Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Date : 20060818

Dossier : IMM‑4227‑05

Référence :  2006 CF 1000

Ottawa (Ontario), le 18 août 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

 

ENTRE :

SAMUEL JONATHAN RAMIREZ PEREZ

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur est de nationalité guatémaltèque. Il est marié à une citoyenne canadienne et il a une fille canadienne qui vit au Canada. Au début des années 90, alors qu’il présentait une demande pour être admis au Canada en tant que réfugié, il aurait déclaré qu’il avait été membre d’un escadron de la mort guatémaltèque appelé Commando Seis. Cependant, dans une décision datée du 29 mai 1997, un arbitre a jugé que le demandeur n’était pas inadmissible en vertu de l’alinéa 19(1)j) de l’ancienne Loi sur l’immigration, car il n’y avait pas de motifs raisonnables de croire qu’il avait commis une infraction mentionnée dans l’un des articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, comme cela était requis pour que le demandeur soit déclaré inadmissible conformément à cette disposition de l’ancienne Loi.

[2]               L’épouse du demandeur a demandé à parrainer la demande de résidence permanente au Canada déposée par le demandeur, mais sa demande de parrainage a été refusée par un agent des visas dans une décision datée du 23 novembre 2004, au motif qu’il y avait lieu de croire que le demandeur était interdit de territoire en vertu de l’alinéa 35(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), pour atteinte aux droits humains ou internationaux, parce qu’il aurait commis « hors du Canada, une des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre ».

 

[3]               Le demandeur considère le 23 novembre 2004 comme la date de la dernière d’une série de décisions juridiquement douteuses prises par Citoyenneté et Immigration Canada, et il sollicite aujourd’hui le contrôle judiciaire de ce qu’il considère comme [traduction] « le refus constant de Citoyenneté et Immigration Canada de rendre une décision licite concernant la demande de résidence permanente au Canada présentée par le demandeur, et de casser la décision la plus récente du bureau des visas (l’ambassade du Canada au Guatemala), datée du 23 novembre 2004 et communiquée au demandeur le 22 juin 2005, selon laquelle le demandeur est interdit de territoire pour atteindre aux droits humains ou internationaux » (Demande d’autorisation en vue d’un contrôle judiciaire, dossier de demande, page 2).

 

[4]               Les tentatives du demandeur en vue d’obtenir son admission au Canada, ainsi que ses rapports ultérieurs avec les fonctionnaires de l’immigration et le système judiciaire, s’étendent sur plusieurs années. Le juge MacKay a présenté une chronologie des événements qui ont conduit à sa décision du 29 mai 2000, par laquelle il rejetait la demande de sursis d’exécution de la mesure de renvoi prononcée contre le demandeur, tout en relevant, dans une remarque incidente, que dans une décision du 11 mai 2000 on avait déclaré le demandeur non admissible en application de l’alinéa 19(1)j) de la Loi sur l’immigration, sans tenir compte de la décision de 1997 par laquelle l’arbitre était arrivé à la conclusion opposée : Ramirez‑Perez c. Canada (M.C.I.), IMM‑2539‑00. Selon moi, l’historique tout entier des tentatives répétées du demandeur d’obtenir son admission au Canada, y compris les événements relatés par le juge MacKay, méritent d’être rappelés. Comme l’indique la chronologie suivante, la décision du 23 novembre 2004 qui fait aujourd’hui l’objet d’un contrôle judiciaire n’est que la dernière d’une série de décisions portant sur les efforts faits par le demandeur pour être admis au Canada :

 

-         Le 5 novembre 1989 – Le demandeur arrive au Canada.

-         1990 – Le demandeur fait la connaissance d’une résidente permanente, qui est plus tard devenue citoyenneté canadienne, et il se marie avec elle.

-         1991 – Une fille naît du mariage en 1991.

-         1992 – Le demandeur est déclaré ne pas être un réfugié au sens de la Convention. La Section du statut de réfugié conclut que le demandeur n’est pas crédible quant à certains aspects de sa revendication. Il est également exclu par l’alinéa Fa) de l’article premier de la Convention sur les réfugiés, pour avoir commis des crimes contre l’humanité.

-         Vers 1994 – L’épouse du demandeur a présenté une demande de parrainage de la demande de résidence permanente de son époux. La demande de résidence permanente est accordée en principe, sous réserve que le demandeur remplisse les conditions réglementaires.

-         Le traitement de la demande est arrêté parce que le demandeur avait été déclaré coupable d’une infraction, qui serait une infraction relative à la conduite d’un véhicule. Les autorités de l’immigration informent le demandeur qu’il pourra présenter une nouvelle demande de résidence permanente s’il obtient un pardon.

-         Octobre 1996 Le demandeur obtient un pardon.

-         Janvier 1997 – Le demandeur est informé qu’il peut présenter une nouvelle demande de résidence permanente.

-         Février 1997 – Le demandeur est prié de se présenter à un examen tenu en application de la Loi sur l’immigration.

-         Le 29 mai 1997 – Un arbitre de l’immigration dit que le demandeur n’est pas une personne décrite dans l’alinéa 19(1)j) de la Loi sur l’immigration. Selon l’arbitre, le demandeur n’appartient pas à la catégorie non admissible décrite par cet alinéa. La demande de contrôle judiciaire déposée par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à l’encontre de la décision du 29 mai 1997 est ultérieurement rejetée.

-         Le 8 novembre 1999 – Le demandeur dépose une demande de parrainage faite au Canada par son conjoint, demande qui est fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

-         Le 11 mai 2000 – La demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est rejetée par l’agente d’immigration Mary Leahy‑Bennett, notamment parce que le demandeur était une personne décrite dans l’alinéa 19(1)j) de la Loi sur l’immigration.

-         Le 12 mai 2000 – Le demandeur reçoit un avis le priant de se présenter en vue de son renvoi le 23 mai 2000.

-         Le 17 mai 2000 – Le demandeur dépose une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision du 11 mai 2000. Le lendemain, le demandeur dépose une demande de sursis d’exécution, jusqu’à ce qu’il soit disposé de sa demande de contrôle judiciaire.

-         Le 19 mai 2000 – L’audience relative à la demande de sursis d’exécution a lieu, et le juge MacKay informe les parties qu’il rejettera la demande de sursis provisoire d’exécution de la mesure de renvoi.

-         Le 22 mai 2000 – Le demandeur quitte volontairement le Canada.

-         Le 25 mai 2000 – Le demandeur revient au Canada, mais il est détenu jusqu’au 17 juin 2000, puis expulsé vers le Guatemala.

-         Le 29 novembre 2000 – Le juge MacKay communique ses motifs à propos de la demande de sursis d’exécution instruite le 19 mai 2000. La demande a été rejetée, mais le juge précise dans ses motifs que le demandeur a prouvé que l’affaire soulève des questions graves, l’agente d’immigration ayant peut‑être injustement laissé de côté la décision de l’arbitre de 1997 lorsqu’elle est arrivée à la conclusion que le demandeur était non admissible, et en outre, il semblait que l’agente n’avait pas accordé une attention suffisante à l’intérêt supérieur des enfants.

-         Le 5 décembre 2000 – La Cour fédérale accueille, par consentement des parties, la demande de contrôle judiciaire déposée à l’encontre de la décision de l’agente d’immigration Mary Leahy‑Bennett. La Cour ordonne que l’affaire soit renvoyée à un autre agent d’immigration pour nouvelle décision.

-         Mars 2001 – La demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est rejetée. La décision est signée par l’agente d’immigration Rosa Greco. Le demandeur revient également au Canada en mars 2001. Il dit que lui et son épouse n’avaient plus d’argent pour solliciter un contrôle judiciaire.

-         Le 21 février 2002 – Le demandeur est renvoyé du Canada après qu’une mesure de renvoi fut prononcée contre lui.

-         Mai 2002 – L’épouse du demandeur demande de nouveau à parrainer le demandeur.

-         Le 17 octobre 2002 – La demande de résidence permanente présentée par le demandeur est refusée, au motif que sa répondante, à savoir son épouse, n’a pas respecté un engagement antérieur et donc ne remplissait pas les conditions du sous‑alinéa 137(1)g)(i) de la Loi. La répondante du demandeur fait appel de la décision à la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

-         Le 21 juillet 2004 – L’appel du demandeur sur la question du parrainage est accueilli pour des motifs d’ordre humanitaire, compte tenu de l’intérêt supérieur de la fille du demandeur. Il est ordonné à l’agente de [traduction] « poursuivre le traitement de la demande conformément aux motifs de la Section d’appel de l’immigration ».

-         Le 23 novembre 2004 – La demande de parrainage est refusée par le bureau des visas, parce qu’il y a des motifs raisonnables de croire que le demandeur est interdit de territoire en application de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR. Le demandeur et sa répondante disent qu’ils n’ont été informés de cette décision que sept mois après qu’elle fut rendue, et uniquement après que leur avocat eut présenté en leur nom plusieurs demandes de renseignements.

 

[5]               Le défendeur admet que l’agent des visas n’a pas observé les principes de justice naturelle lorsqu’il a rendu la décision du 23 novembre 2004 et que, par conséquent, l’affaire devrait être renvoyée pour nouvelle décision. Plus précisément, il admet que l’agent des visas a contrevenu aux principes de justice naturelle pour n’avoir rendu une décision que 35 jours après l’envoi de la lettre de 90 jours, et pour s’être fondé sur des renseignements extrinsèques sans les communiquer d’abord au demandeur. L’agent des visas a admis, dans son affidavit établi sous serment, que sa décision était fondée en partie sur [traduction] « des renseignements tirés d’Internet, qui n’ont pas été révélés au demandeur ». L’agent des visas a aussi manqué à la justice naturelle en se fondant sur des éléments extrinsèques et hors de propos obtenus de la Section des crimes de guerre du Centre d’exécution de la région métropolitaine de Toronto (le CERMT), laquelle avait exprimé l’avis qu’[traduction] « il s’agissait d’un cas de crime de guerre », avait précisé qu’elle [traduction] « s’opposait fortement au retour du demandeur » et avait déclaré que [traduction] « de l’avis de la section, le retour de M. Ramirez Perez au Canada dans ces circonstances constituerait un mépris flagrant envers les objectifs généraux du programme canadien d’immigration ».

 

[6]               Il est clair que n’importe laquelle des erreurs susmentionnées constituerait à elle seule un motif suffisant d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire. L’affaire sera renvoyée pour nouvelle décision.

 

[7]               Les points restants sont, d’abord, celui de savoir si la Cour devrait ordonner, quand l’affaire est renvoyée pour nouvelle décision, que l’on interdise au nouvel agent des visas de considérer la question de l’interdiction de territoire en vertu de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR, et, ensuite celui de savoir, si des dépens devraient être adjugés.

 

L’autorité de la chose jugée

[8]               Le demandeur fait valoir qu’il était interdit à l’agent des visas d’examiner à nouveau la question de l’interdiction de territoire dont parle l’alinéa 35(1)a) de la LIPR, et cela, en vertu du principe de l’autorité de la chose jugée, étant donné qu’une décision définitive exécutoire avait déjà été rendue sur la question en 1997. Le demandeur souligne qu’un arbitre de l’immigration avait déjà jugé en 1997 qu’il [traduction] « n’est pas une personne visée par les alinéas 27(2)a) et 19(1)j) de la Loi sur l’immigration ». Il affirme que l’alinéa 19(1)j) de la Loi sur l’immigration correspond à l’alinéa 35(1)a) de la LIPR et que la décision du 29 mai 1997 est une décision définitive et exécutoire quant à la question de l’interdiction de territoire. Le demandeur fait valoir qu’il n’y avait aucune preuve nouvelle pertinente devant le décideur en 2004 et que l’agent des visas a donc commis une erreur, à la fois en réexaminant la question de l’interdiction de territoire, et en arrivant à la conclusion indéfendable que le demandeur était interdit de territoire.

 

[9]               Le défendeur fait valoir qu’un agent des visas est légalement tenu de tenir compte de tous les motifs pouvant justifier une interdiction de territoire. Selon lui, le demandeur voudrait que l’agent qui réexaminera l’affaire limite son pouvoir discrétionnaire et ne tienne aucun compte de son obligation légale de tenir compte de l’interdiction de territoire, et cela en raison de la conclusion antérieure d’un arbitre.

 

[10]           La Cour d’appel fédérale a exposé le principe de l’autorité de la chose jugée dans l’arrêt Apotex Inc. c. Merk and Co., [2002] A.C.F. n° 811 (C.A.), 2002 CAF 210 (C.A.), aux paragraphes 24 et 25 :

Les principes concernant l’autorité de la chose jugée ont été établis par deux arrêts de principe de la Cour suprême du Canada : Angle c. M.R.N., [1975] 2 R.C.S. 248 et Grandview (Ville de) c. Doering, 1975 IIJCan 16 (C.S.C.), [1976] 2 R.C.S. 621. Dans l’arrêt Angle, précité, le juge Dickson [alors juge puîné] a noté, à la page 254, que la chose jugée s’applique fondamentalement à deux formes d’irrecevabilité, soit l’irrecevabilité pour identité des causes d’action et l’irrecevabilité pour identité des questions en litige, qui reposent toutes les deux sur des principes similaires. Premièrement, tout litige doit avoir une fin et deuxièmement, une personne ne doit pas être poursuivie deux fois pour la même cause d’action.

Ces deux formes d’irrecevabilité, identiques au plan des principes, sont différentes dans leur application. L’irrecevabilité pour identité des causes d’action interdit à une personne d’intenter une action contre une autre personne dans le cas où la cause d’action a fait l’objet d’une décision finale d’un tribunal compétent. L’irrecevabilité pour identité des questions en litige est plus large et s’applique à des causes d’action distinctes. Elle est censée intervenir lorsqu’une même question a déjà été tranchée, que la décision judiciaire donnant lieu à l’irrecevabilité est finale et que les parties à la décision judiciaire ou leurs ayants droit sont les mêmes que les parties à l’instance où est soulevée la question de l’irrecevabilité (voir l’arrêt Carl Zeiss Stiftung v. Rayner & Keeler Ltd. (Nº 2), [1967] 1 A.C. 853 (H.L.), à la page 93, cité par le juge Dickson dans l’arrêt Angle, précité, à la page 254).

 

 

[11]           Que la décision de l’agent des visas donne lieu à l’irrecevabilité pour identité des causes d’action ou à l’irrecevabilité pour identité des questions en litige, le demandeur doit, pour que s’applique le principe de l’autorité de la chose jugée, prouver que la décision de l’arbitre du 29 mai 1997 était une décision définitive quant à la question de l’interdiction de territoire. Cependant, l’article 34 de l’ancienne Loi sur l’immigration prévoyait ce qui suit :

Les décisions rendues en application de la présente loi n’ont pas pour effet d’interdire la tenue d’une autre enquête par suite d’un autre rapport fait en vertu de l’alinéa 20(1)a) ou des paragraphes 27(1) ou (2) ou par suite d’une arrestation et d’une garde effectuées à cette fin en vertu de l’article 103.

 

[12]           Le juge Rouleau a jugé dans Cortez c. Canada (Secrétaire d’État), [1997] A.C.F. n° 97, au paragraphe 19, qu’« il est évident que l’article 34 exclut l’application du principe de l’autorité de la chose jugée dans le contexte précis de l’article 27 de la Loi ».

 

[13]           Il est clair que l’article 34 de la Loi sur l’immigration s’appliquait à la décision de l’arbitre en date du 29 mai 1997. La décision de l’arbitre fait suite à un rapport rédigé en vertu du paragraphe 27(2) de la Loi sur l’immigration. L’arbitre a jugé que le demandeur [traduction] « n’est pas une personne visée par les alinéas 27(2)a) et 19(1)j) de la Loi sur l’immigration ». La décision de l’arbitre en date du 29 mai 1997 dit clairement que le demandeur faisait l’objet d’un rapport établi en vertu de l’alinéa 27(2)a) de l’ancienne Loi sur l’immigration, rapport qui a finalement conduit à l’examen de l’arbitre.

 

[14]           Selon moi, il ressort clairement de l’article 34 que la décision de l’arbitre en date du 29 mai 1997 n’était pas une décision définitive quant à l’interdiction de territoire. Le demandeur semble croire que la décision de l’arbitre était une décision définitive parce que la demande de contrôle judiciaire présentée par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à l’encontre de la décision de l’arbitre a été rejetée. Il ne pouvait plus être fait appel de la décision du 29 mai 1997 après le rejet de la demande de contrôle judiciaire, mais, en application de l’article 34 de la Loi sur l’immigration, on aurait fort bien pu procéder à un nouvel examen de la question de savoir si le demandeur aurait pu être déclaré non admissible, et toute la question de la non‑admissibilité du demandeur aurait pu être réétudiée en vertu de l’ancienne Loi sur l’immigration. Puisque la décision de l’arbitre en date du 29 mai 1997 n’était pas une décision définitive en vertu de l’ancienne Loi sur l’immigration, elle ne saurait raisonnablement être considérée comme une décision définitive et exécutoire empêchant les autorités d’examiner la question de l’interdiction de territoire en vertu de la Loi actuelle.

 

[15]           Le demandeur ne peut pas prouver que la décision de l’arbitre en date du 29 mai 1997 était une décision définitive et exécutoire quant à la question de savoir s’il était admissible ou non au Canada. Il s’ensuit que le principe de l’autorité de la chose jugée n’empêchait pas l’agent des visas qui a rendu la décision visée par l’actuelle demande de contrôle judiciaire d’examiner la question de savoir si le demandeur est ou non interdit de territoire.

[16]           L’argument principal du demandeur selon lequel le principe de l’autorité de la chose jugée empêchait l’agent des visas d’examiner la question de l’interdiction de territoire n’est pas recevable, mais je crois que l’argument subsidiaire du demandeur montre que l’agent des visas a commis une autre erreur de droit, qui, elle, est fatale. Le demandeur soutient, subsidiairement à son argument fondé sur le principe de l’autorité de la chose jugée, que, si la question de l’interdiction de territoire pouvait être examinée, alors l’agent des visas a rendu sa décision en la matière sans tenir compte de la preuve pertinente, parce qu’il n’a pas tenu compte de la conclusion de l’arbitre de 1997 selon laquelle il n’était pas une personne non admissible pour cause de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. Le demandeur fait valoir que, pour cette seule raison, la décision de novembre 2004 est déraisonnable.

 

[17]           Je souscris à cet argument. Le dossier du tribunal révèle que la décision de l’agent des visas relative à l’interdiction de territoire est fondée largement sur le témoignage produit antérieurement par le demandeur devant la Section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Cependant, l’arbitre a estimé que le témoignage du demandeur devant la SSR n’était pas crédible. Lorsqu’il a rendu la décision du 23 novembre 2004, l’agent des visas n’a pas mentionné dans sa lettre envoyée au demandeur la conclusion de l’arbitre de 1997, et il n’y a dans ses notes qu’une mention incidente de la décision de l’arbitre de 1997. Il n’est reconnu nulle part dans la décision ou dans les notes de l’agent des visas que le demandeur a rétracté le témoignage dont on se sert maintenant pour le déclarer interdit de territoire. Comme la Cour l’a jugé dans la décision Cepada‑Gutierrez c. Canada (M.C.I.) [1998] A.C.F. n° 1425, au paragraphe 17, « quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’il passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait ». En l’espèce, la Cour n’a aucune difficulté à dire que l’agent des visas n’a pas tenu compte de la décision de l’arbitre de 1997.

 

[18]           Il découle de l’analyse ci‑dessus que, lorsque l’affaire sera renvoyée pour nouvelle audience, le nouvel agent des visas affecté au dossier sera en mesure d’examiner la question de l’interdiction de territoire, mais devra tenir compte de l’ensemble des faits et des éléments du dossier, y compris de la décision de l’arbitre en date du 29 mai 1997.

 

Les dépens

[19]           Le demandeur fait valoir que, en l’espèce, il y a des raisons spéciales pour lesquelles la Cour devrait adjuger des dépens en application de l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22. Le défendeur invoque la décision Zheng c. Canada (M.C.I.), 2003 CFPI 54, au paragraphe 14, pour dire que, sauf mauvaise foi de sa part, les manquements ou erreurs entachant une décision, que ces manquements ou erreurs soient considérés individuellement ou collectivement, ne constituent pas des raisons spéciales en vertu de l’article 22 des Règles. Le défendeur dit que le demandeur n’a pas établi qu’il y a eu mauvaise foi de la part du défendeur.

 

[20]           L’article 22 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés prévoit ce qui suit :

22. Sauf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales, la demande d’autorisation, la demande de contrôle judiciaire ou l’appel introduit en application des présentes règles ne donnent pas lieu à des dépens.

22. No costs shall be awarded to or payable by any party in respect of an application for leave, an application for judicial review or an appeal under these Rules unless the Court, for special reasons, so orders.

 

[21]           La juge Dawson a estimé, dans la décision Johnson c. Canada (M.C.I.), [2005] A.C.F. n° 1523, 2005 CF 1262, au paragraphe 26, qu’« on peut conclure à des raisons spéciales si une partie a inutilement ou de façon déraisonnable prolongé l’instance ou lorsqu’une partie a agi d’une manière qui peut être qualifiée d’inéquitable, d’oppressive, d’inappropriée ou de mauvaise foi ».

 

[22]           En l’espèce, le défendeur a admis que l’affaire devrait être renvoyée pour nouvelle décision, ce qui, en des circonstances normales, constituerait un facteur donnant à penser que des dépens ne devraient pas être adjugés : décision Johnson, précitée, au paragraphe 27. De plus, en l’espèce, l’avocate du demandeur a prolongé à l’excès la procédure en consacrant tout le temps réservé pour l’audience initiale à la présentation des vues de son client sur le dossier, sans donner au défendeur l’occasion de présenter des arguments. L’avocate du demandeur avait été priée, avant l’audience, de dire si une audience initiale plus longue aurait dû être prévue, et elle avait informé la Cour que l’affaire pouvait être menée à terme à l’intérieur du délai imparti. La conduite de l’avocate de l’appelant a entraîné un ajournement inutile, ce qui, en l’espèce, fut particulièrement fâcheux, puisqu’il en a résulté un retard inutile qui fut sans aucun doute la source de nouvelles difficultés pour le demandeur et sa famille.

 

[23]           Néanmoins, en l’espèce, la conduite du défendeur a été si injuste qu’il est tout à fait compréhensible que le demandeur n’ait pas voulu d’une ordonnance par consentement et ait préféré que l’affaire soit examinée par la Cour. Le demandeur a déjà constaté que le renvoi d’une affaire par consentement n’a pas conduit à une nouvelle décision juste de son cas. Après les observations incidentes faites par le juge MacKay dans sa décision de 2000 portant sur le sursis d’exécution, le demandeur et le défendeur avaient reconnu que la décision de l’agente d’immigration Mary Leahy Bennett relative aux motifs d’ordre humanitaire devrait être renvoyée par consentement. Le juge MacKay a souligné très clairement, au paragraphe 17 de ses motifs, que, selon lui, l’agente n’avait pas tenu compte de la décision de l’arbitre de 1997. Or, dans la décision visée par la présente procédure de contrôle judiciaire, un autre agent des visas n’a pas tenu compte de la décision de l’arbitre de 1997.

 

[24]           Comme je l’ai dit plus haut, la décision de novembre 2004 doit être renvoyée pour nouvelle décision, non seulement parce que l’agent des visas n’a pas tenu compte de la décision de l’arbitre de 1997, mais également parce qu’il a rendu sa décision prématurément, n’a pas donné au demandeur l’occasion de répondre aux arguments, a pris en compte des renseignements qui n’avaient pas été communiqués au demandeur, enfin s’est à tout le moins livré à une communication irrégulière avec la Section des crimes de guerre du CERMT et a pu être influencé à tort par cette communication. Chacune de ces erreurs aurait à elle seule conduit la Cour à annuler la décision de l’agent des visas.

 

[25]           Le juge MacKay écrivait en 2000 que, bien qu’il lui fût impossible d’accorder au demandeur un sursis d’exécution de la mesure de renvoi prononcée contre lui, il déplorait tout à fait que le demandeur n’ait pas été traité d’une manière équitable par les autorités. Au paragraphe 17 de ses motifs, n° du greffe IMM‑2539‑00, il écrivait ce qui suit :

Cela dit, j’estime que cette affaire est caractérisée par une incohérence remarquable dans le traitement réservé par le ministère de l’Immigration à M. Ramirez‑Perez au fil des ans. Il avait visiblement un permis de travail toutes ces années, la première demande de sa femme pour parrainer son établissement au Canada a été accueillie en principe en 1993 malgré la conclusion tirée en 1992 par une formation de la section du statut qu’il n’était pas un réfugié au sens de la Convention, par des motifs qui auraient interdit son entrée dans le pays. Ces motifs ont été subséquemment rejetés après enquête par un arbitre en 1997. Il a été alors autorisé à soumettre une nouvelle demande de parrainage. Lorsque celle‑ci fut finalement examinée en avril et mai de cette année par une section régionale des crimes de guerre, il s’en est suivi une décision qui, prenant en compte la décision de 1992 de la section du statut et ignorant celle de 1997 de l’arbitre, indique que l’autorité responsable n’est pas convaincue que le demandeur ne soit pas une personne dont l’alinéa 19(1)j) interdit l’entrée dans le pays comme s’il incombait à celui‑ci, sans qu’il en soit informé, de prouver qu’il y a lieu de reconsidérer sa situation et de prouver qu’il ne tombe pas sous le coup de cette disposition. Puis une décision défavorable lui a été notifiée le 12 mai en même temps que l’ordre de se présenter pour être renvoyé hors du Canada, 11 jours après.

 

[26]           Il est très troublant de constater que, près de six ans après que le juge MacKay a exprimé l’avis que le demandeur avait été traité avec une « incohérence remarquable », l’unique cohérence qui soit apparue est l’aptitude de l’agent des visas à ne tenir aucun compte de la décision de l’arbitre de 1997.

 

[27]           Selon moi, le défendeur a agi d’une manière inéquitable de par son incapacité persistante à rendre une décision dans le dossier du demandeur sans tenir dûment compte de l’intégralité de la preuve. Vu les circonstances particulières de la présente affaire, je crois que, même si l’avocate du demandeur a fait traîner la procédure, il y a encore des raisons spéciales d’accorder au demandeur des dépens au montant de 750 $.

 

Dispositif

[28]           En bref, la décision de l’agent des visas en date du 23 novembre 2004 est annulée. L’affaire sera renvoyée pour nouvelle audience devant un autre agent des visas. Lorsqu’il rendra sa décision, l’autre agent des visas devra tenir compte de tous les faits et éléments du présent dossier, y compris de la décision de l’arbitre en date du 29 mai 1997.

 

[29]           Le demandeur a prié la Cour de certifier la question suivante :

Le ministre doit‑il, selon le principe de l’autorité de la chose jugée, considérer comme décisive la décision d’un arbitre de l’immigration, rendue avant l’entrée en vigueur de la LIPR, sur la question de l’interdiction de territoire?

 

[30]           Vu la décision rendue en l’espèce, il ne m’est pas nécessaire de certifier une question au nom du demandeur.

 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée pour nouvelle audience devant un autre agent des visas, et ce, en conformité avec les présents motifs. Des dépens au montant de 750 $ sont adjugés au demandeur. Aucune question ne sera certifiée.

 

« Max M. Teitelbaum »

                                                                                                                          Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑4227‑05

 

 

INTITULÉ :                                                   SAMUEL JONATHAN RAMIREZ PEREZ

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATES DE L’AUDIENCE :                         LE 29 MARS 2006 ET LE 15 AOÛT 2006

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE TEITELBAUM

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 18 AOÛT 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Patricia Wells

 

POUR LE DEMANDEUR

John Loncar

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Patricia Wells

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.