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Date : 20250522


Dossier : T-2016-22

Référence : 2025 CF 912

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 mai 2025

En présence de madame la juge Turley

ENTRE :

PARKDALE COMMUNITY LEGAL SERVICES

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

demandeurs

et

SA MAJESTÉ LE ROI

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

Table des matières

I. Aperçu 3

II. Contexte 7

A. Le régime de la LCDP 7

B. La contestation des demandeurs fondée sur la Charte 11

C. Les requêtes en jugement sommaire des parties 13

(1) La preuve des demandeurs 14

(2) La preuve du défendeur 16

III. Questions en litige 17

IV. Analyse 18

A. L’opportunité d’un jugement sommaire 18

B. Les demandeurs satisfont au critère de la qualité pour agir dans l’intérêt public 20

(1) Il existe une question justiciable sérieuse 21

(2) Les demandeurs ont un intérêt véritable dans l’affaire 22

(3) La présente action constitue une manière raisonnable et efficace de soumettre la cause à la Cour 23

(a) La capacité des demandeurs d’engager la poursuite 24

(b) L’intérêt public de la cause 27

(c) L’existence d’autres manières réalistes 28

(d) L’incidence éventuelle de l’action sur les droits d’autres personnes 29

(4) Mise en balance cumulative 30

C. Admissibilité de la preuve d’expert des parties 30

(1) Les rapports d’expert sont pertinents et nécessaires 31

(2) Il n’y a pas de règle d’exclusion 34

(3) Les experts possèdent la qualification suffisante pour exercer ce rôle 35

(4) Analyse coût-bénéfices 36

D. La règle énoncée dans l’arrêt Browne v Dunn ne s’applique pas 36

E. Les demandeurs n’ont pas démontré de violation à l’article 15 40

(1) Cadre d’analyse de l’article 15 40

(2) Les demandeurs n’ont pas satisfait au premier volet du critère 43

(a) Il n’y a pas de discrimination directe 43

(b) Les groupes de comparaison comportent des lacunes 45

(i) Les comparaisons doivent être effectuées dans le contexte socio-politique où la question est soulevée 46

(ii) Comparaison avec les personnes qui ne présentent aucune caractéristique protégée et qui n’ont pas été victimes de discrimination 48

(iii) Comparaison avec la common law 51

(c) Distinction non fondée sur des motifs énumérés ou analogues 57

(d) Conclusion sur la première étape 58

(3) Les demandes des demandeurs ne reposent pas sur une preuve suffisante 58

(a) Aucune preuve d’effet disproportionné 61

(b) Réserves concernant la preuve statistique d’expert des demandeurs 64

(i) Les données ne sont pas ventilées 65

(ii) Réserves concernant la méthodologie 67

(4) Les demandeurs n’ont pas satisfait au deuxième volet du critère 72

(a) Défaut de présenter une preuve du désavantage historique ou systémique pour chaque groupe protégé faisant partie du groupe demandeur 73

(b) Défaut de tenir compte du contexte législatif plus large 75

V. Conclusion 77

 

I. Aperçu

[1] Depuis son adoption en 1977, la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6 [la LCDP], limite le montant des dommages-intérêts que le Tribunal canadien des droits de la personne [le TCDP] peut accorder aux plaignants pour préjudice moral : alinéa 53(2)e), et pour acte discriminatoire délibéré et inconsidéré : paragraphe 53(3). À l’origine, pour chaque catégorie de dommages-intérêts, le TCDP pouvait accorder un montant maximal de 5 000 $. En 1998, par suite de modifications à la LCDP, les montants maximaux sont passés à 20 000 $ et n’ont toujours pas bougé.

[2] Les demandeurs ont intenté des actions afin de contester la constitutionnalité de ces dispositions législatives. Ils sollicitent un jugement déclarant que les plafonds prévus par la LCDP en matière de dommages-intérêts violent le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés [la Charte] et que cette violation ne peut être justifiée au regard de l’article premier. Au titre du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, les demandeurs sollicitent une ordonnance retranchant et déclarant inopérants les mots « jusqu’à concurrence de 20 000 $ » figurant à l’alinéa 53(2)e) de la LCDP et « maximale de 20 000 $ » figurant au paragraphe 53(3) de la LCDP.

[3] Les deux parties ont présenté des requêtes en jugement sommaire, que la Cour a entendues au cours d’une audience de trois jours.

[4] Les demandeurs soutiennent que les plafonds prévus par la LCDP en matière de dommages-intérêts violent les droits à l’égalité garantis au groupe demandeur par le paragraphe 15(1). Leur définition du groupe demandeur est large et comprend toutes les personnes dont les plaintes de discrimination déposées en vertu de la LCDP ont été jugées fondées. Cependant, les demandeurs ne font pas valoir que ce groupe constitue un groupe protégé distinct aux fins de l’application de l’article 15 de la Charte. Ils affirment plutôt que les plafonds s’appliquent de la même manière à tous les plaignants, sans égard au groupe protégé dont ils font partie.

[5] Les demandeurs soutiennent que, tant à première vue que de par leur effet, les plafonds établissent des distinctions fondées sur tous les motifs énumérés au paragraphe 15(1) et les motifs analogues entre le groupe demandeur et deux autres groupes de personnes. Le premier groupe de comparaison est composé de personnes qui ne présentent aucune caractéristique protégée, qui n’ont pas été victimes de discrimination et qui n’ont pas sollicité de dommages-intérêts au titre de la LCDP. Le deuxième groupe de comparaison est composé de personnes qui ont obtenu des dommages-intérêts semblables en common law dans des affaires de responsabilité délictuelle et de congédiement injustifié. Les demandeurs soutiennent également qu’en limitant de façon arbitraire les dommages-intérêts, les plafonds privent le groupe demandeur de son droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, ce qui a pour effet de perpétuer le désavantage qu’il subit.

[6] Le défendeur soulève deux questions préliminaires. Premièrement, il soutient que la présente affaire ne se prête pas à un jugement sommaire en faveur des demandeurs en raison de la preuve d’expert contradictoire. Deuxièmement, il conteste la qualité pour agir dans l’intérêt public reconnue aux demandeurs, qui leur permet de soulever la présente contestation constitutionnelle. En ce qui concerne le fond de la requête des demandeurs, le défendeur fait valoir que les demandeurs n’ont établi aucune distinction fondée sur un motif énuméré à l’article 15 ou un motif analogue et que leur demande ne repose sur aucune preuve.

[7] J’estime que la présente affaire se prête à un jugement sommaire conformément aux articles 213 et 215 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles]. La divergence entre la preuve d’expert des demandeurs et celle du défendeur ne constitue pas une question de crédibilité nécessitant la tenue d’un procès. De plus, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire de reconnaître aux demandeurs la qualité pour agir dans l’intérêt public. Les demandeurs ont démontré que l’affaire soulève une question justiciable sérieuse, qu’ils ont un intérêt réel dans son issue et que l’action constitue une manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la Cour.

[8] La première étape de l’analyse fondée sur le paragraphe 15(1) est déterminante au regard des requêtes en jugement sommaire des parties. Il n’existe pas de véritable question litigieuse puisque, telle qu’elle est formulée, la cause d’action des demandeurs n’établit pas que les plafonds prévus par la LCDP en matière de dommages-intérêts créent une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue.

[9] Les demandeurs ont présenté une revendication générale et nouvelle fondée sur la Charte, à savoir que les plafonds sont discriminatoires envers tous les plaignants ayant obtenu gain de cause sous le régime de la LCDP. Bien que le recours à des groupes de comparaison aux caractéristiques identiques ne soit plus exigé, il demeure utile de procéder à une analyse comparative à la première étape de l’analyse fondée sur le paragraphe 15(1), qu’il s’agisse d’une allégation de discrimination directe ou indirecte. Il doit exister une distinction entre le groupe demandeur et les autres groupes dans le contexte socio-politique où la question est soulevée. En l’espèce, les deux comparaisons présentées par les demandeurs ne satisfont pas à la première étape de l’analyse.

[10] Le premier groupe de comparaison, composé de personnes qui n’ont pas été victimes de discrimination et qui n’ont pas sollicité de réparations au titre de la LCDP, est trop large pour permettre de procéder à une véritable comparaison. Le deuxième groupe de comparaison, composé de personnes qui ont obtenu des dommages-intérêts semblables en common law, ne s’inscrit pas dans le contexte socio-politique où la question constitutionnelle en litige est soulevée en l’espèce. De plus, toute distinction entre le groupe demandeur et les groupes de comparaison est fondée non pas sur des motifs énumérés ou analogues, mais plutôt sur le régime législatif.

[11] Je me suis également penchée sur la question de savoir si les allégations des demandeurs démontrent l’existence d’un effet disproportionné, à la première étape, et d’une discrimination, à la deuxième étape. Aux deux étapes, la preuve sur laquelle reposent les allégations des demandeurs est insuffisante pour établir qu’il y a violation de l’article 15. Les demandeurs soutiennent que les plafonds établissent une discrimination fondée sur tous les motifs énumérés et analogues. Toutefois, leur preuve est très générale, elle n’est pas ventilée et elle ne tient pas compte du vécu propre aux membres de chaque groupe protégé. Une telle preuve empêche la Cour de mener à bien son analyse à chacune des étapes. De plus, j’ai des réserves quant à la preuve statistique des demandeurs, de sorte qu’elle ne peut servir de fondement à leur analyse fondée sur l’article 15.

[12] Enfin, pour ce qui est de démontrer, à la deuxième étape, que les plafonds perpétuent le désavantage historique et systémique subi par le groupe demandeur, l’approche des demandeurs est lacunaire à deux égards essentiels. Premièrement, compte tenu du dossier de preuve des demandeurs, la Cour ne peut procéder à une analyse contextuelle appropriée qui est basée sur la situation véritable des groupes protégés faisant partie du groupe demandeur. Deuxièmement, dans leur approche, les demandeurs ne tiennent pas compte du contexte législatif plus large dans lequel s’inscrivent les plafonds prévus par la LCDP, comme l’exige la jurisprudence.

[13] Compte tenu des motifs qui précèdent, point n’est besoin d’examiner les questions relatives à l’article premier ou aux réparations. Malgré les observations très habiles présentées par les avocats des demandeurs, je rejetterai la requête en jugement sommaire des demandeurs et j’accueillerai celle du défendeur. Les actions des demandeurs seront rejetées.

II. Contexte

A. Le régime de la LCDP

[14] La LCDP interdit les actes discriminatoires fondés sur un ou plusieurs motifs de distinction illicite et commis par des employeurs et des fournisseurs de services sous réglementation fédérale. Les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre, l’état matrimonial, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, l’état de personne graciée ou la déficience : LCDP, art 3(1).

[15] La LCDP s’applique au gouvernement fédéral, aux Premières Nations ainsi qu’aux employeurs et aux fournisseurs de services sous réglementation fédérale, tels que les compagnies aériennes et les banques. Un individu ou un groupe d’individus ayant des motifs raisonnables de croire qu’un employeur ou un fournisseur de services sous réglementation fédérale a commis un acte discriminatoire au sens des articles 5 à 14 de la LCDP peut déposer une plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne [la CCDP].

[16] La CCDP joue un rôle de sentinelle en procédant à l’examen préliminaire des plaintes : LCDP, art 40–46. Par exemple, elle peut refuser de statuer sur une plainte si la victime n’a pas encore épuisé les autres recours qui lui sont ouverts ou si la plainte est frivole ou vexatoire : LCDP, art 41(1). Si la CCDP juge que la plainte est recevable, elle détermine s’il convient de la renvoyer au TCDP : LCDP, art 43–44.

[17] Si, à l’issue de l’instruction, le TCDP juge la plainte fondée, il peut ordonner un large éventail de réparations, énoncées au paragraphe 53(2) de la LCDP. Il peut ordonner à l’intimé : (i) de mettre fin à l’acte discriminatoire et de prendre des mesures de redressement : art 53(2)a); (ii) d’accorder à la victime les droits, chances ou avantages dont l’acte l’a privée : art 53(2)b); (iii) d’indemniser la victime des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l’acte : art 53(2)c); (iv) d’indemniser la victime des frais supplémentaires occasionnés par le recours à d’autres biens, services, installations ou moyens d’hébergement, et des dépenses entraînées par l’acte : art 53(2)d).

[18] Outre ces réparations, le TCDP peut ordonner à l’intimé de payer à la victime des dommages-intérêts pour préjudice moral : art 53(2)e), et une indemnité spéciale pour acte discriminatoire délibéré et inconsidéré : art 53(3). Pour chaque catégorie de dommages-intérêts, le montant maximal pouvant être accordé s’élève à 20 000 $ :

Plainte jugée fondée

Complaint substantiated

(2) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

(2) If at the conclusion of the inquiry the member or panel finds that the complaint is substantiated, the member or panel may, subject to section 54, make an order against the person found to be engaging or to have engaged in the discriminatory practice and include in the order any of the following terms that the member or panel considers appropriate:

[…]

[…]

e) d’indemniser jusqu’à concurrence de 20 000 $ la victime qui a souffert un préjudice moral.

(e) that the person compensate the victim, by an amount not exceeding twenty thousand dollars, for any pain and suffering that the victim experienced as a result of the discriminatory practice.

Indemnité spéciale

Special compensation

(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le membre instructeur peut ordonner à l’auteur d’un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000 $, s’il en vient à la conclusion que l’acte a été délibéré ou inconsidéré.

(3) In addition to any order under subsection (2), the member or panel may order the person to pay such compensation not exceeding twenty thousand dollars to the victim as the member or panel may determine if the member or panel finds that the person is engaging or has engaged in the discriminatory practice wilfully or recklessly.

 

[19] Les arbitres et les commissions du travail ont compétence pour interpréter et appliquer les lois sur les droits de la personne : Office régional de la santé du Nord c Horrocks, 2021 CSC 42 au para 13; Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c SEEFPO, section locale 324, 2003 CSC 42 aux para 1, 28. Par conséquent, en vertu de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, LC 2003, c 22, art 2, et du Code canadien du travail, LRC 1985, c L-2, les arbitres sont appelés à appliquer la LCDP et peuvent accorder des réparations en cas d’acte discriminatoire : Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2016 CAF 200 au para 86.

[20] L’élimination des plafonds prévus par la LCDP a déjà été demandée. En 2000, Gérard V. La Forest, ancien juge à la Cour suprême et président du Comité de révision de la LCDP, a recommandé « de supprimer les limites des indemnités que le Tribunal peut accorder pour ce que nous recommandons d’appeler “l’atteinte à la dignité et le préjudice moral” » : Comité de révision de la Loi canadienne sur les droits de la personne, La promotion de l’égalité : une nouvelle vision (Ottawa : ministère de la Justice, 2000), recommandation no 73, à la p 161. Puis, en 2022, Louise Arbour, ancienne juge à la Cour suprême, a conclu que « le fait […] d’abolir le plafond des dommages-intérêts contribuerait grandement à améliorer l’accès à la justice pour les plaignantes » : L’honorable Louise Arbour, CC, GOQ, Rapport de l’examen externe indépendant et complet du ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes (Ottawa, 2022), recommandation no 7, à la p 138.

B. La contestation des demandeurs fondée sur la Charte

[21] L’organisme Parkdale Community Legal Services [PCLS] est une clinique juridique communautaire qui offre des services juridiques gratuits aux membres à faible revenu des communautés de Parkdale et de Swansea à Toronto. Selon l’affidavit de John No, avocat et directeur de PCLS, la clinique représente les travailleurs non syndiqués à faible revenu qui sont victimes de discrimination au travail et représente souvent des travailleurs sous réglementation fédérale qui vivent et travaillent en Ontario : affidavit de John No, souscrit le 11 juillet 2023, aux para 3, 7, 10–11 [l’affidavit de M. No].

[22] L’Alliance de la Fonction publique du Canada [l’AFPC] est le plus important syndicat de la fonction publique fédérale au Canada. Elle représente quelque 170 000 employés sous réglementation fédérale. Selon l’affidavit de Seema Lamba, avocate et agente des droits de la personne à l’AFPC, le syndicat représente régulièrement des employés dans le contexte de plaintes relatives aux droits de la personne devant la CCDP et le TCDP ainsi que de griefs liés à l’emploi alléguant des actes discriminatoires contraires à la LCDP : affidavit de Seema Lamba, souscrit le 13 juillet 2023, aux para 2–3, 5–8 [l’affidavit de Mme Lamba].

[23] Les demandeurs ont déposé des déclarations distinctes en 2022 pour contester la constitutionnalité de l’alinéa 53(2)e) et du paragraphe 53(3) de la LCDP. Les dossiers ont été réunis en 2023.

[24] Lorsque la validité constitutionnelle d’une loi est contestée, un avis de question constitutionnelle doit être signifié au procureur général du Canada et à ceux de l’ensemble des provinces et des territoires au moins dix jours avant la date à laquelle la question constitutionnelle sera entendue : Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, art 57(1), (2) [la LCF]. Cependant, en l’espèce, aucun avis de question constitutionnelle ni aucune preuve de signification ne figuraient au dossier. Par conséquent, la Cour a convoqué une conférence de gestion de l’instance.

[25] Les avocats des demandeurs ont informé la Cour que PCLS avait signifié un avis de question constitutionnelle aux procureurs généraux de l’ensemble des provinces et des territoires en juillet 2022 (lorsque l’instance avait initialement été introduite sous forme de demande) et, une fois de plus, en octobre 2022 (après le dépôt de la déclaration). Cependant, le greffe de la Cour avait refusé le dépôt de l’avis de question constitutionnelle en octobre 2022 au motif qu’il était « prématuré ». Aucune mention n’en était faite au dossier. Les demandeurs n’ont pas cherché à signifier ni à déposer un avis de question constitutionnelle révisé lorsque la date d’audition des requêtes en jugement sommaire des parties a été fixée.

[26] Les demandeurs ont fait savoir que les procureurs généraux des Territoires du Nord-Ouest, de la Colombie-Britannique, de la Saskatchewan, du Manitoba, de l’Ontario et de Terre-Neuve-et-Labrador ont répondu à l’avis de question constitutionnelle d’octobre 2022 en indiquant qu’ils n’avaient pas l’intention d’intervenir à cette étape de l’instance. Les demandeurs ont fait remarquer que seuls la Saskatchewan, les Territoires du Nord-Ouest et le Manitoba ont une loi sur les droits de la personne qui prévoit des plafonds en matière de dommages-intérêts s’apparentant à ceux prévus par les dispositions contestées de la LCDP.

[27] Si les procureurs généraux qui n’ont pas répondu avaient un intérêt à intervenir, je présume qu’ils auraient demandé aux avocats de PCLS la date d’audition de l’affaire. Toutefois, par excès de prudence, la Cour a enjoint aux demandeurs d’écrire aux procureurs généraux qui n’avaient pas répondu à l’avis de question constitutionnelle d’octobre 2022 pour les informer des dates d’audience et confirmer leur intention de ne pas y participer. Dans une lettre du 25 juillet 2024, les demandeurs ont confirmé que les procureurs généraux de chaque province et territoire avaient répondu qu’ils ne participeraient pas à l’instance devant la Cour.

C. Les requêtes en jugement sommaire des parties

[28] Dans leur requête, les demandeurs sollicitent les réparations suivantes : (i) un jugement sommaire rendu en leur faveur; (ii) un jugement déclarant que l’alinéa 53(2)e) et le paragraphe 53(3) de la LCDP violent le paragraphe 15(1) de la Charte et que cette violation n’est pas justifiée au regard de l’article premier; et (iii) une ordonnance au titre du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 retranchant et déclarant inopérants les mots « jusqu’à concurrence de 20 000 $ » figurant à l’alinéa 53(2)e) de la LCDP et « maximale de 20 000 $ » figurant au paragraphe 53(3) de la LCDP.

[29] Le défendeur a déposé une requête incidente en jugement sommaire dans laquelle il demande à la Cour de rejeter les actions des demandeurs dans leur intégralité.

(1) La preuve des demandeurs

[30] Outre les affidavits de M. No et de Mme Lamba, les demandeurs ont produit la preuve d’expert des professeurs Jennifer Koshan et Bruce Curran.

[31] L’affidavit de M. No a été présenté à titre de preuve anecdotique illustrant deux importantes répercussions qu’ont les plafonds sur les personnes qui déposent des plaintes sous le régime de la LCDP. Premièrement, selon M. No, ces plafonds ont un effet dissuasif sur les personnes qui veulent porter plainte, puisque ces dernières jugent que le montant de l’indemnité ne vaut pas les coûts financiers et émotionnels qu’elles devront supporter tout au long de l’instance. Deuxièmement, M. No déclare qu’une fois leur plainte déposée, les plaignants considèrent l’indemnité comme insuffisante pour réparer le préjudice subi, ce qui ajoute à leurs difficultés émotionnelles et financières : affidavit de M. No, au para 31.

[32] Mme Lamba fournit une preuve semblable à celle de M. No. En particulier, elle affirme se souvenir de nombreuses fois où les membres de l’AFPC ont exprimé leur frustration au sujet des plafonds prévus par la LCDP en matière de dommages-intérêts : affidavit de Mme Lamba, au para 33.

[33] La professeure Koshan, membre du corps professoral de la faculté de droit de l’Université de Calgary, a fourni un rapport d’expert portant sur les obstacles procéduraux et logistiques que rencontrent les plaignants sous le régime de la LCDP. Parmi ces obstacles, elle mentionne l’absence de dépens, les procédures compliquées, les perceptions d’injustice dans les procédures de la CCDP ainsi que le plafond prévu par la LCDP en matière de dommages-intérêts pour préjudice moral : rapport d’expert de la professeure Koshan, aux para 22–39, pièce B de l’affidavit de la professeure Koshan, souscrit le 12 juillet 2023 [le rapport de la professeure Koshan]. Selon la professeure Koshan, ces obstacles empêchent les plaignants, surtout ceux aux prises avec des difficultés socio-économiques, de recevoir une indemnité équitable et les découragent de déposer des plaintes : rapport de la professeure Koshan, au para 35.

[34] Le professeur Curran, membre du corps professoral de la faculté de droit de l’Université du Manitoba, a réalisé une étude empirique dans laquelle il compare, sur une période de dix ans, les dommages-intérêts pour préjudice moral accordés en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP avec les dommages-intérêts accordés en vertu du Code des droits de la personne de l’Ontario [le Code de l’Ontario], les dommages-intérêts accordés en vertu du Human Rights Code de la Colombie-Britannique [le Code de la C‑B], les dommages-intérêts délictuels et les dommages-intérêts pour congédiement injustifié. Il y compare également les dommages-intérêts punitifs accordés en vertu du paragraphe 53(3) de la LCDP avec les dommages-intérêts majorés adjugés dans des affaires de responsabilité délictuelle et de congédiement injustifié.

[35] Dans son étude, le professeur Curran soulève deux grandes questions. Premièrement, il examine si les plafonds limitent les dommages-intérêts accordés en vertu de la LCDP par rapport aux dommages-intérêts qu’il juge comparables accordés dans d’autres contextes. Deuxièmement, le cas échéant, il se penche sur l’ampleur de cet écart. Le professeur Curran conclut en définitive [traduction] « que les plafonds prévus par la LCDP visent à limiter les dommages-intérêts accordés, comparativement à ceux adjugés par d’autres tribunaux, tant dans les affaires “ordinaires” que dans les affaires “extrêmes” » : rapport d’expert du professeur Curran, à la p 59, pièce C de l’affidavit du professeur Curran, souscrit le 17 juillet 2023 [le rapport du professeur Curran].

[36] Dans une ordonnance rendue le 5 avril 2024, le juge responsable de la gestion de l’instance a accordé aux demandeurs l’autorisation de signifier un rapport d’expert en réponse aux réserves formulées par l’expert du défendeur : rapport d’expert en réponse du professeur Curran, pièce A de l’affidavit en réponse du professeur Curran, souscrit le 12 mars 2024 [le rapport en réponse du professeur Curran].

(2) La preuve du défendeur

[37] Le défendeur s’appuie sur l’affidavit de Mme Christine Yoo, adjointe juridique au ministère de la Justice, auquel sont joints des documents sur l’historique législatif, les rapports annuels de la CCDP au Parlement et les rapports annuels du TCDP.

[38] De plus, le défendeur a présenté le rapport d’expert du professeur Michael Haan, professeur agrégé à l’Université Western de l’Ontario. Le professeur Haan soutient que l’étude du professeur Curran comporte les lacunes méthodologiques et statistiques suivantes : l’échantillon présente un nombre inconnu de biais; il semble y avoir des enjeux liés à la validité de contenu pour les variables « inconduite » et « préjudice moral »; les méthodes statistiques utilisées par le professeur Curran dans son analyse ne conviennent pas à la distribution des données; et les régressions faites par le professeur Curran ne respectent pas plusieurs des postulats de base. Compte tenu de ces lacunes, le professeur Haan conclut qu’il ne partage pas l’avis du professeur Curran selon lequel les plafonds prévus par la LCDP entraînent l’octroi de dommages-intérêts moins élevés : rapport d’expert du professeur Haan, au para 162, pièce C de l’affidavit du professeur Haan, souscrit le 7 février 2024 [le rapport en réponse du professeur Haan].

[39] Le défendeur a également déposé un rapport d’expert en réplique au rapport en réponse du professeur Curran. Dans son rapport d’expert en réplique, le professeur Haan conclut que, bien que, dans son rapport en réponse, le professeur Curran réponde à certaines de ses réserves, suffisamment de questions restent en suspens, de sorte qu’il ne peut toujours pas appuyer les conclusions du professeur Curran : rapport d’expert en réplique du professeur Haan, au para 45, pièce A de l’affidavit du professeur Haan, souscrit le 19 avril 2024 [le rapport en réplique du professeur Haan].

III. Questions en litige

[40] J’examine les questions préliminaires suivantes : (i) les actions des demandeurs se prêtent-elles à un jugement sommaire; (ii) les demandeurs devraient-ils se voir reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public; (iii) la preuve d’expert des parties devrait-elle être admise; et (iv) la preuve du professeur Haan devrait-elle être exclue au motif qu’elle contrevient à la règle énoncée dans l’arrêt Browne v Dunn.

[41] La question à trancher au regard du fond des requêtes consiste à savoir si l’alinéa 53(2)e) et le paragraphe 53(3) de la LCDP violent le paragraphe 15(1) de la Charte. Compte tenu de ma conclusion à l’égard de cette question de droit, je n’ai pas à examiner la question de la justification au regard de l’article premier de la Charte et de la réparation convenable.

IV. Analyse

A. L’opportunité d’un jugement sommaire

[42] Suivant l’article 215 des Règles, la Cour rend un jugement sommaire si elle est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense. Il incombe à la partie qui demande le jugement sommaire d’établir qu’il n’existe aucune véritable question litigieuse : Canada c Bezan Cattle Corporation, 2023 CAF 95 au para 139 [Bezan Cattle]; Gemak Trust c Jempak Corporation, 2022 CAF 141 au para 67 [Gemak Trust].

[43] Il n’existe pas de véritable question litigieuse si la demande est dénuée de fondement juridique compte tenu du droit ou de la preuve invoquée : Bezan Cattle, au para 138; Manitoba c Canada, 2015 CAF 57 au para 15. Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale, le fait qu’une requête en jugement sommaire puisse avoir des répercussions juridiques, sociales ou économiques plus importantes ne justifie pas son rejet : Saskatchewan (Procureur général) c Première Nation de Witchekan Lake, 2023 CAF 105 au para 34 [Première Nation de Witchekan Lake]. Comme l’a souligné le juge Rennie, « des affaires complexes et importantes, constitutionnelles et autres, sont souvent instruites uniquement au moyen de demandes et d’une preuve par affidavit » : Première Nation de Witchekan Lake, au para 33.

[44] Les demandeurs soutiennent que leurs actions se prêtent bien à un jugement sommaire, puisqu’elles ne soulèvent aucune question de crédibilité nécessitant la tenue d’un procès, que les parties s’entendent sur les questions à trancher, qu’aucun des témoins ordinaires n’a été contre-interrogé et que les témoins experts ont été contre-interrogés à propos de leurs affidavits.

[45] Le défendeur fait valoir que l’affaire se prête à un jugement sommaire en sa faveur, puisque sa requête est fondée uniquement sur les lacunes juridiques que comporte la demande des demandeurs. Cependant, le défendeur soutient que l’affaire ne se prête pas à un jugement sommaire en faveur des demandeurs, puisque leur requête repose sur la preuve statistique d’expert du professeur Curran et qu’elle soulève des questions de crédibilité. Or, le simple fait que la preuve semble contradictoire n’empêche pas en soi le tribunal de prononcer un jugement sommaire. Les juges doivent « se pencher de près » sur le fond de l’affaire et décider s’il y a des questions de crédibilité à trancher : Première Nation de Witchekan Lake, au para 40; Gemak Trust, au para 72.

[46] La simple existence de rapports d’expert contradictoires ne signifie pas que des questions de crédibilité sont en litige et que le tribunal ne devrait donc pas rendre de jugement sommaire. Comme l’a conclu la juge Rochester (alors juge à la Cour fédérale), lorsque l’affaire ne dépend pas de l’incrédulité de la Cour à l’égard de l’un ou l’autre des témoins experts, la Cour peut procéder par voie de jugement sommaire : Andrie LLC c Bluewater Ferry Limited, 2023 CF 155 au para 50.

[47] En somme, les juges doivent pouvoir, avec confiance, établir tous les faits nécessaires pour régler le litige de manière équitable : Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7 au para 50. Ils doivent faire preuve de prudence, puisque le prononcé d’un jugement sommaire fera en sorte que les parties ne pourront bénéficier d’un procès pour présenter des éléments de preuve au sujet de la question litigieuse : Milano Pizza Ltd c 6034799 Canada Inc, 2018 CF 1112 au para 40. Cela dit, les parties sont censées présenter leurs meilleurs arguments : Canada (Procureur général) c Lameman, 2008 CSC 14 au para 11.

[48] Je conclus que la présente affaire se prête à un jugement sommaire. Je juge qu’à la première étape de l’analyse fondée sur l’article 15, les demandeurs n’ont pas établi le fondement juridique de leur demande. La requête en jugement sommaire de chaque partie peut être tranchée sur ce motif. De plus, j’ai examiné la preuve présentée pour démontrer l’existence d’un effet disproportionné, à la première étape, et d’une discrimination, à la deuxième étape. Cette preuve, y compris la preuve d’expert des demandeurs, est insuffisante pour étayer la demande des demandeurs.

B. Les demandeurs satisfont au critère de la qualité pour agir dans l’intérêt public

[49] Pour déterminer s’il y a lieu d’exercer son pouvoir discrétionnaire de reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public, le tribunal doit apprécier et soupeser de façon cumulative les trois facteurs suivants : (i) l’action soulève‑t‑elle une question justiciable sérieuse; (ii) la partie qui intente l’action a‑t‑elle un intérêt véritable dans l’affaire; et (iii) l’action envisagée constitue‑t‑elle une manière raisonnable et efficace de soumettre la cause à la cour : Colombie-Britannique (Procureur général) c Conseil des Canadiens avec déficiences, 2022 CSC 27 au para 28 [CCD]; Canada (Procureur général) c Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45 aux para 18, 20 [Downtown Eastside].

[50] Dans l’examen de ces trois facteurs, le tribunal doit établir un véritable équilibre entre les objectifs qui militent pour la reconnaissance de la qualité pour agir et ceux qui militent contre : CCD, au para 30; Downtown Eastside, au para 23.

[51] Les objectifs qui sous-tendent les restrictions à la qualité pour agir sont l’affectation efficace des ressources judiciaires, l’assurance que les tribunaux entendront les principaux intéressés faire valoir contradictoirement leurs points de vue et la sauvegarde du rôle propre aux tribunaux dans le cadre de notre système démocratique : CCD, au para 29. En revanche, la reconnaissance de la qualité pour agir vise à donner plein effet au principe de la légalité et à assurer un accès aux tribunaux ou, plus largement, un accès à la justice : CCD, au para 30.

[52] Après avoir apprécié de façon cumulative et téléologique les facteurs pertinents, je conclus que les demandeurs satisfont au critère de la qualité pour agir dans l’intérêt public.

(1) Il existe une question justiciable sérieuse

[53] Pour être considérée comme une question sérieuse, la question soulevée doit uniquement être « loin d’être futil[e] » : CCD, au para 49. Compte tenu du vaste objectif réparateur de la LCDP, la question de la légalité des plafonds en matière de dommages-intérêts pourrait avoir d’importantes conséquences. Il ne fait donc aucun doute que les actions des demandeurs soulèvent une question sérieuse.

[54] Le défendeur reconnaît que [traduction] « la constitutionnalité d’une loi est toujours une question sérieuse ». Cependant, il soutient qu’en l’espèce, le contexte factuel est inadéquat : mémoire des faits et du droit du défendeur, au para 52 [le mémoire du défendeur]. Dans ses observations orales, le défendeur a traité du caractère suffisant du contexte factuel dans le cadre du troisième facteur, soit la question de savoir si l’action envisagée constitue une manière raisonnable et efficace de soumettre la cause à la cour. C’était la bonne démarche. Je me penche donc sur la question plus loin : CCD, aux para 55, 60–72, 88.

[55] Une question justiciable est une question qui se prête à une décision judiciaire : CCD, au para 50; Downtown Eastside, au para 30. Le tribunal doit disposer « des attributions institutionnelles et de la légitimité requises pour la trancher » : CCD, au para 50. En l’espèce, la constitutionnalité des plafonds en matière de dommages-intérêts est manifestement une question qu’il convient de trancher.

[56] Les demandeurs satisfont donc au premier volet du critère de la qualité pour agir dans l’intérêt public.

(2) Les demandeurs ont un intérêt véritable dans l’affaire

[57] Dans le cadre du deuxième facteur, la partie représentant l’intérêt public doit démontrer qu’elle a un véritable intérêt dans l’instance ou qu’elle est engagée quant aux questions soulevées. Le deuxième facteur traduit la préoccupation de conserver les ressources judiciaires limitées et la nécessité d’écarter les simples trouble‑fête : CCD, au para 51.

[58] La preuve par affidavit démontre l’intérêt qu’ont PCLS et l’AFPC dans la présente affaire. PCLS offre des services juridiques aux travailleurs vulnérables à faible revenu de Toronto. Il a représenté de telles personnes dans des affaires relatives aux droits de la personne tant en Ontario qu’au fédéral. En tant qu’agent négociateur unique de quelque 170 000 employés sous réglementation fédérale, l’AFPC représente ses membres qui ont présenté des plaintes de discrimination fondées sur la LCDP et des griefs liés à l’emploi alléguant des actes discriminatoires contraires à la LCDP.

[59] Je juge que les demandeurs satisfont au deuxième facteur. Il convient de noter que le défendeur n’a pas contesté l’intérêt véritable qu’ont les demandeurs dans la question de la constitutionnalité des plafonds prévus par la LCDP en matière de dommages-intérêts.

(3) La présente action constitue une manière raisonnable et efficace de soumettre la cause à la Cour

[60] Ce troisième facteur concerne tant la légalité que l’accès à la justice : CCD, au para 52; Downtown Eastside, au para 49. Par conséquent, les tribunaux doivent se demander si l’action envisagée constitue une utilisation efficiente des ressources judiciaires, si les questions telles qu’elles sont présentées sont justiciables dans un contexte accusatoire et si le fait d’autoriser la poursuite de l’action envisagée favorise le respect du principe de la légalité : CCD, au para 54.

[61] Dans l’arrêt CCD, la Cour suprême présente une liste non exhaustive des considérations dont les tribunaux pourraient tenir compte lorsqu’ils déterminent si l’instance envisagée constitue une manière raisonnable et efficace de leur soumettre la cause :

[55] La liste non exhaustive suivante fait état de certaines « questions interdépendantes » qu’un tribunal pourrait trouver utile de considérer lorsqu’il se penche sur le troisième facteur :

1. La capacité du demandeur d’engager la poursuite : Quelles ressources et quelle expertise le demandeur peut‑il offrir? L’objet du litige sera‑t‑il présenté dans un contexte factuel suffisamment concret et élaboré?

2. L’intérêt public de la cause : La cause transcende‑t‑elle les intérêts des parties qui sont le plus directement touchées par les dispositions législatives ou par les mesures contestées? Les tribunaux doivent tenir compte du fait qu’une des idées associées aux poursuites d’intérêt public est que ces poursuites peuvent assurer un accès à la justice aux personnes défavorisées et marginalisées de la société dont les droits sont touchés.

3. L’existence d’autres manières de trancher la question : Y a‑t‑il d’autres manières réalistes qui favoriseraient une utilisation plus efficace et efficiente des ressources judiciaires et qui offriraient un contexte plus favorable à ce qu’une décision soit rendue dans le cadre du système contradictoire? Si d’autres actions ont été engagées relativement à la question, quels sont les avantages, d’un point de vue pratique, d’avoir des recours parallèles? Les autres actions résoudront‑elles les questions de manière aussi ou plus raisonnable et efficace? Le demandeur apporte‑t‑il une perspective particulièrement utile ou distincte en vue de trancher ces questions?

4. L’incidence éventuelle de l’action sur d’autres personnes : Quelle incidence, le cas échéant, l’action aura‑t‑elle sur les droits d’autres personnes dont les intérêts sont aussi, sinon plus touchés? L’« échec d’une contestation trop diffuse » pourrait‑[il] faire obstacle à des contestations ultérieures par des parties qui auraient des plaintes précises fondées sur des faits?

[Renvois omis]

(a) La capacité des demandeurs d’engager la poursuite

[62] Je suis convaincue que les demandeurs ont l’expertise et les ressources nécessaires pour engager la poursuite. PCLS et l’AFPC sont représentés par des avocats chevronnés. De plus, ils ont tous deux de l’expérience pour ce qui est d’engager des poursuites relatives à la Charte et aux droits de la personne et d’y participer : affidavit de M. No, aux para 14–22; affidavit de Mme Lamba, aux para 11–17.

[63] Le défendeur soutient que les actions des demandeurs ne présentent pas de contexte factuel suffisamment concret et élaboré. Il fait valoir qu’en règle générale, [traduction] « les contestations fondées sur la Charte devraient reposer sur la réalité vécue par les demandeurs directement touchés par la loi contestée » : mémoire du défendeur, au para 50.

[64] Comme l’indique clairement la Cour suprême, « la présence d’un demandeur directement touché n’est pas essentielle pour établir “un contexte factuel suffisamment concret et élaboré” » (souligné dans l’original). La partie représentant l’intérêt public peut établir un tel contexte en faisant entendre des témoins concernés ou par ailleurs bien informés qui ne sont pas des demandeurs individuels : CCD, au para 66. C’est exactement ce que les demandeurs ont fait en l’espèce : ils ont présenté une preuve par affidavit de témoins des faits et de témoins experts pour appuyer leur demande fondée sur la Charte.

[65] En l’espèce, il n’y a pas « absence d’un fondement factuel » : CCD, au para 72. Le défendeur conteste plutôt la qualité de la preuve produite et allègue que la preuve statistique d’expert des demandeurs comporte des lacunes méthodologiques et que les demandeurs n’ont présenté aucun fait particulier : mémoire du défendeur, au para 58.

[66] Pour déterminer si le contexte factuel est suffisant pour reconnaître la qualité pour agir, le tribunal doit tenir compte de la nature des actes de procédure. Par exemple, il peut se demander si la cause « peut être, dans une large mesure, débattue seulement au regard de la loi » ou si l’affaire est « au contraire plus tributaire de faits particuliers » : CCD, au para 72. En l’espèce, comme dans l’affaire CCD, les demandeurs formulent des allégations de discrimination directe et soutiennent qu’à première vue, les plafonds sont inconstitutionnels. À titre subsidiaire, ils formulent des allégations d’effet préjudiciable. De plus, ils font valoir qu’il n’est pas nécessaire de présenter des faits particuliers et qu’il [traduction] « leur est loisible de prouver les effets et l’inconstitutionnalité de la loi par la présentation de divers éléments de preuve » : Single Mothers’ Alliance of BC Society v British Columbia, 2022 BCSC 2193 au para 103 [Single Mothers’ Alliance].

[67] Comme l’explique la Cour suprême dans l’arrêt Fraser c Canada (Procureur général), 2020 CSC 28 [Fraser], différents types d’éléments de preuve peuvent servir à prouver les demandes fondées sur l’article 15 :

[57] Les éléments de preuve sur les obstacles, notamment physiques, sociaux ou culturels qui décrivent « la situation du groupe de demandeurs » sont utiles aux tribunaux. Ces éléments peuvent provenir du demandeur, de témoins experts ou d’un avis juridique. De tels éléments de preuve ont pour objectif de démontrer que l’appartenance au groupe de demandeurs est associée à certaines caractéristiques qui ont désavantagé des membres du groupe, comme l’incapacité de travailler les samedis ou une capacité aérobique moindre. Ces liens peuvent révéler que des politiques en apparence neutres sont « bien conçue[s] pour certains mais pas pour d’autres ». Dans l’évaluation de la preuve au sujet du groupe, les tribunaux doivent garder à l’esprit le fait que les questions qui touchent principalement certains groupes sont parfois sous-documentées. Les demandeurs en question peuvent être obligés de recourir davantage à leurs propres éléments de preuve ou à ceux d’autres membres de leur groupe, plutôt qu’à des rapports gouvernementaux, études universitaires ou témoignages d’experts.

[58] Des éléments de preuve sur les conséquences pratiques de la loi ou politique contestée (ou d’une loi ou politique essentiellement semblable) sont également utiles aux tribunaux. Des éléments de preuve sur « les conséquences des pratiques et des systèmes » peuvent démontrer concrètement que les membres de groupes protégés subissent un effet disproportionné. Cette preuve peut inclure des statistiques, surtout si le bassin de gens touchés négativement par un critère ou une norme compte à la fois des membres d’un groupe protégé et des membres des groupes plus avantagés.

[Renvois omis, soulignement ajouté]

[68] Je ne suis pas convaincue que les demandeurs seront incapables de présenter le contexte factuel nécessaire à la reconnaissance de la qualité pour agir. La contestation du défendeur de la validité de la preuve d’expert des demandeurs est pertinente lorsqu’il s’agit de statuer sur le fond des requêtes en jugement sommaire, mais elle n’empêche pas la reconnaissance de la qualité pour agir. De même, la question de savoir si la preuve des demandeurs établit l’existence d’un effet disproportionné, à la première étape de l’analyse fondée sur l’article 15, ou d’un désavantage, à la deuxième étape, doit être tranchée sur le fond. Pour démontrer un contexte factuel suffisant, les demandeurs n’ont pas à établir qu’ils prouveront leur allégation fondée sur l’article 15 : Single Mothers’ Alliance, au para 123. Je juge donc qu’ils satisfont à ce volet.

(b) L’intérêt public de la cause

[69] La poursuite des demandeurs soulève manifestement une question d’intérêt public qui transcende leurs intérêts immédiats : CCD, aux para 55, 110; Downtown Eastside, au para 73. Compte tenu du vaste objectif réparateur de la LCDP, la présente contestation fondée sur la Charte est susceptible de toucher un grand nombre de personnes. De plus, la reconnaissance de la qualité pour agir favorisera l’accès à la justice et permettra l’examen de l’importante question de droit soulevée en l’espèce.

(c) L’existence d’autres manières réalistes

[70] Les demandeurs soutiennent que [traduction] « la présente action constitue également une manière beaucoup plus efficace de statuer sur cette question que tout autre grief individuel ou plainte relative aux droits de la personne » : mémoire des faits et du droit des demandeurs, au para 33 [le mémoire des demandeurs]. En revanche, le défendeur fait valoir qu’il serait préférable de soulever la question devant le TCDP, ce qui permettrait de [traduction] « soulever la question constitutionnelle dans un contexte factuel concret plus favorable à ce qu’une décision soit rendue dans le cadre du système contradictoire » : mémoire du défendeur, au para 57.

[71] Le TCDP a compétence pour examiner la constitutionnalité des dispositions de sa loi constitutive : LCDP, art 50(2); Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c Martin; Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c Laseur, 2003 CSC 54 au para 3 [Martin]; Association des Pilotes d’Air Canada c Kelly, 2011 CF 120 au para 51 [Kelly]. Toutefois, en tant que tribunal administratif, le TCDP ne peut prononcer une déclaration générale d’invalidité en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 : Mouvement laïque québécois c Saguenay (Ville), 2015 CSC 16 au para 153; Martin, au para 31; Kelly, au para 479.

[72] Par conséquent, le TCDP ne pourrait déclarer inconstitutionnels les plafonds en matière de dommages-intérêts que pour une affaire donnée. Sa décision n’aurait aucun effet contraignant et serait susceptible de contrôle judiciaire devant la Cour : LCF, art 18, 18.1.

[73] De plus, selon la preuve non contestée de la professeure Koshan sur les obstacles procéduraux et logistiques que rencontrent les plaignants sous le régime de la LCDP, ces obstacles pourraient décourager une personne de déposer une plainte portant sur la question constitutionnelle soulevée en l’espèce. Il convient de souligner que, depuis l’adoption de la LCDP il y a 48 ans, aucun plaignant n’a contesté la constitutionnalité de ces dispositions devant le TCDP.

[74] Reconnaître aux demandeurs la qualité pour agir dans l’intérêt public favorise une utilisation efficiente des ressources judiciaires. Les parties ont consacré des efforts importants et beaucoup de temps à la présente affaire. Elles ont produit des affidavits et des rapports d’expert, ont mené des contre-interrogatoires et ont déposé des observations écrites détaillées. De plus, l’audition des requêtes a duré trois jours. Comme l’a déclaré la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans une récente contestation fondée sur la Charte, [traduction] « il y a peu à gagner à ne pas trancher l’affaire » : Fair Change v His Majesty the King in Right of Ontario, 2024 ONSC 1895 au para 28.

(d) L’incidence éventuelle de l’action sur les droits d’autres personnes

[75] Enfin, dans l’évaluation du troisième facteur, il convient de déterminer si l’action aura une incidence sur les droits d’autres personnes dont les intérêts sont directement touchés. Plus précisément, il faut se demander si « l’échec d’une contestation trop diffuse pourrait faire obstacle à des contestations ultérieures des règles en question, par certaines parties qui auraient des plaintes précises fondées sur des faits » : Downtown Eastside, au para 51, citant Danson c Ontario (Procureur général), [1990] 2 RCS 1086 à la p 1093.

[76] Le défendeur soutient que cette question se pose en l’espèce, puisque [traduction] « la contestation des demandeurs est extrêmement diffuse » et qu’un échec pourrait nuire à des contestations ultérieures : mémoire du défendeur, au para 58. Bien que l’échec des demandeurs pourrait compromettre les droits des personnes dont les intérêts sont directement touchés, la manière dont la présente contestation a été formulée ainsi que le dossier de preuve sur lequel elle est fondée n’empêcheraient personne de présenter une contestation fondée sur la Charte sur la base d’un dossier de preuve différent. Cela dit, il ne s’agit là que d’un des éléments que la Cour doit prendre en considération dans sa décision sur la qualité pour agir dans l’intérêt public.

(4) Mise en balance cumulative

[77] Compte tenu de l’ensemble des facteurs pertinents, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire de reconnaître aux demandeurs, PCLS et l’AFPC, la qualité pour agir dans l’intérêt public. Je suis d’avis qu’en l’espèce, la reconnaissance de la qualité pour agir dans l’intérêt public favorise l’accès à la justice et l’économie des ressources judiciaires.

C. Admissibilité de la preuve d’expert des parties

[78] Bien que les parties n’aient pas contesté l’admissibilité de leurs rapports d’expert respectifs, la Cour doit tout de même jouer son rôle de gardienne et veiller à ce que la preuve satisfasse au critère juridique applicable. Je conclus que la preuve d’expert des parties est admissible.

[79] Un critère à deux volets s’applique pour déterminer l’admissibilité de la preuve d’expert. Premièrement, elle doit satisfaire aux quatre critères suivants : (i) la pertinence; (ii) la nécessité; (iii) l’absence de toute règle d’exclusion; et (iv) la qualification suffisante de l’expert : White Burgess Langille Inman c Abbott and Haliburton Co, 2015 CSC 23 au para 19 [White Burgess]; R c Mohan, [1994] 2 RCS 9 à la p 20 [Mohan].

[80] Deuxièmement, si la preuve satisfait à ces critères, le juge doit procéder à « l’analyse coût-bénéfices » pour déterminer si la valeur probante de la preuve surpasse ses effets préjudiciables : White Burgess, au para 24; Mohan, à la p 21.

(1) Les rapports d’expert sont pertinents et nécessaires

[81] La pertinence s’entend de la « pertinence logique » de la preuve : White Burgess, au para 23. En ce qui a trait à la nécessité d’aider le juge des faits, la preuve ne doit pas simplement être « utile ». Elle doit fournir des renseignements qui dépassent l’expérience ou la connaissance du tribunal, par exemple une preuve de nature technique : Mohan, aux pp 23–24.

[82] Bien que la nécessité ne devrait pas être jugée selon une « norme trop stricte », par leur preuve, les experts ne peuvent usurper les fonctions du juge des faits : Mohan, à la p 24. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Aucun des experts ne se prononce sur la question de droit ultime dont est saisie la Cour, à savoir la constitutionnalité des plafonds prévus par la LCDP.

[83] La Cour a déterminé que les témoins experts peuvent jeter un éclairage sur le contexte politique, historique et social d’une question en litige : Fraser c Canada (Procureur général), 2017 CF 557 aux para 67–73 [Fraser CF]; Association of Chartered Certified Accountants c Institut canadien des comptables agréés, 2016 CF 1076 aux para 31–32; Québec (Procureur général) c Canada, 2008 CF 713 aux para 161–163.

[84] Dans la décision Fraser CF, la Cour a admis la preuve d’expert d’un professeur, puisqu’elle fournissait un contexte pertinent et nécessaire à l’allégation d’effet préjudiciable des demanderesses. La juge Kane a conclu que les « statistiques citées et les renvois à d’autres travaux de recherche publiés concernant le travail, la famille et le sexe démontraient que l’opinion du professeur Higgins dépasse la connaissance et l’expérience de la Cour » : Fraser CF, au para 72. Ce raisonnement s’applique également à l’espèce.

[85] Les demandeurs ont présenté la preuve de la professeure Koshan pour deux raisons : (i) pour justifier la reconnaissance de la qualité pour agir dans l’intérêt public; et (ii) pour étayer leur demande fondée sur l’article 15 de la Charte. Dans son rapport, la professeure Koshan traite des obstacles procéduraux, logistiques et substantiels qui empêchent les personnes de déposer des plaintes de discrimination en vertu de la LCDP. Le rapport comprend un examen fondé sur les faits des données statistiques de la CCDP et du TCDP, de la doctrine et de la recherche menée par la professeure Koshan.

[86] Aux deux étapes de l’analyse fondée sur l’article 15, une preuve est nécessaire. Pour prouver l’existence d’un effet disproportionné à la première étape, les demandeurs peuvent présenter des éléments de preuve portant sur « tous les éléments contextuels de la situation du groupe de demandeurs » : R c Sharma, 2022 CSC 39 au para 49 [Sharma]. À la deuxième étape, les demandeurs doivent démontrer que « la loi contestée impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage subi par le groupe touché » : Sharma, au para 51.

[87] Les demandeurs ont présenté le rapport de la professeure Koshan dans le but de satisfaire aux deux étapes de l’analyse fondée sur l’article 15. En produisant ce rapport, ils souhaitent présenter [traduction] « un portrait complet de la situation des plaignants et [démontrer] le désavantage qu’ils subissent et la manière dont les plafonds perpétuent ce désavantage » : mémoire des demandeurs, au para 39. Comme je l’indique plus haut, le rapport appuie également la requête des demandeurs en vue d’obtenir la qualité pour agir dans l’intérêt public. Je conclus que la preuve de la professeure Koshan est admissible au motif qu’elle est pertinente et nécessaire dans les circonstances de l’espèce.

[88] Le professeur Curran a réalisé une étude empirique sur les dommages-intérêts sur une période de dix ans. Il a comparé les dommages-intérêts accordés au titre des dispositions contestées de la LCDP avec les dommages-intérêts adjugés par d’autres tribunaux des droits de la personne ainsi que ceux adjugés dans des affaires de responsabilité délictuelle et de congédiement injustifié. Dans son étude, le professeur Curran a appliqué une méthodologie utilisée en sciences sociales appelée « analyse de contenu ». En réponse, le défendeur a déposé un rapport d’expert et un rapport en réplique préparés par le professeur Haan, qui critique la méthodologie utilisée par le professeur Curran.

[89] Je suis convaincue que la preuve d’expert des professeurs Curran et Haan satisfait aux critères de la pertinence et de la nécessité. En ce qui a trait à la pertinence, les demandeurs présentent la preuve statistique pour démontrer, à la première étape de l’analyse fondée sur l’article 15, que les plafonds prévus par la LCDP entraînent un effet disproportionné et, à la deuxième étape, qu’ils privent les plaignants du même bénéfice de la loi. L’expert du défendeur conteste la validité des arguments statistiques du professeur Curran. En ce qui concerne la nécessité, les deux experts fournissent des renseignements qui dépassent l’expérience et la connaissance de la Cour.

(2) Il n’y a pas de règle d’exclusion

[90] La preuve d’expert sera inadmissible si elle « contrevient à une règle d’exclusion de la preuve, distincte de la règle applicable à l’opinion » : Mohan, à la p 25. J’estime qu’en l’espèce, la preuve ne contrevient à aucune règle de la sorte.

[91] Bien que les demandeurs invoquent la règle énoncée dans l’arrêt Browne v Dunn, 1893 CanLII 65 (FOREP) [Browne v Dunn], cette dernière n’est pas une règle d’exclusion. Comme l’a conclu la Cour d’appel de l’Ontario, il s’agit [traduction] « d’une règle d’équité. Elle n’est donc ni fixe ni invariable et constitue encore moins une règle d’admissibilité » : R v Vassel, 2018 ONCA 721 au para 120 [Vassel]. Par conséquent, j’examine séparément l’argument des demandeurs concernant l’arrêt Browne v Dunn.

(3) Les experts possèdent la qualification suffisante pour exercer ce rôle

[92] Le dernier critère concerne la qualification, l’indépendance et l’impartialité des experts : White Burgess, aux para 52–53.

[93] Les domaines d’expertise de la professeure Koshan sont notamment le droit constitutionnel, les droits de la personne, l’accès à la justice et les mesures juridiques dans les affaires de violence fondée sur le genre : affidavit de la professeure Koshan, souscrit le 12 juillet 2023, au para 1. Le professeur Curran a été présenté comme un expert en statistiques, en méthodologie de la recherche empirique, en droits de la personne, en droit des contrats, en droit de l’emploi et en droit du travail : affidavit du professeur Curran, souscrit le 17 juillet 2023, au para 1. Le professeur Haan se spécialise en statistiques et en méthodes de recherche : affidavit du professeur Haan, souscrit le 7 février 2024, au para 17.

[94] Aucune partie n’a contesté la qualification des experts. En l’absence d’une telle contestation, « il est généralement satisfait au critère dès lors que l’expert, dans son attestation ou sa déposition, reconnaît son obligation et l’accepte » : White Burgess, au para 47. C’est le cas en l’espèce, puisque les experts ont accepté de se conformer au Code de déontologie régissant les témoins experts de la Cour fédérale, comme l’exige l’article 52.2 des Règles.

[95] Je conclus que les experts ont l’expertise, la connaissance et l’expérience requises pour traiter des sujets examinés dans leurs rapports et qu’ils peuvent et veulent s’acquitter de leurs obligations envers la Cour à titre de témoins impartiaux et indépendants.

(4) Analyse coût-bénéfices

[96] Après avoir conclu que la preuve d’expert satisfait aux critères d’admissibilité, je dois soupeser l’utilité de la preuve par rapport aux risques éventuels de son admission : White Burgess, aux para 16, 19, 24, 54; Mohan, à la p 21.

[97] Dans l’arrêt White Burgess, la Cour suprême conclut que le juge saisi d’une requête en jugement sommaire « doit [en règle générale] se garder de passer à la seconde étape, celle de l’analyse coût-bénéfices » : White Burgess, au para 55. Ce principe était fondé sur la jurisprudence de la Nouvelle-Écosse suivant laquelle il n’appartenait pas au juge saisi d’une requête en jugement sommaire de soupeser la preuve, de tirer des inférences raisonnables de celle-ci ou de trancher des questions de crédibilité. La Cour a intégré ces principes fondamentaux à sa jurisprudence : Rallysport Direct LLC c 2424508 Ontario Ltd, 2020 CF 794 au para 20. Je ne procède donc pas à une analyse coût-bénéfices.

D. La règle énoncée dans l’arrêt Browne v Dunn ne s’applique pas

[98] La règle énoncée dans l’arrêt Browne v Dunn est une règle d’équité envers le témoin dont la crédibilité est attaquée, envers la partie dont le témoin est contesté et envers la Cour : R v Quansah, 2015 ONCA 237 au para 77 [Quansah]. En l’espèce, les demandeurs soutiennent que le défendeur a enfreint la règle en [traduction] « n’opposant pas » au professeur Curran les critiques du professeur Haan en contre-interrogatoire. Ils font donc valoir que la Cour « devrait écarter l’intégralité de la preuve du professeur Haan » : mémoire des faits et du droit supplémentaire des demandeurs, aux para 3, 12. Pour les motifs qui suivent, je refuse de le faire.

[99] À mon avis, les demandeurs ont tort d’invoquer l’arrêt Browne v Dunn. La règle donne l’occasion aux témoins de s’expliquer avant que la partie adverse mette en doute leur crédibilité : R c Lyttle, 2004 CSC 5 au para 64; Green c Canada (Conseil du Trésor), [2000] ACF no 379 au para 25; Quansah, au para 81. Il n’est pas question de crédibilité en l’espèce. Il s’agit plutôt d’une divergence d’opinion entre des experts quant à la méthodologie, ce qui est courant dans un litige. Il y a une importante différence entre attaquer le caractère, la réputation ou l’intégrité d’un témoin expert et simplement mettre en doute la validité de sa méthodologie.

[100] L’affirmation des demandeurs aurait de graves conséquences sur le déroulement des instances faisant intervenir des témoins experts. En contre-interrogatoire, les parties seraient alors obligées d’opposer à l’expert de la partie adverse toutes les critiques formulées par leur propre expert. Une telle manière de faire serait hautement inefficace.

[101] Par conséquent, la règle exige uniquement que les témoins, y compris les experts, aient l’occasion de répondre aux questions qui attaquent leur crédibilité. Cette interprétation est conforme à la jurisprudence de la Cour : Leo Pharma Inc c Teva Canada Limited, 2015 CF 1237 aux para 70–75 [Leo Pharma]; Teva Canada Innovation c Apotex Inc, 2014 CF 1070 aux para 72, 77, 105 [Teva]; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des poste, 2012 CF 419 aux para 22–33; South Yukon Forest Corporation c Canada, 2010 CF 495 aux para 1201–1206 [South Yukon].

[102] Je ne suis pas d’accord avec les demandeurs que la décision Teva étaye l’affirmation générale selon laquelle [traduction] « la partie qui veut s’appuyer, dans ses observations, sur les critiques formulées contre un expert doit lui opposer franchement les critiques » : mémoire des faits et du droit supplémentaire des demandeurs, au para 3. Dans l’affaire Teva, les demanderesses ont voulu mettre en doute l’indépendance des deux témoins experts d’Apotex en faisant valoir que leurs avis étaient « si erronés sur d’autres questions [que la Cour devait] conclure qu’ils agiss[aient] tous deux comme porte-parole d’Apotex plutôt que comme des experts indépendants » : Teva, au para 72.

[103] Apotex a fait valoir que le prétendu manque d’indépendance de ses experts n’avait pas été porté à leur attention en contre-interrogatoire et que les demanderesses ne pouvaient donc pas l’invoquer : Teva, au para 77. En ce qui concerne l’un des experts, la Cour a jugé que le fait que les demanderesses ne l’ont pas contre-interrogé sur « la prétendue faiblesse de son interprétation et l’idée qu’il ait agi comme porte-parole d’Apotex plutôt que de remplir son rôle d’expert indépendant » a sapé l’argument des demanderesses lié au manque d’indépendance : Teva, au para 105. Il importe de souligner que la juge Gleason (alors juge à la Cour fédérale) a conclu qu’« à proprement parler », il ne s’agissait pas d’une violation de la règle énoncée dans l’arrêt Browne v Dunn : Teva, au para 105. En l’espèce, l’indépendance du professeur Curran n’a pas fait l’objet d’une telle attaque.

[104] L’application de la règle énoncée dans l’arrêt Browne v Dunn par la Cour dans la décision South Yukon n’est pas non plus utile aux demandeurs. Dans cette affaire, la défenderesse, dans ses observations finales, a contesté certains aspects du témoignage de l’expert des demanderesses sur lesquels elle ne l’avait pas contre-interrogé : South Yukon, au para 1201. La juge Heneghan a conclu que, bien que la règle énoncée dans l’arrêt Browne v Dunn « n’est pas absolue », elle s’appliquait à l’espèce, puisque les « titres de compétences et [l]es capacités » de l’expert des demanderesses avaient été contestées et que « [s]a réputation, sinon sa crédibilité, [avaient] été mises en doute » : South Yukon, au para 1204. En l’espèce, aucune contestation de la sorte n’a été soulevée à l’égard de la qualification, des capacités, de la réputation ou de la crédibilité du professeur Curran.

[105] La décision Leo Pharma de la Cour illustre également la manière dont il convient d’appliquer la règle. Dans cette affaire, la demanderesse a fait valoir que la Cour devrait accorder moins de poids au témoignage livré par les experts de la défenderesse parce que certaines parties n’étaient pas compatibles avec les opinions qu’ils avaient exprimées dans des publications antérieures. Le juge Locke (alors juge à la Cour fédérale) a accueilli l’opposition de la défenderesse fondée sur l’arrêt Browne v Dunn relativement à l’un des experts et a conclu qu’en contre-interrogatoire, la demanderesse n’avait pas présenté la déclaration censément contradictoire à cet expert : Leo Pharma, au para 73. Le juge Locke était d’avis que la demanderesse s’était manifestement fondée sur les passages en question afin de mettre en doute la crédibilité de l’expert et que ce dernier avait donc « le droit de voir ces passages (ou du moins leur sujet) portés à son attention au cours du contre-interrogatoire afin de pouvoir expliquer l’absence » : Leo Pharma, au para 75.

[106] De plus, je ne suis pas convaincue que l’espèce soulève une question d’équité. Les rapports d’expert du professeur Haan ont servi à aviser les demandeurs des contestations visant la méthodologie du professeur Curran. En effet, les demandeurs ont déposé un rapport détaillé du professeur Curran en réponse aux réserves formulées par le professeur Haan. Dans ce rapport en réponse, le professeur Curran a eu l’occasion de répondre aux critiques du professeur Haan concernant la méthodologie utilisée. Si les demandeurs étaient préoccupés par les nouvelles critiques formulées par le professeur Haan dans son rapport en réplique, ils auraient pu demander au juge responsable de la gestion de l’instance l’autorisation de déposer eux aussi un rapport en réplique.

[107] Compte tenu de ce qui précède, je ne suis pas d’avis que, pour pouvoir s’appuyer sur les critiques formulées par le professeur Haan concernant la méthodologie du professeur Curran, le défendeur était obligé d’opposer ces critiques au professeur Curran en contre-interrogatoire. Une telle interprétation de la règle énoncée dans l’arrêt Browne v Dunn est trop large. Par conséquent, contrairement à ce qu’ont affirmé les demandeurs, rien ne justifie d’exclure la preuve du professeur Haan.

E. Les demandeurs n’ont pas démontré de violation à l’article 15

(1) Cadre d’analyse de l’article 15

[108] Le paragraphe 15(1) de la Charte est ainsi libellé :

15 (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

15 (1) Every individual is equal before and under the law and has the right to the equal protection and equal benefit of the law without discrimination and, in particular, without discrimination based on race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.

 

[109] Pour prouver une violation à première vue de l’article 15, le demandeur doit satisfaire à un critère à deux volets. Il doit démontrer que la loi contestée ou l’acte de l’État : (i) crée, à première vue ou de par son effet, une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue; et (ii) impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage : Sharma, au para 28; Fraser, au para 27; Québec (Procureure générale) c Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux, 2018 CSC 17 au para 25 [Alliance].

[110] Bien que le recours à un groupe de comparaison aux caractéristiques identiques ne soit plus exigé, la comparaison demeure utile aux deux étapes de l’analyse fondée sur l’article 15 : Sharma, au para 41; Fraser, au para 94; Withler c Canada (Procureur général), 2011 CSC 12 aux para 55-64 [Withler]. À la première étape, « le mot “distinction” lui‑même implique que le demandeur est traité différemment des autres, que ce soit directement ou indirectement » : Sharma, au para 41. De plus, cette distinction doit être prouvée par comparaison avec « la situation des autres dans le contexte socio‑politique où la question est soulevée » : Sharma, au para 41, citant Andrews c Law Society of British Columbia, [1989] 1 RCS 143 à la p 164 [Andrews].

[111] À la deuxième étape, le recours à la comparaison est utile pour mieux comprendre la situation du groupe demandeur ainsi que le désavantage ou le stéréotype auquel il allègue être soumis : Withler, au para 65; Begum c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CAF 181 au para 54 [Begum].

[112] L’existence d’une discrimination directe est établie lorsque la loi, à sa face même, crée une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue : Withler, au para 64. Lorsque la loi contestée est en apparence neutre, le demandeur doit démontrer que la loi a un effet disproportionné sur un groupe protégé par rapport aux personnes qui ne font pas partie de ce groupe : Sharma, aux para 40, 45. Cependant, « le fait de laisser subsister un écart entre le traitement d’un groupe protégé et le traitement des personnes ne faisant pas partie de ce groupe ne viole pas le par. 15(1) » (souligné dans l’original) : Sharma, au para 40.

[113] Deux types d’éléments de preuve sont utiles pour démontrer qu’une loi ou un acte de l’État a un effet disproportionné sur un groupe protégé : (i) les éléments de preuve portant sur tous les éléments contextuels de la situation du groupe demandeur; et (ii) les éléments de preuve sur les conséquences pratiques de la loi ou de l’acte contesté : Sharma, au para 49; Fraser, aux para 57–58.

[114] Même si le fardeau de preuve à la première étape n’est pas lourd, le demandeur doit s’en acquitter : Sharma, aux para 49–50. Pour déterminer si le demandeur s’est acquitté de son fardeau, le tribunal doit tenir compte des facteurs suivants : (i) aucune forme particulière de preuve n’est requise; (ii) le demandeur n’a qu’à démontrer que la loi contestée était une cause, et non la seule ou la principale cause de l’effet disproportionné; (iii) le lien de causalité peut être évident de sorte qu’aucune preuve n’est nécessaire; (iv) la preuve scientifique devrait être examinée attentivement; et (v) la nouvelle preuve scientifique ne devrait être admise que si elle a un fondement fiable : Sharma, au para 49.

[115] Toutes les distinctions ne sont pas discriminatoires : Sharma, au para 51. À la deuxième étape de l’analyse, le demandeur doit démontrer que la loi contestée impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage historique ou systémique dont le groupe demandeur est victime : Sharma, aux para 51, 54; Fraser, au para 76. Le tribunal doit évaluer si la loi a eu une incidence négative sur la situation des personnes qui font partie du groupe ou a aggravé celle-ci : Sharma, au para 52; Withler, au para 37. À la deuxième étape, une preuve démontrant les préjugés, les stéréotypes et l’arbitraire peut permettre au demandeur de s’acquitter de son fardeau : Sharma, au para 53; Fraser, au para 78.

[116] De plus, les tribunaux devraient tenir compte du contexte législatif plus large pour déterminer si une distinction est discriminatoire : Sharma, au para 56.

(2) Les demandeurs n’ont pas satisfait au premier volet du critère

(a) Il n’y a pas de discrimination directe

[117] Je ne suis pas d’accord avec les demandeurs qu’il s’agit du [traduction] « type de discrimination simple et directe dont il est question dans l’arrêt Withler de la Cour suprême » : mémoire des demandeurs, au para 48. Dans les cas de discrimination directe, on peut satisfaire à la première étape simplement en prenant connaissance du texte de la loi : Sharma, au para 189. En l’espèce, les dispositions contestées, à savoir les plafonds en matière de dommages-intérêts, sont en apparence neutres, puisqu’elles s’appliquent également à tous les plaignants ayant obtenu gain de cause. La présente affaire se distingue donc des affaires de prestations gouvernementales dont il est question dans l’arrêt Withler, où la loi, à sa face même, établissait des distinctions formelles de traitement entre les cotisants.

[118] Les demandeurs soutiennent qu’à première vue, les plafonds créent une distinction entre le groupe demandeur (les personnes dont les plaintes déposées en vertu de la LCDP ont été jugées fondées) et les personnes qui ne sont pas visées par le régime législatif et qui ne sont pas assujetties à la LCDP. Compte tenu de l’application universelle de la LCDP, cette distinction alléguée n’est pas évidente au vu de la loi. Les motifs de distinction illicite énoncés à l’article 3 sont de nature générale et de portée très large. Ils englobent tous les motifs énumérés dans la Charte ou les motifs analogues. En effet, outre les motifs de la déficience et de l’état de personne graciée, les motifs de distinction illicite sont des caractéristiques que présentent toutes les personnes : la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, l’identité de genre et la situation de famille.

[119] Les demandeurs contestent que les dispositions sont en apparence neutres, puisque le plaignant doit prouver qu’il y a discrimination pour obtenir des dommages-intérêts en vertu de la LCDP. Les dispositions ne s’appliquent donc pas également à toutes les personnes. Les demandeurs concluent que, [traduction] « si la LCDP était en apparence neutre, elle s’appliquerait à toutes les expériences de préjudice, que ce soit dans le contexte de l’emploi, du logement, des biens et services ou autre » : observations supplémentaires des demandeurs, au para 6. Cependant, par cette conclusion, les demandeurs ne répondent pas à la question de savoir si les dispositions contestées sont elles-mêmes en apparence neutres. Il faut se concentrer sur le libellé des dispositions législatives en cause.

[120] De plus, l’espèce est fondamentalement différente de l’affaire Alliance entendue par la Cour suprême. Dans cette affaire, la Cour suprême a conclu que les dispositions contestées parmi les mesures législatives du Québec en matière d’équité salariale établissaient des distinctions fondées sur le sexe tant à première vue que de par leur effet. Cette conclusion reposait sur l’objet exprès de la loi, qui était de remédier à la discrimination salariale à l’égard des femmes. La Cour suprême a souligné que les dispositions contestées « indiqu[aient] comment les lacunes du salaire versé aux femmes, par rapport à celui que touchent les hommes, ser[aient] identifiées » (souligné dans l’original) : Alliance, au para 29. La distinction était donc claire au vu de la loi. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

[121] Je suis d’avis qu’il convient plutôt d’examiner la présente affaire sous l’angle de la discrimination par suite d’un effet préjudiciable. Cependant, peu importe l’angle choisi, la question déterminante tient au fait que les groupes de comparaison présentés par les demandeurs comportent des lacunes fondamentales.

(b) Les groupes de comparaison comportent des lacunes

[122] Les demandeurs reconnaissent que [traduction] « l’analyse fondée sur le paragraphe 15(1) exige nécessairement une comparaison » : mémoire des demandeurs, au para 47. En effet, la Cour suprême a déclaré que « l’égalité est un concept intrinsèquement comparatif » : R c Kapp, 2008 CSC 41 au para 15. Elle a reconnu « la place centrale qu’occupe la comparaison dans une analyse axée sur l’égalité pour l’application du par. 15(1) » : Withler, au para 47.

[123] À la première étape, les demandeurs présentent deux groupes de comparaison. Le premier groupe est composé de personnes qui ne présentent aucune caractéristique protégée, qui n’ont pas été victimes de discrimination et qui n’ont donc pas sollicité de réparations au titre de la LCDP. Le deuxième groupe est composé de personnes qui ont obtenu des dommages-intérêts semblables, mais non plafonnés, en common law.

[124] Comme je l’explique plus en détail ci-après, je juge que chacun de ces groupes de comparaison comporte des lacunes pour diverses raisons. Par conséquent, ils ne peuvent « légitimement être comparé[s] » au groupe demandeur : Hodge c Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2004 CSC 65, au para 1.

[125] Le rôle de la comparaison consiste, à la première étape, à établir l’existence d’une « distinction » : Withler, au para 62. Le mot « distinction » implique que « le demandeur est traité différemment des autres, que ce soit directement ou indirectement » : Sharma, au para 41. Comme je le mentionne plus haut, cette distinction doit être prouvée par comparaison avec les « autres dans le contexte socio‑politique où la question est soulevée » (non souligné dans l’original) : Sharma, au para 41, citant Andrews, au para 164.

[126] Ainsi, bien que le demandeur n’ait pas à établir de groupe de comparaison aux caractéristiques identiques, le processus visant à établir un groupe de comparaison comporte tout de même des limites. Le groupe de comparaison doit s’inscrire dans le « contexte socio-politique où la question est soulevée ». Après l’audience, j’ai demandé aux parties de déposer des observations écrites sur l’application de ce principe. Je ne suis pas d’accord avec les demandeurs qu’il ne s’applique que dans les cas de discrimination indirecte. La même approche à l’égard de la comparaison s’applique, peu importe que la discrimination alléguée soit directe ou indirecte : Fraser, au para 48.

[127] Il importe de souligner que les demandeurs ont proposé un contexte socio-politique différent pour chacun des groupes de comparaison qu’ils ont présentés. Cependant, « le contexte socio-politique où la question est soulevée » ne change pas en fonction du groupe de comparaison proposé. Le contexte pertinent dépend plutôt de la question en litige. Bien qu’il soit possible de procéder à diverses comparaisons, le contexte où la question est soulevée demeure le même. D’abord, le contexte socio-politique doit être déterminé en fonction de la question en litige, puis les comparaisons doivent s’inscrire dans ce contexte. En l’espèce, les demandeurs ont inversé l’exercice. Ils ont établi les groupes auxquels ils voulaient comparer le groupe demandeur, puis ils ont formulé divers contextes socio-politiques dans lesquels pouvait s’inscrire chacun de ces groupes.

[128] Un récent recours collectif devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario illustre bien la manière dont cette analyse devrait être réalisée en pratique. Dans la décision Metro Taxi Ltd et al v City of Ottawa, 2024 ONSC 2725 [Metro Taxi Ltd], la question en litige consistait à savoir si le règlement sur les taxis de la Ville d’Ottawa portait atteinte aux droits garantis aux détenteurs de plaque de taxi par l’article 15 de la Charte. Chaque partie a proposé un contexte socio-politique différent où la question était soulevée. Le juge Smith a jugé que le contexte pertinent était [traduction] « le secteur des taxis dans la Ville d’Ottawa, et non la population générale, comme le soutenaient les demandeurs » : Metro Taxi Ltd, au para 285. Dans le contexte du secteur des taxis à Ottawa, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a conclu qu’il convenait de comparer le groupe demandeur (les détenteurs racisés de plaque) avec les détenteurs non racisés de plaque, les autres chauffeurs de taxi et les chauffeurs travaillant au sein des entreprises de transport privées : Metro Taxi Ltd, aux para 309–310, 319.

(ii) Comparaison avec les personnes qui ne présentent aucune caractéristique protégée et qui n’ont pas été victimes de discrimination

[129] La première étape exige [traduction] « un groupe de comparaison soigneusement défini » : Ontario Health Coalition and Advocacy Centre for the Elderly v His Majesty the King in Right of Ontario, 2025 ONSC 415 au para 312 [Ontario Health Coalition]. Cependant, le premier groupe de comparaison proposé par les demandeurs est trop large, de sorte qu’il ne permet pas de procéder à une véritable comparaison.

[130] Les demandeurs font valoir que l’ampleur de ce groupe de comparaison ne le rend pas inapproprié, car la LCDP s’applique à [traduction] « de nombreux contextes et motifs de distinction illicite » : observations supplémentaires des demandeurs, au para 16. Ils ajoutent que « les comparaisons effectuées au titre de la LCDP peuvent être interprétées en fonction de chaque motif énuméré ou analogue ». Par exemple, ils comparent les plaignants atteints d’une déficience « avec les employés non atteints d’une déficience qui ne nécessitent pas de mesures d’adaptation et qui n’ont pas été lésés » : observations supplémentaires des demandeurs, au para 16. Cependant, les demandeurs n’ont pas formulé leurs arguments ainsi.

[131] Les demandeurs s’appuient sur l’arrêt Alliance de la Cour suprême et l’arrêt connexe Centrale des syndicats du Québec c Québec (Procureure générale), 2018 CSC 18 [Centrale], pour faire valoir que le groupe de comparaison le plus pertinent se compose de [traduction] « personnes qui n’ont pas été lésées, puisqu’elles n’ont pas été victimes de discrimination fondée sur la caractéristique protégée que présente le plaignant » (non souligné dans l’original) : observations supplémentaires des demandeurs, au para 17. Je ne suis pas d’avis que ces arrêts étayent une telle comparaison.

[132] Dans les arrêts Alliance et Centrale, le groupe de comparaison était composé en fonction de l’objet exprès des mesures législatives en matière d’équité salariale, à savoir de remédier à l’écart salarial entre les hommes et les femmes. La Cour suprême a conclu que les dispositions contestées nuisaient à l’atteinte de l’objectif législatif d’éliminer l’écart salarial. La comparaison avait été faite entre les personnes qui bénéficiaient de réparations inadéquates pour la discrimination salariale (les femmes) et celles qui n’étaient pas victimes de discrimination salariale et qui n’avaient donc pas besoin de réparation (les hommes). Cette comparaison découlait précisément de l’objet des mesures législatives en cause : corriger l’écart salarial entre les deux groupes. On ne peut en dire autant en l’espèce.

[133] La LCDP n’a pas pour objet de remédier à la discrimination entre des groupes de personnes. Elle vise plutôt à garantir l’égalité des chances à toutes les personnes : LCDP, art 2. La LCDP interdit les actes discriminatoires fondés sur des motifs protégés lors de la fourniture de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement. Si le TCDP juge qu’une plainte est fondée, il peut rendre une ordonnance en vertu de l’article 53 de la LCDP contre la personne ayant commis l’acte discriminatoire. Dans un tel cas, les réparations ne remédient pas à un écart, comme pour l’égalité salariale, mais elles indemnisent les plaignants ayant souffert de discrimination.

[134] Les réparations prévues par la LCDP visent à indemniser intégralement le plaignant, ce qui signifie de le remettre dans la position dans laquelle il se trouverait s’il n’avait pas fait l’objet d’un acte discriminatoire. Il ne s’agit pas de procéder à une comparaison avec un autre groupe de personnes en particulier, comme dans le cas des mesures législatives en matière d’équité procédurale dans les arrêts Alliance et Centrale.

[135] Je ne suis pas non plus convaincue que l’arrêt Vriend c Alberta, [1998] 1 RCS 493 [Vriend], de la Cour suprême justifie ce groupe de comparaison. Cette affaire portait sur l’exclusion d’un régime de protection des droits de la personne par l’omission de l’orientation sexuelle comme motif de distinction illicite dans l’Individual’s Rights Protection Act, RSA 1980, c I-2. La présente affaire ne porte toutefois pas sur l’exclusion d’une protection et sur l’absence de réparations, mais plutôt sur le caractère adéquat des réparations offertes.

[136] De plus, la manière dont les demandeurs ont formulé le « contexte socio-politique où la question est soulevée » est également trop large. Ils soutiennent que cette première comparaison s’inscrit dans le [traduction] « contexte socio-politique propre à la loi », c’est-à-dire « les domaines sociaux que vise la LCDP, […] notamment l’emploi, le logement et les biens et services » : observations supplémentaires des demandeurs, au para 15. Cependant, les comparaisons doivent être faites en fonction de la question en litige, et non de la législation dans son ensemble. En l’espèce, c’est la constitutionnalité des plafonds en matière de dommages-intérêts qui est en cause. Le contexte socio-politique doit donc être formulé dans ce cadre, ce que les demandeurs n’ont pas fait.

[137] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que le groupe de comparaison proposé composé des personnes qui ne présentent aucune caractéristique protégée, qui n’ont pas été victimes de discrimination et qui n’ont donc pas sollicité de dommages-intérêts au titre de la LCDP ne saurait tenir.

(iii) Comparaison avec la common law

[138] Le deuxième groupe de comparaison proposé par les demandeurs est composé de personnes ayant intenté des actions en common law sans lien avec la discrimination, plus particulièrement des actions en responsabilité délictuelle et pour congédiement injustifié. Les demandeurs soutiennent que certains types de dommages-intérêts accordés en common law correspondent aux dommages-intérêts prévus à l’alinéa 53(2)e) et au paragraphe 53(3) de la LCDP, de sorte qu’ils [traduction] « devraient, en théorie, être accordés également en toute circonstance » : mémoire des demandeurs, au para 63.

[139] Ce groupe de comparaison proposé soulève expressément la question de savoir s’il est possible de conclure à un traitement différent relativement à un régime distinct. À cet égard, les demandeurs soutiennent qu’en [traduction] « droit canadien », il existe deux niveaux de dommages-intérêts : un pour les personnes dont les plaintes de discrimination déposées en vertu de la LCDP ont été jugées fondées et un autre pour les personnes ayant obtenu gain de cause dans des actions en common law : mémoire des demandeurs, au para 70. Dans les observations qu’ils ont présentées après l’audience, les demandeurs ont défini le « contexte socio-politique où la question est soulevée » comme étant les [traduction] « réparations pour les fautes civiles » : observations supplémentaires des demandeurs, au para 18.

[140] Il importe de souligner que la Cour suprême n’a pas précisément traité de ce que signifie, en principe, « le contexte socio-politique où la question est soulevée ». Selon un examen de la jurisprudence récente de la Cour suprême sur l’article 15, en règle générale, le « contexte socio-politique » correspond au régime législatif en cause, et le groupe demandeur et le groupe de comparaison sont assujettis aux mêmes dispositions législatives ou à des dispositions législatives connexes. Par exemple, dans l’arrêt Sharma, la distinction avait été établie entre les délinquants autochtones (le groupe demandeur) et les délinquants non autochtones (le groupe de comparaison) assujettis au régime de détermination de la peine prévu au Code criminel, LRC 1985, c C-46. L’arrêt Fraser portait sur les distinctions établies par le régime de pension de la Gendarmerie royale du Canada entre les femmes (le groupe demandeur) et les hommes (le groupe de comparaison).

[141] Dans l’arrêt R c CP, 2021 CSC 19 [CP], deux lois fédérales différentes, mais connexes étaient en cause : la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, LC 2002, c 1, et le Code criminel. La question relative à l’article 15 de la Charte consistait à déterminer si une disposition de la première loi établissait une distinction fondée sur l’âge par rapport à une disposition de la deuxième loi. La Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents privait les adolescents d’un droit d’appel automatique à la Cour suprême, alors que le Code criminel accordait un tel droit aux adultes.

[142] Il ne faut pas pour autant en conclure qu’une demande fondée sur l’article 15 ne peut jamais être accueillie lorsque les comparaisons visent des régimes différents. À mon avis, l’arrêt Ontario (Procureur général) c G, 2020 CSC 38 [G], permet de mieux comprendre les limites de telles comparaisons. Dans cette affaire, le procureur général de l’Ontario a affirmé que c’étaient les distinctions établies par les lois fédérales, sur lesquelles le législateur ontarien n’avait aucun contrôle, qui privaient les personnes concernées de l’avantage en cause. La Cour suprême n’était pas de cet avis :

[51] Ces distinctions découlent de la manière dont la Loi Christopher interagit avec les lois fédérales, comme le Code criminel et la Loi sur le casier judiciaire. Cependant, les lois n’existent pas dans l’abstrait — la Loi Christopher impose un régime d’obligations aux personnes déclarées coupables ou non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux à l’égard d’infractions sexuelles. Ces obligations s’ajoutent aux conséquences des conclusions qui sont tirées en application du Code criminel de par leur conception. Même si le législateur a créé ces distinctions par inadvertance, les distinctions qui ne sont pas intentionnelles ou qui découlent de l’interaction d’une loi avec d’autres lois ou circonstances sont prises en compte dans l’analyse de l’égalité réelle. Ce sont là des leçons de base que l’on peut tirer de la jurisprudence de notre Cour (Fraser, par. 31-34, 41-47 et 69; Andrews, p. 173; Eldridge, par. 62 et 77-78). L’effet combiné de nombreuses lois est particulièrement important pour les personnes souffrant de troubles mentaux, car leur vie est souvent réglementée par ce que l’intervenante, l’Association canadienne pour la santé mentale, Ontario, appelle un [traduction] « ensemble complexe de lois et de règlements » (m.i., par. 7).

[Non souligné dans l’original]

[143] Je m’inspire de ce raisonnement pour déclarer que le « contexte socio-politique où la question est soulevée » peut aller au-delà du régime législatif en cause lorsqu’il y a chevauchement ou interaction entre des régimes ou des compétences. Cependant, la LCDP est un régime distinct de protection des droits de la personne qui relève de la compétence fédérale. Il n’y a aucun chevauchement ni aucune interaction entre le régime de la LCDP et la common law, au contraire des lois fédérales et provinciales en cause dans l’arrêt G. En l’absence d’un tel lien entre les régimes ou les compétences, les comparaisons entre des lois différentes ne peuvent justifier adéquatement une demande fondée sur l’article 15.

[144] Cette approche est conforme à l’arrêt Martin. Dans cet arrêt, la Cour suprême a rejeté une comparaison entre les personnes assujetties au régime provincial d’indemnisation des accidentés du travail et les personnes assujetties à la common law. La Cour suprême a conclu que la comparaison proposée n’était pas appropriée compte tenu des fardeaux différents imposés aux personnes par la loi ou la common law :

[72] Les appelants ajoutent qu’il existe un autre groupe de comparaison utile, à savoir celui constitué des personnes souffrant de douleur chronique qui ne sont pas assujetties à la Loi et qui peuvent être indemnisées selon les principes ordinaires de la responsabilité délictuelle. Je ne crois pas que cette comparaison soit appropriée. Ce n’est pas une déficience mentale ou physique qui distingue les appelants des membres de ce groupe, du fait qu’il y a douleur chronique dans les deux cas. La seule différence qui existe entre eux réside plutôt dans le fait que les membres du groupe de comparaison ne sont pas assujettis à la Loi et ont donc accès au régime de responsabilité délictuelle, alors que les appelants doivent s’en tenir au régime d’indemnisation des accidentés du travail. Selon moi, la Cour d’appel a eu raison de statuer qu’établir une telle distinction dans une analyse fondée sur le par. 15(1) reviendrait à contester tout le régime d’indemnisation des accidentés du travail, ce que notre Cour a rejeté à l’unanimité dans le Renvoi : Workers’ Compensation Act, 1983 (T.-N.), [1989] 1 R.C.S. 922. De plus, une telle comparaison serait également inappropriée du fait que le régime de la responsabilité délictuelle exige normalement que la partie lésée prouve que la lésion qu’elle a subie est due à la faute d’autrui. Donc, même si le régime d’indemnisation des accidentés du travail n’existait pas, ce ne sont pas tous les accidentés du travail souffrant de douleur chronique qui auraient accès à l’indemnisation fondée sur la responsabilité délictuelle. Madame Laseur et M. Martin, par exemple, n’imputent pas leurs lésions à la faute d’autrui.

[Non souligné dans l’original]

[145] Ce raisonnement s’applique également en l’espèce. La Cour a jugé que les principes juridiques en matière d’indemnisation des préjudices ne s’appliquent pas aux dommages-intérêts pour préjudice moral pouvant être accordés en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP : Canada (Procureur général) c Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, 2021 CF 969 au para 188 [Société de soutien]. Il en est ainsi car les préjudices sont appréciés de diverses manières, en ce sens que la « LCDP n’est pas conçue pour traiter de différents niveaux de dommages ou pour s’engager dans des processus d’évaluation du préjudice personnel fondé sur la faute commise » : Société de soutien, au para 189.

[146] De plus, comme la Cour suprême l’a souligné dans l’extrait de l’arrêt Martin cité plus haut, accueillir une demande fondée sur l’article 15 en raison d’une distinction entre les réparations prévues par une loi et celles accordées en common law reviendrait à contester l’intégralité de la loi en cause.

[147] Dans la présente analyse, il est pertinent d’ajouter qu’il n’existe pas de délit de discrimination. En adoptant la LCDP, le législateur voulait pallier l’absence de réparations accordées en common law pour des actes discriminatoires. Les réparations prévues par la LCDP sont des questions de politique générale qui relèvent du pouvoir du législateur.

[148] Je remarque également que, dans les observations qu’ils ont présentées après l’audience, les demandeurs ont fait valoir que les dommages-intérêts pour préjudice moral et les dommages-intérêts punitifs accordés par la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral [la Commission] en vertu de la LCDP peuvent être comparés à bon droit avec les dommages-intérêts que la Commission accorde dans les cas de griefs relatifs à un licenciement sans lien avec la discrimination. À cet égard, ils ont présenté un autre groupe de comparaison et un autre contexte socio-politique pertinent : [traduction] « dans les deux cas, les plaignants travaillent pour le gouvernement fédéral et demandent à la Commission de leur accorder les mêmes types de dommages-intérêts pour les actes répréhensibles commis par l’employeur » : observations supplémentaires des demandeurs, au para 21. À l’appui, les demandeurs ont invoqué deux affaires de licenciement devant la Commission dans lesquelles aucune allégation de discrimination fondée sur un motif de distinction illicite n’avait été formulée. Les demandeurs ont ensuite supposé qu’il « était facile de s’imaginer un cas très semblable à l’affaire Lyons, où un agent correctionnel racisé serait licencié en raison d’un faux soupçon fondé sur des stéréotypes racistes » (souligné dans l’original) : observations supplémentaires des demandeurs, au para 21. Cependant, c’est la première fois que les demandeurs font une comparaison avec les dommages-intérêts accordés par la Commission. Dans son étude, le professeur Curran a inclus des cas où la Commission a accordé des dommages-intérêts en vertu de la LCDP, mais aucun d’entre eux n’est lié à une affaire de licenciement non fondée sur la discrimination.

[149] Je suis d’avis que le recours à la common law dans le contexte de l’établissement d’un groupe de comparaison dans les circonstances de l’espèce dépasse largement la jurisprudence. Il s’agit de deux régimes distincts, à savoir le droit législatif et la common law, qui s’appliquent dans des contextes différents. Aucune raison ne justifie de passer de l’un à l’autre pour trouver un groupe de comparaison.

(c) Distinction non fondée sur des motifs énumérés ou analogues

[150] Les demandeurs soutiennent que les plafonds prévus par la LCDP établissent des distinctions fondées sur tous les motifs énumérés et analogues entre le groupe demandeur et ces deux groupes de comparaison, puisque les personnes faisant partie du groupe demandeur ont prouvé l’existence d’une discrimination fondée sur un ou plusieurs des motifs protégés prévus par la LCDP. Toutefois, ce que les demandeurs doivent démontrer, c’est que la distinction qu’ils allèguent entre le groupe demandeur et les groupes de comparaison est fondée sur des motifs énumérés ou analogues.

[151] Le groupe demandeur est composé de personnes présentant des caractéristiques protégées. Cela dit, les groupes de comparaison comprennent également des personnes présentant les mêmes caractéristiques protégées. La LCDP est d’application universelle. Comme je le mentionne plus haut, les motifs de distinction illicite énoncés à l’article 3 sont de nature générale et de portée très large. Ils englobent tous les motifs énumérés dans la Charte et les motifs analogues.

[152] La véritable distinction entre le groupe demandeur et les groupes de comparaison est que les personnes faisant partie du groupe demandeur ont démontré le bien-fondé d’une plainte de discrimination déposée en vertu de la LCDP et ont donc droit à une indemnité en vertu de ce régime. Il ne s’agit pas d’un motif énuméré ou analogue. Ainsi, toute distinction en cause en l’espèce est fondée sur la réparation à laquelle les personnes faisant partie du groupe demandeur ont droit en vertu du régime législatif, puisqu’elles ont réussi à prouver l’existence d’une discrimination au sens de la LCDP.

(d) Conclusion sur la première étape

[153] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la demande fondée sur l’article 15, telle qu’elle a été formulée par les demandeurs, est dénuée de fondement juridique. La requête en jugement sommaire des demandeurs sera rejetée. Après avoir conclu qu’il n’existe aucune véritable question litigieuse, j’accueillerai la requête en jugement sommaire du défendeur. Je rejetterai donc les actions des demandeurs dans leur intégralité.

(3) Les demandes des demandeurs ne reposent pas sur une preuve suffisante

[154] Si j’ai tort dans l’analyse qui précède, je me penche également sur la question de savoir si la preuve des demandeurs suffit à démontrer l’existence d’un effet disproportionné, à la première étape de l’analyse fondée sur l’article 15, et d’une discrimination, à la deuxième étape de cette analyse. Bien que ces deux étapes soulèvent des questions fondamentalement différentes, les éléments de preuve peuvent se recouper : Sharma, au para 30. En l’espèce, les demandeurs s’appuient sur les mêmes éléments de preuve aux deux étapes : les affidavits de M. No, de Mme Lamba et de la professeure Koshan ainsi que l’étude empirique réalisée par le professeur Curran.

[155] Les demandes des demandeurs comportent une lacune fondamentale en ce qu’elles reposent sur des éléments de preuve généraux concernant les effets sur le groupe demandeur. Cependant, les demandeurs reconnaissent que ce groupe n’est pas un groupe protégé et ils ne demandent pas non plus à la Cour de le reconnaître comme tel. Leurs demandes doivent donc reposer sur des éléments de preuve qui démontrent que les plafonds ont un effet préjudiciable sur chaque groupe protégé faisant partie du groupe demandeur. Il ne suffit pas d’affirmer que les plafonds ont le même effet disproportionné et qu’ils s’appliquent de la même manière discriminatoire à tous les plaignants ayant obtenu gain de cause sous le régime de la LCDP, et ce, peu importe les motifs énumérés ou analogues.

[156] En effet, l’approche des demandeurs à l’égard de la preuve uniformise les expériences de discrimination. La question de l’identité est contextuelle et nécessite la prise en compte non seulement d’une [traduction] « série de caractéristiques personnelles », mais également de l’expérience des personnes présentant ces caractéristiques : l’honorable juge Richard Wagner, « How Do Judges Think About Identity? The Impact of 35 Years of Charter Adjudication » (2017) 49:1 RD Ottawa 43, aux pp 48, 49. Cependant, en présentant leur preuve dans l’optique d’un groupe demandeur, les demandeurs ont décontextualisé l’analyse fondée sur l’article 15. Ils ne présentent aucune preuve concernant l’expérience vécue par les personnes faisant partie des groupes protégés. En affirmant que les plafonds lèsent de la même manière et dans la même mesure tous les plaignants ayant obtenu gain de cause sous le régime de la LCDP, peu importe le groupe protégé dont ils font partie, les demandeurs demandent plutôt à la Cour de s’appuyer sur une « accumulation d’intuitions » : Première Nation de Kahkewistahaw c Taypotat, 2015 CSC 30 au para 34; Begum, au para 80.

[157] Dans une requête en jugement sommaire, les parties doivent présenter leurs meilleurs arguments, et les tribunaux ont [traduction] « le droit de présumer que le dossier comporte tous les éléments de preuve que les parties présenteraient au procès » : Toronto-Dominion Bank v Hylton, 2012 ONCA 614 au para 5. Les demandeurs soutiennent que leur demande [traduction] « se prête bien à la procédure de jugement sommaire, que la Cour a appliquée dans des affaires où elle a eu à statuer sur des droits garantis par la Charte et des demandes fondées sur la Charte » (note de bas de page omise) : mémoire des demandeurs, au para 22. Dans leurs observations orales, ils ont également soutenu que la Cour dispose de tous les faits dont elle a besoin pour rendre une décision juste.

[158] Comme l’a conclu la Cour d’appel fédérale, « [i]l n’y a pas de véritable question litigieuse s’il n’y a pas de fondement juridique à la demande compte tenu du droit ou de la preuve produite ou si le juge dispose de la preuve nécessaire pour trancher le litige » : Première Nation de Witchekan Lake, au para 65. C’est le cas en l’espèce. Les demandeurs n’ont pas établi le bien-fondé de leurs arguments compte tenu des exigences juridiques et des exigences en matière de preuve applicables au regard de l’article 15.

(a) Aucune preuve d’effet disproportionné

[159] Bien que les demandeurs allèguent une discrimination directe, je suis d’avis qu’il s’agit plutôt d’une allégation de discrimination indirecte. Dans l’arrêt Sharma, la Cour suprême a souligné que les demandeurs doivent prouver non seulement que la loi a des effets sur le groupe protégé dont ils font partie, mais également que l’effet est disproportionné :

[40] Il y a tout d’abord lieu de faire une différence entre un effet et un effet disproportionné. Toutes les lois sont censées avoir un certain effet sur les personnes; il ne suffit donc pas de démontrer que la loi a des effets sur un groupe protégé. À la première étape du critère du par. 15(1), les demandeurs doivent démontrer que la loi a un effet disproportionné sur un groupe protégé par rapport aux personnes qui ne font pas partie de ce groupe. Autrement dit, le fait de laisser subsister un écart entre le traitement d’un groupe protégé et le traitement des personnes ne faisant pas partie de ce groupe ne viole pas le par. 15(1).

[Souligné dans l’original]

[160] Pour établir que la loi contestée crée un effet disproportionné ou contribue à cet effet, des éléments de preuve sur la situation du groupe demandeur et sur les effets de la loi peuvent être présentés : Sharma, au para 49; Fraser, au para 60. Même si le fardeau de preuve n’est pas trop lourd, le demandeur doit tout de même s’en acquitter : Sharma, au para 50.

[161] Il importe de souligner que les demandeurs n’ont présenté aucune preuve directe de l’effet des dispositions contestées sur les plaignants ayant obtenu gain de cause sous le régime de la LCDP. Bien que les personnes directement touchées n’aient peut-être pas voulu engager une contestation fondée sur la Charte en leur propre nom, elles auraient pu souscrire des affidavits concernant leur expérience : Downtown Eastside, au para 71. Les demandeurs ont plutôt déposé des affidavits souscrits par M. No et Mme Lamba attestant de ce que les plaignants leur avaient dit. Il s’agit de [traduction] « ouï-dire non attribué provenant de [leurs] clients anonymes » : Ontario Health Coalition, au para 110. De plus, les demandeurs n’ont pas démontré en quoi cette preuve satisfait aux critères de la nécessité et de la fiabilité. J’accorde donc peu de poids aux parties des affidavits qui ne font que relater ce que les clients ont dit à M. No et à Mme Lamba.

[162] Quoiqu’il en soit, cette preuve est limitée et générale. M. No déclare que [traduction] « même si les [plaignants] décident de déposer une plainte relative aux droits de la personne avec l’aide de PCLS, ils considèrent que l’indemnité est insuffisante par rapport au préjudice qu’ils ont subi, ce qui ajoute aux difficultés émotionnelles et financières qu’ils ont vécues en raison de la violation des droits de la personne à l’origine de leur plainte » : affidavit de M. No, au para 31(b). L’affidavit de Mme Lamba est tout aussi large : [traduction] « Je me souviens de nombreuses occasions où des membres m’ont fait part de leur frustration à l’égard des plafonds prévus par la LCDP en matière de dommages-intérêts. Ils estimaient que ces plafonds étaient injustes et n’indemnisaient pas adéquatement les plaignants pour ce qu’ils avaient vécu » : affidavit de Mme Lamba, au para 33.

[163] Dans son rapport d’expert, la professeure Koshan traite des obstacles procéduraux auxquels sont confrontés les plaignants lorsqu’ils présentent des allégations de discrimination devant la CCDP et le TCDP au titre de la LCDP. En ce qui a trait aux plafonds, la professeure Koshan indique simplement que le plafond prévu par la LCDP en matière de dommages-intérêts pour préjudice moral [traduction] « est également considéré comme un obstacle à l’accès à la justice en matière de droits de la personne, puisqu’il prive de nombreux plaignants d’une indemnité suffisante, ce qui a pour effet de dissuader les personnes de déposer des plaintes » : rapport de la professeure Koshan, au para 35.

[164] Ce type de preuve générale ne permet pas aux demandeurs de s’acquitter de leur fardeau de démontrer que les plafonds prévus par la LCDP ont un effet disproportionné : Weatherley c Canada (Procureur général), 2021 CAF 158 au para 46; Begum, au para 80. Il ne suffit pas d’affirmer que les plaignants éprouvent un sentiment de frustration à l’égard des plafonds et considèrent qu’ils les privent d’une indemnité suffisante pour démontrer l’existence d’un effet disproportionné. On pourrait supposer que les parties à des actions en responsabilité délictuelle et à des actions pour congédiement injustifié ressentent la même chose. Cependant, les demandeurs ne présentent aucune preuve à cet égard, de sorte qu’ils ne présentent aucun point de référence pour démontrer que ce que vivent les plaignants qui présentent une demande fondée sur la LCDP est différent, voire disproportionné par rapport à ce que vivent ces parties.

[165] De plus, les demandeurs soutiennent que la jurisprudence relative à la LCDP démontre à elle seule l’effet disproportionné qu’ont manifestement les plafonds : le TCDP juge que les plafonds réduisent le montant de l’indemnité qu’il peut accorder. Toutefois, cela ne fait que montrer que les plafonds limitent les dommages-intérêts accordés en vertu de la LCDP, et non qu’ils entraînent un effet disproportionné.

[166] Il s’agit là de l’ensemble de la preuve présentée pour établir l’effet disproportionné par rapport au premier groupe de comparaison composé de personnes qui ne présentent aucune caractéristique protégée et qui n’ont pas été victimes de discrimination. Cela fait ressortir la difficulté de procéder à une telle comparaison. À un tel niveau d’abstraction, il n’existe aucune donnée permettant d’établir concrètement l’effet disproportionné.

[167] En ce qui concerne le deuxième groupe de comparaison des demandeurs, dans sa preuve d’expert, le professeur Curran examine les écarts entre les dommages-intérêts accordés en vertu de la LCDP et les dommages-intérêts analogues accordés en common law. Bien que, dans son étude, le professeur Curran compare également les différences entre les dommages-intérêts pour préjudice moral accordés en vertu de l’alinéa 53(2)e) de la LCDP et les dommages-intérêts analogues accordés en vertu des lois sur les droits de la personne de l’Ontario et de la Colombie-Britannique, les demandeurs évitent, avec raison, de s’appuyer sur ces statistiques pour prouver l’existence d’une distinction à la première étape. En effet, la province dans laquelle une demande est déposée ne constitue pas un motif énuméré ou analogue : Haig c Canada; Haig c Canada (Directeur général des élections), [1993] 2 RCS 995 aux pp 1046–1047; R c s (S), [1990] 2 RCS 254 à la p 289; Droit de la famille — 139, 2013 QCCA 15 aux para 59–63. À la deuxième étape, les demandeurs invoquent plutôt les différences entre ces dommages-intérêts pour justifier leurs allégations.

(b) Réserves concernant la preuve statistique d’expert des demandeurs

[168] Bien qu’une preuve statistique ne soit pas nécessaire, elle peut s’avérer pertinente aux deux étapes de l’analyse fondée sur l’article 15. À la première étape, les statistiques peuvent aider à établir des disparités claires dans la façon dont une loi touche le groupe demandeur par rapport au groupe de comparaison : Fraser, aux para 62–63; Sharma, au para 49. À la deuxième étape, la preuve statistique peut aider à démontrer que la loi contestée renforce, perpétue ou accentue un désavantage.

[169] Cependant, la Cour suprême a précisé que « [l]a preuve de disparité statistique, quant à elle, peut comporter des lacunes importantes laissant la porte ouverte à des résultats qui ne sont pas fiables » : Fraser, au para 60. Les tribunaux doivent donc procéder à un examen critique de la preuve pour s’assurer qu’elle est « fiabl[e] et significativ[e] » : Fraser, au para 66. Comme l’a expliqué la juge Abella, « [l]e poids accordé aux statistiques dépendra, entre autres, de la qualité de celles-ci et de la méthode utilisée pour les obtenir » : Fraser, au para 59.

[170] En l’espèce, les demandeurs s’appuient fortement sur la preuve statistique de leur expert pour étayer leurs allégations selon lesquelles les plafonds prévus par la LCDP en matière de dommages-intérêts sont discriminatoires. Compte tenu des enjeux que j’ai déjà soulevés concernant le caractère général de leurs autres éléments de preuve et de la mise en garde formulée par la Cour suprême sur le fait de s’appuyer uniquement sur une preuve statistique, je me dois d’examiner attentivement la preuve d’expert des demandeurs. À la lumière de l’ensemble des réserves concernant la preuve exposées plus bas, je suis d’avis que la preuve d’expert des demandeurs ne peut servir de fondement à leur demande fondée sur l’article 15.

(i) Les données ne sont pas ventilées

[171] Dans son rapport, le professeur Curran ne ventile pas ses données par groupe protégé. Par conséquent, son rapport n’illustre pas en fonction de chaque motif énuméré ou analogue les différences entre les dommages-intérêts accordés en vertu de la LCDP et les dommages-intérêts accordés dans d’autres cas.

[172] Les demandeurs font valoir que les plafonds prévus par la LCDP s’appliquent de la même manière pour chaque groupe protégé. Cependant, ils n’ont pas démontré la véracité de cette affirmation, ce qui entraîne des conséquences à la première et à la deuxième étapes. En effet, la preuve ne suffit pas à démontrer l’existence d’un effet disproportionné et d’une discrimination pour chacun des groupes protégés au sein du groupe demandeur. Les demandeurs ne peuvent pas s’appuyer sur de simples affirmations portant que les effets sont les mêmes pour chaque groupe protégé. Il se peut que les dommages-intérêts soient plus élevés pour certains groupes, ce qui reflète des actes discriminatoires plus graves. Il y a peut-être aussi peu de cas, voire aucun, pour certains groupes protégés. Regrouper toutes les affaires ensemble, comme le font les demandeurs en l’espèce, efface ces possibilités et affaiblit une analyse complète fondée sur l’article 15.

[173] De plus, ce ne sont pas tous les motifs de distinction illicite prévus par la LCDP qui constituent un motif énuméré à l’article 15 de la Charte ou analogue. Les motifs de distinction illicite prévus par la LCDP suivants correspondent à des motifs énumérés à l’article 15 : la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe et la déficience. De plus, les tribunaux ont reconnu les motifs analogues suivants : l’orientation sexuelle, l’état matrimonial et l’identité de genre : Hansman c Neufeld, 2023 CSC 14 aux para 84–88; Nouvelle-Écosse (Procureur général) c Walsh, 2002 CSC 83; Vriend; Centre de lutte contre l’oppression des genres c Procureur général du Québec, 2021 QCCS 191. Les autres motifs de distinction illicite (la situation de famille, les caractéristiques génétiques et l’état de personne gracié) n’ont pas été reconnus comme des motifs analogues au titre de l’article 15.

[174] Les données sur le TCDP du professeur Curran visent toutes ces affaires, sans distinction. Bien qu’il énumère chaque affaire utilisée dans son étude, il ne précise pas explicitement combien de cas, représentant quel montant de dommages-intérêts accordés, sont inclus pour des motifs qui n’ont pas encore été reconnus au titre de l’article 15 de la Charte. La Cour ne connaît pas l’incidence que cela aurait pu avoir ou non sur les conclusions tirées.

(ii) Réserves concernant la méthodologie

[175] Compte tenu de certaines réserves concernant la méthodologie soulevées par le défendeur, j’ai d’autres réserves quant à l’étude du professeur Curran. Comme je l’explique ci-après, ces réserves révèlent des failles dans le fondement de son étude et m’amènent à me demander si celle-ci peut fonder les allégations des demandeurs. Il s’agit d’une autre faiblesse dans la preuve des demandeurs.

[176] Dans son étude, le professeur Curran s’est penché sur deux questions générales : (i) [traduction] « les plafonds prévus par la LCDP ont-ils pour effet de limiter les dommages-intérêts accordés en vertu de la LCDP comparativement aux dommages-intérêts analogues accordés dans d’autres contextes »; et (ii) « le cas échéant, quelle est l’ampleur de cet effet » : rapport du professeur Curran, à la p 16. Pour répondre à ces questions, le professeur Curran a évalué et comparé les dommages-intérêts accordés en appliquant une méthodologie utilisée en sciences sociales appelée « analyse de contenu ». Il définit cette méthodologie comme « une démarche consistant à analyser des documents et des textes (y compris des décisions judiciaires) en vue d’en quantifier le contenu de façon systématique et reproductible selon des catégories prédéterminées » : rapport du professeur Curran, à la p 1.

[177] Deux codeurs ont généré des données quantitatives à partir de décisions judiciaires rendues par divers tribunaux : rapport du professeur Curran, à la p 20. Les données ont ensuite été analysées de trois façons : (i) des histogrammes; (ii) un test de comparaison des moyennes; et (iii) une analyse de régression : rapport du professeur Curran, aux pp 33–35. Après avoir réalisé ces analyses, le professeur Curran a affirmé que [traduction] « les plafonds prévus par la LCDP visent à limiter les dommages-intérêts accordés, comparativement à ceux adjugés par d’autres tribunaux, tant dans les affaires “ordinaires” que dans les affaires “extrêmes” » : rapport du professeur Curran, à la p 59.

[178] Le défendeur fait valoir que le rapport du professeur Curran comporte des lacunes méthodologiques et qu’il ne devrait pas être admis. Son expert, le professeur Haan, a formulé plusieurs réserves dans son rapport initial. Bien que, dans son rapport en réponse, le professeur Curran ait répondu à certaines des réserves du professeur Haan, ce dernier était d’avis qu’il y avait [traduction] « encore suffisamment de questions en suspens » qui « compromettaient gravement l’exactitude et la validité des résultats [du professeur Curran] » : rapport en réplique du professeur Haan, aux para 45, 46. À mon avis, deux de ces réserves remettent en question le fondement de l’étude du professeur Curran.

[179] Premièrement, en ce qui a trait à la sélection de l’échantillon, le professeur Haan se demande pourquoi ce sont les affaires relatives aux droits de la personne en Ontario et en Colombie-Britannique qui ont été choisies à des fins de comparaison : rapport en réponse du professeur Haan, aux para 21, 26. Dans son rapport, le professeur Curran a indiqué que ces deux provinces avaient été choisies, car leurs lois prévoient des dommages-intérêts pour préjudice moral et qu’il [traduction] « existe une jurisprudence abondante » dans ces provinces : rapport du professeur Curran, à la p 12. Selon le professeur Curran, le Québec a été exclu, car son régime des droits de la personne est différent. De plus, la jurisprudence provenant des autres provinces et territoires était insuffisante « pour offrir une puissance statistique appropriée pour cette étude » : rapport du professeur Curran, à la p 12. En outre, les lois de certaines autres provinces et de certains autres territoires ne prévoient pas de plafonds en matière de dommages-intérêts.

[180] Je juge fondées les réserves du professeur Haan liées au fait que le professeur Curran ne s’est appuyé que sur les régimes des droits de la personne de deux provinces pour effectuer des comparaisons. Je reconnais que le régime du Québec est différent. Je comprends également que les tribunaux de l’Ontario et de la Colombie-Britannique ont probablement rendu plus de décisions à analyser que les tribunaux des autres provinces et territoires. Cependant, en composant son échantillon d’affaires de responsabilité délictuelle et de congédiement injustifié, le professeur Curran a retenu des affaires provenant de l’ensemble des provinces et territoires du Canada, à l’exception du Québec : Tableau 1 : Ventilation des affaires utilisées dans la présente étude, rapport du professeur Curran, aux pp 22–23. Le professeur Curran n’explique pas pourquoi il adopte des approches contradictoires pour composer les échantillons de chaque régime, même si les mêmes questions se posent dans le contexte de la common law et du régime des droits de la personne (nombre de décisions, jurisprudence différente). On pourrait raisonnablement en conclure que des facteurs externes additionnels influencent le véritable effet des plafonds.

[181] Deuxièmement, l’hétérogénéité des échantillons du professeur Curran met également en doute leur validité. Le professeur Haan affirme qu’en comparant les dommages-intérêts accordés en vertu de la LCDP à quatre autres catégories de dommages-intérêts, le professeur Curran laisse entendre [traduction] « que les quatre autres régimes sont assez semblables pour constituer des comparatifs appropriés et que les résultats de ses tests de comparaison des moyennes sont significatifs sur le plan statistique, de sorte qu’ils étayent ses hypothèses selon lesquelles les plafonds prévus par la LCDP ont pour effet de diminuer les dommages-intérêts accordés. Pour être rigoureux, il aurait dû également comparer tous les régimes entre eux pour déterminer s’il existe également des différences significatives entre les régimes qui ne prévoient pas nécessairement de plafonds » : rapport en réponse du professeur Haan, au para 105.

[182] Le professeur Haan procède lui-même à ces comparaisons et conclut que les dommages-intérêts pour préjudice moral accordés par la Commission ontarienne des droits de la personne et l’Office of the Human Rights Commissioner de la Colombie-Britannique ainsi que les dommages-intérêts punitifs accordés dans les affaires de responsabilité délictuelle et de congédiement injustifié [traduction] « ne sont pas différents sur le plan statistique » : rapport en réponse du professeur Haan, aux para 106–107. Cependant, le traitement des dommages-intérêts pour préjudice moral entre la common law et les régimes des droits de la personne ainsi qu’entre les affaires de responsabilité délictuelle et celles de congédiement injustifié en common law donne à penser qu’il [traduction] « y a davantage de différences entre les régimes que la simple existence de plafonds en matière de dommages-intérêts » : rapport en réponse du professeur Haan, au para 108. Il importe de souligner que, dans son rapport en réponse, le professeur Curran n’a pas répondu aux conclusions du professeur Haan selon lesquelles plusieurs régimes diffèrent des autres : rapport en réplique du professeur Haan, aux para 14, 40.

[183] De plus, en contre-interrogatoire, le professeur Curran a reconnu que d’autres variables pouvaient avoir une incidence sur les dommages-intérêts, ce qui, à tout le moins, remet en question la validité de construit de son analyse de régression : transcription du contre-interrogatoire du professeur Curran, dossier du défendeur, vol 3, aux pp 859–870. Il a admis que d’autres variables pouvaient également avoir une incidence sur le montant des dommages-intérêts accordés, notamment (i) le montant de l’indemnité demandé par le demandeur, (ii) la qualité de la preuve produite; (iii) la conduite du demandeur; (iv) la non-participation du défendeur à l’instance; (v) la vulnérabilité de la victime; (vi) la question de savoir si les actes ont été commis en public ou en privé; (vii) la fréquence de la conduite discriminatoire; (viii) la possibilité d’obtenir une autre indemnité, telle qu’une indemnité pour la perte de salaire, et le montant d’une telle indemnité; (ix) des dommages-intérêts semblables accordés par le tribunal ou la jurisprudence de ce tribunal à cet égard; (x) le motif de distinction illicite : mémoire du défendeur, au para 109.

[184] Les demandeurs soutiennent que la Cour ne devrait pas accorder une grande importance aux critiques du professeur Haan, puisque ce dernier n’a pas entrepris sa propre étude pour démontrer les résultats d’une étude tenant compte de ses critiques. Je ne suis pas d’accord que l’expert du défendeur devait déterminer l’incidence des réserves soulevées. Il incombait aux demandeurs d’établir que leur méthodologie était solide. De plus, ils auraient pu demander l’autorisation de déposer eux aussi un rapport en réplique aux lacunes relevées par le professeur Haan dans son rapport en réplique.

[185] Compte tenu de ce qui précède, j’ai des réserves suffisantes concernant la preuve statistique des demandeurs pour conclure qu’elle ne peut fonder leurs allégations fondées sur l’article 15 aux deux étapes de l’analyse.

(4) Les demandeurs n’ont pas satisfait au deuxième volet du critère

[186] À la deuxième étape, les demandeurs doivent démontrer que les plafonds prévus par la LCDP imposent un fardeau ou nient un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage : Sharma, au para 51. Les tribunaux doivent examiner les désavantages historiques et systémiques dont a fait l’objet le groupe demandeur : Sharma, au para 52.

[187] Outre les réserves concernant la preuve que je mentionne plus haut, j’estime que les demandeurs n’ont pas non plus satisfait à ce volet du critère, car leur approche ne cadre pas avec la jurisprudence à deux égards. Premièrement, puisque le groupe demandeur a été présenté comme un ensemble, la Cour n’est pas en mesure de réaliser une analyse contextuelle adéquate basée sur la situation véritable des groupes protégés constituant le groupe. Deuxièmement, en faisant abstraction de l’éventail des réparations offertes aux plaignants sous le régime de la LCDP, les demandeurs ne tiennent pas compte du contexte législatif plus large.

(a) Défaut de présenter une preuve du désavantage historique ou systémique pour chaque groupe protégé faisant partie du groupe demandeur

[188] À mon avis, les demandeurs ont court-circuité l’analyse exigée à la présente étape en affirmant simplement que le groupe demandeur, composé de personnes dont les plaintes de discrimination ont été jugées fondées, est [traduction] « désavantagé par définition », puisque « [t]oute personne qui a droit à des dommages-intérêts en vertu de la LCDP a, par définition, subi un désavantage et un préjudice » : mémoire des demandeurs, à la p 78. Cette affirmation générale ne prête pas à controverse. Cependant, on ne saurait présumer que chacun des groupes protégés faisant partie du groupe demandeur a souffert du même désavantage historique ou sociétal. À elle seule, une telle affirmation dément une conception contextuelle et substantielle de l’égalité. Il incombait aux demandeurs de présenter une preuve suffisante pour mettre en contexte les expériences concrètes vécues par les personnes faisant partie du groupe demandeur. Il ne suffit pas de simplement affirmer qu’il y a désavantage : Sharma, au para 55.

[189] À la deuxième étape, il faut examiner la « situation véritable » du groupe protégé : Withler, au para 37. Par exemple, dans l’arrêt G, de nombreux éléments de preuve ont été présentés pour démontrer le désavantage et la stigmatisation historiques subis par les personnes souffrant de troubles mentaux : G, aux para 61–66. Dans l’arrêt Fraser, des éléments de preuve historiques ont été présentés pour démontrer les préjugés fondés sur le sexe ancrés dans les régimes de pension : Fraser, aux para 108–113. Le simple fait pour les demandeurs d’alléguer que les plafonds prévus par la LCDP exercent une discrimination fondée sur tous les motifs énumérés et analogues ne les dispense pas de devoir démontrer l’incidence de ces plafonds sur chaque groupe protégé.

[190] Les demandeurs soutiennent que [traduction] « en plus d’être désavantagés au sein de la société en générale, les plaignants le sont également lorsqu’ils demandent réparation pour la discrimination subie » : mémoire des demandeurs, au para 80. La preuve de la professeure Koshan porte sur les divers obstacles que rencontrent les personnes qui souhaitent déposer une plainte sous le régime de la LCDP. Cependant, cette preuve démontre que les groupes protégés affrontent différemment ces obstacles : rapport de la professeure Koshan, aux para 23–24, 26–27, 38, 42–45. Par exemple, la professeure Koshan mentionne que les obstacles liés à un manque de connaissances chez les plaignants [traduction] « peuvent être différents ou plus grands pour les membres de certains groupes en quête d’équité, notamment les enfants et les adolescents, les personnes atteintes d’une déficience, les Autochtones et les personnes qui apprennent l’anglais » (renvois omis, non souligné dans l’original) : rapport de la professeure Koshan, au para 23. Cette preuve démontre donc que les personnes faisant partie du groupe demandeur ne ressentent pas toutes ces effets ou ne sont pas toutes désavantagées de la même manière.

[191] Les demandeurs s’appuient également sur la preuve anecdotique de M. No et de Mme Lamba pour établir [traduction] « l’effet réel » des plafonds en matière de dommages-intérêts : mémoire des demandeurs, au para 107. Cependant, comme je l’indique plus haut, cette preuve est générale; les affidavits indiquent simplement que les plaignants ont exprimé [traduction] « de la frustration et de l’incompréhension » à l’égard des plafonds en matière de dommages-intérêts : mémoire des demandeurs, au para 108. M. No affirme sans ambages que cela [traduction] « ajoute aux difficultés émotionnelles et financières qu’ils ont vécues en raison de la violation des droits de la personne à l’origine de leur plainte » : affidavit de M. No, au para 31(b). Cette preuve est toutefois insuffisante pour permettre aux demandeurs de satisfaire au deuxième volet du critère.

[192] Dans l’arrêt Sharma, les juges minoritaires ont jugé que, pour conclure à l’existence de discrimination à la deuxième étape, les tribunaux doivent procéder à « une analyse rigoureuse » : Sharma, au para 198. En l’espèce, les demandeurs manquent de rigueur dans leur analyse puisqu’ils ne situent pas le désavantage allégué dans son contexte historique et social.

(b) Défaut de tenir compte du contexte législatif plus large

[193] La Cour suprême a conclu que le contexte législatif plus large est important pour déterminer si une distinction est discriminatoire à la deuxième étape : Sharma, aux para 56, 57. Dans l’arrêt CP, le juge en chef Wagner a souligné l’importance d’examiner une disposition à la lumière de tout son contexte et a mis « en garde contre le fait de sélectionner artificiellement certains éléments particuliers d’un régime législatif à multiples facettes afin de révéler des iniquités entre des régimes fondamentalement distincts » : CP, au para 144.

[194] Les demandeurs soutiennent que les plafonds prévus par la LCDP privent le groupe demandeur de la même protection et du même bénéfice de la loi que ceux dont jouissent les personnes qui obtiennent des dommages-intérêts en common law ou en vertu des régimes des droits de la personne de l’Ontario et de la Colombie-Britannique. La réparation « intégrale » est au cœur de ces comparaisons, et, selon les demandeurs, une telle réparation est impossible compte tenu des plafonds prévus par la LCDP. Comme je le mentionne plus haut, en adoptant une telle approche, les demandeurs font abstraction de l’éventail des réparations offertes aux plaignants ayant obtenu gain de cause sous le régime de la LCDP.

[195] Les dispositions réparatrices prévues à l’article 53 de la LCDP « visent à accorder une réparation intégrale à la victime de la discrimination et à la replacer dans la position où elle se trouverait s’il n’y avait pas eu discrimination » : Christoforou c John Grant Haulage Ltd, 2021 TCDP 15 au para 37, renvoyant à Société canadienne des postes c Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CAF 56 au para 299, conf par 2011 CSC 57. Outre les dommages-intérêts pour préjudice moral prévus à l’alinéa 53(2)e) et l’indemnité spéciale prévue au paragraphe 53(3), l’article 53 de la LCDP prévoit également les réparations suivantes : prendre des mesures de redressement ou des mesures destinées à prévenir des actes discriminatoires : art 53(2)a); accorder à la victime les droits, chances ou avantages dont l’acte l’a privée : art 53(2)b); indemniser la victime des pertes de salaire et des dépenses : art 53(2)c); et indemniser la victime des frais supplémentaires occasionnés par le recours à d’autres biens, services, installations ou moyens d’hébergement, et des dépenses : art 53(2)d).

[196] Par conséquent, le fait pour les demandeurs de se concentrer uniquement sur les plafonds ne cadre pas avec une approche contextuelle. En comparant simplement les dommages-intérêts accordés en vertu de l’alinéa 53(2)e) et du paragraphe 53(3) de la LCDP avec les dommages-intérêts analogues accordés en vertu d’autres régimes, les demandeurs ne disent pas comment ces dommages-intérêts s’inscrivent dans l’ensemble plus large de réparations prévu par chaque régime. Il importe de souligner que, contrairement à ce que prévoit le paragraphe 53(3) de la LCDP, sous le régime des lois sur les droits de la personne de l’Ontario et de la Colombie-Britannique, aucuns dommages-intérêts ne peuvent être accordés pour un acte discriminatoire délibéré et inconsidéré commis par le défendeur.

V. Conclusion

[197] Je reconnais que les plafonds prévus par la LCDP en matière de dommages-intérêts stagnent depuis plus de 25 ans et qu’à plusieurs reprises, leur augmentation, voire carrément leur élimination a été demandée. Cependant, compte tenu de la façon dont ils ont présenté leur cause, les demandeurs n’ont pas établi que les plafonds violent le paragraphe 15(1) de la Charte. Par conséquent, il s’agit en l’espèce d’une question de politique et non d’une question constitutionnelle, de sorte qu’il ne serait pas approprié que la Cour commente cette stagnation.

[198] Je rejetterai la requête en jugement sommaire des demandeurs et j’accueillerai la requête incidente en jugement sommaire du défendeur. Les actions des demandeurs seront donc rejetées.

[199] Après l’audience, les parties ont informé la Cour qu’elles s’étaient entendues sur la question des dépens. Elles ont convenu qu’il n’y aurait pas d’adjudication de dépens entre PCLS et le défendeur. Pour ce qui est de l’AFPC et du défendeur, ils ont convenu que la partie obtenant gain de cause recevrait des dépens de 15 000 $, honoraires, débours et taxes compris. Je juge qu’il s’agit d’un montant raisonnable. J’ordonne ainsi à l’AFPC de verser au défendeur des dépens de 15 000 $, tout compris.

[200] En terminant, je note que la Cour suprême a considéré le paragraphe 15(1) comme étant « la disposition de la Charte la plus difficile à comprendre au niveau conceptuel » : Law c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 RCS 497 au para 2. Je félicite les avocats pour les excellentes observations écrites et orales qu’ils ont présentées dans le présent dossier, par ailleurs intéressant et complexe.


JUGEMENT dans le dossier T-2016-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La requête en jugement sommaire des demandeurs est rejetée.

  2. La requête incidente en jugement sommaire du défendeur est accueillie, et les actions des demandeurs sont rejetées.

  3. L’Alliance de la Fonction publique du Canada doit verser au défendeur des dépens de 15 000 $, tout compris.

« Anne M. Turley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sophie Reid-Triantafyllos, jurilinguiste principale

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2016-22

 

INTITULÉ :

PARKDALE COMMUNITY LEGAL SERVICES, ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA c SA MAJESTÉ LE ROI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 25, 26 ET 27 juin 2024

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE TURLEY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 mai 2025

 

COMPARUTIONS :

Andrew Montague-Reinholdt

Malini Vijaykumar

Claire Kane Boychuk

 

POUR LE DEMANDEUR

PARKDALE COMMUNITY LEGAL SERVICES

 

Andrew Astritis

Amanda Montague-Reinholdt

Zachary Rodgers

Adam Gregory

 

POUR LA DEMANDERESSE

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

Sean Stynes

Adrian Johnston

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nelligan O'Brien Payne LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

PARKDALE COMMUNITY LEGAL SERVICES

 

RavenLaw LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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