN s'est engagée dans le cadre d'un processus quasi judiciaire devant le Comité, celle-ci devait suivre les enseignements contenus dans l'Avis et, en faisant défaut de les suivre, rend une Décision qui est arbitraire, déraisonnable et porte préjudice à la Ville et à ses contribuables;

La discrétion de la CCN, reconnue du bout des lèvres un moment, aura disparu.


V. Le mémoire des faits et du droit

[48] Selon la demanderesse, une attente légitime devait mener à l’acceptation par la CCN de l’Avis du Comité consultatif. En fait, dans son mémoire des faits et du droit, la demanderesse parle de la CCN qui aurait même « incité la Ville à s’adresser au Comité pour faire trancher le différend relativement aux PERI […] » (para 6).

[49] Le mémoire de la demanderesse et la plaidoirie originelle devant cette Cour suivent essentiellement l’avis de demande de contrôle judiciaire. Il s’agit d’une attaque frontale à l’égard de la décision de la CCN de ne pas avoir suivi le Comité consultatif, ce qui rend la décision de la CCN déraisonnable au sens de Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653 [Vavilov].

[50] On note trois points névralgiques dans les arguments de la demanderesse :

  1. la décision de la CCN est déraisonnable parce qu’elle s’écarte de l’Avis du Comité consultatif qui est vu comme décisif;

  2. la CCN a contrevenu aux attentes légitimes qu’elle avait elle-même créées;

  3. la CCN ne s’est pas conformée à sa propre loi (Loi sur la capital nationale) en n’appliquant pas le paragraphe 16(3) qui requiert qu’il faille compenser « des pertes de revenu de taxes municipales et scolaires subies par elles [les municipalités] pendant l’année en question du fait de l’acquisition de ces biens par la Commission ».

[51] La demanderesse en a en particulier contre le fait que la CCN n’a pas retenu la position du Comité consultatif selon laquelle on ne devait pas réduire la valeur effective en raison de la mission même de la CCN. Le Comité consultatif a appliqué le paragraphe 16(3) de la Loi sur la capitale nationale, ce que la CCN n’a pas fait. Pour la demanderesse, cette disposition obéit aux mêmes principes que la Loi sur les PERI. C’est à partir de ces deux postulats que la demanderesse échafaude son argumentation qu’en ne suivant pas le Comité consultatif, la CCN a fait défaut d’agir raisonnablement. Pour compléter le tout, Ville aurait l’attente légitime que la CCN suive la décision du Comité consultatif.

[52] Ville de Gatineau se réclame de l’article 11.1 de la Loi sur les PERI (reproduit en partie au paragraphe 14 des présents motifs) qui crée le Comité consultatif et en définit le mandat. Selon la Ville, la discrétion de la CCN est « considérablement réduite ». L’existence même du Comité « doit nécessairement diminuer cette discrétion de façon considérable. Or, nous soumettons dès maintenant que cette discrétion ne permet pas à la CCN de fixer arbitrairement des valeurs qui sont largement inférieures à celles retenues par le Comité » (mémoire des faits et du droit, para 60).

[53] Ville de Gatineau retient que l’audition devant le Comité suivait un processus contradictoire qui « est donc exhaustif et complet en soi et est assimilable à une audition devant un tribunal » (para 64). Qui plus est, la demanderesse déclare que le Comité est composé d’experts en matière d’évaluation foncière, ce qui ne serait pas le cas pour la CCN. La discrétion de la CCN en serait d’autant réduite. Le fait que les arguments de la CCN étaient les mêmes que ceux présentés dans le dossier Municipalité de Chelsea, et que les deux ont été rejetés par le Comité, ajouterait à la nécessité de réduire la discrétion de la CCN au point qu’on se demande ce qu’il en reste. Or, comme on le verra, ces prétentions ont été rejetées par la Cour d’appel fédérale dans Municipalité de Chelsea.

[54] Cela fait dire à Ville de Gatineau que sur contrôle judiciaire, la Cour considèrera l’absence d’expertise de la CCN dans ce domaine d’évaluation et de paiement en remplacement d’impôts. Cela se traduirait par un pouvoir d’intervention de la Cour de révision plus considérable. Ces prétentions ont aussi été rejetées par la Cour d’appel dans Municipalité de Chelsea.

[55] Ainsi, Ville de Gatineau argue que « la CCN s’en est remise au Comité afin de faire trancher le différend qui l’opposait à la Ville. Pourtant, sa décision est contraire à l’Avis qui a été rendu, la rendant ainsi tout à fait déraisonnable » (mémoire des faits et du droit, para 73). La CCN ne pouvait s’écarter de l’Avis du Comité parce que cela rendait sa décision hors des issues raisonnables. De fait, il semble bien n’exister qu’une issue raisonnable, celle de suivre l’Avis du Comité chargé de « trancher » le différend.

[56] C’est qu’en plus, la demanderesse argumente que la CCN a contrevenu au paragraphe 16(3) de la Loi sur la capitale nationale. La demanderesse lit cette disposition, à l’instar du Comité, comme requérant que l’entité fédérale compense pour les pertes en taxes découlant de l’immunité fiscale. De plus, la CCN ne pouvait s’écarter de l’Avis fourni par le Comité consultatif qui refusait des limites à l’usage des terrains liés à leur acquisition et à la mission même de la CCN. La CCN a retenu que la localisation, l’usage qui peut être fait du terrain qui constitue une contrainte objective et la superficie constituent des facteurs affectant la valeur effective. Ces propriétés sont presque toutes dans un état naturel dans des aires protégées sujettes à des contraintes objectives. Ce n’était pas l’Avis du Comité. La Ville préférait bien sûr l’Avis du Comité, Avis que la CCN était tenue de suivre et non de s’en éloigner comme elle l’a fait.

[57] Pour la demanderesse, la CCN ne saurait tenter de justifier une valeur inférieure. La position est exposée au paragraphe 86 du mémoire des faits et du droit :

86. En justifiant ses propres ajustements sur les contraintes qui sont pourtant liées à la présence des propriétés fédérales dans le Parc de la Gatineau, la CCN rend une décision déraisonnable, car contraire à l’article 16 (3) de Loi sur la capitale nationale et au principe voulant que la Ville demanderesse soit compensée pour les pertes qui découlent de l’immunité fiscale;

[58] La décision serait donc déraisonnable parce que le paragraphe 16(3) n’aurait pas été respecté. Les « pertes » subies par la Ville de Gatineau ne sont pas compensées du fait de la valeur réduite des terrains qui ne peuvent être sujets à développement. Ceci est contraire à l’Avis donné par le Comité consultatif. La demanderesse me semble bien résumer son argument aux paragraphes suivants tirés de son mémoire :

102. Rappelons que le Comité de façon claire a refusé de considérer la mission de la CCN dans le cadre de cette analyse afin d’assurer une équité fiscale envers la Ville, tout comme dans l’Avis rendu pour la Municipalité de Chelsea. Or, dans sa Décision, la CCN revient malgré tout et insiste sur les nombreuses contraintes du parc et retient un UMEPP selon l’usage actuel (espace naturel dédié à la conservation et récréation);

103. Tout cela ne peut mener qu’à une conclusion : la CCN a tout fait pour justifier un retour à ses prétentions d’origine et fait fi des enseignements du Comité. Nous soumettons qu’une telle Décision ne peut être raisonnable tant à la lumière de ses justifications que de son résultat concret.

104. À partir du moment où la CCN s’est engagée dans le cadre d’un processus quasi judiciaire devant le Comité, elle devait suivre les enseignements contenus dans l’Avis et, en faisant défaut de les suivre, elle a rendu une Décision arbitraire, déraisonnable et qui porte préjudice à la Ville et à ses contribuables.

(Je souligne)

Il s’agit d’une variation sur un même thème. Ce dont se plaint la demanderesse ici encore, c’est du fait que la CCN a refusé de suivre l’Avis. La même chose avait été faite dans l’affaire Municipalité de Chelsea. Cela fait dire à la demanderesse que la Ville « escamote les mêmes enseignements rendus à l’égard de la portion du Parc de la Gatineau située sur le territoire de la Municipalité de Chelsea, démontrant ainsi qu’elle n’entendait manifestement pas faire suite aux enseignements énoncés dans l’Avis » (mémoire des faits et du droit, para 106).

[59] Autre argument soulevé par la demanderesse comme noté plus haut, on fait reproche à la CCN d’avoir reçu un rapport de consultants après l’audition devant le Comité consultatif. Encore ici, la demanderesse prend pour acquis que la décision relevait du Comité, l’audition ayant été complétée. De toute façon dit la demanderesse, tel rapport avait été jugé non crédible par le Comité dans l’affaire Municipalité de Chelsea. Le défendeur quant à lui mettra en exergue que la demanderesse avait refusé de commenter au sujet dudit rapport malgré les occasions fournies à cet effet. L’équité procédurale aura été respectée.

[60] Enfin, la demanderesse a cherché à articuler davantage son argument sur son attente légitime qui aurait été frustrée. L’argument ne souffre pas d’ambiguïté. Elle avance avoir droit à une réparation de nature substantive (ou « matérielle »). Elle dit qu’elle aurait été incitée expressément à s’adresser au Comité consultatif. Cela aurait dû entraîner que la CCN se trouve liée par l’Avis émis. La Ville va même jusqu’à prétendre que la CCN « semblait » partager l’objectif de régler les différends en obtenant « au final les enseignements du Comité … au moment où elle dirigeait la Ville vers ce processus » (mémoire des faits et du droit, para 124). Aucune preuve tangible à cet égard n’a été présentée. Quoi qu’il en soit, les représentants de la Ville s’attendaient « à ce que la CCN les [avis] suive, considérant le temps et l’argent investis pour ce faire » (mémoire des faits et du droit, para 125). Comme on le verra, cette compréhension de la doctrine des attentes légitimes est créative. Mais elle n’est pas supportée par les autorités.

VI. L’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Municipalité de Chelsea et notre situation en l’espèce

[61] Comme on l’a vu, la demanderesse s’est réclamée à répétition de l’Avis du Comité consultatif tant relativement aux terrains du Parc de la Gatineau se trouvant sur le territoire de la Municipalité de Chelsea, que quant à ceux qui sont sur le territoire de la Ville. Ce n’est pas à tort que cela a été fait : les mêmes arguments étaient présentés dans les deux cas. La Ville y voyait même une raison de prétendre que la CCN avait agi déraisonnablement. Le jugement de la Cour d’appel dans Municipalité de Chelsea vise directement la même stratégie d’attaque frontale que celle suivie par la Ville de Gatineau en notre espèce. La position de la Municipalité de Chelsea était la même :

  1. le régime juridique commande que la CCN suive l’Avis, sous peine que sa décision soit déraisonnable;

  2. l’attente légitime est que la CCN suive l’Avis émis par le Comité constitué d’experts en matière d’évaluation municipale, alors que la CCN devait appliquer le paragraphe 16(3) de la Loi sur la capitale nationale.

[62] Le litige devant notre Cour consistait essentiellement en la prétention que la CCN devait suivre l’Avis du Comité consultatif, d’autant que des attentes légitimes à cet égard avaient été créées. L’examen de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale est donc non seulement pertinent, mais il devrait disposer des arguments qui ont été faits en notre espèce, puisqu’ils sont les mêmes.

[63] Non seulement la CCN n’a pas suivi l’Avis du Comité malgré l’attente légitime, mais le sens à donner au paragraphe 16(3) de la Loi sur la capitale nationale par le Comité n’a pas été suivi, ce qui en soi constitue une erreur révisable.

[64] L’arrêt de la Cour d’appel annonce d’entrée de jeu que deux questions importantes pour l’administration des PERI se posent : quel est l’impact de l’Avis du Comité consultatif et y a-t-il des contraintes objectives du fait de l’acquisition par la CCN des terrains sur la valeur effective des biens immeubles. La Cour d’appel rend donc un jugement de principe. Il trouve pleine application en notre espèce.

[65] Comme dans le cas de la Ville de Gatineau, le Comité consultatif dans Municipalité de Chelsea déterminait que la valeur des propriétés sera fondée sur le comportement des acteurs sur le marché local, plutôt que sur l’usage le meilleur et le plus profitable (UMEPP) qui est, à Chelsea comme à Gatineau, un espace naturel dédié à la conservation et à la récréation. Dans l’un et l’autre cas, des analyses supplémentaires ont dû être menées, selon la CCN, après l’émission de l’Avis, étant donné que l’UMEPP (pas plus d’ailleurs que la superficie des terrains) ne devait pas être pris en considération selon le Comité. Ce devait pourtant être essentiel selon la CCN puisque l’usage est une contrainte considérable. Cela engendrait la nécessité de preuve supplémentaire. Dit autrement, la méthode privilégiée par le Comité ne correspondait pas à celle que la CCN croyait devoir utiliser. L’Avis ne pouvait donc suffire. De même, dans les deux cas l’offre de commenter sur les analyses supplémentaires a été déclinée, la Ville et la Municipalité choisissant de mettre la CCN en demeure de respecter l’Avis du Comité consultatif. À l’évidence, les deux demanderesses refusaient que l’Avis ne soit qu’une recommandation. C’est ainsi que la CCN déclare dans les deux décisions ne pas être liée par l’Avis. Dans les deux cas, la CCN déclare au paragraphe 13 de ses décisions que « […] considérer les propriétés de la Couronne comme si elles étaient imposables ne signifie pas qu’il faille les dénaturer, les dépouiller de leurs attributs et contraintes, et leur attribuer un usage hypothétique ou contraire à la réalité » (cité par la Cour d’appel au para 10).

[66] La Cour d’appel rappelle, jurisprudence à l’appui, que la Couronne fédérale n’est pas assujettie aux législations provinciales et municipales puisque l’immunité fiscale de l’article 125 de la Loi constitutionnelle de 1867 n’est pas éliminée. Un régime général de compensation a été instauré pour conjuguer une administration juste et équitable des paiements en remplacement d’impôts avec l’immunité conférée par la Constitution (citant Montréal (Ville) c Administration portuaire de Montréal, 2010 CSC 14, [2010] 1 RCS 427, au para 20). De la conciliation de ces deux objectifs découle l’existence maintenue d’un pouvoir discrétionnaire encadré. Il s’agit du pouvoir confier à la CCN, non à un comité consultatif.

[67] C’est la Loi sur les PERI et son Règlement qui trouvent application pour le calcul des paiements. Cela est clair du fait que l’alinéa 11(1)a) de cette Loi rend le régime comme s’appliquant « par dérogation à toute autre loi ». Comme le note la Cour d’appel aux paragraphes 17 et 57 de son arrêt, s’il y incompatibilité entre le régime et l’article 16 de la Loi sur la capitale nationale, celui-ci cède le pas. Cela a un impact direct sur la prétention de la demanderesse selon laquelle le paragraphe 16(3) permet d’écarter l’usage (UMEPP) auquel un terrain dans le Parc de la Gatineau est soumis : « cet argument ne peut être retenu du fait de la clause dérogatoire prévue au paragraphe 11(1) de la LPRI » (arrêt de la CAF, au para 57). C’est le régime prévu par la Loi sur les PERI et son règlement qui préside. Tout argument qui cherche à voir dans le paragraphe 16(3) de la Loi sur la capitale nationale un régime de compensation différent ne saurait résister, si tant est que paragraphe puisse être lu comme proposé par la Ville (et aussi la Municipalité).

[68] Il est par ailleurs reconnu que le régime fédéral rejette la possibilité de bases des calculs sur un système fiscal fictif ou arbitraire; on continue d’utiliser le régime fiscal local pour déterminer valeur et taux. Mais des ajustements sont possibles pour tenir compte de contraintes dans l’utilisation de propriétés.

[69] Le rôle du Comité consultatif est clairement circonscrit par la Cour d’appel. Dans le cas des différends entre l’autorité taxatrice et l’entité fédérale, il peut être fait appel au Comité consultatif dont le mandat législatif est de donner des avis. Comme on l’a vu, tant la Municipalité que la Ville arguaient que les avis doivent être suivis. La Cour d’appel examine donc en quoi consiste précisément le rôle du Comité consultatif. Il s’agit là de l’argument fondamental de la demanderesse et il ne fait pas long feu.

[70] La Cour d’appel n’accepte pas que le pouvoir discrétionnaire de la CCN soit réduit parce que le Comité consultatif aurait une expertise supérieure à celle de la CCN :

[25] À mon avis, ces arguments ne peuvent être retenus, et ce pour plusieurs raisons. Il ne fait aucun doute que le Comité possède une expertise eu égard au mandat que lui a confié le Parlement, soit de donner des avis au ministre en cas de désaccord sur quatre sujets spécifiques, soit la « valeur effective », la « dimension effective », le « taux effectif », ou lorsqu’une autorité taxatrice est d’avis qu’un supplément de retard devrait lui être versé (au para. 11.1(2) de la LPRI). Il faut en effet présumer que les membres du Comité possèdent une formation ou une expérience pertinente quant aux questions sur lesquelles on lui demande un avis. Ceci dit, la même présomption vaut pour la CCN, qui est autorisée depuis plus de 60 ans à verser des PERI pour le Parc. Je note par ailleurs que le Comité n’a aucune compétence ou expertise particulière à l’égard de la LCN, et n’a pas pour mandat d’interpréter les lois ou les règlements qui régissent la CCN.

À tout événement dit la Cour d’appel, cet argument ne sera pas pertinent quant à la raisonnabilité de la décision de la CCN. C’est l’expertise du décideur qui compte, pas tant celle d’un organisme chargé de formuler un avis au décideur.

[71] C’est que le rôle du Comité consultatif est d’aviser et non pas de déterminer, encore moins de trancher. Le texte de loi est clair. Il est un Comité consultatif chargé de donner des avis. Il en découle que la CCN ne peut être liée par un avis donné par un Comité consultatif. Celui-ci n’est pas plus habilité à interpréter de la Loi sur les paiements versés en remplacement d’impôts, ni la Loi sur la capitale nationale. Le Comité outrepasse donc son mandat lorsqu’il « se permet d’interpréter l’article 16 de la LCN et sa portée sur la valeur des terrains » (arrêt de la CAF, au para 28). C’est à la CCN, dans notre cas, que reviendra le dernier mot. Le fait de s’écarter de l’Avis du Comité consultatif ne rend pas la décision déraisonnable : contrairement à l’argument premier de la demanderesse, la CCN n’était aucunement tenue de suivre l’Avis :

[31] Compte tenu de ce qui précède, je suis d’avis que la décision de la CCN doit être évaluée au mérite, et que son caractère raisonnable doit s’apprécier en fonction de ce qui s’y trouve et non à l’aulne de l’Avis du Comité. C’est à la CCN que revient ultimement la discrétion d’établir la valeur des terrains en litige ainsi que les PERI à être versés à la Municipalité. Le seul fait que la décision s’écarte des recommandations formulées par le Comité ne saurait rendre cette décision déraisonnable. La décision sera raisonnable si elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles applicables, et si elle est transparente et intelligible. C’est ce que j’examinerai maintenant.

(Je souligne)

Puisque, comme dans notre cas, la Municipalité de Chelsea avait choisi de contester la décision de la CCN du seul fait qu’elle n’avait pas suivi la recommandation du Comité consultatif, la Cour d’appel a peu à dire outre que de constater que l’argument échoue. Le même argument ne peut qu’échouer ici aussi.

[72] La Cour d’appel examine ensuite l’argument d’une violation alléguée d’une attente légitime qui procède, comme dans notre cas, d’une invitation alléguée à s’adresser au Comité consultatif. La Cour d’appel n’aura rien vu dans les agissements de la CCN qui aurait pu faire naître une attente quelconque quant à un résultat donné. Comme dans notre cas, au mieux la CCN annonce à la demanderesse qu’elle peut se prévaloir de l’article 11.1 de la Loi sur les paiements versés en remplacement d’impôts pour qu’un comité consultatif donne un avis en cas de désaccord entre l’autorité taxatrice et la CCN. Cela n’allait pas plus loin dans Municipalité de Chelsea, et cela n’allait pas plus loin dans notre cas. À tout événement, dit la Cour d’appel, « […] une autorité publique ne peut être liée par des affirmations qui ne respecteraient pas ses obligations légales » (au para 35). On comprend que c’est à la CCN de déterminer les PERI. Elle n’aurait pas pu déléguer cette responsabilité même si elle l’avait voulu, ce qu’elle n’a pas fait.

[73] Mais il y a plus. Les attentes légitimes sont à saveur procédurale : elles ne créent pas de droits substantifs. La jurisprudence de la Cour suprême du Canada est sans équivoque (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 RCS 817; Moreau-Bérubé c Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11, [2002] 1 RCS 249). Si tant est qu’une atteinte à des attentes légitimes quant à la procédure à être suivie (et non quant à un résultat espéré) avait été décelée, le remède serait de nature procédurale visant à garantir l’équité procédurale. Il ne saurait être de la nature d’une attente que l’Avis du Comité consultatif soit suivi comme s’il était le décideur. Il ne l’est pas. Dans Municipalité de Chelsea, la Cour d’appel constate que la demanderesse avait eu toutes les occasions de faire valoir son point de vue. Ce fut également le cas pour la Ville de Gatineau. L’occasion a été fournie et déclinée de commenter au sujet de la décision à venir après l’émission de l’Avis du Comité consultatif. Il n’y a pas d’attente déçue. La Ville a préféré s’en remettre complètement à son point de vue que l’Avis avait force de jugement auquel la CCN devait se soumettre, sous peine que sa décision soit déclarée déraisonnable.

[74] De même, dans les deux cas, les demanderesses ont choisi de ne pas commenter au sujet de rapports d’expertise supplémentaires obtenus par la CCN, préférant, dans le cas de la Ville, signifier une mise en demeure pour que la CCN paie les sommes décrétées par le Comité consultatif. Rien n’empêchait la CCN, le décideur, de poursuivre son analyse comme le note la Cour d’appel (para 40) et c’est ce qu’elle a fait tout en donnant l’occasion à la Ville de se faire entendre. Ce qu’elle a décliné de faire. Il n’y avait donc aucune attente légitime quant aux procédures à suivre pour maintenir l’équité procédurale (Baker, para 26) qui ait été violée. L’attente légitime ne crée pas de droits substantifs ou matériels.

[75] La Municipalité a argumenté, tout comme la Ville, que la CCN fait fi des enseignements du Comité. La réponse donnée à cet argument par la Cour d’appel trouve écho dans notre cas :

[42] La décision de la CCN ne saurait être qualifiée de déraisonnable du seul fait qu’elle ne reprend pas intégralement les conclusions du Comité et que la valeur effective des propriétés sur la base de laquelle sont établis les PERI ultimement versés à la Municipalité se rapproche de la valeur initialement attribuée par la CCN. Pour avoir gain de cause, la Municipalité devait démontrer que la décision de la CCN était intrinsèquement déraisonnable et ne respectait pas les principes d’évaluation foncière. Or, comme en Cour fédérale, la Municipalité n’a pas fait cette démonstration et n’a pas expliqué en quoi la décision de la CCN, et notamment la prise en compte des contraintes objectives affectant les terrains en litige, n’est pas conforme au régime des PERI et s’écarte des principes qui se dégagent de la jurisprudence en la matière. C’est là le nœud du litige dans le cadre de cet appel, et c’est à cette question que je consacrerai l’analyse qui va suivre.

Je n’ai pas trouvé où pourrait se trouver une tentative de démonstration que la décision de la CCN, en soi, n’avait pas les apanages de la raisonnabilité (Vavilov, aux para 99 à 101) dans l’argumentation de la demanderesse. Son argument était ailleurs. Essentiellement, la Ville a choisi sa stratégie de ne pas présenter d’arguments sur le caractère raisonnable de la décision outre que d’argumenter qu’elle est déraisonnable parce qu’elle s’écarte d’un Avis de Comité consultatif.

[76] Ce n’est pas tout. La Cour d’appel se penche aussi sur les contraintes qui peuvent faire en sorte que la valeur effective d’un terrain en soit affectée. Le calcul du paiement en remboursement d’impôts n’est pas la simple multiplication d’un taux par une valeur. C’est que l’immunité fiscale doit être maintenue. On doit bien sûr partir d’un taux et d’une valeur comme si la propriété fédérale était imposable comme entre les mains d’un propriétaire privé : autrement, on aurait un système fiscal fictif. Par exemple, dans Halifax (Regional Municipality) c Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux), 2012 CSC 29, [2012] 2 RCS 108 [Halifax], la Cour suprême a rejeté une valeur nominale de 10 $ pour un terrain de 42 acres au sein même de la Ville d’Halifax parce que ce lieu est historique. Il fallait faire mieux, d’autant qu’une telle décision allait à l’encontre de l’objet même de la Loi sur les PERI qui veut l’administration juste et équitable des PERI, pas une décision arbitraire : telle décision est en soi déraisonnable.

[77] Mais les contraintes objectives sur l’utilisation du terrain comptent (voir Halifax, au para 58). Les contraintes seront de nature juridique, économique, environnementale restreignant l’usage de la propriété : cela a évidemment un impact sur sa valeur. Comme pour la Municipalité, l’UMEPP pour Ville de Gatineau quant aux terrains assujettis à la taxe foncière est celui d’un espace naturel dédié à la conservation et à la récréation, et non au développement économique.

[78] On doit donc retenir entre autres les contraintes au régime statutaire fédéral qui en limitent le développement, les contraintes découlant des régimes juridiques provinciaux et municipaux, et les contraintes de nature territoriale. Ce sont là, dit la Cour d’appel, des contraintes objectives; contrairement aux prétentions des demanderesses dans ces deux affaires, ce ne sont pas des contraintes subjectives comme étant des choix faits par la CCN, mais plutôt des contraintes qui découlent directement du mandat confié à la CCN par le Parlement. La conclusion de la Cour d’appel dans Municipalité de Chelsea est tout aussi valide dans le cas d’espèce :

[56] Comme la Cour fédérale, je suis donc d’avis qu’il n’était pas déraisonnable pour la CCN de conclure que l’UMEPP des terrains dont l’évaluation est contestée est celle d’un espace naturel dédié à la conservation et à la récréation. Le développement résidentiel dont ces terrains pourraient éventuellement faire l’objet est purement hypothétique compte tenu des nombreuses contraintes qui les affectent, ainsi que du contexte historique et de la géographie. Comme la LPRI et le Règlement exigent que les terrains en cause soient évalués comme s’ils étaient des propriétés imposables dans les mains d’un contribuable, leur valeur ne pouvait donc être déterminée sur la base d’un système fiscal fictif ou arbitraire (Administration portuaire de Montréal au para. 40). À cet égard, et à l’instar du juge de première instance, je souscris entièrement à l’argumentation de la CCN à l’effet que la détermination des PERI par un décideur ne consiste pas à créer une chimère du simple fait que les terrains évalués appartiennent à l’État, à les dénaturer, à les dépouiller de leurs attributs et contraintes et à leur attribuer un usage hypothétique contraire à la réalité et aux souhaits des parties. Cette approche me paraît tout à fait compatible avec la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Halifax, dans laquelle la Cour reconnaissait qu’un décideur n’était pas tenu d’ignorer les restrictions à l’utilisation inhérentes à l’utilisation optimale d’une propriété utilisée comme lieu historique national (ou, comme c’est le cas ici, pour des fins de conservation et de récréation) pour que sa décision puisse être considérée raisonnable.

(Je souligne)

La CCN était donc tout à fait justifiée d’escompter la valeur des terrains en fonction de leur utilisation la meilleure et le plus profitable à des propriétés fédérales, soit celle d’un espace nature dédié à la conservation et à la récréation, et non comme pouvant mener à un développement commercial résidentiel.

[79] Comme vu plus tôt, la tentative de prétendre que le paragraphe 16(3) de la Loi sur la capitale nationale commanderait une autre méthode de calcul (indemniser les pertes de revenu de taxe foncière) n’a pas été retenue, et ce de manière expresse par la Cour d’appel. Elle donne plein effet à la clause dérogatoire du paragraphe 11(1) de la Loi sur les PERI.

[80] Afin d’être complet, je note que la Cour d’appel termine son examen en soulignant qu’une fois l’UMEPP déterminé, tant le Comité consultatif que la CCN ont choisi la méthode d’évaluation la plus utilisée, soit la méthode consistant en la comparaison des biens similaires afin de déterminer un prix moyen, dans la mesure où les mêmes contraintes seraient appliquées (usage, localisation, superficie). Vu l’absence du comparatifs adéquats, la CCN avait choisi des terrains ayant sensiblement la même vocation au Québec et en Ontario. Cette approche était refusée par le Comité consultatif qui considérait les comparatifs comme éloignés des centres urbains. La Cour d’appel ne retient pas l’approche du Comité et accepte les ajustements faits par la CCN. De fait, la demanderesse dans Municipalité de Chelsea aura décidé de ne pas commenter sur les ajustements, s’en étant remise à sa mise en demeure pour la CCN de suivre l’Avis du Comité consultatif. La même attitude a été adoptée par la demanderesse dans notre cas.

[81] Je reproduis le dernier paragraphe de l’arrêt de la Cour d’appel qui, à mon avis, s’applique en tout point à notre affaire :

[64] Tout bien considéré, la décision de la CCN est transparente et intelligible, et appartient aux issues possibles pouvant se justifier au regard des contraintes juridiques et factuelles applicables. Encore une fois, la CCN n’était liée ni par l’évaluation de l’autorité taxatrice ni par l’Avis du Comité, et pouvait en arriver à sa propre détermination de ce qui constituait la valeur des terrains en litige qu’une autorité évaluatrice déterminerait si ces terrains étaient des propriétés imposables. Certes, la valeur attribuée aux terrains par la Municipalité, dans un premier temps, et par le Comité subséquemment, constituait pour la CCN un point de référence. Le décideur pouvait cependant y déroger, à condition de s’en expliquer en fournissant des motifs qui répondent aux exigences de la raisonnabilité. Dans l’arrêt Halifax, le ministre ne s’était pas déchargé de son fardeau en n’attribuant qu’une valeur nominale à une propriété assujettie à la LPRI, contrecarrant du même coup à l’intention du législateur. Dans le cas présent, la CCN n’a pas commis cette erreur et a bien expliqué pourquoi elle divergeait d’opinion avec le Comité à certains égards; elle a versé des montants substantiels de PERI à la Municipalité sur la base d’une évaluation de la valeur effective des terrains représentant approximativement la moitié de la valeur recommandée par le Comité, au terme d’une analyse rigoureuse respectueuse de la LPRI et conforme à la preuve.

(Je souligne)


VII. Après l’arrêt de la Cour d’appel fédérale et analyse

[82] Comme indiqué plus tôt, la résolution du contrôle judiciaire a été suspendue pendant que le dossier Municipalité de Chelsea continuait son cheminement jusqu’à la demande d’autorisation refusée en Cour suprême du Canada plus tôt cette année.

[83] Les parties ont par la suite soumis leurs arguments relatifs à l’impact de l’arrêt de la Cour d’appel sur le présent litige. Le Procureur général a soumis que l’arrêt dispose du présent litige. La Cour d’appel confirme que les propriétés sont évaluées en tenant compte des contraintes effectives : il faut considérer qu’il s’agit d’un parc voué à la conservation et à la récréation. L’application de la méthode de calcul des paiements en remplacement d’impôts avancée par le Comité consultatif a été résolument désavouée par la Cour d’appel. Dans ces deux affaires, la même recommandation était faite et les demanderesses, dans les deux cas, s’en remettaient à l’Avis du Comité qui devait être suivi par la CCN selon elles. La Cour d’appel en aura décidé autrement. Le Procureur général fait remarquer que Ville de Gatineau abandonne dans ses soumissions supplémentaires toute prétention que le paragraphe 16(3) de la LCN puisse requérir une méthode de calcul malgré l’article 11 de la Loi sur les paiements versés en remplacement d’impôts. De même, la demanderesse n’a pas cherché à argumenter davantage que l’Avis du Comité consultatif ait quelque force contraignante. Il n’y a, selon le Procureur général, « aucun fait propre et distinctif » (représentations supplémentaires, para 11) qui puisse permettre de s’écarter de l’arrêt de la Cour d’appel. Il en résulte que l’issue du présent litige est rendue inévitable. Le Procureur général soumet malgré tout ses observations sur un nouvel argument présenté par la demanderesse au sujet du taux effectif applicable au secteur Cité-des-Jeunes et de la valeur effective quant à ce secteur et celui de Parc Sud. J’y reviendrai.

[84] La Ville de Gatineau quant à elle s’est contentée de rappeler que sa demande en jonction d’instances pour que soient entendues ensemble les deux demandes de contrôle judiciaires a été refusée; il en fut de même d’une demande d’ajournement de l’audition de la demande de contrôle judiciaire. Selon la demanderesse, cela permettrait de distinguer les assises factuelles propres aux deux affaires. Aucune tentative d’en faire la démonstration n’a été présentée ni dans le mémoire supplémentaire, ni lors de l’audience tenue le 4 juin 2025. Contre toute attente, Ville de Gatineau a plutôt argumenté que le taux effectif applicable au secteur Cité-des-Jeunes et la valeur effective des terrains dans les secteurs Cité-des-Jeunes et Parc Sud étaient inappropriés.

[85] En ce qui a trait à la différence d’assises factuelles des deux affaires, non seulement elle n’est pas démontrée comme pouvant générer quelque différence, mais elle n’est pas pertinente vu ce en quoi le litige consiste. Les arguments avancés par la Ville ne sont pas fonction d’assises factuelles différentes. Il n’est pas utile de revenir sur des décisions antérieures qui ont refusé une jonction d’instances et un ajournement. Cela ne change en rien le fait que les mêmes arguments ont été présentés et refusés par la Cour d’appel dans Municipalité de Chelsea.

[86] La demanderesse avait peu à dire lors de ses représentations supplémentaires sur l’effet de l’arrêt en appel outre qu’il y aurait des assises factuelles propres à chaque affaire; cela, selon la demanderesse, pourrait suffire à diminuer la valeur de précédent de Municipalité de Chelsea. Je ne partage pas cette opinion. À mon sens, cette tentative de distinction n’a pas d’importance puisqu’une attaque frontale qui se solde par une décision sur les principes communs aux deux affaires dispose du litige tel que présenté. Qu’à cela ne tienne, la demanderesse s’est lancée dans ses représentations supplémentaires dans de nouveaux arguments. J’ai fait remarquer lors de l’audition que je ne trouvais nulle part aux actes de procédure ou dans le mémoire des faits et du droit une ouverture à des arguments nouveaux qui traiteraient des valeurs effectives ou des taux effectifs relatifs à certaines des propriétés. Cette constatation n’a pas été mise en doute et elle est confirmée par un examen subséquent de la demande de contrôle judiciaire et du mémoire des faits et du droit.

[87] Il n’est pas inutile de revenir sur ce qui a été plaidé en l’espèce. Comme j’ai tenté de l’expliquer, Ville de Gatineau a établi les paramètres de son recours dans sa demande de contrôle judiciaire et, comme il se doit, s’en est tenue à ces paramètres dans son mémoire des faits et du droit, de même qu’à l’audition originelle. Je rappelle qu’il s’agissait de ce que j’ai qualifié « d’attaque frontale » à l’égard de la décision de la CCN :

  1. la CCN devait suivre l’Avis donné par le Comité consultatif sous peine que sa décision soit déraisonnable;

  2. le calcul des paiements en remplacement d’impôts doit être conforme au paragraphe 16(3) de la Loi sur la capitale nationale, comme le voulait de Comité consultatif;

  3. la Ville de Gatineau a été incitée à demander au Comité consultatif un Avis, ce qui aurait généré une attente légitime que la CCN se conformerait à son Avis puisque cela était une invitation à trancher le différend.

[88] À n’en pas douter, la demanderesse n’était pas satisfaite des sommes consenties en remplacement d’impôts. Mais sa contestation était globale et fondamentale, en ce que l’Avis reçu devait être accepté parce qu’il respectait le calcul du paragraphe 16(3) et qu’une attente légitime quant au résultat (i.e. la CCN accepterait l’Avis reçu) avait été créée puisque le litige serait « tranché » par le Comité consultatif. Or, la Cour d’appel fédérale a disposé de ces arguments de façon décisive, en plus d’autres arguments qui se voulaient en soutien aux arguments principaux (l’utilisation de l’UMEPP, le pouvoir discrétionnaire de la CCN, l’utilisation d’études supplémentaires suite à l’Avis émis, la doctrine de l’attente légitime qui ne vise que la procédure suivie et non un droit matériel à un résultat donné).

[89] En conséquence, la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée parce que « l’attaque frontale » lancée par la demanderesse échoue, puisque la Cour d’appel fédérale a tranché.

[90] La Cour a déjà cité à son paragraphe 36 de ses motifs, les paragraphes 40 à 42 de l’arrêt Iris Technologies : les exigences de la règle 301 ne sont pas techniques car elles garantissent qu’on soit informé de l’action intentée pour ainsi y répondre. JP Morgan Asset Management requiert qu’un demandeur énonce de manière complète et concise les motifs qu’il entend invoquer. Cela a été fait en l’espèce. En conséquence, la demanderesse est tenue à ces moyens et elle ne peut y déroger au point de tenter d’ouvrir un tout nouveau front pas même envisagé dans ses actes de procédure ou son mémoire. Le nouvel argument sort du cadre du litige tel que conçu et présenté. Il ne devrait pas être soumis à ce stade. On pourrait s’arrêter ici.

[91] À tout évènement, les nouveaux arguments peuvent être traités rapidement. La demanderesse soumet que le taux effectif retenu par la CCN pour un terrain que la Ville considère être un terrain vague desservi, plutôt qu’une catégorie dite résiduelle, aurait rendu la détermination par la CCN au sujet de ce terrain dans le secteur Cité-des-jeunes déraisonnable. La demanderesse ne partage pas la position exprimée par la CCN selon laquelle « [i]l apparaît donc incongru d’envisager l’application d’un taux effectif qui a pour but d’encourager un propriétaire à développer sa propriété lorsque tous s’entendent pour dire que cet espace naturel doit être préservé » (décision de la CCN du 31 janvier 2022, aux para 45-59). Pour tout argument au contraire, la demanderesse réfère à nouveau à l’Avis du Comité consultatif que la CCN a refusé de suivre pour les raisons qu’elle a données et déclare que la « justification est ainsi clairement déraisonnable » (mémoire additionnel, para 18).

[92] Cherchant peut-être à faire flèche de tout bois, la demanderesse réfère à Société de Vieux-Pont de Montréal inc c Montréal (Ville), 2023 CAF 126, au para 21; Ottawa (Ville) c Canada (Services publics et approvisionnement), 2025 CF 315, au para 26; Laval (Ville) c Canada (PG), 2025 CF 112; 2025 CAF 46. Les décisions ne sont d’aucun secours à la demanderesse. Au mieux, elles ne font que réitérer les principes déjà reconnus dans Municipalité de Chelsea et qui doivent s’appliquer en notre espèce.

[93] Le Procureur général a raison de soulever que la décision de la CCN est fondée sur l’usage actuel et les contraintes objectives qui restreignent construction et développement. Le terrain en question n’est ni vague, ni vacant en attente d’une utilisation autre que celle qui existe : une utilisation à titre de parc où aucune construction n’est possible. Le taux proposé par la demanderesse, dit le Procureur général, serait pour un usage hypothétique contraire à la réalité parce que ledit terrain « n’est pas « vague » ou « vacant » en attente d’une utilisation, mais, comme en fait foi l’UMEPP, il est déjà exploité selon son usage optimal, soit à titre de parc où aucune construction n’est possible » (représentations supplémentaires du défendeur, para 17). Le taux effectif est affecté par les contraintes objectives imposées à la propriété, comme principe accepté à l’arrêt Municipalité de Chelsea. Le défendeur a raison. Le demandeur doit satisfaire la Cour que la décision est déraisonnable (Vavilov, para 100). Il ne l’a pas fait, au contraire. La décision de la CCN a les apanages de la décision raisonnable en ce qu’on y trouve justification, transparence et intelligibilité, la décision étant justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes (Vavilov, para 99). C’est en vain qu’on recherche un manque de logique interne au raisonnement ou un aspect indéfendable compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinents (Vavilo, para 101).

[94] La demanderesse a aussi discuté de la valeur effective de terrains dans les secteurs Cité-des-Jeunes et Parc Sud. Il est allégué que les ajustements faits pour en arriver à des valeurs effectives sont arbitraires parce que fondés sur le rapport reçu par la CCN après l’Avis du Comité consultatif. On reproche que le tout était basé sur un rapport fait au sujet du Parc de la Gatineau, mais situé dans la Municipalité de Chelsea. Est-il besoin de rappeler que la demanderesse a refusé de commenter l’utilisation dudit rapport alors qu’invitée de ce faire par la CCN. Cela devrait en soi disqualifier cet argument. Enfin, quant au terrain dans le secteur Cité-des-Jeunes, on reproche à la CCN de ne pas avoir « distingué » suffisamment son rejet de l’Avis du Comité consultatif. Sans explication, la demanderesse déclare, plutôt que ne démontre, que ce serait déraisonnable.

[95] Le cadre d’analyse à appliquer par une cour de révision est pourtant clair depuis Vavilov. Une cour de révision ne se substitue pas au décideur administratif (au para 83). Son rôle est plutôt de rechercher si la décision prise est raisonnable. Comme dit plus tôt, la Cour suprême requiert que la décision ait les apanages de la décision raisonnable que sont « la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (au para 99). Il n’est pas inutile de répéter que qui conteste la décision doit en identifier les lacunes graves au point où des déficiences à la justification, transparence et intelligibilité sont capitales ou importantes. La Cour dans Vavilov établit deux catégories de lacunes fondamentales. Le manque de logique interne au raisonnement en est une. L’autre est lorsque la décision est « indéfendable sans certains rapports compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision » (au para 101). On ne retrouve aux notes supplémentaires ou à la plaidoirie du 4 juin rien qui puisse satisfaire ces exigences. Le fardeau sur un demandeur n’a pas été satisfait. Cela suffit pour disposer de cette question.

[96] Le Procureur général ajoute, à bon droit, que la Cour d’appel dans Municipalité de Chelsea a endossé le droit du décideur administratif de poursuivre son analyse après réception de l’Avis du Comité consultatif, donnant l’occasion à la demanderesse de commenter. Celle-ci a décliné l’invitation tant dans Municipalité de Chelsea que dans Ville de Gatineau. En plus, la Cour d’appel a accepté qu’il était raisonnable de procéder à des ajustements : le quantum n’a jamais fait l’objet de contestation en notre cas d’espèce. En fin de compte, le processus décisionnel adopté par la CCN dans notre cas est le même que celui suivi dans Municipalité de Chelsea. Cette façon de procéder a été endossée par la Cour d’appel.

[97] La Cour doit donc conclure que les « nouveaux » arguments soulevés par la demanderesse devant cette Cour sont non seulement non recevables parce qu’ils ne sont pas conformes au cadre qu’a choisi la demanderesse pour son recours (règle 301), mais elle n’a pas établi selon la prépondérance des probabilités le caractère déraisonnable de la décision prise à l’égard du taux effectif utilisé dans le secteur Cité-des-Jeunes et la valeur effective pour les secteurs Parc Sud et Cité-des-Jeunes. L’arrêt de la Cour d’appel fédérale lie cette Cour et les principes y dégagés valent au sujet de ces cas particuliers.

VIII. Conclusion

[98] La demande de contrôle judiciaire présentée par la Ville de Gatineau à l’égard de la décision de la Commission de la capitale nationale rendue le 31 janvier 2022 doit être rejetée.

[99] Le recours tel que présenté était fondé sur la nécessité pour la CCN de s’en tenir à la façon dont le Comité consultatif avait « tranché » le litige. La demanderesse prétendait que la CCN l’avait incitée à se prévaloir de cette possibilité de demander un Avis à un Comité consultatif qui existe en vertu de l’article 11.1 de la Loi sur PREI. Une attente raisonnable aurait existé que la CCN devait adopter l’Avis fourni. Le Comité consultatif avait raison, dit le demandeur, de prétendre que la base de l’évaluation était de déterminer les montants suffisants pour indemniser des pertes de revenus les autorités taxatrices, selon le paragraphe 16(3) de la Loi sur la Capitale nationale.

[100] La Cour d’appel fédérale a disposé de ces arguments, et d’autres arguments accessoires, dans son arrêt Municipalité de Chelsea c Canada (PG). Cet arrêt lie cette Cour. Cela dispose du contrôle judiciaire tel que lancé par la Ville.

[101] La Cour a dû tenir une audience supplémentaire le 4 juin 2025 afin d’entendre les parties sur l’effet de l’arrêt sur le présent litige. Ni dans ses notes supplémentaires ni lors de l’audience, la demanderesse n’a même tenté d’argumenter que l’arrêt en appel était inapplicable. Elle a plutôt tenté d’avancer que quant à des situations particulières (taux effectif applicable au terrain Cité-des-Jeunes et valeur effective de terrains dans les secteurs Parc Sud et Cité-des-Jeunes), la décision de la CCN était déraisonnable.

[102] Ces questions étaient nouvelles en ce que, comme la Cour l’a souligné à répétition lors de l’audience, on ne trouve ni à la demande de contrôle judiciaire, ni au mémoire des faits et du droit de la demanderesse, l’argumentation au sujet des certains aspects de la décision de la CCN. C’est que la demanderesse avait choisi de procéder à une « attaque frontale » à l’encontre de la décision. Dit de façon moins prosaïque, la demanderesse a choisi de présenter sa cause comme une contestation des principes suivis par la CCN. La réponse est venue dans l’arrêt Municipalité de Chelsea qui disposait des contestations des principes appliqués par la CCN. Mais ce faisant, la demanderesse ne devrait pas pouvoir argumenter sur des applications particulières qui n’ont pas été plaidées.

[103] Malgré cela, la Cour a examiné la teneur de ces arguments et a conclu que la demanderesse n’avait pas établi qu’il existait une décision déraisonnable à leur égard.

[104] La Cour aurait certainement ordonné le paiement de dépens vu le résultat de la cause. Or, le Procureur général ne les a pas réclamés. Il en résulte que la demande de contrôle judicaire est rejetée, sans dépens.


 

 


JUGEMENT au dossier T-446-22

LA COUR STATUE ce qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire, présentée par la Ville de Gatineau, à l’encontre de la décision rendue par la Commission de la capitale nationale le 31 janvier 2022 au sujet des paiements versés en remplacement d’impôts est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont ordonnés.

« Yvan Roy »

Juge

 


 

ANNEXE

Définitions et interprétation

Définitions

2 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

dimensions effectives Façade, superficie ou autre dimension ou élément qui, selon le ministre, serviraient de base au calcul, par l’autorité évaluatrice, de l’impôt sir la façade ou sur la superficie qui serait applicable à une propriété fédérale si celle-ci était une propriété imposable (property dimension)

 

propriété fédérale Sous réserve du paragraphe (3) :

a) immeuble ou bien réel appartenant à Sa Majesté du chef du Canada dont la gestion est confiée à un ministre fédéral;

b) immeuble ou bien réel appartenant à Sa Majesté du chef du Canada et relevant, en vertu d’un bail, d’une personne morale mentionnés aux annexes III ou IV;

c) immeuble dont Sa Majesté du chef du Canada est emphytéote et dont la gestion est confiée à un ministre fédéral;

d) bâtiment appartenant à Sa Majesté du chef du Canada, dont la gestion est confiée à un ministre fédéral mais qui est situé sur un terrain non imposable qui n’appartient pas à Sa Majesté du chef du Canada ou qui est contrôlé et administré par Sa Majesté du chef d’une province;

e) immeuble ou bien réel occupé ou utilisé par un ministre fédéral et administré et contrôlé par Sa Majesté du chef du Canada. (federal property)

taux effectif Le taux de l’impôt foncier ou de l’impôt sur la façade ou sur la superficie qui, selon le ministre, serait applicable à une propriété fédérale si celle-ci était une propriété imposable. (effective rate)

valeur effective Valeur que, selon le ministre, une autorité évaluatrice déterminerait, compte non tenu des droits miniers et des éléments décoratifs ou non fonctionnels, comme base de calcul de l’impôt foncier qui serait applicable à une propriété fédérale si celle-ci était une propriété fédérale si celle-ci était une propriété imposable. (property value)

[Je souligne]

Interpretation

Definitions

2 (1) In this Act,

 

property dimensions means the frontage, area, other dimension or other attribute that, in the opinion of the Minister, would be established by an assessment authority in respect of federal property as the basis for computing the amount of any frontage or area tax that would be applicable to that property if it were taxable property (dimensions effectives)

federal property means, subject to subsection (3),

  • (a)real property and immovables owned by Her Majesty in right of Canada that are under the administration of a minister of the Crown,

  • (b)real property and immovable owned by Her Majesty in right of Canada that are, by virtue of a lease to a corporation included in Schedule III and IV, under the management, charge and direction of that corporation,

  • (c)immovables held under emphyteusis by Her Majesty in right of Canada that are under the administration of a minister of the Crown,

  • (d)a building owned by Her Majesty in right of Canada that is under the administration of a Minister of the Crown and that is situated on a tax exempt land owned by a person other than Her Majesty in right of Canada or administered and controlled by Her Majesty in right of a province, and

  • (e)real property and immovables occupied or used by a minister of the Crown and administered and controlled by Her Majesty in right of a province; (propriété fédérale)

effective rate means the rate of real property tax or of frontage or area tax that, in the opinion of the Minister, would be applicable to any federal property if that property were taxable property; (taux effectif)

property value means the value that, in the opinion of the Minister, would be attributable by an assessment authority to federal property, without regard to any mineral rights or any ornamental, decorative or non-functional features thereof, as the basis for computing the amount of any real property tax that would be applicable to that property if it were taxable property; (valeur effective)

[Underline added]


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

t-446-22

 

INTITULÉ :

VILLE DE GATINEAU c PROCUREUR DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

lES 11 DÉCEMBRE 2023 ET

4 JUIN 2025

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE Roy

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 juillet 2025

 

COMPARUTIONS :

Me Paul Wayland

Me Simon Frenette

 

Pour lA demandeRESSE

Me Diane Pelletier

Me Pavol Janura

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DHC avocats

Montréal (Québec)

 

Pour lA demandeRESSE

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

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