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Date : 20060811

Dossier : T‑2097‑05

Référence : 2006 CF 969

Ottawa (Ontario), le 11 août 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

 

ENTRE :

JEFFERY LEGERE

demandeur

et

 

LA Commission canadienne des droits de la personne

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) le 28 octobre 2005, dans laquelle celle‑ci a conclu que, conformément à l’alinéa 41(1)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6 (la Loi), elle ne statuerait pas sur la plainte du demandeur « parce que la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après les faits sur lesquels elle est fondée ».

 

LES FAITS

 

[2]               Le demandeur s’est engagé dans les Forces canadiennes en février 1989.

 

[3]               Vers décembre 1991, il a subi une crise épileptique tonico‑clonique. À la suite de cette première crise, on a diagnostiqué chez lui une malformation artérioveineuse cérébrale (le problème de santé).

 

[4]               En raison de son problème de santé, le demandeur était sujet à être en proie à des crises convulsives.

 

[5]               Dans le cadre de son service au sein des Forces canadiennes, le demandeur était tenu de s’entraîner et de se préparer pour la profession militaire. Les normes fixées pour l’entraînement et la préparation à la profession militaire dans les Forces canadiennes sont appelées qualités GPM.

 

[6]               Le problème de santé du demandeur l’empêchait de répondre aux qualités GPM.

 

[7]               Le 21 août 1997 ou vers cette date, un conseil de révision des carrières des Forces canadiennes recommanda que le demandeur reçoive son congé des Forces canadiennes à compter du 29 avril 1998, et ce, en raison de son problème de santé.

 

[8]               Le 26 février 1998 ou vers cette date, le demandeur a déposé un grief à l’encontre de la fin imminente de son service, au motif que cela constituait de la discrimination (le grief).

[9]               Le 29 avril 1998, il a été mis fin au service du demandeur au sein des Forces canadiennes, conformément à la décision du conseil de révision des carrières des Forces canadiennes (la fin du service).

 

[10]           La fin du service a eu lieu environ neuf mois avant la date à laquelle le demandeur aurait été admissible à une pension des Forces canadiennes.

 

[11]           Au début de 2004, le grief a été examiné par les Forces canadiennes et une décision a été rendue par le chef d’état‑major de la Défense vers le 10 janvier 2004, décision qui accordait au demandeur un redressement partiel puisqu’elle l’autorisait à se réenrôler dans les Forces canadiennes.

 

[12]           Le demandeur s’est réenrôlé dans les Forces canadiennes le 17 août 2004 ou vers cette date (la date du réenrôlement).

 

[13]           Entre la fin du service et la date du réenrôlement, le demandeur a perdu près de six années de prestations de pension (les prestations de pension perdues).

 

[14]           Après la décision l’autorisant à se réenrôler, la demande d’indemnisation déposée par le demandeur quant aux prestations de pension perdues fut soumise au directeur des réclamations et du contentieux des affaires civiles (le DRCAC) des Forces canadiennes, pour qu’il décide de l’indemnité à laquelle aurait droit le demandeur, le cas échéant, au titre des actes discriminatoires commis par les Forces canadiennes lorsqu’elles ont mis fin à son service au sein des Forces canadiennes.

 

[15]           Le 22 juin 2004 ou vers cette date, le DRCAC a rejeté la demande d’indemnité présentée par le demandeur, y compris sa demande d’indemnité se rapportant aux prestations de pension perdues.

 

[16]           Le demandeur n’a jamais été indemnisé quant aux prestations de pension perdues.

 

[17]           Le 16 février 2005 ou vers cette date, le demandeur a déposé sa plainte auprès de la Commission conformément à la Loi.

 

[18]           Dans sa plainte, le demandeur prétend que la décision du DRCAC, en date du 22 juin 2004, de lui refuser une indemnité quant aux prestations de pension perdues constitue un acte discriminatoire.

 

[19]           Dans sa plainte, le demandeur prétend également que, en refusant de lui verser ses prestations de pension perdues, les Forces canadiennes continuent d’exercer contre lui une discrimination fondée sur sa déficience.

 

[20]           Le 28 octobre 2005 ou vers cette date, la Commission a rejeté la plainte au motif qu’elle n’avait pas été déposée dans l’année de la présumée discrimination et qu’elle était donc prescrite.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

 

[21]           L’article 41 de la Loi est ainsi rédigé :

41. (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle‑ci irrecevable pour un des motifs suivants :

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

[...]

. . .

e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

 

POINT LITIGIEUX

 

[22]           La demande ne soulève qu’un seul point litigieux.

 

1.                  La plainte a‑t‑elle été déposée dans l’année qui a suivi les présumés actes discriminatoires?

 

ARGUMENTS

 

            Demandeur

 

            La norme de contrôle

 

[23]           La Commission jouit d’un pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle exerce sa fonction d’examen préalable selon l’alinéa 41(1)e) de la Loi. Ce pouvoir discrétionnaire a été reconnu par les tribunaux. Dans la décision Price c. Concord Transportation Inc., [2003] A.C.F. n° 1202, 2003 CF 946 (1re inst.), la Cour s’est exprimée ainsi :

La norme de contrôle qui s’applique dans le cas d’une décision prise par la Commission en vertu de l’alinéa 41(1)e) de refuser de statuer sur une plainte remontant à plus d’un an est une norme qui commande la retenue de la Cour, en l’occurrence la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

[24]           Cependant, le demandeur prétend que, si l’on procède à une analyse pragmatique et fonctionnelle, il est évident qu’une norme de contrôle moins exigeante s’applique dans un cas comme celui en l’espèce, où la Commission est tenue de dire si l’acte discriminatoire présumé constitue le « dernier » acte discriminatoire au sens de l’alinéa 41(1)e).

Dr Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19, [2003] 1 R.C.S. 226, paragraphe 26.

 

[25]           L’analyse pragmatique et fonctionnelle a été décrite ainsi par la Cour suprême du Canada :

L’analyse pragmatique et fonctionnelle exige l’examen de quatre facteurs contextuels : (1) la présence ou l’absence dans la loi d’une clause privative ou d’un droit d’appel; (2) l’expertise relative du tribunal par rapport à celle de la cour de révision sur le point en litige; (3) l’objet de la loi et de la disposition particulière en cause; (4) la nature de la question ‑‑ de droit, de fait ou mixte de droit et de fait (renvois omis).

 

Voice Construction Ltd. c. Construction & General Workers’ Union, Local 92, [2004] 1 R.C.F. 609, 2004 CSC 23, paragraphe 16.

 

[26]           La Loi ne renferme aucune clause privative. Cependant, il n’existe pas non plus un droit d’appel de nature législative.

 

[27]           Selon le demandeur, en ce qui concerne le quatrième volet de l’analyse pragmatique et fonctionnelle, la question soumise à la Cour est une question mixte de droit et de fait. La Commission était priée de décider si la décision du DRCAC du 22 juin 2004 était le « dernier acte discriminatoire » des Forces canadiennes au sens de l’alinéa 41(1)e) de la Loi. Cette question est plus qu’une question de fait. Le fait lui‑même, c’est‑à‑dire la décision du DRCAC du 22 juin 2004, est incontestable. Ce que la Commission a examiné, c’est l’effet juridique de ce fait sur le délai de prescription prévu par la Loi. Le demandeur affirme qu’il s’agit là d’une question mixte de droit et de fait.

 

[28]           Étant donné que la question soumise à la Commission était une question mixte de droit et de fait, la Commission ne possède pas une expertise plus grande que celle de la Cour en ce qui concerne le point à trancher. S’agissant des simples questions de fait, où de nombreuses preuves doivent être recueillies, et où une appréciation de la pertinence et de la crédibilité doit être faite, la Commission est très certainement en meilleure position que la Cour pour rendre une décision. Cependant, en l’espèce, c’est l’application des principes juridiques qui est le plus important, et la Cour est donc aussi bien placée, voire mieux placée, pour rendre une décision sur le dépôt en temps opportun de la plainte du demandeur.

 

[29]           Finalement, l’objet premier de la Loi est de prévenir la discrimination et d’accorder des redressements lorsqu’il y a eu discrimination. La Loi devrait donc être interprétée d’une manière équitable, large et libérale.

Canada (Commission des droits de la personne) c. Lignes aériennes Canadien International Ltée, [2004] A.C.F. n° 483, 2004 CAF 113.

 

[30]           Le demandeur exhorte la Cour à conclure que, en l’espèce, après analyse pragmatique et fonctionnelle, elle n’a pas à faire preuve d’une grande retenue envers la décision de la Commission. En l’absence d’un droit d’appel de nature législative, le demandeur est donc d’avis que la norme de contrôle qui est ici applicable est la norme de la décision raisonnable simpliciter.

La plainte du demandeur est‑elle prescrite?

 

[31]           Le demandeur fait observer que, selon la Cour d’appel fédérale, une plainte ne doit être rejetée au stade préliminaire que dans les cas les plus évidents :

La décision que la Commission rend en vertu de l’article 41 intervient normalement dès les premières étapes, avant l’ouverture d’une enquête. Comme la décision de déclarer la plainte irrecevable clôt le dossier sommairement avant que la plainte ne fasse l’objet d’une enquête, la Commission ne devrait déclarer une plainte irrecevable à cette étape que dans les cas les plus évidents [...]

 

Société canadienne des postes c. Canada (Commission des droits de la personne), [1997] A.C.F. n° 578, au paragraphe 4, confirmé : [1999] A.C.F. n° 705 (QL).

 

[32]           Selon le demandeur, la Commission a commis une erreur en concluant que la plainte du demandeur se rapportait à des événements qui étaient survenus en 1998. La décision de la Commission est manifestement déraisonnable car il est manifeste et évident que la plainte du demandeur concerne la décision du DRCAC du 22 juin 2004. La plainte a été déposée dans les neuf mois qui ont suivi cette décision, et bien avant l’expiration du délai d’un an prévu par l’alinéa 41(1)e) de la Loi. La décision du DRCAC du 22 juin 2004 constitue à elle seule un acte discriminatoire distinct.

 

[33]           La plainte ne porte pas sur la fin du service du demandeur au sein des Forces canadiennes en 1998. Le demandeur a obtenu un redressement à ce titre en janvier 2004. La plainte porte sur le fait que, en refusant au demandeur, en juin 2004, le versement d’une indemnité au titre de ses prestations de pension perdues, les Forces canadiennes ont exercé contre lui une discrimination fondée sur son problème de santé.

 

[34]           Subsidiairement, le demandeur affirme qu’il n’est pas établi que la Commission a considéré le critère pertinent de ce qui constitue un « dernier » acte discriminatoire selon l’alinéa 41(1)e), et il affirme donc que la Commission a commis une erreur en laissant de côté la preuve de la discrimination exercée en 2004.

 

[35]           Il est vrai que le premier acte discriminatoire commis par les Forces canadiennes envers le demandeur a eu lieu en avril 1998, lorsqu’elles ont mis fin à son service en raison de son problème de santé et de sa déficience. Il n’est pas contesté qu’il aurait fallu qu’une plainte concernant son renvoi des Forces canadiennes soit déposée avant avril 1999.

 

[36]           Entre avril 1998 et janvier 2004, cependant, les Forces canadiennes ont continué d’exercer une discrimination envers le demandeur en refusant de le réintégrer, ce qui lui aurait permis de travailler pendant les neuf derniers mois de service requis pour le rendre admissible à des prestations de pension.

 

[37]           Ces actes discriminatoires ont été corrigés par la solution apportée au grief en janvier 2004. Le demandeur a depuis été autorisé à se réenrôler dans les Forces canadiennes et il a commencé à recevoir une pension après avoir travaillé durant les neuf derniers mois de son service.

 

[38]           Ce n’est qu’en janvier 2004 qu’il fut décidé que le demandeur avait même droit à des prestations de pension. Lorsque la décision fut prise d’annuler son renvoi des Forces canadiennes, la question s’est posée de savoir si, durant la période intermédiaire, il avait droit à une indemnité pour les prestations de pension perdues. Cette question n’a pu être examinée qu’après janvier 2004, de telle sorte que, selon le demandeur, il est difficile de voir comment la réponse à cette question en juin 2004 pourrait être considérée comme un acte discriminatoire commis en 1998, comme l’a dit implicitement la Commission.

 

[39]           Le demandeur affirme donc que la décision du DRCAC du 22 juin 2004 de lui refuser une indemnité pour les prestations de pension perdues constitue un nouvel acte discriminatoire. Il ne s’agit pas d’une conséquence directe de son renvoi des Forces canadiennes, mais plutôt d’un nouvel acte discriminatoire en tant que tel. En fait, lorsque le DRCAC a jugé que le demandeur n’avait pas droit à une indemnité pour la discrimination dont il avait été victime, il refusait de tenir compte de la déficience du demandeur.

 

[40]           En résumé, le demandeur affirme que la décision de mettre fin à son service en 1998 a constitué le premier acte discriminatoire, et que la décision du DRCAC de lui refuser une indemnité a constitué le dernier acte discriminatoire.

 

[41]           Subsidiairement encore, le demandeur affirme que la Commission n’a pas vu que la décision du DRCAC du 22 juin 2004 fut la dernière d’une série de mesures prises par les Forces canadiennes. Néanmoins, il a déjà été jugé que le délai de prescription dans de tels cas ne commence à courir qu’après que la dernière d’une série de décisions a été prise.

Greenwood v. Alberta (Worker’s Compensation Board), [2000] A.J. no 1360, 2000 ABQB 827.

Salter v. Newfoundland, [2001] N.H.R.B.I.D. no 5.

 

[42]           Dans l’affaire Greenwood, le demandeur n’avait déposé sa plainte à l’encontre de la Commission des accidents du travail (la Worker’s Compensation Board de l’Alberta, ou WCB) que plusieurs mois après qu’un tribunal d’appel de la WCB eut confirmé une décision bien antérieure de la WCB elle‑même. La Cour du banc de la Reine de l’Alberta a jugé que, si le demandeur avait déposé sa plainte dans un délai de six mois après la décision du tribunal d’appel de la WCB, la plainte n’aurait pas été prescrite. La cour albertaine s’est exprimée ainsi :

[traduction]

[...] l’acte de donner suite à une réclamation à l’encontre de la WCB peut être prolongé par l’invocation des procédures d’appel prévues dans la Workers’ Compensation Act. Lorsqu’un demandeur fait appel d’une décision de la WCB, cette décision se transforme en un processus décisionnel continu.

 

(paragraphe 67)

 

 

[43]           Comme dans l’affaire Greenwood, la décision du DRCAC dans la présente affaire constituait la dernière partie du « processus décisionnel continu » consistant à dire si le demandeur avait droit à des mesures particulières au titre des prestations de pension perdues.

 

[44]           Selon le demandeur, la décision Greenwood rend compte du principe exprimé dans l’alinéa 41(1)a) de la Loi, c’est‑à‑dire qu’un plaignant doit épuiser tous ses autres recours avant de déposer une plainte.

 

[45]           En tout état de cause, le demandeur souligne que la discrimination, dans le cas présent, est continue, en ce sens que les Forces canadiennes persistent à refuser au demandeur une indemnité pour les prestations de pension perdues, ou pour l’un quelconque de leurs actes discriminatoires.

 

Les conclusions du demandeur

 

[46]           Selon le demandeur, la décision de la Commission de refuser de statuer sur sa plainte au motif qu’elle a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après les faits sur lesquels elle était fondée est déraisonnable ou, subsidiairement, manifestement déraisonnable. La Commission n’a pas pris en compte la preuve pertinente (la décision du DRCAC du 22 juin 2004) et n’a pas validement appliqué le critère permettant de dire quel est le « dernier » acte discriminatoire selon l’alinéa 41(1)e) de la Loi.

 

[47]           La décision du DRCAC du 22 juin 2004 de lui refuser une indemnité pour les prestations de pension perdues constituait un acte discriminatoire distinct de son renvoi initial des Forces canadiennes. La réclamation qu’avait le demandeur au titre de son renvoi de 1998 a été réglée.

 

[48]           Subsidiairement, le demandeur dit que la Commission a agi d’une manière déraisonnable ou manifestement déraisonnable parce qu’elle n’a pas vu que la décision du DRCAC du 22 juin 2004 constituait la dernière partie d’un processus décisionnel continu, comme c’était le cas dans l’affaire Greenwood.

 

[49]           En tout état de cause, la Commission n’a pas vu que le délai d’un an prévu par l’alinéa 41(1)e) avait commencé à courir le 22 juin 2004, et ce manquement était déraisonnable, voire manifestement déraisonnable. Vu que la plainte a été déposée le 16 février 2005, bien avant l’expiration de ce délai d’un an, le demandeur prie la Cour d’annuler la décision de la Commission et de renvoyer l’affaire à la Commission pour enquête et pour instruction au fond.

Les conclusions du défendeur

 

[50]           Le défendeur souligne que le régime établi par le paragraphe 41(1) de la Loi constitue un second niveau d’examen à la suite duquel la Commission décidera de statuer ou non sur la plainte.

 

[51]           La norme de contrôle applicable à la décision de la Commission de rejeter une plainte conformément à l’alinéa 41(1)e) de la Loi est la décision manifestement déraisonnable. Une décision manifestement déraisonnable est une décision qui, à première vue, est viciée. Une décision manifestement déraisonnable sera clairement irrationnelle ou contraire à la raison. Lorsqu’elle se demande s’il convient ou non de proroger le délai d’un an, la Commission doit apprécier la preuve qu’elle a devant elle. La Commission a le loisir d’apprécier la preuve comme elle l’entend, et, selon le défendeur, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier la preuve différemment.

Johnston c. Société canadienne d’hypothèques et de logement, [2004] A.C.F. n° 1121, paragraphes 8 et 11.

 

Good c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. n° 1556, paragraphes 22 et 23.

 

Tse c. Federal Express Canada Ltd., [2005] A.C.F. n° 740, paragraphe 26.

 

[52]           La Cour a toujours dit, et encore récemment, qu’elle n’interviendra pas dans les décisions discrétionnaires de la Commission, quand bien même aurait‑elle exercé autrement le pouvoir discrétionnaire, pour autant que ce pouvoir discrétionnaire ait été exercé de bonne foi, conformément aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale, et indépendamment de tout facteur extrinsèque.

Price c. Concord Transportation Inc., [2003] A.C.F. n° 1202, paragraphe 42.

 

McEachran c. Ontario Power Generation, [2006] A.C.F. n° 84, paragraphe 9.

 

[53]           Selon le défendeur, la Commission a agi raisonnablement lorsqu’elle a dit que la plainte du demandeur avait été déposée hors délai. Il est clair que la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire de bonne foi, d’une manière conforme aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale et qu’elle ne s’est pas fondée sur des facteurs extrinsèques.

 

L’application de l’alinéa 41(1)e) de la Loi

 

[54]           Le défendeur souligne que l’objet de l’alinéa 41(1)e) de la Loi est de garantir le dépôt rapide des plaintes. La Cour a jugé que la Commission n’a pas compétence pour statuer sur une plainte prescrite sauf si elle exerce d’abord son pouvoir de se déclarer compétente conformément à l’alinéa 41(1)e) de la Loi. Au stade de l’examen préliminaire, ni le fond, ni la substance de l’affaire ne sont examinés. La Commission examine uniquement si l’alinéa 41(1)e) a pour effet d’empêcher la plainte de suivre son cours :

Société Radio‑Canada (SRC) c. Canada (Commission des droits de la personne), [1993] A.C.F. n° 1334, paragraphes 26 et 45.

 

Zavery c. Canada (Développement des ressources humaines), [2004] A.C.F. n° 1122, paragraphe 11.

 

Price, précité, paragraphes 37 et 48.

 

Good, précité, paragraphes 21 et 29.

 

[55]           Le demandeur a déposé sa plainte le 16 février 2005. La Commission a jugé que les allégations du demandeur se rapportaient à des faits survenus en 1998. Elle a examiné les observations écrites du demandeur et du défendeur et a décidé de ne pas statuer sur la plainte conformément à l’alinéa 41(1)e) de la Loi parce que la plainte avait été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après que les faits sur lesquels elle était fondée se soient produits.

[56]           Dans son mémoire, le demandeur dit que la Commission a commis une erreur en affirmant que la plainte se rapportait à des faits survenus en 1998, car il est manifeste et évident que la plainte se rapporte à la décision du DRCAC du 22 juin 2004 de refuser au demandeur une compensation financière.

 

[57]           Après analyse de la plainte, cependant, le défendeur dit qu’il est loin d’être évident que la plainte se rapportait uniquement à la décision du DRCAC du 22 juin 2004. Dans sa plainte, le demandeur parle de plusieurs choses : le fait que le défendeur n’a pas donné suite à sa requête en report de la date de son renvoi pour raisons médicales, renvoi fixé en 1998, ce qui lui aurait donné droit à une rente immédiate et indexée; la lenteur de la procédure de règlement du grief; le refus du DRCAC de lui accorder une indemnité; et le refus présumé du DRCAC de lui accorder une indemnité pour les prestations de pension perdues entre 1998 et 2004.

 

[58]           Si le demandeur estimait que la décision relative au grief ne lui accordait pas une réparation suffisante, il était à même de déposer une demande de contrôle judiciaire de ladite décision. Il a plutôt déposé une plainte auprès de la Commission, plainte qui, affirme‑t‑il aujourd’hui, se rapportait uniquement à la décision du DRCAC du 22 juin 2004 de lui refuser une indemnité pour les prestations de pension perdues entre 1998 et 2004.

 

La décision de la Commission était‑elle manifestement déraisonnable?

 

[59]           Le défendeur dit que la question en litige est la date à retenir pour le début du délai. Le demandeur dit que ce devrait être le 22 juin 2004, date de la décision du DRCAC; quant à la Commission, elle dit que la date à retenir est 1998, c’est‑à‑dire la date du congé pour raisons médicales.

 

[60]           Le demandeur dit que la Commission n’a pas vu que la décision du DRCAC du 22 juin 2004 était la dernière d’une série de mesures et que le délai de prescription ne commence à courir qu’après qu’a été prise la dernière d’une série de décisions. Le défendeur dit que cela ne donne pas une image fidèle de l’état actuel du droit. La Cour a récemment jugé qu’un plaignant dispose d’un an à compter de la date de son renvoi pour déposer une plainte écrite formelle auprès de la Commission.

Good, précité, paragraphes 25 à 27.

Johnston, précité, paragraphe 6.

 

[61]           Dans la décision Tse, les dates en litige pour le début du délai de prescription étaient la date du congédiement ou la date à laquelle M. Tse avait épuisé les voies de recours internes. La Cour a jugé que la date à retenir pour le début du délai de prescription était la date du congédiement. La juge Dawson a souligné que ce point avait déjà été décidé par la Cour d’appel fédérale :

Dans l’arrêt Latif c. Commission canadienne des droits de la personne, [1980] 1 C.F. 687, au paragraphe 28, la Cour d’appel fédérale a souscrit à une décision de la Commission portant que le congédiement est un acte qui se produit et qui se termine à une date donnée. L’insistance affichée par l’employeur pour justifier le congédiement n’a pas pour effet de faire de ce congédiement un acte discriminatoire continu.

 

La Cour d’appel fédérale a repris cette opinion dans Lever c. Canada (Commission des droits de la personne), [1988] A.C.F. no 1062. Dans cet arrêt, la Cour a estimé que lorsqu’une plainte était déposée alors que le congédiement était effectif, aucun événement postérieur à la date du congédiement ne pouvait donner lieu à une plainte relative à ce dernier.

 

Tse, précité, paragraphes 29 et 30.

 

 

[62]           Le demandeur a été renvoyé pour raisons médicales le 29 avril 1998. Par conséquent, de dire le défendeur, il avait un an à compter de cette date pour déposer une plainte écrite officielle auprès de la Commission (c’est‑à‑dire jusqu’au 29 avril 1999). Il ne l’a pas fait. La plainte officielle a été reçue par la Commission le 16 février 2005. En l’espèce, la Commission a conclu à juste titre que les allégations contenues dans la plainte étaient prescrites. Il relève du pouvoir discrétionnaire de la Commission de rejeter une plainte après l’expiration du délai prévu pour le dépôt de cette plainte.

 

La plainte n’a jamais été examinée par le DRCAC

 

[63]           Le défendeur va même plus loin et fait remarquer que, dans sa décision du 10 janvier 2004 relative au grief du demandeur, le chef d’état‑major de la Défense a renvoyé le dossier du demandeur au DRCAC pour qu’il examine la responsabilité légale ainsi que la compensation financière que pouvait justifier le rejet de la requête du demandeur en report de la date de son congé pour raisons médicales. En renvoyant le dossier au DRCAC, le chef d’état‑major de la Défense ne demandait pas au DRCAC d’envisager une indemnité pour les prestations de pension perdues entre 1998 et 2004. Le demandeur n’a jamais demandé non plus que le DRCAC lui accorde une indemnité pour les prestations de pension perdues entre 1998 et 2004.

 

[64]           La décision du DRCAC du 22 juin 2004 concernait la question de savoir si le défendeur encourait une responsabilité juridique pour avoir refusé la requête du demandeur en report de la date de son congé pour raisons médicales. Le DRCAC ne s’est pas demandé si une indemnité devrait être versée pour les prestations de pension perdues. Le demandeur a donc déposé une plainte auprès de la Commission à propos d’une décision de lui refuser les prestations de pension perdues entre 1998 et 2004 qui n’a jamais été rendue.

 

[65]           Le refus du DRCAC d’accorder une compensation financière au demandeur n’a aucune conséquence sur le droit du demandeur aux prestations de pension perdues entre 1998 et 2004. Au paragraphe 18 de son mémoire, le demandeur dit que la décision du DRCAC de lui refuser une compensation pour les prestations de pension perdues constitue un nouvel acte discriminatoire. Le DRCAC est le conseiller juridique du défendeur et, d’affirmer le défendeur, la décision du DRCAC de refuser au demandeur toute compensation financière ne saurait constituer le fondement d’un acte discriminatoire. La plainte formulée à l’encontre de la décision du DRCAC n’a donc absolument aucun fondement, quel qu’il soit, et la date à laquelle le DRCAC a rendu sa décision ne devrait pas servir à déterminer le début du délai de dépôt de la plainte auprès de la Commission.

 

L’absence d’explications raisonnables justifiant le retard du dépôt de la plainte

 

[66]           Le défendeur dit aussi que, pour que la plainte du demandeur puisse être instruite, le demandeur doit donner à la Commission des raisons suffisantes justifiant son retard à déposer sa plainte. Dans son mémoire, le demandeur dit qu’il était tenu, de par l’alinéa 41(1)a) de la Loi, d’épuiser tous ses autres recours avant de déposer sa plainte auprès de la Commission. Une interprétation raisonnable du texte semble toutefois suggérer le contraire. L’alinéa 41(1)a) de la Loi ne dit pas que l’éventuel plaignant doit épuiser les procédures d’examen ou procédures de règlement des griefs avant que la Commission ne statue sur sa plainte. La Loi ne dit nulle part qu’un plaignant doit engager de telles procédures si, ce faisant, il risque de ne pas déposer sa plainte avant l’expiration du délai prévu par l’alinéa 41(1)e) de la Loi. C’est donc le demandeur, et lui seul, qui a décidé de déposer un grief avant de déposer une plainte.

 

[67]           L’alinéa 41(1)e) de la Loi dit clairement qu’une plainte doit être déposée dans un délai d’un an après le dernier des présumés actes discriminatoires, ou à l’intérieur de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué au vu des circonstances. Selon le défendeur, il est donc on ne peut plus clair que le délai est d’un an, après quoi il appartient à la Commission de proroger ce délai si elle l’estime indiqué.

 

[68]           Dans l’affaire McEachran, le plaignant n’avait pas déposé sa plainte à l’intérieur du délai d’un an parce qu’il avait déposé un grief. La Cour a confirmé la décision de la Commission de rejeter la plainte parce qu’il aurait dû déposer une plainte auprès de la Commission. En l’espèce, le demandeur aurait dû déposer une plainte auprès de la Commission au moment où sa demande de report de la date de son congé pour raisons médicales fut refusée. C’est alors que la Commission aurait déterminé si l’alinéa 41(1)a) de la Loi s’appliquait et aurait pu ordonner au demandeur d’aller de l’avant avec son grief avant d’aller de l’avant avec sa plainte auprès de la Commission. Le demandeur a plutôt interprété à sa manière l’alinéa 41(1)a), n’a pas déposé de plainte auprès de la Commission, ni n’a communiqué avec la Commission, et a décidé de déposer un grief. Il ne peut donc aujourd’hui contester la décision de la Commission.

McEachran, précité, paragraphes 7 et 10.

 

Les conclusions du défendeur

 

[69]           Selon le défendeur, la Commission a agi raisonnablement et de bonne foi quand elle a rejeté la plainte du demandeur pour cause d’expiration du délai de dépôt de cette plainte. Puisque les décisions de la Commission selon l’alinéa 41(1)e) sont des décisions administratives discrétionnaires, elles ne sauraient être annulées à la légère, et la Cour ne doit pas intervenir, quand bien même elle aurait exercé différemment le pouvoir discrétionnaire, dans la mesure où ce pouvoir a été exercé de bonne foi, et d’une manière conforme aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale.

 

L’ANALYSE

 

[70]           Je dois dire d’entrée de jeu que, même sur un plan purement sémantique, la décision de la Commission est difficile à saisir.

 

[71]           Il ressort clairement de la plainte du demandeur que l’action ou l’omission en cause est le refus du DRCAC, dans sa lettre du 22 juin 2004, de lui reconnaître le droit à des prestations. Ce refus se fonde naturellement sur des événements passés, que le demandeur évoque dans sa plainte afin d’aider la Commission à comprendre la portée du refus essuyé. Mais la plainte du demandeur ne concerne pas les événements qui ont précédé le refus. Elle se rapporte exclusivement au fait que, dans sa lettre du 22 juin 2004, le DRCAC lui a refusé le droit à des prestations.

 

[72]           L’alinéa 41(1)e)de la Loi est impératif : « la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins que [...] la plainte [n’ait] été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée [...] »

 

[73]           La Commission a refusé de statuer sur la plainte dans ce cas parce que « la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après les faits sur lesquels elle est fondée ».

 

[74]           Ce propos est à coup sûr inexact si la plainte elle‑même est considérée au pied de la lettre, parce que la plainte ne concerne que la décision du 22 juin 2004 de refuser des prestations au demandeur. Pour que la décision de la Commission ait un sens, il faudrait que la Cour dise que les mots « sur lesquels elle est fondée », dans l’alinéa 41(1)e) de la Loi, signifient non seulement le fait spécifique mentionné dans la plainte, mais également tout fait qui a pu survenir dans la série des événements qui ont conduit au fait visé par la plainte.

 

[75]           Le défendeur n’a avancé aucun précédent ou argument selon lequel l’intention du législateur était que l’alinéa 41(1)e) soit interprété de cette manière, et le sens manifeste et évident de la disposition ne devrait pas être dénaturé par l’interprétation élargie qu’a préconisée le défendeur devant la Cour.

 

[76]           Une plainte ne peut pas être déposée devant la Commission tant que ne s’est pas produit le fait qui en est l’objet. Le fait qui est l’objet de la plainte dans la présente affaire s’est produit le 22 juin 2004. Le demandeur n’aurait pas pu déposer sa plainte avant cette date, comme semble le suggérer le défendeur. S’il avait, par exemple à l’occasion de son grief antérieur, soulevé cet aspect, il lui aurait fallu s’adresser à la Commission avec une plainte portant sur un éventuel refus de prestations, un refus qui pouvait ou non lui être opposé à la suite d’actes discriminatoires antérieurs dont il avait été victime. Une telle plainte aurait été totalement hypothétique et serait restée telle, en l’espèce, jusqu’à ce que le grief soit réglé et jusqu’à ce que le demandeur soit informé de la décision finale du DRCAC, datée du 22 juin 2004, relative aux prestations.

 

[77]           Les précédents invoqués par le défendeur (par exemple la décision Tse), selon lesquels, lorsqu’une plainte est déposée alors que le congédiement est effectif, aucun événement postérieur à la date du congédiement ne peut donner lieu à une plainte se rapportant à l’emploi, ne sont pas, selon moi, pertinents lorsque le plaignant est réintégré dans son poste et qu’il faut alors déterminer les prestations qui accompagneront cette réintégration. En réintégrant le demandeur, les Forces canadiennes ont effacé la date antérieure de congédiement de telle sorte qu’il restait aux parties à régler non pas les effets du congédiement, mais les effets de la réintégration. Et c’est la raison pour laquelle le chef d’état‑major de la Défense a renvoyé au DRCAC la question des prestations. Il n’était pas demandé au DRCAC de rendre une décision sur les effets du congédiement; il lui était demandé de rendre une décision sur les effets de la réintégration, c’est‑à‑dire sur les conséquences financières et les conséquences relatives aux prestations de pension.

 

[78]           Le défendeur dit que le demandeur a été renvoyé pour raisons médicales le 29 avril 1998, et que, par conséquent [traduction] « il avait un an à compter de cette date pour déposer une plainte écrite officielle auprès de la Commission (c’est‑à‑dire le 29 avril 1999). Il ne l’a pas fait ». Cela équivaut à prétendre que, à l’époque de son congé des Forces canadiennes, il incombait au demandeur de se présenter devant la Commission avec toutes les conséquences possibles de son renvoi, même si, à l’époque, les Forces canadiennes n’avaient pas rendu de décision sur ce que seraient telles conséquences.

 

[79]           La réponse toute simple à cela, c’est que la Loi n’exige rien de tel du demandeur. Le texte de l’alinéa 41(1)e) est, selon moi, clair et évident, et il force la Commission à statuer sur une plainte déposée avant l’expiration d’un délai d’un an après le fait sur lequel elle est fondée. En l’espèce, le fait en question n’était pas le congé du demandeur, c’était la décision du DRCAC du 22 juin 2004 relative aux prestations, décision qui a suivi la réintégration du demandeur. Si cette réintégration n’avait pas eu lieu, alors il me semble que les précédents qui retiennent la date du congédiement auraient sans doute pu avoir une certaine pertinence. Mais il m’est impossible de voir comment cette date peut rester la date à retenir lorsqu’il y a eu réintégration et que les parties cherchent simplement à définir ce que devraient être les effets de cette réintégration.

 

[80]           Le défendeur fait aussi valoir que [traduction] « en renvoyant le dossier au DRCAC, le chef d’état‑major de la Défense ne demandait pas au DRCAC d’envisager une indemnité pour les prestations de pension perdues entre 1998 et 2004. Le demandeur n’a jamais demandé non plus que le DRCAC lui accorde une indemnité pour les prestations de pension perdues entre 1998 et 2004 ».

 

[81]           Si le demandeur n’a pas prié le DRCAC de faire quoi que ce soit, c’est parce qu’il avait affaire au chef d’état‑major de la Défense, qui lui avait dit, dans sa décision du 10 janvier 2004, qu’il renvoyait à une autre autorité diverses questions résultant de cette décision et qu’ [traduction] « [il] transmettrait également [le] dossier au DRCAC pour qu’il l’examine et qu’il [lui] réponde directement ».

[82]           Le demandeur fut alors informé directement par le DRCAC, le 30 janvier 2004, que le DRCAC examinerait son dossier et qu’il « rendrait une décision sur la responsabilité juridique et sur l’éventuelle compensation financière qui pourrait être justifiée dans cette affaire ».

 

[83]           Le demandeur fut donc informé que le DRCAC passerait en revue le dossier, puis rendrait une décision sur la « responsabilité juridique » consécutive à son congé et à sa réintégration. Aucun mot ne limitait cette expression. Nulle part il n’est dit que la question de la « responsabilité juridique » n’englobera pas l’aspect des prestations de pension perdues, et le chef d’état‑major de la Défense ne disait nulle part dans sa lettre au demandeur que le DRCAC n’examinerait pas la question desdites prestations. L’expression « responsabilité juridique » veut dire ce qu’elle dit. On pourrait difficilement prétendre qu’elle signifie autre chose que la somme totale de ce que les Forces canadiennes étaient tenues de verser au demandeur en conséquence de son congé et de sa réintégration ultérieure.

 

[84]           La lettre du 22 juin 2004 renferme la conclusion générale selon laquelle [traduction] « la Couronne n’est pas juridiquement responsable d’un quelconque agissement répréhensible lié [au] congé [du demandeur] des Forces canadiennes ».

 

[85]           Il convient de garder à l’esprit que la lettre du 22 juin 2004 est une lettre d’avocat qui dit aussi peu qu’il est possible, en raison des possibles conséquences juridiques. Pour des raisons évidentes, elle ne s’étend pas sur les diverses catégories de « responsabilité juridique » que les Forces canadiennes risquaient d’assumer. Et la lettre tente délibérément de rétrécir le champ d’une éventuelle responsabilité juridique en limitant les sujets au [traduction] « congé [du demandeur] des Forces armées canadiennes ».

 

[86]           Mais le chef d’état‑major de la Défense disait expressément ce qui suit au demandeur, dans sa décision du 10 janvier 2004 : [traduction] « Je n’ai pas le pouvoir de vous accorder une rente fondée sur vos états de service. Je suivrai la recommandation du CGFC de transmettre votre dossier au DRCAC pour qu’il examine la responsabilité juridique et l’éventuelle compensation financière qui pourrait être justifiée ».

 

[87]           À mon avis donc, le DRCAC était prié d’examiner la « responsabilité juridique et la compensation financière » qui pouvaient découler du congé du demandeur et de sa réintégration à la suite de la décision du chef d’état‑major de la Défense en date du 10 janvier 2004.

 

[88]           Si le DRCAC n’a pas examiné la responsabilité juridique des Forces canadiennes à propos du paiement au demandeur de ses prestations de pension perdues, alors il s’agit là d’un fait qui est survenu le 22 juin 2004, et la plainte du demandeur a été bel et bien déposée à l’intérieur du délai prévu par l’alinéa 41(1)e).

 

[89]           Quelle que soit la norme de contrôle applicable à la présente espèce (norme de la décision manifestement déraisonnable ou norme de la décision raisonnable simpliciter), la Commission a, selon moi, commis une erreur susceptible de contrôle quand elle a refusé de statuer au fond sur la plainte du demandeur, et cela parce que la plainte n’était pas prescrite.

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La décision de la Commission est annulée;

2.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

3.                  L’affaire est renvoyée à la Commission, qui entreprendra alors d’enquêter sur la plainte et statuera sur son bien‑fondé;

4.                  Le demandeur a droit aux dépens afférents à la présente demande.

 

      « James Russell »

                                                                                                                           Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑2097‑05

 

 

INTITULÉ :                                                   JEFFERY LEGERE

                                                                        c.

                                                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Fredericton (Nouveau‑Brunswick)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 11 JUILLET 2006

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE RUSSELL

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 11 AOÛT 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Matthew R. Letson

 

POUR LE DEMANDEUR

Jessica Harris

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lawson & Creamer

Saint‑Jean (N.‑B.)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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