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Date : 20060811

 

Dossier : IMM-6047-05

 

Référence : 2006 CF 974

 

Ottawa (Ontario), le 11 août 2006

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL

 

ENTRE :

 

 

AHMED SHAFIQUE RAHMAN

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission, présentée conformément à l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi). La demande est déposée en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, et concerne une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). Dans sa décision datée du 16 septembre 2005 (la décision), la Commission a conclu que le demandeur n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

 

CONTEXTE

[2]               Le demandeur, Ahmed Shafique Rahman, est âgé de 25 ans et citoyen du Bangladesh. Il est arrivé au Canada le 13 août 2003 grâce à un visa d’étudiant valide jusqu’au 30 septembre 2006. Entre septembre et décembre 2003, il était inscrit à l’Université de Windsor.

 

[3]               Le 15 janvier 2004, le demandeur a présenté une demande d’asile au Canada en vertu des articles 96 et 97 de la Loi. Dans sa demande d’asile, il a invoqué ses activités politiques en tant que membre de la Ligue Chatra du Bangladesh (BCL), qui est une branche de la Ligue Awami du Bangladesh (BAL). La BAL a été au pouvoir au Bangladesh de 1996 jusqu’à sa défaite à l’élection d’octobre 2001.

 

[4]               Dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur déclare être devenu membre de la BCL en janvier 2000. À l’époque, il vivait à Dacca. Il dit avoir participé à des séminaires, des rencontres et des manifestations organisés par la BCL et la BAL. De plus, il dit avoir créé des affiches et des tracts pour le parti et donné une formation sur l’usage d’ordinateurs à des travailleurs de la BCL et de la BAL. Le demandeur affirme que c’est en raison de ces activités qu’il est devenu plus connu au sein de la BAL.

 

[5]               Le demandeur prétend être devenu la cible des hommes de main du Parti national du Bangladesh (BNP) à cause de ses activités pour le compte de la BCL et, notamment, parce qu’il a participé à l’impression et à la diffusion d’affiches et de tracts condamnant les activités du BNP. Les affiches ont été produites au cours de la période qui a précédé l’élection nationale tenue en octobre 2001 et les tracts, après la victoire d’une coalition de partis incluant le BNP.

 

[6]               Le demandeur affirme avoir été harcelé, battu et torturé par des hommes de main du BNP et des membres du Jamaat-e-islami à plusieurs reprises. Il relate plus particulièrement les incidents suivants :

 

a)      Le 15 août 2002, il a été attaqué par six hommes armés du BNP.

b)      Le 7 novembre 2002, des hommes de main ont tenté de l’enlever.

c)      Le 16 décembre 2002, il a été agressé et a reçu des coups de couteau dans le bras droit; il a dû être hospitalisé pendant deux jours.

d)      Le 1er janvier 2003, des membres armés du BNP et du Jamaat l’ont agressé tandis qu’il se rendait chez un ami. Ils l’ont battu et torturé et ont ensuite demandé une rançon de 200 000 takas (environ 5 000 $ canadiens). Le demandeur a été relâché après que son père eut versé 50 000 takas.

e)      Le 2 mai 2003, il a été informé par ses parents que des membres armés du BNP et du Jamaat étaient venus chez eux à la recherche du demandeur et ont dit à ses parents qu’ils allaient le tuer.

 

Le demandeur affirme que, le lendemain du dernier incident, il s’est caché chez un ami, dans la région orientale du Bangladesh.

 

[7]               Dans son FRP, le demandeur déclare que, au début de 2003, son père a engagé un agent pour l’aider à obtenir son admission à l’Université de Windsor et un visa d’étudiant au Canada. Son père craignait pour sa sécurité. Le demandeur a obtenu un visa d’étudiant après avoir présenté son passeport au Haut‑commissariat du Canada au Bangladesh le 8 juillet 2003.

 

[8]               Le demandeur prétend que, le 1er décembre 2003, pendant qu’il poursuivait ses études au Canada, des hommes armés du BNP et du Jamaat qui le recherchaient sont entrés de force au domicile de ses parents au Bangladesh. Ses parents ont refusé de révéler où il se trouvait. Le demandeur affirme qu’après cet incident, ses parents ont été contraints de déménager. Il affirme également que sa mère a perdu son emploi de chargée de cours en biologie au Women’s College de Dacca en raison des activités politiques de son fils.

 

[9]               Enfin, le demandeur affirme que ses parents ont appris que la police cherchait à l’arrêter, mais qu’on ne les a pas informés des accusations qui pesaient contre lui.

 

[10]           À l’appui de sa demande d’asile, le demandeur a fourni les documents suivants :

 

a)      Une lettre de Mirza Azam, secrétaire général de la Ligue Awami Jubo du Bangladesh.

b)      Une lettre d’Anup Kumar Saha, avocat au Bangladesh, dans laquelle M. Saha parle de ses efforts pour déterminer si la police était à la recherche du demandeur et, le cas échéant, quelles étaient les accusations.

c)      Un rapport médical du Dr Chowdhury indiquant que le demandeur a été admis à l’hôpital à Dacca le 16 décembre 2002 et que son bras droit était en sang.

d)      Une lettre que le père du demandeur a envoyée au poste de police de Dhammond le 25 mai 2003 et dans laquelle il déclare qu’un inconnu a téléphoné et a menacé de faire du tort au demandeur.

e)      Une lettre du Women’s College de Dacca, en date du 13 juin 2004, indiquant que le poste de chargé de cours de la mère du demandeur était aboli.

f)        Un rapport de Mme Judith Pilowsky, psychologue à Toronto, fournissant une évaluation clinique détaillée de l’état du demandeur relativement aux effets psychologiques de son retour au Bangladesh si sa demande d’asile était refusée.

 

Le demandeur a également produit plusieurs articles de journaux où il est question des agressions à caractère politique et des arrestations de membres de la BAL.

 

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

 

[11]           La Commission a conclu que le demandeur n’avait fourni aucune preuve claire et convaincante démontrant qu’il s’exposerait à une possibilité sérieuse d’être persécuté au Bangladesh du fait de ses opinions politiques ou qu’il serait exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. En rejetant la demande d’asile du demandeur, la Commission a conclu que les allégations selon lesquelles il était la cible des hommes de main du BNP en raison de ses activités au sein de la BCL n’étaient pas crédibles.

 

[12]           La Commission a notamment conclu qu’il n’y avait aucune preuve indépendante selon laquelle des personnes ayant distribué des affiches et des tracts sont persécutées par des hommes de main au Bangladesh. Comme le nom du demandeur ne figurait sur aucune des affiches ni sur aucun des tracts, la Commission a considéré qu’il n’était pas exposé à un risque plus important que les nombreux autres membres de la BAL qui ont également distribué des affiches et des tracts. Elle a également conclu que le demandeur ne fait pas partie de la catégorie des personnes qui sont habituellement la cible d’actes de violence fondés sur des motifs politiques. Elle a déclaré que la preuve documentaire indique que ce sont les dirigeants de la BAL, à l’échelle locale et nationale, qui sont susceptibles d’être arrêtés et détenus pour des motifs politiques depuis l’élection de 2001. Enfin, la Commission a fait remarquer que, dans son propre témoignage, le demandeur a déclaré qu’il n’avait pas eu de problèmes avec les hommes de main du BNP avant l’élection de 2001 ou pendant l’opération Clean Heart, en octobre 2002, au cours de laquelle plus de 10 000 personnes ont été arrêtées, dont des membres et des travailleurs des partis d’opposition et des partis politiques au pouvoir.

 

[13]           Quant aux allégations du demandeur selon lesquelles il aurait été harcelé, agressé et enlevé par des hommes de main du BNP, la Commission a conclu, suivant la prépondérance de la preuve, que, à l’exception peut‑être de l’agression du 16 décembre 2002, aucun de ces incidents ne s’est effectivement produit. Elle a en outre conclu que, après le départ du demandeur du Bangladesh, personne ne l’a recherché, ni des hommes de main du BNP ni la police.

 

[14]           Concernant plus particulièrement l’incident du 1er décembre 2003, la Commission n’a pas accepté l’explication du demandeur qui a affirmé que son père n’avait pas révélé aux hommes de main du BNP que son fils était à l’étranger parce que ces derniers seraient néanmoins capables de continuer à rendre la vie du demandeur misérable. Elle a jugé que le père n’avait rien à gagner à cacher cette information. Elle a donc conclu que cet incident ne s’était pas produit. En fait, selon la Commission, les parents du demandeur n’ont pas été contraints de déménager après l’incident allégué, du moins pas pour la raison invoquée par le demandeur, à savoir que les hommes de main du BNP menaçaient de lui faire du mal. La Commission a conclu que « cet aspect de la version des faits du demandeur a été inventé de toutes pièces afin d’appuyer sa demande d’asile ».

 

[15]           Dans ses motifs, la Commission a reproché au demandeur de ne pas avoir fourni de documents corroborant les incidents où il aurait été la cible d’hommes de main du BNP, à savoir des rapports de police. Même si le demandeur a déclaré que son père s’était rendu au poste de police à trois ou quatre reprises, il a fourni une seule entrée dans le registre général au sujet de l’incident du 25 mai 2003, au cours duquel son père aurait reçu un appel d’une personne menaçant de tailler son fils en pièces. La Commission a déclaré qu’il n’est pas difficile d’obtenir de la police du Bangladesh les premiers rapports d’incidents et que le demandeur n’a pas fait suffisamment d’efforts pour obtenir ces documents. Par conséquent, en vertu de l’article 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, la Commission a tiré une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité du demandeur parce qu’il ne lui a pas fourni de documents justificatifs.

 

[16]           La Commission a également conclu que la preuve documentaire fournie par le demandeur n’était pas suffisante pour appuyer l’allégation selon laquelle il était la cible d’hommes de main du BNP en raison de ses activités pour la BAL.

 

[17]           Premièrement, selon la Commission, même si le demandeur a fourni un rapport médical faisant état de blessures traitées le 16 décembre 2002, rien n’y indique qui a infligé la blessure au bras ni pour quelle raison. Par conséquent, et compte tenu d’autres conclusions concernant la crédibilité du demandeur, la Commission a statué qu’elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve crédibles que la blessure était un résultat direct du travail qu’accomplissant le demandeur pour la BAL.

 

[18]           Deuxièmement, la Commission a conclu que, même si la lettre du secrétaire général de la Ligue Awami Jubo du Bangladesh, Mirza Azam, confirmait que le demandeur avait été battu, menacé et au bout du compte forcé de quitter le pays, elle n’indiquait pas que des hommes de main le poursuivaient parce qu’il se servait de ses compétences en informatique pour faire la promotion de la BAL ou pour dénigrer le BNP, comme le prétendait le demandeur dans sa demande d’asile.

 

[19]           La Commission s’est également demandé comment M. Azam était en mesure d’écrire dans la lettre que [Traduction] « même aujourd’hui, ils menaçaient son père de différentes façons et que sa mère avait récemment perdu son emploi ». Comme le demandeur a déclaré que c’était peut‑être son oncle, qui avait obtenu la lettre en son nom, qui avait mentionné cette information à M. Azam, la Commission a conclu que la lettre répète simplement ce que l’oncle du demandeur avait dit à Azam. Elle n’a donc accordé que peu de poids à cette lettre en tant que preuve corroborante.

 

[20]           Troisièmement, la Commission a fait remarquer au sujet de la lettre de licenciement adressée à la mère du demandeur qu’elle était datée de juin 2004 soit, selon le témoignage du demandeur, six mois après que ses parents se furent cachés. La Commission a conclu que le licenciement de la mère du demandeur n’avait rien à voir avec les problèmes présumés du demandeur avec les hommes de main du BNP. La lettre indique que son poste a été supprimé pour des raisons financières. De plus, la Commission a conclu, suivant la prépondérance de la preuve, que le père du demandeur enseigne toujours.

 

[21]           Quatrièmement, pour ce qui est de la lettre de M. Saha, avocat au Bangladesh, la Commission a admis que celui‑ci avait effectivement rédigé la lettre et qu’il connaissait le père du demandeur. Cependant, au sujet de la déclaration de M. Saha à savoir que la police arrêterait le demandeur en vertu de la Special Powers Act (Loi sur les pouvoirs spéciaux) (SPA) et le mettrait en prison pour une période indéterminée, la Commission a conclu que la police ne cherchait pas à incarcérer le demandeur en vertu de la SPA. Elle a fait remarquer que l’ambassade du Canada a été informée par divers postes de police du Bangladesh qu’il n’existe pas de liste de personnes recherchées en vertu de la SPA et qu’il fallait un mandat d’arrestation avant que la police puisse déterminer qu’une personne est recherchée en vertu de la SPA. Ce n’est que dans des « circonstances spéciales » qu’un mandat d’arrestation est délivré, et la Commission a conclu qu’il n’existait pas de circonstances spéciales en l’espèce. Elle a déclaré qu’un rapport d’Amnistie Internationale confirmait qu’un mandat d’arrestation était nécessaire.

 

[22]           Enfin, la Commission a rejeté le rapport de Mme Pilowsky sur l’état psychologique du demandeur parce ce rapport s’appuyait sur les incidents relatés par le demandeur pour étayer sa demande d’asile et que la Commission n’a pas jugé crédibles.

 

[23]           Pour ce qui est du délai écoulé avant que le demandeur présente une demande d’asile au Canada, la Commission a statué, après avoir conclu que l’incident du 1er décembre 2003 concernanr ses parents ne s’était pas produit, que le demandeur a demandé l’asile parce que ses notes n’étaient pas assez élevées pour lui permettre de continuer d’étudier à l’Université de Windsor. La Commission a fait remarquer que, malgré l’agression dont il aurait été victime le 15 août 2002, le demandeur a déclaré qu’il n’était pas intéressé à partir à l’étranger à ce moment‑là. Elle a souligné que le demandeur avait néanmoins un passeport en septembre 2002 et avait passé le TOEFL (test of English as a Foreign Language) en novembre 2002. Il est ensuite venu au Canada muni d’un visa d’étudiant et il n’a pas immédiatement demandé l’asile.

 

 

QUESTION EN LITIGE

 

[24]           La seule question soulevée par le demandeur est celle de savoir si la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que sa demande d’asile n’était pas crédible.

 

LOI APPLICABLE

 

[25]           Le demandeur s’appuie sur l’article 96 de la Loi pour demander l’asile du fait ses opinions politiques. Il invoque également le paragraphe 97(1) au motif que sa vie serait en danger s’il retournait au Bangladesh. Les articles 96 et 97 prévoient ce qui suit :


 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 


 

NORME DE CONTRÔLE

 

 

[26]           La Cour suprême du Canada a statué que l’appréciation de la crédibilité est « essentiellement de nature factuelle » et que les tribunaux doivent bénéficier d’un degré de déférence plus élevé parce qu’ils ont l’avantage relatif d’entendre les témoignages de vive voix : voir Dr. Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, au paragraphe 38. Dans Chowdhury c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 FC 139, au paragraphe 12, le juge Simon Noël a récemment confirmé que la norme de contrôle applicable aux conclusions de la Commission en matière de crédibilité est celle de la décision manifestement déraisonnable :

La décision de la SPR quant au droit du demandeur d'obtenir l’asile est principalement fondée sur la crédibilité de ses allégations. Il est bien établi que la norme de contrôle en matière d’appréciation de la crédibilité d’un demandeur par la SPR est la décision manifestement déraisonnable (voir Thavarathinam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1469, [2003] A.C.F. no 1866 (C.A.F.), au paragraphe 10; Aguebor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.), au paragraphe 4).

 

[27]           Quant aux conclusions relatives à la plausibilité qui sous‑tendent les conclusions relatives à la crédibilité de la demande d’asile, la Cour d’appel fédérale a statué dans Aguebor, au paragraphe 4 qu’à titre de tribunal spécialisé, la Commission a « pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage » :

… Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d’un récit et de tirer les inférences qui s’imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d’attirer notre intervention, ses conclusions sont à l’abri du contrôle judiciaire [...]

 

Par conséquent, la norme applicable en l’espèce aux conclusions de la Commission relatives à la plausibilité est celle de la décision manifestement déraisonnable.

 

[28]           Suivant la norme de la décision manifestement déraisonnable, si la preuve étaye la conclusion de la Commission concernant la crédibilité ou la plausibilité et qu’aucune erreur manifeste n’a été commise, sa décision ne doit pas être modifiée. Par exemple, dans le cas d’une conclusion d’invraisemblances, la Cour peut intervenir s’il n’y a aucune preuve étayant cette conclusion. C’est ce qu’a affirmé le juge Andrew MacKay dans Yada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 140 F.T.R. 264, au paragraphe 25 :

[25] Lorsque la conclusion de non-crédibilité repose sur des invraisemblances relevées par le tribunal, la Cour peut, à l’occasion d’un contrôle judiciaire, intervenir pour annuler la conclusion si les motifs invoqués ne sont pas étayés par les éléments de preuve dont était saisi le tribunal, et la Cour ne se trouve pas en pire situation que le tribunal connaissant de l’affaire pour examiner des inférences et conclusions fondées sur des critères étrangers aux éléments de preuve tels que le raisonnement ou le sens commun (voir Giron c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 143 N.R. 238 (C.A.F.)).

 

La Cour ne devrait cependant pas chercher à réévaluer la preuve dont la Commission était saisie simplement parce qu’elle aurait tiré une conclusion différente.

 

 

ARGUMENTS

 

Le demandeur

 

[29]           Le demandeur soutient que le raisonnement suivi par la Commission pour tirer ses conclusions relatives à la crédibilité est manifestement déraisonnable. À l’appui de sa position, il affirme que la Cour a établi des normes claires pour l’appréciation de la crédibilité, dont les suivantes :

 

a)      Quand un demandeur jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu’elles le sont, à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter (Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302; Villaroel c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1970), 31 N.R. 50 (C.A.F.); Sathanandan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 310 (C.A.F.); Okyere-Akosah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 157 N.R. 387 (C.A.F.)).

 

b)      Lorsqu’un tribunal chargé d’entendre les demandes de réfugiés rejette une demande d’asile au motif que le demandeur n’est pas crédible, il doit énoncer clairement son motif de rejet et fournir les raisons pour lesquelles il a conclu en ce sens. L’omission d’énoncer ces raisons constitue une erreur susceptible de contrôle (Ababio c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 5 Imm. L.R. (2d) 174; Armson c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 9 Imm. L.R. (2d) 150 (C.A.F.); Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.); Okyere‑Akosah, précité).

 

c)      Un tribunal ne doit pas faire preuve d’excès de zèle lorsqu’il conteste la crédibilité d’un demandeur d’asile, surtout lorsque ce demandeur a témoigné par l’intermédiaire d’un interprète. Une prudence particulière s’impose lorsque l’on compare les déclarations d’un demandeur d’asile qui a témoigné à diverses reprises par l’intermédiaire d’interprètes différents (Attakora c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 99 N.R. 168 (C.A.F.); Owusu‑Ansah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 106 (C.A.F.)).

 

d)      Un tribunal doit tenir compte de l’ensemble de la preuve dont il est saisi lorsqu’il apprécie la crédibilité d’un demandeur d’asile. Il ne peut pas tirer une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité tout en écartant les éléments de preuve du demandeur expliquant des contradictions apparentes (Owusu‑Ansah, précité; Frimpong c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 183 (C.A.F.)).

 

e)      Les inférences relatives à la crédibilité doivent être étayées par la preuve. Si la Commission fonde ses conclusions sur des inférences tirées de la preuve, la Cour peut déterminer si ces inférences ont été raisonnablement tirées (Frimpong, précité; Giron c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 143 N.R. 238 (C.A.F.)).

 

f)        Un tribunal ne peut pas fonder ses conclusions en matière de crédibilité sur des considérations non pertinentes (Osusu‑Ansah, précité; Attakora, précité).

 

g)      En tirant ses conclusions au sujet de la crédibilité, un tribunal ne peut pas admettre d’office des éléments qui ne sont pas propres à faire l’objet d’une admission d’office (Attakora, précité; Armson, précité).

 

h)      La conclusion selon laquelle un demandeur est ou n’est pas un témoin crédible n’est pas déterminante quant à la question de savoir s’il a qualité ou non de réfugié au sens de la Convention. Un demandeur est un réfugié, qu’il soit crédible ou non, s’il satisfait à l’élément subjectif et à l’élément objectif du critère à appliquer pour déterminer le statut de réfugié (Attakora, précité; Armson, précité).

 

i)        S’il rejette une partie du témoignage du demandeur, mais en accepte d’autres aspects, le tribunal doit déterminer si, au vu des éléments de preuve qu’il tient pour crédibles, le demandeur a qualité de réfugié au sens de la Convention (Yaliniz c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 7 Imm. LR. (2d) 163) (C.A.F.); M.M. c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 29 (C.AF.)).

 

[30]           Dans son mémoire des faits et du droit, le demandeur affirme que la Commission ne fournit en l’espèce aucune raison crédible de mettre en doute son témoignage. Il ajoute que la Commission a mal interprété la preuve, notamment en ce qui concerne la fabrication d’affiches et de tracts.

 

[31]           Selon le demandeur, il est « ridicule » pour la Commission de laisser entendre qu’il n’est pas en danger parce que son nom ne figurait pas sur les affiches ou les tracts. En fait, le demandeur affirme que, compte tenu des graves répercussions possibles, il serait surprenant de trouver des noms de membres de la BAL sur des affiches ou des tracts critiquant le BNP. Par ailleurs, le demandeur soutient que la Commission a conclu à tort que la défaite de la BAL à l’élection contredit son affirmation que ses affiches ont contribué à accroître la popularité de la BAL est erronée, car il n’y a rien de contradictoire entre les résultats d’une élection et l’incidence d’affiches.

 

[32]           Le demandeur ajoute que la preuve documentaire montre que le BNP voulait museler toute opposition politique avant et après l’élection. À cet égard, le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en s’intéressant seulement à la période précédant l’élection de 2001 et en mettant en doute la crédibilité du demandeur au motif qu’il n’avait pas été ciblé par les hommes de main du BNP au cours de cette période ou pendant l’opération Clean Heart.

 

[33]           Le demandeur soutient également que la Commission a commis une « erreur juridique claire » en concluant qu’il n’était pas plus en danger que d’autres membres de la BAL. Il n’est pas nécessaire que le demandeur soit plus en danger que d’autres membres pour qu’il puisse prouver le bien‑fondé de sa demande d’asile. Il affirme par ailleurs que la preuve documentaire montre clairement que les membres de la BAL, et pas seulement ses dirigeants, sont ciblés.

 

[34]           Le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable du fait qu’il n’a pas produit d’autres éléments de preuve documentaire à l’appui de sa demande, compte tenu notamment que son témoignage n’a pas été contredit et était crédible. À l’appui de sa position, il cite l’ordonnance datée du 31 octobre 2005, dans IMM-10509-04, Taramatti Murray, William Howard Murray c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, où la juge Dolores Hansen dit que « [traduction] (…) un tribunal ne peut pas rejeter le témoignage sous serment d’un demandeur pour la seule raison qu’il n’y a pas de preuves documentaires étayant le témoignage de vive voix ». Le demandeur ajoute avoir dit lors de son témoignage qu’il avait fait des efforts raisonnables pour obtenir d’autres documents et que, par conséquent, la Commission a eu tort de s’appuyer sur l’article 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés et de tirer une conclusion défavorable au sujet de sa crédibilité.

 

[35]           Le demandeur soutient en outre que la Commission a commis une erreur en rejetant sa preuve corroborante sans explication raisonnable ou en y accordant peu de poids, compte tenu notamment du fait que les documents ont été jugés authentiques.

 

[36]           Pour ce qui est des rapports de police, le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en affirmant que les premiers rapports d’incident sont faciles à obtenir sans citer de source étayant cette affirmation et sans aviser le demandeur, comme l’exige l’article 18 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, qu’elle s’appuyait sur un élément du ressort de sa spécialisation. Quoi qu’il en soit, le demandeur soutient qu’il a pris des mesures raisonnables pour obtenir des rapports de police en demandant à son oncle d’obtenir des copies des plaintes.

 

[37]           Quant au rapport médical attestant les blessures qu’il a subies le 16 décembre 2002, le demandeur soutient qu’il n’y a aucune preuve contradictoire démontrant que les blessures ne lui ont pas été infligées en raison de son affiliation à la BAL.

 

[38]           Le demandeur affirme également qu’il était manifestement déraisonnable de la part de la Commission d’accorder peu de poids à la lettre écrite par le secrétaire général de la Ligue Awami Jubo pour la seule raison que celui‑ci n’avait pas fourni de détails particuliers à la demande d’asile du demandeur. Il fait remarquer que la lettre confirme qu’il a été battu, harcelé et menacé par des hommes de main du BNP. Il soutient en outre qu’il n’y a pas contradiction entre le fait que le secrétaire général savait que le demandeur était persécuté lorsqu’il était au Bangladesh et le fait qu’il avait reçu d’autres informations sur la situation de la famille du demandeur après que celui‑ci eut quitté le pays.

 

[39]           Le demandeur fait en outre valoir que la conclusion de la Commission selon laquelle son père n’avait pas cessé d’enseigner et que sa mère n’avait pas perdu son emploi pour des raisons politiques ne tient pas, car elle découle de la conclusion générale de la Commission que le demandeur n’était pas crédible.

 

[40]           Pour ce qui est de la lettre de M. Saha, le demandeur soutient que la Commission a outrepassé ses pouvoirs en demandant qu’un fonctionnaire de l’ambassade du Canada se rende dans des postes de police au Bangladesh pour se renseigner sur la Special Powers Act. Selon lui, le fait que les postes de police n’ont pas de listes de personnes recherchées en vertu de la SPA n’est absolument pas pertinent et le rapport d’Amnistie Internationale étaye sa position selon laquelle le gouvernement, et pas seulement la police, peut ordonner la détention du demandeur en vertu de la SPA.

 

[41]           Pour ce qui est des documents corroborants, le demandeur affirme aussi que la Commission a commis une erreur en accordant peu de poids au rapport psychologique de Mme Pilowsky, car cette conclusion découle de l’analyse manifestement déraisonnable de la crédibilité que la Commission a faite au sujet de la demande d’asile.

 

[42]           Le demandeur affirme que la conclusion de la Commission selon laquelle il n’est pas plausible que le père du demandeur n’ait pas dit aux hommes de main du BNP que son fils était à l’étranger est manifestement déraisonnable. Outre le fait que la jurisprudence exige que la Commission examine ce qui est plausible compte tenu des antécédents et la culture du demandeur (voir, par exemple, Divsalar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 653), le demandeur soutient que la Commission n’a fourni aucun motif raisonnable justifiant sa conclusion que la réaction normale du père aurait été d’informer le BNP que son fils était à l’étranger.

 

[43]           Le demandeur affirme aussi que la Commission a violé les principes de l’équité procédurale en tirant une conclusion au sujet du délai qui s’est écoulé avant qu’il demande l’asile sans lui donner la possibilité de répondre. Il fait remarquer que la Commission a déclaré précisément à l’audience qu’il n’était pas nécessaire de l’interroger sur cette question.

 

[44]           En résumé, le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en rejetant sa demande fondée sur les articles 96 et 97 de la Loi parce la décision qu’elle a rendue repose sur des conclusions manifestement déraisonnables au sujet de la crédibilité.

 


 

Le défendeur

 

[45]           Le défendeur soutient que les conclusions de la Commission étaient raisonnablement justifiées et que, par conséquent, la Cour devrait rejeter la présente demande. Il prétend qu’il était raisonnablement loisible à la Commission de conclure que la demande d’asile du demandeur n’était pas crédible, sans pour autant nier les activités politiques du demandeur, ou de se fonder sur les contradictions ou incohérences qu’elle avait constatées. Par ailleurs, le défendeur conteste chacune des observations du demandeur.

 

[46]           Le défendeur affirme qu’il n’était pas erroné pour la Commission de conclure que le demandeur n’a pas directement participé à la création du contenu des tracts, ou de souligner que le nom du demandeur ne figurait pas sur les affiches ou les tracts et de mettre en doute son affirmation qu’il était la cible du BNP parce que les documents qu’il avait contribué à créer critiquaient ce parti. Le défendeur soutient que le simple fait que la Commission n’ait pas cru l’explication du demandeur ne suffit pas à rendre sa conclusion manifestement déraisonnable (voir Soto c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1521; Maina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 381 (QL)).

 

[47]           Le défendeur n’est pas non plus d’accord avec l’argument du demandeur selon lequel la Commission n’a tenu compte que des événements précédant l’élection d’octobre 2001. Il soutient qu’elle a effectivement examiné les divers incidents qui se seraient produits après l’élection.

 

[48]           Le défendeur affirme également que la Commission a fait remarquer à juste titre que la BAL a perdu l’élection de 2001 malgré l’affirmation du demandeur selon laquelle ses affiches avaient rendu le parti populaire. Rien dans la preuve n’indique que les affiches ont augmenté la popularité de la BAL. De plus, le demandeur n’a pas fourni à la Commission de copies des affiches ou des tracts qu’il aurait créés.

 

[49]           Pour ce qui est de l’absence de problèmes pour le demandeur pendant l’élection et l’opération Clean Heart, le défendeur soutient que ce fait est pertinent pour déterminer si l’affirmation du demandeur selon laquelle il a été la cible des hommes de main du BNP à la fin de 2002 et en 2003 est crédible, compte tenu du fait que la période électorale et la période qui a suivi immédiatement l’élection ont été très instables.

 

[50]           Le défendeur fait valoir que la Commission pouvait conclure que le demandeur n’était pas plus en danger que d’autres membres de la BAL qui avaient également distribué des affiches et des tracts. La simple appartenance à la BAL ne suffit pas, à elle seule, à étayer une possibilité sérieuse de persécution ou une menace pour la vie. Le défendeur fait remarquer que, même après avoir perdu l’élection, la BAL – l’un des partis les plus importants du Bangladesh – a continué d’exercer un pouvoir politique considérable. Il ajoute que la Commission n’a pas commis d’erreur en soulignant le manque de preuves indépendantes attestant que les personnes qui ont distribué des affiches et des tracts ont été persécutées par des hommes de main du BNP.

 

[51]           Pour ce qui est des rapports de police, le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour la Commission de tirer une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité de l’omission du demandeur de produire une preuve étayant son affirmation selon laquelle son père avait déposé plusieurs plaintes à la police en son nom. Le défendeur affirme en outre que la Commission était en droit de commenter les premiers rapports d’incident sans citer de source ou sans donner d’avis au demandeur conformément à l’article 18 des Règles. Il en est ainsi parce que cette connaissance découle clairement de l’expérience que la Commission a acquise en entendant les demandes de ressortissants du Bangladesh (voir Bula c. Canada (Secrétariat d’État), [1996] A.C.F. no 876 (QL) (C.A.)).

 

[52]           Quant à la façon dont la Commission a traité la preuve corroborante du demandeur, le défendeur soutient que le demandeur n’a pas établi que l’appréciation faite par la Commission comportait une erreur dominante. Le demandeur se contente de contester le poids accordé à la preuve. À cet égard, le défendeur soutient qu’il n’est pas justifié pour la Cour d’intervenir, car l’appréciation de la preuve est au cœur de la compétence de la Commission (voir Olah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 382).

 

[53]           Le défendeur soutient également que la Commission pouvait rejeter l’explication du demandeur selon laquelle son père n’avait pas informé les hommes de main du BNP que son fils était à l’étranger parce qu’il craignait que ceux‑ci puissent encore rendre la vie de celui‑ci misérable.

 

[54]           Au sujet du délai qui s’est écoulé avant que le demandeur présente une demande d’asile au Canada, le défendeur affirme que, vu la preuve, il était loisible à la Commission de conclure que, suivant la prépondérance de la preuve, les notes du demandeur n’étaient probablement pas suffisantes pour lui permettre de poursuivre ses études et qu’il cherchait un autre moyen de rester au Canada. Le défendeur a notamment fait remarquer qu’à l’audience, le demandeur ignorait si l’Université de Windsor lui permettrait de poursuivre ses études; cela indique qu’il avait tout simplement abandonné ses études après décembre 2003.

 

[55]           Pour ce qui est de la question de l’équité procédurale, le défendeur prétend que la Commission a informé le demandeur comme elle le devait que le délai était une question en litige en l’interrogeant sur son statut d’étudiant à l’Université de Windsor.

 

[56]           Enfin, le défendeur soutient que la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur ne s’exposerait pas au risque d’être soumis à la torture s’il retournait au Bangladesh était étayée par des motifs valables et par la preuve, dont des renseignements fournis par l’ambassade du Canada au sujet de la probabilité que la police soit à la recherche du demandeur.

 

La réponse du demandeur

[57]           Le demandeur répond aux arguments du défendeur en affirmant que la Commission n’a pas fourni de motifs de rejeter son témoignage selon lequel il avait eu des problèmes parce qu’il avait créé et distribué des documents pour le compte de la BAL. Le seul motif avancé par la Commission était qu’il n’avait pas été visé pendant l’opération Clean Heart. Le demandeur soutient que la preuve documentaire ne permet pas de conclure qu’étant donné qu’une personne n’a pas été arrêtée au cours de l’opération Clean Heart, cette personne ne risque pas d’être la cible des hommes de main du BNP.

 

[58]           Le demandeur ajoute par ailleurs que sa demande n’est pas fondée seulement sur son appartenance à la BAL, mais plutôt sur sa participation à une campagne « très critique » de distribution d’affiches et de tracts visant le BNP. Il soutient que le fait que d’autres personnes qui ont effectué le même travail ont elles aussi été visées ne diminue en rien le bien‑fondé de sa demande d’asile.

 

[59]           Le demandeur répète que la Commission lui a imposé un fardeau inacceptablement lourd à l’égard de la preuve documentaire attestant son affirmation que les personnes ayant produit et distribué les affiches et les tracts étaient en danger.

 

[60]           Quant à la preuve concernant les premiers rapports d’incident, le demandeur soutient qu’une distinction doit être faite avec l’arrêt Bula (précité) invoqué par le défendeur, car la preuve en question dans cette affaire était un rapport psychologique fourni à la Commission par le demandeur. En l’espèce, le demandeur affirme qu’il aurait dû avoir la possibilité de répondre à la preuve sur laquelle la Commission s’est appuyée à cet égard.

 

ANALYSE

[61]           Dans ses motifs, la Commission rejette la demande d’asile du demandeur, mais ne relève pas d’omissions, d’incohérences ou de contradictions dans son FRP ni dans son témoignage à l’audience. Je souligne également qu’elle n’a pas conclu que le demandeur n’était pas un témoin crédible. Elle a plutôt invoqué des invraisemblances et l’insuffisance de la preuve documentaire pour justifier sa conclusion que la demande d’asile du demandeur n’était pas crédible. Enfin, elle ne croyait pas que le demandeur est persécuté par des hommes de main du BNP ou par la police en raison de ses opinions politiques ni que sa vie était menacée. La Commission a conclu que, sauf l’incident du 16 décembre 2002, les agressions dont auraient été victimes le demandeur et ses parents ne se sont pas produites. De plus, comme elle a conclu que le demandeur n’avait pas établi que sa crainte subjective d’être persécuté étant fondée, elle n’a pas examiné le fondement objectif de la demande d’asile, à savoir l’existence d’une possibilité de refuge intérieur ou une protection suffisante de l’État.

 

[62]           La Commission a clairement compétence pour déterminer si le demandeur a établi que les incidents qui, selon lui, sont à l’origine de sa demande d’asile se sont effectivement produits. Elle a également compétence pour examiner et apprécier les éléments de preuve sous‑tendant la demande d’asile afin de déterminer leur vraisemblance et celle de la conclusion qu’ils sont censés étayer. Par exemple, il lui était loisible de faire remarquer, lorsqu’elle a remis en question la crédibilité des allégations du demandeur au sujet de sa crainte subjective d’être persécuté, que la date de la lettre de cessation d’emploi reçue par la mère du demandeur était postérieure de six mois à la date à laquelle ses parents se seraient cachés. Par contre, après avoir pris connaissance du dossier et des motifs de la Commission dans leur ensemble, je suis d’avis qu’un nombre suffisant de conclusions tirées par la Commission au sujet de la vraisemblance sont manifestement déraisonnables et qu’elles entachent sa conclusion générale selon laquelle le demandeur n’était pas la cible des hommes de main du BNP en raison de ses activités politiques au sein de la BCL et de la BAL. Par conséquent, je conclus que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en rejetant la demande d’asile du demandeur. Mes motifs sont les suivants.

 

[63]           Essentiellement, la Commission n’a pas reconnu que le demandeur présentait un intérêt pour les hommes de main du BNP parce qu’il n’était pas un dirigeant de la BAL ni le créateur présumé des affiches et des tracts critiquant le BNP. Elle n’a pas cru le demandeur lorsqu’il a expliqué que les hommes de main du BNP avaient découvert que c’était lui qui avait créé les affiches et les tracts et qu’il présentait un intérêt pour eux même si ce n’était pas lui qui avait rédigé le texte des affiches et des tracts. La Commission a également rejeté la preuve documentaire – c’est‑à‑dire le rapport médical du Dr Chowdhury concernant la blessure infligée au demandeur le 16 décembre 2002, la lettre de cessation d’emploi de la mère du demandeur et la lettre de M. Azam, secrétaire général de la Ligue Awami Jubo – fournie par le demandeur à l’appui de son affirmation qu’il était la cible des dirigeants et des hommes de main du BNP en raison de ses opinions politiques.

 

[64]           Je souligne que la Commission ne conteste pas l’affirmation du demandeur selon laquelle il est membre de la BCL ni qu’il a créé des affiches et des tracts critiquant le BNP qui ont été distribués pendant et après l’élection d’octobre 2001. Elle considère toutefois que la demande d’asile du demandeur n’est pas crédible parce qu’elle ne dispose d’aucune « preuve indépendante » selon laquelle les personnes distribuant des affiches et des tracts pour la BAL sont la cible du gouvernement et des hommes de main du BNP et parce que le demandeur lui‑même a déclaré qu’il n’avait pas été inquiété pendant l’élection ou l’opération Clean Heart.

 

[65]           Après examen du dossier de la Commission, je constate qu’il s’y trouve une preuve documentaire indiquant que ce sont pas seulement les dirigeants de la BAL qui sont exposés aux attaques du gouvernement et des hommes de main du BNP. Par exemple, dans la Réponse à la demande d’information (RDI) BGD40168.E, datée du 9 décembre 2002 (voir page 115A du dossier certifié du tribunal), on trouve la preuve que des opposants au BNP, dont des membres ordinaires et des partisans de la BAL, ont été arrêtés et détenus par les autorités du BNP et agressés par ses hommes de main. La RDI précise que, suivant un communiqué de la BBC diffusé le 1er septembre 2002, « près de 300 » partisans de la BAL ont été arrêtés par la police du Bangladesh quelques heures avant le déclenchement d’une grève générale à l’échelle nationale. Le dirigeant de la BAL, Sheikh Hasina, aurait également déclaré que des militants du BNP et du Jamaat‑Shibir sèment la terreur dans tout le pays et que le gouvernement dépose de « fausses accusations » contre des travailleurs de la BAL. Par ailleurs, Amnistie Internationale aurait invité le gouvernement à cesser de recourir à des accusations au criminel pour des raisons politiques dans le but de harceler les membres de l’opposition. Le rapport publié le 6 septembre 2002 par Amnistie Internationale (voir page 115E du dossier certifié du tribunal) indique que la SPA – promulguée par le gouvernement de la BAL de Sheikh Mujubur en 1974 – est invoquée pour détenir des membres de partis d’opposition et que, tous les ans, des milliers de personnes sont détenues en vertu de cette loi.

 

[66]           Pour ce qui est des documents corroborants invoqués par le demandeur, la Commission était effectivement habilitée à leur accorder peu de poids, mais sa décision doit être étayée, surtout, comme en l’espèce, s’il n’est pas allégué que les documents sont des faux. Pour ce qui est de la lettre de M. Azam, la Commission s’est appuyée sur l’hypothèse formulée par le demandeur que M. Azam a probablement été mis au courant de la situation actuelle de la famille du demandeur par l’oncle de celui‑ci pour mettre en doute toute la lettre, notamment la déclaration de M. Azam selon laquelle le demandeur était la cible du BNP et du Jamaat ce qui l’a incité à quitter le Bangladesh. La Commission ne fournit aucun autre motif pour douter de la véracité du contenu de la lettre de M. Azam. À mon avis, le motif invoqué par la Commission pour écarter la lettre de M. Azam n’est pas solide. Je souligne que la Commission ne conteste pas que M. Azam et le demandeur se connaissaient personnellement lorsque le demandeur exerçait des activités politiques au sein de la BCL. Il est vraisemblable que M. Azam ait eu lui‑même connaissance du fait que le demandeur était la cible des hommes de main du BNP. Il est donc également vraisemblable que la source de cette information ne soit pas l’oncle du demandeur. J’admets que l’information qu’avait M. Azam au sujet de la situation de la famille du demandeur provenait probablement de l’oncle du demandeur, puisque c’est celui‑ci qui lui avait demandé d’écrire la lettre, mais, selon moi, cela ne discrédite pas le témoignage de M. Azam concernant les activités politiques du demandeur au sein de la BCL ni le fait qu’il aurait été la cible du BNP en conséquence. Pour ce qui est du rapport médical du Dr Chowdhury, j’estime qu’il est plausible que le médecin n’aurait pas déclaré la cause présumée de la blessure du demandeur dans son rapport. Je souligne qu’à l’audience, ni l’APR ni la Commission n’ont posé de questions au demandeur au sujet précisément du rapport médical, notamment s’il avait dit au médecin comment il avait été blessé.

 

[67]           Dans l’ensemble, compte tenu de la preuve documentaire et de la preuve corroborante, j’estime que la Commission a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait aucune preuve indépendante confirmant l’affirmation du demandeur selon laquelle des travailleurs ordinaires et des partisans de la BAL, comme lui – c’est‑à‑dire les créateurs d’affiches et de tracts critiquant le BNP et les personnes les ayant distribuées – sont la cible du gouvernement du BNP et de ses hommes de main. De plus, je suis d’avis qu’il était manifestement déraisonnable pour la Commission de rejeter le fondement de la crainte de persécution du demandeur comme elle l’a fait, compte tenu du fait que le témoignage du demandeur n’a pas été contredit et que le demndeur a produit une preuve confirmant ce qu’il affirmait, à savoir la lettre de M. Azam, le rapport médical du Dr Chowdhury et la plainte déposée à la police le 25 mai 2003 par son père pour signaler que quelqu’un avait téléphoné et menacé de faire du tort au demandeur.

 

[68]           Selon moi, ces erreurs qu’a commises la Commission en concluant que les incidents allégués par le demandeur ne se sont pas produits sont suffisantes pour justifier l’intervention de la Cour. En fait, la conclusion de la Commission selon laquelle l’allégation du demandeur voulant qu’il soit la cible des hommes de main du BNP n’est pas crédible a remis en question une grande partie des autres documents et des preuves fournis par le demandeur. Par exemple, cette conclusion a amené la Commission à déclarer qu’elle ne croyait pas que l’incident du 1er décembre 2003 – où des hommes de main du BNP seraient venus chercher le demandeur chez ses parents – s’était effectivement produit ni que ses parents s’étaient cachés.

 

[69]           Par ailleurs, pour ce qui est de la lettre de M. Saha au sujet des recherches qu’il a effectuées au sujet de l’intérêt que la police pourrait porter au demandeur, je suis d’avis que la Commission ne disposait pas de suffisamment d’éléments pour ne pas y donner foi. Elle a reconnu avoir reçu confirmation que M. Saha est membre du barreau au Bangladesh et elle n’a fourni aucun motif de mettre en doute l’authenticité de cette lettre. La Commission a toutefois rejeté cette lettre en raison des renseignements qu’elle a obtenus auprès de l’ambassade du Canada au Bangladesh. S’appuyant sur ces renseignements, elle a jugé qu’il était invraisemblable que la police veuille arrêter le demandeur en vertu de la SPA parce que sa situation ne faisait pas partie des « circonstances spéciales » qui justifieraient son arrestation. J’estime qu’il est clair que la preuve n’invalide pas l’affirmationv de M. Saha selon laquelle la police pourrait arrêter le demandeur en vertu de la SPA. En fait, le rapport publié par Amnistie Internationale en septembre 2002 révèle le BNP, et la BAL dans le passé, a eu recours à la SPA pour contrôler et museler l’opposition. Par ailleurs, je conviens avec le demandeur que la Commission a outrepassé ses pouvoirs en prenant connaissance d’office de la pratique de la police concernant la SPA. Le défendeur affirme que la Commission s’est appuyée sur l’expérience acquise lors de l’audition de demandes d’asile présentées par des citoyens du Bangladesh, mais, si tel était le cas, il semble probable qu’elle aurait été en mesure de fournir une source d’information. Quant au fait que l’ambassade du Canada serait la source d’information, je souligne qu’on ne sait pas vraiment, d’après les motifs de la Commission, comment l’information a été communiquée par l’ambassade à la Commission. Quoi qu’il en soit, compte tenu de la situation politique actuelle au Bangladesh, il est vraisemblable que les pouvoirs conférés par la SPA sont exercés d’une manière allant au‑delà de l’intention initiale de la Loi.

 

[70]           Enfin, pour ce qui est du délai écoulé avant que le demandeur présente une demande d’asile, je suis d’avis que la preuve n’étaye pas la conclusion de la Commission, à savoir que, pour l’essentiel, la seule raison pour laquelle le demandeur a demandé l’asile était que ses notes n’étaient pas suffisantes pour lui permettre de poursuivre ses études à l’Université de Windsor. À l’audience tenue en août 2004 – huit mois après la fin de sa période d’études à l’Université de Windsor – la Commission a demandé au demandeur s’il pensait que l’Université de Windsor l’autoriserait à reprendre ses études, mais rien au dossier dont la Commission a été saisie n’indique que le demandeur ne pouvait pas y retourner ni qu’il n’aurait pas pu s’inscrire dans un autre établissement d’enseignement grâce à son visa d’étudiant. Par conséquent, je suis d’avis que la Commission ne pouvait pas émettre des hypothèses sur le motif pour lequel le demandeur n’a pas présenté une demande d’asile avant janvier 2004. De plus, je souligne que le demandeur a fourni une raison à cet égard dans son FRP. Il a déclaré qu’étant donné que son père pouvait subvenir à ses besoins, il pensait pouvoir étudier et commencer une nouvelle vie au Canada. Il a toutefois ajouté que, lorsque ses problèmes ont empiré au Bangladesh, il a pensé qu’il n’avait pas d’autre solution que de demander l’asile, compromettant ainsi son statut d’étudiant au Canada. À l’audience, ni l’APR ni la Commission n’ont interrogé le demandeur sur les raisons qu’il avait fournies dans son FRP afin d’expliquer pourquoi il n’avait pas demandé l’asile dès son arrivée au Canada. Quant à savoir si la Commission a violé les principes de l’équité procédurale en concluant comme elle l’a fait à cet égard, je conviens qu’elle aurait dû donner au demandeur la possibilité de répondre si elle n’acceptait pas son explication sur les motifs pour lesquels il avait attendu janvier 2004 pour demander l’asile. Par contre, il ressort de la lecture de motifs de la Commission que ce délai n’a pas établi l’existence d’une crainte subjective d’être persécuté. La Commission a plutôt répété que cette conclusion repose sur le fait qu’elle ne croyait pas aux incidents sous‑tendant la demande d’asile. J’estime donc que la Commission n’a pas violé les principes de l’équité procédurale en n’interrogeant pas le demandeur sur les raisons données pour expliquer pourquoi il a tardé à demander l’asile au Canada.

 

[71]           Pour résumer, je suis d’avis que les conclusions de la Commission en ce qui a trait à l’invraisemblance, qui fondent largement la conclusion de la Commission selon laquelle les incidents invoqués dans la demande d’asile du demandeur ne se sont pas produits, ne peuvent être maintenues.

 

[72]           Comme le défendeur le souligne, il est bien établi en droit que l’appréciation de la crédibilité est au cœur de la compétence de la Commission et que la Cour ne peut pas intervenir si la décision a un certain fondement factuel, même si des erreurs ont été commises.

 

[73]           À l’audience portant sur la demande, l’avocat du défendeur a invoqué les motifs suivants pour justifier la décision :

 

a)      Aucune explication n’a été donnée quant à la façon dont le demandeur aurait suscité l’intérêt des agents de persécution.

 

b)      Il n’était pas vraisemblable que le demandeur ait été agressé après une période de troubles importants alors qu’il n’avait pas été inquiété pendant l’élection de 2001 et l’opération Clean Heart.

 

c)      Le temps que le demandeur a pris pour quitter le Bangladesh, alors qu’il avait un passeport et que sa vie était menacée, et le temps qu’il a pris pour demander l’asile une fois arrivé au Canada.

 

[74]           Je ne crois pas que ces facteurs sont suffisants pour justifier la décision. La Commission n’a pas relevé d’incohérences, de contradictions ou d’omissions dans la preuve qu’a fournie le demandeur. En fait, elle semble avoir écarté cette preuve et s’être appuyée presque uniquement sur sa propre conception de ce qui est vraisemblable et de ce qui ne l’est pas. Quant au délai, le dossier du tribunal, aux pages 371 et 385, indique clairement que cette question n’a pas été soulevée et que la Commission ne voulait pas de questions à ce sujet.

 

[75]           Pour ce qui est du moment de l’agression, la Commission n’a été saisie d’aucun élément de preuve indiquant que des membres de la BAL n’ont pas été agressés après l’élection et la période de troubles. Ainsi, elle ne disposait donc d’aucun élément (hormis ses propres suppositions) pour réfuter les éléments de preuve clairs fournis par le demandeur sur cet aspect fondamental.

 

[76]           Pour ce qui est du manque d’information sur la façon dont les hommes de main ont pu découvrir le demandeur et le rôle qu’il avait joué, de nombreux facteurs donnent à penser que les conclusions de la Commission à cet égard étaient loin d’être inévitables. Ce facteur n’est pas un élément valable pour déterminer la crédibilité lorsque la plus grande partie de la preuve produite étayait nettement la version du demandeur et n’était pas par ailleurs contredite ou contestable.

 

[77]           Il s’agit en l’espèce de l’un des rares cas où la Cour doit intervenir dans une décision fondée sur la crédibilité. Le demandeur a soulevé de nombreux problèmes dans cette décision. Comme je l’ai dit, je souscris à la plupart des conclusions du demandeur. De par leur effet cumulatif, ces problèmes rendent la décision manifestement déraisonnable et je ne puis arriver à un autre raisonnement fondé sur la preuve qui permettrait de maintenir cette décision.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il statue de nouveau sur celle‑ci.

2.                  Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

 « James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 

 

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-6047-05

 

INTITULÉ :                                                               AHMED SHAFIQUE RAHMAN

                                                                                    c.

                                                                                    MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 19 JUILLET 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                               LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 11 AOÛT 2006     

 

 

COMPARUTIONS :

 

Krassina Kostadinov                                                    POUR LE DEMANDEUR

 

Tamrat Gebeyehu                                                         POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                               

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lorne Waldman

Waldman & Associates

Avocats                                                                        POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada                               POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

Bureau régional de l’Ontario

Toronto (Ontario)

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