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Date : 20060814

Dossier : IMM-7104-05

Référence : 2006 CF 966

Montréal (Québec), le 14 août 2006

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

 

ENTRE :

JORGE ERNESTO CHAZARO

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) et visant la décision du 4 août 2005 par laquelle un agent d’immigration de l’Ambassade du Canada au Mexique (l’agent) a rejeté la demande d’autorisation de retour de M. Jorge Ernesto Chazaro (le demandeur).

 

 

 

FAITS PERTINENTS

 

[2]               Le demandeur est un citoyen du Mexique. Il est venu une première fois au Canada, en 1999, comme étudiant. En 2000, un agent d’immigration a informé le demandeur que son visa ne serait plus renouvelé.

 

[3]               En mars 2000, le demandeur a présenté une demande d’asile au Canada. Une mesure d’interdiction de séjour conditionnelle a été émise contre lui. En septembre 2000, la demande d’asile du demandeur a été refusée.

 

[4]               Comme le demandeur n’a pas quitté volontairement le Canada dans le délai prescrit, la mesure d’interdiction de séjour est devenue une mesure d’expulsion le ou vers le 27 octobre 2000.

 

[5]               Le 3 décembre 2000, le demandeur a quitté le Canada. Le demandeur a alors été informé qu’étant donné qu’il faisait face à une mesure d’expulsion, il devrait obtenir une autorisation s’il voulait revenir au Canada.

 

[6]               En janvier 2001, le demandeur aurait commencé son service auprès de la compagnie aérienne Mexicana. En février 2001, le demandeur s’est présenté à l’Ambassade du Canada au Mexique et a demandé s’il pouvait retourner au Canada sans restriction vu son travail avec Mexicana. Il a été informé, pour la deuxième fois, qu’il devrait faire une demande d’autorisation de retour.

 

[7]               Le 23 mai 2001, le demandeur se présente de nouveau au Canada, sans qu’il soit muni d’une autorisation de retour. Une mesure d’exclusion est donc émise contre lui et il doit quitter le Canada pour le Mexique.

 

[8]               Près de quatre ans plus tard, soit le 23 février 2005, le demandeur transmet une demande d’autorisation de retour à l’Ambassade du Canada au Mexique. Le 3 août 2005, le demandeur est convoqué pour une entrevue à l’Ambassade.

 

[9]               Le 4 août 2005, l’agent d’immigration de niveau supérieur revoit le dossier et décide de rejeter la demande.

 

QUESTION EN LITIGE

 

[10]           L’agent a-t-il commis une erreur en refusant de permettre au demandeur de retourner au Canada?

 

 

 

 

ANALYSE

 

[11]           Le défendeur mentionne que le demandeur a inclus dans son dossier, à la page 21, un document postérieur à la décision de l’agent. De plus, le défendeur indique que le demandeur témoigne, dans son affidavit, à des faits qui n’ont pas été portés à la connaissance de l’agent. Ces faits se trouvent aux paragraphes 6, 18, 31-33, 38-41 et 54 de l’affidavit du demandeur.

 

[12]           Dans la décision Wood c. Canada (procureur général) [2001] A.C.F. no 52, le juge W. Andrew MacKay, au paragraphe 34, a réitéré que les éléments de preuve ne sont pas admissibles devant cette Cour si ces éléments n’avaient pas été devant le décideur administratif:

Dans le cadre d'un contrôle judiciaire, une cour peut uniquement tenir compte de la preuve mise à la disposition du décideur administratif dont la décision est examinée; elle ne peut pas tenir compte de nouveaux éléments de preuve (voir Brychka c. Canada (Procureur général), supra; Franz c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 80 F.T.R. 79; Via Rail Canada Inc. c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne (re Mills) (19 août 1997), dossier du greffe T-1399-96, [1997] A.C.F. no 1089; Lemiecha c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 72 F.T.R. 49, 24 Imm. L.R. (2d) 95; Ismaili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1995) 100 F.T.R. 139, 29 Imm. L.R. (2d) 1).

 

[13]           En raison de ce qui est mentionné ci-dessus, la Cour ne tient pas compte de la lettre à la page 21 du dossier du demandeur et des paragraphes 6, 18, 31-33, 38-41 et 54 de l’affidavit du demandeur.

 

[14]           En septembre 2000, la demande d’asile du demandeur a été rejetée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La mesure d’interdiction de séjour prise à l’encontre du demandeur est devenue exécutoire à la suite de la décision de la Cour. Le demandeur devait alors quitter le Canada dans les délais impartis pour ne pas risquer d’être expulsé du territoire canadien. Cependant, le demandeur n’a pas respecté les délais. Il admet lui-même, dans sa lettre au ministre du 23 février 2005, qu’il avait reçu un avis de quitter le Canada après le refus de sa demande de statut de réfugié.

 

[15]            Selon l’article 52(1) de la Loi et les articles 224(2) et 226(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, un étranger qui a fait l’objet d’une mesure d’interdiction de séjour devenue une mesure d’expulsion ne peut retourner au Canada qu’avec l’autorisation du ministre de l’Immigration.

 

[16]           Le paragraphe 52(1) de la Loi et les articles 224(2) et 226(1) du Règlement se lisent comme suit :

52. (1) L’exécution de la mesure de renvoi emporte interdiction de revenir au Canada, sauf autorisation de l’agent ou dans les autres cas prévus par règlement.

 

52. (1) If a removal order has been enforced, the foreign national shall not return to Canada, unless authorized by an officer or in other prescribed circumstances.

 

 

 

224. (2) L’étranger visé par une mesure d’interdiction de séjour doit satisfaire aux exigences prévues aux alinéas 240(1)a) à c) au plus tard trente jours après que la mesure devient exécutoire, à défaut de quoi la mesure devient une mesure d’expulsion.

 

226. (1) Pour l’application du paragraphe 52(1) de la Loi, mais sous réserve du paragraphe (2), la mesure d’expulsion oblige l’étranger à obtenir une autorisation écrite pour revenir au Canada à quelque moment que ce soit après l’exécution de la mesure.

 

224. (2) A foreign national who is issued a departure order must meet the requirements set out in paragraphs 240(1)(a) to (c) within 30 days after the order becomes enforceable, failing which the departure order becomes a deportation order.

 

 

 

 

 

226. (1) For the purposes of subsection 52(1) of the Act, and subject to subsection (2), a deportation order obliges the foreign national to obtain a written authorization in order to return to Canada at any time after the deportation order was enforced.

 

[17]           Dans l’arrêt Sahakyan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1542, au paragraphe 34, le juge Sean J. Harrington indique que la norme de contrôle judiciaire pour l’exercice du pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi est celle de la décision raisonnable simpliciter.

L'interprétation de la Loi faite par l'agent est une question de droit. La norme de la décision correcte s'applique. La norme de la décision raisonnable simpliciter s'applique à l'exercice du pouvoir discrétionnaire de l'agent. Je ne vois pas de raisons pour lesquelles une norme différente devrait s'appliquer suivant l'article 52 de la Loi (arrêt Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] 3 R.C.F. 195 (résident permanent); décision Yaghoubian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. 806 (résident permanent); décision Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. 1940 (visa d'étudiant)). L'agent a mal interprété la Loi et il a exercé de façon déraisonnable son pouvoir discrétionnaire.

 

[18]           La question qui se pose en l’espèce est de savoir comment l’agent va procéder à l’évaluation de la demande d’autorisation de retourner au Canada; il s’agit d’une évaluation entièrement discrétionnaire.

 

[19]           Ni la Loi, ni le Règlement n’imposent de critères à l’agent chargé d’évaluer une demande d’autorisation de retour. Cependant, l’arrêt Sahakyan, ci-dessus, donne des lignes directrices. Le juge Harrington, au paragraphe 23, a indiqué que l’élément central pour le genre d’évaluation qui a eu lieu en l’espèce est l’analyse des raisons relatives au retard du demandeur à quitter le Canada:

En dernier ressort, il appartient aux cours, non au ministre ou à ses représentants, d'interpréter la Loi. L'accent que l'agent a mis sur des questions qui n'auraient pas été pertinentes si M. Sahakyan avait quitté le pays au bon moment démontre qu'il a mal interprété la Loi. Cela ne veut pas dire que les antécédents canadiens de M. Sahakyan ne sont pas pertinents. Ce que cela signifie c'est que ces antécédents doivent être pertinents à son départ tardif. L'élément central des préoccupations de l'agent devait être les raisons pour lesquelles M. Sahakyan avait quitté le pays en juin plutôt qu'en mars. [je souligne]

 

[20]           Le demandeur soumet que l’agent aurait dû tenir compte du fait que son ancien procureur ne lui avait pas expliqué qu’il devait quitter le territoire et du fait qu’il n’avait pas reçu une lettre du Ministère pour l’avertir qu’il devait quitter parce que sa demande d’asile avait été rejetée.

 

[21]           En relisant la décision de l’agent, je suis convaincu que ce dernier a pris en considération les propositions du demandeur.

In considering this application, I have taken into account the written submission of the applicant, documents on file as well as the interview notes. I am not satisfied that the applicant’s submission that he did not understand the requirements of the departure order reasonably explains his failure to depart within 30 days.

 

[22]           Je crois que l’agent avait raison de ne pas donner beaucoup de poids à l’argument du demandeur par rapport au fait qu’il ne savait pas qu’il devrait partir. Le demandeur avait en sa possession un document intitulé « Mesure d’interdiction de séjour ». Bien que ce document n’indique pas une date précise de départ, elle spécifie bien qu’elle « deviendra une mesure d’expulsion si aucune attestation de départ n’est délivrée au cours de la période applicable spécifiée dans le règlement ». Le demandeur avait connaissance de la mesure d’interdiction de séjour, il aurait dû savoir qu’il avait une obligation de partir après le rejet de sa demande de contrôle judiciaire.

 

[23]           De plus, tel que mentionné par le défendeur, le demandeur a offert deux versions différentes afin d’expliquer son retard à quitter le pays. Dans sa lettre du mois de février 2005, il a expliqué qu’il comptait sur son avocat pour faire des démarches pour lui permettre de rester au pays. Cependant, à l’entrevue en août 2005, il a dit que l’avis de départ avait été envoyé au domicile de sa tante et qu’il ne l’avait donc pas reçu à temps, explication qui ne se trouvait pas dans sa lettre de février 2005.

 

[24]           Le demandeur était représenté par un avocat lors de sa demande d’asile et il avait en sa possession la mesure d’interdiction de séjour. Il aurait dû connaître les exigences de la Loi. De plus, il avait proposé deux histoires contradictoires au sujet de la lettre non reçue. La décision de l’agent de ne pas donner beaucoup de poids à l’argument du demandeur n’était pas déraisonnable.

 

[25]           Dans sa décision, l’agent a examiné les démarches passées du demandeur avec les services d’immigration afin de déterminer s’il devrait être autorisé à revenir au Canada.

I have given some consideration to the fact that the applicant’s attempt to return to Canada after his deportation in May 2005 immediately followed his being advised by our office in February 2001 of the requirements for ARC (then minister’s consent) by this office. While the resulting exclusion order is no longer in effect, I have taken into consideration this previous incident as an indication that this applicant has acted in bad faith with respect to these IMM requirements in Canada.

 

[26]           Je suis d’accord avec les affirmations du défendeur. C’est-à-dire, le fait ou non d’avoir été ou non de mauvaise foi dans le passé avec les services d’immigration est certainement pertinent afin d’apprécier si le demandeur pourra rencontrer ou non ses obligations dans le futur.

 

[27]           Le demandeur s’est présenté au Canada en mai 2001, sans autorisation de retour, malgré qu’il ait été informé de la nécessité d’un tel document à deux reprises. Il a donc fait l’objet, à nouveau, d’une mesure de renvoi.

 

[28]           Le demandeur prétend qu’il n’était pas de mauvaise foi quand il est arrivé au Canada en mai 2001. Le demandeur allègue qu’avant de partir pour le Canada en mai 2001, il avait visité l’Ambassade du Canada au Mexique pour se renseigner sur la possibilité de retour au Canada. Il mentionne que le personnel de l’Ambassade n’a pas pris le temps de bien l’informer et qu’on lui avait même déconseillé de demander une autorisation de retour.

 

[29]           Cette explication est contredite par la preuve au dossier qui démontre que le demandeur s’est présenté à l’Ambassade le 21 février 2001 et a bel et bien été informé et ce, pour une deuxième fois, qu’il devrait obtenir une autorisation de retour :

AS SUBJECT IS FAILED REFUGEE CLAIMANT AND WAS DEEMED DEPORTED, SUBJECT WAS COUNSELLED ON THE NEED FOR MINISTER’S PERMIT AND WAS TOLD THAT EVEN THOUGH MEXICAN NATIONALS DO NOT REQUIRE VISITOR’S VISA, HE WILL NEED CONSENT TO TRAVEL BACK TO CANADA.

 

[30]           L’agent pouvait raisonnablement estimer que le demandeur, alors qu’il se trouvait au Canada, avait délibérément choisi de ne pas respecter la mesure d’interdiction de séjour.

 

[31]           Le demandeur allègue que l’agent s’est penché sur des faits qui n’étaient pas pertinents à la demande d’autorisation de retour présentée à l’Ambassade du Canada au Mexique. En particulier, le demandeur prétend que l’agent n’aurait pas dû prendre en considération les propos qui portent sur sa crédibilité et son emploi parce qu’il n’a pas eu l’opportunité de contredire ces allégations. Le demandeur cite les commentaires de l’agent qui a mené l’entrevue du 3 août 2005 :

Officer’s comment : This officer believes that subject lacks credibility. Applicant, knowing that he had no claim for refuge, hired a lawyer and lodged a refugee claim in Canada to be able to extend his visit. He then disregarded the notice for him to leave Canada and eventually left, but I believe he left because he was offered a job with Mexicana which he began one month after he returned to Mexico (on December 3rd). 

 

 

[32]           L’agent qui a mené l’entrevue du 3 août 2005, n’était pas le même agent qui a pris la décision de rejeter la demande d’autorisation de retour le 4 août 2005. En relisant la décision du 4 août 2005, l’agent d’immigration n’a pas retenu les considérations autres que celles qui sont appropriées. Dans ses notes, on ne relève aucun commentaire relativement à l’absence de crédibilité de la demande d’asile du demandeur en 2000 ou son entrée en service avec Mexicana, peu de temps après son retour au Mexique. Dès lors, les arguments du demandeur à ce sujet ne sont pas pertinents.

 

[33]           Le demandeur ne m’a pas convaincu que l’intervention de la Cour était justifiée dans les circonstances.

 

[34]           Les parties n’ont soumis aucune question pour certification.

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

·        La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

·        Aucune question ne sera certifiée.

 

 

 

 

« Pierre Blais »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        IMM-7104-05

 

INTITULÉ :                                       JORGE ERNESTO CHAZARO c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               29 juin 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :                   LE JUGE BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                      14 août 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Serban Mihai Tismanariu

 

POUR LE DEMANDEUR

Me François Joyal

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Serban Mihai Tismanariu

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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