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Date : 20060809

Dossier : IMM-7261-05

Référence : 2006 CF 959

Toronto (Ontario), le 9 août 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

 

ENTRE :

GOWRI VASANTHAKUMAR

SHAKTHIPRIYA VASANTHAKUMAR

SHIESWARAN VASANTHAKUMAR

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visée à l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), concernant une décision rendue le 15 novembre 2005 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), selon laquelle Gowri Vasanthakumar (la demanderesse) et ses enfants n’ont pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi, respectivement.

LES FAITS

[2]               La demanderesse est une Tamoule hindoue et une citoyenne du Sri Lanka. Elle est mariée et a deux enfants mineurs, lesquels sont inclus dans sa demande. Son mari a fui le Sri Lanka en 2000 afin d’échapper à la persécution des autorités et des militants tamouls. Il a obtenu l’asile au Canada en tant que réfugié au sens de la Convention.

 

[3]               La demanderesse fonde sa demande d’asile sur sa race.

 

[4]               La demanderesse a été interrogée à Colombo dans le cadre de l’examen de la demande de parrainage de son mari. Elle et ses enfants ont obtenu des visas en 2005. À cause de problèmes avec les documents soumis par son mari, la demanderesse a été interceptée à l’aéroport et informée que les documents de son mari n’étaient pas en règle et qu’elle était interdite de territoire. On lui a alors permis de parler à son mari, qui l’attendait à l’aéroport. Elle a demandé l’asile après cette conversation.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[5]               1. La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en entravant son pouvoir discrétionnaire?

 

2. La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant d’évaluer le risque auquel serait exposée la demanderesse compte tenu de son âge, de son origine ethnique et de son passé, à l’aide de la preuve que celle-ci jugeait véridique?

 

ANALYSE

 

1. La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en entravant son pouvoir discrétionnaire? 

 

[6]               La demanderesse mentionne que deux affaires sont actuellement en instance devant la Cour d’appel fédérale : Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 461, et Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 16. Ces deux affaires, qui portent sur l’ordre inversé des interrogatoires, seront entendues par la Cour d’appel fédérale à l’automne 2006. La demanderesse affirme que, dans Thamotharem, la Cour a décidé que la Commission avait entravé son pouvoir discrétionnaire de manière inappropriée lorsqu’elle a appliqué l’ordre inversé des interrogatoires, mais que dans Benitez la Cour est arrivée à une décision contraire. Selon elle, la façon la plus raisonnable de procéder dans les circonstances serait d’ajourner l’audition de la demande de contrôle judiciaire jusqu’à ce que la Cour d’appel fédérale ait rendu une décision.

 

[7]               La demanderesse mentionne également que, malgré le fait qu’aucune objection n’a été soulevée relativement à l’ordre inversé des interrogatoires avant ou pendant l’audience, la renonciation fait l’objet de l’une des questions qui ont été certifiées par la Cour. Elle soutient que la question de savoir s’il y a eu manquement à la justice naturelle n’a pas été résolue et que, en conséquence, la présente instance devrait être ajournée jusqu’à ce que la Cour d’appel fédérale se soit prononcée sur l’affaire Benitez.

 

[8]               La question en litige en l’espèce est la même que dans Mulliqi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 563. Dans cette décision, la juge Judith Snider a souligné que la question en litige consistait à déterminer si, en ne s’opposant pas à l’application des Directives no 7 à l’audience, un demandeur renonce à son droit de soulever la question dans le cadre d’un contrôle judiciaire. La juge Snider a fait remarquer, aux paragraphes 24 et 25, que la Cour fédérale n’était pas saisie de la question de la renonciation dans Thamotharem :

Le demandeur fait valoir que, au début de la deuxième audience, le commissaire « a plongé » et a mené un interrogatoire principal sans prévenir son conseil qu’il agissait ainsi en application des Directives n7. Il souligne que, dans les décisions Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 8, 2006 CF 16, et Jin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 55, 2006 CF 57, la Cour a décidé que les Directives n7 entravent le pouvoir discrétionnaire de la Commission. Le demandeur concède cependant ne pas s’être opposé à l’application des directives lors de l’audience. Cette question n’a non plus été soulevée ni dans l’avis de demande ni dans le dossier du demandeur; ce n’est que dans l’exposé additionnel des arguments du demandeur qu’elle l’a été.

 

Même à supposer, comme le soutient le demandeur, que les Directives n7 entravent le pouvoir discrétionnaire de la Commission, la question soulevée dans la présente instance consiste à savoir si, en ne s’opposant pas à l’application des Directives n7 lors de l’audience, le demandeur a renoncé à son droit de soulever cette question à l’étape du contrôle judiciaire. Bien qu’elle n’ait pas été examinée par la Cour dans l’affaire Thamotharem, cette question l’a été par le juge Mosley dans Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 461. Relativement à la question dont je suis saisie, le juge Mosley est arrivé à la conclusion suivante au paragraphe 237 :

 

Le principe de common law relatif à la renonciation exige qu’un demandeur soulève une allégation de partialité ou un manquement à la justice naturelle devant le tribunal à la première occasion raisonnable. Si les avocats sont d’avis que l’application des Directives no 7 dans un cas particulier entraînerait pour leurs clients un déni du droit à une audience équitable, la première occasion de soulever une objection et de demander une exception à l’ordre normalisé des interrogatoires se présentera avant chaque audience mise au rôle conformément aux Règles 43 et 44, ou de vive voix au cours de l’audience. Le fait de ne pas formuler d’objection au cours de l’audience doit être considéré comme une renonciation implicite à toute crainte d’iniquité résultant de l’application des Directives elles-mêmes.

 

 

[9]               Comme la Cour n’était pas saisie de la question de la renonciation dans Thamotharem, je ne peux souscrire à la thèse de la demanderesse selon laquelle le présent contrôle judiciaire devrait être ajourné jusqu’à ce que la Cour d’appel fédérale ait rendu une décision. Le fait que la demanderesse n’a pas soulevé la question des Directives no 7 à l’audience devant la Commission doit être considéré comme une renonciation implicite à toute crainte d’iniquité résultant de l’application de ces directives. Par conséquent, j’estime que la Commission n’a pas commis une erreur en appliquant les Directives no 7.

 

2. La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant d’évaluer le risque auquel serait exposée la demanderesse compte tenu de son âge, de son origine ethnique et de son passé, à l’aide de la preuve que celle-ci jugeait véridique?

 

[10]           La demanderesse affirme que la Commission a commis une erreur de droit en omettant d’évaluer le risque auquel elle serait exposée compte tenu de son âge, de son origine ethnique et de son passé, à l’aide de la preuve qu’elle jugeait véridique. Je ne suis pas d’accord avec elle. La conclusion défavorable de la Commission concernant la crédibilité de la demanderesse a eu une importance déterminante dans la décision de la Commission de rejeter la demande. La Commission a écrit ce qui suit dans sa décision :

Après avoir passé en revue tous les éléments de preuve présentés, je conclus que la demandeure n’a pas établi les éléments factuels centraux de sa demande d’asile, selon la prépondérance des probabilités, à l’aide d’une preuve crédible et digne de foi. Je conclus que la preuve démontre que les déclarations faites au bureau canadien des visas à Colombo, ainsi que celles faites à CIC après l’arrivée de la demandeure, lorsqu’elle a initialement présenté sa demande d’asile, et durant l’audience, indiquent qu’elle n’était pas exposée à un risque sérieux d’être persécutée ni au risque d’être soumise à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités lorsqu’elle a quitté le Sri Lanka. Je conclus que les incohérences dans son témoignage et les différentes versions des événements présentées à CIC minent grandement sa crédibilité en ce qui concerne sa prétendue crainte, ce qui m’a amené à conclure qu’il s’agissait d’une invention.

 

[11]           Dans Kamana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1695, la juge Danièle Tremblay‑Lamer a confirmé, au paragraphe 10, que l’absence de preuve quant à l’élément subjectif constitue une lacune fatale qui justifie à elle seule le rejet de la demande puisque les deux éléments – subjectif et objectif – doivent être présents.

 

[12]           La norme de contrôle qui s’applique à l’évaluation de la crédibilité effectuée par la Commission est celle de la décision manifestement déraisonnable. Aussi, la Cour ne substituera son opinion à la décision de la Commission que si celle-ci est clairement erronée. (Voir Aguebor c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), et De (Da) Li Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 49 Imm. L.R. (2d) 161.)

 

[13]           En l’espèce, la Commission a rejeté la demande de la demanderesse pour des raisons de crédibilité et l’absence de crainte subjective. Ainsi, la prétendue omission de la Commission d’évaluer le risque auquel la demanderesse serait exposée compte tenu de son âge, de son origine ethnique et de son passé n’a aucune importance, étant donné que la Commission a considéré que la crainte de persécution de la demanderesse n’était pas justifiée. En outre, la demanderesse n’a présenté à la Cour aucune preuve démontrant l’existence d’un risque raisonnable de persécution en raison de son âge, de son origine ethnique et de son passé.

 

[14]           La Commission a procédé à un examen approfondi de la demande de la demanderesse et ses conclusions n’étaient pas manifestement déraisonnables. La demanderesse n’avait pas une crainte subjective et n’a produit aucune preuve réfutant la conclusion défavorable que la Commission a tirée relativement à sa crédibilité.

 

[15]           Même si je conclus que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée, je vais déterminer si une question devrait être certifiée, comme la Cour l’a fait dans Thamotharem et dans Benitez, précitées.

 

[16]           Se référant à l’affidavit de la demanderesse daté du 10 janvier 2006, qui a été déposé au soutien de sa demande, le défendeur laisse entendre que la Cour ne dispose d’aucune preuve indiquant que l’ordre des interrogatoires a causé une iniquité à la demanderesse. En outre, il n’est pas question de l’ordre des interrogatoires dans ce court affidavit.

 

[17]           Le défendeur suggère à la Cour de s’appuyer sur Garcia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 A.C.F. no 834, 2006 CF 645, où le juge en chef Lutfy a écrit aux paragraphes 12, 14 et 15 :

En dernier lieu, le demandeur a soulevé une question au sujet de la Directive no 7 du président dans son mémoire des arguments supplémentaire, fondée sur la décision rendue dans l’affaire Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 8, 2006 CF 16. Le demandeur admet que la question de l’ordre de l’interrogatoire n’a pas été soulevée pendant l’audition de sa demande d’asile. Le demandeur a mentionné cette question pour la première fois dans son mémoire des arguments supplémentaire, qu’il a présenté le 3 avril 2006. Rien d’autre ne donne à entendre que l’audition de la demande d’asile aurait été injuste.

 

[...]

 

À mon avis, il n’était pas approprié que le demandeur soulève cette question pour la première fois dans son mémoire des arguments supplémentaire. En l’espèce, j’adopte l’énoncé du juge Frederick E. Gibson dans l’affaire Arora c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 24 (QL) (1re inst.), au paragraphe 9 :

 

[…] le principe selon lequel la Cour ne traitera que des motifs de contrôle invoqués par le demandeur dans l’avis de requête introductif d’instance et l’affidavit à l’appui doit, à mon avis, s’appliquer. Si, comme en l’espèce, le demandeur pouvait invoquer de nouveaux motifs de contrôle dans son mémoire, le défendeur subirait vraisemblablement un préjudice du fait qu’il n’aurait pas eu la possibilité de répondre à ce nouveau motif dans son affidavit ou, à tout le moins, encore une fois comme en l’espèce, d’envisager de produire un affidavit traitant de la nouvelle question. Par conséquent, je conclus que la deuxième question soulevée par le demandeur n’a pas été soumise régulièrement à la Cour.

 

Le demandeur soutient que la Cour devrait traiter la question de la Directive no 7 parce qu’il l’a soulevée dans son mémoire des arguments supplémentaire. Il fait aussi valoir qu’une question grave devrait être certifiée à ce sujet. À mon avis, il serait injuste envers le défendeur de le faire. Le défendeur n’aurait aucune chance de présenter un témoignage par affidavit à la Cour. Dans le cas où l’affaire serait portée en appel, le dossier présenté à la Cour d’appel fédérale, comme maintenant, serait incomplet.

 

[18]           À mon avis, il faut faire une distinction entre les faits en l’espèce et ceux de Garcia, précitée. En effet, la demanderesse en l’espèce a soulevé la question de l’ordre des interrogatoires dans sa demande d’autorisation, alors que, dans Garcia, le demandeur en avait parlé seulement dans son mémoire des arguments supplémentaire.

 

[19]           Je certifierai donc la même question que dans Romero c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 647, 2006 CF 506, de la Cruz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 657, 2006 CF 512, Wu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 658, 2006 CF 513, et Mulliqi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 711, 2006 CF 563 :

Quand un demandeur doit-il soulever une objection à l’application des Directives no 7 pour être en mesure de la plaider dans le cadre d’un contrôle judiciaire?

 

 

JUGEMENT

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  La question suivante est certifiée :

Quand un demandeur doit-il soulever une objection à l’application des Directives no 7 pour être en mesure de la plaider dans le cadre d’un contrôle judiciaire?

 

 

 

 

« Pierre Blais »

 

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Lynne Davidson-Fournier


COUR FÉDÉRALE

 

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                             IMM-7261-05  

 

INTITULÉ :                                                           Gowri vasanthakumar

                                                                                SHAKTHIPRIYA VASANTHAKUMAR

                                                                                SHIESWARAN VASANTHAKUMAR

                                                                                c.

                                                                                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                     TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                   LE 8 AOÛT 2006

                                                    

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                  LE JUGE BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                                          LE 9 AOÛT 2006

 

 

COMPARUTIONS :                 

 

Lorne Waldman                                                        POUR LES DEMANDEURS

 

Stephen H. Gold                                                       POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lorne Waldman                                                        POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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