Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date : 20060817

Dossier : IMM-4111-05

Référence : 2006 CF 988

Ottawa (Ontario), le 17 août 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

 

 

ENTRE :

SASIKUMAR RATHINASIGNGAM

alias RASALINGAM VELAUTHAM

alias SASIKUMAR RATNASIGAM

alias DEL FUTCH SILVYN

alias VELAUTHAM RASALINGAM

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Sasikumar Rathinasigngam, alias Rasalingam Velautham, Sasikumar Ratnasigam, Del Futch Sil Vyn ou Velautham Rasalignham (le demandeur) est un Tamoul hindou et un citoyen du Sri Lanka. Il est arrivé au Canada le 30 juillet 2003 et a demandé l’asile le jour même en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

[2]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) a déterminé dans sa décision du 16 juin 2005 (la décision de la SPR) que le demandeur était exclu de la définition de réfugié au sens de la Convention et de celle de personne à protéger parce qu’il était visé à la section 1E et aux alinéas 1Fa) et c) de la Convention des Nations Unies relatives au statut des réfugiés (la Convention), ou à l’une de ces dispositions. La SPR a ajouté que, si sa conclusion relative à l’exclusion était erronée, la demande d’asile du demandeur était rejetée pour manque de crédibilité.

 

[3]               Le demandeur sollicite un contrôle judiciaire de la décision de la SPR.

 

II. Le contexte

[4]               Le demandeur a produit une preuve contradictoire au soutien de sa demande d’asile. Il a déposé deux Formulaires de renseignements personnels (FRP), le deuxième tout juste deux jours avant l’audition de sa demande. À première vue, l’exposé circonstancié est le même dans les deux FRP. Le demandeur a écrit que les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET) ont tenu des réunions dans son école en 1993 et en 1994, et que lui et d’autres étudiants ont été encouragés à se joindre à eux. Il soutient que, pendant qu’il était à l’école, on l’a forcé à plusieurs reprises à construire des bunkers pour les TLET. Il a cessé de fréquenter à l’école en décembre 1994 et a commencé à travailler comme fermier. Les TLET lui auraient volé des légumes à plusieurs reprises. En novembre 1999, ils ont demandé au demandeur de travailler lors du Jour des héros. Poussé par la peur, il a accepté de le faire pendant une semaine. Selon les exposés circonstanciés contenus dans les FRP, les TLET lui auraient demandé de se joindre à eux le dernier jour. Comme il a refusé, les TLET l’auraient détenu dans un camp souterrain jusqu’à ce que sa mère obtienne sa libération le lendemain en leur donnant des bijoux.

 

[5]               Le demandeur a mentionné qu’il a déménagé à Vavuniya après l’incident de novembre 1999, mais qu’il a été arrêté par les autorités sri‑lankaises parce qu’il avait quitté une zone contrôlée par les TLET. Il prétend qu’il a été détenu durant presque deux mois, au cours desquels on l’aurait battu, on lui aurait plongé la tête dans l’eau et on lui aurait lié les mains derrière le dos. Il a été libéré seulement après qu’un membre de sa famille possédant une boutique à Vavuniya eut versé un pot‑de‑vin.

 

[6]               En 2000, les TLET se seraient rendus à cette boutique et auraient exigé une somme d’argent. Le propriétaire du magasin était absent à ce moment-là et le demandeur a refusé de leur donner l’argent qu’ils réclamaient. Les TLET ont proféré des menaces et ont pris des articles sans payer.

 

[7]               En juin 2001, deux membres des TLET auraient demandé au demandeur de se joindre à l’organisation. Lorsque le demandeur a refusé, ils auraient exigé qu’une somme de 100 000 roupies sri‑lankaises leur soit versée dans un délai d’une semaine. La semaine suivante, ils sont revenus chercher la somme exigée et auraient menacé le demandeur avec un pistolet. Le demandeur dit que c’est à ce moment‑là qu’il a décidé de quitter le Sri Lanka. Le propriétaire de la boutique l’a aidé à obtenir un passeport en juillet 2001, mais le demandeur a précisé qu’il n’avait pas suffisamment d’argent pour partir à ce moment‑là.

 

[8]               À partir de ce point, les deux exposés circonstanciés du demandeur divergent. Dans le premier, dont la SPR s’est servie pour passer en revue les allégations du demandeur, ce dernier prétend qu’en novembre 2002 les TLET leur ont demandé, à lui et à son ami Theepan, de se joindre à eux, ce qu’ils ont refusé. Les TLET ont insisté sur le fait qu’ils allaient revenir. En janvier 2003, des membres de l’Organisation de libération du peuple de l’Eelam tamoul (PLOTE) auraient accusé le demandeur d’appartenir aux TLET et lui auraient demandé de leur remettre une somme de 10 000 roupies sri‑lankaises, ce que le demandeur aurait fait. Theepan aurait disparu en mai 2003. Le demandeur s’est enfui à Colombo un peu plus tard au cours du même mois. Le demandeur reconnaît avoir donné un faux nom et une fausse date de naissance à son arrivée au Canada, le 30 juillet 2003.

 

[9]               Dans son deuxième FRP, le demandeur affirme qu’il a quitté Vavuniya pour aller à Colombo en octobre 2001 et qu’il est parti pour la Suisse le 26 novembre 2001. Comme il ne pouvait pas demander l’asile en Suisse parce qu’il détenait un visa de touriste, il s’est rendu en Hollande en mars 2002 et a demandé l’asile dans ce pays en utilisant son véritable nom. Il prétend qu’il a indiqué dans sa demande qu’il était un membre des TLET parce que c’était un fait connu de la communauté tamoule que les autorités néerlandaises accordaient l’asile pour cette raison. Le demandeur allègue que sa demande a été rejetée, non pas parce qu’il était un membre des TLET, mais parce qu’il ne pouvait pas le prouver.

 

[10]           Le demandeur aurait quitté la Hollande en décembre 2002 et serait retourné en Suisse, où il aurait demandé l’asile en utilisant un faux nom. Il a déclaré dans son témoignage qu’il avait, à cette occasion également, prétendu être un membre des TLET. Sa demande a été rejetée parce qu’elle n’était pas suffisamment étayée. Le demandeur a quitté la Suisse en juin 2003. Il a dit dans son témoignage qu’il était passé par la France avant de venir au Canada.

 

[11]           Le deuxième FRP du demandeur a été signé le 5 mai 2004, soit tout juste deux jours avant l’audition de sa demande d’asile. Dans ce document, il présente ses excuses au gouvernement du Canada pour sa conduite passée et prétend que l’histoire qu’il a racontée aux autorités néerlandaises et suisses était fausse et qu’il n’est pas et n’a jamais été un membre des TLET.

 

[12]           Comme il sera démontré ci‑dessous, la demande du demandeur présente un autre problème : son conseil a reconnu devant la SPR que le demandeur a dit à un agent d’immigration au point d’entrée qu’il était un membre des TLET. Les notes prises au point d’entrée indiquent que le demandeur était un soldat chargé de surveiller un village : dossier de la SPR, à la page 79.

 

III. Les dispositions pertinentes

[13]           Les dispositions pertinentes de la LIPR sont les suivantes :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

ANNEXE

SCHEDULE

(paragraphe 2(1))

(Subsection 2(1))

SECTIONS E ET F DE L’ARTICLE PREMIER DE LA CONVENTION DES NATIONS UNIES RELATIVE AU STATUT DES RÉFUGIÉS

SECTIONS E AND F OF ARTICLE 1 OF THE UNITED NATIONS CONVENTION RELATING TO THE STATUS OF REFUGEES

E. Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays.

E. This Convention shall not apply to a person who is recognized by the competent authorities of the country in which he has taken residence as having the rights and obligations which are attached to the possession of the nationality of that country.

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

a) Qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

(a) he has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;

b) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

(b) he has committed a serious non-political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;

c) Qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

 

(c) he has been guilty of acts contrary to the purposes and principles of the United Nations.

 

 

IV. La décision visée par la demande de contrôle judiciaire

[14]           La SPR a conclu que le demandeur était exclu de la définition de réfugié au sens de la Convention. Elle a ajouté que, si cette conclusion était erronée, la demande d’asile du demandeur était rejetée parce que celui-ci n’était pas crédible et n’avait donc pas été en mesure d’établir qu’il était un réfugié au sens de la Convention.

 

A. La crédibilité

[15]           La décision de la SPR commence par un examen de la crédibilité du demandeur. La SPR a jugé que le demandeur n’était pas crédible. Elle n’était pas convaincue par les raisons données par le demandeur pour expliquer pourquoi il avait attendu deux jours avant l’audience pour dire la vérité dans un deuxième FRP, et elle a considéré que cela affaiblissait sa crédibilité.

 

[16]           La SPR a relevé plusieurs contradictions dans les prétentions du demandeur. Ce dernier a affirmé dans son témoignage que les TLET l’avaient forcé à travailler pendant deux jours en novembre 1999 et qu’il avait été détenu durant une semaine. Or, les deux FRP indiquaient qu’il avait travaillé pour les TLET durant une semaine, et non qu’il avait travaillé pendant deux jours et avait ensuite été détenu pendant une semaine. La SPR a fait remarquer que le témoignage du demandeur était cohérent, mais qu’elle ne pouvait pas comprendre pourquoi il n’avait pas à tout le moins modifié son deuxième FRP.

 

[17]           Les contradictions entre les FRP et le témoignage du demandeur concernant le moment auquel les TLET lui avaient demandé de se joindre à eux posaient aussi problème pour la SPR. En outre, celle‑ci ne croyait pas son témoignage concernant l’incident de novembre 1999. Le demandeur a admis que les TLET s’en prennent à ceux qui les trahissent en les battant et en tirant sur eux, mais il n’a pas été en mesure d’expliquer pourquoi il avait été traité différemment lorsqu’il avait refusé de se joindre à l’organisation et avait été détenu ensuite.

 

[18]           La SPR a critiqué les contradictions entre les FRP du demandeur et son témoignage concernant l’incident de juin 2001. Le demandeur a déclaré dans son témoignage que les TLET l’avaient poursuivi à trois reprises, alors qu’il a écrit dans ses FRP que les TLET lui avaient rendu visite une seule fois, en juin 2001. Confronté à cette contradiction, il a modifié son témoignage à maintes reprises, ce qui, aux yeux de la SPR, l’a rendu non crédible.

 

[19]           La SPR a aussi déterminé que le demandeur n’était pas crédible à cause des divergences entre son témoignage concernant ses déplacements et son itinéraire de vol, et entre l’allégation dans son FRP et son témoignage qu’il avait peur du PLOTE et le fait qu’il n’a pas mentionné ses démêlés avec cette organisation dans son deuxième FRP.

 

[20]           La SPR a estimé que le fait que le demandeur n’avait pas demandé l’asile en France faisait douter de l’authenticité de sa crainte de persécution. Elle a aussi statué que le fait que le demandeur n’avait pas décidé de quitter le Sri Lanka avant 2001 ou fait des efforts en ce sens n’aidait pas sa cause puisque ses prétendus problèmes avaient commencé en 1993. La SPR a aussi fait remarquer que, comme le demandeur affirmait n’avoir reçu aucune nouvelle à son sujet depuis son départ, elle ne croyait pas que les TLET étaient à sa recherche. Par conséquent, elle jugeait difficile de croire que le demandeur serait appréhendé s’il retournait au Sri Lanka, comme il l’avait prétendu précédemment.

 

B. L’exclusion

[21]           Le demandeur a dit dans son témoignage qu’il avait demandé l’asile aux Pays‑Bas et en Suisse et que ses demandes avaient été rejetées. Dans les deux cas, il avait prétendu être membre des TLET. Son conseil a reconnu qu’à son arrivée au Canada le demandeur a dit à un agent d’immigration à l’aéroport qu’il était un membre des TLET. S’appuyant sur Jumriany c. Canada (M.C.I.), [1997] A.C.F. no 683 (QL), Mongu c. Canada (Solliciteur général), [1994] A.C.F. no 1526 (QL), et Lee c. Canada (M.E.I.), (V87‑6196X), la SPR a rappelé que, selon la jurisprudence, le premier récit fait par une personne est habituellement le plus authentique et donc le seul digne de foi. En l’espèce, le premier récit du demandeur indique qu’il est un membre des TLET. Compte tenu du témoignage fait par le demandeur relativement à ses demandes d’asile antérieures, de sa déclaration à l’agent d’immigration et de la jurisprudence mentionnée ci‑dessus, la SPR a conclu qu’il était un membre des TLET. Il faut souligner cependant que la SPR estimait que le demandeur « n’[avait] pas joué de rôle important au sein de cette organisation » : décision de la SPR, à la page 8.

 

[22]           La SPR a tenté de déterminer si le demandeur satisfaisait au critère de la complicité. Elle s’est reportée à la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Ramirez c. M.E.I., [1992] A.C.F. no 109 (QL) (Ramirez), qui définit ce critère, et a évalué la question de la complicité de la façon suivante  :

  1. Méthodes de recrutement : adhésion volontaire du demandeur d’asile à l’organisation (le demandeur d’asile a déclaré à l’agent d’immigration qu’il était membre des Tigres, ce qui suppose que sa participation était délibérée et réfléchie)
  2. Durée de l’association entre le demandeur d’asile et l’organisation (au moins depuis août 1998)
  3. Nature de l’organisation : ses objectifs et les méthodes qu’elle emploie pour parvenir à ses fins (terroristes aux méthodes brutales)
  4. Rôle du demandeur d’asile au sein de l’organisation (mineur – il a travaillé à l’organisation des célébrations du Jour des héros, il a creusé des bunkers et a travaillé comme soldat pour les Tigres d’août 1998 à décembre 1999 – voir la pièce M-2 – il n’est pas clair s’il était membre dans ce dernier cas)
  5. Connaissance des atrocités ou des actes commis par l’organisation et ses membres (le demandeur d’asile connaissait l’organisation et était au courant de ses agissements)
  6. Occasions de quitter l’organisation; tentatives de fuite (aucune mention à ce sujet)
  7. Actes posés pour obéir à des ordres donnés par des supérieurs – cet argument peut être invoqué à titre d’excuse ou de légitime défense seulement si les torts auxquels s’expose la personne qui refuse d’obéir aux ordres sont équivalents ou supérieurs aux torts causés à la victime (cette question n’a pas été soulevée; le fardeau de la preuve incombe au demandeur d’asile).

 

[Décision de la SPR, à la page 11; note de bas de page omise.]

 

 

[23]           La SPR a ensuite fait référence à Ramirez, précité, pour démontrer que la simple appartenance à une organisation visant des fins limitées et brutales peut être suffisante pour exclure une personne du statut de réfugié. Elle n’a pas conclu que les TLET étaient une telle organisation, mais elle a déterminé que le demandeur était exclu par les alinéas 1Fa) et c) de la Convention.

 

V. Les prétentions du demandeur

[24]           Le demandeur prétend que la SPR a commis une erreur de droit en ne motivant pas sa conclusion selon laquelle il était exclu par l’alinéa 1Fc) pour s’être livré à des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. Selon lui, il faut, pour pouvoir exclure une personne en vertu de l’alinéa 1Fc), conclure expressément que des actes ont été commis et qu’il y a consensus en droit international que ces actes constituent des violations graves et soutenues des droits fondamentaux de la personne ou sont explicitement reconnus comme contraires aux buts et aux principes des Nations Unies : Pushpanathan c. M.C.I., [1998] 1 R.C.S. 982 (Pushpanathan).

 

[25]           Le demandeur prétend également que la SPR a commis une erreur en concluant qu’il était exclu par l’alinéa 1Fa) parce qu’il était un membre des TLET. Il soutient que la SPR a commis une erreur en concluant qu’il était un membre des TLET parce qu’elle a accordé trop d’importance aux déclarations qu’il a faites au point d’entrée.

 

[26]           Le demandeur prétend que, même si l’on tenait pour acquis qu’il était un membre des TLET, on n’aurait pas pu conclure à sa complicité à cause de ce seul facteur. Dans Ramirez, précité, la Cour d’appel fédérale a statué que l’appartenance à une organisation n’est pas habituellement une raison suffisante en soi pour exclure un demandeur, sauf si cette organisation poursuit des fins limitées et brutales. Or, le demandeur fait remarquer que la SPR n’a pas conclu que les TLET étaient une organisation ayant des fins limitées et brutales, de sorte qu’il ne pouvait pas être exclu du seul fait de son appartenance.

 

[27]           Le demandeur prétend que les facteurs qui doivent être pris en compte relativement à la complicité n’étayent pas la conclusion de la SPR. Il soutient qu’il n’a pas été démontré qu’il avait une connaissance suffisante des activités des TLET ou qu’il souscrivait aux fins poursuivies par l’organisation en commettant des atrocités. Il rappelle que la SPR a dit qu’il jouait un rôle « mineur »  au sein de l’organisation. La preuve n’indiquait pas qu’il avait personnellement participé à des actes de violence. On prétend qu’il a fait un peu plus que creuser des bunkers, planter des poteaux et décorer des routes. Après avoir déclaré au point d’entrée qu’il avait été un soldat, le demandeur a dit dans son témoignage que cela était faux, et aucune preuve ne donnait à croire qu’il était un combattant.

 

[28]           Le demandeur soutient également qu’aucune preuve n’indiquait non plus qu’il avait eu connaissance d’atrocités particulières. On prétend qu’il n’a pas, dans son témoignage, donné des détails qui ne sont pas connus de la population sri‑lankaise en général. Selon le demandeur, la preuve ne peut tout simplement pas étayer la conclusion selon laquelle il a participé activement et sciemment à des crimes contre l’humanité particuliers.

 

[29]           En outre, le demandeur prétend que la SPR a commis une erreur en omettant d’établir un lien entre la conclusion de complicité et un crime précis alors que, selon Baqri c. Canada (M.C.I.), [2002] 2 CF 85, un tel lien doit être établi pour que l’on puisse conclure à la complicité. Il prétend également que la SPR a commis une erreur en ne concluant pas qu’il avait l’intention coupable requise, laquelle, selon la jurisprudence, est un élément essentiel de la culpabilité pour crimes contre l’humanité : Ramirez, précité; Sivakumar c. Canada (M.C.I.), [1994] 1 CF 433 (Sivakumar). En l’espèce, on fait valoir que la SPR n’a même pas reconnu que le demandeur devait avoir une intention coupable.

 

[30]           Le demandeur prétend que les conclusions de la SPR concernant la crédibilité sont erronées. Comme il a été mentionné précédemment, il soutient que la SPR a commis une erreur en concluant qu’il était un membre des TLET. Selon lui, la seule preuve de son appartenance aux TLET est la déclaration qu’il a faite à l’agent d’immigration au point d’entrée et les déclarations qu’il a faites au soutien de ses deux autres demandes d’asile. Le demandeur a toutefois expliqué qu’il se sentait  intimidé au point d’entrée et qu’il a encore répété qu’il était un membre des TLET. Il souligne qu’il n’a pas écrit dans son premier FRP qu’il était un membre de l’organisation. Son témoignage permettait de conclure qu’il n’était pas un membre des TLET. Le demandeur fait valoir que la SPR a agi de manière manifestement déraisonnable en accordant une trop grande importance à la déclaration qu’il a faite au point d’entrée alors que celle‑ci n’était pas corroborée.

 

[31]           On prétend également que la SPR a choisi les déclarations du demandeur sur lesquelles elle voulait s’appuyer après avoir conclu qu’il n’était pas crédible. La SPR a indiqué qu’elle « n’ajoute pas foi à la preuve présentée, exception faite des aveux non intéressés ». On prétend qu’il s’agit d’une méthode sélective et punitive. Se fondant sur Hilo c. Canada (M.E.I.), [1991] A.C.F. no 228 (C.A.) (QL) (Hilo), le demandeur soutient que la SPR ne pouvait, après avoir conclu qu’il n’était pas crédible, se fonder sur certaines de ses déclarations qu’elle estimait véridiques pour l’exclure.

 

[32]           Le demandeur prétend aussi que la SPR a commis une erreur de droit en examinant la preuve à la loupe pour conclure qu’il n’était pas crédible. Il fait valoir que la SPR n’aurait pas dû manifester autant de zèle : Attakora c. Canada (M.E.I.) (1989), 99 N.R. 168; Owusu‑Ansah c. Canada (M.E.I.) (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 106. Selon lui, la SPR a mis l’accent sur des divergences mineures concernant l’incident de 1999 et a accordé une importance beaucoup trop grande au nombre de fois où les TLET sont allés chez lui en 2001pour exiger une somme d’argent ou lui demander de se joindre à eux.

 

[33]           Le demandeur prétend que le fait que la SPR avait de la difficulté à le croire lorsqu’il disait qu’il était recherché par les TLET et les officiers de l’armée avait trait aux conditions existant dans le pays et n’aurait pas dû être utilisé pour mettre en doute sa crédibilité. Il prétend également qu’il n’aurait pas dû être obligé d’expliquer pourquoi les personnes qui l’avaient persécuté ne l’avaient pas torturé.

 

[34]           De plus, le demandeur prétend que la SPR a commis une erreur en n’évaluant pas le risque qu’il courait en tant que jeune Tamoul du nord du Sri Lanka. Selon lui, la SPR disposait d’une preuve documentaire décrivant les risques auxquels sont exposées les personnes comme lui et elle avait l’obligation, après avoir accepté son identité, d’évaluer le risque qu’il courait selon l’article 97 de la LIPR, même si elle estimait que sa demande n’était pas crédible : Balasubramaniam c. Canada (M.C.I.), [2003] A.C.F. no 1438.

 

VI. Les prétentions du défendeur

[35]           Le défendeur prétend que la SPR pouvait raisonnablement conclure que le demandeur était un membre des TLET. Le conseil du demandeur a reconnu que celui‑ci avait dit à l’agent d’immigration qu’il appartenait à cette organisation. À l’audience, le demandeur a déclaré qu’il n’avait pas dit à l’agent d’immigration qu’il était un membre des TLET, mais il a admis le contraire lorsqu’on lui a rappelé ce que son conseil avait dit. La SPR s’est référée à des décisions judiciaires selon lesquelles le premier récit d’un demandeur est habituellement le plus authentique, et le défendeur fait valoir qu’il était raisonnable pour la SPR de conclure que le demandeur était un membre des TLET.

 

[36]           Le défendeur soutient qu’il était raisonnable également pour la SPR de conclure que le demandeur avait été complice d’atrocités commises par les TLET. Il fait valoir que la SPR a correctement appliqué le critère servant à établir la complicité lorsqu’elle a conclu que le demandeur avait été complice de crimes contre l’humanité commis par les TLET en raison de son association volontaire avec eux, de sa connaissance de leurs activités, de son rôle au sein de l’organisation et du fait qu’il ne l’avait pas quittée.

 

[37]           Le défendeur soutient que la SPR n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que le demandeur était exclu par l’alinéa 1Fc) de la Convention. Il fait valoir que la preuve documentaire et le fait que le demandeur a reconnu que les TLET constituaient une organisation terroriste étaient amplement suffisants pour que la SPR conclue que les TLET étaient une organisation terroriste. Il soutient que la Cour suprême du Canada a affirmé, au paragraphe 66 de Pushpanathan, précité, que des actes de terrorisme peuvent être contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. La SPR a donc agi de manière raisonnable en concluant que le demandeur était exclu par l’alinéa 1Fc) de la Convention.

 

[38]           Le défendeur soutient que la SPR a estimé à juste titre que le demandeur n’était pas crédible en raison de contradictions, d’omissions et d’invraisemblances importantes. Il soutient également que la SPR a conclu de façon raisonnable que le demandeur n’était pas crédible lorsqu’elle a examiné la question de l’exclusion et le témoignage du demandeur concernant son appartenance aux TLET. Selon lui, les conclusions de la SPR concernant la crédibilité résistent à un examen minutieux étant donné que le demandeur n’a pas démontré que la SPR avait tiré des conclusions manifestement déraisonnables.

 

[39]           En l’espèce, la SPR ne croyait pas que le demandeur avait été persécuté, mais elle croyait qu’il était un membre d’une organisation terroriste. Le défendeur affirme qu’il était raisonnable pour la SPR de conclure que le demandeur n’était pas crédible tout en s’appuyant sur certaines de ses déclarations qu’elle jugeait véridiques, et que ce raisonnement ne va pas à l’encontre des principes établis dans Hilo, précité.

 

[40]           Le défendeur soutient que la SPR pouvait raisonnablement considérer que le demandeur n’avait pas produit une preuve crédible démontrant l’existence d’un risque raisonnable de persécution s’il retournait au Sri Lanka. Il fait valoir que la SPR a reconnu que le demandeur était un Tamoul, mais non qu’il venait du nord du Sri Lanka. Il rappelle que le demandeur prétend avoir résidé à Vavuniya et à Colombo avant son départ, deux villes contrôlées par le gouvernement sri‑lankais.

 

VII. Analyse

A. La norme de contrôle

[41]           C’est la norme de la décision manifestement déraisonnable qui s’applique aux conclusions de la SPR concernant la crédibilité et celle de la décision raisonnable simpliciter qui s’applique à ses conclusions relatives à la question de l’exclusion, une question mixte de fait et de droit : Chowdhury c. Canada (M.C.I.), [2006] A.C.F. no 187 (QL), 2006 CF 139, aux paragraphes 12 et 13.

 

B. L’exclusion

[42]           La Cour a reconnu qu’une conclusion d’exclusion est très importante pour un demandeur et qu’« [i]l faut faire preuve de circonspection afin d’être tout à fait certain que ces conclusions sont tirées comme il se doit » : Alemu c. Canada (M.C.I.), [2004] A.C.F. no 1210 (QL), 2004 CF 997, au paragraphe 41. Il est bien établi en droit qu’une conclusion de complicité exige l’existence d’une intention commune et la connaissance de cette intention par toutes les parties en cause, et qu’il s’agit d’une conclusion de fait : Ramirez, précité; Moreno et Sanchez c. Canada (M.E.I.) (1993), 159 N.R. 210, Sivakumar, précité; Penate c. Canada (M.E.I.), [1994] 2 C.F. 79 (1re inst.); Musansi c. Canada (M.C.I.), [2001] A.C.F. no 65 (QL); Valère c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 524 (Valère). Il incombe au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile d’établir que le demandeur a été complice de crimes contre l’humanité : Valère, précitée, au paragraphe 16; Ramirez, précité, au paragraphe 10. Les tribunaux ont donné des précisions quant au degré de participation exigé pour qu’il y ait complicité. L’appartenance à une organisation qui n’est pas réputée avoir des fins limitées et brutales n’est généralement pas suffisante en soi pour conclure à la complicité : Ramirez, précité.

 

[43]           À mon avis, la SPR ne s’y est pas bien prise pour exclure le demandeur en l’espèce. Elle n’a pas conclu que les TLET visaient des fins limitées et brutales. Si elle l’avait fait, elle aurait pu exclure le demandeur au motif qu’il appartenait à une organisation visant des fins limitées et brutales. Or, les motifs de la SPR n’étayent pas suffisamment sa décision d’exclure le demandeur parce qu’il a été complice de crimes contre l’humanité.

 

[44]           Comme il sera démontré ci‑dessous, la SPR pouvait très bien déterminer que le demandeur était un membre des TLET. À mon avis cependant, elle a mal interprété les autres faits pour exclure le demandeur au motif qu’il avait été complice de crimes contre l’humanité. Même si la Cour acceptait les conclusions de la SPR selon lesquelles le demandeur avait travaillé lors du Jour des héros, avait creusé des bunkers pour les TLET et avait été un soldat au service de l’organisation d’août 1998 à décembre 1999, ces rôles relativement mineurs ne constituent pas en soi une preuve suffisante du fait que le demandeur partageait la même intention que les TLET et avait connaissance de cette intention, de sorte que la SPR ne pouvait pas conclure à la complicité. La SPR a constaté que le demandeur avait été un soldat des TLET, sans toutefois examiner ce rôle plus attentivement, et il n’y a rien dans la preuve qui donne à croire que le demandeur a participé à des combats ou à des actes de violence ou de persécution commis par les TLET. La SPR a affirmé que le demandeur était « membre à part entière des Tigres dans son pays et qu’il n’a pas joué de rôle important au sein de cette organisation » : décision de la SPR, à la page 8 (non souligné dans l’original). Elle a qualifié de « mineur » le rôle du demandeur au sein des TLET : décision de la SPR, à la page 9. Même si le demandeur était un membre des TLET, la conclusion de la SPR concernant son rôle dans l’organisation ne permet pas d’affirmer qu’il a été complice de crimes contre l’humanité. N’ayant pas considéré que les TLET étaient une organisation visant des fins limitées et brutales, la SPR ne pouvait pas conclure que le demandeur avait été complice de crimes contre l’humanité simplement parce qu’il appartenait à cette organisation.

 

[45]           Je suis d’accord avec le demandeur lorsqu’il dit que la SPR a suivi un raisonnement mécanique pour déterminer qu’il avait été complice d’atrocités commises par les TLET. En procédant à un examen superficiel, la SPR a, à tort, mis sur le même pied l’appartenance aux TLET et la complicité de crimes contre l’humanité. En résumé, elle a commis une erreur dans le raisonnement qui l’a amenée à exclure le demandeur du statut de réfugié pour le motif qu’il avait été complice de crimes contre l’humanité commis par les TLET.

 

[46]           Étant donné que la conclusion d’exclusion fondée sur l’alinéa 1Fc) de la Convention reposait également sur la complicité et que la SPR n’a pas démontré que le demandeur avait été complice d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies, cette conclusion est aussi erronée. La conclusion d’exclusion fondée sur l’alinéa 1Fc) était également erronée parce que la conclusion de la SPR n’était pas suffisamment explicite sur ce point : Chowdhury, précitée, aux paragraphes 17 et 18.

 

C. L’inclusion

[47]           À l’audience du 20 juin 2006, l’avocat du demandeur a déclaré qu’il était à peu près certain que la Cour d’appel fédérale avait statué que la SPR ne pouvait examiner la question de l’inclusion si elle avait conclu à l’exclusion en vertu de la section 1F de la Convention. Il soutenait donc qu’une conclusion d’inclusion ne pouvait être subsidiairement tirée dans des cas semblables. L’audience a été ajournée pour permettre aux parties de trouver des décisions judiciaires sur cette question et de les échanger.

 

[48]           Le demandeur a produit des décisions judiciaires étayant sa thèse. Il s’appuie principalement sur Gonzalez c. Canada (M.C.I.), [1994] 3 C.F. 646, [1994] A.C.F. no 765 (QL) (Gonzalez), ainsi que sur Alemu, précitée, Saftarov c. Canada (M.C.I.), [2004] A.C.F. no 1246, et Lai c. Canada (M.C.I.), [2005] A.C.F. no 584. Contrairement à ce que l’avocat du demandeur prétend, la Cour d’appel fédérale n’a pas statué que la SPR ne peut examiner la question de l’inclusion si elle s’est prononcée sur la question de l’exclusion. En fait, dans Gonzalez, précité, elle a affirmé que, bien que la SPR puisse ne tirer aucune conclusion sur le bien‑fondé d’une demande après avoir exclu le demandeur, « il serait souhaitable, pour des raisons pratiques, qu’[elle] traite dans sa décision de tous les éléments d’une revendication » : Gonzalez, précité, au paragraphe 13. La Cour fédérale a, depuis, été saisie d’une affaire où elle a examiné la conclusion d’inclusion tirée par la SPR après avoir relevé une erreur susceptible de révision dans sa conclusion d’exclusion : Alemu, précitée. Il ressort clairement de la jurisprudence que la SPR peut conclure qu’un demandeur est exclu de l’asile et se prononcer subsidiairement sur la question de savoir s’il démontre qu’il a la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger.

 

[49]           Il s’ensuit en l’espèce que, même si les conclusions de la SPR concernant l’exclusion ne résistent pas à un examen judiciaire, ses conclusions relatives à l’inclusion devraient être examinées par la Cour afin de déterminer si la demande d’asile du demandeur devrait lui être renvoyée pour que cette question soit étudiée.

 

[50]           Le demandeur soutient que, si la SPR pouvait tirer des conclusions concernant l’inclusion, ces conclusions ne sauraient être maintenues, car elles reposent sur des conclusions relatives à la crédibilité qui sont erronées. Il a contesté la conclusion de la SPR selon laquelle elle « n’ajoute pas foi à la preuve présentée, exception faite des aveux non intéressés ». Le demandeur prétend qu’il s’agit d’une approche punitive. Je suis convaincu que la SPR a simplement voulu faire savoir clairement que les seuls éléments de la demande du demandeur qu’elle pouvait considérer comme crédibles étaient ceux qui étaient défavorables à sa demande puisqu’elle ne pouvait pas ajouter foi à la plus grande partie de ce qu’il avait à dire. Cette conclusion de la SPR ne vicie pas sa décision concernant la crédibilité du demandeur puisqu’elle représente une conclusion qu’elle pouvait raisonnablement tirer et qu’il était parfaitement acceptable qu’elle tire.

 

[51]           À mon avis, il était plus que raisonnable que la SPR conclue que le demandeur était un membre des TLET. La décision Puvanenthiram c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 1268, qui porte précisément sur cette question, établit que les tribunaux doivent faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de fait de la SPR et des conclusions qu’elle tire relativement à la crédibilité. Dans cette affaire, la demanderesse prétendait qu’elle était devenue membre des TLET de son plein gré et qu’elle avait reçu une formation en légitime défense et en maniement des armes. Elle a ensuite soutenu qu’elle avait inventé cette prétention et que, même si son témoignage était véridique, la SPR ne pouvait pas se prononcer sur l’exclusion, aucune preuve corroborante n’ayant été présentée. La Cour a statué que la SPR avait clairement expliqué pourquoi elle avait préféré le premier récit de la demanderesse, et elle a refusé de modifier la conclusion de la SPR selon laquelle elle avait des motifs raisonnables de croire, compte tenu des aveux de la demanderesse, que celle‑ci était membre des TLET.

 

[52]           La seule différence entre Puvanenthiram et la présente affaire, c’est que le demandeur en l’espèce n’a jamais explicitement déclaré qu’il s’était volontairement joint aux TLET. À mon avis, cependant, il est plus que raisonnable de conclure qu’il est devenu un membre des TLET de son plein gré étant donné qu’il a dit à l’agent d’immigration qu’il était un soldat de l’organisation. Il n’a pas déclaré au point d’entrée que des membres des TLET l’avaient forcé à devenir un soldat ou à travailler. J’estime que la décision Puvanenthiram, précitée, s’applique avec la même force aux faits en l’espèce. Par conséquent, la Cour ne modifiera pas la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur était un membre des TLET.

 

[53]           En outre, j’estime que la SPR a mis en doute de manière raisonnable la crédibilité du demandeur en jugeant qu’il était invraisemblable que le demandeur continue à raconter le même récit inventé – selon lequel il était un membre des TLET – pour obtenir l’asile au Canada, après avoir répété ce récit plusieurs fois en Europe sans réussir à obtenir l’asile. La SPR pouvait avoir des doutes sur l’authenticité du nouveau récit du demandeur car celui‑ci n’avait été déposé que deux jours avant l’audience. Elle pouvait également considérer que les raisons données par le demandeur pour expliquer pourquoi il avait auparavant prétendu être un membre des TLET étaient inacceptables et conclure que les déclarations qu’il avait faites à l’agent d’immigration et aux autorités en Europe concernant son appartenance aux TLET et son travail de soldat pour l’organisation étaient véridiques.

 

[54]           La SPR pouvait également critiquer avec raison le récit de la persécution dont le demandeur aurait été victime. Elle a mis en doute de manière raisonnable la crédibilité du demandeur à cause de son retard à fuir le Sri Lanka et des contradictions entre ses prétendus déplacements et son itinéraire de vol. La SPR a aussi jugé que les contradictions concernant la crainte que le PLOTE causait au demandeur affaiblissaient la crédibilité de celui‑ci. Fait plus important, elle avait aussi des doutes sur cette crédibilité à cause des contradictions entre le témoignage du demandeur concernant les incidents de novembre 1999 et de juin 2001 et le récit de ces incidents figurant dans son FRP. À mon avis, elle pouvait tirer toutes ces conclusions concernant la crédibilité.

 

[55]           J’estime cependant que la SPR a agi de manière manifestement déraisonnable en mettant en doute la crédibilité du demandeur parce qu’il était incapable d’expliquer pourquoi il n’avait pas reçu de coup de feu ou n’avait pas été battu pendant qu’il était détenu par les TLET. Le demandeur a expliqué qu’il avait entendu dire que les TLET punissaient les personnes qui s’opposaient à eux en les battant ou en tirant sur elles. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il avait été épargné, il a répondu que, même s’il avait refusé de se joindre aux TLET, il n’était pas considéré comme un opposant : dossier de la SPR, à la page 797. À mon avis, la SPR n’aurait pas dû mettre en doute la crédibilité du demandeur à cause du fait qu’il n’avait pas été traité plus brutalement pendant sa détention. Le raisonnement de la SPR suppose que toutes les personnes détenues par les TLET sont battues ou sont la cible de coups de feu, alors que ce raisonnement ne s’appuie sur aucune preuve. Par conséquent, j’estime que la SPR a commis une erreur en mettant en doute la crédibilité du demandeur parce qu’il ne pouvait expliquer pourquoi la façon dont il avait été traité n’était pas conforme à la soi‑disant norme.

 

[56]           Même si j’estime que la SPR a commis cette erreur dans son analyse de la crédibilité, une telle erreur ne justifie pas l’intervention de la Cour. Les autres raisons mentionnées ci‑dessus de mettre en doute la crédibilité du demandeur résistent à un examen poussé fondé sur la norme de la décision manifestement déraisonnable ou, en fait, de la décision raisonnable. À mon avis, il était tout à fait raisonnable que la SPR ait des doutes sur les allégations de persécution faites par le demandeur et qu’elle conclue que celui‑ci était un membre des TLET. La Cour ne modifiera donc pas les conclusions de la SPR selon lesquelles le demandeur est un membre des TLET, n’est pas crédible et n’a pas démontré qu’il a la qualité de réfugié au sens de la Convention, tel que prévu à l’article 96 de la LIPR.

 

[57]           J’estime cependant que la SPR a commis une erreur à l’égard de la demande faite par le demandeur au titre de l’article 97 de la LIPR. Celui-ci soutient avec raison que, peu importe les conclusions de la SPR concernant la crédibilité, elle a commis une erreur en omettant d’évaluer le risque qu’il court en tant que Tamoul du nord du Sri Lanka. Il a écrit dans son FRP qu’il était originaire de Killinochchi, une province située dans le nord de ce pays. Sa thèse selon laquelle, même si elle ne le jugeait pas crédible, la SPR aurait dû, après avoir accepté son identité, évaluer le risque prévu à l’article 97 de la LIPR auquel il serait exposé en tant qu’homme tamoul du nord du pays est étayée par la jurisprudence : Balasubramania c. Canada (M.C.I.), [2003] A.C.F. no 1438 (QL), 2003 CF 1137; Sivalingam c. Canada (M.C.I.), [2006] A.C.F. no 965 (QL), 2006 CF 773.

 

[58]           Le défendeur prétend que la présente affaire est différente parce que la SPR n’a pas mentionné qu’elle considérait que le demandeur était un Tamoul du nord du Sri Lanka. À mon avis, si la SPR doutait du fait que le demandeur venait du nord, elle aurait dû le dire clairement. Même si le défendeur souligne que le demandeur a vécu dans des régions contrôlées par le gouvernement sri‑lankais, la SPR n’a pas expressément mentionné qu’elle avait tenu compte de ce facteur pour décider de ne pas procéder à une évaluation du risque. La SPR n’a pas examiné la preuve ni motivé suffisamment sa décision de ne pas étudier la demande du demandeur au titre de l’article 97 de la LIPR. À mon avis, il s’agit d’une erreur susceptible de révision même si l’on applique la norme de contrôle la plus rigoureuse.

 

VIII. Conclusion

[59]           En résumé, j’estime que la SPR a commis une erreur en appliquant incorrectement le critère servant à déterminer si un demandeur est complice de crimes contre l’humanité et le critère servant à exclure un demandeur parce qu’il a été complice d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. La SPR a donc commis une erreur dans la façon dont elle a exclu le demandeur de l’asile par application de l’article 98 de la LIPR. En outre, j’estime que la SPR a eu tort de ne pas analyser la demande faite par le demandeur au titre de l’article 97 de la LIPR. J’estime par contre qu’elle n’a pas commis d’erreur en concluant que le demandeur est un membre des TLET et en concluant qu’il n’avait pas fait la preuve d’une crainte fondée de persécution – prévue à l’article 96 de la LIPR – au motif qu’il n’est pas crédible.

 

[60]           En conséquence, je suis d’avis d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et de renvoyer l’affaire à la SPR pour qu’une nouvelle décision soit rendue en conformité avec les présents motifs. Je tiens à souligner que l’affaire est renvoyée pour que la SPR examine la demande du demandeur au titre de l’article 97 de la LIPR.

 

[61]           La décision de la Commission sur la question de la crédibilité est correcte. De plus, je suis convaincu que sa décision selon laquelle le demandeur est un membre des TLET est correcte également.

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’une nouvelle décision soit rendue. Aucune question n’a été proposée à des fins de certification.

 

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                             IMM-4111-05

 

INTITULÉ :                                                           SASIKUMAR RATHINASIGNGAM

                                                                                alias RASALINGAM VELAUTHAM

                                                                                alias SASIKUMAR RATNASIGAM

                                                                                alias DEL FUTCH SILVYN

                                                                                alias VELAUTHAM RASALINGAM

                                                                                c.

                                                                                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                     TORONTO (ONTARIO)

 

DATES DE L’AUDIENCE :                                 LE 20 JUIN 2006 ET LE 15 AOÛT 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                 LE JUGE TEITELBAUM

 

DATE DES MOTIFS :                                          LE 17 AOÛT 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Waldman                                                        POUR LE DEMANDEUR

 

Bernard Assan                                                          POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lorne Waldman                                                        POUR LE DEMANDEUR

Avocat

 

John H. Sims, c.r.                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.