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Date : 20250131


Dossier : T-824-23

Référence : 2025 CF 205

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Montréal (Québec), le 31 janvier 2025

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

CAVAN SPECIALITY ADVERTISING LTD.

demanderesse

et

LES PROMOTIONS UNIVERSELLES INC. S/N UNIVERSAL PROMOTIONS

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La défenderesse, Les Promotions Universelles inc. [LPU], présente une requête en jugement sommaire en vertu de l’article 213 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles]. La requête est présentée dans le cadre d’une action en violation du droit d’auteur [l’action] intentée par la demanderesse, Cavan Specialty Advertising Ltd. [Cavan]. Dans l’action, Cavan allègue que LPU a violé son droit d’auteur lorsqu’elle a créé et vendu des chandails kangourou portant le dessin d’une version contemporaine de la célèbre « Rosie la riveteuse » [Rosie] [le dessin de LPU]. Cavan allègue que le dessin de LPU est une copie illicite de son propre dessin contemporain de Rosie [le dessin de Cavan] et de la photo qui l’a inspiré [la Rosie contemporaine], à l’égard de laquelle Cavan est titulaire d’une licence exclusive accordée par l’auteur.

[2] Dans le cadre de la présente requête, LPU demande à la Cour de rendre un jugement sommaire et de rejeter l’action pour les motifs suivants : (1) l’action ne soulève aucune véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès; (ii) Cavan ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver l’existence d’une telle question, étant donné que sa preuve est déficiente; (iii) subsidiairement, l’action peut être tranchée sur la base d’un seul point de droit.

[3] Pour les motifs qui suivent, la requête sera rejetée. La Cour conclut que, à ce stade-ci, l’action n’est pas clairement dénuée de fondement juridique et qu’il existe donc une véritable question litigieuse. Plus précisément, la manière dont LPU a combiné et agencé certaines caractéristiques du dessin de Cavan, notamment le slogan, soulève une réelle possibilité que LPU ait reproduit une partie importante du dessin de Cavan. La Cour n’est pas non plus en mesure de conclure avec suffisamment de certitude que les similitudes entre les deux œuvres sont le simple produit de l’utilisation de sources communes ou que le dessin de LPU est une création indépendante. De plus, le point de droit que soulève LPU ne permet pas de trancher l’action. Le dessin de LPU ne reproduits pas seulement des éléments du dessin de Cavan qui ne peuvent être protégés, mais aussi son slogan et la combinaison de ses caractéristiques.

II. Contexte

A. Le contexte factuel

[4] Cavan et LPU vendent et distribuent toutes deux des articles promotionnels à des syndicats. Elles sont en concurrence directe.

[5] Au fil des ans, les parties ont chacune développé des produits à l’effigie de Rosie. Depuis la Seconde Guerre mondiale, Rosie est une figure emblématique du mouvement syndical nord-américain et de la solidarité féminine sur le marché du travail. Elle se retrouve sur divers produits promotionnels vendus et distribués en soutien au mouvement syndical féministe, tels que des chandails kangourou, des sacs et des affiches. Nul ne conteste que cette œuvre soit maintenant du domaine public.

[6] En 2016, Cavan a vu pour la première fois la Rosie contemporaine lors d’un événement à Winnipeg. Il s’agit d’une interprétation moderne de Rosie, qui montre une femme qui ressemble à Rosie et qui porte un tatouage manchette et une camisole aux couleurs vives. Cavan a contacté l’auteur, le photographe professionnel Michaël Fournier, et a obtenu une licence exclusive pour utiliser la photo en vue de créer une variété d’articles promotionnels à son image.

[7] En 2019, Cavan a engagé un entrepreneur indépendant, Fred Ladrillo, pour qu’il crée une nouvelle œuvre d’art représentant un groupe de femmes de diverses origines prenant la pose caractéristique de Rosie et intégrant, au milieu, la Rosie contemporaine. Le dessin de Cavan a été publié en 2019. Il est important de souligner que M. Ladrillo a orné le dessin de Cavan du slogan distinctif « Sisterhood – Solidarité féminine », placé juste en dessous des personnages féminins, afin d’affirmer le message de solidarité féminine du dessin. Le dessin de Cavan comprend également d’autres éléments, comme des grappes de roses et des tiges de blé en arrière-plan.

[8] En mai 2022, Unifor, un important syndicat canadien, a communiqué avec LPU pour passer une commande de chandails kangourou qui arboreraient un dessin de plusieurs Rosie de diverses origines culturelles. À cette fin, Unifor a fourni à LPU le dessin de Cavan comme source d’inspiration. LPU a répondu qu’elle ne pouvait pas utiliser le dessin de Cavan, mais qu’elle créerait plutôt un dessin original suivant le concept souhaité. LPU a ensuite fait appel aux services d’un graphiste, Tim Zollinger, pour qu’il crée le dessin demandé par Unifor. Dans ses instructions, LPU a demandé à M. Zollinger de ne pas copier le dessin de Cavan, mais plutôt de créer un nouveau dessin du même genre.

[9] Pour faciliter le travail de M. Zollinger, LPU lui a fourni plusieurs dessins dans le même style que la Rosie originale, tirés de ses archives. En même temps, M. Zollinger a commencé ses propres recherches en ligne et a fait plusieurs croquis basés sur des fichiers vectoriels de Rosies de diverses origines ethniques. Ces fichiers provenaient de sites Web offrant des dessins pouvant être utilisés sous licence et à des fins commerciales.

[10] Le dessin de LPU a été créé à partir du matériel fourni par LPU et des fichiers trouvés en ligne. M. Zollinger a disposé en rond cinq Rosies de diverses origines ethniques, qui se chevauchent. Une Rosie noire est au centre du dessin. Immédiatement à gauche de la Rosie noire se trouve une Rosie blanche, avec un tatouage noir sur le bras. M. Zollinger a également ajouté trois roses au bas du dessin, ainsi que les mots « sisterhood » et « solidarité féminine » autour de l’image.

[11] En juillet 2022, Unifor a approuvé la version finale du dessin de LPU et a passé une commande de 350 chandails kangourou. Ces chandails ont ensuite été offerts par Unifor lors de sa conférence annuelle sur la condition féminine en septembre 2022.

[12] En octobre 2022, Cavan a envoyé plusieurs courriels à LPU dans lesquels elle alléguait que LPU avait reproduit le dessin de Cavan et la Rosie contemporaine. Des discussions sous toutes réserves ont été entamées. Quelques semaines plus tard, Cavan s’est plainte qu’Unifor vendait toujours les chandails kangourou en ligne. Cavan a par la suite accepté qu’un nombre limité de ces chandails kangourou, soit environ 150, soient vendus jusqu’au 2 décembre 2022, en échange du retrait des produits arborant le dessin de LPU du site Web d’Unifor après cette date.

[13] Dans le cadre de ses discussions avec Cavan, LPU, sans admettre quoi que ce soit, a informé Cavan qu’elle modifierait son dessin pour le distinguer davantage du dessin de Cavan. M. Zollinger a donc remplacé le tatouage sur le bras de la Rosie blanche par un tatouage du logo d’Unifor, modifié les roses, inséré des tiges de blé sous les roses et ajouté les mots « strength » et « force » aux mots « sisterhood » et « solidarité féminine » [le dessin de LPU modifié].

[14] Le 27 février 2023, LPU a envoyé son dessin modifié à Cavan, mais celle-ci n’a pas répondu au courriel. Le 1er mars 2023, Cavan a envoyé à LPU une mise en demeure exigeant qu’elle cesse d’utiliser le dessin de LPU.

[15] Vers la fin du mois de mars 2023, Cavan a découvert, lors d’un événement d’Unifor, que le dessin de LPU et/ou le dessin de LPU modifié apparaissaient à nouveau sur des produits. Quelques semaines plus tard, le 18 avril 2023, Cavan a introduit l’action.

[16] Le 9 février 2024, en réponse à l’action, LPU a déposé la présente requête en jugement sommaire.

B. Les dispositions législatives pertinentes

[17] Les dispositions pertinentes des Règles sont les articles 3, 214 et 215, ainsi que les paragraphes 81(1) et 213(1), qui sont libellés comme suit :

Principe général

3 Les présentes règles sont interprétées et appliquées :

a) de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible;

b) compte tenu du principe de proportionnalité, notamment de la complexité de l’instance ainsi que de l’importance des questions et de la somme en litige.


[…]

Contenu

81 (1) Les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s’ils sont présentés à l’appui d’une requête – autre qu’une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire – auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l’appui.

[…]

Requête d’une partie

213 (1) Une partie peut présenter une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire à l’égard de toutes ou d’une partie des questions que soulèvent les actes de procédure. Le cas échéant, elle la présente après le dépôt de la défense du défendeur et avant que les heure, date et lieu de l’instruction soient fixés.

[…]

Faits et éléments de preuve nécessaires


214
La réponse à une requête en jugement sommaire ne peut être fondée sur un élément qui pourrait être produit ultérieurement en preuve dans l’instance. Elle doit énoncer les faits précis et produire les éléments de preuve démontrant l’existence d’une véritable question litigieuse.

Absence de véritable question litigieuse

215 (1) Si, par suite d’une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence.

Somme d’argent ou point de droit

(2) Si la Cour est convaincue que la seule véritable question litigieuse est :

[…]

b) un point de droit, elle peut statuer sur celui-ci et rendre un jugement sommaire en conséquence.

Pouvoirs de la Cour

(3) Si la Cour est convaincue qu’il existe une véritable question de fait ou de droit litigieuse à l’égard d’une déclaration ou d’une défense, elle peut :

a) néanmoins trancher cette question par voie de procès sommaire et rendre toute ordonnance nécessaire pour le déroulement de ce procès;

b) rejeter la requête en tout ou en partie et ordonner que l’action ou toute question litigieuse non tranchée par jugement sommaire soit instruite ou que l’action se poursuive à titre d’instance à gestion spéciale.

 

General principle

3 These Rules shall be interpreted and applied

(a) so as to secure the just, most expeditious and least expensive outcome of every proceeding; and

(b) with consideration being given to the principle of proportionality, including consideration of the proceeding’s complexity, the importance of the issues involved and the amount in dispute.

[…]

Content of affidavits

81 (1) Affidavits shall be confined to facts within the deponent’s personal knowledge except on motions, other than motions for summary judgment or summary trial, in which statements as to the deponent’s belief, with the grounds for it, may be included.

[…]

Motion by a party

213 (1) A party may bring a motion for summary judgment or summary trial on all or some of the issues raised in the pleadings at any time after the defendant has filed a defence but before the time and place for trial have been fixed.

[…]

Facts and evidence required

214 A response to a motion for summary judgment shall not rely on what might be adduced as evidence at a later stage in the proceedings. It must set out specific facts and adduce the evidence showing that there is a genuine issue for trial.



If no genuine issue for trial

215 (1) If on a motion for summary judgment the Court is satisfied that there is no genuine issue for trial with respect to a claim or defence, the Court shall grant summary judgment accordingly.

Genuine issue of amount or question of law

(2) If the Court is satisfied that the only genuine issue is

[…]

(b) a question of law, the Court may determine the question and grant summary judgment accordingly.

Powers of Court

(3) If the Court is satisfied that there is a genuine issue of fact or law for trial with respect to a claim or a defence, the Court may

(a) nevertheless determine that issue by way of summary trial and make any order necessary for the conduct of the summary trial; or

(b) dismiss the motion in whole or in part and order that the action, or the issues in the action not disposed of by summary judgment, proceed to trial or that the action be conducted as a specially managed proceeding.

 

[18] En ce qui concerne la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C-42 [LDA], les dispositions pertinentes sont les suivantes :

Definitions

2 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[…]

œuvre Est assimilé à une œuvre le titre de l’œuvre lorsque celui-ci est original et distinctif. (work)

[…]

contrefaçon

a) À l’égard d’une œuvre sur laquelle existe un droit d’auteur, toute reproduction, y compris l’imitation déguisée, qui a été faite contrairement à la présente loi ou qui a fait l’objet d’un acte contraire à la présente loi;

[…]

Droit d’auteur sur l’œuvre

3 (1) Le droit d’auteur sur l’œuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre, sous une forme matérielle quelconque, d’en exécuter ou d’en représenter la totalité ou une partie importante en public et, si l’œuvre n’est pas publiée, d’en publier la totalité ou une partie importante; ce droit comporte, en outre, le droit exclusif :

[…]

Règle générale

27 (1) Constitue une violation du droit d’auteur l’accomplissement, sans le consentement du titulaire de ce droit, d’un acte qu’en vertu de la présente loi seul ce titulaire a la faculté d’accomplir.

Violation à une étape ultérieure

(2) Constitue une violation du droit d’auteur l’accomplissement de tout acte ci-après en ce qui a trait à l’exemplaire d’une œuvre, d’une fixation d’une prestation, d’un enregistrement sonore ou d’une fixation d’un signal de communication alors que la personne qui accomplit l’acte sait ou devrait savoir que la production de l’exemplaire constitue une violation de ce droit, ou en constituerait une si l’exemplaire avait été produit au Canada par la personne qui l’a produit :

a) la vente ou la location;

b) la mise en circulation de façon à porter préjudice au titulaire du droit d’auteur;

c) la mise en circulation, la mise ou l’offre en vente ou en location, ou l’exposition en public, dans un but commercial;

[…]

Définitions

2 In this Act,

[…]

work includes the title thereof when such title is original and distinctive; (oeuvre)

[…]

infringing means

(a) in relation to a work in which copyright subsists, any copy, including any colourable imitation, made or dealt with in contravention of this Act,

[…]

Copyright in works

3 (1) For the purposes of this Act, copyright, in relation to a work, means the sole right to produce or reproduce the work or any substantial part thereof in any material form whatever, to perform the work or any substantial part thereof in public or, if the work is unpublished, to publish the work or any substantial part thereof, and includes the sole right

[…]

Infringement generally

27 (1) It is an infringement of copyright for any person to do, without the consent of the owner of the copyright, anything that by this Act only the owner of the copyright has the right to do.

Secondary infringement

(2) It is an infringement of copyright for any person to

(a) sell or rent out,

(b) distribute to such an extent as to affect prejudicially the owner of the copyright,

(c) by way of trade distribute, expose or offer for sale or rental, or exhibit in public,

[…]

a copy of a work, sound recording or fixation of a performer’s performance or of a communication signal that the person knows or should have known infringes copyright or would infringe copyright if it had been made in Canada by the person who made it.

III. Analyse

[19] LPU soutient en premier lieu que l’action ne soulève aucune véritable question litigieuse au motif qu’elle n’a aucun fondement juridique, la LDA ne comportant aucune disposition interdisant à quiconque de s’inspirer d’idées conventionnelles, d’éléments génériques, de concepts ou de mots courants. La LDA protège seulement l’expression de ceux-ci. Ainsi, LPU soutient qu’elle n’a pas copié une partie importante du dessin de Cavan et que son dessin est une création indépendante de M. Zollinger. En réponse, Cavan affirme que les éléments copiés par LPU ne sont pas des idées génériques tirées de la Rosie originale; il s’agit plutôt de l’expression d’idées originales qui résulte de l’exercice du talent et du jugement de M. Ladrillo et de M. Fournier (par exemple, les roses). Cavan fait également remarquer que LPU avait directement accès au dessin de Cavan au moment de la conception de son dessin, ce que LPU admet volontiers.

[20] De plus, LPU affirme que Cavan ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver l’existence d’une véritable question litigieuse. Elle soutient que l’affidavit de Kevin Gilhooly [l’affidavit de M. Gilhooly] n’est pas conforme à la Règle 81, parce qu’il contient du ouï-dire et des arguments, et que M. Gilhooly n’a pas été en mesure de remédier aux déficiences de sa preuve lors de son contre-interrogatoire. Par conséquent, selon LPU, Cavan n’a produit aucune preuve fiable concernant le processus de création de son dessin ou le moment où celui-ci a été créé. Pour sa part, Cavan soutient que M. Gilhooly a participé personnellement à la gestion de la création de son dessin. Cavan fait également remarquer que LPU a admis que la Rosie contemporaine et le dessin de Cavan sont tous deux protégés par le droit d’auteur. Subsidiairement, Cavan soutient que l’affidavit de M. Gilhooly satisfait aux exigences de nécessité et de fiabilité et qu’il est donc admissible à titre de preuve par ouï-dire.

[21] À titre subsidiaire, LPU soutient que l’action peut être tranchée sur la base d’un seul point de droit, soit la question de savoir s’il y a une cause d’action pour violation du droit d’auteur lorsque seuls les éléments d’une œuvre qui ne peuvent être protégés, comme des idées et des éléments génériques, ont été reproduits dans l’œuvre prétendument contrefaite. Pour sa part, Cavan soutient que les questions au cœur de l’action concernent plutôt l’originalité et l’importance de la partie reproduite, et qu’il s’agit de questions mixtes de fait et de droit, et non de pures questions de droit.

[22] Pour les motifs qui suivent, la Cour n’est pas convaincue par les arguments avancés par LPU — sauf en ce qui concerne certaines parties de l’affidavit de M. Gilhooly — et la requête sera rejetée.

A. Les objections à la preuve des parties

[23] Avant d’examiner le fond de la requête, la Cour doit se prononcer sur les objections que chaque partie a formulées à l’encontre du dossier de preuve de l’autre.

(1) Les parties argumentatives de l’affidavit de M. Gilhooly

[24] LPU conteste certains paragraphes de l’affidavit de M. Gilhooly au motif qu’ils contiennent des arguments, des conclusions de droit ainsi que des opinions.

[25] La Règle 81(1) prévoit que les faits exposés dans un affidavit doivent se limiter à ceux dont le déclarant a une connaissance personnelle et doivent être présentés « sans commentaires ni explications » (Bande indienne Coldwater c Canada (Procureur Général), 2019 CAF 292 au para 19 [Coldwater], citant Canada (Procureur général) c Quadrini, 2010 CAF 27 au para 18 [Quadrini]). En règle générale, contrairement au témoin expert, le témoin ordinaire ne peut pas rendre un témoignage d’opinion; il ne peut déposer que sur les faits relevant de ses connaissances, de ses observations et de son expérience (White Burgess Langille Inman c Abbott and Haliburton Co, 2015 CSC 23 au para 14 [White Burgess]; Toronto Real Estate Board c Canada (Commissaire de la concurrence), 2017 CAF 236 au para 78). Cela s’explique principalement par le fait que les opinions exprimées par les témoins ordinaires ne sont généralement pas utiles au décideur et peuvent l’induire en erreur (White Burgess au para 14).

[26] Nul ne conteste que M. Gilhooly soit un témoin ordinaire et non un expert. Ainsi, la Cour peut radier ou écarter son affidavit, ou une partie de celui-ci, s’il contient des opinions, des arguments ou des conclusions de droit (Choudhry c Canada (Procureur général), 2023 CF 1085 au para 39 [Choudhry], citant Quadrini au para 18 et Cadostin c Canada (Procureur général), 2020 CF 183 au para 36 [Cadostin]).

[27] En l’espèce, la Cour partage l’avis de LPU sur la présence d’une « argumentation controversée qui dépasse les limites de ce qui est permis » dans certaines parties de l’affidavit de M. Gilhooly, ce qui contrevient au paragraphe 81(1) des Règles (Coldwater au para 19, citant Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 116 au para 37). Plus précisément, certaines parties des paragraphes 40, 41, 43, 52, 55, 61, 64, 66 à 69 et 74 à 76 contiennent des opinions sur des conclusions de droit qui relèvent de la responsabilité du juge des faits, notamment sur la question de savoir si le dessin de LPU reproduit une partie importante du dessin de Cavan et de la Rosie contemporaine, et donc si LPU a violé le droit d’auteur sur les œuvres de Cavan. Par exemple, les passages suivants de l’affidavit de M. Gilhooly représentent l’expression d’une opinion :

▪ Paragraphe 40 : [traduction] « Il est tout à fait évident de mon point de vue que Promotions Universelles a copié notre Rosie contemporaine et notre dessin “Sisterhood” aussi fidèlement que possible, sans les copier exactement. »

▪ Paragraphe 41 : [traduction] « […] J’ai été choqué qu’un concurrent aussi proche copie de manière flagrante notre dessin “Sisterhood”. »

▪ Paragraphe 43 : [traduction] « Bien que Mme Veltman et moi n’étions pas d’accord avec M. Mimeault et que nous nous sentions lésés par le fait qu’un concurrent avait copié notre travail […] ».

▪ Paragraphe 55 : [traduction] « Lorsque nous avons découvert que Promotions Universelles n’avait pas modifié de façon substantielle le dessin contrefait et continuait de commercialiser une version légèrement modifiée auprès d’Unifor et d’autres groupes, nous étions contrariés, surtout compte tenu des concessions de bonne foi que nous avions faites à Promotions Universelles et à Unifor ».

[28] Dans une telle situation, la Cour a le pouvoir discrétionnaire de radier les paragraphes contestés ou de ne pas leur accorder de poids ou de valeur probante (CBS Canada Holdings Co c Canada, 2017 CAF 65 au para 17; Cadostin au para 36). Comme l’a demandé LPU, la Cour exercera son pouvoir discrétionnaire et n’accordera pas de poids ou de valeur probante aux passages de l’affidavit de M. Gilhooly qui constituent un témoignage d’opinion inadmissible (Choudhry aux para 43–44; Abi-Mansour c Canada (Procureur général), 2015 CF 882 aux para 30–31).

(2) Les allégations de ouï-dire à l’égard de l’affidavit de M. Gilhooly

[29] LPU soutient par ailleurs que M. Gilhooly n’a pas une connaissance personnelle du processus de création du dessin de Cavan et que les passages de son affidavit qui se rapportent aux éléments suivants constituent du ouï-dire : (i) la description des échanges entre M. Ladrillo et Mme Celia Huang qui ont donné lieu à la création du dessin de Cavan (affidavit de M. Gilhooly aux para 29–30); (ii) les étapes suivies par M. Ladrillo pour créer le dessin de Cavan; (iii) le processus d’approbation du dessin de Cavan par Mme Huang (affidavit de M. Gilhooly aux para 30, 31, 73); (iv) le bref témoignage non signé de M. Ladrillo, dans lequel il décrit le processus de création (affidavit de M. Gilhooly à la pièce 4).

[30] Après examen, la Cour ne souscrit pas aux objections fondées sur le ouï-dire qui ont été formulées par LPU. D’une part, M. Gilhooly a reçu une copie de tous les échanges entre ses employés et M. Mimeault concernant la contrefaçon alléguée. D’autre part, même si les autres passages contestés de l’affidavit (y compris la pièce 4) constituaient du ouï-dire, ils sont néanmoins admissibles. En effet, malgré le paragraphe 81(1) des Règles, la preuve par ouï-dire peut être admise par application de la méthode d’analyse raisonnée du ouï-dire, c’est-à-dire lorsque la double exigence de nécessité et de fiabilité est respectée (Cabral c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CAF 4 aux para 30–32).

[31] Le ouï-dire est une déclaration extrajudiciaire présentée pour établir la véracité de son contenu. Ses caractéristiques déterminantes essentielles sont les suivantes : « (1) le fait que la déclaration soit présentée pour établir la véracité de son contenu et (2) l’impossibilité de contre‑interroger le déclarant au moment précis où il fait cette déclaration » (R c Khelawon, 2006 CSC 57 au para 35 [Khelawon]). Par conséquent, les déclarations qui se rapportent à des faits dont le témoin n’a pas une connaissance personnelle constituent du ouï-dire et sont inadmissibles au titre de la Règle 81(1) (Canadian Tire Corp Ltd c PS Partsource Inc, 2001 CAF 8 au para 6). Dans le même ordre d’idées, la preuve documentaire présentée pour établir la véracité de son contenu constitue également du ouï-dire, étant donné qu’il n’est pas possible de contre-interroger l’auteur au moment où il a rédigé le document (Sopinka, Lederman & Bryant, The Law of Evidence in Canada, 5e éd, Toronto, LexisNexis Canada, 2018 au §18.9).

[32] Il est bien établi que la preuve par ouï-dire est présumée inadmissible, car il est souvent difficile pour le juge des faits d’en évaluer la véracité, et que le fait de s’y fier peut menacer l’intégrité du processus de recherche de la vérité et l’équité de l’audience (R c Bradshaw, 2017 CSC 35 au para 1 [Bradshaw]). Cette présomption d’inadmissibilité peut néanmoins être réfutée lorsqu’il est établi que la preuve proposée est visée par l’une des exceptions à la règle du ouï-dire prévues par la loi ou la common law. Ces exceptions visent à faciliter la recherche de la vérité en permettant l’admission en preuve des déclarations relatées qui sont faites de manière fiable ou qui peuvent être vérifiées adéquatement. Parmi les exceptions reconnues à la règle du ouï-dire, il existe la méthode d’analyse raisonnée, qui permet d’admettre le ouï-dire en preuve lorsqu’il respecte le double critère de la « nécessité » et de la « fiabilité » (Bradshaw au para 23; R c Mapara, 2005 CSC 23 au para 15). Il incombe à la personne qui cherche à présenter la preuve par ouï-dire d’établir ces critères selon la prépondérance des probabilités (Khelawon au para 47).

[33] La « nécessité » se rapporte à la pertinence et à la disponibilité de la preuve. Cette exigence est remplie lorsqu’il est « raisonnablement nécessaire » de présenter la preuve par ouï-dire pour obtenir la version des faits du déclarant (R c Khan, 1990 CanLII 77 (CSC), [1990] 2 RCS 531 à la p 546). Il s’agit d’un critère souple qui ne saurait être assimilé à la non-disponibilité du témoin (Khelawon au para 78). En fait, il peut même s’agir d’une simple question de commodité (Coldwater au para 53, citant R c Smith, 1992 CanLII 79 (CSC), [1992] 2 RCS 915 à la p 934). Par exemple, « [é]viter la production d’un nombre important et difficilement réalisable d’affidavits, pour plus de rapidité et d’efficacité, peut suffire à répondre à l’exigence de la nécessité » (Coldwater au para 59).

[34] La « fiabilité » s’entend du « seuil de fiabilité », qu’il appartient au juge des faits de déterminer. Ce seuil « peut être atteint s’il est démontré (1) qu’il existe d’autres façons adéquates de vérifier la vérité et l’exactitude (fiabilité d’ordre procédural), ou (2) qu’il existe des garanties circonstancielles ou relatives à la preuve conférant une fiabilité inhérente à la déclaration relatée (fiabilité substantielle) » (Bradshaw au para 27). Autrement dit, alors que la fiabilité d’ordre procédural porte sur la question de savoir s’il existe une base satisfaisante pour apprécier rationnellement la déclaration, la fiabilité substantielle porte sur la question de savoir si les circonstances, et tout élément de preuve corroborant, fournissent une base rationnelle pour rejeter les autres explications de la déclaration, hormis la véracité du déclarant ou l’exactitude de sa déclaration (Bradshaw au para 40).

[35] Les principes de nécessité et de fiabilité ne sont pas des critères fixes. Il s’agit de critères souples qui vont de pair. Si la preuve est très fiable, l’exigence de nécessité peut être assouplie. À l’inverse, si la nécessité est grande, la fiabilité peut être moindre (R c Baldree, 2013 CSC 35 au para 72; Khelawon aux para 46, 77, 86).

[36] En l’espèce, la Cour conclut que les critères de fiabilité et de nécessité sont remplis — quoique de justesse — et admet la preuve par ouï-dire contenue dans l’affidavit de M. Gilhooly.

[37] Premièrement, les éléments de preuve relatifs au processus de création du dessin de Cavan sont plutôt fiables. En tant que propriétaire, président, secrétaire et administrateur d’une petite entreprise comme Cavan, M. Gilhooly a participé personnellement à la gestion du processus de création du dessin de Cavan. LPU reconnaît également que Cavan est la propriétaire de son dessin. Compte tenu de ce qui précède, la Cour est convaincue que M. Gilhooly est bien placé pour relater le processus de création du dessin de Cavan. Les croquis des diverses Rosies, qui constituent la pièce 6 de l’affidavit de M. Gilhooly, semblent également provenir de M. Ladrillo, et cette pièce n’est pas visée par les allégations de ouï-dire de LPU.

[38] Deuxièmement, compte tenu de la fiabilité de la preuve, le critère de nécessité peut être légèrement assoupli. Ce faisant, bien qu’il eût été préférable de présenter des affidavits souscrits par M. Ladrillo et Mme Huang, la Cour reconnaît la nécessité d’admettre la preuve par ouï-dire, dans le seul but de trancher la requête, conformément aux objectifs d’équité, de célérité et d’économie énoncés à la Règle 3.

[39] La Cour note en outre que « l’exception de la preuve relative à l’entreprise provenant d’un subalterne » peut également s’appliquer en l’espèce pour permettre l’admission de la preuve par ouï-dire contenue dans l’affidavit de M. Gilhooly. Par souci de clarté, il ne s’agit pas d’une exception reconnue à la règle du ouï-dire; c’est une exception qui découle plutôt de l’application de la méthode d’analyse raisonnée du ouï-dire (Merck Sharp & Dohme Corp c Pharmascience Inc, 2022 CF 417 au para 48). La Cour estime toutefois qu’elle est utile en l’espèce, puisque M. Gilhooly occupait un poste de supervision au sein de Cavan, de sorte que les critères liés à la méthode d’analyse raisonnée sont remplis.

[40] L’arrêt Coldwater, rendu par le juge Stratas, est le précédent applicable en ce qui a trait à « l’exception de la preuve relative à l’entreprise provenant d’un subalterne ». Dans cet arrêt, la Cour d’appel fédérale [CAF] a reconnu qu’une personne qui occupe un rôle de supervision au sein d’un service est considérée comme ayant une connaissance personnelle suffisante pour témoigner directement au sujet « des conduites, des activités et des événements au sein du service ou en périphérie » (Coldwater aux para 42, 46). Dans ses motifs, le juge Stratas renvoie aux paragraphes 105 à 116 de l’arrêt Pfizer Canada Inc c Teva Canada Limited, 2016 CAF 161 [Pfizer], et fait observer que le témoignage d’un superviseur de service ou d’une personne occupant un poste semblable relativement aux activités de son service, à la conduite de ses employés et aux événements ayant lieu en lien avec son service est admissible, étant donné que les superviseurs ou les personnes occupant un poste semblable ont une connaissance suffisamment directe et personnelle de ces faits, compte tenu des fonctions qu’ils exercent et de l’autorité qu’ils ont sur les employés (Coldwater au para 42).

[41] À la lumière des arrêts Coldwater et Pfizer, il ne fait aucun doute que « l’exception de la preuve relative à l’entreprise provenant d’un subalterne » a une portée limitée. « Elle s’applique seulement lorsqu’une personne exerce une fonction de supervision relativement à certaines actions précises au sein de son entreprise, lorsque ces actions sont accomplies par des subalternes qui relèvent de sa supervision. Dans ces situations, le superviseur n’a pas besoin d’être directement impliqué dans l’ensemble des conduites, des activités et des événements au sein de son service pour pouvoir en témoigner dans une déclaration. On peut considérer que le superviseur a une connaissance directe suffisante de ces actions pour en témoigner » (Canada (Commissaire de la concurrence) c Parrish & Heimbecker, Limited, 2020 Trib Conc 15, 2020 CanLII 100059 au para 47).

[42] En l’espèce, la Cour conclut que la preuve par ouï-dire contenue dans l’affidavit de M. Gilhooly entre dans le champ restreint de « l’exception relative à la preuve provenant d’un superviseur ». Comme LPU l’a fait ressortir lors de son contre-interrogatoire de M. Gilhooly, celui-ci n’a pas participé directement au processus de création du dessin de Cavan. Néanmoins, en sa qualité de propriétaire, de président, de secrétaire et d’administrateur de Cavan, il occupait un poste de supervision par rapport à Mme Huang, l’employée directement responsable de la gestion du travail de M. Ladrillo relativement au dessin de Cavan. C’est en vertu de ses responsabilités au sein de Cavan et de son poste de supervision que M. Gilhooly est en mesure de témoigner sur le travail ou les actions des membres de son équipe sans nécessairement en avoir une connaissance directe, et de savoir que les faits contenus dans les déclarations de ses subalternes sont vrais.

(3) L’objection de Cavan quant à l’origine de la Rosie blanche sur le dessin de LPU

[43] Enfin, à l’audience relative à la requête, l’avocate de Cavan a demandé à la Cour de se prononcer sur son objection quant à l’origine de la Rosie blanche dans le dessin de LPU.

[44] Pendant le réinterrogatoire de M. Zollinger, l’avocate de LPU lui a demandé d’où provenait la Rosie blanche et s’il avait toujours le fichier vectoriel en question. M. Zollinger a répondu que la Rosie blanche provenait du même endroit que la Rosie noire, c’est-à-dire du site Web « buytshirtdesign.com », et que c’était à cet endroit qu’il avait obtenu le fichier vectoriel original de la Rosie blanche. Cependant, il n’avait pas été en mesure de le retrouver lorsqu’il avait préparé son affidavit. L’avocate de Cavan s’est opposée à cette série de questions, car il n’était pas question de l’origine de la Rosie blanche dans l’affidavit de M. Zollinger.

[45] Le réinterrogatoire vise à préciser et à expliquer le témoignage d’un témoin. Le réinterrogatoire d’un déposant doit se limiter aux questions qui ont été soulevées en contre‑interrogatoire, et il ne peut servir à présenter des éléments de preuve qui auraient dû figurer dans l’affidavit (Canada (Revenu national) c ASB Holdings Limited, 2024 CF 494 au para 32, renvoyant à R v Candir, 2009 ONCA 915 au para 148 [Candir]; voir aussi R c Evans, 1993 CanLII 102 (CSC), [1993] 2 RCS 629 à la p 644).

[46] Après avoir examiné le contre-interrogatoire de M. Zollinger, la Cour rejette l’objection de Cavan. La Cour conclut que les questions posées par LPU sur l’origine de la Rosie blanche étaient acceptables dans le cadre du réinterrogatoire. Au cours du contre-interrogatoire, l’avocate de Cavan avait posé à M. Zollinger essentiellement les mêmes questions sur la source de la Rosie blanche que celles posées par l’avocate de LPU lors du réinterrogatoire (transcription du contre-interrogatoire de M. Zollinger, aux pp 26–27). Par conséquent, la Cour est satisfaite que la série de questions posées par l’avocate de LPU visait en grande partie à [traduction] « donner des précisions et des explications »; il ne s’agissait pas d’une tentative d’introduire de nouveaux faits qui ne figuraient pas dans l’affidavit de M. Zollinger (Candir au para 148).

B. Le jugement sommaire n’est pas le moyen approprié de trancher l’action

(1) Le critère en matière de jugement sommaire

[47] Dans une requête en jugement sommaire, la partie requérante demande à la Cour de trancher sommairement un litige ou une partie importante de celui-ci, afin d’éviter la tenue d’un procès complet et d’économiser temps, argent et énergie. La partie requérante doit donc convaincre la Cour que le succès de l’affaire est tellement douteux que celle-ci ne mérite pas d’être examinée par le juge des faits au procès ultérieur.

[48] Aux termes de la Règle 215(1), la Cour rend un jugement sommaire lorsqu’elle est convaincue « qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense ». Le fondement de cette règle est clair : « un procès, avec toutes les conséquences qui en résulteraient pour les parties et les coûts associés à l’administration de la justice, n’est tenu que s’il existe une véritable question litigieuse qui ne peut être tranchée autrement » (CanMar Foods Ltd c TA Foods Ltd, 2021 CAF 7 au para 24 [CanMar]).

[49] Il n’existe pas de véritable question litigieuse si la demande est dénuée de fondement juridique compte tenu du droit ou de la preuve au dossier, ou si le juge saisi de la requête dispose de la preuve nécessaire pour trancher justement et équitablement le litige (Canada c Bezan Cattle Corporation, 2023 CAF 95 au para 138; Gemak Trust c Jempak Corporation, 2022 CAF 141 au para 54 [Gemak]; Gupta c Canada, 2021 CAF 31 au para 29; Manitoba c Canada, 2015 CAF 57 au para 15 [Manitoba], citant Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7 au para 66 [Hryniak]; Andrie LLC c Bluewater Ferry Limited, 2023 CF 155 au para 35 [Andrie]; Milano Pizza Ltd c 6034799 Canada Inc, 2018 CF 1112 au para 31 [Milano]).

[50] Le critère énoncé à la Règle 215(1) « est non pas de savoir si une partie a des chances d’obtenir gain de cause au procès, mais plutôt de déterminer si l’affaire est clairement sans fondement ou si son succès est tellement douteux qu’elle ne mérite pas d’être examinée par le juge des faits au procès ultérieur » (CanMar au para 24; voir aussi Gemak au para 66). Il n’est pas nécessaire que l’affaire figure parmi les « affaires particulièrement claires » (Gemak au para 66). Toutefois, elle doit être clairement dénuée de fondement juridique. Si la Cour a de sérieux doutes à cet égard, la requête en jugement sommaire sera rejetée et l’affaire sera instruite (Techno-Pieux Inc c Techno Piles Inc, 2022 CF 721 au para 143 [Techno-Pieux]).

[51] Dans l’arrêt Hryniak, la Cour suprême du Canada [CSC] a conclu qu’il n’y a pas de véritable question litigieuse lorsque le juge saisi de la requête est en mesure de statuer justement et équitablement sur un litige. C’est le cas lorsque la procédure de jugement sommaire « (1) permet au juge de tirer les conclusions de fait nécessaires, (2) lui permet d’appliquer les règles de droit aux faits et (3) constitue un moyen proportionné, plus expéditif et moins coûteux d’arriver à un résultat juste » (Hryniak au para 49). Cela dit, il convient de rappeler que l’arrêt Hryniak concernait l’article 20 des Règles de procédure civile de l’Ontario, RRO 1990, Règl 194, dont le libellé est différent de la Règle 215(1). Dans l’arrêt Manitoba, la CAF a conclu que Hryniak n’avait pas d’incidence réelle sur la procédure à suivre et les normes à appliquer lorsque l’on est saisi d’une requête en jugement sommaire au titre de la Règle 215(1) (Manitoba aux para 11–15). En réalité, l’arrêt Hryniak s’applique « uniquement dans la mesure où il nous rappelle certains des principes présents dans nos propres règles », plus précisément ceux énoncés à la Règle 3 (Manitoba aux para 11, 15; voir aussi Lauzon c Canada (Agence du revenu), 2021 CF 431 aux para 19–21). En somme, contrairement à ce que l’avocate de LPU a affirmé à l’audience, l’arrêt Hryniak n’a ni élargi ni modifié le critère en matière de jugement sommaire appliqué par les cours fédérales. Il énonce plutôt des principes généraux qui devraient aider la Cour à déterminer si une demande est dénuée de fondement juridique.

[52] En ce qui concerne le fardeau de la preuve, il incombe à la partie qui présente une requête en jugement sommaire de démontrer qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse. Il s’agit d’un fardeau élevé (Saskatchewan (Procureur général) c Première Nation de Witchekan Lake, 2023 CAF 105 au para 23 [Witchekan Lake], citant Canada (Procureur général) c Lameman, 2008 CSC 14 au para 11 [Lameman]). Si la partie requérante satisfait à ce critère rigoureux, la Règle 214 prévoit « [qu’]il incombe ensuite à la “partie intimée de présenter des faits précis démontrant qu’il existe une véritable question litigieuse, et ce outre ses actes de procédure” » (Witchekan Lake, au para 23, citant CanMar au para 27). Il incombe donc aux deux parties de « présenter leurs meilleurs arguments », même si le fardeau initial incombe à la partie requérante (Lameman au para 11; CanMar au para 27). En effet, la Cour est en droit de supposer que, si l’affaire devait faire l’objet d’un procès, aucun élément de preuve supplémentaire ne serait présenté (Andrie au para 39, Conseil Kaska Dena c Canada, 2018 CF 218 au para 23; Rude Native Inc c Tyrone T Resto Lounge, 2010 CF 1278 au para 16).

[53] Il convient toutefois de souligner que, dans le cadre d’une requête en jugement sommaire, la partie intimée, en présentant ses meilleurs arguments, doit présenter des éléments de preuve uniquement pour démontrer qu’il existe une véritable question litigieuse, et non pour démontrer qu’elle aura gain de cause sur le fond.

[54] Subsidiairement, en vertu de la Règle 215(2)b), si la seule véritable question litigieuse est un point de droit, la Cour peut statuer sur celui-ci et rendre un jugement sommaire en conséquence (Boehringer Ingelheim (Canada) Ltée c Sandoz Canada Inc, 2023 CF 241 aux para 25, 29–30)

(2) L’action n’est pas clairement dénuée de fondement juridique

a) Les principes du droit d’auteur applicables

[55] La LDA a pour objet d’établir « un équilibre entre, d’une part, la promotion, dans l’intérêt du public, de la création et de la diffusion des œuvres artistiques et intellectuelles et, d’autre part, l’obtention d’une juste récompense pour le créateur » (Théberge c Galerie d’Art du Petit Champlain inc, 2002 CSC 34 au para 30; voir aussi Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c Entertainment Software Association, 2022 CSC 30 au para 67). Toutefois, elle ne donne pas à l’auteur le monopole sur les idées ou sur les éléments qui relèvent du domaine public. Ceux-ci constituent une partie importante de la culture collective et tous sont libres de s’en inspirer (Cinar Corporation c Robinson, 2013 CSC 73 au para 23 [Cinar]).

[56] La LDA protège toute œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique originale (article 5 LDA). Elle protège l’expression des idées dans ces œuvres, et non les idées comme telles (Cinar au para 24; CCH Canadienne Ltée c Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13 au para 8 [CCH]). La distinction entre les idées et leur expression est également un principe fondamental du droit d’auteur en Angleterre et aux États-Unis, mais la définition d’une idée est plus large aux États-Unis qu’au Canada ou en Angleterre, de sorte que la portée de la protection du droit d’auteur est plus limitée dans ce pays (Andrews c McHale, 2016 CF 624 au para 86, citant Delrina Corp v Triolet Systems Inc, 2002 CanLII 11389 (ON CA), 58 OR (3e) 339 aux para 32–36).

[57] Il n’est pas nécessaire qu’une œuvre soit novatrice ou unique pour être originale au sens de la LDA. Elle doit simplement résulter de « l’exercice du talent et du jugement » (Cinar au para 24; CCH au para 16). Le talent se manifeste par « le recours aux connaissances personnelles, à une aptitude acquise ou à une compétence issue de l’expérience pour produire l’œuvre », alors que le jugement est « la faculté de discernement ou la capacité de se faire une opinion ou de procéder à une évaluation en comparant différentes options possibles pour produire l’œuvre » (CCH au para 16).

[58] Étant donné que l’originalité n’exige pas d’innovation, « l’utilisation de techniques et de méthodes courantes peut encore donner lieu à une œuvre originale » (Pyrrha Design Inc c Plum and Posey Inc, 2019 CF 129 au para 110 [Pyrrha CF], conf par 2022 CAF 7 [Pyrrha CAF], renvoyant à Rains v Molea, 2013 ONSC 5016 aux para 13–16 [Rains]). Par exemple, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a reconnu le droit d’auteur d’un artiste sur des peintures représentant des morceaux de papier froissé (Rains aux para 12–16). Dans cette décision, la juge Victoria Chiappetta a fait remarquer que de nombreux éléments des peintures n’étaient pas propres à l’artiste, car ils avaient [traduction] « certes été influencés par de grands peintres » (Rains au para 13). Toutefois, le fait que, dans la création de ses peintures, l’artiste a eu recours [traduction] « à des éléments et à des procédés employés couramment par les peintres depuis des siècles ne rend pas ses images moins originales; c’est la preuve que le processus de création en arts visuels consiste à exercer son talent et son jugement pour combiner des influences et des éléments courants pour créer une image originale » (Rains au para 13). Les cours canadiennes ont également reconnu le caractère original d’œuvres relativement simples comme des résumés jurisprudentiels, un formulaire d’impôt conçu pour la formation d’employés, un guide d’achat d’automobiles faisant état du marché des ventes privées et des ventes au détail, de même qu’un annuaire téléphonique et un dictionnaire (Lainco Inc c Commission scolaire des Bois-Francs, 2017 CF 825 au para 95 [Lainco]).

[59] Le droit d’auteur sur une œuvre originale comporte le droit exclusif de produire ou de reproduire la totalité ou une partie de l’œuvre, sous une forme matérielle quelconque (article 3 LDA). Il y a donc violation du droit d’auteur lorsqu’une personne reproduit l’œuvre protégée, ou une partie importante de celle-ci, sans le consentement du titulaire du droit d’auteur (paragraphe 27(1) LDA).

[60] Le concept de « partie importante » de l’œuvre est souple. Il s’agit d’une question de fait et de degré : « [e]n règle générale, une partie importante d’une œuvre est une partie qui représente une part importante du talent et du jugement de l’auteur exprimés dans l’œuvre » (Cinar au para 26). Ce concept est évalué sur une base qualitative plutôt que quantitative. L’analyse ne se limite donc pas à compter le nombre de similitudes entre l’œuvre originale et l’œuvre prétendument contrefaite. Un élément particulier d’une œuvre originale peut représenter à lui seul une partie importante de l’œuvre s’il est susceptible d’avoir une incidence sur la valeur de l’œuvre dans son ensemble, au même titre que plusieurs éléments moins marquants de l’œuvre, s’ils ont une incidence similaire lorsqu’ils sont considérés ensemble (voir, a contrario, Cinar au para 25). Cela dit, il convient de mentionner que la protection du droit d’auteur sur les œuvres « simples » est limitée, ce qui signifie que la partie reproduite doit être encore plus importante : « plus une œuvre protégée par un droit d’auteur est simple, plus la copie de celle-ci doit être parfaite pour constituer une violation de ce droit » (Pyrrha CAF, au para 53, citant DRG Inc c Datafile Ltd, 1987 CanLII 8999 (CF), [1988] 2 CF 243 à la p 256 [DRG], conf par [1991] FCJ No 144 (CAF)).

[61] Pour évaluer l’importance de la partie reproduite de l’œuvre, il faut procéder à une analyse qualitative et globale de l’œuvre originale et de l’œuvre prétendument contrefaite. Concrètement, il faut, d’une part, évaluer l’effet cumulatif des similitudes entre les œuvres et, d’autre part, décider si elles constituent dans l’ensemble une « partie importante » du talent et du jugement dont a fait preuve l’auteur (Cinar aux para 35–36; Pyrrha CF au para 126). C’est donc dire qu’il ne faut pas « analyser l’importance des caractéristiques reproduites en les examinant chacune isolément » (Cinar au para 36). Il est important de noter que les éléments non originaux ne doivent pas être écartés de l’analyse et peuvent s’insérer dans la « partie importante » lorsque la combinaison particulière de ces éléments a été reproduite dans l’œuvre prétendument contrefaite (Cinar au para 36; Pyrrha CF aux para 127–128).

[62] De plus, le fait de modifier certaines caractéristiques reproduites ou de les intégrer dans une œuvre qui est considérablement différente de celle protégée par le droit d’auteur n’a pas nécessairement pour effet d’écarter la possibilité que le demandeur ait gain de cause (Cinar au para 39). En effet, la violation du droit d’auteur peut découler d’une situation où une personne crée une « imitation déguisée » de l’œuvre (voir la définition de « contrefaçon » à l’article 2 LDA), c’est-à-dire « une forme de l’œuvre originale qui a été altérée ou modifiée de façon à tromper (Techno-Pieux au para 120, citant Rains au para 45, et May M. Cheng et Michael Shortt, « Colourable Imitation: The Neglected Foundation of Copyright Law » (2012) 17 Intellectual Property à la p 1131).

[63] Enfin, à défaut de preuve directe de copie, la Cour peut déduire qu’il y a eu violation du droit d’auteur si la preuve démontre (1) qu’il existe une similitude importante entre les deux œuvres et (2) que l’auteur de la contrefaçon avait accès à l’œuvre protégée par le droit d’auteur au moment où il a conçu l’œuvre prétendument contrefaite (Techno-Pieux au para 121; Pyrrha CF aux para 121–122, citant Philip Morris Products SA c Malboro Canada Limitée, 2010 CF 1099 aux para 315, 320 [Philip Morris], conf par 2012 CAF 201 au para 119). Cependant, cette conclusion peut être réfutée s’il est établi que les similitudes entre les deux œuvres découlent uniquement de l’utilisation d’idées conventionnelles ou d’une source commune, ou que l’œuvre prétendument contrefaite est une création indépendante de l’œuvre originale (Pyrrha CF au para 122, citant Philip Morris au para 320; voir aussi Techno-Pieux au para 121).

b) Il n’est pas clair que le dessin de LPU est une contrefaçon

[64] À la suite d’un examen minutieux des deux œuvres qui font l’objet du litige, la Cour conclut que LPU ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver l’absence de véritable question litigieuse, car il subsiste un doute quant à savoir si le dessin de LPU est une création originale ou une contrefaçon du dessin de Cavan.

[65] Il est tout d’abord important de souligner que LPU reconnaît que le dessin de Cavan et la Rosie contemporaine sont des œuvres protégées par le droit d’auteur, et que Cavan est la titulaire du droit d’auteur. LPU ne conteste pas non plus le fait qu’Unifor lui a montré le dessin de Cavan lorsqu’elle a passé la commande de chandails kangourou pour sa conférence annuelle sur la condition féminine en 2022. De ce fait, la question au cœur de l’action est exclusivement celle de savoir si LPU a reproduit une partie importante du dessin de Cavan.

[66] Dans son mémoire, LPU fournit un tableau comparatif mettant en évidence toutes les différences entre les deux œuvres. À titre d’exemples, mentionnons les différences suivantes présentées dans le tableau : (i) il n’y a pas de Rosie latine, autochtone ou LGBTQ+ dans le dessin de Cavan; (ii) la Rosie blanche de LPU n’a pas le tatouage manchette distinctif de la Rosie contemporaine, contrairement à la Rosie blanche du dessin de Cavan; et (iii) les textures utilisées pour les Rosies du dessin de LPU sont plus complexes et réalistes que celles utilisées pour les Rosies du dessin de Cavan.

[67] À la suite de son analyse comparative, LPU conclut que les seules similitudes entre son dessin et celui de Cavan (et la Rosie contemporaine) découlent d’éléments tirés de sources communes du domaine public, à savoir la Rosie originale et ses attributs physiques génériques, le fait de présenter une Rosie tatouée, noire, musulmane ou asiatique, l’utilisation des symboles génériques des cercles syndicaux féministes (comme les roses) et l’utilisation de mots communs comme « sisterhood » ou « solidarité féminine ». Autrement dit, ces caractéristiques ne seraient pas des éléments originaux du dessin de Cavan ou de la Rosie contemporaine; il s’agirait plutôt de simples idées. Compte tenu de ce qui précède, LPU affirme que Cavan ne pouvait empêcher quiconque de les utiliser sous prétexte que son droit d’auteur lui conférait des droits exclusifs.

[68] La Cour partage l’avis de LPU à l’effet qu’il y a plusieurs différences entre les deux œuvres. Le dessin de LPU n’est certainement pas une copie exacte du dessin de Cavan. Néanmoins, l’approche strictement comparative de LPU équivaut essentiellement à analyser chaque caractéristique isolément ou à procéder à une dissection, ce que la CSC a interdit au paragraphe 36 de l’arrêt Cinar. Ce type d’analyse est proscrit en raison de l’importance d’une évaluation holistique et qualitative et du concept d’« imitation déguisée ». Par exemple, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a conclu que les différences entre deux maisons en rangée n’enlevaient rien au fait qu’il existait une similitude importante entre les deux œuvres, et elle a conclu à une violation du droit d’auteur : [traduction] « De fait, malgré certaines différences, notamment sur le plan de l’esthétique et de la construction, les deux projets demeurent remarquablement semblables en ce qui a trait à la conception et à l’aménagement d’ensemble, comme en témoignent le style des maisons, leur apparence extérieure, la disposition des pièces et la circulation intérieure » (1422986 Ontario Limited v 1833326 Ontario Limited, 2020 ONSC 1041 au para 80 [1422986 Ontario]).

[69] Après avoir effectué une analyse holistique et qualitative préliminaire du dessin de LPU et du dessin de Cavan, la Cour est d’avis qu’il subsiste suffisamment de similitudes entre les deux œuvres pour l’empêcher de conclure, à ce stade-ci, que l’action est clairement dénuée de fondement juridique.

[70] LPU affirme à juste titre qu’il n’est pas nécessaire qu’une affaire soit parmi les plus manifestement mal fondées pour conclure qu’il n’y a pas de véritable question litigieuse (Gemak au para 66). Cela dit, il n’en demeure pas moins que l’absence de fondement juridique doit être claire, ce qui impose au « requérant un lourd fardeau » (CanMar au para 24; voir aussi Witchekan Lake au para 23, citant Lameman au para 11). Par conséquent, si la Cour a de sérieux doutes quant au bien-fondé de l’affaire, elle ne peut accorder un jugement sommaire. En effet, la Cour doit faire preuve de prudence lorsqu’elle se prononce sur une requête en jugement sommaire, car le prononcé d’un tel jugement prive la partie perdante de la possibilité de présenter des témoignages de vive voix au juge du procès. Autrement dit, la partie perdante est privée de « la possibilité de se faire entendre en cour » (Gemak au para 73, citant Milano au para 40, conf par 2023 CAF 85, et Apotex Inc c Merck & Co, 2004 CF 314 au para 12, conf par 2004 CAF 298).

[71] En l’espèce, l’effet cumulatif de la combinaison particulière des Rosies de diverses origines ethniques, de la Rosie contemporaine avec son tatouage manchette, des roses et des mots « sisterhood » et « solidarité féminine » laisse voir que l’action n’est pas dénuée de fondement. La Cour est satisfaite qu’il est plausible que cette composition, ces dessins et ces itérations de conception ont nécessité l’exercice du talent et du jugement de M. Ladrillo et de l’équipe de Cavan. Il va sans dire que le rejet de la présente requête ne signifie pas que, sur le fond de l’action, le juge du procès devrait conclure à la violation du droit d’auteur. La Cour juge seulement que LPU ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver que l’action est clairement dénuée de fondement. Sur le fond, l’action pourrait très bien être rejetée en raison du fait que les similitudes doivent être importantes lorsque les œuvres sont simples (Pyrrha CAF au para 53, citant DRG à la p 256), selon l’appréciation du droit et de la preuve par le juge du procès.

(i) L’agencement particulier des éléments du dessin de Cavan

[72] La Cour est disposée à reconnaître que, pris individuellement, les quatre éléments suivants du dessin de Cavan ne sont que des idées provenant du domaine public : (i) la Rosie originale et ses attributs physiques génériques; (ii) le fait de présenter une Rosie tatouée, noire, musulmane ou asiatique; (iii) l’utilisation des symboles génériques des cercles syndicaux féministes comme les roses; et (iv) l’utilisation de mots communs comme « sisterhood » et « solidarité féminine ». Le droit d’auteur sur la Rosie originale est expiré depuis longtemps, et le fait de présenter un personnage tatoué (sauf si un tatouage original en particulier est copié) ou d’une race ou d’un genre particulier, ainsi que l’utilisation de mots communs et d’autres idées conventionnelles, ne peuvent pas en soi être protégés par le droit d’auteur. Cependant, la Cour répète que les éléments non originaux ne devraient pas être écartés de l’analyse, car ils peuvent s’insérer dans la partie importante reproduite lorsque la combinaison particulière de ces éléments a été copiée (Cinar au para 36; Pyrrha CF aux para 127–128).

[73] De même, une œuvre créée par la compilation d’éléments produits ou conçus par d’autres peut être protégée par le droit d’auteur dans la mesure où leur agencement par l’auteur découle de l’exercice de son talent et de son jugement. Dans l’arrêt CCH, la CSC a déclaré qu’une personne peut détenir un droit d’auteur « sur la forme que prend la compilation », car ce ne sont pas les divers éléments de la compilation qui sont visés par le droit d’auteur, mais bien « leur agencement global qui est le fruit du travail [de l’auteur] » (CCH, au para 33; voir aussi Lainco aux para 84–85). En l’espèce, lorsque Cavan a créé son dessin, elle a réutilisé des idées plutôt que du matériel tangible produit par d’autres (sauf en ce qui a trait à la Rosie contemporaine), mais le principe demeure que le droit d’auteur « protège l’originalité de la forme ou de l’expression » (CCH au para 33).

[74] À titre d’exemple, au paragraphe 82 de la décision 1422986 Ontario, la juge Tracey Nieckarz a conclu que les caractéristiques génériques communes à deux maisons en rangée (par exemple, le fait que la salle de bain et la cuisine partagent la plomberie), qu’on pourrait considérer comme des idées individuelles, représentaient, lorsqu’elles étaient prises dans leur ensemble, une partie importante du talent et du jugement de l’architecte en raison de la reproduction de la compilation et de l’agencement particuliers de ces caractéristiques :

[traduction]

[82] Les défendeurs soutiennent que, même s’il existe des similitudes importantes entre les deux projets, c’est uniquement parce qu’il n’y a rien d’unique dans l’aménagement des maisons en rangée du boulevard Weiler ou dans un plan de maison qui comporte une pièce au-dessus du garage. Ils soutiennent en outre qu’il n’y a rien d’unique dans le fait d’avoir une porte à côté du garage, une salle de bain partageant la plomberie avec la cuisine, une fenêtre au-dessus de la porte ou du garage et d’autres caractéristiques de la conception. Je suis d’accord avec les défendeurs à cet égard. Rien n’indique que chacun de ces éléments, ainsi que d’autres caractéristiques telles qu’un plan de maison à paliers, sont des éléments de conception uniques à la demanderesse en ce sens qu’elle les a créés. Cette conclusion ressort également clairement des témoignages des deux experts. Cependant, ce n’est pas simplement le fait que les deux projets sont des modèles de maison ayant une pièce au-dessus du garage ou ont plusieurs caractéristiques semblables ou des éléments de conception communs qui mène à la conclusion que le projet de la rue Nelson est une reproduction du projet du boulevard Weiler. Cette conclusion découle aussi de l’agencement de tous ces détails et de la reproduction de la façon dont ces caractéristiques ont été compilées par la demanderesse dans un concept de projet regroupant plusieurs unités de maisons en rangée, à paliers, comportant une pièce au-dessus du garage, qu’elle a créé en exerçant son talent et son jugement.

[Soulignements ajoutés.]

[75] Dans le cas présent, la Cour estime qu’il existe une réelle possibilité que l’effet composite, la combinaison et l’agencement précis des diverses itérations de Rosie (y compris la Rosie contemporaine avec son tatouage manchette), des roses rouges ainsi que des mots « sisterhood » et « solidarité féminine » puissent représenter une partie importante du dessin de Cavan. En effet, une brève comparaison visuelle des deux œuvres révèle que la disposition des caractéristiques susmentionnées est un élément clé de l’exercice du talent et du jugement de M. Ladrillo et qu’elle a été copiée, au moins en partie, par M. Zollinger : deux Rosie sont positionnées au centre et sont placées dos à dos de manière à attirer le regard, le tatouage de la Rosie blanche est placé sur la partie supérieure du bras, et les roses sont placées sous les Rosie. Cette conclusion ne signifie pas que le juge du procès conclura qu’une telle combinaison constitue une partie importante de l’œuvre, mais le fait qu’il s’agisse d’une possibilité réelle suffit pour justifier le rejet de la présente requête en jugement sommaire.

[76] En bref, une combinaison particulière d’éléments par ailleurs publics ou génériques peut devenir une œuvre originale ou l’expression d’une idée protégée par le droit d’auteur.

(ii) Le slogan du dessin de Cavan

[77] Outre la compilation d’éléments non originaux dont il est question ci-dessus, il convient de discuter séparément du slogan que LPU a copié du dessin de Cavan.

[78] En principe, les slogans et autres expressions courtes ne devraient pas être protégés par le droit d’auteur, car ils s’apparentent davantage à des idées qu’à des expressions originales. Leur accorder la protection du droit d’auteur anéantirait la possibilité de composer des œuvres littéraires complexes, car ils sont essentiels à la création de celles-ci.

[79] Compte tenu de ce qui précède, le mot « solidarité » à lui seul ne serait certainement pas visé par le droit d’auteur. L’originalité du slogan de Cavan réside plutôt dans le talent et le jugement exercé pour traduire « sisterhood » par « solidarité féminine ». Comme l’explique Cavan, « solidarité féminine » n’est pas une traduction littérale de « sisterhood » (qui serait plutôt « sororité »). M. Mimeault a d’ailleurs confirmé en contre-interrogatoire qu’au départ il avait fait savoir à M. Zollinger que « solidarité féminine » était une traduction inhabituelle et qu’elle ne devrait pas être utilisée. Il a ensuite demandé à Unifor si LPU pouvait utiliser d’autres mots, tout en faisant remarquer que « solidarité féminine » n’est pas une expression courante dans les milieux syndicaux et qu’il ne l’avait en fait jamais vue utilisée auparavant. Unifor a refusé, ce qui a obligé M. Mimeault à demander à M. Zollinger d’inclure les mots précis dans le dessin de LPU (transcription du contre-interrogatoire de M. Mimeault aux pp 41, 75–77).

[80] Cette Cour a déjà reconnu que les traductions d’œuvres littéraires peuvent elles-mêmes être protégées par le droit d’auteur. Dans la décision Drolet c Stiftung Gralsbotchafgt, 2009 CF 17 [Drolet], le juge Yves de Montigny (alors juge de cette Cour) a conclu que les traductions françaises de plusieurs textes provenant du domaine public étaient protégées par le droit d’auteur. Le juge de Montigny a conclu que, même si le traducteur s’était inspiré des textes d’origine et des traductions antérieures, sa propre traduction était « sans aucun doute, la marque d’un travail créateur » (Drolet au para 229). Le traducteur « ne s’est pas contenté de reprendre une traduction antérieure en n’y faisant que des modifications cosmétiques, mais il en a substantiellement modifié la facture pour la rendre plus littéraire et moins littérale » (Drolet au para 229).

[81] Dans le même ordre d’idées, le slogan du dessin de Cavan pourrait être protégé par le droit d’auteur en tant que titre de l’œuvre. Selon la définition du terme « œuvre » à l’article 2 LDA, « [e]st assimilé à une œuvre le titre de l’œuvre lorsque celui-ci est original et distinctif ». Certes, le titre n’est pas considéré comme une œuvre distincte – il fait plutôt partie de l’œuvre dans son ensemble – mais il peut constituer la « partie importante » ou s’insérer dans la partie importante d’une œuvre, ce qui peut mener à conclure à une violation du droit d’auteur (Winkler c Hendley, 2021 CF 498 aux para 147, 151 [Winkler], citant Francis, Day & Hunter Ltd v Twentieth Century Fox Corp Ltd et al, 1939 CanLII 276 (UK JCPC), [1939] 4 DLR 353 aux pp 359–360). Pour reprendre les mots de mon collègue, le juge Nicholas McHaffie, « [b]ien que le titre puisse être qualitativement important pour déterminer s’il y a eu appropriation substantielle, il reste à déterminer s’il y a eu appropriation substantielle de l’œuvre dans son ensemble, plutôt que d’une partie importante du titre tout simplement » (Winkler au para 151).

[82] En l’espèce, la Cour conclut que, dans l’analyse de l’importance de la partie reproduite, il faut – du moins à l’étape de la requête – accorder un poids important à l’emploi dans le dessin de LPU du slogan de Cavan. En fait, suivant l’analyse qualitative et holistique que prescrit la CSC, il est théoriquement possible qu’un seul élément d’une œuvre originale constitue une partie importante de l’œuvre, pourvu que cet élément soit susceptible d’avoir une incidence sur la valeur de l’œuvre dans son ensemble (Cinar aux para 25–26). Ce pourrait être le cas en l’espèce, compte tenu de la prédominance visuelle du slogan dans le dessin de Cavan. En effet, pour les œuvres artistiques, les similitudes déterminantes dans le cadre de l’analyse de l’importance de la partie reproduite sont celles qui sont « visuellement importantes » (Pyrrha CF au para 126, citant John S McKeown, Fox on Canadian Law of Copyright and Industrial Designs, 4e éd, Toronto, Thomson Reuters, 2003 (feuilles mobiles mises à jour en 2018), c 10 à la p 21:6).

(iii) L’absence d’un contre-argument clair pour réfuter l’allégation de violation du droit d’auteur

[83] Aux seules fins de la présente requête, la Cour déduit qu’il y a eu violation du droit d’auteur en raison de la possibilité réelle qu’il y ait une similitude importante entre les deux œuvres et du fait incontesté que LPU a eu accès au dessin de Cavan (Techno-Pieux au para 121; Pyrrha CF aux para 121–122, citant Philip Morris aux para 315, 320). Par conséquent, la Cour doit maintenant déterminer si cette conclusion peut clairement être réfutée par l’un des deux moyens de défense suivants : (i) la similitude entre les deux œuvres découle uniquement de l’utilisation d’idées conventionnelles ou d’une source commune; ou (ii) l’œuvre prétendument contrefaite est une création indépendante (Pyrrha CF au para 122, citant Philip Morris au para 320; voir aussi Techno-Pieux au para 121).

[84] De l’avis de la Cour, ni l’un ni l’autre de ces moyens de défense ne peut être invoqué en l’espèce. Premièrement, il est très peu probable que les similitudes entre les deux œuvres découlent simplement de l’utilisation d’une source commune (la Rosie originale). Par exemple, la Cour a déjà conclu que le slogan figurant sur le dessin de Cavan, qui est reproduit mot pour mot dans le dessin de LPU, peut être original au sens de la LDA. Il est donc inexact d’affirmer que toutes les similitudes entre les deux œuvres proviennent de sources génériques dont tous sont libres de s’inspirer.

[85] Deuxièmement, il subsiste de sérieux doutes quant à savoir si le dessin de LPU a vraiment été créé indépendamment du dessin de Cavan ou s’il s’agit d’une imitation déguisée.

[86] À l’appui de la présente requête, LPU a fourni des explications détaillées sur le processus de création par M. Zollinger du dessin de LPU : (i) M. Zollinger a d’abord reçu le dessin de Cavan, avec la directive de ne pas le copier; (ii) ensuite, comme point de départ, il a utilisé plusieurs dessins arborant des Rosie fournis par LPU; (iii) en parallèle, il a réalisé plusieurs croquis à partir de fichiers vectoriels de Rosie de diverses origines ethniques provenant des sites Web « etsy.com » et « buytshirtdesigns.com »; (iv) pour créer la Rosie blanche, il a notamment modifié la couleur de la peau et des cheveux d’une Rosie noire trouvée sur le site Web « buytshirtdesigns.com »; (v) il a disposé en rond cinq Rosie de diverses origines ethniques, qui se chevauchent, avec la Rosie noire au centre; (vi) il a ajouté trois roses au bas du dessin; et (vii) il a inséré les mots « sisterhood » et « solidarité féminine » autour de l’image.

[87] Il ne fait aucun doute que LPU n’a pas copié les Rosies du dessin de Cavan, mais qu’elle a plutôt utilisé celles qu’elle a trouvées en ligne. LPU peut néanmoins avoir reproduit le « style » du dessin de Cavan ou l’agencement de ses différentes caractéristiques, ainsi que son slogan et le tatouage manchette de la Rosie contemporaine, ce qui suffirait à écarter la défense fondée sur la création indépendante. En effet, les dessins tirés des archives de LPU qui ont été fournis à M. Zollinger sont très différents, ce qui signifie que LPU pourrait avoir copié l’agencement des caractéristiques du dessin de Cavan. De plus, le slogan du dessin de LPU est identique à celui utilisé dans le dessin de Cavan. En d’autres termes, devant ces doutes, la Cour est d’avis que le dessin de LPU ne peut pas être clairement considéré comme une création indépendante et que Cavan mérite d’avoir « la possibilité de se faire entendre en cour ».

[88] En résumé, à cette étape-ci de l’instance, la conclusion de violation du droit d’auteur ne peut pas clairement être réfutée. Je conclus donc qu’il existe une véritable question litigieuse, car il subsiste de sérieux doutes quant à l’absence de violation du droit d’auteur.

(3) L’action ne peut être tranchée sur la base d’un seul point de droit

[89] Enfin, à titre d’argument subsidiaire à l’appui de sa requête, LPU soutient que l’action peut être tranchée sur la base d’un seul point de droit, soit la question de savoir s’il y a une cause d’action pour violation du droit d’auteur lorsque seuls les éléments d’une œuvre qui ne peuvent être protégés, comme des idées et des éléments génériques, ont été reproduits dans l’œuvre prétendument contrefaite. Selon LPU, la réponse est « non », et les seules similitudes entre le dessin de LPU et le dessin de Cavan (et la Rosie contemporaine) découlent de sources communes provenant du domaine public.

[90] Avec égards, la Cour ne peut trancher l’action en se prononçant sur le point de droit proposé par LPU. Tel qu’expliqué plus haut, les similitudes entre les deux œuvres ne se rapportent pas exclusivement à des idées conventionnelles ou à des éléments génériques dont tous sont libres de s’inspirer. Dans son dessin, LPU reprend l’agencement de nombreuses caractéristiques du dessin de Cavan et copie le slogan « Sisterhood – Solidarité féminine ». La prémisse sur laquelle est fondé le point de droit proposé par LPU — à savoir que seuls les éléments de l’œuvre qui ne peuvent être protégés ont été reproduits — est sans fondement et ne reflète pas les faits de la présente affaire. Nous ne sommes pas devant une situation où le dessin de Cavan n’a rien d’original et où les éléments qui le composent proviennent entièrement du domaine public.

[91] En réalité, Cavan a raison de soutenir que l’originalité et l’importance sont les véritables questions déterminantes dans l’action. Il s’agit de questions mixtes de fait et de droit (et pas seulement de droit pur), en ce qu’elles « supposent l’application d’une norme juridique à un ensemble de faits » (Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33 au para 26). En effet, les questions soulevées par Cavan concernent l’application aux faits de l’espèce des principes juridiques relatifs aux notions d’originalité et d’importance au sens de la LDA. Il ne s’agit donc pas de pures questions de droit, comme l’exige la Règle 215(2)b).

C. La question de savoir s’il convient de tenir un procès sommaire

[92] En dernier lieu, la Cour tient à souligner que le rejet de la présente requête ne signifie pas qu’une requête en procès sommaire serait nécessairement rejetée. Pour l’application du critère pour la tenue d’un procès sommaire, la nature et la suffisance de la preuve sont des facteurs clés, comme en témoigne la Règle 216(6) (Noco Company, Inc c Guangzhou Unique Electronics Co, Ltd, 2023 CF 208 au para 86). En l’espèce, la preuve présentée par les parties est relativement exhaustive. Le dossier de preuve comprend, entre autres, de nombreux courriels échangés entre les intervenants clés dans le litige, les affidavits détaillés de M. Gilhooly, M. Mimeault et M. Zollinger, ainsi que la transcription des contre-interrogatoires de ces trois déposants. Il pourrait donc être approprié que Cavan demande un procès sommaire à une date ultérieure, une fois qu’elle aura obtenu les documents financiers qu’elle souhaite obtenir de LPU. Bien entendu, LPU pourrait elle aussi demander un procès sommaire, avec l’autorisation de la Cour (Règle 213(2)).

[93] La Cour reconnaît que, lorsqu’elle rejette une requête en jugement sommaire, elle peut exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère la Règle 215(3)a) et ordonner la tenue d’un procès sommaire. Il s’agit en fait de la deuxième ordonnance que LPU sollicite subsidiairement dans sa requête. Cependant, l’avocate de LPU n’a présenté aucune observation sur la question de savoir si la tenue d’un procès sommaire est indiquée et n’a pas démontré que la preuve dont dispose la Cour est suffisante. Comme la Cour y fait allusion plus haut, les éléments à prendre en considération pour juger si un procès sommaire est approprié diffèrent de ceux relatifs à un jugement sommaire (Andrie au para 45). Néanmoins, une partie ne peut solliciter une réparation subsidiaire dans son mémoire sans en établir l’applicabilité, simplement pour voir si cela fonctionnerait. Bref, en l’absence d’observations suffisantes de la part des deux parties sur la question, la Cour ne peut ordonner la tenue d’un procès sommaire à ce stade-ci.

IV. Conclusion

[94] Pour les motifs qui précèdent, la requête sera rejetée. La Cour conclut que, à ce stade-ci, il existe une véritable question litigieuse quant au fondement juridique de l’action. En effet, compte tenu de la manière dont LPU a compilé et agencé les diverses Rosie, les roses rouges et le slogan original du dessin de Cavan, la Cour ne peut conclure que le dessin de LPU ne reproduit pas clairement une partie importante du dessin de Cavan. La Cour n’est pas non plus en mesure de déterminer avec certitude si les similitudes entre les deux œuvres proviennent uniquement de sources communes ou si le dessin de LPU est une création indépendante. De plus, le point de droit soulevé par LPU ne permet pas de trancher l’action. Le dessin de LPU ne reproduit pas seulement des idées conventionnelles utilisées dans le dessin de Cavan, mais aussi le slogan de celui-ci.

[95] Conformément aux directives données par la Cour à l’audience, les parties ont fait connaître leur position sur la question des dépens relatifs à la présente requête dans une lettre datée du 2 décembre 2024. Comme les parties ont convenu que les dépens devraient être fixés à la somme globale de 60 000 $, de tels dépens seront donc adjugés à la partie ayant eu gain de cause.


JUGEMENT dans le dossier T-824-23

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La requête en jugement sommaire de la défenderesse est rejetée.

  2. Les dépens, fixés à la somme globale de 60 000 $, sont adjugés à la demanderesse.

« Denis Gascon »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh, jurilinguiste principale

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-824-23

INTITULÉ :

CAVAN SPECIALITY ADVERTISING LTD c LES PROMOTIONS UNIVERSELLES INC S/N UNIVERSAL PROMOTIONS

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 NOVEMBRE 2024

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

DATE DES MOTIFS :

LE 31 JANVIER 2025

COMPARUTIONS :

May M. Cheng
Zach Nickels

Glen M. Perinot

POUR LA DEMANDERESSE

Julie Desrosiers
Eliane Ellbogen

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dipchand LLP
Toronto (Ontario)

C2 Global Law
Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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