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Date : 20250526

Dossier : T-28-24

Référence : 2025 CF 940

[TRADUCTION FRANÇAISE, NON-RÉVISÉE PAR L'AUTEURE]

Toronto (Ontario), le 26 mai 2025

En présence de madame la juge Aylen

ENTRE :

GRC FOOD SERVICES LTD.

demanderesse

et

CHOCOLADEFABRIKEN LINDT & SPRÜNGLI AG

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse interjette appel, au titre de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13 (la Loi), de la décision de la Commission des oppositions des marques de commerce (la Commission) par laquelle celle‑ci a refusé l’enregistrement de la marque MASTER CHOCOLAT de la demanderesse au motif qu’elle créerait de la confusion avec deux marques de commerce déposées de la défenderesse.

[2] Après la décision de la Commission, mais avant l’audition du présent appel, les deux marques déposées de la défenderesse sur lesquelles se fondait la conclusion de la Commission sur la question de la confusion ont été radiées. La principale question en l’espèce est de savoir si la radiation est un nouvel élément de preuve pertinent et, le cas échéant, ses conséquences sur le présent appel.

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la radiation des marques de la défenderesse est un nouvel élément de preuve pertinent qui déclenche un examen de novo. Puisque la Commission n’a pas tenu compte des autres marques déposées de la défenderesse lors de l’analyse de l’alinéa 12(1)d) de la Loi, notre Cour doit le faire. Les parties conviennent que notre Cour peut également, lors de l’examen de novo, examiner les autres motifs d’opposition de la défenderesse. Par conséquent, je scinderai l’instance et j'établirai un échéancier pour le dépôt d'observations et le dépôt éventuel de nouveaux éléments de preuve au sujet des autres motifs d’opposition.

I. Le contexte

[4] Le 9 octobre 2015, la demanderesse a déposé la demande de marque de commerce no 1 749 988 pour les produits et services suivants :

[TRADUCTION]

Produits : (1) emballages de fer‑blanc; (2) boîtes cadeau et emballages pour cadeaux, c’est‑à‑dire papier d'emballage cadeau, étiquettes cadeau en papier, cartes cadeau, sacs pour cadeau en papier et rubans pour emballage cadeau; recettes et livres de recettes pour le chocolat; (3) chocolat, confiseries en chocolat, bonbons, crème glacée, biscuits et gâteaux en chocolat et produits connexes, c’est‑à‑dire sauces et tartinades à base de chocolat.

Services : exploitation d'une entreprise de vente de chocolat, confiseries, bonbons, crème glacée, biscuits et gâteaux et produits connexes, c’est‑à‑dire sauces et tartinades à base de chocolat, boîtes cadeau, emballages de fer‑blanc, emballages pour cadeau et recettes et livres de recettes pour le chocolat.

[5] La demande a été publiée dans le Journal des marques de commerce le 2 mai 2018.

[6] La défenderesse détient les marques de commerce déposées suivantes :

Numéro de l'enregistrement

Marque de commerce

Produits [TRADUCTION]

LMC 377 673

Chocolat et produits de chocolat, c’est‑à‑dire godets de chocolat, décorations de chocolat et copeaux de chocolat.

LMC 837 071

Chocolat et produits de chocolat, c’est‑à‑dire godets de chocolat, décorations de chocolat et copeaux de chocolat.

LMC 993 318

LINDT MAÎTRE CHOCOLATIER

Chocolat.

LMC 993 319

LINDT MASTER CHOCOLATIER

Chocolat.

 

[7] Les parties ont appelé les marques nos LMC 377 673 et 837 071 les « marques CHOCOLATE MASTERS » et les marques nos LMC 993 318 et 993 319 les « marques MAÎTRE CHOCOLATIER ».

[8] La défenderesse a également déposé les demandes de marque de commerce suivantes, qui font également partie des « marques MAÎTRE CHOCOLATIER » :

Numéro de demande

Marque de commerce

Produits [TRADUCTION]

1 773 029

MASTER CHOCOLATIER

Chocolat.

1 773 030

MAÎTRE CHOCOLATIER

Chocolat.

[9] Le 2 juillet 2019, la défenderesse a déposé un avis d’opposition à la demande de la demanderesse au titre de l’article 38 de la Loi (selon le libellé avant les modifications du 17 juin 2019). Elle a soulevé les motifs d'opposition suivants :

A. En vertu de l’alinéa 12(1)d) de la Loi, on ne pouvait enregistrer la marque de la demanderesse parce qu’elle créerait de la confusion avec les marques déposées CHOCOLATE MASTERS et MAÎTRE CHOCOLATIER de la défenderesse;

B. Il y avait violation de l’alinéa 16(3)a) de la Loi, puisque la demanderesse n’était pas la personne ayant droit d’obtenir l'enregistrement, parce qu’au moment du dépôt de la demande, la marque de la demanderesse créait de la confusion avec les marques de la défenderesse susmentionnées dans les deux tableaux qui précèdent, lesquelles marques avaient été antérieurement employées et révélées abondamment au Canada par la défenderesse ou son prédécesseur en titre avant le dépôt de la demande de la demanderesse au Canada.

C. Il y avait violation de l’alinéa 16(3)b) de la Loi, puisque la demanderesse n’était pas la personne ayant droit d’obtenir l'enregistrement, parce qu’au moment du dépôt de la demande, la marque de la demanderesse créait de la confusion avec les marques MAÎTRE CHOCOLATIER et MASTER CHOCOLATIER de la défenderesse, à l’égard desquelles des demandes d’enregistrement (nos 1 773 029 et 1 773 030) avaient été antérieurement produites par la défenderesse au Canada avant le dépôt de la demande de la demanderesse au Canada.

D. La marque de la demanderesse n’est pas distinctive au sens de l’article 2 de la Loi parce qu’elle ne distingue pas véritablement les produits et services de la demanderesse de ceux de la défenderesse et n’est pas adaptée à distinguer les produits et services visés par la demande de ceux de la défenderesse en raison de l’emploi, de la révélation, de la promotion et de la publicité considérables des marques de la défenderesse au Canada.

[10] Les deux parties ont présenté des éléments de preuve et des observations écrites à la Commission et ont participé à l’audience.

[11] Dans sa décision du 25 octobre 2023, la Commission a rejeté l’opposition de la défenderesse fondée sur l’absence de droit d’obtenir l’enregistrement au titre des alinéas 16(3)a) et 16(3)b) de la Loi et sur l’absence de caractère distinctif au titre de l'article 2 de la Loi. La Commission a cependant donné raison à la défenderesse à l’égard de l’alinéa 12(1)d) et a refusé l’enregistrement au titre du paragraphe 38(2) parce qu’il y avait une probabilité de confusion entre la marque de la demanderesse et les marques CHOCOLATE MASTERS de la défenderesse. En raison de sa conclusion au sujet des marques CHOCOLATE MASTERS, la Commission ne s’est pas prononcée sur le motif d'opposition supplémentaire fondé sur l’alinéa 12(1)d) à l’égard des marques MAÎTRE CHOCOLATIER.

[12] Le 27 décembre 2023, la demanderesse a interjeté le présent appel à l’encontre du refus de la Commission. Le moyen principal de la demanderesse était que la Commission avait commis une erreur lors de son analyse de la confusion lorsqu’elle avait conclu que les voies de commercialisation des produits portant la marque de la demanderesse et de ceux portant les marques CHOCOLATE MASTERS de la défenderesse se chevauchaient.

[13] Les parties ont signifié et déposé leurs dossiers en juillet 2024. Le second affidavit de Bernard Callebaut du 6 février 2024 faisait partie du dossier de la demanderesse. La demanderesse affirme qu’il s’agit d’un nouvel élément de preuve pertinent qui fait que notre Cour doit faire un examen de novo.

[14] Le 8 octobre 2024, les enregistrements des marques CHOCOLATE MASTERS de la défenderesse (LMC 377 673 et LMC 837 071) ont été radiés en vertu de l’article 45 de la Loi.

[15] Le 17 mars 2025, soit deux semaines avant l’audition de la présente demande, la demanderesse a informé la Cour qu’elle demandait l’autorisation de déposer un nouvel élément de preuve au sujet de l’état du registre des marques de commerce, soit le second affidavit de Lindy Grant du 20 mars 2025, qui comprenait une preuve documentaire de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada selon laquelle les marques CHOCOLATE MASTERS avaient été radiées. La demanderesse a également informé la Cour que les deux parties avaient consenti au dépôt de l’affidavit sur la radiation, sous réserve du droit de la défenderesse d’en contester la recevabilité et la pertinence à l’audience, et que les deux parties déposeraient des observations supplémentaires au sujet de cet élément de preuve avant l'audience. J’ai accédé à la demande commune des parties.

[16] Avant l’audience, j’ai convoqué une conférence de gestion de l’instance avec les parties pour discuter de l’effet éventuel du dépôt de l'affidavit sur la radiation sur les questions soulevées en l’espèce. J’ai demandé aux parties de présenter des observations sur les questions suivantes lors de l’audience : (1) Si l’affidavit sur la radiation est recevable, est‑il déterminant pour l’appel? (2) Si cet affidavit n’est pas recevable, mais que l’affidavit de M. Callebaut est un nouvel élément de preuve pertinent, la Cour peut‑elle alors néanmoins tenir compte de la radiation des marques CHOCOLATE MASTERS de la défenderesse? (3) Si la radiation des marques de commerce CHOCOLATE MASTERS n’est pas déterminante pour la demande, la Cour devra‑t‑elle faire un examen de novo de l’opposition fondée sur l’alinéa 12(1)d) de la Loi à l’égard des marques MAÎTRE CHOCOLATIER, ce que la Commission n’a pas fait? (4) Si la Cour fait un examen de novo, devra‑t‑elle alors examiner les autres motifs d’opposition que la défenderesse a soulevés à la Commission? (5) Si la Cour doit examiner ces autres motifs, ne serait‑il pas d’abord nécessaire que les parties présentent des observations supplémentaires, de sorte qu’il faudra scinder l'instance?

II. Caractère recevable et pertinence de l’affidavit sur la radiation

[17] Puisque la demanderesse n’a cherché à déposer l’affidavit sur la radiation que quelques semaines avant l’audience, elle doit d’abord obtenir l’autorisation de la Cour pour le faire : alinéa 312a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles). Si la Cour donne son autorisation, il faudra alors décider si l’affidavit est un nouvel élément de preuve pertinent, de sorte que la Cour doit examiner de novo l’opposition fondée sur l’alinéa 12(1)d) de la Loi.

[18] L’alinéa 312a) des Règles dispose qu’une partie peut, avec l’autorisation de la Cour, déposer des affidavits complémentaires en plus de ceux visés aux articles 306 et 307 des Règles. La partie devra alors satisfaire à deux exigences préalables : (i) l’élément de preuve est recevable lors de la demande; (ii) l’élément de preuve porte sur une question dont la Cour de révision est saisie à juste titre : voir les arrêts Connolly c. Procureur général du Canada, 2014 CAF 294, au paragraphe 6, et Forest Ethics Advocacy Association c. Office national de l’énergie, 2014 CAF 88, au paragraphe 4.

[19] S’il est satisfait aux deux exigences préalables, la partie doit alors convaincre la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire et d’autoriser le dépôt. Lorsqu’elle examine s’il est dans l’intérêt de la justice d’accorder l’autorisation, la Cour doit se poser trois questions : (1) La partie avait‑elle accès à l’élément de preuve qu’elle souhaite déposer lorsqu’elle a déposé ses affidavits en application de l’article 306 ou 307 des Règles, selon le cas, ou aurait‑elle pu y avoir accès en faisant preuve de diligence raisonnable? (2) L’élément de preuve sera‑t‑il utile à la Cour, en ce sens qu’il est pertinent quant à une question à trancher et que sa valeur probante est suffisante pour influer sur l’issue de l’affaire? (3) L’admission de l’élément de preuve entraînera‑t‑elle un préjudice important ou grave pour l’autre partie? (Voir les arrêts précités Connolly, au paragraphe 6, et Forest Ethics, au paragraphe 6.)

[20] Notre Cour a reconnu que les questions ou facteurs énoncés dans l’arrêt Connolly ne sont pas exhaustifs, et la jurisprudence ne dit pas comment les soupeser. Puisque chaque décision dépend des faits et est discrétionnaire, il se peut que la Cour doive examiner d’autres facteurs. Avant tout, lorsqu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire, la Cour doit tenir compte de l’objet général énoncé à l’article 3 des Règles, soit qu’il faut interpréter et appliquer les Règles « de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible ». (Voir la décision Callaghan c. Directeur général des élections du Canada, 2008 CF 1080, paragraphes 26 et 27.)

[21] Il y a un jeu réciproque entre les critères prévus à l’alinéa 312a) des Règles et ceux de la Loi quant aux nouveaux éléments de preuve pertinents et leur effet sur la norme d’examen lors d'un appel. Je les examinerai donc ensemble.

[22] Il faut commencer l'analyse en se souvenant que la date à laquelle il faut examiner la question de la confusion à l’alinéa 12(1)d) de la Loi est la date de la décision de la Commission. Cependant, lorsqu’on dépose de nouveaux éléments de preuve qui auraient eu une incidence importante sur les conclusions de fait de la Commission ou sur la façon dont elle aurait exercé son pouvoir discrétionnaire, la Cour doit effectuer un examen de novo et tenir compte de l’ensemble de la preuve. Il faut alors examiner la question de la confusion au titre de l’alinéa 12(1)d) à la date du jugement de la Cour. (Voir The Thymes, LLC. c. Reitmans (Canada) Limitée, 2013 CF 127, paragraphe 15, The Clorox Company of Canada, Ltd. c. Chloretec S.E.C., 2020 CAF 76, [2020] 4 R.C.F. F‑8, aux paragraphes 21 et 22, et Caterpillar Inc. c. Puma S.E., 2021 CF 974, paragraphes 32 à 34.)

[23] Un élément de preuve peut être « pertinent » s’il renforce la valeur probante de l’ensemble du dossier d’une façon qui aurait pu avoir une incidence sur les conclusions de fait de la Commission ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire (voir les décisions Seara Alimentos Ltda c. Amira Enterprises Inc., 2019 CAF 63, [2019] 3 R.C.F. F‑7, paragraphe 24, et Tokai of Canada Ltd. c. The Kingsford Products Company, LLC, 2021 CF 782, paragraphe 23), ou lorsqu’il corrige des lacunes ou remédie à une insuffisance relevée par la Commission (voir la décision Promotion In Motion, Inc. c. Hershey Chocolate & Confectionery LLC, 2024 CF 556, au paragraphe 57).

[24] Pour être « pertinent », le nouvel élément de preuve doit être suffisamment important et être probant. Un élément de preuve qui complète ou répète simplement la preuve existante n’atteint pas le seuil requis. (Voir la décision Papiers Scott Limitée c. Georgia‑Pacific Consumer Products LP, 2010 CF 478, paragraphes 48 et 49, et l’arrêt Clorox, précité, paragraphe 21). La question n’est pas de savoir si le nouvel élément de preuve aurait conduit la Commission à changer sa décision; il suffit qu’il eût pu influer sur sa décision (Papiers Scott, précité, paragraphe 49). Le critère en est un de qualité et non de quantité (voir la décision Vivat Holdings Ltd. c. Levi Strauss & Co., 2005 CF 707, [2006] 3 R.C.F. F‑27, paragraphe 27).

[25] La question dont la Cour est saisie est donc la suivante : l’affidavit sur la radiation est‑il si important et probant qu’il aurait eu une incidence sur une conclusion de fait de la Commission ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire? (Voir l'arrêt Seara Alimentos, précité, paragraphe 25.)

[26] La demanderesse répond par l'affirmative. Elle se fonde sur l’arrêt Park Avenue Furniture Corp. v. Wickes/Simmons Bedding Ltd., 1991 CanLII 11769 (C.A.F.), et sur les décisions Everlast World’s Boxing Headquarters Corporation c. Amethyst Investment Group, Inc., 2004 CF 875, et H‑D Michigan, Inc. c. The MPH Group Inc., 2006 CF 538. Elle affirme que la preuve de la radiation postérieure à la décision de la Commission est pertinente et qu’il est dans l'intérêt de la justice que la Cour comprenne bien l’état du registre des marques de commerce lorsqu’elle se penche sur l’appel.

[27] La défenderesse répond par la négative. Elle se fonde sur les décisions Nefco Furniture Ltd. c. The Brick Warehouse Corp., 2003 CF 852, Wrangler Apparel Corp. c. The Timberland Company, 2005 CF 722, Hawke & Company Outfitters LLC c. Retail Royalty Company, 2012 CF 1539, Hayabusa Fightwear Inc. c. Suzuki Motor Corporation, 2014 CF 784, et Amira Foods (India) Limited c. Les entreprises Amira Inc., 2015 CF 1419. La défenderesse affirme que l’affidavit sur la radiation n’est pas pertinent, puisque la radiation des marques CHOCOLATE MASTERS est postérieure à la décision. Les procédures d’opposition dépendent d’un moment précis et, en l’espèce, le moment précis pour les besoins de l’alinéa 12(1)d) est la date de la décision de la Commission. La défenderesse affirme que, logiquement, aucun élément de preuve postérieur à la décision de la Commission ne peut lui être pertinent.

[28] Ce n’est que dans trois des décisions invoquées par les parties que le nouvel élément de preuve portait sur la radiation postérieure à la décision de la Commission de la marque qui avait justifié le refus d'enregistrement.

[29] De ces trois décisions, la plus ancienne est Nefco, une décision invoquée par la défenderesse et rendue en 2003 par notre Cour. Dans cette décision, la Commission avait fait droit à une opposition fondée sur l’alinéa 12(1)d) et avait conclu que la marque MATTRESS EXPRESS n’était pas enregistrable parce qu'elle créait de la confusion avec la marque BEDDING EXPRESS de l’opposante. La Cour a souligné l’une des conclusions de la Commission : « L’arrêt de production apparent de la marque du défendeur était une circonstance de l’espèce qu'elle [la Commission] a notée en prenant en compte les facteurs énumérés dans les alinéas 6(5)a) et b) de la Loi. » Après la décision de la Commission, la marque BEDDING EXPRESS a été radiée conformément à l’article 45 de la Loi.

[30] Lors de l’appel à notre Cour, la demanderesse a présenté un certain nombre de nouveaux éléments de preuve, notamment que la marque BEDDING EXPRESS avait été radiée parce que la défenderesse n’en avait pas établi l’emploi. La juge Dawson a conclu que le nouvel élément de preuve n’était pas pertinent. Elle a affirmé ce qui suit au sujet de la preuve de la radiation au paragraphe 15 :

[...] la date pertinente pour évaluer la confusion est la date de la décision de la registraire. Le fait que l’avis émis en vertu de l’article 45 et que la radiation soient survenus après la date de la décision de la registraire rend cette preuve non pertinente. En outre, la registraire a conclu qu’il s’est écoulé sept années depuis la dernière utilisation attestée de la marque BEDDING EXPRESS. Elle a de plus conclu qu’elle n’était plus connue d’une manière significative et a reconnu que le non‑emploi d'une marque de commerce déposée est un facteur pertinent. La registraire était sensible au manque d’utilisation de la marque de Brick. Elle doutait que l’opposition de Brick en vertu de l’article 16 de la Loi aurai eu gain de cause, en notant que Brick aurait eu à établir le non‑abandon de la marque BEDDING EXPRESS, à la date de l’annonce de l’opposition de Nefco. Compte tenu de ces facteurs, je ne suis pas convaincue que le processus de l’article 45 aurait affecté la décision de la registraire.

[31] Dans toutes les décisions de notre Cour postérieures à Nefco qui portaient sur un nouvel élément de preuve selon lequel la marque avait été radiée après la décision de la Commission, notre Cour est arrivée à la décision contraire et n'a pas renvoyé à la décision Nefco.

[32] Dans la décision Everlast rendue par notre Cour en 2004, la demanderesse voulait enregistrer la marque EVERLAST et dessin pour des produits d’hygiène pour hommes. La Commission l’a refusée parce que la demanderesse n’avait pas établi que la marque proposée ne créait pas de confusion avec la marque déposée no 417 868. À notre Cour, la demanderesse a affirmé que la conclusion de la Commission au sujet de la confusion était erronée, puisque la marque déposée no 417 868 avait été radiée avant la décision de la Commission.

[33] La preuve établissait qu’on avait commencé la procédure prévue à l’article 45 de la Loi avant la décision de la Commission et que, puisque la défenderesse n’avait pas présenté de preuve, on l’a informée que sa marque serait radiée. Après la période d’appel de deux mois, et deux semaines après la décision de la Commission, la marque de la défenderesse a été radiée du registre.

[34] Le juge Pinard a conclu que la marque de la défenderesse n’était que susceptible de radiation, et non radiée, jusqu’à ce que le registraire l'ait déclarée radiée. Il a ensuite affirmé :

[8] Il est important de reconnaître l’effet de la radiation d’une marque de commerce déposée, à savoir que lorsqu’une marque déposée a été radiée et qu’il n'y a pas de preuve quant à son emploi, il ne peut y avoir de confusion (Borden, Inc. c. Hostess Food Products Ltd., [1990] 1 C.F. 570 (1re inst.)).

[...]

[10] En l’espèce, il a été apporté devant la Cour des éléments de preuve additionnels n’ayant pas été fournis devant le registraire : (1) le certificat d'authenticité des marques de commerce daté du 14 janvier 2004 indiquant que la marque déposée no 417,868 a été radiée le 19 juin 2003 pour défaut d'emploi, et (2) une autre lettre de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada datée du 19 juin 2003 informant la défenderesse que la marque déposée no 417,868 a été radiée ce même jour. Ces documents, compte tenu de leur date, ne pouvaient évidemment pas être présentés devant la Commission.

[11] Comme il est maintenant clair qu’à compter de la radiation de la marque déposée no 417,868, à savoir le 19 juin 2003, il ne pouvait y avoir aucune confusion entre les marques en question des parties, la décision contestée de la Commission doit être annulée et la demande d’enregistrement de la marque proposée EVERLAST et dessin doit être accueillie.

[12] Par conséquent, la demande est accueillie. La décision de la Commission des oppositions des marques de commerce en date du 4 juin 2003 rejetant la demande d’enregistrement de la marque de commerce EVERLAST et dessin de la demanderesse, demande no 733,975, en vertu de l’alinéa 12(1)d) et du paragraphe 63(3) de la Loi, est annulée. L’affaire est renvoyée à une Commission des oppositions des marques de commerce différemment constituée avec comme directive d'accueillir la seconde demande d’enregistrement de la marque de commerce EVERLAST et dessin de la demanderesse.

[35] Dans la décision H‑D Michigan rendue par notre Cour en 2006, la Commission avait accepté la demande d’enregistrement de la défenderesse pour la marque HARLEYWOOD pour des vêtements et des tasses et pour le service de l’exploitation d’une boîte de nuit. La demanderesse s’était opposée à l’enregistrement au motif que la marque de la défenderesse créait de la confusion avec certaines de ses marques. Les deux parties ont présenté de nouveaux éléments de preuve lors de l’appel, et la défenderesse a notamment déposé la preuve que la marque de la demanderesse pour des services de restauration et de bar avait été radiée pour cause de non‑emploi quelques mois après la décision de la Commission. La demanderesse a notamment affirmé que la preuve de la radiation n'était pas pertinente, puisque la radiation était postérieure à la décision du registraire.

[36] Le juge O’Keefe a affirmé ce qui suit au paragraphe 48 :

La défenderesse a soumis à la Cour des éléments de preuve complémentaires sous la forme d'un affidavit souscrit par Mme Ford. Cet affidavit établit que, le 22 octobre 2004, la marque de commerce HARLEY enregistrée sous le numéro LMC 456051 par H‑D Michigan en vue d'être utilisée en liaison avec des services de restauration et de bar a été radiée pour défaut d’usage. Ces éléments de preuve sont importants et ils auraient eu un effet sur l’appréciation de la confusion au sens de l’alinéa 12(1)d) par le registraire (voir le jugement Everlast World's Boxing Headquarters Corp. c. Amethyst Investment Group, Inc., 2004 CF 875).

[37] Il a ensuite affirmé au paragraphe 53 :

Après que le registraire eut rendu sa décision, la marque de commerce HARLEY enregistrée sous le numéro LMC 456051 par H‑D Michigan en vue d’être utilisée en liaison avec des services de restauration et de bar a été radiée pour défaut d’établir l'usage. On ne peut donc plus considérer que cette marque de commerce crée de la confusion avec la marque projetée au sens de l’alinéa 12(1)d) de la Loi en ce qui concerne les services d'une boîte de nuit.

[38] La demanderesse affirme que la décision Nefco ne présente plus l’état actuel du droit, parce qu’elle reposait sur l’ambiguïté juridique qu’il y avait alors quant au moment pertinent pour les besoins de l’alinéa 12(1)d), c’est‑à‑dire si la date pertinente était celle de la décision de la Cour ou de la décision de la Commission. La demanderesse a souligné qu'après avoir conclu que la preuve supplémentaire n’aurait pas eu d’incidence sur la décision de sorte que la Cour devrait effectuer un examen selon la norme de la décision raisonnable plutôt qu’un examen de novo, la juge Dawson avait affirmé au paragraphe 17 :

Comme je dois maintenant en arriver à ma propre conclusion sur ce dossier, je n’ai pas besoin d’examiner si la date importante pour cet examen de novo est la date à laquelle la cour rend sa décision (soulevée en passant dans Baylor University c. la [sic] compagnie dite the Governor and Co. of Adventurers Trading into Hudson's Bay (2000), 8 C.P.R. (4th) 64 à la note 15 (C.A.).

[39] Dans l’arrêt Baylor University rendu en 2000 par la Cour d’appel fédérale, le juge en chef Marc Noël a affirmé à la note de bas de page 15 :

Puisqu’il s’agissait d'un appel dans lequel le juge de première instance était appelé à se prononcer sur les points de fait et de droit, avec introduction d’éléments de preuve nouveaux, la date déterminante pourrait fort bien être celle de son jugement, rendu 18 mois après. Cf. Park Avenue Furniture, note 9 ci‑dessus, page 425, où Mme le juge Desjardins, J.C.A., s’est prononcée en ces termes :

Il me semble qu’il importe que la décision du registraire ou du tribunal reflète avec exactitude l’état du registre. Le droit à l’enregistrement devrait être décidé à la date de l’enregistrement ou à la date du refus de l’enregistrement.

[40] L’arrêt Park Avenue rendu en 1991 était un appel d’une décision du juge Dubé de notre Cour à la Cour d’appel fédérale. Le juge Dubé avait confirmé le refus de la Commission d’enregistrer la marque POSTURE‑BEAUTY parce qu’il y avait une probabilité de confusion avec la marque BABYBEAUTY de l’intimée. Le juge Dubé était d’accord avec la Commission pour dire qu’on devait évaluer la confusion selon le paragraphe 6(5) de la Loi à la date de dépôt de l'opposition. L’appelante a affirmé que la décision du juge Dubé au sujet de la date pertinente était erronée et que la Loi ne disait rien au sujet de la date à utiliser pour établir si une marque est enregistrable. La Cour d’appel fédérale a affirmé ce qui suit :

[TRADUCTION]

Dans le cas d'une opposition au droit à l’enregistrement, le point de vue adopté par le juge Heald dans l’arrêt Oshawa m’apparaît le plus logique. Je ne vois rien d’anormal dans la possibilité pour les parties de mettre la situation à jour lorsqu’il s’agit de savoir s’il y a lieu d’accorder une reconnaissance légale à une marque. Il me semble qu’il importe que la décision du registraire ou de la Cour reflète avec exactitude l’état du registre. Le droit à l'enregistrement devrait être décidé à la date de l’enregistrement ou à la date du refus de l’enregistrement.

[41] La défenderesse affirme que l’arrêt Nefco énonce encore correctement le droit et qu’il y a simplement un conflit jurisprudentiel sur cette question. La défenderesse affirme également que la Cour devrait examiner la décision Everlast avec prudence en raison du [TRADUCTION] « libellé curieux » du paragraphe 11 de cette décision. Pourtant, rien dans ce paragraphe ne me semble curieux ou ambigu.

[42] Dans les autres décisions qu'invoque la défenderesse, il est question de nouveaux éléments de preuve postérieurs à la décision de la Commission, sans qu’il y ait eu radiation de la marque.

[43] La décision Wrangler de notre Cour en 2005 portait sur le rejet par la Commission de la demande d’enregistrement par la demanderesse de la marque TIMBER CREEK BY WRANGLER pour des chaussures parce qu’elle créerait de la confusion avec la marque déposée TIMBERLAND de la défenderesse, mais la Commission l’a acceptée pour des vêtements. Lors de l’appel, la demanderesse a présenté de nouveaux éléments de preuve selon lesquels, en juin 2004, des sandales, des chaussures et des bottes de marque TIMBERLAND continuaient à coexister sur le marché canadien avec des sandales, des chaussures et des bottes de marque TIMBERLINE.

[44] La juge Snider a examiné la question de savoir s’il s’agissait de « nouveaux » éléments de preuve. Elle a conclu qu’ils n’étaient pas « nouveaux » parce qu’ils ne faisaient que compléter la preuve dont la Commission avait déjà été saisie, de sorte qu’il s’agissait d’une preuve « quantitative et non qualitative ». La juge Snider a ensuite affirmé :

[10] Une seconde faille dans cette preuve nouvelle tient à ce qu’elle a été produite après les dates pertinentes pour l’analyse de la confusion par le registraire. Vu que la décision de ce dernier est datée du 5 mars 2004 et que les affidavits en question ont été établis sous serment en juin 2004, la preuve « nouvelle » n’aurait pu affecter cette décision. Cette faille a été reconnue par la demanderesse durant les débats.

[45] Dans la décision Hayabusa de notre Cour en 2014, la Commission avait refusé la demande d'enregistrement de la demanderesse pour la marque HAYABUSA pour des vêtements. La défenderesse avait soulevé un certain nombre de motifs d’opposition, notamment que la marque n’était pas enregistrable aux termes de l’alinéa 12(1)d) parce qu’elle créait de la confusion avec la marque de commerce déposée HAYABUSA de la défenderesse pour des motocyclettes et des accessoires de motocyclettes. La Commission n’avait pas examiné la question de l’alinéa 12(1)d) parce qu’elle avait retenu les objections de la défenderesse sur l’absence de droit à l’enregistrement et sur le caractère distinctif. Lors de l’appel, la demanderesse a déposé un affidavit au sujet de ses voies de commercialisation. Le juge de Montigny (plus tard juge en chef de la Cour d’appel fédérale) a conclu que l’affidavit n’était pas pertinent et n’aurait pu avoir une incidence importante sur la décision de la Commission. Il a affirmé :

[29] J’estime que ces arguments ne sont pas convaincants, essentiellement pour deux raisons. Tout d’abord, il est évident que des éléments de preuve portant sur des faits postérieurs à la date de production de la demande ne suffiront pas pour que la norme de contrôle applicable passe de la norme de la décision raisonnable à celle de la décision correcte. Dans le cas qui nous occupe, la date pertinente concernant l’absence de droit à l’enregistrement au titre du paragraphe 16(3) de la Loi est la date de dépôt de la demande, à savoir, le 3 février 2006. En ce qui concerne l’absence de caractère distinctif, la date pertinente, conformément à l’article 2 de la Loi, est la date de production de la déclaration d'opposition, à savoir le 13 novembre 2007.

[30] L’affidavit de M. Clement fournit des renseignements sur la marque de commerce de la demanderesse et son utilisation, mais ces renseignements visent principalement l’emploi de la marque après les dates pertinentes. [...]

[46] Dans la décision Amira de notre Cour en 2015, la Commission avait refusé l’enregistrement de la marque AMIRA et dessin de la demanderesse pour deux raisons, dont la seconde était que la marque créait de la confusion avec la marque déposée de la défenderesse et contrevenait donc à l’alinéa 12(1)d) de la Loi. Lors de l’appel, la demanderesse a déposé deux affidavits comme nouveaux éléments de preuve. Un des affidavits comprenait les résultats d’une recherche pour le mot « Amira » et d’une recherche sur l’emploi de la marque de la défenderesse avant la date de la demande. Le juge Diner a conclu que la preuve dans l’affidavit n’aurait pas eu d’incidence importante sur la décision de la Commission pour un certain nombre de raisons, notamment celle‑ci :

[29] De plus, la recherche est postérieure à la décision. Une preuve postérieure à la décision ne peut pas être déterminante dans la décision de la Commission (voir Wrangler, au paragraphe 10, et Hawke, au paragraphe 31). [...]

[47] Je conclus que la preuve de la radiation de la marque de commerce qui justifiait le non‑enregistrement au titre de l’alinéa 12(1)d) est d’une nature tout à fait différente de celle d'autres nouveaux éléments de preuve. On doit se souvenir que lorsqu’elle analyse la confusion selon l’alinéa 12(1)d), la Commission doit d’abord vérifier si la marque sur laquelle s’appuie l’opposant est valide. La Commission (tout comme la Cour lors d'un examen de novo au titre du paragraphe 56(5) de la Loi) peut examiner le registre pour vérifier l’état des marques invoquées par l’opposant (voir Schneider Electric Industries SAS c. Spectrum Brands, Inc., 2021 CF 518, [2021] 2 R.C.F. 15, paragraphe 29; Quaker Oats Co. of Canada Ltd./La Compagnie Quakers Oats du Canada Ltée v. Menu Foods Ltd. (1986), 11 C.P.R. (3d) 410 (C.O.M.C.)). On ne peut invoquer l’alinéa 12(1)d) comme motif d’opposition en l’absence de marque de commerce déposée valide. Par conséquent, l’état de la marque de l’opposant est une question préalable essentielle.

[48] Après avoir examiné toutes ces décisions, je conclus qu’il serait contraire à l’intérêt de la justice de contrôler la décision de la Commission — que ce soit selon la norme lors d’un appel ou lors d’un examen de novo — sans vérifier si la marque de l’opposant est valide au moment de la décision de la Cour : une marque proposée ne peut créer de la confusion avec une marque radiée. Cela est conforme à la déclaration de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Park Avenue, selon laquelle il importe que la décision de la Cour [TRADUCTION] « reflète avec exactitude l’état du registre ».

[49] De plus, je signale que, si la Cour ne pouvait tenir compte de la radiation de la marque de l’opposant, cela entraînerait des conséquences illogiques. Lorsque la Cour conclut que d’autres nouveaux éléments de preuve sont pertinents et qu’elle peut donc mener un examen de novo, le paragraphe 56(5) de la Loi l’autorise à tenir compte du registre et donc de la radiation. Cependant, si le seul nouvel élément de preuve porte sur la radiation, la Cour ne pourrait le faire. Il ne peut en être ainsi.

[50] Par conséquent, je conclus que l’affidavit sur la radiation est un nouvel élément de preuve pertinent.

[51] Passons aux critères de l’article 312 des Règles. Compte tenu de mes conclusions qui précèdent, il est satisfait aux critères préalables de la recevabilité et de la pertinence. Pour ce qui est des trois autres critères, on ne nie pas que la demanderesse n’avait pas accès à la preuve dans l’affidavit sur la radiation lorsqu'elle a déposé les affidavits visés par l’article 306 des Règles, puisque les marques CHOCOLATE MASTERS n’avaient pas encore été radiées, et je suis persuadée que l’affidavit sur la radiation sera utile lorsque la Cour tranchera l’appel, pour les raisons qui précèdent.

[52] Pour ce qui est du troisième critère, celui de savoir si le dépôt de l’affidavit sur la radiation entraînera un préjudice important ou grave, la défenderesse affirme qu’elle a subi un préjudice de cette nature parce qu’elle a dû déposer des observations écrites supplémentaires et traiter la question lors de l’audience. Je rejette cette prétention. Un préjudice important ou grave est un préjudice qu’on ne peut compenser au moyen d’un ajournement ou de l’adjudication de dépens. La défenderesse n’a pas demandé d’ajournement, et elle a reconnu lors des plaidoiries qu’on peut compenser le préjudice qu’elle affirme avoir subi au moyen des dépens.

[53] À l'appui de l’allégation qu’elle a subi un préjudice, la défenderesse souligne aussi que la demanderesse avait tardé à présenter à la Cour l’affidavit sur la radiation. Je conviens avec la défenderesse que la demanderesse n’a pas expliqué pourquoi elle ne l’a fait que quelques semaines avant l’audience. Cependant, si la demanderesse avait demandé l’autorisation de déposer l’affidavit sur la radiation en octobre 2024, soit immédiatement après la radiation des marques CHOCOLATE MASTERS, la défenderesse aurait néanmoins dû déposer des observations supplémentaires, puisqu’elle avait déjà déposé son dossier.

[54] J’autorise donc la demanderesse à se fonder sur l’affidavit sur la radiation dans la présente demande.

III. Conséquences procédurales de la décision de la Cour au sujet de l’affidavit sur la radiation

[55] La demanderesse affirme que puisque les marques CHOCOLATE MASTERS ont été radiées, il faut casser la décision de la Commission. La demanderesse affirme que, lors de l’examen de novo de la Cour, la radiation de ces marques est déterminante et la Cour doit accueillir la demande d’enregistrement de la marque de la demanderesse. Je ne suis pas d’accord avec la demanderesse. La défenderesse a fondé sur opposition au titre de l’alinéa 12(1)d) à la fois sur les marques CHOCOLATE MASTERS et sur les marques MAÎTRE CHOCOLATIER. La Commission ne s’est pas penchée sur les marques MAÎTRE CHOCOLATIER dans sa décision, puisqu’elle avait donné gain de cause à la défenderesse quant à l’opposition fondée sur la marque CHOCOLATE MASTERS. Lors de l’examen de novo, je dois examiner tous les arguments de la défenderesse au titre de l’alinéa 12(1)d), notamment celui fondé sur les marques MAÎTRE CHOCOLATIER. Il faudra des observations supplémentaires (et peut‑être les parties devront‑elles présenter d’autres éléments de preuve), puisque les observations qu’elles ont déposées ne traitent pas les marques MAÎTRE CHOCOLATIER.

[56] Pour ce qui est des autres motifs d’opposition de la défenderesse, les parties conviennent que si la Cour tranchera l’opposition fondée sur l’alinéa 12(1)d) et les marques MAÎTRE CHOCOLATIER, elle devra également trancher de novo les autres motifs d’opposition de la défenderesse au titre des alinéas 16(3)a) et 16(3)b) et de l’article 2 de la Loi. Je suis d’accord.

[57] En raison de ce qui précède, je casse la décision de la Commission. Je scinde l’instance. Lors du reste de l’instance, la Cour examinera de novo les motifs d’opposition suivants :

A. la question de savoir si la marque de la demanderesse ne peut être enregistrée au titre de l’alinéa 12(1)d) de la Loi parce qu'elle crée de la confusion avec les marques de commerce déposées MAÎTRE CHOCOLATIER de la défenderesse;

B. la question de savoir si la demanderesse n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la marque de la demanderesse au titre de l’alinéa 16(3)a) de la Loi parce qu’à la date de production de la demande, la marque de la demanderesse créait de la confusion avec toutes les marques de la défenderesse qui apparaissent dans les deux tableaux qui précèdent et que la défenderesse ou ses prédécesseurs en titre avaient antérieurement et considérablement employées et révélées au Canada avant la date de production de la demande au Canada;

C. la question de savoir si la demanderesse n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la marque de la demanderesse au titre de l’alinéa 16(3)b) de la Loi parce qu’à la date de production de la demande, la marque de la demanderesse créait de la confusion avec les marques MAÎTRE CHOCOLATIER et MASTER CHOCOLATIER de la défenderesse à l’égard desquelles des demandes d’enregistrement (nos 1 773 029 et 1 773 030) avaient antérieurement été produites au Canada par la défenderesse avant la date de production de la demande au Canada;

D. la question de savoir si la marque de la demanderesse n’est pas distinctive au sens de l’article 2 de la Loi parce qu’elle ne distingue pas véritablement les produits et services de la demanderesse de ceux de la défenderesse et n’est pas adaptée à distinguer les produits et services visés par la demande de ceux de la défenderesse, en raison de l’emploi, de la révélation, de la promotion et de la publicité considérables des marques de la défenderesse au Canada.

[58] Pour pouvoir trancher ces questions, la Cour doit obtenir de nouvelles observations des parties, puisque leurs observations actuelles ne portent que sur la décision de la Commission à l’égard de l’incidence de l’alinéa 12(1)d) sur les marques CHOCOLATE MASTERS. Il est également possible que les parties doivent signifier et déposer une preuve par affidavit supplémentaire. Par conséquent, les parties discuteront des prochaines étapes et, dans les 14 jours suivant le prononcé des présents jugement et motifs, présenteront conjointement à la Cour un échéancier pour les prochaines étapes de l’appel, ainsi que les moments auxquels elles peuvent participer à une conférence de gestion de l’instance.

[59] Pour ce qui est de l’affidavit de M. Callebaut du 6 février 2024, il présente des éléments de preuve sur la conclusion de la Commission au sujet des voies de commercialisation des marques CHOCOLATE MASTERS. Puisque ces marques ont été radiées, il n’est pas nécessaire de décider si cet affidavit est un nouvel élément de preuve pertinent. Si la demanderesse souhaite s’appuyer sur lui lors de l’instance scindée, les parties présenteront des observations et je déciderai s’il est un nouvel élément de preuve pertinent au sujet des questions qu’il reste à trancher.

IV. Dépens

[60] Bien que l’instance ait été scindée, j’estime — et les parties sont d’accord — qu’il convient d’adjuger les dépens de la première partie de l’instance; on pourra adjuger séparément les dépens pour l’instance scindée.

[61] Je ne vois pas de raison de m’écarter de la règle habituelle selon laquelle la partie ayant gain de cause a droit aux dépens. J’adjuge donc à la demanderesse les dépens de l’instance jusqu’à maintenant. Pour ce qui est du préjudice que la défenderesse aurait pu subir en raison du dépôt de l’affidavit sur la radiation, je ne suis pas persuadée qu’il soit si grave qu’il convient de réduire ou d’annuler les dépens adjugés à la demanderesse pour l’instance jusqu'à maintenant. On n’a pas contre‑interrogé l’auteur de l’affidavit sur la radiation, et les seuls dépens de la défenderesse étaient ceux de la préparation d’observations brèves sur la recevabilité et la pertinence de cette preuve supplémentaire.

[62] Pour ce qui est du montant, la demanderesse demande des dépens selon le milieu de la colonne III du tarif B des Règles, ce que je trouve raisonnable.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-28-24

LA COUR ORDONNE :

1. La demande de la demanderesse de se fonder sur l’affidavit sur la radiation est accueillie.

2. L’affidavit sur la radiation est un nouvel élément de preuve pertinent.

3. La décision de la Commission des oppositions des marques de commerce du 25 octobre 2023 refusant l’enregistrement des marques de la demanderesse est cassée.

4. L’instance est scindée et les questions suivantes restent à trancher :

a. la question de savoir si la marque de la demanderesse ne peut être enregistrée au titre de l’alinéa 12(1)d) de la Loi parce qu’elle crée de la confusion avec les marques de commerce déposées MAÎTRE CHOCOLATIER de la défenderesse;

b. la question de savoir si la demanderesse n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la marque de la demanderesse au titre de l’alinéa 16(3)a) de la Loi parce qu’à la date de production de la demande, la marque de la demanderesse créait de la confusion avec toutes les marques de la défenderesse qui apparaissent dans les deux tableaux qui précèdent et que la défenderesse ou ses prédécesseurs en titre avaient antérieurement et considérablement employées et révélées au Canada avant la date de production de la demande au Canada;

c. la question de savoir si la demanderesse n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la marque de la demanderesse au titre de l’alinéa 16(3)b) de la Loi parce qu’à la date de production de la demande, la marque de la demanderesse créait de la confusion avec les marques MAÎTRE CHOCOLATIER et MASTER CHOCOLATIER de la défenderesse à l’égard desquelles des demandes d’enregistrement (nos 1 773 029 et 1 773 030) avaient antérieurement été produites au Canada par la défenderesse avant la date de production de la demande au Canada;

d. la question de savoir si la marque de la demanderesse n’est pas distinctive au sens de l’article 2 de la Loi parce qu’elle ne distingue pas véritablement les produits et services de la demanderesse de ceux de la défenderesse et n’est pas adaptée à distinguer les produits et services visés par la demande de ceux de la défenderesse, en raison de l’emploi, de la révélation, de la promotion et de la publicité considérables des marques de la défenderesse au Canada.

e. les dépens pour le reste de la demande.

5. Je demeure saisie de la demande.

6. La défenderesse verse à la demanderesse les dépens de l’instance jusqu’à maintenant selon le milieu de la colonne III du tarif B des Règles.

7. Dans les 14 jours suivant le prononcé des présents jugement et motifs, les parties présenteront conjointement à la Cour un échéancier pour les prochaines étapes de la demande, ainsi que les moments auxquels elles peuvent participer à une conférence de gestion de l’instance.

« Mandy Aylen »

juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-28-24

 

INTITULÉ :

GRC FOOD SERVICES LTD. c. CHOCOLADEFABRIKEN LINDT & SPRÜNGLI AG

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

LE 31 MARS 2025

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE AYLEN

 

DATE DU JUGEMENT :

le 26 mai 2025

 

COMPARUTIONS :

Mark Fancourt-Smith

Maddison Zapach

 

pour LA DEMANDERESSE

Graham Hood

Reagan Seidler

 

pour LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lawson Lundell LLP

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

pour LA DEMANDERESSE

Smart & Biggar S.E.N.C.R.L.

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

pour LA DÉFENDERESSE

 

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