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Dossier : T-381-24

Référence : 2025 CF 1157

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 juin 2025

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

OSAMA EL-BAHNASAWY

défendeur

et

LE DIRECTEUR DES POURSUITES PÉNALES

intervenant

JUGEMENT ET MOTIFS

I. APERÇU

[1] Le 21 mai 2016, Abdulrahman El‑Bahnasawy, âgé de 18 ans, et sa famille ont quitté leur résidence de Mississauga et se sont rendus à New York pour un long week-end, à l’occasion de la fête de la Reine. Ils ont traversé la frontière canado-américaine sans incident. Lorsqu’ils se sont garés sur le parking de leur hôtel, au New Jersey, leur voiture a soudainement été encerclée par des agents du Federal Bureau of Investigation (FBI). Abdulrahman a été arrêté et emmené. Cinq mois plus tard, il a plaidé coupable à sept chefs d’accusation liés à un complot visant à commettre des attentats terroristes à New York, au cours de l’été 2016, en appui à l’État islamique en Irak et au Levant. La preuve pesant contre Abdulrahman a été tirée principalement de ses activités en ligne, y compris ses communications avec une personne qui s’est avérée être un agent infiltré du FBI.

[2] En décembre 2018, Abdulrahman a été condamné à 40 ans de prison et à une liberté surveillée à vie. Depuis juin 2021, il purge sa peine à l’Administrative Maximum Facility, un établissement carcéral à sécurité maximale situé à Florence, dans le Colorado.

[3] Le lendemain de l’arrestation d’Abdulrahman, des agents de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) ont perquisitionné la résidence de sa famille, à Mississauga. La famille a rapidement appris que la GRC avait coopéré avec le FBI dans le cadre de l’enquête sur Abdulrahman avant leur voyage aux États-Unis.

[4] En août 2019, le père d’Abdulrahman, Osama El‑Bahnasawy, a déposé une plainte auprès de la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes (CCETP) relatives à la GRC. La plainte contenait trois allégations concernant l’enquête de la GRC sur Abdulrahman : 1) la GRC a aidé le FBI à piéger Abdulrahman alors qu’elle était au courant des problèmes de santé mentale de ce dernier; 2) la GRC a profité de la santé mentale précaire d’Abdulrahman; et 3) la GRC a obtenu les dossiers médicaux d’Abdulrahman du Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH) de Toronto une semaine avant son arrestation et a ensuite transmis des renseignements tirés de ces dossiers au FBI. L’une des principales préoccupations de la famille était que, bien qu’elle soit au courant de son jeune âge et des problèmes de santé mentale d’Abdulrahman, la GRC n’est pas intervenue alors qu’Abdulrahman était encore au Canada et l’a plutôt laissé se rendre aux États-Unis, où il serait arrêté et poursuivi en vertu d’un système juridique beaucoup plus sévère que celui du Canada et qui offre moins de protections aux accusés atteints de troubles mentaux.

[5] Après avoir conclu que la plainte portait sur une activité étroitement liée à la sécurité nationale, la CCETP l’a renvoyée en septembre 2019 à l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement (OSSNR ou Office de surveillance), conformément au paragraphe 45.53(4.1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R‑10 (Loi sur la GRC). L’Office de surveillance s’est déclaré compétent à l’égard de la plainte en janvier 2020 et a ouvert une enquête.

[6] Au cours de l’enquête, l’Office de surveillance (sous la plume de M. Craig Forcese, vice-président de l’OSSNR et membre présidant l’enquête sur la plainte) a demandé à la GRC de fournir les renseignements qu’elle avait en sa possession ou sous sa garde concernant tout avis juridique qu’elle avait reçu au sujet de ses activités concernant Abdulrahman. À la surprise de M. Forcese, la GRC s’est opposée à la communication de tels renseignements, soutenant que l’Office de surveillance n’avait pas droit à des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat dans le cadre d’une enquête sur une plainte.

[7] Plutôt que d’attendre que la question de l’accès aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat soit réglée, M. Forcese, en décembre 2022, a présenté au ministre de la Sécurité publique et au commissaire de la GRC un rapport exposant les conclusions et les recommandations qu’il avait pu formuler en fonction des renseignements dont il disposait. M. Forcese a conclu que, dans l’ensemble, la GRC avait agi de façon appropriée compte tenu des contraintes auxquelles elle était assujettie, y compris les restrictions quant à l’utilisation des renseignements communiqués par le FBI (principe également connu sous le nom de « règle des tiers »).

[8] Un rapport daté du 12 octobre 2023 exposant les conclusions et les recommandations de M. Forcese a finalement été remis au plaignant, M. El‑Bahnasawy. M. Forcese a déclaré ce qui suit : [traduction] « J’ai décidé […] de publier le présent rapport dans sa forme actuelle, tout en réservant l’enquête en cours sur les points qui pourraient nécessiter l’examen de renseignements à l’égard desquels les avocats de la GRC invoquent le secret professionnel de l’avocat. À cet égard, le présent rapport peut donc ne pas constituer le dernier mot sur les questions qui y sont abordées ».

[9] Dans ce rapport, M. Forcese a expliqué pourquoi, à son avis, les renseignements qu’il cherchait à obtenir de la GRC étaient pertinents par rapport à la plainte. Il a également expliqué pourquoi, à son avis, l’Office de surveillance avait droit aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat en vertu de l’article 10 de la Loi sur l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, LC 2019, c 13, art 2 (Loi sur l’OSSNR). L’alinéa 10d) de la Loi sur l’OSSNR prévoit que, dans le cadre d’une enquête sur une plainte mettant en cause la GRC, l’Office de surveillance a le droit d’avoir accès en temps opportun aux renseignements qui se rapportent à la plainte que la GRC (ainsi que certains autres organismes) a en sa possession ou sous sa garde « [m]algré toute autre loi fédérale et toute immunité reconnue par le droit de la preuve ». La seule exception à ce droit d’accès concerne les documents confidentiels du Cabinet. Faisant fond sur cette disposition, M. Forcese a dit ne pas souscrire à la thèse de la GRC voulant qu’elle ait le droit de ne pas communiquer de renseignements pertinents à l’Office de surveillance au motif qu’ils sont protégés par le secret professionnel de l’avocat.

[10] M. Forcese est revenu sur cette question dans une décision procédurale datée du 14 février 2024. Dans cette décision, il explique pourquoi, à son avis, l’article 10 de la Loi sur l’OSSNR confère à l’Office de surveillance le droit d’obtenir des renseignements pertinents ayant trait à une plainte, même si ces renseignements sont autrement protégés par le secret professionnel de l’avocat. Il explique également pourquoi il a rejeté la thèse avancée par la GRC selon laquelle il était maintenant dessaisi et que, pour cette raison, il n’avait pas le pouvoir légal de poursuivre son examen de la plainte. Vu le refus de la GRC de fournir les renseignements demandés, M. Forcese a conclu qu’il lui fallait l’assigner et la contraindre à les produire.

[11] Le procureur général du Canada (PGC) a demandé le contrôle judiciaire de la décision de délivrer une assignation visant à contraindre la GRC à produire des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat. Le PGC soutient que M. Forcese a commis une erreur en concluant que l’Office de surveillance a le droit d’obtenir de tels renseignements en vertu de l’article 10 de la Loi sur l’OSSNR. Il soutient également que, de toute façon, l’assignation devrait être annulée parce que l’Office de surveillance était dessaisi lorsqu’il a délivré l’assignation.

[12] Comme je l’explique dans les motifs qui suivent, je suis d’avis qu’il n’y a pas lieu d’intervenir dans la décision de M. Forcese de délivrer une assignation à comparaître à la GRC pour l’obliger à produire les renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat. La conclusion selon laquelle l’Office de surveillance n’était pas dessaisi lorsque l’assignation a été délivrée est raisonnable. De plus, je souscris à la conclusion de M. Forcese selon laquelle l’article 10 de la Loi sur l’OSSNR confère à l’Office de surveillance le droit d’obtenir des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat dans le contexte d’une enquête sur une plainte. En bref, pour que cette disposition accorde à l’Office de surveillance un droit d’accès aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat, elle doit le faire en des termes clairs, explicites et sans équivoque. Après avoir examiné le texte, le contexte et l’objet de la disposition ainsi que son historique législatif, je suis convaincu que l’article 10 satisfait à cette norme. La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

II. CONTEXTE

A. Les dispositions législatives

[13] Le mandat général de l’Office de surveillance est décrit ainsi au paragraphe 8(1) de la Loi sur l’OSSNR :

8 (1) L’Office de surveillance a pour mandat :

8 (1) The mandate of the Review Agency is to

a) d’examiner toute activité exercée par le Service canadien du renseignement de sécurité ou le Centre de la sécurité des télécommunications;

(a) review any activity carried out by the Canadian Security Intelligence Service or the Communications Security Establishment;

b) d’examiner l’exercice par les ministères de leurs activités liées à la sécurité nationale ou au renseignement;

(b) review any activity carried out by a department that relates to national security or intelligence;

c) d’examiner les questions liées à la sécurité nationale ou au renseignement dont il est saisi par un ministre;

(c) review any matter that relates to national security or intelligence that a minister of the Crown refers to the Agency; and

d) de faire enquête sur :

(d) investigate

(i) les plaintes qu’il reçoit au titre des paragraphes 16(1), 17(1) ou 18(3),

(i) any complaint made under subsection 16(1), 17(1) or 18(3),

(ii) les plaintes qui lui sont renvoyées au titre des paragraphes 45.53(4.1) ou 45.67(2.1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada,

(ii) any complaint referred to the Agency under subsection 45.53(4.1) or 45.67(2.1) of the Royal Canadian Mounted Police Act,

(iii) les rapports qui lui sont adressés en vertu de l’article 19 de la Loi sur la citoyenneté,

(iii) reports made to the Agency under section 19 of the Citizenship Act, and

(iv) les affaires qui lui sont transmises en vertu de l’article 45 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

(iv) matters referred to the Agency under section 45 of the Canadian Human Rights Act.

[14] Comme je l’ai mentionné plus haut, la présente demande porte sur l’enquête d’une plainte renvoyée à l’Office de surveillance en vertu du paragraphe 45.53(4.1) de la Loi sur la GRC. L’Office de surveillance détient le pouvoir d’enquêter sur la plainte en vertu du sous-alinéa 8(1)d)(ii) de la Loi sur l’OSSNR.

[15] Le droit d’accès à l’information de l’Office de surveillance dans le cadre des enquêtes sur les plaintes est énoncé à l’article 10 de la Loi sur l’OSSNR. Les alinéas 10a), b) et c) portent sur le droit d’accès de l’Office de surveillance à l’information relative aux plaintes concernant le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et le Centre de la sécurité des télécommunications (CST) et les refus d’habilitation de sécurité. Le droit d’accès de l’Office de surveillance aux renseignements relatifs à une plainte contre la GRC est énoncé à l’alinéa 10d), qui est ainsi libellé :

Droit d’accès — plaintes

Right of access — complaints

10 Malgré toute autre loi fédérale et toute immunité reconnue par le droit de la preuve et sous réserve de l’article 12, l’Office de surveillance a le droit d’avoir accès en temps opportun aux informations suivantes :

10 Despite any other Act of Parliament and any privilege under the law of evidence and subject to section 12, the Review Agency is entitled to have access in a timely manner to the following information:

[…]

[. . .]

d) relativement à une plainte qui lui est renvoyée au titre des paragraphes 45.53(4.1) ou 45.67(2.1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, les informations liées à la plainte qui relèvent de la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes relatives à la Gendarmerie royale du Canada, constituée par le paragraphe 45.29(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, de la Gendarmerie royale du Canada, du Service canadien du renseignement de sécurité ou du Centre de la sécurité des télécommunications ou qui sont en la possession de l’un d’eux.

(d) in relation to a complaint referred to it under subsection 45.53(4.1) or 45.67(2.1) of the Royal Canadian Mounted Police Act, any information that relates to the complaint and that is in the possession or under the control of the Civilian Review and Complaints Commission for the Royal Canadian Mounted Police established by subsection 45.29(1) of the Royal Canadian Mounted Police Act, the Royal Canadian Mounted Police, the Canadian Security Intelligence Service or the Communications Security Establishment.

[16] Par ailleurs, le droit d’accès de l’Office de surveillance aux renseignements dans le cadre de son mandat d’examen est énoncé à l’article 9 de la Loi sur l’OSSNR. Il est ainsi libellé :

Accès à l’information

Access to Information

Droit d’accès — examens

Right of access — reviews

9 (1) Malgré toute autre loi fédérale et sous réserve de l’article 12, l’Office de surveillance a le droit d’avoir accès, relativement aux examens qu’il effectue et en temps opportun, aux informations qui relèvent de tout ministère ou qui sont en la possession de tout ministère.

9 (1) Despite any other Act of Parliament and subject to section 12, the Review Agency is entitled, in relation to its reviews, to have access in a timely manner to any information that is in the possession or under the control of any department.

Informations protégées

Protected information

(2) Le paragraphe (1) confère notamment à l’Office de surveillance le droit d’accès aux informations protégées par toute immunité reconnue par le droit de la preuve, par le secret professionnel de l’avocat ou du notaire ou par le privilège relatif au litige.

(2) Under subsection (1), the Review Agency is entitled to have access to information that is subject to any privilege under the law of evidence, solicitor-client privilege or the professional secrecy of advocates and notaries or to litigation privilege.

Précision

For greater certainty

(3) Il est entendu que la communication à l’Office de surveillance, au titre du présent article, d’informations protégées par le secret professionnel de l’avocat ou du notaire ou par le privilège relatif au litige ne constitue pas une renonciation au secret professionnel ou au privilège.

(3) For greater certainty, the disclosure to the Review Agency under this section of any information that is subject to solicitor-client privilege or the professional secrecy of advocates and notaries or to litigation privilege does not constitute a waiver of those privileges or that secrecy.

[17] L’article 11 de la Loi sur l’OSSNR prévoit ce qui suit en ce qui concerne les examens et les enquêtes sur les plaintes :

Documents et explications

Documents and explanations

11 (1) Les articles 9 et 10 confèrent notamment à l’Office de surveillance le droit de recevoir de l’administrateur général et des employés du ministère en cause les documents et explications dont il estime avoir besoin dans l’exercice de ses attributions.

11 (1) Under sections 9 and 10, the Review Agency is entitled to receive from the deputy head or employees of the department concerned any documents and explanations that the Agency deems necessary for the exercise of its powers and the performance of its duties and functions.

Décision de l’Office de surveillance

Decision — Review Agency

(2) Pour l’application des articles 9 et 10, il appartient à l’Office de surveillance de décider si une information est liée à l’examen ou à la plainte en cause.

(2) For the purposes of sections 9 and 10, the Review Agency is entitled to decide whether information relates to the review or complaint in question.

Incompatibilité ou conflit

Inconsistency or conflict

(3) Les articles 9 et 10 l’emportent en cas d’incompatibilité ou de conflit avec toute disposition d’une loi fédérale autre que la présente loi.

(3) In the event of any inconsistency or conflict between sections 9 and 10 and any provision of an Act of Parliament other than this Act, section 9 or 10 prevails to the extent of the inconsistency or conflict.

[18] Les articles 9 et 10 de la Loi sur l’OSSNR sont tous deux assujettis à l’article 12 de cette même loi, qui est ainsi libellé :

Exception

Exception

12 L’Office de surveillance n’a pas un droit d’accès aux renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada dont la divulgation pourrait être refusée au titre de l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada.

12 The Review Agency is not entitled to have access to a confidence of the Queen’s Privy Council for Canada the disclosure of which could be refused under section 39 of the Canada Evidence Act.

B. La demande de l’Office de surveillance visant les renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat

[19] La GRC a communiqué à l’Office de surveillance la preuve relative à la plainte par tranches. À plusieurs reprises, M. Forcese a demandé des renseignements supplémentaires. Le processus de collecte des renseignements a été long en raison des mesures de santé publique mises en place à l’époque dues à la pandémie de COVID‑19.

[20] En janvier 2022, M. Forcese était en mesure de commencer les entrevues avec des membres de la GRC. Le 10 janvier 2022, le greffier de l’Office de surveillance a envoyé un courriel à Derek Rasmussen, avocat au ministère de la Justice qui représentait la GRC dans le cadre de l’enquête, pour qu’il commence à prendre des dispositions en vue des entrevues avec les témoins. Au nom de M. Forcese, le greffier a identifié dix sujets généraux qui pouvaient être abordés lors des entrevues :

[traduction]

1. les moyens et techniques d’enquête déployés contre Abdulrahman El‑Bahnasawy et sa famille;

2. le rôle de l’âge du suspect dans la prise de décisions d’enquête;

3. l’échange de renseignements entre la GRC et le FBI, en général, et, plus particulièrement, l’échange de renseignements sur la santé mentale d’Abdulrahman El‑Bahnasawy;

4. l’état d’avancement et le processus décisionnel concernant une ordonnance de communication des dossiers d’Abdulrahman El‑Bahnasawy que CAMH avait en sa possession;

5. l’état d’avancement de toutes les autorisations judiciaires envisagées ou obtenues;

6. les lieux où la GRC s’est procuré les dossiers étrangers de santé mentale d’Abdulrahman El‑Bahnasawy et les documents obtenus, le cas échéant, d’une source autre que la résidence de [caviardé];

7. les discussions, le cas échéant, avec le FBI au sujet de la santé mentale d’Abdulrahman El‑Bahnasawy et les dispositions qui ont été prises, le cas échéant, avec le FBI ou le Federal Bureau of Prisons pour les soins de santé d’Abdulrahman El‑Bahnasawy avant son arrestation;

8. récapitulatif de la décision de permettre à Abdulrahman El‑Bahnasawy de quitter le Canada en vue d’une arrestation par le FBI et la question de savoir si [caviardé];

9. récapitulatif de la décision de ne pas arrêter ou de ne pas poursuivre Abdulrahman El‑Bahnasawy au Canada, et les politiques, le cas échéant, pour guider la prise d’une telle décision;

10. si, comment ou à quel moment la Loi sur l’entraide juridique en matière criminelle a-t-elle été utilisée ou envisagée.

[21] Le courriel du 10 janvier 2022 indiquait également que M. Forcese cherchait à obtenir des documents supplémentaires pour l’enquête, s’ils étaient disponibles, y compris [traduction] « tout avis juridique demandé ou obtenu relativement à Abdulrahman El‑Bahnasawy ». La demande excluait expressément [traduction] « tout avis juridique obtenu dans le cadre de l’enquête sur cette plainte par l’OSSNR ».

[22] M. Rasmussen a répondu par lettre datée du 21 janvier 2022. En ce qui concerne la demande d’avis juridiques demandés ou obtenus au sujet d’Abdulrahman El‑Bahnasawy, il a écrit que la demande était en cours d’examen [traduction] « et qu’un examen plus approfondi du dossier d’enquête de la GRC était nécessaire pour déterminer s’il existe de tels documents ».

[23] M. Rasmussen est revenu sur le sujet de la demande d’avis juridiques dans une lettre adressée à l’Office de surveillance le 11 avril 2022, dans laquelle il a indiqué que la GRC ne produirait pas de tels documents. Il a expliqué la position de la GRC ainsi :

[traduction]

Dans la correspondance mentionnée ci-dessus [c’est-à-dire le courriel du greffier du 10 janvier 2022], l’OSSNR demande également certains avis juridiques. De tels avis sont protégés par le secret professionnel de l’avocat. Le gouvernement du Canada est d’avis que l’OSSNR n’a pas, selon l’article 10 de la Loi sur l’OSSNR, le pouvoir légal d’accéder aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat dans le contexte d’une plainte. Contrairement au droit explicite et non équivoque d’accès aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat dans le contexte d’examens prévus au paragraphe 9(2) de cette loi, l’article 10 ne confère pas à l’OSSNR le pouvoir d’accéder aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat.

De plus, ce sont les conseillers juridiques du Service des poursuites pénales du Canada (SPPC) qui ont fourni à la GRC tout avis juridique visé par cette demande. Ces avis sont protégés par le secret professionnel de l’avocat, et les conseils qui y sont donnés sont étroitement liés à l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites, qui comprend l’évaluation de ce qui est souvent une longue liste de facteurs variables énoncés dans les lois et les politiques. De tels avis sont ancrés dans l’indépendance – une valeur protégée par la Constitution – du bureau du DPP [directeur des poursuites pénales], qui doit rendre des comptes au procureur général du Canada devant le Parlement par les voies établies et qui ne peut faire l’objet d’aucun contrôle en l’absence d’un recours abusif.

C. Autres échanges concernant les renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat

[24] Le lendemain de l’envoi de sa lettre du 11 avril 2022, M. Rasmussen s’est entretenu par conférence téléphonique avec un conseiller juridique de l’OSSNR et d’autres personnes. Au cours de cette conférence, le conseiller juridique de l’OSSNR a souligné qu’un document précédemment communiqué par la GRC à l’Office de surveillance contenait des renseignements qui pourraient être protégés par le secret professionnel de l’avocat. Dans un courriel de suivi du 20 avril 2022, le conseiller juridique de l’OSSNR a soulevé la possibilité qu’un autre document précédemment communiqué contienne également des renseignements potentiellement protégés par le secret professionnel de l’avocat. Le conseiller juridique de l’OSSNR a demandé à M. Rasmussen de confirmer la position de la GRC au sujet de ces documents, notamment si elle était prête à renoncer au privilège du secret professionnel de l’avocat concernant ces documents.

[25] Dans une lettre adressée à l’Office de surveillance le 20 mai 2022, M. Rasmussen a confirmé que la GRC revendiquait le secret professionnel de l’avocat à l’égard de l’intégralité de l’un des documents et d’une partie de l’autre document signalés par l’Office de surveillance. Il a expliqué que ces documents avaient été communiqués à l’Office de surveillance par inadvertance. M. Rasmussen a demandé que les documents soient retournés à la GRC afin que les renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat puissent être caviardés et que les documents soient communiqués de nouveau.

[26] Par la suite, le 28 juin 2022, lors d’une rencontre entre le conseiller juridique de l’OSSNR et l’avocat du ministère de la Justice, le conseiller juridique de l’OSSNR a accepté que les renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat communiqués précédemment soient supprimés des dossiers de l’Office de surveillance.

D. Rapport du 12 octobre 2023

[27] Le rapport du 12 octobre 2023 est le rapport de l’Office de surveillance exposant ses conclusions et ses recommandations au plaignant, M. El‑Bahnasawy, conformément au paragraphe 29(2) de la Loi sur l’OSSNR. Dans ce rapport, M. Forcese a expliqué qu’il avait produit son rapport final concernant la plainte le 8 décembre 2022. Comme le requiert l’alinéa 29(1)c) de la Loi sur l’OSSNR, il a remis à cette date au ministre de la Sécurité publique et au commissaire de la GRC « un rapport contenant [l]es conclusions et les recommandations que [l’OSSNR] estime indiquées ».

[28] Selon le paragraphe 29(2) de la Loi sur l’OSSNR, après avoir produit un rapport en vertu de l’un ou l’autre des alinéas 29(1)a), b) ou c), l’Office de surveillance « fait parvenir au plaignant les conclusions de son enquête; s’il le juge à propos, il peut y joindre tout ou partie de ses recommandations ». L’alinéa 52(1)b) de cette loi prévoit que, lorsqu’il prépare le rapport visé au paragraphe 29(2), l’Office de surveillance « consulte les administrateurs généraux concernés » afin d’éviter que rapport « ne contienne des informations dont la communication porterait atteinte à la sécurité ou à la défense nationales ou aux relations internationales ou des informations protégées par le secret professionnel de l’avocat ou du notaire ou par le privilège relatif au litige ». En l’espèce, le processus de consultation a été long parce que la GRC a demandé d’importants caviardages au rapport en raison de l’atteinte à la sécurité nationale qui, selon elle, résulterait de la communication de renseignements en violation de la règle des tiers. Par conséquent, le rapport prévu au paragraphe 29(2) n’a pu être remis au plaignant que le 12 octobre 2023.

[29] Comme je l’ai déjà mentionné, dans ce rapport, M. Forcese a fait part des conclusions et des recommandations qu’il avait pu formuler en fonction de l’information dont il disposait. Il a également abordé l’opposition de la GRC à la communication des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat à l’Office de surveillance :

[traduction]

Cette question aurait dû se régler rapidement. Historiquement, l’organisme qui a précédé l’OSSNR, le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, avait accès, dans le cadre de ses enquêtes sur les plaintes, aux documents protégés par le secret professionnel de l’avocat relatifs à des avis juridiques d’ordre opérationnel (c’est-à-dire des avis donnés par des avocats au service en question au sujet de l’activité en cause dans l’enquête sur la plainte, parfois importants pour l’enquête) [note de bas de page omise]. Jusqu’à la volte-face soudaine mentionnée plus haut, l’OSSNR a continué de recevoir des renseignements préparés par des avocats qui se rapportaient à une affaire sur laquelle il enquêtait, à l’exception des renseignements préparés pour leurs clients en réponse à l’enquête elle-même (documents protégés par le privilège relatif au litige).

Toutefois, les avocats de la GRC semblent contester le droit de l’OSSNR à tout document protégé par le secret professionnel de l’avocat, y compris les avis juridiques d’ordre opérationnel. En réponse à la demande d’observations de l’OSSNR, ils ont affirmé que la communication mentionnée ci-dessus avait été faite par inadvertance et que la GRC souhaitait préserver le privilège sur le document et que, selon la GRC, je n’avais pas le pouvoir voulu pour voir les documents protégés par le secret professionnel de l’avocat.

[30] M. Forcese a clairement indiqué qu’il n’acceptait pas la position de la GRC concernant le droit d’accès de l’Office de surveillance aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat dans le cadre des enquêtes sur les plaintes, [traduction] « une position qui va à l’encontre de la pratique antérieure ». Toutefois, pour résoudre ce désaccord, [traduction] « une procédure judiciaire sera nécessaire, et l’OSSNR doit déterminer la meilleure façon de procéder pour dénouer cette impasse ». Comme cela entraînerait vraisemblablement d’autres retards, M. Forcese a décidé de présenter son rapport dans sa forme existante, tout en réservant expressément l’enquête en cours sur les points qui pourraient l’obliger à prendre en considération des renseignements à l’égard desquels le secret professionnel de l’avocat avait été invoqué. Par conséquent, le rapport qu’il a communiqué à M. El‑Bahnasawy [traduction] « peut donc ne pas constituer le dernier mot sur les questions qui y sont abordées ».

[31] Bien qu’il ne le précise pas expressément, le rapport du 12 octobre 2023 laisse entendre que le rapport présenté au ministre et au commissaire de la GRC en vertu du paragraphe 29(1) de la Loi sur l’OSSNR contenait une réserve similaire. Cette réserve similaire a effectivement été confirmée dans une directive procédurale du 22 décembre 2023 (dont il est question ci-dessous), dans laquelle M. Forcese déclare : [TRADUCTION] « Compte tenu de l’opposition de la GRC, j’ai présenté mes rapports dans leur forme actuelle, tout en réservant l’enquête en cours sur les points qui pourraient nécessiter l’examen de renseignements à l’égard desquels les avocats de la GRC ont invoqué le secret professionnel de l’avocat [note de bas de page omise] ». (Je note, en passant, que le rapport visé au paragraphe 29(1) ne fait pas partie du dossier de la présente demande.)

[32] Dans le rapport du 12 octobre 2023, M. Forcese a avancé deux arguments à l’appui de sa thèse selon laquelle l’OSSNR a le droit d’avoir accès aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat que la GRC a en sa possession ou sous sa garde et qui sont pertinents pour une enquête sur une plainte.

[33] Premièrement, comme je viens de le mentionner, le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS) avait l’habitude d’obtenir des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat qui se rapportaient à la plainte faisant l’objet d’une enquête, et cette pratique s’était poursuivie avant l’OSSNR du moins jusqu’à ce que la GRC s’y oppose en l’espèce. M. Forcese a fait observer que le préambule de la Loi de 2017 sur la sécurité nationale, LC 2019, c 13, à laquelle la Loi sur l’OSSNR a été intégrée, [traduction] « énonce clairement l’intention du législateur de renforcer la responsabilité et la transparence, une intention aujourd’hui niée par le gouvernement du fait qu’il annule l’accès à l’information à laquelle le prédécesseur de l’OSSNR pouvait accéder ».

[34] Deuxièmement, l’alinéa 10d) de la Loi sur l’OSSNR permet expressément à l’Office de surveillance d’avoir accès à tout renseignement pertinent que la GRC a en sa possession ou sous sa garde, malgré « toute immunité reconnue par le droit de la preuve ». Le paragraphe 52(1) de cette loi exige que les informations protégées par le secret professionnel de l’avocat soient caviardées dans les rapports remis aux plaignants à la suite d’une enquête. Selon M. Forcese, la position de la GRC selon laquelle l’Office de surveillance n’a pas droit aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat donne lieu à une incohérence dans la Loi sur l’OSSNR : selon la GRC, le législateur avait, d’une part, l’intention de refuser à l’OSSNR l’accès aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat dans le cadre d’enquêtes sur les plaintes et, il contraint, d’autre part, l’OSSNR à caviarder les renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat dans ses rapports d’enquête – autrement dit, [traduction] « de caviarder les mêmes renseignements auxquels, de l’avis des avocats, l’OSSNR ne peut avoir accès ». Selon M. Forcese, la position de la GRC est contraire aux principes d’interprétation des lois, qui reposent notamment sur une présomption contre l’incohérence.

[35] Comme nous le verrons plus loin, M. Forcese réitère et développe ces arguments dans sa décision procédurale du 14 février 2024.

[36] Enfin, M. Forcese a exposé les raisons pour lesquelles, selon lui, tout avis juridique que la GRC aurait pu demander sur la question des poursuites au Canada était pertinent pour son enquête. Sans ces renseignements, il n’a pas été en mesure de répondre pleinement aux préoccupations du plaignant au sujet de la décision de la GRC de ne pas intenter de poursuites contre Abdulrahman au Canada. Il n’a pas non plus été en mesure de déterminer si la GRC avait demandé ou suivi un avis juridique dans la présente affaire, ce qui a eu une incidence sur son évaluation des activités de la GRC. M. Forcese a déclaré ce qui suit : [TRADUCTION] « C’est regrettable, car cette lacune nourrira inévitablement les doutes du plaignant quant à la conduite de la GRC dans cette affaire ».

E. Événements subséquents

[37] Le 23 novembre 2023, M. El‑Bahnasawy, son fils Abdulrahman et son épouse, Khdiga Metwally, ont présenté une demande de contrôle judiciaire à la Cour (dossier no T‑2479‑23). Entre autres mesures de réparation, les demandeurs sollicitaient : 1) une déclaration portant que l’alinéa 10d) de la Loi sur l’OSSNR confère à l’Office de surveillance le droit d’accéder aux renseignements pertinents que la GRC a en sa possession ou sous sa garde, même si ces renseignements sont protégés par le secret professionnel de l’avocat; 2) une ordonnance enjoignant à l’Office de surveillance d’exercer son pouvoir pour obliger la GRC à communiquer de tels renseignements en vertu de l’article 27 de la Loi sur l’OSSNR; et 3) une ordonnance enjoignant à l’Office de surveillance de rédiger et de présenter un rapport révisé à la lumière de tous les renseignements pertinents, y compris les renseignements qui lui ont été refusés précédemment pour des raisons de secret professionnel de l’avocat.

[38] Dans leur avis de demande, les demandeurs ont indiquent vouloir obtenir, en vertu de l’article 317 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (RCF), une copie du dossier complet pris en considération par M. Forcese lors de la préparation de son rapport. Cette demande a à son tour déclenché l’opposition de la part de l’Office de surveillance en vertu de l’article 318 des RCF, au motif que le dossier du tribunal pourrait entraîner des revendications de non-divulgation en vertu de l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C‑5 (LPC).

[39] Le 22 décembre 2023, M. Forcese a donné à la GRC une directive procédurale [traduction] « concernant les prochaines étapes de l’enquête ». Après avoir exposé le contexte décrit ci-dessus, y compris le fait que M. El‑Bahnasawy et d’autres personnes avaient présenté une demande de contrôle judiciaire et qu’une demande concurrente du PGC en vertu de l’article 38.04 de la LPC visant à protéger des renseignements sensibles contre la divulgation pourrait être nécessaire, M. Forcese a ajouté : [TRADUCTION] « Ce processus risque d’être long et de retarder davantage la résolution de ce problème. J’estime qu’il est dans l’intérêt public de cristalliser officiellement la question centrale du litige : la question juridique distincte de l’accès de l’Office de surveillance aux documents protégés par le secret professionnel de l’avocat dans le cadre d’enquêtes sur les plaintes présentées ou renvoyées en vertu de sa loi constitutive ».

[40] Par conséquent, M. Forcese a déclaré qu’il avait l’intention de poursuivre [traduction] « l’enquête en cours » sur les points qu’il avait expressément laissés en suspens dans le rapport du 12 octobre 2023. Dans la décision procédurale, M. Forcese a déclaré qu’il était bien entendu d’avis que tout renseignement protégé par le secret professionnel de l’avocat concernant les questions faisant l’objet d’une enquête que la GRC a en sa possession [traduction] « est nécessaire à l’enquête complète de la plainte ». Sans limiter la portée de sa demande de renseignements pertinents, il a identifié trois points précis à l’égard desquels il avait besoin de renseignements supplémentaires pour mener à bien son enquête : 1) la GRC a-t-elle sollicité et obtenu des avis juridiques sur la possibilité d’intenter des poursuites judiciaires contre Abdulrahman El‑Bahnasawy au Canada, et a-t-elle agi conformément aux avis juridiques obtenus ? 2) la GRC a-t-elle sollicité et obtenu des avis juridiques relativement à ses activités contre Abdulrahman El‑Bahnasawy, notamment en ce qui concerne les obligations qu’elle avait envers ce dernier, en tant que ressortissant canadien, en tant que mineur ou en tant que personne souffrant d’une maladie psychiatrique grave (que ce soit en vertu de la Charte, d’autres lois canadiennes ou de traités internationaux relatifs aux droits de la personne), et si la GRC a agi conformément à ces avis? et 3) la GRC a-t-elle demandé et obtenu des avis juridiques concernant le respect de la Loi sur la protection des renseignements personnels avant de communiquer au FBI des rapports concernant Abdulrahman El‑Bahnasawy et des membres de sa famille, et a-t-elle agi conformément à ces avis? M. Forcese a ensuite réitéré la demande qu’il avait présentée en vertu de l’article 10 de la Loi sur l’OSSNR pour obtenir tout avis juridique demandé et obtenu par la GRC au sujet d’Abdulrahman El‑Bahnasawy (à l’exclusion de tout avis juridique spécifique à l’enquête sur la plainte). Enfin, il a déclaré que, si la GRC devait refuser de produire ces renseignements d’ici le 19 janvier 2024, il envisagerait d’invoquer l’alinéa 27a) de la Loi sur l’OSSNR, qui habilite l’Office de surveillance à exiger la production de renseignements au moyen d’une assignation.

[41] M. Alexander Gay, avocat au ministère de la Justice, a répondu à la directive procédurale au nom de la GRC par lettre datée du 19 janvier 2024. En somme, M. Gay a déclaré ce qui suit : 1) la GRC réitère son opposition à la production de renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat, ce à quoi l’Office de surveillance n’a pas droit en vertu de l’article 10 de la Loi sur l’OSSNR; 2) ayant publié ses rapports en vertu de l’article 29 de la Loi sur l’OSSNR, toute suggestion selon laquelle l’Office de surveillance [traduction] « continue d’avoir le pouvoir légal de demander et d’examiner des documents protégés par le privilège va à l’encontre du principe du functus officio »; 3) le lieu approprié pour trancher la question du droit de l’Office de surveillance à l’accès aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat est la Cour fédérale, dans le contexte de la demande de contrôle judiciaire qui vient d’être introduite; 4) si l’Office de surveillance délivrait une assignation à la GRC pour obtenir des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat, la GRC demanderait l’annulation de l’assignation.

[42] Le 2 février 2024, l’Office de surveillance a transmis une copie de la lettre de M. Gay à l’avocat de M. El‑Bahnasawy et lui a offert la possibilité de présenter par écrit de brèves observations en réponse, particulièrement en ce qui concerne l’argument selon lequel l’Office de surveillance est dessaisi. Ces observations ont été soumises le 12 février 2024. Au nom du plaignant, l’avocat a soutenu que l’Office de surveillance a droit d’accès aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat lorsqu’il enquête sur des plaintes. L’avocat a également fait valoir que le principe du functus officio n’empêche pas l’Office de surveillance de poursuivre son enquête sur la plainte en question.

III. DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[43] Dans la décision procédurale du 14 février 2024, M. Forcese a conclu que l’Office de surveillance a le droit d’accéder aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat qui sont pertinents aux enquêtes sur les plaintes et que, de plus, l’Office de surveillance n’est pas dessaisi. Par conséquent, l’Office de surveillance a délivré une assignation visant à contraindre la GRC à produire les renseignements que M. Forcese lui avait demandés. (L’Office de surveillance a sursis à l’exécution de l’assignation jusqu’à ce que la présente demande soit tranchée en définitive.)

[44] D’abord, en ce qui concerne le droit d’accès de l’Office de surveillance aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat prévu à l’alinéa 10d) de la Loi sur l’OSSNR, M. Forcese a commencé par appliquer le « principe moderne » en matière d’interprétation des lois, selon lequel on doit lire les termes d’une loi « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27 à la p 41, citant E.A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), à la p 87). Qu’une loi soit interprétée par un tribunal judiciaire ou par un tribunal administratif, les personnes qui rédigent et adoptent des lois « s’attendent à ce que les questions concernant leur sens soient tranchées à la suite d’une analyse qui tienne compte du libellé, du contexte et de l’objet de la disposition concernée » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 118). Ainsi, comme l’a reconnu M. Forcese, la tâche du décideur administratif « est d’interpréter la disposition contestée d’une manière qui cadre avec le texte, le contexte et l’objet, compte tenu de sa compréhension particulière du régime législatif en cause » (Vavilov, au para 121).

[45] Compte tenu du libellé de l’alinéa 10d) de l’OSSNR dans son contexte législatif, M. Forcese a conclu que cet alinéa accordait un vaste droit d’accès aux renseignements que la GRC a en sa possession ou sous sa garde, y compris les renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat. Le droit d’accès à l’information pertinente n’est limité que par l’article 12 de la Loi sur l’OSSNR, qui exclut expressément les documents confidentiels du Cabinet, mais rien d’autre. M. Forcese a précisé que : [TRADUCTION] « Si le législateur avait voulu que l’accès soit frappé d’autres restrictions, il l’aurait exprimé de façon explicite ».

[46] M. Forcese a reconnu que, dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c University of Calgary, 2016 CSC 53, la Cour suprême du Canada a conclu qu’en vertu d’une disposition similaire de la Freedom of Information and Protection of Privacy Act de l’Alberta, RSA 2000, c F‑25 (FOIPP), le commissaire à l’information et à la protection de la vie privée n’avait pas le droit d’accès aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat.

[47] Les juges majoritaires (sous la plume de la juge Côté) sont parvenus à cette conclusion parce que, comme la Cour l’avait conclu, dans l’arrêt Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c Blood Tribe Department of Health, 2008 CSC 44, pour donner effet au secret professionnel de l’avocat en tant que principe fondamental du droit, « la disposition législative dont l’objet est de le supprimer, de l’écarter ou d’y porter atteinte doit être interprétée de manière restrictive et l’intention du législateur doit y être claire et non équivoque » (University of Calgary, au para 28). Même si la disposition en cause dans l’affaire University of Calgary obligeait un organisme public à communiquer les documents requis au commissaire à l’information et à la protection de la vie privée, malgré tout [traduction] « privilège que reconnaît le droit de la preuve », le secret professionnel de l’avocat n’est plus seulement un privilège du droit de la preuve : il s’agit également d’une règle de fond qui protège les communications avocat-client en dehors des instances judiciaires. La juge Côté a conclu qu’en ne mentionnant que tout [traduction] « privilège que reconnaît le droit de la preuve », la disposition ne traduit pas « l’intention claire et non équivoque du législateur d’écarter le secret professionnel de l’avocat » (University of Calgary, au para 2).

[48] M. Forcese a conclu que l’arrêt University of Calgary pouvait être distingué à deux égards. Premièrement, contrairement à l’affaire dont il était saisi, l’arrêt University of Calgary a été [traduction] « rendu dans le contexte d’un régime d’accès à l’information plutôt que dans le cadre d’une instance décisionnelle ou d’une procédure d’enquête où les renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat sont importants pour la détermination des faits ». Dans l’arrêt University of Calgary, la juge Côté avait conclu que cette affaire « met en jeu le secret professionnel de l’avocat sur le plan du fond plutôt que sur celui de la preuve » (University of Calgary, au para 42). Cette situation contraste avec les enquêtes sur les plaintes menées par l’Office de surveillance. M. Forcese a écrit :

[traduction]

Les commentaires de la juge Côté laissent entendre que son interprétation de la FOIPP ne s’appliquerait pas nécessairement dans le contexte d’une instance décisionnelle ou d’une procédure d’enquête où le tribunal administratif (comme l’Office de surveillance) a des fonctions quasi judiciaires [note de bas de page omise]. En fait, un examen approfondi de la nature décisionnelle des enquêtes sur les plaintes menées sous le régime de l’OSSNR soutient ma conclusion selon laquelle l’article 10 met en jeu le secret professionnel de l’avocat sur le plan de la preuve plutôt que sur celui du fond. L’Office de surveillance cherche à obtenir des renseignements que la GRC a en sa possession afin d’établir si la GRC a demandé, reçu et suivi des avis juridiques dans le cadre d’une enquête criminelle soulevant des questions juridiques complexes.

[49] Dans le même ordre d’idées, M. Forcese a rejeté l’argument de la GRC selon lequel la différence dans le libellé des articles 9 et 10 de la Loi sur l’OSSNR confirmait que l’Office de surveillance n’avait pas accès aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat dans le cadre des enquêtes sur les plaintes. À son avis, le libellé de l’article 9 reflète le fait qu’il vise à abroger le secret professionnel de l’avocat dans le contexte des examens sur le fond qui ne reposent pas sur la preuve. Même si l’article 9 renvoie expressément au secret professionnel de l’avocat et que l’article 10 renvoie plutôt à « toute immunité reconnue par le droit de la preuve », M. Forcese a conclu qu’il ne s’ensuivait pas que les expressions avaient des sens différents. S’il est vrai que, selon la présomption d’uniformité d’expression, « lorsque des termes différents sont employés dans un même texte législatif, il faut considérer qu’ils ont un sens différent » (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 au para 81), M. Forcese a conclu que cette présomption ne s’appliquait pas ou qu’elle était réfutée parce que les examens et les enquêtes sur les plaintes sont « foncièrement différents ». Il a expliqué :

[traduction]

Contrairement aux enquêtes sur les plaintes, les examens ne sont pas des procédures quasi judiciaires au cours desquelles les parties présentent des éléments de preuve et l’Office de surveillance tranche un litige. Il s’agit plutôt d’un processus non décisionnel dans le cadre duquel l’Office de surveillance a le vaste mandat d’examiner toute activité d’un ministère fédéral liée à la sécurité nationale ou au renseignement et de faire rapport de ses conclusions et recommandations à l’organe exécutif [note de bas de page omise]. Par conséquent, je conclus que le libellé différent des articles 9 et 10 n’avait pas pour but de limiter l’accès de l’Office de surveillance à l’information dans le cadre des enquêtes sur les plaintes.

[50] Le deuxième aspect à l’égard duquel M. Forcese a conclu que les enquêtes sur les plaintes menées par l’Office de surveillance diffèrent du régime examiné dans l’arrêt University of Calgary est l’existence de mesures de protection dans la Loi sur l’OSSNR pour garantir que les informations protégées par le secret professionnel de l’avocat ne soient pas divulguées de manière à compromettre le droit substantiel protégé par le privilège. Dans l’arrêt University of Calgary, la Cour a conclu que l’absence de mesures de protection dans la FOIPP démontrait une fois de plus que le législateur n’avait pas l’intention d’écarter le privilège : voir University of Calgary, au para 58.

[51] En revanche, la Loi sur l’OSSNR prévoit des mesures de protection pour garantir que les renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat ne sont pas divulgués à des personnes autres que l’Office de surveillance. Aux termes du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’OSSNR, les enquêtes de l’Office de surveillance doivent être tenues en secret. Le paragraphe 25(2) prévoit que, bien que le plaignant ait le droit de présenter des éléments de preuve à l’Office de surveillance et d’être entendu en personne ou par l’intermédiaire d’un avocat, nul (y compris le plaignant) n’a le droit d’être présent pendant les observations faites à l’OSSNR par une autre personne, d’y avoir accès ou de formuler des observations à leur égard.

[52] De plus, comme il a été mentionné dans le rapport du 12 octobre 2023, l’alinéa 52(1)b) de la Loi sur l’OSSNR oblige l’Office de surveillance à consulter les administrateurs généraux afin de s’assurer que le rapport présenté au plaignant en vertu du paragraphe 29(2) ne contient pas d’informations « protégées par le secret professionnel de l’avocat ou du notaire ou par le privilège relatif au litige ». Selon M. Forcese, il serait logiquement incohérent que le législateur ait voulu refuser à l’Office de surveillance l’accès aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat, tout en exigeant que ces renseignements soient expurgés d’un rapport. Voici ce qu’il a écrit : [TRADUCTION] « C’est un principe d’interprétation des lois que le législateur n’entend pas produire de conséquences absurdes [note de bas de page omise]. Par conséquent, la seule interprétation raisonnable est que le législateur avait l’intention de donner à l’Office de surveillance accès aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat, tout en les protégeant contre toute communication ultérieure ».

[53] M. Forcese a également conclu que l’objet de l’article 10 de la Loi sur l’OSSNR appuyait son interprétation de la disposition. La Loi sur l’OSSNR a été adoptée dans le cadre de la Loi de 2017 sur la sécurité nationale (projet de loi C‑59, la Loi concernant des questions de sécurité nationale, 1re session, 42e législature – sanction royale le 21 juin 2019). En plus d’apporter un certain nombre d’autres changements importants au cadre de sécurité nationale du Canada, la Loi de 2017 sur la sécurité nationale a créé l’Office de surveillance afin de regrouper les fonctions d’examen et d’enquête sur les plaintes liées à la sécurité nationale au sein d’un seul organisme. M. Forcese a fait observer que l’objet de cette loi se reflète dans son préambule. Il a notamment souligné que le préambule énonce, entre autres, que la protection de la sécurité nationale et de la sécurité des Canadiens est l’une des responsabilités fondamentales du gouvernement du Canada et que le gouvernement du Canada a l’obligation de s’acquitter de cette responsabilité dans le respect de la primauté du droit et d’une manière qui protège les droits et libertés des Canadiens et qui respecte la Charte canadienne des droits et libertés. Le préambule précise également que « la confiance de la population envers les institutions fédérales chargées d’exercer des activités liées à la sécurité nationale ou au renseignement est tributaire du renforcement de la responsabilité et de la transparence dont doivent faire preuve ces institutions ».

[54] En gardant à l’esprit les objectifs de cette loi, M. Forcese a écrit :

[traduction]

L’Office de surveillance a pour mandat d’enquêter sur les plaintes concernant les activités des organismes de sécurité nationale et de renseignement. Étant donné que ces activités sont menées en secret et qu’elles ont une incidence sur les droits et libertés des Canadiens, le législateur a accordé à l’Office de surveillance un large accès à l’information afin d’assurer une reddition de comptes accrue. Dans de nombreuses enquêtes, la légalité et le caractère raisonnable de ces activités soulèvent des questions juridiques et des questions de compétence complexes, et il incombe à l’Office de surveillance d’évaluer si ces organismes ont agi conformément ou contrairement à tout avis juridique qu’ils ont reçu. Une interdiction générale d’accès à ce genre d’information nuirait à la capacité de l’Office de surveillance à enquêter de façon sérieuse et exhaustive sur les plaintes. Cela irait également à l’encontre de l’intention du législateur de créer un système de responsabilisation et de transparence accrues et d’assurer la confiance du public envers les organismes chargés de la sécurité nationale du Canada.

[55] Enfin, à cet égard, M. Forcese a conclu que, contrairement à l’argument de la GRC selon lequel les différences entre les articles 9 et 10 de la Loi sur l’OSSNR impliqueraient que le législateur avait l’intention d’accorder à l’Office de surveillance des droits d’accès à l’information différents selon qu’il s’agissait d’un examen ou d’une enquête sur une plainte, l’historique législatif de la Loi sur l’OSSNR montre que [traduction] « le législateur avait l’intention de donner à l’Office de surveillance un accès sans entrave à tous les renseignements, à l’exception des documents confidentiels du Cabinet, dans le cadre des enquêtes et des examens ». (Cet historique législatif est exposé ci-dessous.)

[56] En ce qui a trait à la question de savoir si, comme le soutient la GRC, l’Office de surveillance était dessaisi, M. Forcese a rejeté la thèse selon laquelle son pouvoir d’enquêter sur la plainte était épuisé lorsqu’il avait présenté ses rapports en vertu de l’article 29 de la Loi sur l’OSSNR.

[57] Citant longuement l’arrêt Chandler c Alberta Association of Architects, [1989] 2 RCS 848, M. Forcese a reconnu que le principe du functus officio peut s’appliquer aux tribunaux administratifs. Il a également reconnu que, « [e]n règle générale, lorsqu’un tel tribunal a statué définitivement sur une question dont il était saisi conformément à sa loi habilitante, il ne peut revenir sur sa décision simplement parce qu’il a changé d’avis, parce qu’il a commis une erreur dans le cadre de sa compétence, ou parce que les circonstances ont changé » (Chandler, à la p 861).

[58] Toutefois, l’arrêt Chandler reconnaît aussi que l’application de ce principe aux tribunaux administratifs « doit être plus souple et moins formaliste dans le cas de décisions rendues par des tribunaux administratifs qui ne peuvent faire l’objet d’un appel que sur une question de droit » (à la p 862). Ainsi, en plus des cas où la loi habilitante du tribunal administratif l’autorise expressément à rouvrir une affaire, « si le tribunal administratif a omis de trancher une question qui avait été soulevée à bon droit dans les procédures et qu’il a le pouvoir de trancher en vertu de sa loi habilitante, on devrait lui permettre de compléter la tâche que lui confie la loi » (ibid).

[59] Résumant sa compréhension de la jurisprudence pertinente, M. Forcese a fait observer qu’un décideur administratif devrait adopter une approche pragmatique lorsqu’il applique le principe du functus officio, selon lequel toute injustice subie par une personne en raison de la réouverture d’une affaire est évaluée par rapport au préjudice qui résulterait si le tribunal ne remplissait pas son mandat. Selon cette approche, [traduction] « le principe ne s’applique que lorsque les avantages du caractère définitif et de la certitude dans la prise de décision l’emportent sur ceux de la réceptivité à l’évolution des circonstances, aux nouveaux renseignements et aux doutes [guillemets internes et renvoi omis] ». En fait, comme l’a fait remarquer M. Forcese, la Cour fédérale a conclu que le principe ne s’applique pas dans le contexte d’enquêtes menant à des conclusions de fait et à des recommandations, par opposition à une décision exécutoire : voir Cruickshank c Canada (Procureur général), 2004 CF 470 aux para 21-23. Cependant, même si le principe devait s’appliquer aux enquêtes, il faudrait faire preuve d’une « grande souplesse » dans son application (Cruickshank, au para 24).

[60] Pour trois motifs, M. Forcese a conclu que le principe du functus officio ne s’appliquait pas compte tenu des circonstances de l’affaire.

[61] Premièrement, il ne cherchait pas à rouvrir son enquête ni à modifier ses conclusions antérieures. Il poursuivait plutôt une enquête sur des questions expressément laissées en suspens dans ses rapports en raison du refus de la GRC de lui fournir des renseignements pertinents. Si, à certains égards, ses rapports étaient définitifs (parce qu’ils ont finalement tranché certaines questions de fond), à d’autres égards, ils ne l’étaient pas (parce qu’ils laissaient expressément en suspens certaines autres questions). En fait, il avait scindé son enquête et entendait présenter ses rapports finaux au ministre et au commissaire de la GRC (en vertu de l’alinéa 29(1)c)) et au plaignant (en vertu du paragraphe 29(2)) par étapes. Par conséquent, le principe du functus officio ne s’applique pas.

[62] Deuxièmement, ce pouvoir de scinder les questions et de produire des rapports par étapes est conforme au régime législatif de la Loi sur l’OSSNR. M. Forcese a noté que l’article 7.1 de la Loi sur l’OSSNR prévoit que « [s]ous réserve des autres dispositions de la présente loi, l’Office de surveillance peut déterminer la procédure à suivre dans l’exercice de ses attributions ». Il a rejeté l’interprétation que la GRC a donnée à l’article 29 de la Loi sur l’OSSNR selon laquelle, comme le rapport doit être présenté à la fin d’une enquête, la présentation d’un rapport signifie que l’enquête est terminée. Autrement dit, il n’était pas d’accord qu’un rapport puisse être établi en vertu de l’article 29 seulement si l’enquête est terminée. Il a donc rejeté l’argument de la GRC selon lequel, puisqu’il avait remis des rapports en vertu de l’article 29, il devait avoir terminé son enquête et que, par conséquent, il était maintenant dessaisi.

[63] Troisièmement, M. Forcese a conclu que, de toute façon, l’application stricte du principe du functus officio dans les circonstances de l’espèce serait contraire à l’intérêt public :

[traduction]

Comme je l’ai mentionné plus haut, l’objet de la Loi sur l’OSSNR est de renforcer la reddition de comptes et la transparence ainsi que d’assurer la confiance du public envers les organismes de sécurité nationale du Canada. Pour s’acquitter de son mandat, il incombe à l’Office de surveillance d’enquêter sur les plaintes de manière complète et exhaustive après avoir pris en compte tous les renseignements pertinents que l’organisme faisant l’objet de l’enquête a en sa possession ou sous sa garde. Bien qu’il n’y ait aucune injustice envers la GRC si l’Office de surveillance terminait l’enquête, il serait profondément injuste pour le plaignant que la GRC profite de sa propre rétention de renseignements pour échapper à l’obligation de rendre des comptes. Cela contribuerait presque certainement à nourrir les doutes du plaignant au sujet de la conduite de la GRC dans cette affaire et de la capacité de l’Office de surveillance à lui ordonner de rendre des comptes.

[64] En résumé, M. Forcese était convaincu qu’il n’était pas dessaisi et, de plus, que l’Office de surveillance avait le droit d’obtenir d’autres renseignements pertinents que la GRC avait en sa possession ou sous sa garde, même si ces renseignements étaient par ailleurs protégés contre la communication par le secret professionnel de l’avocat. Puisque la GRC refusait de fournir les renseignements qu’il avait demandés, M. Forcese a conclu qu’une assignation visant à la contraindre à les produire devait être délivrée en vertu de l’alinéa 27a) de la Loi sur l’OSSNR.

IV. NORME DE CONTRÔLE

[65] Le demandeur soulève deux questions en l’espèce : premièrement, M. Forcese a-t-il commis une erreur en concluant qu’il n’était pas dessaisi et, deuxièmement, a-t-il commis une erreur en concluant qu’il avait droit à des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat que la GRC avait en sa possession ou sous sa garde? Ces questions font l’objet de normes de contrôle différentes.

[66] Les parties conviennent, tout comme moi, que la décision de M. Forcese selon laquelle il n’était pas dessaisi devrait faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir 9209654 Canada Inc c Canada (Agence des services frontaliers), 2022 CF 1390 aux para 20-22). Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Lorsqu’elle procède à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit « s’intéresse[r] avant tout aux motifs de la décision » du décideur administratif afin d’évaluer la justification de sa décision, en gardant toujours à l’esprit l’historique de l’instance et le contexte administratif dans lequel la décision a été rendue (Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 aux para 58-60). Bien qu’il « tire son origine du principe de la retenue judiciaire et témoigne d’un respect envers le rôle distinct des décideurs », le contrôle selon la norme de la décision raisonnable demeure néanmoins « type de contrôle […] rigoureux » (Vavilov, aux para 12-13; Mason, au para 63).

[67] En revanche, les parties ne s’entendent pas sur la norme de contrôle qui s’applique à la conclusion de M. Forcese selon laquelle, dans le cadre d’une enquête sur une plainte, l’alinéa 10d) de la Loi sur l’OSSNR confère à l’Office de surveillance le droit d’accès aux renseignements pertinents protégés par le secret professionnel de l’avocat que la GRC a en sa possession ou sous sa garde. Le PGC soutient que la norme de contrôle applicable à cette question est celle de la décision correcte, tandis que le défendeur soutient que la norme de la décision raisonnable s’applique également à cette question.

[68] Je suis d’accord avec le PGC.

[69] La question de savoir si l’article 10 de la Loi sur l’OSSNR permet d’écarter le secret professionnel de l’avocat est une question d’une importance capitale pour le système juridique et, à ce titre, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte : voir University of Calgary, aux para 20-26; voir aussi Vavilov, aux para 58-62. Dans l’arrêt University of Calgary, les juges majoritaires ont expressément conclu que la question de savoir si le libellé de la loi est suffisant pour écarter le secret professionnel de l’avocat est une question qui doit être tranchée selon la norme de la décision correcte, car il s’agit d’une question d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble. La norme de la décision correcte doit être appliquée à cette question pour faire en sorte que « les cours de justice [aie]nt le dernier mot sur des questions à l’égard desquelles la primauté du droit exige une cohérence et une réponse décisive et définitive » (Vavilov, au para 53). Les efforts déployés par le défendeur pour démontrer que cette conclusion ne s’applique pas à la question soulevée en l’espèce parce que, au mieux, la présente affaire ne soulève une question importante que pour un domaine pointu et hautement spécialisé du droit, et non pour le système juridique dans son ensemble, ne sont pas convaincants.

[70] Lorsqu’elle applique la norme de la décision correcte, « la cour de révision […] peut choisir de confirmer la décision du décideur administratif ou de lui substituer sa propre conclusion » (Vavilov, au para 54, citant Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 50). « S’il est opportun que la cour de révision tienne compte du raisonnement du décideur administratif – et puisse en fait le trouver convaincant et le faire sien – elle est en fin de compte habilitée à tirer ses propres conclusions sur la question en litige » (Vavilov, au para 54).

V. ANALYSE

A. L’Office de surveillance était-il dessaisi lorsqu’il a délivré l’assignation?

[71] En règle générale, une fois qu’un décideur a rendu une décision définitive à l’égard d’une affaire dont il est saisi, il est dessaisi de cette affaire (Chandler, à la p 861). Comme c’est le cas pour les cours de justice, « la reconnaissance du caractère définitif des procédures devant les tribunaux administratifs se justifie par une bonne raison de principe » (ibid).

[72] Le PGC soutient que, lorsque l’Office de surveillance a présenté son rapport au ministre de la Sécurité publique et au commissaire de la GRC en application de l’alinéa 29(1)c) de la Loi sur l’OSSNR, il s’était pleinement acquitté de son mandat d’enquêter sur la plainte et d’en faire rapport. Il note que l’obligation de l’Office de surveillance de présenter un rapport en vertu de l’alinéa 29(1)c) s’applique « à l’issue d’une enquête sur une plainte ». Le PGC soutient que, puisque l’Office de surveillance a présenté un rapport en vertu de cette disposition, il doit avoir terminé son enquête sur la plainte. Son enquête étant terminée, l’Office de surveillance est dessaisi. Il n’avait donc pas le pouvoir de poursuivre l’enquête sur la plainte; toutes les mesures qu’il a tenté de prendre à cet égard (y compris la délivrance de l’assignation à la GRC, le 14 février 2024) sont nulles.

[73] Je ne suis pas d’accord. À mon avis, M. Forcese a raisonnablement conclu que le principe du functus officio ne l’empêchait pas de prendre les mesures qu’il a prises.

[74] Le PGC soutient que ce principe empêchait l’Office de surveillance de prendre d’autres mesures dans le cadre de son enquête sur la plainte parce qu’il avait terminé son enquête. Selon le PGC, [traduction] « il n’y a plus rien à décider quant au fond des allégations du plaignant et, par conséquent, l’Office de surveillance est dessaisi » (mémoire des faits et du droit du demandeur, paragraphe 83). De même, le PGC soutient que les allégations du plaignant [traduction] « ont été examinées pleinement dans le rapport final, puisque le membre chargé de l’enquête a tiré ses conclusions quant à leur bien-fondé » (mémoire des faits et du droit du demandeur, au paragraphe 87).

[75] C’est inexact.

[76] Comme il est décrit en détail ci-dessus, dans les rapports qu’il a présentés en vertu des paragraphes 29(1) et (2) de la Loi sur l’OSSNR, M. Forcese a expressément indiqué les questions précises laissées en suspens à l’égard desquelles il n’a pas été en mesure de tirer des conclusions ou de formuler des recommandations en raison du refus de la GRC de lui fournir les renseignements qu’il avait demandés. Même s’il avait terminé l’enquête sur la plainte à certains égards et qu’il en avait fait rapport au ministre et au commissaire, il a affirmé dans ses rapports qu’il n’avait pas terminé son enquête sur ces autres questions. Comme il l’a expliqué plus tard dans sa décision procédurale du 14 février 2024, où il rejette l’argument voulant qu’il soit désormais dessaisi, il avait dans les faits scindé la plainte. Il ne s’agit pas en l’espèce d’un cas où le décideur administratif souhaite rouvrir l’affaire parce qu’il a négligé une question ou qu’il a changé d’avis et où l’intérêt de la finalité de la décision pourrait peser plus lourd.

[77] L’article 7.1 de la Loi sur l’OSSNR prévoit ce qui suit : « Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, l’Office de surveillance peut déterminer la procédure à suivre dans l’exercice de ses attributions ». Il est vrai que la Loi sur l’OSSNR ne confère pas expressément à l’Office de surveillance le pouvoir de scinder une plainte, mais elle ne l’en empêche pas non plus. Essentiellement, je ne suis pas convaincu, comme le soutient le PGC, que l’article 29 de cette loi prévoie qu’une enquête sur une plainte ne peut donner lieu qu’à un seul rapport de conclusions et de recommandations, et que la scission d’une plainte serait donc incompatible avec la Loi sur l’OSSNR. Bien que la scission puisse ne pas être la norme, et qu’elle ne soit pas la mesure à privilégier, comme le démontre la présente affaire, les circonstances exigent parfois une approche différente.

[78] Après avoir examiné et évalué la justification qu’a invoquée M. Forcese pour procéder de la sorte, et compte tenu de l’historique de l’instance et du contexte administratif dans lequel la décision a été rendue, je suis convaincu qu’il a agi de façon raisonnable. Comme je viens de le mentionner, je suis d’avis que la procédure qu’il a choisie n’est pas incompatible avec la Loi sur l’OSSNR. Les questions qu’il a laissées en suspens ont été soulevées à juste titre au cours de l’enquête, sa loi constitutive l’habilitait à les trancher, mais les circonstances ne permettaient pas de les trancher en définitive. La solution consistait à scinder la plainte en vue de préparer un deuxième rapport au ministre et au commissaire si d’autres renseignements pertinents étaient tôt ou tard fournis à l’Office de surveillance. Procéder ainsi ne menace pas le principe de la finalité des décisions et ne cause aucune injustice à l’une ou l’autre des parties. Rien ne permet raisonnablement à la GRC de s’étonner que M. Forcese soit revenu sur les questions qu’il avait expressément laissées en suspens. Comme il l’a dit, ses rapports ne sont peut-être pas le dernier mot sur les questions qui y sont abordées. En revanche, retarder la présentation d’un rapport jusqu’à ce que la question de l’accès aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat soit réglée pourrait causer un préjudice au plaignant et irait sans doute à l’encontre de l’intérêt public. Je suis convaincu que, compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, il est raisonnable pour M. Forcese de déterminer la procédure à suivre pour enquêter sur la plainte et en faire rapport.

[79] Cela dit, avec le recul, la procédure qu’il a adoptée n’était pas idéale. M. Forcese était à juste titre préoccupé par le retard pris dans l’enquête sur la plainte, qui avait été soumise à la CCETP en août 2019 et renvoyée à l’Office de surveillance le mois suivant. Pour diverses raisons (notamment le début de la pandémie de COVID‑19), l’enquête a connu de longs retards. M. Forcese a été surpris par le refus de la GRC de fournir des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat et il était manifestement frustré que cela empêche, selon lui, la tenue d’une enquête complète sur la plainte. Sa volonté de fournir au moins quelques réponses au plaignant sans plus tarder est certainement compréhensible. Néanmoins, le fait de procéder comme il l’a fait a entraîné plusieurs répercussions. Premièrement, il y a eu de la confusion quant à l’état d’avancement du rapport du 12 octobre 2023 (ce que M. Forcese a dû clarifier dans une communication subséquente). Deuxièmement, la scission de la plainte a donné lieu à un processus de contrôle judiciaire fragmenté. Pour protéger leurs intérêts, M. El‑Bahnasawy et d’autres ont dû présenter une demande de contrôle judiciaire qui pourrait bien s’avérer inutile (elle est actuellement mise en suspens). Troisièmement, en se penchant de nouveau sur l’affaire peu de temps après l’introduction de la demande de contrôle judiciaire, M. Forcese a donné l’impression malheureuse qu’il tentait de contourner cette demande (même s’il avait de bonnes intentions). Enfin, la procédure suivie a donné lieu à la question de savoir si l’Office de surveillance était dessaisi, question qui a ensuite dû être tranchée par M. Forcese et qui est maintenant soulevée à nouveau dans la présente demande, ce qui a ajouté à l’incertitude du processus.

[80] Je tiens également à souligner que l’Office de surveillance disposait d’autres options qui auraient pu éviter toutes ces difficultés. L’une d’entre elles qui me vient immédiatement à l’esprit aurait été de délivrer une assignation lorsque la GRC s’est opposée pour la première fois à la communication de renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat, en avril 2022. Si la GRC avait demandé l’annulation de l’assignation, la question du droit d’accès de l’Office de surveillance aurait pu être tranchée rapidement par notre Cour, ce qui aurait permis à l’enquête de se terminer sur la foi des renseignements que l’Office de surveillance était légalement autorisé à obtenir. Une autre solution aurait été de renvoyer une question de droit à notre Cour en application du paragraphe 18.3(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, dès que la GRC s’est opposée à la communication des renseignements. Encore une fois, avec le recul, en plus d’éviter toutes les complications découlant de la façon dont l’Office de surveillance a choisi de procéder, il semble probable que l’une ou l’autre de ces mesures aurait permis de terminer l’enquête plus rapidement qu’elle ne l’a été (même si, comme cela semble également probable, la GRC a continué de résister à la communication des renseignements en question).

[81] Malgré ces difficultés, comme je l’ai dit, je suis convaincu que M. Forcese a agi raisonnablement dans des circonstances difficiles. La Cour n’a aucune raison d’intervenir.

B. L’Office de surveillance a-t-il le droit d’obtenir des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat dans le cadre d’une enquête sur une plainte?

(1) Introduction

[82] Le PGC soutient que M. Forcese a commis une erreur en concluant que, dans le cadre d’une enquête sur une plainte, l’article 10 de la Loi sur l’OSSNR habilite l’Office de surveillance à obtenir de la GRC des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat. Il fait valoir que, si l’article 9 de la Loi sur l’OSSNR permet à l’Office de surveillance d’avoir accès aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat dans le cadre des examens, il en va autrement de l’article 10 en ce qui concerne les enquêtes sur les plaintes. Selon le PGC, lorsqu’on compare l’article 10 à l’article 9, il est évident que le législateur n’a pas voulu que l’Office de surveillance ait droit aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat dans le cadre des enquêtes sur les plaintes.

[83] Je ne souscris pas à cette interprétation de l’article 10 de la Loi sur l’OSSNR.

[84] Comme je l’explique plus loin, bien qu’il existe des différences importantes entre les articles 9 et 10, je ne suis pas convaincu qu’elles démontrent que le législateur voulait que l’Office de surveillance ait accès aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat dans le cadre d’examens, mais non dans le cadre d’enquêtes sur des plaintes. Je suis d’accord avec M. Forcese que ces différences traduisent le fait que les examens mettent en jeu le secret professionnel de l’avocat sur le plan du fond, tandis que les enquêtes sur les plaintes ne mettent en jeu ce privilège que sur le plan de la preuve. Je suis convaincu que l’article 10 limite la protection du secret professionnel de l’avocat sur le plan de la preuve dans les enquêtes sur les plaintes (ce qui empêcherait autrement la communication de tels renseignements dans ce contexte) et, par conséquent, que l’Office de surveillance a droit aux renseignements pertinents protégés par le secret professionnel de l’avocat que l’organisme contre lequel la plainte a été déposée a en sa possession ou sous sa garde. À mon avis, l’interprétation de l’article 10 dans le contexte de l’ensemble de la Loi sur l’OSSNR – et pas seulement en comparaison avec l’article 9 – appuie cette conclusion. Cette interprétation est également étayée par l’objet de l’article 10, par les objectifs de la Loi sur l’OSSNR dans son ensemble et par l’historique législatif de cette loi. Enfin, je ne suis pas convaincu que le fait que l’Office de surveillance ait le droit d’obtenir des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat lorsqu’il enquête sur une plainte contre la GRC empiéterait de manière inadmissible sur l’indépendance de la poursuite, comme le soutient l’intervenant DPP.

[85] Il convient, avant d’examiner ces questions, d’énoncer quelques principes généraux d’interprétation des lois ainsi que certains principes particuliers relatifs aux lois susceptibles d’avoir une incidence sur le secret professionnel de l’avocat.

(2) Principes d’interprétation des lois

[86] Comme il a été signalé plus haut, le sens d’une disposition législative est déterminé en fonction de son texte, de son contexte et de son objet. Pour reprendre la formulation souvent citée de Driedger du principe moderne d’interprétation des lois, [TRADUCTION] « on doit lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur ».

[87] Selon ce principe, la cour doit interpréter le libellé d’une loi « selon une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble » (R c Downes, 2023 CSC 6 au para 24, citant Canada Trustco Mortgage Co c Canada, 2005 CSC 54 au para 10). Cela dit, il n’est pas nécessaire d’examiner le texte, le contexte et l’objet séparément ou selon une formule précise, « car ces éléments sont souvent étroitement liés ou interdépendants » (Piekut c Canada (Revenu national), 2025 CSC 13 au para 43).

[88] L’approche moderne reconnaît que le contexte doit jouer un rôle important lorsqu’une cour interprète le libellé d’une loi (voir Bell ExpressVu Limited Partnership c Rex, 2002 CSC 42 au para 27). L’interprétation des lois « ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi » parce que [traduction] « les mots, comme les gens, prennent la couleur de leur environnement » (Piekut, au para 44, citant Rizzo & Rizzo Shoes, au para 21, et Bell ExpressVu, au para 27). Par conséquent, « le sens ordinaire du texte n’est pas déterminant en soi et doit être examiné au regard des autres indicateurs du sens de la loi – le contexte, l’objet de la disposition ainsi que les normes juridiques pertinentes » (La Presse inc c Québec, 2023 CSC 22 au para 23; voir aussi R c Alex, 2017 CSC 37, au para 31, et Piekut, au para 45). Parallèlement, « de la même manière que le texte doit être examiné au regard du contexte et de l’objet, l’objet d’une loi et celui d’une disposition doivent être examinés en gardant continuellement un œil attentif sur le texte de la loi, lequel demeure le point d’ancrage de l’opération d’interprétation » (Piekut, au para 45, citant Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c Directrice de la protection de la jeunesse du CISSS A, 2024 CSC 43 au para 24).

[89] Comme l’a également fait observer la Cour suprême du Canada, « [d]e nombreuses règles traditionnelles d’interprétation législative sont prises en compte dans l’application du principe moderne » (Piekut, au para 47). La Cour a retenu l’explication suivante de la professeure Ruth Sullivan sur le rôle que jouent ces règles traditionnelles :

[traduction]

[…] les interprètes sont guidés par ce que l’on appelle les « règles » d’interprétation législative. Elles décrivent les éléments de preuve sur lesquels s’appuient les tribunaux et les techniques que ceux‑ci utilisent pour parvenir à un résultat juridiquement acceptable. Les règles associées à l’analyse textuelle, par exemple l’exclusion implicite ou la règle voulant que les mêmes termes aient le même sens, aident les interprètes à déterminer le sens du texte législatif. Les règles régissant l’utilisation des aides extrinsèques indiquent ce que les interprètes peuvent considérer, outre le texte, pour déterminer l’intention du législateur. L’interprétation stricte, l’interprétation libérale et les présomptions concernant l’intention du législateur aident les interprètes à inférer l’objet et à tester l’acceptabilité des résultats.

(Piekut, au para 47, citant R. Sullivan, The Construction of Statutes (7e éd 2022) au § 2.01[4])

[90] La Cour a également adopté le résumé de la directive principale énoncé par la professeure Sullivan dans l’interprétation législative :

[traduction]

[…] après avoir pris en compte toutes les considérations pertinentes et recevables […] le tribunal doit adopter une interprétation qui est appropriée. Constitue une interprétation appropriée une interprétation qui peut se justifier en raison a) de sa plausibilité, c’est‐à‐dire qu’elle est conforme au texte législatif, b) de son efficacité, c’est‑à‑dire qu’elle favorise la réalisation de l’intention du législateur et c) de son acceptabilité, c’est‑à‑dire que le résultat obtenu est conforme aux normes juridiques admises; il s’agit d’une interprétation juste et raisonnable.

(Piekut, au para 49, citant R. Sullivan (2022) au § 2.01[4])

(3) Principes d’interprétation des lois touchant le secret professionnel de l’avocat

[91] Le secret professionnel de l’avocat est d’une importance fondamentale pour le système de justice au Canada, mais il n’est pas absolu (R c McClure, 2001 CSC 14 au para 4). Il doit parfois céder le pas à d’autres intérêts, que ce soit en common law (par exemple lorsque l’innocence est en jeu dans une procédure pénale) ou en droit législatif. Comme je l’ai déjà mentionné, si le secret professionnel de l’avocat constitue un principe fondamental du droit, « la disposition législative dont l’objet est de le supprimer, de l’écarter ou d’y porter atteinte doit être interprétée de manière restrictive et l’intention du législateur doit y être claire et non équivoque » (University of Calgary, au para 28). En somme, « le secret professionnel de l’avocat ne peut être écarté par inférence, mais seulement au moyen d’un libellé législatif clair, explicite et non équivoque » (University of Calgary, au para 2).

[92] Dans l’Arrêt Blood Tribe, le juge Binnie, s’exprimant au nom de la Cour, a déclaré que « les dispositions législatives susceptibles (si elles sont interprétées de façon large) d’autoriser des atteintes au privilège du secret professionnel de l’avocat doivent être interprétées de manière restrictive. Le privilège ne peut être supprimé par inférence. On considérera ainsi qu’une disposition d’acception large régissant la production de documents ne vise pas les documents protégés par le secret professionnel de l’avocat » (au para 24). (Dans l’arrêt Blood Tribe, la question en litige était celle de savoir si le pouvoir que la loi conférait au commissaire à la protection de la vie privée de contraindre une personne à produire tous les documents qu’il estime nécessaires pour faire enquête sur une plainte « de la même façon et dans la même mesure qu’une cour supérieure d’archives » et de « recevoir les éléments de preuve ou les renseignements […] qu’il estime indiqués, indépendamment de leur admissibilité devant les tribunaux » autorisait le commissaire à examiner des documents pour lesquels le secret professionnel de l’avocat a été revendiqué afin de déterminer si la revendication est justifiée. La Cour a conclu que ce libellé général de la loi ne suffisait pas à permettre au commissaire d’avoir accès à de tels documents.)

[93] De même, s’exprimant au nom de la Cour, le juge Wagner (maintenant juge en chef) et le juge Gascon ont affirmé ce qui suit dans l’arrêt Canada (Revenu national) c Thompson, 2016 CSC 21 (au para 25) :

[…] un tribunal ne peut conclure du libellé d’une disposition législative que le secret professionnel de l’avocat est supprimé à l’égard de certains renseignements que si ce libellé révèle l’intention claire du législateur d’arriver à ce résultat. Une telle intention ne peut simplement être inférée de la nature du régime législatif ou de son historique, bien que ceux‑ci puissent offrir un contexte à l’appui lorsque le texte de la disposition est déjà suffisamment clair. Cependant, lorsque la disposition n’est pas claire, il ne faut pas considérer qu’elle vise à soustraire à la protection du secret professionnel de l’avocat des communications ou des documents qui en bénéficieraient normalement.

[94] Dans l’arrêt University of Calgary, après avoir cité ce passage de l’arrêt Thompson, la juge Côté a ajouté que cette exigence, qui découle de l’arrêt Blood Tribe, « ne constitue pas un abandon de la méthode moderne d’interprétation des lois » et n’appuie pas non plus le retour à la règle du sens ordinaire ou l’adoption d’une règle d’interprétation stricte dans ce contexte (au para 29). Au contraire, selon elle, l’arrêt Blood Tribe « n’empêche pas […] de recourir à cette méthode à l’égard de termes censés supprimer un privilège » (ibid). Selon elle, l’analyse faite dans cet arrêt « traduit essentiellement le recours à la méthode moderne pour se prononcer sur le secret professionnel de l’avocat, dans la mesure où cette méthode reconnaît le respect des valeurs fondamentales par le législateur » (ibid). La juge Côté a conclu qu’il s’agissait de l’approche suivie dans l’arrêt Thompson, qui avait été tranché quelques mois avant l’arrêt University of Calgary, ajoutant que « c’est la démarche que j’adopte en l’espèce » (ibid).

(4) Texte et contexte

[95] L’alinéa 10d) de la Loi sur l’OSSNR prévoit que, lorsqu’il mène une enquête sur une plainte contre la GRC, l’Office de surveillance a le droit, malgré toute autre loi fédérale et « toute immunité reconnue par le droit de la preuve » (« any privilege under the law of evidence ») d’avoir accès en temps opportun aux renseignements relatifs à la plainte que la CCETP, la GRC, le SCRS ou le CST a en sa possession ou sous sa garde, exception faite des documents confidentiels du Cabinet. Le même droit est accordé à l’égard des enquêtes sur les plaintes relatives au SCRS et au CST (voir les alinéas 10a), b) et c) de la Loi sur l’OSSNR).

[96] La présente demande soulève une question apparemment simple : l’expression « toute immunité reconnue par le droit de la preuve » inclut-elle le secret professionnel de l’avocat? À première vue, la réponse peut sembler évidente. Le secret professionnel de l’avocat est assurément une immunité reconnue par le droit de la preuve. À l’instar du privilège accordé aux indicateurs de police ou du critère énoncé par Wigmore pour le privilège au cas par cas, par exemple, le secret professionnel de l’avocat protège certains renseignements contre la communication dans le cadre des instances judiciaires : voir Smith c Jones, [1999] 1 RCS 455 aux para 45-47; et R c McClure, 2001 CSC 14 aux para 26-33. On pourrait donc penser qu’il est tout aussi évident qu’un organisme décisionnel auquel on confère le droit d’accès des renseignements « malgré […] toute immunité reconnue par le droit de la preuve » a le droit d’obtenir ces renseignements même s’il est protégé par le secret professionnel de l’avocat (ou par toute autre immunité reconnue par le droit de la preuve). Comme nous l’avons vu, c’est ainsi que M. Forcese a considéré les choses.

[97] Le PGC souligne les points qui suivent lorsqu’il soutient que l’interprétation que M. Forcese donne à l’article 10 de la Loi sur l’OSSNR est erronée.

[98] Premièrement, ailleurs dans la Loi de l’OSSNR (y compris, et c’est essentiel, à l’article 9), le législateur mentionne expressément le secret professionnel de l’avocat, mais il ne le fait pas à l’article 10. Selon la présomption d’uniformité d’expression, le sens des mots employés dans les lois demeure le même, car [traduction] « le législateur est présumé employer des mots de telle sorte que les mêmes termes ont le même sens, dans une même loi ainsi que d’une loi à l’autre » : R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (6e éd. 2014), p. 217. De même, il faut tenir pour acquis que le législateur a délibérément choisi des termes différents « dans le but d’indiquer un sens différent » (Agraira, au para 81). Cela donne à penser que, lorsque le législateur n’emploie pas l’expression « secret professionnel de l’avocat » à l’article 10 (contrairement à l’article 9) et qu’il emploie plutôt une expression différente (« toute immunité reconnue par le droit de la preuve »), il doit y signifier quelque chose de différent, c’est-à-dire que l’expression ne doit pas faire référence au secret professionnel de l’avocat.

[99] Deuxièmement, le paragraphe 9(2) de la Loi sur l’OSSNR prévoit que, dans le contexte d’un examen, l’Office de surveillance a « le droit d’avoir accès aux informations qui sont protégées par toute immunité reconnue par le droit de la preuve, par le secret professionnel de l’avocat ou du notaire ou le privilège relatif au litige ». La présomption d’absence de tautologie – présomption selon laquelle le législateur « est présumé ne pas utiliser de mots superflus ou dénués de sens, ne pas se répéter inutilement ni s’exprimer en vain » (Thompson, au para 32, citant Sullivan (2014) à la p 211) – suggère que, dans ce contexte, « toute immunité reconnue par le droit de la preuve » et le secret professionnel de l’avocat doivent être des notions distinctes. Autrement dit, au moins au paragraphe 9(2) de la Loi sur l’OSSNR, le premier n’inclut pas le second. Le législateur a dû ajouter les mots après « toute immunité reconnue par le droit de la preuve » parce qu’ils ajoutent quelque chose. Les références au secret professionnel de l’avocat (et ainsi de suite) doivent jouer un rôle précis dans la réalisation de l’objet de la loi qui, autrement, ferait défaut si elles n’étaient pas incluses et si la disposition ne renvoyait qu’à « toute immunité reconnue par le droit de la preuve » (voir Placer Dome Canada Ltd c Ontario (Ministre des Finances), 2006 CSC 20 au para 45; et McDiarmid Lumber Ltd c Première Nation de God’s Lake, 2006 CSC 58 au para 36). Fait à noter, l’expression « toute immunité reconnue par le droit de la preuve » n’est pas suivie des mots « y compris ». Si l’on appuie encore une fois sur la présomption d’uniformité d’expression, lorsque l’expression « toute immunité reconnue par le droit de la preuve » réapparaît à l’article 10, elle ne doit pas non plus inclure le secret professionnel de l’avocat.

[100] Troisièmement, l’un des facteurs dont la Cour a tenu compte lorsqu’elle a conclu, dans l’arrêt University of Calgary, que l’expression [traduction] « privilège que reconnaît le droit de la preuve » ne visait pas à lever le secret professionnel de l’avocat et que l’absence d’une disposition précisant si la communication de documents protégés par le secret professionnel de l’avocat au commissaire en application de la loi constitue une renonciation au privilège : voir University of Calgary au para 58. Le paragraphe 9(3) de la Loi sur l’OSSNR prévoit que la communication à l’Office de surveillance, en vertu de cet article, « d’informations protégées par le secret professionnel de l’avocat ou du notaire ou par le privilège relatif au litige ne constitue pas une renonciation au secret professionnel ou au privilège ». En revanche, l’article 10 ne contient aucune disposition de ce genre. Selon le PGC, cela donne à penser que, bien que le droit à l’information prévu à l’article 9 inclue les renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat, ce n’est pas le cas du droit à l’information prévu à l’article 10.

[101] En somme, le législateur a décrit le droit de l’Office de surveillance à l’information différemment, selon qu’il s’agit d’un examen (article 9) ou d’une enquête sur une plainte (article 10). Selon le PGC, ces différences suggèrent que, même si le législateur voulait que l’Office de surveillance ait accès aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat lorsqu’il effectue un examen, il ne voulait pas que l’Office de surveillance ait accès aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat lorsqu’il enquête sur des plaintes. À tout le moins, lorsque l’article 10 est interprété dans le contexte de l’article 9, on ne peut pas dire qu’il écarte clairement, explicitement et sans équivoque le secret professionnel de l’avocat dans le cadre des enquêtes sur les plaintes.

[102] Comme je l’ai déjà dit, je ne déduirais pas des différences entre les articles 9 et 10 de la Loi sur l’OSSNR que le législateur voulait que l’Office de surveillance n’ait accès aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat que dans le cadre des examens, et non dans le cadre des enquêtes sur les plaintes. À mon avis, les différences entre les dispositions ne traduisent pas des intentions différentes du législateur, mais plutôt les différentes façons dont le secret professionnel de l’avocat peut être mis en jeu dans le cadre des activités de l’Office de surveillance, selon que ce dernier procède à un examen ou à une enquête sur une plainte. Je suis d’accord avec M. Forcese que les examens mettent en jeu le secret professionnel de l’avocat, sur le plan du fond, tandis que les enquêtes sur les plaintes mettent en jeu le secret professionnel de l’avocat sur le plan de la preuve. Compte tenu des conclusions de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt University of Calgary, le libellé de l’article 9 était nécessaire pour écarter la protection de fond du secret professionnel de l’avocat dans le contexte d’un examen. En revanche, une demande de renseignements qui sera utilisée exclusivement par l’Office de surveillance dans le cadre d’une enquête sur une plainte ne met en jeu que le secret professionnel de l’avocat sur le plan – beaucoup plus restreint – de la preuve. À mon avis, le libellé de l’article 10 de la Loi sur l’OSSNR est juridiquement suffisant pour remédier à cette situation.

[103] Le secret professionnel de l’avocat n’était autrefois qu’une règle de preuve, mais il est maintenant devenu une règle de fond (University of Calgary, au para 38, citant l’arrêt Blood Tribe, au para 10; Thompson, au para 17; et Canada (Procureur général) c Chambre des notaires du Québec, 2016 CSC 20 au para 28). En tant que règle de preuve, le secret professionnel de l’avocat « faisait en sorte que le client et son avocat n’avaient pas à produire leurs communications confidentielles en preuve dans le cadre d’une instance judiciaire » (University of Calgary, au para 39). Depuis au moins l’arrêt Solosky c La Reine, [1980] 1 RCS 821, la règle traditionnelle a été étendue au-delà du contexte de la salle d’audience et placée « sur un plan nouveau » (Solosky, à la p 836). Bien que cette règle protège toujours les communications confidentielles entre un avocat et son client contre la divulgation dans le cadre d’un litige, elle protège maintenant ces communications contre la divulgation à l’extérieur de ce contexte (University of Calgary, au para 41).

[104] Dans l’arrêt University of Calgary, la juge Côté a conclu que la demande de documents à l’égard desquels le secret professionnel de l’avocat était invoqué mettait en jeu le privilège, en tant que règle de fond plutôt qu’en tant de règle de preuve. Indépendamment de toute procédure judiciaire, un délégué du commissaire à l’information et à la protection de la vie privée avait demandé à l’université de produire certains documents qu’elle a refusé de communiquer en réponse à une demande d’accès à l’information au motif qu’ils étaient protégés par le secret professionnel de l’avocat. Le délégué a demandé les documents afin de déterminer si l’université avait revendiqué à bon droit le secret professionnel de l’avocat. Si le privilège n’était pas revendiqué à bon droit, l’université serait tenue, toutes choses étant par ailleurs égales, de communiquer les documents à la partie qui les a demandés. Comme l’a expliqué la juge Côté, il ne s’agissait pas « d’un cas où nous avons à traiter du dépôt en preuve de documents protégés dans le cadre d’une procédure. Nous avons plutôt affaire à la communication de documents en application d’un régime d’accès à l’information établi par une loi, indépendamment d’une instance judiciaire » (University of Calgary, au para 42). Le commissaire, a-t-elle souligné, n’entendait pas « examiner les documents protégés par le secret professionnel de l’avocat comme s’il s’agissait d’une preuve à partir de laquelle serait tranché un litige » (ibid). L’absence de toute question de témoignages « fait ressortir l’application du secret professionnel de l’avocat en tant que règle de fond, plutôt que comme règle de preuve » (ibid).

[105] Il est intéressant de noter que, dans ses motifs concordants quant au résultat, le juge Cromwell s’est dit d’avis, contrairement à la conclusion des juges majoritaires, que la demande de documents du commissaire ne mettait en jeu que le secret professionnel de l’avocat sur le plan de la preuve. Comme il l’a dit, « [l]’intimé demande qu’on le soustraie à l’obligation de produire les documents exigés par la Commissaire en vertu de ses pouvoirs. Nous sommes donc saisis d’une demande de protection contre une communication requise par la loi, ce qui relève nettement du privilège en matière de preuve à laquelle renvoie expressément la disposition législative [renvoi omis] » (University of Calgary, au para 87). À son avis, en adoptant une loi autorisant le commissaire à exiger la production de documents malgré tout « privilège que reconnaît le droits de la preuve », le législateur « a exprimé une intention claire de permettre au commissaire et à ses délégués d’ordonner la production de documents dans le cadre d’une enquête afin de se prononcer sur l’application du secret professionnel de l’avocat invoqué à leur égard » (au para 120). Autrement dit, puisque seul le secret professionnel de l’avocat, en tant que privilège en matière de preuve, entrait en jeu, le libellé de la loi suffisait à l’écarter.

[106] Pour en revenir à l’analyse des juges majoritaires, bien que la juge Côté ait conclu que d’autres aspects du régime législatif appuyaient sa conclusion finale, c’est fondamentalement parce que le secret professionnel de l’avocat entrait en jeu sur le fond, et non sur le plan de la preuve, que la disposition prévoyant le droit d’accès à l’information, malgré tout « privilège que reconnaît le droit de la preuve », a été jugée insuffisante pour conférer au commissaire le pouvoir d’exiger la production des documents en question. C’est dans ce contexte qu’il faut interpréter l’affirmation de la juge Côté selon laquelle « l’expression [TRADUCTION] “privilège que reconnaît le droit de la preuve” n’englobe pas le secret professionnel de l’avocat » (University of Calgary, au para 2).

[107] Je suis d’accord avec M. Forcese que, contrairement au régime en cause dans l’arrêt University of Calgary, le régime d’enquête sur les plaintes prévu par la Loi sur l’OSSNR met en jeu le secret professionnel de l’avocat sur le plan de la preuve, et non sur le plan du fond. Lorsqu’il fait enquête sur une plainte, l’Office de surveillance s’engage dans une procédure décisionnelle. En ce qui a trait aux plaintes, l’Office de surveillance a, en vertu de l’article 27 de la Loi sur l’OSSNR, le pouvoir d’assigner et de contraindre des témoins à comparaître devant lui, à déposer verbalement ou par écrit et à produire « les pièces qu’il juge indispensables pour instruire et examiner à fond les plaintes, de la même façon et dans la même mesure qu’une cour supérieure d’archives ». Il a également le pouvoir de recevoir et d’accepter les éléments de preuve et autres renseignements qu’il juge appropriés, « indépendamment de leur admissibilité devant les tribunaux ».

[108] En l’espèce, l’Office de surveillance cherchait à obtenir des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat comme éléments de preuve nécessaires à l’enquête complète d’une plainte déposée contre la GRC afin de tirer des conclusions au sujet de cette plainte et de formuler les recommandations qu’il jugeait appropriées à cet égard. Tout document privilégié communiqué à l’Office de surveillance pourrait bien suffire en soi (et pourrait être reçu comme tel et utilisé par l’Office de surveillance pour s’appuyer sur celui-ci), mais il pourrait également mener à l’interrogatoire de témoins concernant les avis juridiques demandés ou obtenus par la GRC dans le cadre de son enquête sur Abdulrahman. Normalement, le secret professionnel de l’avocat, en tant que règle de preuve, empêcherait l’Office de surveillance d’obtenir de tels renseignements ou d’enquêter sur de telles questions. En prévoyant qu’il peut obtenir des renseignements de la GRC en dépit de « toute immunité reconnue par le droit de la preuve », l’alinéa 10d) garantit que les revendications du secret professionnel de l’avocat n’empêcheront pas l’Office de surveillance de s’acquitter de son mandat légal d’enquêter sur les plaintes déposées contre la GRC en matière de sécurité nationale et d’en faire rapport.

[109] Par contre, dans le cadre d’un examen, une demande de renseignements présentée par l’Office de surveillance met en jeu le secret professionnel de l’avocat, sur le plan du fond, et non sur le plan de la preuve. Comme l’a fait remarquer M. Forcese, contrairement aux enquêtes sur les plaintes, [traduction] « les examens ne sont pas des procédures quasi judiciaires au cours desquelles les parties présentent des éléments de preuve et l’Office de surveillance tranche un litige ». Il s’agit plutôt d’un « processus non décisionnel dans le cadre duquel l’Office de surveillance a le vaste mandat d’examiner toute activité d’un ministère fédéral liée à la sécurité nationale ou au renseignement, et de faire rapport de ses conclusions et recommandations à l’organe exécutif ». C’est la raison pour laquelle, à la suite de l’arrêt University of Calgary, le libellé explicite de l’article 9 de la Loi sur l’OSSNR était nécessaire pour garantir que, lorsqu’il effectue un examen, l’Office de surveillance a accès aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat. (Je reviendrai sur ce point plus loin lorsque j’examinerai l’historique législatif de la Loi sur l’OSSNR.)

[110] La proposition selon laquelle le libellé précis de l’article 9 tient compte du fait que la fonction d’examen met en jeu le secret professionnel de l’avocat sur plan du fond plutôt que sur le plan de la preuve est également étayée par le fait que l’on retrouve des libellés très semblables dans les lois régissant d’autres organismes ayant un mandat s’apparentant à un examen dans le domaine de la sécurité nationale, par opposition au mandat de règlement des plaintes : voir la Loi sur le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, LC 2017, c 15, art 13; et la Loi sur le commissaire au renseignement, LC 2019, c 13, art 50, art 23. Cette dernière disposition est particulièrement intéressante parce que, comme la Loi de l’OSSNR, elle a été adoptée dans le cadre de la Loi de 2017 sur la sécurité nationale. (Je reviendrai également sur ce point dans la section suivante.)

[111] Compte tenu de cette différence importante entre les examens et les enquêtes sur les plaintes, et vu les objectifs distincts des articles 9 et 10 de la Loi sur l’OSSNR, il ne découle pas du fait que le secret professionnel de l’avocat n’est pas inclus dans l’expression « toute immunité reconnue par le droit de la preuve », à l’article 9 de la Loi sur l’OSSNR, qu’il n’est pas inclus non plus dans même expression à l’article 10. Conclure autrement (comme le préconise le PGC), c’est omettre de lire les expressions dans le contexte dans lequel elles apparaissent, comme l’exige le principe moderne d’interprétation des lois. Autrement dit, la présomption d’uniformité d’expression est ici réfutée par un autre principe d’interprétation, à savoir : l’exigence d’interpréter les termes d’une loi en contexte (voir R c Steele, 2014 CSC 61 au para 51).

[112] En résumé, je suis d’accord avec M. Forcese pour dire que, compte tenu du contexte particulier dans lequel l’article 10 s’applique, l’expression « toute immunité reconnue par le droit de la preuve », telle qu’utilisée, inclut le secret professionnel de l’avocat sur le plan de la preuve (ainsi que d’autres privilèges en matière de preuve). Je conviens également avec M. Forcese que, par conséquent, l’article 10 est juridiquement suffisant pour surmonter toute opposition à la communication des renseignements pertinents à l’Office de surveillance dans le contexte d’une enquête sur une plainte au motif que ces renseignements seraient protégés par le secret professionnel de l’avocat.

[113] Cette interprétation de l’article 10 est étayée par d’autres dispositions de la Loi de l’OSSNR. J’en souligne quatre en particulier, ci-dessous.

[114] Premièrement, comme je l’ai déjà souligné, l’alinéa 27c) de la Loi sur l’OSSNR prévoit que, dans le cadre de l’examen d’une plainte, l’Office de surveillance a le pouvoir « de recevoir des éléments de preuve ou des informations par déclaration verbale ou écrite sous serment ou par tout autre moyen qu’il estime indiqué, indépendamment de leur admissibilité devant les tribunaux ». À elle seule, cette disposition pourrait bien ne pas avoir suffi à accorder à l’Office de surveillance l’accès aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat (voir l’arrêt Blood Tribe, au para 2). Toutefois, ensemble, l’article 10 et l’alinéa 27c) font en sorte que l’Office de surveillance peut obtenir et utiliser tous les éléments de preuve et autres renseignements qu’il juge nécessaires à l’enquête complète d’une plainte (à l’exception des documents confidentiels du Cabinet).

[115] Deuxièmement, comme l’a souligné M. Forcese, l’alinéa 52(1)b) exige que tout renseignement protégé par le secret professionnel de l’avocat soit retiré du rapport d’enquête remis au plaignant. Je conviens que le législateur n’aurait pas adopté l’alinéa 52(1)b) (du moins dans la mesure où il s’applique aux rapports visés aux paragraphes 29(2) et (3)) s’il n’avait pas envisagé que l’Office de surveillance puisse avoir accès aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat dans le cadre d’enquêtes sur des plaintes. De plus, cette disposition renforce le fait que c’est l’Office de surveillance qui se prononce sur une plainte; il ne s’agit pas de statuer sur une revendication de privilège. En dépit de la communication de renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat à l’Office de surveillance, le privilège demeure par ailleurs intact.

[116] Troisièmement, les paragraphes 52(1), 25(1) (qui exigent que l’enquête sur les plaintes se déroule en secret) et 25(2) (qui dispose qu’aucune partie n’a le droit d’être présente pendant les observations faites à l’Office de surveillance, d’y avoir accès ou de formuler des observations sur celles-ci) contribuent ensemble à faire en sorte que toute restriction du secret professionnel de l’avocat ne soit pas supérieure à ce qui est nécessaire pour que l’Office de surveillance s’acquitte pleinement et efficacement de son mandat de faire enquête sur la plainte. Cette situation contraste avec le régime législatif en cause dans l’arrêt University of Calgary, dont on a conclu qu’aucune mesure de protection de ce genre n’était prévue (University of Calgary, au para 58). Cela étaye davantage la conclusion selon laquelle le législateur avait l’intention que l’article 10 écarte le secret professionnel de l’avocat dans le cadre d’enquêtes sur des plaintes. De plus, à mon avis, compte tenu de toutes ces protections, et vu les fins précises auxquelles l’Office de surveillance utiliserait les renseignements privilégiés qu’il obtiendrait, le législateur n’avait pas besoin de déclarer « il demeure entendu » que la communication de renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat à l’Office de surveillance, en application de l’article 10, ne constituait pas une renonciation à ce privilège, comme il l’a fait à l’article 9. Autrement dit, je ne crois pas que l’absence d’une telle disposition aille à l’encontre de l’interprétation de l’article 10 retenue en l’occurrence.

[117] Quatrièmement, le mandat de l’Office de surveillance consiste, entre autres, à « examiner l’exercice par les ministères de leurs activités liées à la sécurité nationale ou au renseignement » (Loi sur l’OSSNR, alinéa 8(1)b)). La GRC est un « ministère » au sens de la cette loi (voir l’article 2 de la Loi sur l’OSSNR et la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC 1985, c F‑11, annexe I.1). Par conséquent, il serait loisible à l’Office de surveillance d’entreprendre de sa propre initiative un examen des activités de la GRC relativement à Abdulrahman El‑Bahnasawy, soit de façon ponctuelle, soit dans le cadre d’un examen plus vaste des activités de la GRC liées à la sécurité nationale. Si tel était le cas, il ne ferait aucun doute que, conformément à l’article 9 de la Loi sur l’OSSNR, l’Office de surveillance aurait le droit d’obtenir les renseignements pertinents protégés par le secret professionnel de l’avocat que la GRC a en sa possession ou sous sa garde.

[118] À mon avis, il est tout simplement insensé que ce soit le cas, mais lorsqu’il enquête sur une plainte concernant les mêmes activités, l’Office de surveillance n’aurait pas droit aux mêmes renseignements, comme le soutient le PGC.

[119] Le PGC tente de distinguer les deux situations en laissant entendre que les renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat sont pertinents dans le cadre d’un examen, mais non dans le cadre d’une enquête sur une plainte. Le PGC soutient que les examens portent sur des politiques et des pratiques institutionnelles plus générales (qui auront vraisemblablement fait l’objet d’avis juridiques), tandis que les enquêtes portent sur le règlement d’un différend précis entre les parties et que tout avis juridique qui aurait pu être fourni relativement aux activités qui ont donné lieu à la plainte n’est pas pertinent. Selon le PGC, cela explique pourquoi l’Office de surveillance a accès aux avis juridiques dans un contexte, mais non dans l’autre.

[120] Je ne peux accepter cet argument. Les avis juridiques peuvent être pertinents ou non dans le cadre d’une plainte : tout dépend des circonstances de l’affaire. En l’espèce, M. Forcese a exposé de façon convaincante les raisons pour lesquelles il jugeait que les renseignements qu’il cherchait à obtenir étaient pertinents pour son enquête sur la plainte. C’est une conclusion à laquelle il pouvait arriver en vertu du paragraphe 11(2) de la Loi sur l’OSSNR. De plus, comme l’a souligné l’honorable Dennis O’Connor dans son rapport intitulé Un nouveau mécanisme d’examen des activités de la GRC en matière de sécurité nationale (2006) (à la p 598), la Couronne joue un rôle essentiel dans les enquêtes criminelles liées à la sécurité nationale. Pour bien comprendre et évaluer les décisions prises par la GRC dans le cadre d’une enquête de sécurité nationale comme celle concernant Abdulrahman, il est nécessaire de savoir quels avis juridiques elle a demandés et, dans l’éventualité où des avis lui ont été fournis, si elle les a suivis. Tel est le cas, que l’Office de surveillance se penche sur les activités de la GRC en matière de sécurité nationale dans le cadre d’un examen ou d’une enquête sur une plainte. (Le rapport du commissaire O’Connor sera examiné plus loin.)

[121] Le PGC cite les propos de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (CA) (Re), 2021 CAF 92 au para 172, selon laquelle il peut être souhaitable, du point de vue du public, qu’un service de renseignement fasse preuve d’une grande transparence, mais cela « n’a aucune incidence sur les tenants et les aboutissants du secret professionnel de l’avocat ». Le PGC se fonde sur cet énoncé pour soutenir que, même dans un contexte de sécurité nationale, le secret professionnel de l’avocat doit être protégé. À mon avis, les questions en litige dans cette affaire se distinguent facilement de celles soulevées en l’espèce. La Cour d’appel fédérale n’interprétait pas une disposition d’une loi dont l’objet même est (comme nous le verrons plus loin) d’assurer une plus grande transparence en ce qui concerne les activités de sécurité nationale et de renseignement et où le législateur a écarté le secret professionnel de l’avocat afin d’assurer l’examen complet et efficace de ces activités.

[122] Bref, je ne vois aucune raison pour laquelle le législateur aurait accordé à l’Office de surveillance le droit d’obtenir des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat dans le cadre d’un examen, mais non dans le cadre d’une enquête sur une plainte, alors que les mêmes activités pourraient faire l’objet d’un examen ou d’une enquête sur une plainte et que les mêmes renseignements pourraient être pertinents dans le cadre de ces deux mandats.

[123] À mon avis, le libellé et le contexte de l’article 10 démontrent l’intention claire du législateur de limiter la protection du secret professionnel de l’avocat à l’égard des renseignements pertinents dans les enquêtes sur des plainte mettant en cause la GRC. L’objet de la Loi sur l’OSSNR et l’historique législatif étayent également cette conclusion. Voilà la question que j’examine ci-dessous.

(5) Objectif législatif

[124] Comme l’a mentionné la Cour suprême du Canada, « [l]es tribunaux font appel à un large éventail de sources pour déterminer l’objectif législatif, y compris l’énoncé explicite de l’objet de la loi le cas échéant; le texte, le contexte et l’économie de la loi; l’historique législatif du texte de loi et son évolution; et des éléments de preuve extrinsèques, par exemple les débats parlementaires (tout en demeurant conscients de leur fiabilité et de leur poids limités) » (Piekut, au para 75, citant R c Moriarity, 2015 CSC 55 aux para 31-32, et d’autres sources).

[125] En l’espèce, le fait que la Loi de 2017 sur la sécurité nationale (projet de loi C‑59), qui a édicté la Loi sur l’OSSNR et d’autres lois, contient des énoncés explicites de l’objet, facilite l’exercice d’interprétation. Comme je l’ai mentionné précédemment, le préambule énonce notamment que la responsabilité fondamentale du gouvernement du Canada de protéger la sécurité nationale du Canada et la sécurité des Canadiens doit être exercée conformément à la primauté du droit, de manière à protéger les droits et libertés des Canadiens et dans le respect de la Charte. Le préambule précise également que « la confiance de la population envers les institutions fédérales chargées d’exercer des activités liées à la sécurité nationale ou au renseignement est tributaire du renforcement de la responsabilité et de la transparence dont doivent faire preuve ces institutions ».

[126] Ce double objectif de protéger les Canadiens et de défendre leurs droits et libertés a été mis en évidence dans les débats parlementaires. Par exemple, l’honorable Ralph Goodale, ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, a abordé les objectifs législatifs à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C‑59. S’exprimant à l’appui d’une motion visant à renvoyer immédiatement le projet de loi au Comité permanent de la sécurité publique et nationale, après avoir examiné certains aspects contextuels du projet de loi, y compris les consultations publiques qui avaient été menées, le ministre Goodale a déclaré ce qui suit :

À ces nouvelles idées s’ajoutent les enquêtes judiciaires réalisées précédemment par les juges Iacobucci, O’Connor et Major, ainsi que plusieurs propositions parlementaires, quelques décisions des tribunaux et des rapports produits par des organismes existants d’examen des activités de sécurité nationale. Tout cela a permis de façonner la mesure législative dont nous sommes saisis aujourd’hui, le projet de loi C‑59, la Loi de 2017 sur la sécurité nationale.

Les mesures présentées dans ce projet de loi portent sur trois thèmes principaux: accroître la responsabilité et la transparence, corriger les lacunes de l’ancien projet de loi C‑51, et mettre à jour les lois nationales en matière de sécurité afin que les agences canadiennes soient en mesure de s’adapter à l’évolution des menaces.

Une des principales avancées que propose le projet de loi est la création de l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement. Ce nouvel organisme, qualifié par certains de « super CSARS », aura pour mandat d’examiner l’exercice par les ministères de leurs activités liées à la sécurité nationale ou au renseignement et d’examiner toute question dont il est saisi par le gouvernement. Il pourra également faire enquête sur les plaintes qu’il recevra du public. Il remplacera les organismes de surveillance du SCRS et du Centre de la sécurité des télécommunications, mais son mandat s’étendra également aux activités liées à la sécurité et au renseignement dans l’ensemble du gouvernement, y compris à l’Agence des services frontaliers du Canada.

De nos jours, il est fréquent que de nombreux ministères et organismes doivent collaborer dans les opérations de sécurité. C’est pourquoi la responsabilisation, pour être efficace, ne doit pas être compartimentée et cibler un organisme en particulier. Il faut qu’elle suive chacune des étapes, peu importe qui les effectue. Les examens doivent permettre une analyse complète et produire des résultats et des recommandations intégrés. C’est exactement ce que ce nouvel office de surveillance fera pour les Canadiens.

Le projet de loi C‑59 cré[e] également un nouveau poste de commissaire au renseignement, dont le rôle sera de surveiller et de préapprouver ou non certaines activités de renseignement du SCRS et du Centre de la sécurité des télécommunications. Le poste de commissaire au renseignement sera occupé par un juge à la retraite ou un juge surnuméraire d’une cour supérieure, dont les décisions seront exécutoires. Autrement dit, si ce juge détermine qu’une opération donnée est déraisonnable ou inappropriée, elle ne sera simplement pas menée.

Ensemble, le nouvel office de surveillance complète, le commissaire au renseignement et le nouveau comité de parlementaires [créé en 2017 par la Loi sur le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, précitée] offriront au Canada des mécanismes de responsabilisation d’une étendue et d’une portée sans précédent. Les Canadiens réclament de telles mesures depuis longtemps, et ces demandes se sont accrues lorsque l’ancien projet de loi C‑51 a été présenté. Nous avons bien compris ces demandes lors des consultations, et ce sont ces mesures de responsabilisation que nous mettons présentement en place.

(Débats de la Chambre des communes, 20 novembre 2017, vol 148, no 234, à la p 15267)

[127] Le ministre Goodale est revenu sur ces thèmes lorsqu’il a présenté de nouveau le projet de loi C‑59 le 28 mai 2018, après que le Comité permanent de la sécurité publique et nationale eut fait rapport des résultats de son étude du projet de loi à la Chambre des communes. (Certaines délibérations du Comité sont examinées dans la section suivante.) Entre autres, le ministre Goodale a fait remarquer que toutes les consultations publiques au sujet du projet de loi C‑59 [ont produit des] résultats […] « clairs » : « Ils montrent que les Canadiens tiennent à la reddition de comptes. Ils s’attendent à ce que les organismes de sécurité et de renseignement soient transparents et efficaces. Reddition de comptes, transparence et efficacité doivent aller de pair […]. Dans toute l’histoire du Canada, aucun projet de loi n’a fait davantage pour accomplir ces trois choses que le projet de loi C‑59 ». Il a ajouté qu’il ne doutait pas que le travail du Comité permanent avait renforcé et amélioré le projet de loi : « Grâce à l’examen attentif du comité, à l’étude article par article et aux débats entourant les divers amendements, nous avons maintenant une meilleure mesure législative ». Il a également déclaré ce qui suit :

L’un des aspects du projet de loi C‑59 dont je suis le plus fier, c’est sa façon de changer de manière dynamique la structure d’examen et de reddition de comptes de tout l’appareil de sécurité nationale. À l’heure actuelle, certains organismes de sécurité nationale sont surveillés par un organisme d’examen qui se penche sur leur travail. Évidemment, pour le SCRS, il s’agit du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, ou CSARS. Dans le cas de la GRC, il s’agit de la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes, ou CCETP. Ce ne sont là que deux exemples. Cependant, il n’y a pas d’organisme d’examen qui se penche sur l’ensemble du processus de surveillance, qui ne se contente pas de surveiller un seul organisme à la fois et qui examine les activités de tous les organismes gouvernementaux concernés.

Pour la première fois, le projet de loi C‑59 corrigerait ce problème en créant l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, ou [OSSNR]. L’[OSSNR] se fonde en grande partie sur l’idée de créer ce qu’on appelle souvent un « super CSARS », lequel serait autorisé à se pencher sur toutes les questions relatives à la sécurité nationale, qu’elles relèvent du SCRS, de l’ASFC, d’IRCC, de la GRC, du ministère des Affaires mondiales, du ministère de la Défense nationale ou de n’importe quel autre organisme du gouvernement du Canada.

(Débats de la Chambre des communes, 28 mai 2018, vol 148, no 302, à la p 19770)

[128] Les « enquêtes judiciaires » auxquelles le ministre Goodale a fait allusion dans son discours précédent font allusion, bien entendu, à la Commission relative aux mesures d’investigation prises à la suite de l’attentat à la bombe contre le vol 182 d’Air India, menée par l’honorable Jack Major, à la Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar, menée par l’honorable Dennis O’Connor, et à l’Enquête interne sur les actions des responsables canadiens relativement à Abdullah Almalki, Ahmad Abou-Elmaati et Muayyed Nureddin, menée par l’honorable Frank Iacobucci. Les enquêtes menées par O’Connor et Iacobucci visaient notamment à déterminer si la communication de renseignements par des fonctionnaires canadiens (notamment des organismes de sécurité nationale et la GRC) avait concouru à la détention et à la torture de MM. Arar, Almalki, Abou-Elmaati et Nureddin à l’étranger.

[129] L’allusion du ministre Goodale à la Commission d’enquête au sujet de M. Arar est particulièrement importante pour ce qui est de comprendre les objectifs du projet de loi C‑59. Le mandat du commissaire O’Connor avait été divisé en deux parties : l’une d’elles était un examen factuel pour faire enquête et faire rapport sur les actions des autorités canadiennes relativement à ce qui est arrivé à M. Arar; l’autre, était l’examen des politiques, dans le cadre duquel il devait formuler des recommandations en vue de la création d’un mécanisme d’examen indépendant des activités de la GRC en matière de sécurité nationale. Le rapport du commissaire O’Connor découlant de la deuxième partie de son mandat est celui dont il est question plus haut, Un nouveau mécanisme d’examen des activités de la GRC en matière de sécurité nationale.

[130] Comme il est décrit en détail dans ce rapport, parmi les caractéristiques du paysage de la sécurité nationale du Canada que le commissaire O’Connor avait jugées problématiques, il y avait les lacunes en matière de reddition de comptes inhérentes aux régimes actuels d’examen et d’enquête sur les plaintes. Dans une large mesure, ces lacunes découlaient de la compétence limitée du CSARS. En vertu de sa loi habilitante (soit les articles 34 à 52 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, LRC 1985, c C‑23 [la Loi sur le SCRS], aujourd’hui abrogés), les mandats du CSARS en matière d’examen et d’enquêtes sur les plaintes se limitaient aux activités du SCRS, mais le SCRS n’était pas le seul organisme dont les activités touchaient à des questions de sécurité nationale. En effet, les activités de ce dernier étaient souvent menées en collaboration avec d’autres organismes canadiens et l’information était souvent partagée entre ces organismes. La portée limitée des mandats d’examen et d’enquête sur les plaintes du CSARS a donné lieu à la « compartimentation » dont le ministre Goodale a parlé dans ses discours à la Chambre des communes. De plus, le commissaire O’Connor a conclu que personne ne disposait d’un véritable pouvoir d’examen ou d’enquête sur les plaintes concernant les activités de la GRC en matière de sécurité nationale.

[131] La solution recommandée par le commissaire O’Connor était la création d’une Commission des plaintes du public contre la GRC, qui aurait compétence pour examiner toutes les activités de la GRC, y compris celles liées à la sécurité nationale. Le commissaire O’Connor a également recommandé au Parlement de créer des « passerelles » entre ce nouvel organisme et deux autres organismes de surveillance indépendants, soit le CSARS et le Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications (voir l’article 273.63, aujourd’hui abrogé, de la Loi sur la défense nationale, LRC 1985, c N‑5). Ces passerelles permettraient un échange efficace d’information entre tous les organismes d’examen et, s’il y a lieu, des examens et des enquêtes coordonnés. Comme l’a expliqué le commissaire O’Connor (à la p 645) :

La coopération institutionnelle entre les organismes d’examen est essentielle lorsqu’il y a coopération institutionnelle entre les organismes examinés, cela pour quatre raisons : éviter des lacunes au plan de la reddition de comptes, tenter d’éviter de tirer des conclusions contradictoires sur les activités exécutées en coopération, offrir un mécanisme de réception centralisé des plaintes relatives à la sécurité nationale et éviter que les organisations fassent l’objet d’examens multiples.

[132] Bien que la solution recommandée par le commissaire O’Connor n’ait pas été retenue par le Parlement, il ne fait aucun doute que sa perspicacité sur les lacunes de l’ancien régime et ses recommandations en vue d’un meilleur régime ont influencé la conception de l’Office de surveillance, notamment par la création d’un seul et unique organisme doté du pouvoir de mener des examens et d’enquêter sur les plaintes concernant le SCRS, le CST et la GRC (lorsque ses activités sont liées à la sécurité nationale ou au renseignement). Comme l’a dit le ministre Goodale dans son discours à la Chambre des communes, ce nouvel organisme devait être en mesure de suivre la piste où qu’elle mène, de fournir « une analyse complète et [de] produire des résultats et des recommandations intégrés ».

[133] Il convient de mentionner ici une autre dimension du contexte du projet de loi C‑51. À l’instar de l’Office de surveillance, le CSARS avait à la fois les mandats d’examen et d’enquête sur les plaintes. Son droit d’accès aux renseignements pertinents dans le cadre d’un examen ou d’une enquête sur une plainte était régi par la même disposition, soit le paragraphe 39(2) de la Loi sur le SCRS. Au moment de son abrogation, lors de l’adoption de la Loi sur l’OSSNR, le paragraphe 39(2) de la Loi sur le SCRS était libellé ainsi :

Accès aux informations

Access to Information

(2) Malgré le paragraphe 18.1(2) [interdiction générale de communication de l’information permettant d’identifier une source humaine du SCRS], toute autre loi fédérale ou toute immunité reconnue par le droit de la preuve, mais sous réserve du paragraphe (3) [les documents confidentiels du Cabinet], le comité de surveillance :

(2) Despite subsection 18.1(2) [the general prohibition on disclosure of information that could identify a CSIS human source], any other Act of Parliament or any privilege under the law of evidence, but subject to subsection (3) [the exclusion of Cabinet confidences] the Review Committee is entitled

a) est autorisé à avoir accès aux informations qui se rattachent à l’exercice de ses fonctions et qui relèvent du Service et à recevoir du directeur et des employés les informations, rapports et explications dont il juge avoir besoin dans cet exercice;

(a) to have access to any information under the control of the Service that relates to the performance of the duties and functions of the Committee and to receive from the Director and employees such information, reports and explanations as the Committee deems necessary for the performance of its duties and functions; and

b) au cours des enquêtes visées à l’alinéa 38c) [le mandat d’enquête sur les plaintes], est autorisé à avoir accès aux informations qui se rapportent à ces enquêtes et qui relèvent de l’administrateur général concerné.

(b) during any investigation referred to in paragraph 38(c) [the complaint investigation mandate], to have access to any information under the control of the deputy head concerned that is relevant to the investigation.

[134] Dans son rapport de 2006, le commissaire O’Connor a confirmé que le CSARS avait accès aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat. Même si, de façon générale, il n’a pas eu à consulter de documents protégés par le secret professionnel de l’avocat, il ne faisait aucun doute dans l’esprit de quiconque que le CSARS avait droit accès à de tels documents. Par conséquent, « [i]l obtient toutefois des avocats du SCRS des résumés et des extraits d’avis juridiques, ainsi que des briefings pour en expliquer le contenu » (O’Connor, à la p 312). Comme l’a fait remarquer le commissaire O’Connor, « [c]es avis sont importants dans le cadre d’examens où le CSARS tente de déterminer si le SCRS a agi conformément aux avis juridiques du ministère de la Justice, accomplissant ainsi ses fonctions dans le respect de la loi » (ibid).

[135] Il convient de rappeler que, qu’il s’agisse d’un examen ou d’une enquête sur une plainte, le droit d’accès à l’information du CSARS est défini par la même disposition (Loi sur le SCRS, paragraphe 39(2)). Dans un cas comme dans l’autre, cette disposition accordait au CSARS l’accès à l’information pertinente (à l’exception des documents confidentiels du Cabinet), en dépit de « toute immunité reconnue par le droit de la preuve ».

[136] Comme M. Forcese l’a également souligné dans sa décision procédurale du 14 février 2024, le CSARS avait accès aux renseignements pertinents protégés par le secret professionnel de l’avocat que le SCRS avait en sa possession ou sous sa garde, non seulement dans le cadre des examens, mais aussi dans le cadre des enquêtes sur les plaintes (outre les avis juridiques relatifs à l’enquête sur la plainte elle-même). Ce droit a été confirmé dans une lettre datée du 30 juin 2006 adressée au CSARS par Normand Vaillancourt, avocat-conseil principal aux Services juridiques du SCRS, qui est versée au dossier de la présente demande. M. Vaillancourt a écrit ce qui suit (non souligné dans l’original) :

[traduction]

Mon client et moi-même reconnaissons pleinement que, à l’exception des documents confidentiels du Cabinet, le Comité dispose d’un droit d’accès absolu et illimité à toute information que le Service a sous sa garde, y compris les avis juridiques. Toutefois, comme il a été mentionné lors de la réunion de la semaine dernière, nous estimons qu’il faut faire une distinction entre deux catégories d’avis juridiques, c’est-à-dire entre les avis liés aux opérations et les avis liés aux litiges.

Dans le premier cas, les avis juridiques peuvent eux-mêmes faire partie des activités opérationnelles du Service lorsque, par exemple, des fonctionnaires peuvent avoir agi ou s’être abstenus d’agir sur la foi des avis juridiques. Ces conseils doivent, à juste titre, être communiqués au Comité. La deuxième catégorie de communications du SCRS et du ministère de la Justice concerne les avis donnés sur la conduite des litiges pendants ou envisagés devant le Comité de surveillance, la Cour ou tout tribunal administratif. En règle générale, de tels avis traitent sans détour des forces et des faiblesses des dossiers, des tactiques sur la meilleure façon de présenter un cas, des domaines de témoignage qui peuvent s’avérer gênants pour le témoin potentiel, des problèmes juridiques qui peuvent être difficiles à surmonter, etc. Nous estimons qu’il est tout à fait approprié que les communications liées au litige entre le Service et les avocats, à compter du jour où une plainte est déposée au directeur (art. 41) ou au CSARS, soient exclues des documents communiqués au Comité.

[137] Pour revenir au rapport du commissaire O’Connor, ce dernier, en formulant ses recommandations pour une nouvelle forme d’examen et d’enquête sur les plaintes concernant les activités de la GRC en matière de sécurité nationale, a souligné l’importance d’avoir accès à la plus grande quantité possible de renseignements pertinents pour que les examens et les enquêtes soient efficaces : voir O’Connor, aux pp 559 et 590-592. Comme il l’a affirmé, « [l]’organisme doit effectuer des examens complets tant lorsqu’il agit de sa propre initiative que lorsqu’il enquête sur des plaintes et présente des rapports à leur sujet » (O’Connor, à la p 592). Par conséquent, il a recommandé que le nouvel organisme ait « accès à toute l’information qu’[il] considère comme nécessaire pour effectuer un examen complet, sous réserve de deux exceptions » (ibid). La première concernait les documents confidentiels du Cabinet; la seconde, les renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat.

[138] En ce qui concerne les renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat, le commissaire O’Connor a écrit ce qui suit (à la p 598, non souligné dans l’original) :

La question du secret professionnel de l’avocat est également un tant soit peu complexe. À mon avis, la CIE [la Commission indépendante d’examen des plaintes, le nouvel organisme recommandé par le commissaire O’Connor] devrait avoir accès à l’information visée par ce privilège lorsque la communication en question a eu lieu dans le cadre du processus de prise de décisions ou des événements examinés ou sur lesquels porte l’enquête. Le fait d’avoir accès aux conseils qu’un avocat a fournis à son client dans ce contexte aidera l’organisme d’examen à évaluer complètement et exactement les activités de la GRC. Cela est particulièrement important dans le contexte de la sécurité nationale, puisqu’il est nécessaire d’obtenir le consentement d’un procureur général avant de déposer des accusations pour des infractions de terrorisme ou des infractions visées par la Loi sur la protection de l’information. Ce consentement préalable est aussi nécessaire avant d’exercer les nouveaux pouvoirs d’arrestation préventive et d’audience d’investigation [prévus dans le Code criminel]. Il importe par conséquent que la CIE ait accès aux avis juridiques fournis à la GRC relativement à l’exercice de tels pouvoirs, non pas pour contester ou évaluer les conseils, mais pour déterminer la convenance des actions de la GRC lorsqu’elle a demandé et suivi les conseils reçus. Les conseils juridiques jouent un rôle tellement important dans les enquêtes relatives à la sécurité nationale qu’un organisme d’examen incapable d’examiner ceux que la GRC a reçus aurait seulement une perception partielle, voire déformée, des activités de la GRC relatives à la sécurité nationale.

[139] Le commissaire O’Connor a ajouté une seule réserve à ces observations. Autrement dit, le nouvel organisme « ne devrait pas avoir accès à l’information couverte par le privilège du secret professionnel de l’avocat qui a trait aux différends concernant l’exercice des pouvoirs de l’organisme d’examen ou d’autres instances visant à évaluer les activités de la GRC ou celles de ses membres ou employés » (ibid). Selon lui, « [l]e privilège du secret professionnel de l’avocat doit nécessairement s’appliquer dans de telles circonstances » (ibid). Comme je l’ai mentionné plus haut, en termes très clairs, c’est exactement ce qu’était l’entente entre le CSARS et le SCRS.

[140] Compte tenu de tous ces éléments, il est incontestable qu’en créant l’Office de surveillance, le législateur avait l’intention d’améliorer la surveillance de la sécurité nationale par rapport à ce que le CSARS avait pu faire en vertu de sa loi habilitante. Pour ce faire, il a regroupé les fonctions d’examen et d’enquête sur les plaintes relatives à la sécurité nationale au sein d’un seul organe d’experts dont le mandat est plus vaste que celui du CSARS. Ce mandat élargi comprend le pouvoir d’enquêter sur les plaintes concernant les activités de la GRC en matière de sécurité nationale. Il prévoit également la possibilité, dans le cadre d’enquêtes sur de telles plaintes, d’obtenir des renseignements pertinents non seulement de la GRC, mais aussi du SCRS et du CST.

[141] En ce qui nous concerne, le droit d’accès à l’information de l’Office de surveillance dans le cadre d’une enquête sur une plainte, tel que prévu à l’article 10 de la Loi sur l’OSSNR, est le même que celui de l’organisme dont les activités ont donné lieu à la plainte, soit le SCRS, le CST ou la GRC. L’interprétation que donne le PGC à cette disposition implique que l’Office de surveillance a en fait moins accès aux renseignements pertinents dans le cadre d’une enquête sur une plainte que le CSARS. Ce dernier pouvait obtenir du SCRS des renseignements pertinents protégés par le secret professionnel de l’avocat, alors que le nouvel Office de surveillance ne peut pas.

[142] En toute déférence, je trouve cet argument insoutenable.

[143] Compte tenu des objectifs mentionnés ci-dessus, dont celui d’améliorer l’efficacité de l’organisme chargé de statuer sur les plaintes liées à la sécurité nationale, et en l’absence de dispositions expresses contraires, le législateur devait avoir l’intention de donner accès à l’Office de surveillance à au moins autant d’informations que le CSARS avait – y compris les renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat – lorsqu’il enquêtait sur des plaintes contre le SCRS. Et puisque, en vertu de l’article 10, l’Office de surveillance a exactement le même droit d’accès aux renseignements pertinents, qu’il s’agisse d’enquêter sur une plainte contre le SCRS ou contre la GRC, il faut également que le législateur ait voulu que l’Office de surveillance ait accès aux renseignements pertinents protégés par le secret professionnel de l’avocat lorsqu’il enquête sur des plaintes visant la GRC.

[144] Cette conclusion est étayée par le fait que, si la plainte à l’origine du présent contrôle judiciaire était demeurée entre les mains de la CCETP, cette dernière aurait à tout le moins eu la possibilité d’obtenir les renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat auprès de la GRC.

[145] En 2013, la Loi sur la GRC a été modifiée afin de créer la CCETP et de lui conférer des pouvoirs accrus par rapport à son prédécesseur, la Commission des plaintes du public contre la GRC (voir la Loi visant à accroître la responsabilité de la Gendarmerie royale du Canada (projet de loi C‑42), LC 2013, c 18 – sanction royale le 19 juin 2013). En vertu de l’article 45.39 nouvellement adopté de la Loi sur la GRC, la CCETP « a un droit d’accès aux renseignements qui relèvent de la Gendarmerie ou qui sont en sa possession et qu’elle considère comme pertinents » pour l’exercice de ses attributions en matière d’examen ou d’enquête sur les plaintes. Cela comprend l’accès à des renseignements privilégiés, qui sont définis comme incluant « tout renseignement protégé par le secret professionnel liant le conseiller juridique à son client » (voir la Loi sur la GRC, aux para 45.4(1) et (2)). La GRC peut s’opposer à la communication de renseignements privilégiés (y compris les renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat) et, le cas échéant, la question est renvoyée à un ancien juge ou à un autre particulier pour obtenir un avis non contraignant de sa part (voir l’article 45.41 de la Loi sur la GRC).

[146] Avec l’adoption de la Loi de 2017 sur la sécurité nationale, en 2019, la Loi sur la GRC a été modifiée par l’ajout du paragraphe 45.53(4.1), qui prévoit ce qui suit : « La Commission doit refuser d’examiner toute plainte concernant des activités étroitement liées à la sécurité nationale et renvoyer la plainte à l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement ». Ce qui est important pour notre propos, c’est que, jusqu’à la création de l’Office de surveillance en 2019, la CCETP aurait eu compétence pour traiter la plainte à l’origine du présent contrôle. Si elle l’avait traitée, elle aurait eu à tout le moins un droit d’accès restreint aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat dans le cadre de son enquête. (Fait digne d’intérêt, l’obligation de renvoyer à l’Office de surveillance les plaintes étroitement liées à la sécurité nationale est entrée en vigueur en juillet 2019, le mois précédant le dépôt à la CCETP de la plainte à l’origine du présent contrôle.)

[147] Le PGC est d’avis que l’Office de surveillance ne s’est même pas vu accorder un droit d’accès restreint aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat lorsqu’il enquête sur une plainte contre la GRC. Autrement dit, il a droit à moins de renseignements que la CCETP n’avait droit au moment de la création de l’Office de surveillance. À mon avis, cela ne concorde pas avec les raisons pour lesquelles le législateur a confié à l’Office de surveillance les responsabilités concernant la GRC. Le législateur a décidé que les plaintes déposées contre la GRC en lien avec des questions de sécurité nationale devaient faire l’objet d’une enquête par un organisme spécialisé dans ce domaine ayant le pouvoir d’obtenir les renseignements pertinents non seulement de la GRC (comme cela aurait été le cas avec la CCETP), mais aussi du SCRS et du CST, afin qu’il puisse « suivre la piste ». Il est tout à fait contre-intuitif de penser que le législateur, en créant un organisme doté d’un tel mandat, avait l’intention de lui donner moins d’accès à l’information pertinente que la CCETP n’en avait avant la création de l’Office de surveillance. Le PGC n’a pas été en mesure de suggérer une quelconque raison pour laquelle ce serait le cas. À mon avis, il est hautement improbable que telle ait été l’intention du législateur.

[148] Pour conclure sur ce point, accepter l’interprétation que le PGC donne à l’article 10 de la Loi sur l’OSSNR équivaudrait à accepter que le législateur ait eu l’intention de donner à l’Office de surveillance l’accès à moins de renseignements pertinents que les organismes qui l’ont précédé. Plus particulièrement, il faudrait accepter que le législateur ait voulu donner à l’Office de surveillance l’accès à tous les renseignements pertinents que l’organisme dont les activités sont scrutées dans le cadre d’une enquête sur une plainte a en sa possession ou sous sa garde (à l’exception des documents confidentiels du Cabinet), malgré toute immunité reconnue par le droit de la preuve, à l’exception du secret professionnel de l’avocat, même si le CSARS avait accès à de tels renseignements lorsqu’il faisait enquête sur des plaintes contre le SCRS. À mon avis, compte tenu de tout ce qui précède (en particulier des objectifs généraux de la nouvelle loi, notamment améliorer l’efficacité des enquêtes sur les plaintes liées à la sécurité nationale), il ne s’agit pas d’une vision plausible des intentions du législateur lorsqu’il a créé l’Office de surveillance.

[149] L’historique législatif de la Loi sur l’OSSNR jette également un certain éclairage sur les intentions du législateur. Comme cet historique est quelque peu compliqué, il est utile de l’examiner sous une rubrique distincte.

(6) Historique législatif

[150] Comme nous venons de le mentionner, la Loi sur l’OSSNR a été adoptée dans le cadre du projet de loi C‑59, un projet de loi omnibus concernant des questions de sécurité nationale. Une part du contexte historique du projet de loi – en particulier, la nécessité de créer un organisme plus efficace d’examen et de règlement des plaintes en matière de sécurité nationale – a déjà été exposée. Avant d’examiner plus en détail l’historique de la Loi sur l’OSSNR, il peut être utile d’esquisser une partie supplémentaire du contexte historique plus large : il s’agit des pouvoirs du commissaire à l’information du Canada.

[151] En 2016, lorsque la Cour suprême du Canada a rendu son arrêt dans l’affaire University of Calgary, le droit d’accès du commissaire à l’information aux documents dans le cadre d’une enquête sur une plainte était sensiblement le même que celui du commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Alberta. Plus précisément, le paragraphe 36(2) de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A‑1, prévoyait ce qui suit :

(2) Nonobstant toute autre loi fédérale et toute immunité reconnue par le droit de la preuve, le Commissaire à l’information a, pour les enquêtes qu’il mène en vertu de la présente loi, accès à tous les documents qui relèvent d’une institution fédérale et auxquels la présente loi s’applique; aucun de ces documents ne peut, pour quelque motif que ce soit, lui être refusé.

(2) Notwithstanding any other Act of Parliament or any privilege under the law of evidence, the Information Commissioner may, during the investigation of any complaint under this Act, examine any record to which this Act applies that is under the control of a government institution, and no such record may be withheld from the Commissioner on any grounds.

[152] Avant l’arrêt University of Calgary, il était entendu que le commissaire à l’information avait accès à des renseignements à l’égard desquels on revendiquait le secret professionnel de l’avocat afin de déterminer si ces revendications étaient fondées (voir le rapport spécial du commissaire à l’information cité ci-dessous).

[153] Le 19 juin 2017, le projet de loi C‑58 (la Loi modifiant la Loi sur l’accès à l’information, la Loi sur la protection des renseignements personnels et d’autres lois en conséquence) a franchi l’étape de la première lecture à la Chambre des communes. L’une des modifications proposées à la Loi sur l’accès à l’information visait à remplacer le paragraphe 36(2) par ce qui suit :

(1.1) […]

(1.1) [. . .]

Accès aux documents

Access to Records

(2) Malgré toute autre loi fédérale, toute immunité reconnue par le droit de la preuve, le secret professionnel de l’avocat ou du notaire et le privilège relatif au litige, mais sous réserve du paragraphe (2.1), le Commissaire à l’information a, pour les enquêtes qu’il mène en vertu de la présente partie, accès à tous les documents qui relèvent d’une institution fédérale et auxquels la présente partie s’applique; aucun de ces documents ne peut, pour quelque motif que ce soit, lui être refusé.

(2) Despite any other Act of Parliament, any privilege under the law of evidence, solicitor-client privilege or the professional secrecy of advocates and notaries and litigation privilege, and subject to subsection (2.1), the Information Commissioner may, during the investigation of any complaint under this Part, examine any record to which this Part applies that is under the control of a government institution, and no such record may be withheld from the Commissioner on any grounds.

Renseignements protégés : avocats et notaires

Protected information – solicitors, advocates and notaries

(2.1) Le Commissaire à l’information n’a accès qu’aux documents contenant des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat ou du notaire ou par le privilège relatif au litige dont le responsable d’une institution fédérale refuse la communication au titre de l’article 23.

(2.1) The Information Commissioner may examine a record that contains information that is subject to solicitor-client privilege or the professional secrecy of advocates and notaries or to litigation privilege only if the head of a government institution refuses to disclose the record under section 23.

Précision

For greater certainty

(2.2) Il est entendu que la communication, au Commissaire à l’information, par le responsable d’une institution fédérale, de documents contenant des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat ou du notaire ou par le privilège relatif au litige ne constitue pas une renonciation au secret professionnel ou au privilège.

(2.2) For greater certainty, the disclosure by the head of a government institution to the Information Commissioner of a record that contains information that is subject to solicitor-client privilege or the professional secrecy of advocates and notaries or to litigation privilege does not constitute a waiver of those privileges or that professional secrecy.

[154] Ces modifications découlent directement de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire University of Calgary. À la suite du prononcé de cet arrêt, le commissaire à l’information avait demandé que la Loi sur l’accès à l’information soit modifiée « afin que le libellé établisse une intention législative claire et sans équivoque à savoir que les pouvoirs d’enquête de la commissaire à l’information, y compris son pouvoir d’obliger les institutions à produire des documents, s’appliquent aux documents à l’égard desquels l’exception liée au secret professionnel de l’avocat a été invoquée » (Commissaire à l’information du Canada, « Objectif transparence : la cible ratée : Recommandations pour améliorer le projet de loi C‑58 : Loi modifiant la Loi sur l’accès à l’information et la Loi sur la protection des renseignements personnels et d’autres lois en conséquence », article 5 [en ligne : https://www.oic-ci.gc.ca/fr/ressources/rapports-publications/objectif-transparence-la-cible-ratee]. Le projet de loi C‑58 visait notamment à « clarifier le pouvoir d’accès du Commissaire à l’information et du Commissaire à la protection de la vie privée à des documents protégés par le secret professionnel de l’avocat ou du notaire ou par le privilège relatif au litige dans le cadre de leurs enquêtes, et le fait que la communication, par le responsable d’une institution fédérale, de tels documents à l’un ou l’autre des Commissaires ne constitue pas une renonciation au secret professionnel ou au privilège ». Après le dépôt du projet de loi, le commissaire à l’information s’est félicité de cet aspect du projet de loi C‑58, estimant qu’il codifiait « les pouvoirs clairs et précis d[u] commissaire en matière d’examen d’un document assujetti au secret professionnel de l’avocat dans le cas où une institution refuse de divulguer le dossier en affirmant que l’exception liée au secret professionnel de l’avocat s’applique à celui-ci » (Objectif transparence : la cible ratée, article 5).

[155] Il est à noter que le projet de loi C‑58 a franchi l’étape de la première lecture à la Chambre des communes le 19 juin 2017, soit la veille de la première lecture du projet de loi C‑59. La Chambre des communes et le Sénat (et leurs comités respectifs) ont étudié les deux projets de loi plus ou moins simultanément. Les deux projets de loi ont reçu la sanction royale le 21 juin 2019.

[156] Pour revenir à la Loi sur l’OSSNR, à l’étape de la première lecture du projet de loi C‑59, le libellé de l’article 9 et de l’alinéa 10d) était le suivant :

Droit d’accès-examens

Right of access — reviews

9 (1) Malgré toute autre loi fédérale et sous réserve de l’article 12, l’Office de surveillance a le droit d’avoir accès, relativement aux examens qu’il effectue et en temps opportun, aux informations qui relèvent de tout ministère ou qui sont en la possession de tout ministère.

9 (1) Despite any other Act of Parliament and subject to section 12, the Review Agency is entitled, in relation to its reviews, to have access in a timely manner to any information that is in the possession or under the control of any department.

Informations protégées

Protected information

(2) Le paragraphe (1) confère notamment à l’Office de surveillance le droit d’accès aux informations protégées par le secret professionnel de l’avocat ou du notaire ou par le privilège relatif au litige.

(2) Under subsection (1), the Review Agency is entitled to have access to information that is subject to solicitor-client privilege or the professional secrecy of advocates and notaries or to litigation privilege.

Précision

For greater certainty

(3) Il est entendu que la communication à l’Office de surveillance, au titre du présent article, d’informations protégées par le secret professionnel de l’avocat ou du notaire ou par le privilège relatif au litige ne constitue pas une renonciation au secret professionnel ou au privilège.

(3) For greater certainty, the disclosure to the Review Agency under this section of any information that is subject to solicitor-client privilege or the professional secrecy of advocates and notaries or to litigation privilege does not constitute a waiver of those privileges or that secrecy.

Droit d’accès — plaintes

Right of access — complaints

10 Malgré toute autre loi fédérale et sous réserve de l’article 12, l’Office de surveillance a le droit d’avoir accès en temps opportun aux informations suivantes :

10 Despite any other Act of Parliament and subject to section 12, the Review Agency is entitled to have access in a timely manner to the following information:

[…]

[. . .]

d) relativement à une plainte qui lui est renvoyée au titre des paragraphes 45.53(4.1) ou 45.67(2.1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, les informations liées à la plainte qui relèvent de l’organisme de surveillance, de la Gendarmerie royale du Canada, du Service canadien du renseignement de sécurité ou du Centre de la sécurité des télécommunications ou qui sont en la possession de l’un d’eux.

(d) in relation to a complaint referred to it under subsection 45.53(4.1) or 45.67(2.1) of the Royal Canadian Mounted Police Act, any information that relates to the complaint and that is in the possession or under the control of the review body, the Royal Canadian Mounted Police, the Canadian Security Intelligence Service or the Communications Security Establishment.

[157] Fait à noter, ni l’article 9 ni l’article 10 ne contiennent l’expression « toute immunité reconnue par le droit de la preuve ». (La version originale de la disposition de la Loi sur le commissaire au renseignement qui traite du droit d’accès à l’information du commissaire a été rédigée essentiellement dans les mêmes termes que cette version de l’article 9. Elle omettait également la référence à « toute immunité reconnue par le droit de la preuve ».)

[158] L’omission de cette expression dans les versions originales des articles 9 et 10 de la Loi sur l’OSSNR a été abordée à deux points clés lors de l’examen du projet de loi C‑59 par le Comité permanent de la sécurité publique et nationale.

[159] La première fois, c’était le 6 février 2018, lorsque l’honorable Pierre Blais, président du CSARS, a comparu devant le Comité en compagnie de Chantelle Bowers, directrice exécutive par intérim du CSARS. Dans le cadre de leur présentation au nom du CSARS, M. Blais et Mme Bowers ont présenté un mémoire proposant certains amendements au projet de loi C‑59, dont les suivants :

7. Proposition : Que les paragraphes 9(1) et 10 de la Loi sur l’OSSNR reflètent le libellé des paragraphes 39(1) et (2) de la Loi sur le SCRS en ce qui concerne l’accès à l’information en ajoutant ce qui suit au paragraphe 9(1) : « Malgré […], toute autre loi fédérale ou toute immunité reconnue par le droit de la preuve ».

Motif : Le projet de loi C‑59 semble prévoir des droits plus restreints dans le contexte des fonctions de l’[Office de surveillance]. Nous recommandons que les droits d’accès à l’information de l’[Office de surveillance] soient les mêmes que ceux prévus dans la Loi sur le SCRS. Selon le libellé actuel de la Loi sur le SCRS, l’accès du CSARS à l’information dans le contexte des examens est élargi à toute information sous le contrôle de tout ministère, à l’exception des documents confidentiels du Cabinet.

[160] Interrogé sur cette proposition précise et sur la question de savoir si le fait que l’Office de surveillance ait accès aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat pourrait avoir un effet dissuasif sur les personnes qui fournissent des avis juridiques (comme l’Association du Barreau canadien l’avait laissé entendre lors d’une audience antérieure devant le comité), M. Blais a déclaré ce qui suit : « Quant à l’accès à l’information, qui est l’objectif ici, nous avons généralement accès à tout sauf aux documents du Cabinet. C’est là où nous en sommes et c’est ainsi que cela devrait être ». Il a ajouté plus tard : « Il est accepté qu’il s’agit là des lois du pays ». Mme Bowers a ensuite précisé :

En ce qui concerne les plaintes devant l’organisme, l’accès à l’information est plus étroit. Jusqu’à présent, nous avions accès à tout, y compris aux documents protégés par le secret professionnel de l’avocat. Maintenant, nous remarquons que le projet de loi C‑59 restreint cet accès à l’information. L’accès aux documents protégés par le secret professionnel de l’avocat est spécifiquement éliminé, par exemple. C’est le problème que nous soulignions.

(Délibérations du Comité permanent de la sécurité publique et nationale, 6 février 2018 (SECU-95), à la p 7)

[161] Les amendements proposés par le CSARS aux articles 9 et 10 de la Loi sur l’OSSNR ne sont peut-être pas aussi clairs qu’ils auraient pu l’être, étant donné que, dans le mémoire du CSARS, il était suggéré d’ajouter l’expression « et toute immunité reconnue par le droit de la preuve » uniquement au paragraphe 9(1) et non à l’article 10 (voir le paragraphe 159 ci-dessus). Toutefois, si l’on considère l’ensemble des observations présentées par le CSARS au Comité, il doit s’agir d’une erreur de rédaction. Après tout, les fonctionnaires du CSARS insistaient pour que le paragraphe 9(1) et l’article 10 « reflètent » le droit d’accès à l’information du CSARS prévu au paragraphe 39(2) de la Loi sur le SCRS. Je crois donc comprendre que M. Blais et Mme Bowers ont soulevé, entre autres, les points suivants dans leur mémoire au Comité : 1) dans le cadre d’examens et d’enquêtes sur les plaintes, le CSARS avait accès à tous les renseignements pertinents, y compris les renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat, à l’exception des documents confidentiels du Cabinet; 2) cela devrait continuer d’être le cas pour le nouvel Office de surveillance; 3) dans sa forme actuelle, l’article 10 de la Loi sur l’OSSNR ne permet pas à l’Office de surveillance d’avoir accès aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat; 4) pour mettre le nouvel Office de surveillance dans la même position que le CSARS, le paragraphe 9(1) et l’article 10 devraient tous deux être amendés pour refléter le libellé du paragraphe 39(2) de la Loi sur le SCRS en y ajoutant l’expression « toute immunité reconnue par le droit de la preuve ».

[162] En ce qui nous concerne, la deuxième fois où le Comité s’est penché sur cette question, c’était le 17 avril 2018, lorsqu’il a approuvé les amendements suivants au paragraphe 9(2) et à l’article 10 de la Loi sur l’OSSNR (même si aucun amendement n’a été apporté au paragraphe 9(1), je le reproduis à titre de contexte utile) :

Droit d’accès — examens

Right of access — reviews

9 (1) Malgré toute autre loi fédérale et sous réserve de l’article 12, l’Office de surveillance a le droit d’avoir accès, relativement aux examens qu’il effectue et en temps opportun, aux informations qui relèvent de tout ministère ou qui sont en la possession de tout ministère.

9 (1) Despite any other Act of Parliament and subject to section 12, the Review Agency is entitled, in relation to its reviews, to have access in a timely manner to any information that is in the possession or under the control of any department.

Informations protégées

Protected information

(2) Le paragraphe (1) confère notamment à l’Office de surveillance le droit d’accès aux informations protégées par toute immunité reconnue par le droit de la preuve, par le secret professionnel de l’avocat ou du notaire ou par le privilège relatif au litige.

(2) Under subsection (1), the Review Agency is entitled to have access to information that is subject to any privilege under the law of evidence, solicitor-client privilege or the professional secrecy of advocates and notaries or to litigation privilege.

Droit d’accès — plaintes

Right of access — complaints

10 Malgré toute autre loi fédérale et toute immunité reconnue par le droit de la preuve et sous réserve de l’article 12, l’Office de surveillance a le droit d’avoir accès en temps opportun aux informations suivantes : […]

10 Despite any other Act of Parliament and any privilege under the law of evidence and subject to section 12, the Review Agency is entitled to have access in a timely manner to the following information [. . .].

[163] Il s’agit, bien sûr, des versions des articles 9 et 10 qui ont finalement été adoptées.

[164] Dans sa décision procédurale du 14 février 2024, M. Forcese a souligné la présentation du CSARS au Comité et les amendements proposés par la suite aux articles 9 et 10 par le Comité et finalement adoptés par le Parlement. Il a conclu que les amendements répondaient directement à l’exposé du CSARS et s’est exprimé ainsi : [TRADUCTION] « Je conclus que le législateur a incorporé ce libellé en réponse au témoignage des fonctionnaires du CSARS précisément pour que l’Office de surveillance ait un accès sans entrave à tous les renseignements, y compris les renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat, à la seule exception des documents confidentiels du Cabinet ».

[165] Bien que je sois d’accord avec M. Forcese pour dire que c’était la raison d’être des amendements apportés au paragraphe 9(2) et à l’article 10, les débats entourant les amendements en Comité sont moins clairs qu’il n’y paraît. Lorsque le Comité a examiné les amendements, les représentants du gouvernement ont offert des justifications un peu plus prosaïques et techniques pour ajouter l’expression « toute immunité reconnue par le droit de la preuve » aux deux dispositions.

[166] En ce qui concerne le paragraphe 9(2), John Davies, directeur général du ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile, a expliqué que les rédacteurs avaient voulu reproduire le libellé du paragraphe 39(2) de la Loi sur le SCRS, mais qu’ils avaient simplement commis une erreur de rédaction. Il s’exprime ainsi :

L’idée derrière cet amendement consiste à reproduire exactement ce qui était déjà prévu dans la Loi sur le SCRS en ce qui a trait à l’accès à l’information visé par le privilège de common law. Lorsque le projet de loi C‑59 a été rédigé, c’était simplement un mécanisme de surveillance de la Loi sur le SCRS. Nous ne voulions pas qu’il y ait de confusion concernant un manque d’accès ou des différences d’accès de l’examen dont bénéficiait le CSARS, le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Nous ne faisons que corriger une erreur dans le libellé lorsque le projet de loi C‑59 a été rédigé.

Je pense que ce problème a été soulevé dans d’autres amendements, ainsi que durant des audiences du Comité à plusieurs reprises. L’accès semblait être limité, et ce n’était pas l’intention.

(Délibérations du Comité permanent de la sécurité publique et nationale, 17 avril 2018 (SECU-104), à la p 8)

[167] Autrement dit, dans sa version initiale, le paragraphe 9(2) n’indiquait pas clairement que l’Office de surveillance était censé avoir accès aux renseignements protégés par d’autres privilèges prévus par le droit de la preuve, comme le privilège de l’indicateur de police, et pas seulement aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat (qui avait été expressément prévu). Comme M. Davies l’a également fait observer, la même question a été soulevée relativement à d’autres amendements que le Comité s’apprêtait à examiner – en particulier à l’article 10.

[168] Il est intéressant de noter que, plus tôt au cours des mêmes délibérations du Comité, le député Peter Fragiskatos (l’un des parrains libéraux de cet amendement) a mentionné expressément les modifications à la Loi sur l’accès à l’information qui étaient à l’étude en même temps (voir le paragraphe 153 ci-dessus). Il s’inquiétait plutôt du fait que l’expression « [m]algré […] toute immunité reconnue par le droit de la preuve », incluse à un endroit et non à l’autre, puisse être interprétée de façon à signifier que l’Office de surveillance n’est pas censé avoir accès aux renseignements protégés par des privilèges de la common law autre que le secret professionnel de l’avocat, ce qui n’était pas le cas (voir Délibérations du Comité permanent de la sécurité publique et nationale, 17 avril 2018 (SECU-104), à la p 7).

[169] Bref, l’expression « toute immunité reconnue par le droit de la preuve » a été ajoutée pour combler une lacune créée par inadvertance lors de la rédaction de la version originale de l’article 9. L’amendement visait à confirmer qu’en plus des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat, le secret professionnel des notaires et le privilège relatif au litige, l’Office de surveillance devait également avoir accès aux renseignements protégés par toute autre forme de privilège de la common law.

[170] En ce qui concerne l’amendement proposé à l’article 10, M. Fragiskatos a exposé le raisonnement suivant :

L’amendement précise que, lors de l’examen d’une plainte, l’Office de surveillance a accès à des renseignements faisant l’objet d’une immunité en common law reconnue par le droit de la preuve, mais sans les préciser, notamment le privilège relatif aux indicateurs de police. L’intention a toujours été de permettre à l’Office de surveillance d’avoir accès à cette catégorie des renseignements, mais une mention explicite à cet égard éliminerait toute ambiguïté.

Enfin, comme le projet de loi C‑58 [modifiant la Loi sur l’accès à l’information] mentionne explicitement l’immunité reconnue par le droit de la preuve, l’absence d’un tel libellé dans le projet de loi C‑59 pourrait sous-entendre un manque d’accès. Énoncer clairement dans la mesure législative l’accès accordé à l’Office de surveillance permet d’éviter ce risque.

(Délibérations du Comité permanent de la sécurité publique et nationale, 17 avril 2018 (SECU-104), à la p 9)

[171] Cette explication n’est pas très éclairante pour notre propos, car elle ne fait aucunement allusion au secret professionnel de l’avocat, d’une façon ou d’une autre. M. Fragiskatos fait valoir que l’expression qui est ajoutée (« toute immunité reconnue par le droit de la preuve ») renvoie aux « immunité[s] en common law reconnue[s] par le droit de la preuve, mais sans les préciser », mais que l’article 10 (contrairement à l’article 9) ne mentionne aucune autre immunité en common law reconnue par le droit de la preuve. Néanmoins, comme aucune autre immunité n’est nommée, il doit être vrai que l’expression vise toute immunité de common law reconnue par le droit de la preuve, y compris le secret professionnel de l’avocat. Même si cela aurait pu être dit plus directement, il est clair que l’Office de surveillance était censé avoir accès à l’information, même si elle est protégée par une immunité de common law reconnue par le droit de la preuve. Aucune exception n’est mentionnée.

[172] Pour ajouter une autre pièce du casse-tête, comme je l’ai mentionné plus haut, dans sa version originale, l’article 23 de la Loi sur le commissaire au renseignement, qui portait sur la communication de renseignements au commissaire, omettait également l’expression « toute immunité reconnue par le droit de la preuve ». Cette version du libellé était ainsi rédigée :

Fourniture de renseignements au commissaire

Provision of information to Commissioner

23 (1) Malgré toute autre loi fédérale et sous réserve de l’article 26, la personne ayant formulé les conclusions examinées par le commissaire au titre des articles 14 à 20 lui fournit, aux fins de son examen, les renseignements dont elle disposait pour accorder ou modifier l’autorisation ou effectuer la détermination en cause, y compris les renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat ou du notaire ou par le privilège relatif au litige.

23 (1) Despite any other Act of Parliament and subject to section 26, the person whose conclusions are being reviewed by the Commissioner under any of sections 14 to 20 must, for the purposes of the Commissioner’s review, provide the Commissioner with all information that was before the person in issuing or amending the authorization or making the determination at issue, including information that is subject to solicitor-client privilege or the professional secrecy of advocates and notaries or to litigation privilege.

Non-renonciation

No waiver

(2) Il est entendu que la communication au commissaire, au titre du présent article, de renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat ou du notaire ou par le privilège relatif au litige ne constitue pas une renonciation au secret professionnel ou au privilège.

(2) For greater certainty, the disclosure to the Commissioner under this section of any information that is subject to solicitor-client privilege or the professional secrecy of advocates and notaries or to litigation privilege does not constitute a waiver of those privileges or that secrecy.

[173] À la suite de son étude du projet de loi, le Comité permanent de la sécurité publique et nationale a recommandé d’amender ainsi le paragraphe 23(1) de la Loi sur le commissaire au renseignement :

23 (1) Malgré toute autre loi fédérale et sous réserve de l’article 26, la personne ayant formulé les conclusions examinées par le commissaire au titre des articles 14 à 20 lui fournit, aux fins de son examen, les renseignements dont elle disposait pour accorder ou modifier l’autorisation ou effectuer la détermination en cause, y compris les renseignements protégés par toute immunité reconnue par le droit de la preuve, par le secret professionnel de l’avocat ou du notaire ou par le privilège relatif au litige.

23 (1) Despite any other Act of Parliament and subject to section 26, the person whose conclusions are being reviewed by the Commissioner under any of sections 14 to 20 must, for the purposes of the Commissioner’s review, provide the Commissioner with all information that was before the person in issuing or amending the authorization or making the determination at issue, including information that is subject to any privilege under the law of evidence, solicitor-client privilege or the professional secrecy of advocates and notaries or to litigation privilege.

[174] M. Fragiskatos a expliqué ainsi la raison d’être de cet amendement : « Cet amendement permettrait de clarifier le fait que le commissaire au renseignement peut recevoir de l’information lorsqu’il évalue les décisions ministérielles, sous réserve d’un privilège accordé sous le régime du droit de la preuve. Il cherche à dissiper en particulier toute ambiguïté liée aux privilèges accordés sous le régime du droit de la preuve qui découlerait du projet de loi C‑58 ». M. Davies (directeur général de la Sécurité publique) a ajouté ce qui suit : « Encore une fois, comme nous l’avons fait avec l’OSSNR, il s’agit seulement d’une ébauche, et nous ne citons pas le libellé exact utilisé dans la Loi sur le SCRS en particulier, où il était indiqué clairement que les organismes d’examen auraient accès à de l’information confidentielle au sens de la common law. Cela a été oublié. Cela a été fait par inadvertance. Nous ne voulons pas de confusion par rapport à cela » (voir Délibérations du Comité permanent de la sécurité publique et nationale, 23 avril 2018 (SECU‑106), à la p 5).

[175] Je tire trois conclusions de cet historique législatif.

[176] Premièrement, tant en ce qui concerne les examens que les enquêtes sur les plaintes, l’Office de surveillance a toujours été censé avoir le même degré d’accès à l’information que le CSARS. À mon avis, il est révélateur que M. Davies ait déclaré ce qui suit au sujet du paragraphe 9(2) et de l’article 10 tels qu’ils étaient rédigés à l’origine : « L’accès semblait être limité [par rapport à l’accès auquel le CSARS avait droit] et ce n’était pas l’intention ». Les versions originales n’étaient pas à la hauteur à ce sujet (ce qui avait été souligné lors des audiences du Comité, notamment par des fonctionnaires du CSARS) en raison d’erreurs de rédaction, mais elles n’étaient pas à la hauteur de différentes façons. L’article 9 ne mentionnait pas les privilèges de common law, à part le secret professionnel de l’avocat et les privilèges juridiques connexes; l’article 10 ne mentionnait aucunement les privilèges de la common law. Les amendements présentés à l’étape de l’étude en comité (et qui ont finalement été adoptés) visaient à corriger ces erreurs afin d’harmoniser la portée des nouvelles dispositions avec ce qui était prévu au paragraphe 39(2) de la Loi sur le SCRS. Comme nous l’avons vu, cela incluait l’accès aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat dans le cadre des examens et des enquêtes sur les plaintes. Même si la même expression a été ajoutée aux deux dispositions, cela a permis de corriger différentes lacunes dans chacune d’elles, de sorte que les deux dispositions correspondaient aux renseignements que le CSARS avait le droit d’obtenir. Considérés dans leur ensemble, les amendements confirment l’étendue de l’information à laquelle l’Office de surveillance était censé avoir droit, qu’il s’agisse d’un examen ou d’une enquête sur une plainte. Rien dans les débats parlementaires ne donne à penser que l’on devait refuser à l’Office de surveillance autre chose que les documents confidentiels du Cabinet dans l’exercice de l’un ou l’autre de ses mandats.

[177] Deuxièmement, l’expression « toute immunité reconnue par le droit de la preuve » a été ajoutée à l’article 10 pour confirmer que, lorsqu’il enquête sur une plainte, l’Office de surveillance a accès aux renseignements même s’ils sont par ailleurs protégés contre la divulgation par un privilège de common law. En soi, l’explication, à l’étape du comité, de la raison pour laquelle cette expression a été ajoutée laisse un peu à désirer par rapport à la question centrale soulevée dans la présente demande, à savoir si le secret professionnel de l’avocat fait partie de ces privilèges de common law. Quoi qu’il en soit, il est clair que les rédacteurs, le Comité permanent et, en fin de compte, le législateur voulaient que l’Office de surveillance ait accès exactement aux mêmes renseignements que ceux auxquels avait accès le CSARS, y compris les renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat. À mon avis, même si ce motif précis n’est pas mentionné expressément dans les débats entourant l’amendement, il faut souligner que l’article 10 a été amendé exactement de la façon suggérée par les fonctionnaires du CSARS pour remédier au fait que, dans son libellé original, l’article 10 ne semblait pas accorder au nouvel Office de surveillance l’accès aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat dans les enquêtes sur les plaintes. Vu le contexte, si les rédacteurs avaient voulu que l’expression ait un sens plus étroit, ils l’auraient sûrement dit.

[178] Troisièmement, on peut tracer un lien direct entre l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire University of Calgary, et les modifications apportées à la Loi sur l’accès à l’information en réponse à cet arrêt, et la version de l’article 9 de la Loi sur l’OSSNR qui a finalement été adoptée. Les rédacteurs ont calqué l’article 9 de la Loi sur l’OSSNR (ainsi que l’article 23 de la Loi sur le commissaire au renseignement) sur les paragraphes 36(2), (2.1) et (2.2) de la Loi sur l’accès à l’information, qui étaient examinés par le Parlement dans le cadre du projet de loi C‑58 en même temps que le projet de loi C‑59. Il s’agit là d’une confirmation supplémentaire que l’article 9 visait à outrepasser les protections de fond du secret professionnel de l’avocat dans le contexte de l’examen d’une manière qui satisferait aux exigences de l’arrêt University of Calgary. Cela explique aussi pourquoi l’article 9 est libellé tel qu’il l’est et pourquoi l’article 10, qui n’avait pas à répondre aux mêmes exigences, est libellé différemment.

[179] Bref, je suis convaincu que l’historique législatif de la Loi sur l’OSSNR étaye davantage la conclusion selon laquelle l’article 10 de cette loi visait à donner à l’Office de surveillance l’accès aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat dans le cadre des enquêtes sur les plaintes.

(7) Indépendance de la poursuite

[180] Comme je l’ai mentionné plus haut, lorsqu’elle s’est opposée pour la première fois à la communication de renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat, la GRC a avancé deux arguments. Premièrement, contrairement au paragraphe 9(2) de la Loi sur l’OSSNR, l’article 10 de cette loi ne prévoit pas un droit explicite et non équivoque d’accès aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat dans le contexte des enquêtes sur les plaintes. Deuxièmement, tout avis juridique répondant à la demande de l’Office de surveillance aurait été fourni à la GRC par les conseillers juridiques du SPPC et cet avis [traduction] « était étroitement lié à l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites ». Par conséquent, la communication des renseignements répondant à la demande de l’Office de surveillance aurait porté atteinte de manière inadmissible à l’indépendance du SPPC et du Bureau du DPP. La GRC a donc soutenu, en plus des autres considérations qu’elle a invoquées à l’appui de son interprétation de l’article 10, qu’il s’agissait d’une autre raison de conclure que la disposition ne confère pas à l’Office de surveillance l’accès aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat. En d’autres termes, si le texte et le contexte de l’article 10 ne règlent pas la question, il faudrait privilégier une interprétation de la disposition qui n’accorde pas à l’Office de surveillance l’accès aux renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat, car cela protégerait mieux l’indépendance de la poursuite. M. Forcese a répondu au premier argument, mais il n’a pas abordé le second.

[181] Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, ce deuxième argument est de nouveau avancé par le DPP, qui a obtenu l’autorisation d’intervenir. Comme je l’expliquerai, bien que l’importance fondamentale de l’indépendance de la poursuite soit incontestable, je ne suis pas convaincu que le fait d’accorder à l’Office de surveillance l’accès aux avis que le SPPC a fournis à la GRC dans le cadre de son enquête sur Abdulrahman porterait atteinte de quelque façon à cette indépendance. Par conséquent, à mon avis, le principe de l’indépendance de la poursuite n’a aucune incidence sur l’interprétation de l’article 10 de la Loi sur l’OSSNR.

[182] L’indépendance de la poursuite est un principe fondamental du droit canadien ayant valeur constitutionnelle : voir Krieger c Law Society of Alberta, 2002 CSC 65 aux para 23-32; Miazga c Kvello (Succession), 2009 CSC 51 aux para 45-47; R c Nixon, 2011 CSC 34 aux para 18-21; R c Cawthorne, 2016 CSC 32 aux para 21-30; R c Anderson, 2014 CSC 41 aux para 46-51. Il ne fait aucun doute que le DPP et le SPPC jouissent de toutes les protections qu’implique ce principe.

[183] L’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites n’est pas à l’abri d’un contrôle, mais je suis d’accord avec le DPP pour dire que l’Office de surveillance n’a pas le pouvoir d’examiner les actions ou les décisions de la Couronne en matière criminelle (personne n’a laissé entendre le contraire). Quoi qu’il en soit, même si la communication de renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat à l’Office de surveillance révélait le processus décisionnel de la Couronne et les avis que le SPPC a donnés à la GRC relativement à une enquête criminelle, je ne puis convenir que cela empiéterait de quelque façon sur l’indépendance de la poursuite.

[184] Comme je l’ai mentionné plus haut, dans la directive du 22 décembre 2023, puis de nouveau dans la décision du 14 février 2024, M. Forcese a indiqué trois points précis sur lesquels les avis juridiques demandés ou reçus par la GRC étaient pertinents pour son enquête sur la plainte. Par souci de commodité, je résumé ici ces points :

  • a)La GRC a-t-elle demandé et obtenu des avis juridiques sur la possibilité d’intenter des poursuites judiciaires contre Abdulrahman El‑Bahnasawy au Canada, et a-t-elle agi conformément aux avis juridiques obtenus?

  • b)La GRC a-t-elle demandé et obtenu des avis juridiques relativement à ses activités contre Abdulrahman El‑Bahnasawy, notamment en ce qui concerne les obligations qu’elle avait envers ce dernier en tant que ressortissant canadien, en tant que mineur ou en tant que personne souffrant d’une maladie psychiatrique grave (que ce soit en vertu de la Charte, d’autres lois canadiennes ou de traités internationaux relatifs aux droits de la personne) et a-t-elle agi conformément à ces avis?

  • c)La GRC a-t-elle demandé et reçu des avis juridiques concernant le respect de la Loi sur la protection des renseignements personnels avant de communiquer au FBI des rapports concernant Abdulrahman El‑Bahnasawy et des membres de sa famille, et a-t-elle agi conformément à ces avis?

[185] Je m’arrête ici pour faire remarquer que, au vu du dossier dont je dispose, il ne semble pas y avoir de doute quant au fait que les avis juridiques que la GRC a obtenus dans le cadre de son enquête sur Abdulrahman ont été fournis par le SPPC. Dans sa lettre du 11 avril 2022, M. Rasmussen a déclaré ce qui suit : « […] ce sont les conseillers juridiques du Service des poursuites pénales du Canada (SPPC) qui ont fourni à la GRC tout avis juridique visé par cette demande ». Personne n’a suggéré le contraire depuis. Même si certains des points sur lesquels M. Forcese souhaitait enquêter (p. ex., tout avis juridique fourni en lien avec la Loi sur la protection des renseignements personnels ou en lien avec les obligations légales envers Abdulrahman en vertu du droit interne ou international compte tenu de sa situation particulière) peuvent sembler relever davantage de la compétence des conseillers juridiques de la GRC que de ceux du SPPC, les parties et l’intervenant ont tenu pour acquis que les avis juridiques en cause provenaient du SPPC. En outre, bien que la discussion ait porté sur l’incidence possible de la communication de ces avis sur l’indépendance de la poursuite, personne n’a remis en question le fait qu’il s’agit d’avis protégés par le secret professionnel de l’avocat. Voir, à ce sujet, R c Campbell, [1999] 1 RCS 565 aux para 49-54. Bien que l’arrêt Campbell soit antérieur à la création du SPPC et du Bureau du DPP, les principes qui y sont énoncés concernant la caractérisation des avis juridiques fournis à la GRC par les conseillers juridiques du ministère de la Justice s’appliquent aisément à la situation actuelle.

[186] Pour en revenir à la question qui nous occupe, je suis d’avis que les renseignements que M. Forcese cherchait à obtenir sont très pertinents pour toute conclusion ou recommandation qu’il pourrait éventuellement transmettre au ministre de la Sécurité publique et au commissaire de la GRC au sujet des activités visées par son enquête. Comme l’a fait remarquer l’avocat-conseil principal du ministère de la Justice en 2006 au sujet des enquêtes du CSARS sur les plaintes déposées contre le SCRS, « les avis juridiques peuvent eux-mêmes faire partie des activités opérationnelles du Service lorsque, par exemple, des fonctionnaires peuvent avoir agi ou s’être abstenus d’agir sur la foi des avis juridiques » (voir paragraphe 136 ci-dessus). Cela est également vrai lorsque ce sont les activités de sécurité nationale de la GRC, par opposition au SCRS, qui font l’objet de l’enquête sur la plainte.

[187] Dans le rapport de la deuxième partie de son enquête, dont il a été question plus haut, le commissaire O’Connor a conclu qu’un organisme chargé d’enquêter sur les plaintes déposées contre la GRC dans le contexte de la sécurité nationale doit avoir accès aux avis juridiques donnés en lien avec le processus décisionnel ou la série d’événements faisant l’objet d’une enquête s’il veut être en mesure d’« évaluer complètement et exactement les activités de la GRC » (O’Connor, à la p 598). Je suis d’accord. Comme l’a également conclu le commissaire O’Connor, l’accès à de tels avis est essentiel, « non pas pour contester ou évaluer les conseils, mais pour déterminer la convenance des actions de la GRC lorsqu’elle a demandé et suivi les conseils reçus » (ibid). Comme il l’a fait observer, « [l]es conseils juridiques jouent un rôle tellement important dans les enquêtes relatives à la sécurité nationale qu’un organisme d’examen incapable d’examiner ceux que la GRC a reçus aurait seulement une perception partielle, voire déformée, des activités de la GRC relatives à la sécurité nationale » (ibid). Fait important, le commissaire O’Connor n’a exprimé aucune inquiétude quant au fait que permettre à un organisme d’examen d’avoir accès à de tels renseignements empiéterait sur l’indépendance de la poursuite.

[188] D’après la façon dont M. Forcese a identifié les points sur lesquels il devait encore enquêter, il est clair qu’il ne cherchait pas à obtenir des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat dans le but d’examiner le processus décisionnel ou l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la poursuite. Conformément à son mandat d’enquête sur les plaintes déposées contre la GRC, il s’est entièrement concentré sur les actions de la GRC. Le seul intérêt qu’il avait dans les renseignements qu’il cherchait à obtenir était de savoir si la GRC avait demandé des avis juridiques et si elle avait donné suite aux avis juridiques qu’elle avait reçus. Son rôle consistait à enquêter sur les actions de la GRC, et non à remettre en question les avis juridiques qu’elle avait pu recevoir. La pertinence de tout avis juridique demandé ou reçu par la GRC, aux yeux de l’Office de surveillance, n’avait trait qu’aux actions de la GRC. Dans ces circonstances, je ne vois pas en quoi le fait que l’Office de surveillance ait accès à ces renseignements menacerait l’indépendance de la poursuite.

[189] De plus, pour reprendre les points qui précèdent, le paragraphe 25(1) de la Loi sur l’OSSNR exige que l’enquête se déroule en secret; le paragraphe 25(2) dispose qu’aucune partie n’a le droit d’être présente pendant les observations faites à l’Office de surveillance, d’y avoir accès ou de formuler des observations à leur sujet; et le paragraphe 52(1) exige que tout renseignement protégé par le secret professionnel de l’avocat soit retiré de tout rapport d’enquête remis au plaignant. Toutes ces dispositions contribuent à faire en sorte que l’indépendance de la poursuite continue d’être protégée par de rigoureuses mesures de confidentialité, même si les avis juridiques que le SPPC a donnés à la GRC sont communiqués à l’Office de surveillance.

[190] En somme, M. Forcese comprenait que son mandat consistait à formuler des conclusions et des recommandations concernant une plainte contre la GRC. Les questions de savoir si la GRC a demandé des avis juridiques relativement aux activités en question, si de tels avis ont été fournis, et si la GRC a agi conformément à ces avis étaient pertinentes pour déterminer la convenance des activités sur lesquelles l’Office de surveillance enquêtait. Pour reprendre les propos du commissaire O’Connor, s’il n’avait pas accès à ces avis, M. Forcese n’aurait qu’une perception partielle, voire déformée, des activités sur lesquelles il enquêtait. Il n’y a aucune raison de croire que M. Forcese a considéré que son rôle consistait à évaluer les actions et le processus décisionnel du SPPC ou à remettre en question les avis donnés; au contraire, je ne doute nullement qu’il comprenait que tel n’était pas son rôle dans l’enquête sur cette plainte. Sa seule préoccupation était de savoir si la GRC avait demandé des avis juridiques au sujet de ses activités à l’égard d’Abdulrahman et de sa famille et si elle avait agi conformément aux avis qu’elle avait pu obtenir. Selon moi, le fait de permettre à M. Forcese d’avoir accès à ces avis ne porterait aucunement atteinte à l’indépendance de la poursuite. Par conséquent, le principe de l’indépendance de la poursuite n’est d’aucune utilité pour déterminer le sens de l’article 10 de la Loi sur l’OSSNR.

(8) Conclusion

[191] Compte tenu de toutes les considérations qui précèdent, je souscris à l’interprétation que M. Forcese donne à l’article 10 de la Loi sur l’OSSNR. La conclusion de ce dernier selon laquelle l’Office de surveillance a le droit d’obtenir de la GRC les renseignements pertinents protégés par le secret professionnel de l’avocat est conforme au texte législatif, elle favorise la réalisation de l’intention du législateur et elle est conforme aux normes juridiques reconnues (voir Piekut, au para 49). Bref, son interprétation est correcte.

[192] Le PGC fait valoir, subsidiairement, que si la Cour devait conclure que l’Office de surveillance a généralement le droit d’obtenir de la GRC des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat en vertu de l’alinéa 10d) de la Loi sur l’OSSNR, elle devrait néanmoins déclarer que l’Office de surveillance n’a pas droit aux renseignements qu’il demande en l’espèce puisque ces renseignements ne sont pas pertinents pour la plainte. Peu de choses ont été dites sur la norme de contrôle que je devrais appliquer à cette question. Comme je l’ai déjà fait observer, M. Forcese a fourni des raisons convaincantes pour lesquelles il a conclu que les renseignements qu’il cherchait à obtenir étaient nécessaires à l’exercice des attributions de l’Office de surveillance – en bref, en quoi ces renseignements étaient pertinents pour la plainte et nécessaires pour arriver à ses conclusions et à ses recommandations. Je suis convaincu que cette conclusion est à la fois raisonnable et correcte. Par conséquent, même sur la base de cet argument subsidiaire, il n’y a pas lieu d’intervenir dans la décision de délivrer l’assignation.

VI. CONCLUSION

[193] Pour tous ces motifs, je conclus qu’il n’y a pas lieu d’intervenir dans la décision faisant l’objet du contrôle. Il était raisonnable de la part de M. Forcese de conclure que le principe du functus officio ne l’empêchait pas de poursuivre son enquête sur la plainte ni de contraindre la GRC à lui fournir les renseignements qu’elle avait refusé de communiquer. De même, il était raisonnable de sa part de conclure que, dans le cadre de cette enquête, l’Office de surveillance a le droit en vertu de l’article 10 de la Loi sur l’OSSNR d’obtenir les renseignements pertinents protégés par le secret professionnel de l’avocat que la GRC a en sa possession ou sous sa garde. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[194] Ni l’une ni l’autre des parties n’a demandé de dépens et aucuns ne seront adjugés.

[195] Enfin, lorsque la présente demande de contrôle judiciaire a été introduite, le procureur général du Canada était désigné à titre de demandeur. Malgré une modification subséquente de l’intitulé désignant le demandeur comme Sa Majesté le Roi, les parties conviennent maintenant que le demandeur était correctement nommé dès le départ. Par conséquent, l’intitulé sera modifié afin de désigner le procureur général du Canada comme étant le bon demandeur. L’intitulé sera également modifié pour tenir compte du statut d’intervenant du directeur des poursuites pénales.


JUGEMENT dans le dossier T-381-24

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. L’intitulé est modifié de manière à désigner le procureur général du Canada à titre de demandeur et à tenir compte du statut d’intervenant du directeur des poursuites pénales.

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée sans dépens.

« John Norris »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-381-24

INTITULÉ :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c OSAMA EL-BAHNASAWY ET AL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 FÉVRIER 2025

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

DATE DES MOTIFS :

LE 27 juin 2025

COMPARUTIONS :

Derek Rasmussen

Helene Robertson

 

POUR LE DEMANDEUR

John-Otto Phillips

Flora Yu

 

POUR LE DÉFENDEUR

Mark Cowan

Samir Adam

 

POUR L’INTERVENANT

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Waddell Phillips Professional Corporation

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

Service des poursuites pénales du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR L’INTERVENANT

 

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