Date : 20250624
Dossier : IMM-8017-24
Référence : 2025 CF 1136
Ottawa (Ontario), le 24 juin 2025
En présence de l’honorable madame la juge Saint-Fleur
ENTRE : |
RAHUL ANAND |
Demandeur |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
Défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] Le demandeur, Rahul Anand [demandeur], sollicite le contrôle judiciaire de la décision [Décision] rendue le 25 avril 2024 par la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, par laquelle la SAR a refusé sa demande d’asile parce qu’il bénéficie d’une possibilité de refuge [PRI] à New Delhi. La présente demande de contrôle judiciaire est présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 [LIPR].
[2] Le demandeur conteste la Décision de la SAR devant la Cour. Il soutient que l’analyse de la SAR n’est pas fondée sur l’ensemble de la preuve.
[3] Le défendeur soutient pour sa part que le demandeur n’a pas soulevé de motifs sérieux sur lesquels la Cour pourrait se fonder pour intervenir, que la Décision de la SAR est raisonnable et que par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.
[4] Pour les motifs qui suivent, je rejette la demande de contrôle judiciaire du demandeur.
II. Contexte
[5] Le demandeur est un citoyen de l’Inde. Il craint de retourner en Inde parce que lors d’un concert où il se présentait en mai 2019, des individus associés à des partis extrémistes hindous ont tenté de lui faire porter la tête d’une vache au concert. Devant le refus du demandeur, les partis extrémistes hindous ont déposé une plainte à la police alléguant qu’il avait tué une vache. La police a fait savoir à son avocat qu’elle conduit une enquête pour déterminer si des accusations criminelles doivent être portées contre le demandeur pour les raisons d’avoir incité de l’animosité religieuse.
III. Décision faisant l’objet du contrôle judiciaire
[6] La SAR a déterminé que la question déterminante était la PRI et a confirmé les conclusions de la Section de protection des réfugiés [SPR] à cet égard. Plus précisément elle a estimé que la preuve au dossier ne permet pas de conclure que les individus qui en veulent au demandeur ont les moyens de le pourchasser. La SAR a aussi déterminé que la conclusion voulant que la police ne puisse pas le retrouver puisque les actions contre lui étaient extrajudiciaires est correcte. La SAR a également jugé que le demandeur peut éviter d’être retrouvé par le biais des membres de sa famille en limitant les informations qu’il leur transmet sans avoir à cacher son retour au pays ou éviter de rencontrer ses proches. La SAR a jugé correcte la conclusion voulant que le demandeur n'ait pas démontré qu'il sera retrouvé malgré qu’il soit chanteur s’il est discret sur les réseaux sociaux, car il n’est pas une célébrité pouvant être reconnue. La SAR a également jugé que la SPR a correctement conclu que le demandeur a la possibilité de trouver un autre emploi.
[7] De plus, la SAR a conclu que le demandeur n’a pas établi la motivation continue de ses agents de persécution envers lui considérant qu’ils n’ont pris aucune action depuis mai 2019. La SAR a également conclu que le demandeur n’a pas non plus établi qu’ils ont la capacité de le retrouver dans la ville proposée comme PRI. Pour tirer ces conclusions, la SAR a pris en considération la preuve qui démontre que les allégations voulant qu’il ait tué une vache n’ont pas été disséminées.
[8] Finalement, la SAR a rejeté les arguments soulevés relativement à la raisonnabilité de la PRI à New Delhi puisque le demandeur n’a pas démontré qu’il serait à risque de subir de la persécution ou un traitement prévu à l’article 97 de la LIPR.
IV. Question en litige
[9] La demande de contrôle judiciaire soulève la question suivante : La Décision de la SAR concluant que le demandeur dispose d’une PRI à New Delhi est-elle raisonnable?
V. Norme de contrôle
[10] La norme de contrôle est celle de la décision raisonnable. Je dois donc évaluer si la décision rendue par la SAR est intelligible, transparente et justifiée à la lumière du droit applicable et des faits qui lui ont été soumis (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653 [Vavilov]). D’ailleurs, lorsque la norme de la décision raisonnable s’applique dans le cadre d’un contrôle judiciaire, il n’appartient pas à la Cour de soupeser la preuve à nouveau pour arriver à une autre décision (Vavilov au para 125).
VI. Analyse
[11] Le demandeur fait valoir à la Cour qu’il ne partage pas les conclusions de la SAR. Il soutient que la SAR s’est montrée expéditive dans l’évaluation de la preuve et qu’en omettant de prendre en compte l’ensemble de la preuve, la Décision de la SAR manque de justification et d’intelligibilité.
[12] Le défendeur soutient pour sa part que la Décision de la SAR est raisonnable. Il avance que la preuve au dossier a été examinée de façon détaillée, ce qui a permis à la SAR de confirmer les conclusions de la SPR voulant qu’il bénéficie d’une PRI à New Delhi.
[13] À mon avis, la Décision de la SAR est raisonnable pour les raisons qui suivent.
[14] D’abord, le demandeur n’identifie pas quelle est la preuve qui aurait été ignorée par la SAR.
[15] Ensuite, il n’y a aucune indication dans la preuve au dossier que les agents persécuteurs ont entrepris des démarches pour retrouver le demandeur après mai 2019. L’avocat du demandeur en Inde affirme dans une lettre du 4 janvier 2023 avoir un fort sentiment que son client fera probablement l’objet de fausses accusations, ce qui le conduirait à son emprisonnement pour une longue période. Selon l’avocat, des politiciens locaux corrompus peuvent influencer la police. Cependant, l’avocat n’indique pas avoir eu de contact avec la police après mai 2019. Dans ce contexte, il était raisonnable pour la SAR de conclure que le demandeur n’a pas démontré que les agents persécuteurs et la police du Pendjab ont la motivation de le rechercher à l’extérieur de cet État, dans la ville proposée comme PRI, New Delhi.
[16] En ce qui concerne la conclusion de la SAR voulant que même en présumant que les agents de persécution et la police du Pendjab seraient motivés à rechercher le demandeur à New Delhi, six ans après les événements de 2019, il n’a pas été établi selon la prépondérance des probabilités qu’ils auraient la capacité de le faire. J’estime qu’elle est raisonnable. La preuve n’établit pas que le demandeur fait l’objet d’accusations criminelles ou d’une enquête criminelle ou que les fausses allégations voulant qu’il ait tué une vache aient été communiquées au public.
[17] Contrairement aux prétentions du demandeur, je trouve que la lecture de la Décision montre que la SAR a examiné l’ensemble de la preuve au dossier.
[18] En terminant, je note que plusieurs des arguments soulevés par le demandeur dans son mémoire des faits et du droit s’apparentent à des reproches pouvant être soulevés en appel devant la SAR et ne sont pas liés au dossier. C’est le cas notamment lorsque le demandeur prétend que le tribunal a recherché des incohérences dans les propos du demandeur ou qu’il ait fait preuve d’un souci exacerbé du détail et de formalisme dans le seul but de miner sa crédibilité alors que la SAR a conclu que son récit est crédible. Il en va de même lorsque le demandeur soutient que sa crainte de persécution est manifestement fondée alors que la question déterminante pour la SAR était la PRI à New Delhi.
[19] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’en contrôle judiciaire, le demandeur a le fardeau de démontrer que la décision n’est pas raisonnable et qu’il ne peut le faire en déposant un mémoire qui ne vise pas réellement la décision qu’il conteste.
[20] Le demandeur n'a pas réussi à se décharger de son fardeau et à démontrer qu'il y a des lacunes suffisamment graves dans la Décision pour qu'on ne puisse pas dire qu'elle présente le degré requis de justification, de transparence et d'intelligibilité (Vavilov au para 100).
VII. Conclusion
[21] Pour les motifs exposés ci-dessus, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. La Décision est justifiée au regard de la preuve versée au dossier et des contraintes juridiques applicables (Vavilov, aux para 99-101).
[22] Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale à certifier. Je conviens qu’aucune ne se pose.
JUGEMENT dans IMM-8017-24
LA COUR STATUE que :
-
La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
-
Aucune question n’est certifiée.
« L. Saint-Fleur »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM-8017-24 |
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INTITULÉ : |
RAHUL ANAND c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
MONTRÉAL (QUÉBEC) |
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 27 MAI 2025 |
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JUGEMENT ET MOTIFS : |
LA JUGE SAINT-FLEUR |
|
DATE DES MOTIFS : |
LE 24 JUIN 2025 |
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COMPARUTIONS :
Me Fedor Kyrpichov |
Pour LE DEMANDEUR |
Me Mathieu Laliberté |
Pour LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Me Fedor Kyrpichov Avocat Montréal (Québec) |
Pour LE DEMANDEUR |
Procureur général du Canada Montréal (Québec) |
Pour LE DÉFENDEUR |