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Date : 20060815

Dossier : T-401-05

Référence : 2006 CF 981

ENTRE :

 

BRIAN C. BRADLEY

 

demandeur

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

 

défendeur

 

 

TAXATION DES DÉPENS - MOTIFS

Charles E. Stinson

Officier taxateur

[1]               Le demandeur, qui agit sans avocat, a demandé le contrôle judiciaire d’une décision de la ministre des Anciens Combattants (la ministre) dans laquelle la ministre avait conclu qu’elle n’avait pas le pouvoir d’examiner la demande de pension du demandeur. La Cour a renvoyé l’affaire devant la ministre pour qu’elle examine la demande de pension, a refusé de rendre une ordonnance de mandamus et a accordé les dépens du contrôle judiciaire au demandeur. Le demandeur a présenté le mémoire de frais suivant (qui comprend des frais de service de 3 % par jour composés quotidiennement si les dépens ne sont pas payés immédiatement) :


 



ARTICLE

MONTANT

Perte de la résidence principale

185 000 $

Perte de l’Impala 2002 de Chevrolet

18 500 $

Perte des biens personnels

8 500 $

Remplacement de la résidence

1 685 000 $

Remplacement du véhicule

38 000 $

Remplacement des biens

28 000 $

Soutien financier pour les fils du demandeur

58 000 $

Visite de soutien de la fille aînée du demandeur (Mexique/Alberta)

18 000 $

Visite de soutien de la deuxième fille du demandeur (Australie/Alberta)

78 000 $

Soutien financier particulier pour le fils asthmatique du demandeur

286 000 $

Demande T-401-05, y compris les frais de greffe, de photocopie, de correspondance et de télécopie

893 $

TOTAL

3 388 000 $

 

Le défendeur a noté que le total réel de ces montants est 2 403 893 $

 

[2]               Le 30  novembre 2005, j’ai établi un calendrier pour la taxation sur dossier du mémoire des frais du demandeur et je lui ai rappelé que :

[traduction]

[…] les dépens accordés relativement à un litige sont censés servir d’indemnité plutôt que de dommages-intérêts. De plus, ces dépens devraient être présentés dans un document officiel intitulé « mémoire de frais du demandeur » qui doit comprendre une liste descriptive de chaque article des frais ainsi que le montant demandé pour chaque article, par exemple : frais de greffe : 5 $; photocopies : 7 $, télécopies : 6 $, etc. Un affidavit devrait étayer et résumer l’objet, la nécessité et la base d’établissement du prix de chaque article, et toutes les factures ou les relevés de compte disponibles devraient être attachés en annexe à l’affidavit. Des observations écrites, présentées sous forme de paragraphes numérotés dans une lettre ou un document officiel distinct, doivent résumer les arguments du plaideur […]

 

Le demandeur a répondu à ce rappel en posant de nombreuses questions et en demandant des précisions sur la différence entre des dommages-intérêts et une indemnité. Le 16 décembre 2005, j’ai donné les directives suivantes :

[traduction]

L’officier taxateur a pris connaissance de la lettre du 2 décembre 2005 de M. Bradley et a demandé que M. Bradley soit informé que le greffe ne peut pas lui donner de conseils ou d’avis quant à savoir si les documents qu’il souhaite présenter sont suffisants. Cependant, l’officier taxateur attire l’attention de M. Bradley sur les points suivants, qui pourront l’aider à comprendre le processus de taxation des dépens :

 

(i) L’adjudication des dépens sert à indemniser le plaideur pour les dépenses qui étaient raisonnablement nécessaires à la conduite du litige. Les dépens ne devraient pas rapporter de profits au plaideur. Si le plaideur a décidé  de dépenser 100 $ pour obtenir la transcription de l’audience, il peut demander lesdits 100 $ dans son mémoire de frais. Ensuite, s’il peut démontrer à l’officier taxateur que cette dépense, soit les 100 $, était raisonnablement nécessaire à la conduite du litige, lesdits 100 $ seront approuvés comme frais de litige qui « indemniseront » le plaideur pour les 100 $ qu’il a dû payer à la société de sténographes judiciaires afin d’obtenir la transcription.

 

(ii) Pour convaincre l’officier taxateur que les dépenses devraient être accordées, le plaideur doit présenter un affidavit à l’appui et des observations écrites. L’affidavit doit décrire chaque réclamation et le montant demandé, et le plaideur doit inclure comme preuve en annexe des copies de factures ou relevés de compte de fournisseurs. Par exemple, il peut affirmer dans son affidavit qu’il a dû payer 30 $ + TPS à la compagnie Smith Courier pour qu’elle livre un dossier de demande au défendeur et qu’une copie de la facture est annexée à l’affidavit comme pièce jointe A. Si le plaideur a perdu des factures ou qu’il est incapable de se les procurer, il doit expliquer dans son affidavit comment cela s’est produit et si le montant de 30 $ est une estimation du prix ou s’il s’agit du montant exact dont il se souvient. Les observations écrites doivent ensuite exposer pourquoi le plaideur juge que ce montant de 30 $ était raisonnablement nécessaire à la conduite du litige. Ce processus doit être répété pour chaque article du mémoire de frais, par exemple les frais de greffe, de photocopies, d’affranchissement, de télécopies, etc.

 

(iii) Dans sa lettre du 4 novembre 2005, M. Bradley prétend avoir droit, comme dépens, à des articles comme la perte de sa résidence principale (185 000 $) et de son automobile (18 500 $). Pour qu’il puisse se voir accorder de tels montants, M. Bradley doit suivre le modèle susmentionné et démontrer que le paiement de ces montants était raisonnablement nécessaire à la conduite du litige. Le calendrier permet au défendeur de faire valoir, dans les documents qu’il dépose en réponse, des raisons pour contester les demandes du plaideur. Par le passé, la demande de remboursement sous forme de dépens pour la perte de biens a été contestée au motif que cela relève des dommages-intérêts plutôt que des frais nécessaires pour la conduite du litige. La totalité des photocopies, ou une partie d’entre elles, a été contestée parce qu’elles ne répondaient pas au critère de la nécessité raisonnable. Le but des documents présentés en réplique (par M. Bradley en l’espèce) est de répondre à des parties précises des arguments de réponse du défendeur. La réplique du plaideur ne peut pas comprendre de nouveaux arguments ou de nouvelles preuves, qui auraient dû être présentés en premier lieu.

 

Afin de permettre à M. Bradley d’examiner ces nouveaux renseignements, l’officier taxateur a modifié le calendrier précédent comme suit […]

 

 

Cette prorogation de délai a été renouvelée plus d’une fois par la suite pour répondre aux besoins du demandeur.

 

[3]               Le demandeur a demandé de l’aide au sujet d’une évaluation de biens immobiliers en Nouvelle‑Écosse. J’ai refusé et je lui ai fait remarquer que la constitution de son dossier, y compris la collecte de preuves, était sa responsabilité et non celle de l’officier taxateur. Je ne crois pas que le paragraphe 408(1) des Règles, qui me donne le pouvoir d’ordonner la production de documents, me permette de contraindre des tiers à produire des documents. J’ai reçu par la suite de nombreuses lettres du demandeur qui m’expliquaient les efforts qu’il déployait pour obtenir des preuves de transactions comparables pour un immeuble résidentiel en Nouvelle‑Écosse, probablement pour étayer la partie de son mémoire de frais au sujet de la perte et du remplacement de sa résidence principale. Il a ajouté une demande pour des frais qui découlaient d’un voyage en Nouvelle‑Écosse en vue d’obtenir ces preuves. De plus, il a présenté des preuves de la détérioration de son état de santé, réclamant 280 000 $ par visite (de 12 à 14 visites avaient été nécessaires) pour des « interventions médicales » (lettre datée du 31 mai 2006) effectuées par un département de neurochirurgie en Suède, sans compter les frais liés à l’ajustement de son mode de vie rendu nécessaire en raison de la détérioration de son état de santé. Dans sa lettre du 15 juin 2006, il a présenté une demande révisée de dépens au montant de 9 204 460,91 $ (comprenant le taux d’inflation estimé, jusqu’au 30 septembre 2006) [traduction] « en conséquence directe du traitement négligent et irresponsable que le défendeur a fait » de sa demande, écartait toute notion que sa demande relevait des dommages-intérêts et non des dépens, parce qu’à son avis, cette notion n’était pas pertinente. Sa demande révisée se chiffrait à 5 200 000 $ (comprenant les frais d’entretien de sa résidence pour les quarante prochaines années) pour le remplacement de sa résidence principale et de son contenu, à 1 430 $ pour son voyage en Nouvelle-Écosse visant à obtenir des preuves de transactions comparables, à 3 920 000 $ pour interventions médicales et à 893 $ (à l’exception des « directives professionnelles ») pour les frais de greffe, les photocopies, la correspondance et les télécopies.

 

[4]               Le défendeur soutient que le demandeur n’a présenté aucune preuve à l’appui des dépens qu’il demande. De plus, le défendeur n’est pas tenu de dédommager le demandeur pour ses dépenses liées à l’établissement du bien-fondé de sa réclamation. Le défendeur a reconnu que le demandeur a droit à ses débours raisonnables et nécessaires liés au contrôle judiciaire, soit 50 $ de droit de dépôt pour chacune des pièces introductives d’instance et pour la demande d’audience. Cependant, le total de 893 $ devrait être rejeté parce qu’il est excessif et déraisonnable. Les autres montants demandés relèvent des dommages-intérêts et non des dépens; ils ne sont donc pas recouvrables en l’espèce.

 

Taxation

[5]               Il n’est pas clair si l’indemnisation du temps du demandeur est une question en litige, mais pour plus de clarté, je note que les dépens pour un plaideur qui agit sans avocat sont limités aux débours raisonnables et nécessaires : voir Turner c. Canada, [2001] A.C.F. no 250 (O.T.), confirmé par [2001] A.C.F. no 1506 (C.F.1re inst.) et [2003] A.C.F. no 548 (C.A.F.). Je n’ai pas décrit en détail l’opposition du défendeur à la dernière modification faite par le demandeur de son mémoire des frais, parce que je conclus que cette opposition est théorique compte tenu de la méprise du demandeur en ce qui a trait à la nature et à l’objet de l’adjudication des dépens ou de son indifférence délibérée envers les mises en garde qu’il a reçues selon lesquelles ses demandes dépassaient les paramètres des dépens. Le demandeur, peut-être parce qu’il prévoyait que je délivrerait un certificat de taxation pour un montant important, comprenant ses dépens et ses traitements prévus en neurochirurgie, a établi une procuration perpétuelle pour que ses affaires soient administrées. Je considère que cette procuration n’est pas pertinente quant à mon évaluation du dossier.

 

[6]               À mon avis, le régime applicable aux dépens est énoncé dans Bill of Costs and Assessment, Federal Court[s] Practice, 2003 Update : Materials Prepared for the Continuing Legal Education Seminar, (19 septembre 2003). En général, les articles énumérés dans le mémoire de frais du demandeur relèvent des dommages-intérêts parce que, cela dit en termes les plus simples, le demandeur n’a pas dépensé ces montants pour la conduite de chaque étape du contrôle judiciaire. Si, comme le demandeur l’a allégué, ces montants ont été déboursés seulement en raison de la conduite délictuelle du défendeur, ce ne sont pas des dépens qui relèvent des paramètres du jugement dans le contrôle judiciaire et tout recouvrement de ces montants relève plutôt alors d’une action distincte en dommages-intérêts. Notamment, le jugement qui a été rendu en matière de dépens dans le contrôle judiciaire ne peut pas être étendu pour comprendre les réclamations du demandeur en l’espèce, sauf pour certains articles bien précis.

 

[7]               Mon point de vue, que j'ai souvent exprimé depuis l'approche que j'ai suivie dans l'affaire Carlile c. Sa Majesté la Reine, (1997) 97 D.T.C. 5284 (O.T.), à la page 5284, et à la suite des commentaires que le juge Russell a formulés dans l'arrêt Re Eastwood (deceased) (1974), 3 All E.R. 603, à la page 608, selon lesquels la taxation des dépens est [traduction] « une justice sommaire, en ce sens qu’elle n’est pas exempte d’une approximation assez marquée », et que, pour en arriver à un résultat raisonnable au sujet des dépens qui soit équitable pour les deux parties, l’exercice du pouvoir discrétionnaire est permis. Il me semble que ce point de vue est étayé par les commentaires sur les paragraphes 57 et 58 des règles que proposent l’honorable James J. Carthy, W.A. Derry Millar et Jeffrey G. Gowan dans Ontario Annual Practice 2005-2006, Aurora (Ontario), Canada Law Book, 2005, selon lesquels la taxation des dépens est plutôt un art que l'application de règles et de principes, en ce qu'elle se fonde sur l'impression générale produite par le dossier et les questions en litige, ainsi que sur le jugement et l'expérience de l'officier taxateur, aux prises avec la tâche difficile d'équilibrer les effets de facteurs qui peuvent être à la fois multiples et aussi bien subjectifs qu'objectifs. Dans l’affaire Almecon Industries Ltd. c. Anchortek Ltd., [2003] A.C.F. no 1649 (O.T.), au paragraphe 31, j’ai conclu que certains des commentaires dans la preuve, bien qu’ils aient été intéressés, étaient tout de même pragmatiques et raisonnables au sujet de la réalité d’une myriade de débours essentiels pour lesquels le coût de la preuve pourrait dépasser ou dépasserait probablement le montant demandé. Cependant, je ne veux en rien donner à entendre que les plaideurs peuvent obtenir leurs dépens sans présenter de preuve, en comptant seulement sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire et sur l’expérience de l’officier taxateur. La preuve en l'occurrence n'a rien d'absolu. En raison de la faiblesse de la preuve des circonstances entourant chaque dépense, le défendeur et l’officier taxateur peuvent difficilement être convaincus que toutes les dépenses étaient raisonnablement nécessaires. Moins l'officier taxateur dispose d'éléments de preuve, plus la partie bénéficiaire des dépens doit compter avec le pouvoir discrétionnaire de ce dernier, pouvoir qu'il lui incombe d'exercer avec prudence, sans perdre de vue l'austérité qui doit présider à la taxation, afin d'éviter de causer un préjudice à la partie condamnée aux dépens. Mais il ne faut pas oublier pour autant que la conduite d'un litige exige de réelles dépenses : il serait absurde que la somme des frais taxés soit nulle. Vu mon appréciation du dossier, je ne crois pas que le demandeur, qui agissait sans

 

 

avocat, ait si bien mené son affaire qu’il faille écarter la possibilité qu’il y ait eu des débours extrinsèques. J’accorde 575 $, taxes incluses.

 

 

« Charles E. Stinson »

Officier taxateur

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-401-05

 

INTITULÉ :                                       BRIAN C. BRADLEY

 

                                                            c.

 

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

TAXATION DES DÉPENS SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

 

 

 

MOTIFS DE LA TAXATION DES DÉPENS :                   CHARLES E. STINSON

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 15 août 2006

 

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Brian C. Bradley

pour son propre compte

 

Stacey Dej

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Ministère de la Justice

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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