Date : 20250220
Dossier : T-226-24
Référence : 2025 CF 334
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Toronto (Ontario), le 20 février 2025
En présence de madame la juge Whyte Nowak
ENTRE : |
CONCERNED CITIZENS OF RENFREW COUNTY AND AREA, REGROUPEMENT POUR LA SURVEILLANCE DU NUCLÉAIRE ET RALLIEMENT CONTRE LA POLLUTION RADIOACTIVE |
demandeurs |
et |
LABORATOIRES NUCLÉAIRES CANADIENS |
défenderesse |
JUGEMENT ET MOTIFS
Table des matières
C. Le projet d’IGDPS proposé par les LNC
D. La demande de modification du permis en vigueur, déposée par les LNC
E. Le processus mis en œuvre par la Commission
F. La décision de la Commission
2) La décision concernant la modification de permis [la décision concernant le permis]
3) La décision concernant l’obligation de consulter
IV. Les questions en litige et la norme de contrôle
1) La décision de la Commission
2) Les observations des parties
1) La décision de la Commission
2) Les observations des parties
1) La décision de la Commission
2) Les observations des parties
1) La décision de la Commission
2) Les observations des parties
1) La décision de la Commission
2) Les observations des parties
I. Aperçu
[1] Dans le Compte rendu de décision daté du 8 janvier 2024 [la décision], une formation de la Commission canadienne de sûreté nucléaire [la Commission] a approuvé la demande des Laboratoires Nucléaires Canadiens [les LNC] concernant la modification de son permis en vigueur régissant l’installation nucléaire des Laboratoires de Chalk River [les LCR], située dans le comté de Renfrew, en Ontario. La modification du permis autorise la construction d’une installation de gestion des déchets près de la surface [IGDPS], dans le cadre d’un projet d’installation de stockage définitif des déchets comprenant un monticule de confinement artificiel [le monticule de confinement] au niveau de la surface du sol. L’IGDPS pourra contenir jusqu’à 1 million de mètres cubes (m3) de déchets radioactifs de faible activité [DRFA] solides.
[2] Les demandeurs, Concerned Citizens of Renfrew County and Area [les Concerned Citizens], le Regroupement pour la surveillance du nucléaire [le RSN] et le Ralliement contre la pollution radioactive [le Ralliement] [collectivement, les demandeurs], sont des organismes à but non lucratif qui se consacrent à la protection de la santé humaine et de l’environnement dans le contexte de la gestion des déchets nucléaires. Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision, au motif qu’elle est déraisonnable. Ils reconnaissent qu’une solution permanente et moderne telle que l’IGDPS est nécessaire pour le stockage des DRFA qui se trouvent aux LCR, mais ils affirment que la décision de la Commission comporte des lacunes importantes en ce qui concerne les limites de dose des déchets radioactifs, les critères de vérification des déchets, les mesures d’atténuation pour les espèces en péril et les effets cumulatifs sur l’environnement, lesquelles lacunes ont pour effet de rendre la décision déraisonnable.
[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’il n’a pas été démontré que la décision était déraisonnable, lorsqu’elle était lue dans son ensemble et en tenant compte des compétences techniques de la Commission, de son examen du dossier, ainsi que des contraintes juridiques et factuelles imposées au décideur. Tant la décision que le dossier révèlent que la Commission est parvenue à s’attaquer de façon significative aux questions et préoccupations centrales soulevées par les parties ainsi que les 165 intervenants qu’elle a entendus. Les demandeurs n’ont démontré, dans les motifs fournis par la Commission, aucune lacune fondamentale qui minerait la confiance de notre Cour à l’égard de la décision.
II. Le cadre législatif
[4] L’IGDPS proposée serait autorisée aux termes de la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires, LC 1997, c 9 [la LSRN], et de ses règlements d’application.
[5] La Commission canadienne de sûreté nucléaire a été constituée en vertu de l’article 8 de la LSRN, et elle exerce une fonction à la fois réglementaire et décisionnelle. Dans les présents motifs, je désignerai la formation constituée aux termes de l’article 22 de la LSRN, soit la composante tribunal, sous l’appellation « Commission »
pour la distinguer de la CCSN (ou Commission canadienne de sûreté nucléaire), qui renvoie à l’organisme réglementaire et au personnel de ce dernier.
[6] La CCSN est le seul organisme de réglementation nucléaire au Canada. Elle a pour mandat de réglementer le développement, la production et l’utilisation de l’énergie nucléaire ainsi que la production, la possession et l’utilisation des substances nucléaires et de l’équipement réglementé afin que i) le niveau de risque inhérent à ces activités, tant pour l’environnement, pour la santé et la sécurité des personnes, que pour la sécurité nationale, demeure acceptable; ii) ces activités soient exercées en conformité avec les mesures de contrôle et les obligations internationales que le Canada a assumées (LSRN, art 9a)).
[7] La CCSN est en outre l’organisme qui délivre les licences et permis aux personnes souhaitant exercer l’une des activités réglementées qui sont par ailleurs interdites. Elle a le pouvoir de délivrer, renouveler, suspendre en tout ou en partie, révoquer ou remplacer une licence ou un permis, ou d’en autoriser le transfert (LSRN, art 24‐26), et d’assortir toute licence ou tout permis des conditions qu’elle estime nécessaires (LSRN, art 24(5)).
[8] Plusieurs règlements d’application qui concernent notamment les permis et les licences dans le domaine nucléaire ont été pris en vertu de l’article 44 de la LSRN :
i)Le Règlement général sur la sûreté et la réglementation nucléaires, DORS/2000-202 [le RGSRN], énonce les motifs pour la délivrance, le renouvellement, la modification, la révocation ou le remplacement d’un permis et impose des obligations aux titulaires de permis, qui doivent notamment prendre
« toutes les précautions raisonnables pour protéger l’environnement, préserver la santé et la sécurité des personnes et maintenir la sécurité des installations nucléaires et des substances nucléaires »
(RGSRN, art 12(1)c));ii)Le Règlement sur les installations nucléaires de catégorie I, DORS/2000-204 [le Règlement sur les installations de catégorie I], indique les renseignements qui doivent figurer dans une demande de permis de construction d’une nouvelle installation de catégorie IB, comme l’IGDPS, et les exigences relatives à l’information sur l’exploitation du site des LCR dans le cadre du permis;
iii)Le Règlement sur la radioprotection, DORS/2000-203 [le RRP], comprend des dispositions pour préserver la santé et la sécurité des personnes et pour protéger l’environnement contre tous les risques liés aux activités nucléaires réglementées, y compris en ce qui concerne les doses de rayonnement. De plus, le RRP rend obligatoire l’élaboration d’un programme de radioprotection applicable pendant l’exploitation éventuelle de l’IGDPS, sous réserve de l’autorisation de la CCSN;
iv)Le Règlement sur les substances nucléaires et les appareils à rayonnement, DORS/2000-207 [le RSNAR], s’applique à toutes les substances nucléaires et sources scellées, ainsi qu’à tous les appareils à rayonnement qui ne font pas partie de l’équipement réglementé de catégorie II (RSNAR, art 2(1)), et contient des dispositions établissant les niveaux de libération conditionnelle, les niveaux de libération inconditionnelle ainsi que les quantités d’exemption relativement aux substances nucléaires radioactives répertoriées qui sont abandonnées, détenues ou stockées, sans que ces activités ne soient autorisées par un permis.
III. Les faits
A. Les demandeurs
[9] Les Concerned Citizens sont un organisme à but non lucratif, constitué en personne morale, qui s’affaire depuis plus de 45 ans à la prévention de la pollution radioactive provenant du secteur nucléaire et à l’assainissement dans la vallée de l’Outaouais.
[10] Le RSN est un organisme à but non lucratif constitué en personne morale qui se consacre à l’éducation et à la recherche concernant des questions qui touchent à l’énergie nucléaire.
[11] Le Ralliement est un organisme à but non lucratif constitué en personne morale dont la mission est « d’agir bénévolement et collectivement pour favoriser des solutions responsables de gestion des déchets radioactifs qui soient sans risque pour l’environnement et pour la santé de la population »
.
[12] Tous les demandeurs ont présenté des observations orales et écrites à la Commission. Ils ont également soutenu certaines observations d’autres intervenants, dont celles de M. James Walker [M. Walker], ancien directeur, Technique de la sûreté et Permis, Laboratoires de Chalk River.
B. Les LNC
[13] Les LNC sont une société fermée qui exploite et gère des sites, des installations et des actifs nucléaires appartenant à Énergie atomique du Canada limitée [EACL], société d’État fédérale qui est propriétaire du site des LCR. EACL a confié aux LNC, par contrat, la gestion de ses sites, ses activités nucléaires, ses programmes de déclassement et ses responsabilités relatives aux déchets.
[14] Les LNC exploitent le site des LCR, qui est situé sur des terres fédérales dans le comté de Renfrew, en Ontario, à environ 200 km au nord‐ouest d’Ottawa et à 1,1 km de la rivière des Outaouais. On retrouve sur le site plusieurs installations nucléaires et non nucléaires, y compris des installations de gestion des déchets, qui sont exploitées par les LNC dans le cadre d’un permis d’exploitation d’établissement de recherche et d’essais nucléaires, sous le régime de la LSRN [le permis en vigueur], qui a été renouvelé pour une période de 10 ans en 2018.
C. Le projet d’IGDPS proposé par les LNC
[15] Les LNC ont présenté à la CCSN une demande de permis pour la construction de l’IGDPS, aux fins de l’évacuation sûre de DRFA solides.
[16] L’IGDPS sera construit au niveau de la surface du sol, comportera un monticule de confinement d’une hauteur de 18 mètres et comprendra un système multicouche avec revêtement de fond et couverture. Construit en deux phases, le monticule sera composé de 10 cellules de stockage des déchets, chacune étant recouverte d’une couverture une fois remplie. Selon la proposition, le projet comprendra également une usine de traitement des eaux usées, ainsi que des infrastructures de soutien permettant l’exploitation et les activités relatives aux infrastructures du site [collectivement, le projet d’IGDPS].
[17] Le projet d’IGDPS a pour but de garantir le stockage permanent des DRFA actuels et à venir sur le site des LCR. Les DRFA comprennent les déchets actuellement stockés temporairement sur le site des LCR, y compris les sols contaminés, les matériaux de construction et le matériel (par exemple, des vadrouilles, des chiffons et des vêtements de protection). En grande majorité, les déchets qui devraient être stockés dans l’IGDPS seront composés de terre et déchets de terre, ainsi que de résidus de déclassement ou de démolition. Le reste du volume total de déchets, soit 15 %, sera contenu dans divers types d’emballages.
[18] L’IGDPS servira également au stockage des DRFA à venir qui seront générés par les activités d’assainissement, de déclassement et d’exploitation du site des LCR, ainsi que de déchets provenant d’autres sites appartenant à EACL et d’autres sources commerciales, y compris les hôpitaux et les universités du Canada. Il est prévu qu’environ 30 % des DRFA à stocker dans l’IGDPS sont actuellement entreposés sur place et qu’environ 60 % des DRFA seront générés par les activités futures des LCR.
[19] La durée de vie nominale du monticule de confinement est de 550 ans, de manière à respecter la période requise pour la désintégration radiologique de l’inventaire des déchets, ce qui nécessite isolement et confinement jusqu’à plusieurs centaines d’années.
[20] Le projet d’IGDPS se déroulera en cinq étapes. La période préfermeture comprendra les étapes suivantes : i) l’étape de la construction qui durera trois ans; ii) une étape d’exploitation de cinquante ans, au cours de laquelle les DRFA seraient stockés dans le monticule de confinement; et iii) l’étape de fermeture qui durera trente ans. La période post-fermeture comprendra les deux autres étapes, soit iv) une période de contrôle institutionnel de trois cents ans; et v) une période postérieure au contrôle institutionnel, d’une durée indéfinie, qui commencerait vers l’année 2400.
D. La demande de modification du permis en vigueur, déposée par les LNC
[21] L’IGDPS proposée est considérée comme une nouvelle installation nucléaire de catégorie IB, aux termes de l’alinéa 19a) du RGSRN. Les LNC et la CCSN conviennent que l’IGDPS proposée n’est pas autorisée dans le cadre du permis actuel et que la Commission doit approuver une modification du permis pour en permettre la construction.
[22] Le 31 mars 2017, les LNC ont présenté une demande de modification de permis, aux termes de l’article 5 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), LC 2012, c 19, art 52 [la LCEE 2012] (maintenant abrogée), et de l’article 24 de la LSRN, pour une modification du permis en vigueur en vue d’obtenir l’autorisation de construire une IGDPS. Le 26 mars 2021, les LNC ont présenté une demande mise à jour, accompagnée de la documentation technique actualisée [la demande des LNC].
E. Le processus mis en œuvre par la Commission
[23] La Commission a recueilli des renseignements pendant huit ans. Une audience publique a eu lieu en mode virtuel le 22 février 2022 (partie 1) et en personne du 30 mai au 3 juin 2022 (partie 2).
[24] Le 5 juillet 2022, la Commission a publié une directive procédurale accordant plus de temps pour obtenir des données probantes et des renseignements supplémentaires concernant les activités de mobilisation et de consultation auprès de la Première Nation de Kebaowek et de la Première Nation Anishinabeg de Kitigan Zibi. La date limite pour le dépôt des renseignements supplémentaires a été reportée à deux reprises. La Commission a reçu des observations orales ou écrites supplémentaires de la part d’intervenants qui avaient présenté des observations de vive voix lors de la partie 2 de l’audience publique. L’audience finale a été tenue le 10 août 2023 pour entendre les observations finales des Nations et communautés autochtones.
[25] La Commission était assistée par la CCSN, autorité responsable des questions relatives aux permis et licences au titre de la LSRN, ainsi que de l’évaluation environnementale [EE] du projet d’IGDPS aux termes de la LCEE 2012.
[26] En tout, la Commission a reçu des observations des LNC et de la CCSN, ainsi que des observations écrites et/ou orales de 165 intervenants, notamment les demandeurs. La Commission a reconnu le niveau d’intérêt élevé du public à l’égard du projet, et elle a déclaré avoir « soigneusement examiné tous les mémoires et tous les points de vue reçus, conformément à son mandat »
. Le dossier comprenait plus de 14 000 pages d’éléments de preuve.
F. La décision de la Commission
[27] La Commission a rendu le 8 janvier 2024 sa décision de 157 pages qui comprend trois volets.
1) Le volet relatif à la décision concernant l’évaluation environnementale [la décision concernant l’EE]
[28] Premièrement, l’IGDPS est un projet désigné qui nécessite une EE aux termes de la LCEE 2012. Par conséquent, conformément à la LCEE 2012, la Commission devait rendre une décision favorable relative à l’EE avant qu’une décision ne soit prise concernant la délivrance d’un permis sous le régime de la LSRN.
[29] Dans le cadre de son EE aux termes de la LCEE 2012, la Commission devait décider si le projet d’IGDPS était susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants, tels que définis aux paragraphes 5(1) et (2) de cette loi. Dans une décision rendue en mars 2017, la Commission avait établi la portée de l’EE du projet d’IGDPS, notamment concernant l’exigence portant que l’EE devait englober la totalité du cycle de vie du projet [la question relative à l’EE]. La Commission a fourni l’explication suivante dans ses motifs :
À la section 1.2.1 du CMD 22‐H7, le personnel de la CCSN a expliqué que bien que la portée des activités de la demande des LNC se limite à la construction, l’article 5 du Règlement sur les installations nucléaires de catégorie I ainsi que l’orientation et les pratiques internationales recommandent que les évaluations de la sûreté opérationnelle et post-fermeture soient suffisamment détaillées et examinées par l’organisme de réglementation dans le but d’établir le fondement justifiant la réalisation des travaux de construction. Par conséquent, au cours de cette phase d’autorisation, le personnel de la CCSN a également évalué le caractère adéquat de la conception, de la construction, de la mise en service, de l’exploitation, du déclassement, de la fermeture et du rendement post-fermeture de l’IGDPS par rapport aux exigences réglementaires respectives et aux normes et orientations internationales, de même qu’aux meilleures pratiques de l’industrie (Compte rendu de la décision, au para 437). [Souligné dans l’original.]
[30] À l’égard de la question relative à l’EE, la Commission a conclu que le projet d’IGDPS n’était pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants, pourvu que toutes les mesures d’atténuation proposées aient été mises en œuvre.
[31] Dans sa décision concernant l’EE aux termes des paragraphes 5(1) et (2) de la LCEE 2012, la Commission a tiré les conclusions suivantes : i) le processus de choix de l’emplacement des LNC respectait toutes les normes applicables, et le site choisi pour l’IGDPS était un emplacement acceptable; ii) l’IGDPS n’entraînerait pas d’effets négatifs importants sur la santé humaine ou les espèces en péril; et iii) l’IGDPS n’entraînerait pas d’effets négatifs importants et cumulatifs sur l’environnement.
[32] Par conséquent, la Commission a décidé qu’elle pouvait aller de l’avant avec son examen de la modification de permis proposée au titre de la LSRN.
2) La décision concernant la modification de permis [la décision concernant le permis]
[33] La Commission devait décider s’il y avait lieu d’accorder aux LNC une modification de permis en application de l’article 24 de la LSRN. Conformément au paragraphe 24(4) de la LSRN, la Commission devait être convaincue que les conditions suivantes étaient satisfaites :
a)les LNC sont compétents pour exercer les activités de construction relatives au projet d’IGDPS;
b)les LNC prendront, dans le cadre de ces activités, les mesures voulues pour préserver la santé et la sécurité des personnes, pour protéger l’environnement, pour maintenir la sécurité nationale et pour respecter les obligations internationales que le Canada a assumées [collectivement, la question concernant le permis].
[34] Le projet devait notamment satisfaire aux exigences énoncées au RGSRN et au Règlement sur les installations de catégorie I, concernant la modification d’une demande de permis pour les installations nucléaires de catégorie IB.
[35] À l’égard de la question concernant le permis, la Commission a conclu que la demande des LNC satisfaisait aux conditions énoncées à l’article 24 de la LSRN, en vue de la modification du permis en vigueur pour la construction du projet d’IGDPS. Le permis modifié a donc été accordé et sera valide jusqu’au 31 mars 2028.
[36] Les principaux aspects pertinents de la décision concernant le permis rendue par la Commission aux termes de la LSRN sont les suivants : i) la demande de modification de permis est complète et conforme aux exigences réglementaires applicables; ii) les LNC sont compétents pour exercer les activités autorisées aux termes du permis modifié proposé; iii) l’IGDPS n’est pas susceptible d’entraîner des effets négatifs importants sur l’environnement; iv) les LNC ont mis en place des programmes adéquats concernant les domaines de sûreté et de réglementation applicables pour préserver la santé et la sécurité des travailleurs et du public, et pour protéger l’environnement pendant la construction de l’IGDPS; et v) les LNC continueront à prendre des mesures pour maintenir la sécurité nationale et pour respecter les obligations internationales que le Canada a assumées.
3) La décision concernant l’obligation de consulter
[37] La troisième question était celle de savoir si la Couronne s’était acquittée de son obligation de consulter les peuples autochtones. L’obligation de la Couronne de consulter n’est pas en cause dans le cadre de la présente demande. En revanche, elle fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire distincte dans le dossier de la Cour fédérale T‐227‐24.
IV. Les questions en litige et la norme de contrôle
[38] Les demandeurs ont soulevé les cinq questions suivantes qui, à leur avis, révèlent des erreurs commises par la Commission qui rendent la décision déraisonnable :
Première question – La décision est-elle déraisonnable parce que la Commission avait appliqué la mauvaise limite de dose de rayonnement, sans fournir aucune explication ou justification et sans tenir compte du régime législatif concernant l’EE?
Deuxième question – La décision est-elle déraisonnable parce que les LNC n’ont pas fourni les renseignements requis au titre des alinéas 3(1)c) et j) du RGSRN?
Troisième question – La Commission s’est-elle attaquée de façon significative aux observations des intervenants concernant le caractère inadéquat du processus des LNC pour vérifier que les déchets stockés dans l’IGDPS sont conformes aux critères d’acceptation des déchets [les CAD]?
Quatrième question – La Commission s’est-elle attaquée de façon significative aux observations des intervenants portant que l’habitat du loup de l’Est serait endommagé ou détruit en raison des activités de préparation de l’emplacement et de construction de l’IGDPS?
Cinquième question – La Commission s’est-elle attaquée de façon significative aux arguments des demandeurs portant que les LNC n’ont pas fourni suffisamment de renseignements pour permettre au commissaire de tenir compte de tous les effets cumulatifs de l’IGDPS sur l’environnement, conformément à l’alinéa 19(1)a) de la LCEE 2012?
[39] Je conviens avec les parties que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, comme elle a été établie dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].
[40] Dans le cadre de son analyse du caractère raisonnable d’une décision, une cour de révision doit examiner les motifs fournis par le décideur administratif de façon globale et contextuelle (Vavilov, aux para 85, 97) et avec une « attention respectueuse »
, notamment en faisant preuve de retenue à l’égard des compétences techniques du tribunal, tout en cherchant à comprendre la décision contestée en vue de décider si elle est, dans l’ensemble, à la fois rationnelle, logique et « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti »
(Vavilov, aux para 84‐85).
[41] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas « une chasse au trésor »
à la recherche d’une erreur (Vavilov, au para 102). Il vise plutôt à faire en sorte que la cour de révision intervient uniquement lorsque la décision comporte une lacune importante qui porte atteinte à la légitimité, à la rationalité ou à l’équité du processus administratif (Vavilov, aux para 99‐100, et Canadian National Railway Company v Halton (Regional Municipality), 2024 FCA 160 [CNR] au para 44).
V. Analyse
Première question – La décision est-elle déraisonnable parce que la Commission avait appliqué la mauvaise limite de dose de rayonnement, sans fournir aucune explication ou justification et sans tenir compte du régime législatif concernant l’EE?
[42] La Commission était tenue de réaliser l’EE, conformément aux alinéas 5(1)c) et 5(2)b) de la LCEE 2012, afin d’examiner les répercussions du projet d’IGDPS sur la santé humaine tout au long du cycle de vie de l’IGDPS.
1) La décision de la Commission
[43] Pour rendre sa décision concernant l’EE, la Commission s’est appuyée sur une limite de dose de rayonnement de 1 000 μSv/an (1 mSv/an). Le sievert (Sv) est une unité de mesure du rayonnement utilisée pour représenter le risque de rayonnement externe auquel une personne est exposée, et « Sv/an »
représente l’exposition à la radioactivité au cours d’une année.
[44] La Commission a justifié son choix de dose de rayonnement de référence dans la décision en renvoyant au paragraphe 1(3) du RRP et à l’article 2 de la LSRN, qui fixe la limite réglementaire pour la population à 1 mSv par année civile. En ce qui concerne la limite de dose de rayonnement appliquée dans l’évaluation de la sûreté post-fermeture des LNC, la Commission a déclaré ce qui suit :
À la section 4.1.14 du dossier de sûreté de l’IGDPS, les LNC ont signalé que la dose maximale prévue dans le cadre du scénario d’évolution normale était de 0,015 millisievert par an (mSv/an). Dans ce scénario, la dose serait reçue 4 100 ans après la fermeture par une personne pour laquelle on suppose, par prudence, qu’elle habiterait directement au-dessus du [monticule de confinement]. Cette dose équivaut à 1,5 % de la limite de dose réglementaire à la population fixée à 1 mSv par an [la note en bas de page indique que, conformément au RRP, il s’agit de la limite pour une personne qui n’est pas un travailleur du secteur nucléaire], et à moins de 1 % de la dose attribuable au rayonnement de fond au Canada (décision, au para 112).
[45] Quant à sa conclusion sur la sûreté à long terme dans son EE, la Commission a jugé que l’évaluation de la sûreté post-fermeture du projet d’IGDPS réalisée par les LNC satisfaisait aux exigences réglementaires et à l’orientation internationale.
[46] Dans sa conclusion générale sur les effets du projet d’IGDPS sur la santé humaine, la Commission a fait remarquer que la dose de rayonnement estimée aux personnes qui ne sont pas des travailleurs du secteur nucléaire « devrait être bien inférieure à la limite réglementaire de dose fixée à 1 mSv/an durant les périodes préfermeture et post-fermeture »
(décision, au para 247).
2) Les observations des parties
[47] Les demandeurs ne contestent pas que les limites appliquées par la Commission s’appliquent à l’IGDPS actuellement et pour les 350 prochaines années. Ils affirment que la dose de rayonnement maximale prévue post-fermeture de l’IGDPS de 15 μSv/an se produira toutefois 4 100 ans après la fermeture, soit très clairement au cours de la période postérieure au contrôle institutionnel, car [traduction] « un contrôle réglementaire aussi loin dans l’avenir est vraisemblablement impossible »
. Les demandeurs soutiennent que la Commission était tenue d’examiner et d’appliquer la limite de dose de rayonnement appropriée pour les matières exemptes de contrôle réglementaire, ce qu’elle n’a pas fait.
[48] Selon les demandeurs, il convient d’appliquer pour les substances une limite de dose de rayonnement de 10 μSv/an au cours de la période postérieure au contrôle institutionnel, pendant laquelle ces substances ne feraient plus l’objet d’une surveillance réglementaire. Cette limite correspond au niveau de libération conditionnelle figurant dans le RSNAR, qui respecte les normes de l’Agence internationale de l’énergie atomique [l’AIEA] concernant la période postérieure au contrôle institutionnel. L’IGDPS ne respecte pas cette limite.
[49] Les demandeurs soutiennent que, lors de son examen des limites de dose de rayonnement à appliquer dans le cadre de sa décision concernant l’EE, la Commission a commis trois erreurs rendant sa décision déraisonnable.
[50] Premièrement, comme le régime réglementaire permettait autant d’appliquer la limite de dose de rayonnement dans les scénarios où s’exerce un contrôle réglementaire continu (comme l’ont soumis les LNC) et, subsidiairement, d’appliquer la limite applicable dans les scénarios exempts de contrôle réglementaire (comme l’ont affirmé les demandeurs), la Commission était tenue de justifier son choix relatif à la limite de dose, ce qu’elle n’a pas fait (Vavilov, aux para 110, 122).
[51] Deuxièmement, la Commission n’a pas tenu compte des normes internationales.
[52] Enfin, la Commission n’a pas examiné ou traité comme il se doit la preuve contradictoire de M. Walker, l’un des intervenants ayant affirmé que 10 μSv/an était la limite appropriée pour évaluer les doses de rayonnement au public, en l’absence de contrôle réglementaire.
[53] Les LNC font valoir que, tant leur organisation que la Commission ont justifié convenablement la limite de 1 mSv/an et que les arguments des demandeurs ne tiennent pas compte de la justification fournie. Les LNC contestent l’hypothèse des demandeurs selon laquelle l’étape post-fermeture est synonyme d’abandon. La période post-fermeture comprendra une période de contrôle institutionnel de trois cents ans et une période postérieure au contrôle institutionnel d’une durée indéfinie. Les LNC soulignent en outre que la décision faisait état uniquement de l’autorisation de la construction de l’IGDPS, sans mentionner un calcul des niveaux de dose de radioactivité dans un scénario caractérisé par l’absence de contrôle réglementaire. Ils affirment que, à la lumière du dossier, il ressort de la décision que la Commission s’est penchée comme il se devait sur les observations des demandeurs, même si elle ne les a pas analysés expressément dans la décision.
3) Analyse
a) La Commission a justifié la limite de dose de rayonnement applicable à un scénario post-fermeture
[54] Je conclus que la décision de la Commission concernant la limite de dose de rayonnement applicable est à la fois justifiée et raisonnable, et je ne peux conclure qu’il existe une lacune fondamentale dans la décision qui rendrait celle-ci déraisonnable.
[55] D’abord, contrairement à ce que prétendent les demandeurs, la Commission a justifié dans ses motifs le choix d’une limite de dose 1 mSv/an, notamment en acceptant l’argument des LNC portant que la période post-fermeture n’est pas synonyme d’abandon, puisque cette période comprend la mise en œuvre de contrôles institutionnels. Tout au long de la décision, la Commission a mentionné à maintes reprises sa présomption de contrôle institutionnel, par exemple aux paragraphes 43 et 44, où elle explique en quoi consistent les transitions vers la période de contrôle institutionnel et la période post-fermeture :
Interrogé afin d’obtenir des renseignements supplémentaires sur la transition du projet d’IGDPS vers la période de contrôle institutionnel, un représentant des LNC a expliqué que la transition nécessiterait l’autorisation de la Commission. Il a ajouté que dans le cadre de la demande de transition vers le contrôle institutionnel, les LNC seraient tenus de mettre à jour leurs évaluations de la sûreté à l’égard de l’IGDPS et de fournir des données de surveillance environnementale pour démontrer que le site est stable et que son rendement est conforme aux prévisions. Les LNC seraient également tenus de définir les mesures de contrôle physique et administratif proposées qui seront mises en œuvre au cours de la période de contrôle institutionnel.
De nombreux intervenants [...] ont soulevé la préoccupation selon laquelle les déchets placés dans l’IGDPS seraient effectivement abandonnés pendant la période post-fermeture. À la section 1.4.4 du CMD 22‐H7.1 [les observations écrites des LNC], les LNC ont indiqué que la phase post-fermeture du projet d’IGDPS n’est pas synonyme d’« abandon » de l’installation. Les LNC ont soutenu que la phase post-fermeture comprend la mise en œuvre de contrôles institutionnels pendant au moins 300 ans. Toutefois, la période de contrôle institutionnel se poursuivra aussi longtemps que les organismes de réglementation le jugeront nécessaire. À la section 1.2 du CMD 22‐H7 [les observations écrites de la CCSN], le personnel de la CCSN a expliqué qu’à la fin de la période de contrôle institutionnel, les LNC devront demander l’autorisation de la Commission pour soustraire l’IGDPS au contrôle réglementaire de la CCSN. Il a rajouté qu’en tant qu’entité fédérale permanente et propriétaire des passifs et responsabilités associés aux sites gérés par les LNC, EACL est responsable de contrôler et de restreindre l’utilisation des terres correspondant à l’empreinte de l’IGDPS aussi longtemps qu’il le faudra.
[56] La présomption de contrôle institutionnel faite par la Commission était raisonnable, étant donné que cette dernière avait pris sa décision concernant l’EE en s’appuyant sur un régime législatif et réglementaire qui exige une autorisation pour chaque étape du cycle de vie de l’IGDPS, y compris l’abandon. Le fait d’analyser un scénario exempt de contrôle réglementaire, alors que les LNC ont convenu que la période de contrôle institutionnel prévue ne prendra pas fin après la phase d’exploitation de l’IGDPS, à moins d’une autorisation de la Commission à cet égard, contredirait la nature du régime et la fonction même de la Commission sous le régime de la LSRN. Dans l’ensemble de sa décision, la Commission insiste sur la nécessité des autorisations futures :
Selon le processus d’autorisation et les exigences réglementaires actuels, les LNC seront tenus de demander l’autorisation de la Commission avant de commencer chacune des phases de construction, d’exploitation, de déclassement de l’infrastructure redondante du site et des installations de soutien, de fermeture (y compris le début de la période de contrôle institutionnel) et de contrôle post-institutionnel (décision, au para 41).
[57] Conformément au régime, avant la levée du contrôle à l’égard de l’IGDPS, les substances stockées dans l’IGDPS doivent toutes être sous contrôle institutionnel. Ensuite, pour que soit levé ce contrôle institutionnel, la Commission, en tant qu’organisme de réglementation, doit être satisfaite que l’IGDPS respecte toutes les exigences réglementaires, y compris la limite de dose de rayonnement de 15 μSv/an pendant la période postérieure au contrôle institutionnel.
[58] Enfin, il ne fait aucun doute que les limites de dose de rayonnement sont un aspect essentiel de la décision concernant l’EE et que les LNC étaient tenus de présenter à la Commission un dossier de sûreté convaincant tout au long du cycle de vie du projet d’IGDPS. Néanmoins, j’estime que le fait que la Commission n’ait pas expressément examiné des limites de dose de rayonnement différentes reposant sur un scénario hypothétique d’abandon dans 4100 ans, d’une manière qui est contraire au régime d’autorisations prévu par la LSRN, ne représente pas une lacune fondamentale qui compromet le caractère raisonnable de la décision (Vavilov, aux para 100, 122, et CNR, au para 55). Il convient de rappeler que la modification demandée concerne en fin de compte la construction de l’IGDPS et que la Commission a pris acte du fait qu’il n’y aurait aucune activité radiologique à effectuer pendant cette phase du cycle de vie du projet.
b) La Commission a tenu compte des instruments internationaux applicables
[59] La Commission mentionne expressément les normes de l’AIEA dont elle a tenu compte. En outre, à la demande de la Commission, la CCSN a présenté une mise en correspondance entre la documentation technique de l’IGDPS et les normes de l’AIEA, et la Commission a finalement conclu qu’elle était satisfaite des renseignements fournis concernant « l’alignement »
du projet sur les normes de l’AIEA.
[60] Bien que les normes internationales appliquées par la Commission puissent être distinctes des instruments internationaux invoqués par les demandeurs, étant donné leur hypothèse différente selon laquelle la période post-fermeture était un scénario exempt de contrôle réglementaire, je suis convaincue que le dossier révèle que la Commission a tenu compte de tous les instruments internationaux applicables à l’IGDPS.
c) La Commission a traité adéquatement la preuve de M. Walker concernant la limite de dose de rayonnement appropriée
[61] Les demandeurs ont présenté plusieurs arguments, dont celui-ci est le premier, selon lesquels la Commission avait omis d’examiner et de traiter convenablement l’un des points principaux de leur argumentation. Les demandeurs font valoir que, non seulement l’arrêt Vavilov promeut une culture de « justification adaptée »
portant que les décideurs sont tenus de « s’attaquer de façon significative »
aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties (Vavilov, au para 128), mais la justification doit être encore mieux adaptée aux questions et préoccupations soulevées lorsque, comme en l’espèce, la décision de la Commission aura une incidence durable sur la vie et la santé des Canadiennes et Canadiens (Vavilov, aux para 133‐135).
[62] Les LNC font valoir que ce n’est pas parce que la décision porte essentiellement sur les déchets nucléaires qu’elle appelle une norme plus élevée de justification adaptée, et que la Cour doit tenir compte de la complexité de l’instance pour décider si la Commission s’est acquittée de son obligation de justification.
[63] Je suis d’accord pour dire qu’il ne fait aucun doute que les motifs de la Commission commandent un degré élevé de justification adaptée, compte tenu de l’incidence de la décision sur la vie des Canadiennes et Canadiens. Cependant, je conviens avec les LNC que, pour examiner la question de savoir si la Commission a satisfait à un degré plus élevé de justification, la Cour doit prendre en compte la taille du dossier et le nombre d’observations que devait traiter la Commission.
[64] Dans une affaire comme celle qui nous occupe, alors qu’il y avait 165 intervenants et des milliers de pages d’observations, quatre principes importants se révèlent particulièrement utiles à notre Cour pour l’examen de la question de savoir si la Commission s’est acquittée de son obligation de s’attaquer de façon significative aux arguments des demandeurs.
[65] Premièrement, la cour de révision doit établir si le décideur a abordé l’essentiel des arguments des parties, dans la mesure où ceux-ci concernent les questions que le décideur était appelé à trancher (CNR, au para 45). L’obligation de s’attaquer aux arguments n’exige pas du décideur qu’il mentionne expressément les arguments soulevés par les parties ni qu’il reproduise la formulation ou la terminologie utilisée dans ces arguments (Vavilov, aux para 91, 128, et CNR, aux para 72, 77).
[66] Deuxièmement, il y a lieu de faire preuve de déférence à l’égard de la Commission qui a rendu sa décision en mettant à contribution ses compétences techniques, pour déterminer lesquelles des diverses observations et propositions constituent les arguments « principaux »
qu’elle devait traiter dans ses motifs (Vavilov, au para 93). En l’espèce, la Commission a mentionné 16 « thèmes récurrents »
soulevés dans les diverses observations reçues en rapport avec le projet d’IGDPS et, dans chaque section de la décision, elle a traité quelques arguments des parties et des intervenants, y compris certaines observations (mais pas toutes) des demandeurs et de M. Walker. Selon le principe retenu dans l’arrêt Vavilov, le fait que le décideur administratif n’ait pas traité en détail ou du tout une question ne signale pas systématiquement une omission de tenir compte de la preuve. Dans certains cas, le manque de détails ou le silence à l’égard d’une question donnée peut être attribuable à l’expérience et à l’expertise du décideur administratif (Vavilov, aux para 93, 94), ou à la tâche difficile de faire la synthèse de grandes quantités de renseignements pour en dégager l’essentiel (Halton (Regional Municipality) v Canada (Transportation Agency), 2024 FCA 122 [Halton] aux para 21‐32).
[67] Troisièmement, la cour de révision doit apprécier l’obligation du décideur de s’attaquer à un argument principal en examinant l’argument qui a été présenté en réalité, et non une version reformulée ou réimaginée après le fait, lors du contrôle judiciaire (R c REM, 2008 CSC 51 [REM] aux para 34, 35).
[68] Enfin, dans les procédures complexes, le décideur doit avoir la possibilité de s’attaquer aux arguments principaux au cours de l’instance, et pas seulement dans ses motifs. Ce principe est compatible avec l’arrêt CNR, dans lequel la Cour d’appel fédérale a conclu que, dans l’appréciation de la question de savoir si l’obligation de justification adaptée a été satisfaite, la cour de révision doit lire la décision à la lumière du dossier et tenter de comprendre, de façon globale et contextuelle, les motifs ainsi que l’essence de l’examen de la preuve par le décideur (CNR, aux para 44, 45, 72, 105, 106).
[69] En appliquant ces principes à la question de savoir si la Commission s’est attaquée de façon significative à l’argument contraire de M. Walker et des demandeurs sur la limite de dose, je conclus que l’examen du dossier révèle que la Commission s’est effectivement penchée sur cet argument, bien qu’elle ne fasse aucune mention dans ses motifs de l’autre argument sur la limite de dose invoqué par les demandeurs.
[70] Pendant l’exposé oral de M. Walker concernant la limite de dose de rayonnement au moment de la levée du contrôle réglementaire, la Commission a demandé aux LNC d’expliquer le choix de la limite de dose de rayonnement. Les LNC ont fourni la réponse suivante :
[traduction]
i) comme ils avaient présenté une demande de permis d’installation nucléaire de catégorie IB sous le régime de la LSRN, le Règlement sur les installations de catégorie I, et non le RSNAR, est le règlement qui régit l’IGDPS;
ii) pour cette raison, les LNC n’ont pas utilisé le niveau de libération conditionnelle énoncé dans le RSNAR, et ils ont plutôt utilisé la limite de dose de 1 mSv/an pendant la période post-fermeture, suivant la recommandation de la Commission dans le document REGDOC‐2.11.1, Gestion des déchets, tome III : Dossier de sûreté pour le stockage définitif des déchets radioactifs;
iii) la limite de dose de 1 mSv/an est également mentionnée dans le document SSR‐5, Stockage définitif des déchets radioactifs publié par l’AIEA.
[71] Après avoir demandé aux LNC de fournir des précisions, la Commission a posé la question à la CCSN, qui a convenu que le RSNAR ne s’appliquait pas.
[72] Je conclus que les motifs de la décision, lus en regard du dossier, révèlent que la Commission s’est attaquée de façon significative, dans l’EE, à la question concernant la limite de dose de rayonnement appropriée qu’il convenait d’appliquer.
[73] Les demandeurs font valoir que l’obligation d’examiner l’autre limite de dose mentionnée par M. Walker est née aussi du fait qu’il s’agissait d’un élément de preuve qui contredisait « carrément »
la décision de la Commission et sur lequel cette dernière devait se prononcer directement (citant Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 1 CF F-66 au para 17).
[74] J’ai accepté le fait qu’il était raisonnable pour la Commission d’envisager des limites de dose dans le contexte de scénarios dans le cadre desquels les contrôles institutionnels et la surveillance réglementaire visaient uniquement l’IGDPS. Dans cette perspective, je suis d’avis que les observations de M. Walker ne vont pas à l’encontre de la décision de la Commission, puisque M. Walker et les demandeurs ne contestent pas que la limite de dose de rayonnement appropriée à appliquer pour les substances soumises à un contrôle réglementaire était la limite appliquée par la Commission.
Deuxième question – La décision est-elle déraisonnable parce que les LNC n’ont pas fourni les renseignements requis au titre des alinéas 3(1)c) et j) du RGSRN?
[75] Dans le cadre de sa décision concernant le permis, la Commission devait être convaincue que les LNC respectaient toutes les exigences en matière de demande de permis énoncées dans les règlements applicables, y compris le RGSRN.
[76] Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que les LNC avaient satisfait à toutes les exigences applicables en matière de demande de permis, étant donné qu’ils n’avaient pas fourni tous les renseignements requis au titre des alinéas 3(1)c) et j) du RGSRN. Voici ces dispositions :
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
1) La décision de la Commission
[77] La Commission a relevé que les LNC avaient démontré leur conformité aux exigences de la LSRN, du RSNAR et du Règlement sur les installations de catégorie I en lui fournissant des réponses « clause par clause »
à l’égard de chacune des exigences réglementaires. La CCSN avait elle‐même fourni une « matrice de conformité à la réglementation »
confirmant que la demande présentée par les LNC respectait toutes les exigences réglementaires.
[78] Dans les motifs de sa décision, la Commission a fait état des observations d’intervenants qui avaient soutenu que la demande des LNC ne contenait pas suffisamment de renseignements pour satisfaire à l’alinéa 3(1)j) du RGSRN et qu’elle était donc incomplète. La Commission a indiqué que la CCSN avait confirmé que les renseignements requis au titre de l’alinéa 3(1)j) du RGSRN figuraient dans le dossier de sûreté de l’IGDPS, le Rapport d’analyse de la sûreté de l’IGDPS et l’évaluation de la sûreté post-fermeture de l’IGDPS déposés par les LNC. Elle a également renvoyé à son analyse de l’inventaire des déchets et des CAD pour le projet d’IGDPS dans le cadre de sa décision concernant l’EE. Dans cette analyse, la Commission s’était dite satisfaite que les LNC lui aient fourni suffisamment de renseignements pour lui permettre d’examiner, aux fins de l’EE, le processus de gestion des déchets et les caractéristiques de conception de l’IGDPS.
[79] Ainsi, la Commission a conclu que la demande des LNC était complète et conforme aux exigences réglementaires.
2) Les observations des parties
[80] Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que les LNC avaient satisfait à toutes les exigences énoncées aux alinéas 3(1)c) et j) du RGSRN, car les renseignements exigés sur l’origine des déchets de l’IGDPS qui ont été fournis n’étaient pas suffisamment détaillés, et la Commission n’a pas tenu compte d’une section des CAD qui l’emporte sur les garanties qu’ils renferment. Les demandeurs font valoir que les intervenants ont présenté ces deux arguments à la Commission, mais que celle-ci a omis de s’y attaquer de façon significative et de tenir compte d’éléments de preuve contradictoires.
a) La Commission a-t-elle commis une erreur dans son appréciation du respect par les LNC des exigences en matière de demande de permis énoncées aux alinéas 3(1)c) et j) du RGSRN?
[81] Les demandeurs font valoir qu’en omettant de fournir des renseignements suffisamment précis sur l’origine des déchets emballés, les LNC n’ont pas satisfait aux exigences prévues aux alinéas 3(1)c) et j) du RGSRN. Ils affirment que, selon la méthode moderne d’interprétation des lois, en application des alinéas 3(1)c) et j) du RGSRN, les renseignements sur l’« origine »
doivent indiquer précisément la source des déchets qui seront placés dans l’IGDPS d’une façon qui est conforme avec l’objet du RGSRN, soit de favoriser la transparence quant aux déchets qui seront stockés. Les demandeurs soutiennent que les LNC n’ont pas indiqué l’origine précise des déchets emballés.
[82] Selon les demandeurs, les LNC n’ont décrit l’origine des déchets emballés que dans les deux déclarations vagues suivantes :
[traduction]
1. « Outre les déchets des LNC, l’IGDPS pourrait contenir des déchets emballés provenant des Laboratoires de Whiteshell, de programmes nationaux, du projet de fermeture du réacteur nucléaire de démonstration et de sources commerciales hors site » (dossier certifié du tribunal, à la p 2881);
2. « La principale source de déchets est le site des LCR, d’autres déchets étant produits par d’autres sites des LNC, et de petites quantités de déchets provenant de producteurs canadiens, comme les hôpitaux et les universités » (dossier certifié du tribunal, à la p 2423).
[83] Selon les demandeurs, même interprétées de la manière la plus restrictive qui soit, ces déclarations indiquent que les déchets emballés de toute propriété des LNC et de toute entreprise au Canada seraient autorisés. Ils font en outre observer qu’aucun renseignement n’est fourni au sujet du processus relatif à l’origine de ces déchets, qui pourraient inclure des déchets emballés provenant d’un accident, du retraitement de combustible ou des réacteurs nucléaires.
[84] Les demandeurs soutiennent qu’il était déraisonnable pour la Commission de ne pas tenir compte du libellé, du contexte et de l’objet du RGSRN, lorsqu’elle a interprété l’exigence relative à l’origine prévue aux alinéas 3(1)c) et j).
[85] Les LNC affirment que les demandeurs confondent deux exigences différentes du RGSRN et que seulement une de ces exigences impose la communication de renseignements sur l’origine. L’alinéa 3(1)c) du RGSRN précise les renseignements exigés pour toute substance nucléaire visée par la demande, soit tous les déchets qui seront placés dans l’IGDPS, y compris les déchets emballés. Cette disposition ne fait aucune mention de l’origine. L’alinéa 3(1)j) du RGSRN énonce les renseignements exigés pour tout déchet que l’activité visée par la demande peut produire, soit les déchets découlant des travaux de construction de l’IGDPS. Cette disposition mentionne l’origine.
[86] Dans leurs observations présentées à la Commission, les LNC ont indiqué que tous les déchets destinés au stockage définitif dans l’IGDPS, notamment les déchets hérités ou découlant des travaux de construction, feraient l’objet d’une caractérisation afin de vérifier qu’ils respectent les CAD et sont conformes à toutes les exigences de sûreté nécessaires, y compris les restrictions réglementaires. Les LNC soulignent que, dans sa décision, la Commission a accepté le fait que les CAD étaient conformes aux exigences canadiennes et à l’orientation internationale. De plus, en se fondant sur les « réponses clause par clause »
des LNC aux exigences énoncées dans les règlements applicables et sur l’examen par la CCSN, la Commission a conclu que la demande déposée par les LNC était conforme à toutes les exigences réglementaires applicables, notamment celles énoncées au paragraphe 3(1) du RGSRN.
b) L’appréciation par la Commission de la conformité des LNC aux exigences en matière de demande de permis prévues par le RGSRN était-elle déraisonnable, du fait que cette appréciation ne tenait pas compte d’une disposition de dérogation?
[87] Les demandeurs soutiennent aussi qu’il est impossible de respecter les alinéas 3(1)c) et j) du RGSRN, parce que le processus applicable aux activités effectuées peu fréquemment figurant dans les CAD est assimilable à une disposition de dérogation qui a pour effet d’annuler toute garantie au titre des CAD en ce qui concerne les déchets susceptibles d’être placés dans l’IGDPS.
[88] La section 6.4 des CAD mentionne une dérogation possible dans le cadre du processus applicable aux activités effectuées peu fréquemment :
L’admissibilité des déchets qui ne répondent pas à toutes les exigences énoncées dans les CAD [...] peut être évaluée au cas par cas, mais uniquement après réception de l’autorisation documentée du responsable de l’installation de l’IGDPS dans le cadre du processus applicable aux activités effectuées peu fréquemment. [...]
[89] On peut lire les précisions suivantes à la section A.6.4 de l’annexe A :
On peut avoir recours au processus applicable aux activités effectuées peu fréquemment lorsqu’un colis ou un flux de déchets donné répond à la plupart, mais non à la totalité, des exigences des CAD. Le processus applicable aux activités effectuées peu fréquemment est limité par les bases de sécurité définies dans les exigences de conception [5], l’énoncé des incidences environnementales [6], l’évaluation de la sûreté après la fermeture [7] et le rapport d’analyse de la sûreté [8], car une marge de sécurité est prévue entre les bases de sécurité et les CAD.
Les activités effectuées peu fréquemment [35] sont conformes à la norme CSA N286‐12 (section 7.9.8) [56].
[90] Les demandeurs font valoir que l’acceptation par la Commission de la description inadéquate des déchets fournie par les LNC est déraisonnable, car il est « impossible au décideur administratif de justifier une décision qui excède les limites fixées par les dispositions législatives qu’il interprète »
(Vavilov, au para 110).
[91] Les LNC affirment que l’inclusion dans les CAD d’une disposition de dérogation relativement aux activités effectuées peu fréquemment permet une certaine souplesse dans le traitement des DRFA inhabituels tout en respectant les exigences de sûreté conformément au fondement d’autorisation de l’IGDPS. Les LNC soulignent que la disposition de dérogation relativement aux activités effectuées peu fréquemment ne permet pas de placer n’importe quel déchet dans l’IGDPS sans aucune restriction, et qu’il est garanti que les déchets acceptés dans ce contexte seront conformes aux exigences de sûreté du permis.
[92] Les LNC font valoir qu’ils ont fourni pour les déchets destinés à l’IGDPS une description qui est suffisante et conforme à l’alinéa 3(1)c) du RGSRN dans le dossier de sûreté, qui présente des renseignements sur l’établissement de l’« inventaire de référence »
(l’activité totale des radionucléides importants dans les déchets destinés à l’IGDPS au moment de la mise en place et de la fermeture) et de l’« inventaire autorisé »
pour l’IGDPS (la radioactivité maximale des radionucléides importants des déchets destinés à l’IGDPS au moment de la mise en place et de la fermeture).
[93] Les demandeurs ne souscrivent pas à l’affirmation selon laquelle l’inventaire autorisé prévoit des limites quant au contenu éventuel de l’IGDPS. Étant donné que l’inventaire autorisé fait partie des CAD et que le processus applicable aux activités effectuées peu fréquemment permet de contourner les CAD, ils affirment que cette situation crée une boucle fermée.
c) La Commission s’est-elle attaquée de manière significative aux arguments principaux des intervenants?
[94] Les demandeurs soutiennent que les intervenants ont présenté à la Commission des observations sur le caractère inadéquat de la description fournie par les LNC et sur l’effet de la disposition de dérogation relativement aux activités effectuées peu fréquemment. Ils affirment que tout ce que la Commission a répondu, c’est que les renseignements requis avaient été communiqués dans divers rapports des LNC et que la demande présentée par les LNC était complète. La Commission n’a pas expliqué comment elle était parvenue à cette conclusion ni répondu à aucun des points précis soulevés par les intervenants. En fait, la Commission n’a même pas mentionné dans sa décision la disposition de dérogation relativement aux activités effectuées peu fréquemment, ce que les demandeurs considèrent comme un élément de preuve contradictoire qu’elle était tenue d’examiner.
[95] Les LNC soutiennent que les motifs, lus de concert avec le dossier, révèlent que la Commission s’est attaquée de façon significative aux observations des demandeurs, qu’elle mentionne expressément ou non ces observations dans sa décision. La disposition de dérogation relativement aux activités effectuées peu fréquemment fait partie des CAD qui, dans leur ensemble, ont fait l’objet d’une analyse détaillée à la fois dans la décision et dans le dossier. Par conséquent, les LNC considèrent que la Commission n’était pas tenue de mentionner explicitement la disposition de dérogation relativement aux activités effectuées peu fréquemment et d’expliquer comment elle avait traité chaque argument contraire s’y rapportant.
3) Analyse
a) L’appréciation par la Commission de la conformité des LNC aux exigences en matière de demande de permis énoncées aux alinéas 3(1)c) et j) du RGSRN était raisonnable
[96] Je conviens que les demandeurs ont amalgamé la portée des alinéas 3(1)c) et j) du RGSRN et que, ce faisant, ils créent non seulement une exigence d’origine au titre de l’alinéa 3(1)c) qui n’existe pas, mais ils élargissent également l’exigence d’origine énoncée à l’alinéa 3(1)j) pour inclure des déchets autres que ceux dont il est question dans la disposition. À la simple lecture de son libellé, l’alinéa 3(1)c) du RGSRN appuie la position des LNC portant que l’exigence relative à l’origine concerne uniquement les déchets découlant des travaux de construction de l’IGDPS, soit l’activité visée par la demande.
[97] Les demandeurs affirment que l’alinéa 3(1)j) du RGSRN concerne les « déchets [...] que l’activité visée par la demande peut produire, y compris les déchets qui peuvent être stockés provisoirement ou en permanence, gérés, traités, évacués ou éliminés sur les lieux de l’activité »
(non souligné dans l’original), ce qui élargit la portée de la disposition pour inclure tous les déchets destinés à l’IGDPS, même ceux qui ne découlent pas des travaux de construction. Cette lecture est contraire aux règles d’interprétation des lois. L’utilisation de la locution « y compris »
élargit simplement l’éventail des déchets qui peuvent être considérés comme découlant des travaux de construction de l’IGDPS; elle n’élargit pas la portée de cette disposition pour englober tous les déchets (Elmer A. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd., Toronto, Butterworths, 1983, à la p 19).
[98] Ainsi, je ne suis pas convaincue que la conclusion de la Commission selon laquelle la demande présentée par les LNC était conforme aux exigences en matière de demande de permis selon tous les règlements applicables, y compris le RGSRN, était déraisonnable.
[99] Je ne suis pas d’avis non plus que la Commission ne s’est pas attaquée de manière significative aux arguments des intervenants quant à la conformité au RGSRN. Dans sa décision, la Commission a expressément fait état des arguments des intervenants concernant la conformité des LNC à l’alinéa 3(1)j), et elle a répondu en s’appuyant sur la confirmation par la CCSN que la demande des LNC était conforme à toutes les exigences réglementaires. La Commission a fait remarquer que la CCSN avait déterminé les documents contenant les renseignements requis au titre de l’alinéa 3(1)j) du RGSRN, et elle les a énumérés dans sa décision.
[100] Par ailleurs, l’argument invoqué dans le cadre du présent contrôle judiciaire, selon lequel les LNC n’ont pas appliqué la méthode moderne d’interprétation des lois à l’égard des alinéas 3(1)c) et j) du RGSRN, n’a pas été présenté à l’origine à la Commission par les intervenants, qui ont fait mention des exigences de l’alinéa 3(1)j) uniquement. On ne saurait reprocher à la Commission de ne pas avoir traité un argument qui ne lui a pas été présenté (REM, aux para 34, 35).
b) L’omission de la Commission de traiter la disposition relative aux activités effectuées peu fréquemment n’était pas déraisonnable
[101] Il s’agit de décider si la disposition relative aux activités effectuées peu fréquemment annule toute garantie prévue par les CAD concernant les déchets placés dans l’IGDPS.
[102] Je ne peux conclure que le dossier appuie l’observation des demandeurs, et ce, pour deux raisons.
Le processus applicable aux activités effectuées peu fréquemment est un processus autonome
[103] Premièrement, le dossier révèle que le processus applicable aux activités effectuées peu fréquemment est un processus autonome qui n’est ni arbitraire ni dépendant des CAD ou de l’un des documents mentionnés à la section A.6.4 de l’annexe A.
[104] Alors que la disposition relative aux activités effectuées peu fréquemment fait partie des CAD, le processus applicable à ces activités est un processus autonome, avec ses propres règles et critères, qui nécessite un document distinct (Infrequently Performed Operations, 900-508200-MCP-008) et commande la conformité à des normes différentes (CSA N286-12, à la section 7.9.8).
Le processus applicable aux activités effectuées peu fréquemment est associé à des bases de sécurité distinctes
[105] Deuxièmement, contrairement à ce que laissent entendre les demandeurs, le processus applicable aux activités effectuées peu fréquemment restreint les déchets qui peuvent être admis ou non dans l’IGDPS, en fonction des exigences de sûreté du permis et n’est pas une porte dérobée fourre-tout vers l’IGDPS.
[106] Bien que le document relatif au processus applicable aux activités effectuées peu fréquemment ne fasse pas partie du dossier, la section A.6.4 de l’annexe A indique néanmoins que ce processus est limité par les bases de sécurité définies dans les exigences de conception, l’énoncé des incidences environnementales, l’évaluation de la sûreté après la fermeture et le rapport d’analyse de la sûreté. Contrairement à ce qu’affirment les demandeurs, les bases de sécurité définies dans ces documents ne renvoient pas à la garantie de sûreté des CAD, mais plutôt aux exigences de sûreté du permis — le fondement d’autorisation. À titre de titulaires de permis, les LNC doivent veiller à ce que l’IGDPS respecte toutes les exigences en matière de demande de permis, y compris les exigences concernant la sûreté. Les documents mentionnés à la section A.6.4 de l’annexe A expliquent la conformité de l’IGDPS aux exigences de sûreté du permis, et ce sont ces exigences de sûreté précises, traitées dans ces documents, qui constituent les bases de sécurité restreignant le processus applicable aux activités effectuées peu fréquemment.
[107] Certes, tous les documents mentionnés à la section A.6.4 de l’annexe A renvoient aux CAD, mais cela ne crée toutefois pas une boucle fermée. Pour remplir les bases de sécurité de leur permis, les LNC se conforment avant tout aux CAD. Il n’est donc pas surprenant que les CAD soient mentionnés à de multiples reprises pour signaler que l’IGDPS est conforme aux bases de sécurité des documents concernés. Cependant, la garantie en matière de sûreté au titre des CAD et les bases de sécurité sont deux éléments distincts, comme l’indique la section A.6.4 de l’annexe A, qui précise qu’« une marge de sécurité est prévue entre les bases de sécurité et les CAD »
.
[108] Ainsi, il est possible que certains déchets respectent les bases de sécurité du permis, mais pas la garantie en matière de sûreté au titre des CAD, et le processus applicable aux activités effectuées peu fréquemment garantit que seul ce type de déchets est admis dans l’IGDPS, conformément à la section A.6.4 de l’annexe A.
[109] Par conséquent, je ne puis conclure qu’il existe une boucle fermée qui dépouille les CAD de leur sens, ni que la disposition relative aux activités effectuées peu fréquemment annule les garanties en matière de sûreté concernant les déchets admis dans l’IGDPS aux termes des CAD, comme le laissent entendre les demandeurs. Au contraire, comme les LNC l’ont mentionné à la Commission, la disposition relative aux activités effectuées peu fréquemment permet une certaine souplesse pour traiter une petite quantité de déchets qui ne sont pas exactement conformes aux CAD, mais qui respectent tout de même les bases de sécurité requises par le permis. Par conséquent, je juge raisonnable la conclusion de la Commission selon laquelle les LNC ont respecté les exigences en matière de demande de permis du RGSRN.
[110] Il s’ensuit en outre que l’on ne saurait reprocher à la Commission d’avoir répondu aux arguments des intervenants en se contentant de renvoyer aux documents qui mentionnent les bases de sécurité que les LNC sont tenus de respecter en vertu de leur permis, puis de ne pas avoir répondu à un argument qui repose sur une interprétation erronée de la disposition relative aux activités effectuées peu fréquemment. J’estime que l’expertise de la Commission, ainsi que la synthèse qu’elle a faite des questions de la conformité réglementaire des LNC au RGSRN et son appréciation des éléments les plus fondamentaux des CAD pourraient expliquer cette analyse peu étoffée.
[111] Il se peut que la Commission n’ait pas tenu compte du processus applicable aux activités effectuées peu fréquemment parce qu’elle avait jugé qu’il ne représentait pas un point central de l’argumentation, dans la mesure où les intervenants eux-mêmes ne l’avaient mentionné que brièvement :
a)Ralliement – [traduction]
« Nous croyons que le processus applicable aux activités effectuées peu fréquemment n’est pas assez sécuritaire et pas suffisamment explicite [...] »
;b)Northwatch – [traduction]
« [...] [les LNC] ont décrit le processus [applicable aux activités effectuées peu fréquemment] qui aurait pour effet d’annuler tout critère d’acceptation des déchets éventuellement mis en place dans le cadre de l’approbation du projet ou avant celle-ci »
;c)Première Nation Anishinabeg de Kitigan Zibi – [traduction]
« Dans sa forme actuelle, la “disposition concernant le processus applicable aux activités effectuées peu fréquemment dans les critères d’acceptation des déchets” permettrait aux LNC d’éliminer des matériaux dont la radioactivité est excessive et des déchets surdimensionnés »
.
[112] Il est compréhensible que la Commission ait choisi de ne pas traiter ces arguments dans le contexte d’un dossier aussi volumineux comprenant les observations de 165 intervenants. Toute autre conclusion pourrait avoir pour conséquence de paralyser le bon fonctionnement de l’organisme administratif, ce contre quoi la Cour suprême nous a mis en garde (Vavilov, au para 128).
Troisième question – La Commission s’est-elle attaquée de façon significative aux observations des intervenants concernant le caractère inadéquat du processus des LNC pour vérifier que les déchets stockés dans l’IGDPS sont conformes aux CAD?
[113] Dans le cadre de sa décision concernant l’EE, la Commission devait tenir compte des caractéristiques du projet d’IGDPS proposé, notamment quant à la gestion des déchets, comme l’inventaire des déchets, les CAD ainsi que la caractérisation et la ségrégation des déchets.
[114] Les Concerned Citizens et M. Walker ont fait valoir que le processus des LNC pour vérifier que les déchets placés dans l’IGDPS étaient conformes aux CAD était inadéquat, pour les raisons suivantes :
i)Selon les normes de sûreté internationales, il faut veiller à la mise sur pied et au respect d’un système de gestion visant tous les aspects du processus d’acceptation des déchets. M. Walker a soutenu que, conformément à cette exigence et à son avis, la proposition des LNC devait comprendre des installations de réception et de vérification des déchets dotées de capacités techniques, ainsi que des systèmes de gestion permettant de vérifier la conformité aux CAD;
ii)Dans le cadre de son examen de la proposition des LNC, M. Walker n’a relevé aucune capacité technique et aucun système de gestion qui permettraient de vérifier que les déchets sont conformes aux propriétés radiologiques mentionnées dans les CAD.
1) La décision de la Commission
[115] Dans sa décision, la Commission a indiqué qu’elle avait demandé aux LNC d’énoncer les exigences des CAD pour accepter ou refuser les déchets destinés à l’IGDPS et d’expliquer la façon dont les CAD seraient mis en œuvre au jour le jour. Selon les LNC, conformément à leur programme actuel de gestion des déchets qui comprend des processus de vérification connexes, tous les déchets destinés au stockage définitif dans l’IGDPS, y compris les déchets hérités, feront l’objet d’une caractérisation et d’une ségrégation afin de vérifier qu’ils respectent les CAD. Les LNC devront veiller à la mise en œuvre adéquate des CAD, sous la supervision de la CCSN.
[116] Dans ses motifs, la Commission a également relevé que la CCSN avait confirmé que le programme actuel de gestion des déchets des LNC respectait les exigences réglementaires et que les LNC avaient mis en place des mesures adéquates pour caractériser les déchets produits et gérés au cours des diverses phases du cycle de vie de l’IGDPS. La CCSN a indiqué qu’elle continuerait de surveiller et de vérifier la conformité des LNC aux exigences réglementaires en supervisant le programme de gestion des déchets de l’IGDPS.
[117] Voici un extrait des motifs rédigés par la Commission :
D’après l’information consignée au dossier, la Commission est d’avis que les LNC ont fourni suffisamment de renseignements pour lui permettre d’évaluer, aux fins de l’EE, le processus de gestion des déchets et les caractéristiques de conception de l’IGDPS. La Commission conclut ce qui suit :
• les LNC ont fourni de l’information précise sur les DRFA qui seront mis en place dans l’IGDPS
• les LNC ont élaboré des CAD pour l’IGDPS, conformément au guide GSG‐1 de l’AIEA, à la norme CSA N292.0:F19 et au REGDOC‐2.11.1, tome I
• les LNC ont fourni de l’information montrant que la conception de l’IGDPS prévoit une capacité adéquate pour les DRFA appartenant à EACL
• les quantités acceptées de radionucléides à longue période, conformément aux CAD de l’IGDPS, sont conformes à la définition de DRFA
• les CAD de l’IGDPS exigent que toutes les sources retirées du service et dont le stockage définitif est envisagé à l’IGDPS soient évaluées conformément aux lignes directrices de l’AIEA
• les LNC ont un programme de gestion des déchets qui respecte les exigences réglementaires, y compris les exigences relatives à la caractérisation des déchets
• le personnel de la CCSN appliquera l’exigence selon laquelle seuls les DRFA pourront être mis en place dans l’IGDPS, et ce, en réalisant des activités de surveillance réglementaire
• les LNC doivent respecter les exigences de gestion des documents sur les déchets prévues dans la norme CSA N292.0:F19 (décision, au para 105)
2) Les observations des parties
[118] Les demandeurs soutiennent que, dans ses motifs, la Commission n’a pas mentionné ou traité les observations ou l’argument de M. Walker, ce qui rend la décision déraisonnable.
[119] Les LNC ont répondu que la Commission s’était penchée sur le caractère adéquat du processus de vérification des déchets de l’IGDPS afin d’assurer la conformité aux CAD, et qu’elle avait examiné et admis les observations des LNC et de la CCSN selon lesquelles des processus adéquats étaient en place pour la gestion des déchets de l’IGDPS. Selon les LNC, la Commission s’était ainsi attaquée de façon significative à la question qui commandait son examen.
3) Analyse
[120] Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier le caractère adéquat du processus de vérification des déchets des LNC ou d’établir s’il existe une meilleure façon de mettre en œuvre un tel processus pour l’IGDPS, comme le conçoit M. Walker. La question qui se pose est celle de savoir si la décision est déraisonnable, parce que la Commission ne s’est pas attaquée de façon significative aux arguments de M. Walker.
[121] M. Walker a invoqué un argument comportant deux volets : premièrement, le processus d’acceptation des déchets des LNC ne satisfait pas aux normes de sûreté internationales; deuxièmement, la proposition des LNC ne comprend pas un système adéquat de gestion de la vérification des déchets.
[122] Il ressort clairement de la décision que la Commission s’est attaquée à la question des normes de sûreté internationales. La Commission mentionne expressément les normes internationales en fonction desquelles les CAD ont été élaborés.
[123] Par ailleurs, je conclus que la Commission s’est attaquée de façon significative à la question du caractère adéquat du processus des LNC pour la vérification des déchets de l’IGDPS, ce qui, en fin de compte, est la question de fond sur laquelle portait la preuve de M. Walker, selon les demandeurs (Vavilov, au para 128, et CNR, aux para 76‐78). Trois éléments du dossier et la décision de la Commission en témoignent.
[124] Premièrement, la Commission était consciente des questions relatives tant à « la conformité de la conception de l’IGDPS aux normes internationales »
qu’à « l’inventaire des déchets de l’IGDPS et [aux] critères d’acceptation des déchets »
, puisqu’elle avait mentionné ces thèmes récurrents soulevés par des participants à l’audience.
[125] Deuxièmement, la Commission a entendu et pris en compte la description par les LNC de son programme actuel de gestion des déchets pour l’IGDPS, ainsi que les observations de la CCSN qui a jugé ce programme adéquat.
[126] Enfin, la Commission a manifestement examiné les observations des demandeurs et de M. Walker, étant donné qu’elle a traité d’autres observations de ce dernier sur la gestion des déchets (portant que les CAD pour l’IGDPS ne tiennent pas compte de certains radionucléides principaux) et des Concerned Citizens (sur des erreurs dans les observations des LNC et de la CCSN concernant la désintégration radioactive de l’inventaire des déchets de l’IGDPS au fil du temps).
[127] Par conséquent, je crois que c’est en s’appuyant sur ses compétences techniques que la Commission a décidé de ne pas mentionner les observations de M. Walker lorsqu’elle a apprécié les diverses observations des intervenants qui étaient les plus importantes à traiter (Vavilov, aux para 93, 94), et qu’il convient donc de faire preuve de retenue.
Quatrième question – La Commission s’est-elle attaquée de façon significative aux observations des intervenants portant que l’habitat du loup de l’Est serait endommagé ou détruit en raison des activités de préparation de l’emplacement et de construction de l’IGDPS?
[128] Le paragraphe 79(2) de la Loi sur les espèces en péril, LC 2002, c 29 [la LEP], dispose que la Commission doit, aux fins de son évaluation des effets environnementaux du projet d’IGDPS, en déterminer les effets nocifs sur toute espèce sauvage inscrite à l’annexe 1 de la LEP et son habitat essentiel. Si le projet d’IGDPS est réalisé, les LNC devront veiller à ce que des mesures soient prises en vue d’éviter les effets nocifs ou de les amoindrir et les surveiller, conformément au paragraphe 79(2). Le loup de l’Est fait partie des espèces sauvages inscrites.
1) La décision de la Commission
[129] À titre d’information, la Commission a fait remarquer dans sa décision que les LNC n’avaient pas indiqué dans leur énoncé des incidences environnementales [EIE] que le site des LCR fournissait un habitat à une population importante de loups de l’Est. Toutefois, à la suite de la diffusion de la directive procédurale en juillet 2022, la Première Nation de Kebaowek et la Première Nation Anishinabeg de Kitigan Zibi ont fait part de leur préoccupation quant aux aires d’alimentation des loups de l’Est à l’emplacement proposé de l’IGDPS, qui seraient détruites ou endommagées par la préparation du site et la construction de l’IGDPS, entraînant la nécessité de mesures d’atténuation pour protéger ces aires.
[130] En réponse aux préoccupations soulevées par les intervenants, les LNC ont indiqué que, depuis 2012, ils recueillaient des données sur la population de loups de l’Est sur le site des LCR et que l’EIE était fondé sur les renseignements dont ils disposaient au moment de la rédaction. Les LNC ont présenté à la Commission des renseignements complémentaires confirmant la présence du loup de l’Est dans le milieu terrestre entourant le site proposé pour l’IGDPS.
[131] Dans l’EIE, les LNC ont indiqué qu’un permis d’Environnement et Changement climatique Canada [ECCC] sera requis, au titre de l’article 73 de la LEP, avant la construction de l’IGDPS. Le processus d’autorisation au titre de la LEP était à l’étape de la finalisation au moment de l’achèvement du processus de l’EE. Selon les LNC, bien que la version définitive de l’EIE de l’IGDPS comprenne des mesures d’atténuation pour la protection des espèces en péril, les modalités du permis finalisé au titre de la LEP définiraient les « exigences générales »
.
[132] Les LNC ont fait valoir que les résultats de l’EIE révélaient que le projet d’IGDPS n’aurait pas d’effets environnementaux négatifs importants sur la faune, y compris sur le loup de l’Est ou sur son habitat, avec les mesures d’atténuation proposées en place.
[133] La Commission a relevé que la CCSN avait confirmé que les LNC avaient proposé des mesures d’atténuation adéquates pour assurer la protection du loup de l’Est et de son habitat pendant toutes les phases du projet d’IGDPS. Elle a jugé que les renseignements supplémentaires fournis n’avaient aucune incidence quant au caractère raisonnable des conclusions de l’EIE selon lesquelles le projet d’IGDPS n’était pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants sur les espèces en péril.
2) Les observations des parties
[134] Les demandeurs font valoir que la Commission a affirmé être satisfaite du rapport d’évaluation environnementale [le rapport d’EE] de la CCSN, concernant l’examen des mesures d’atténuation et du programme de surveillance et de suivi des LNC, mais que ce rapport en soi ne présentait aucune mesure d’atténuation. Ils affirment qu’en fin de compte, ces mesures ont été laissées à l’appréciation d’ECCC. Ils soutiennent en outre que la Commission ne s’est attaquée de façon significative ni à leur observation à cet égard ni aux observations connexes d’autres intervenants.
[135] Les LNC ne souscrivent pas à la proposition selon laquelle la Commission aurait transféré à ECCC ses obligations au titre de la LEP relativement aux répercussions de l’IGDPS sur les espèces en péril, dont la population de loup de l’Est sur le site des LCR. Ils affirment que la Commission a au contraire examiné et traité comme il se devait les préoccupations soulevées par des intervenants et les réponses de ces derniers. Les LNC s’appuient sur la confirmation par la CCSN que les mesures d’atténuation qu’ils avaient proposées étaient adéquates pour assurer la protection du loup de l’Est et de son habitat pendant toutes les phases du projet d’IGDPS.
3) Analyse
[136] Je conclus que la décision de la Commission est raisonnable, lorsqu’elle est lue dans son ensemble et en tenant compte des contraintes factuelles, y compris les observations des intervenants.
[137] Tout d’abord, il convient d’examiner les observations présentées par les intervenants à la Commission. La Première Nation de Kebaowek a présenté les observations les plus détaillées concernant le loup de l’Est, dont voici un résumé :
i) D’après les données recueillies par la Première Nation de Kebaowek, les loups et leurs proies sont très actifs sur le site de l’IGDPS, mais [traduction] « il faut mener d’autres études pour obtenir des données de référence sur la population et la dynamique prédateur-proie »;
ii) Les LNC n’ont pas démontré une attitude pleinement coopérative dans le cadre des travaux concernant les loups menés sur le terrain par la Première Nation de Kebaowek, et cette dernière doute de la fiabilité de la collecte de données par les LNC;
iii) La Première Nation de Kebaowek est particulièrement préoccupée par la déforestation permanente de la superficie de 37 hectares de l’IGDPS et par les répercussions structurelles à long terme sur l’habitat du loup de l’Est et d’autres mammifères sur le site de l’IGDPS;
iv) La Première Nation de Kebaowek est préoccupée par le fait que la CCSN manque de compétences techniques internes en ce qui concerne le loup de l’Est et son habitat et dépend trop de la promesse des LNC de mettre en œuvre un plan d’aménagement forestier durable [le plan d’aménagement forestier] pour compenser la déforestation.
[138] Dans ses observations, la Première Nation Anishinabeg de Kitigan Zibi a affirmé craindre que les répercussions de l’IGDPS sur le loup de l’Est n’aient pas fait l’objet d’une évaluation suffisante.
[139] Dans leurs observations, les Concerned Citizens ont fait état d’études sur le terrain menées par la Première Nation de Kebaowek sur le loup de l’Est, qui ont révélé des [traduction] « lacunes »
dans les études environnementales préliminaires effectuées par les LNC, ainsi qu’un manque de documentation sur le loup de l’Est. Les Concerned Citizens se demandaient si la Commission avait suffisamment étudié les mesures d’atténuation proposées.
[140] Après avoir examiné la décision en cause au regard de ces observations et de l’ensemble du dossier, je juge que la Commission s’est attaquée de façon significative aux arguments présentés. La Commission a mentionné le loup de l’Est dans trois sections de sa décision, soit celles intitulées « Milieu terrestre »
, « Espèces en péril »
ainsi que « Consultation et mobilisation des Autochtones »
. Dans l’ensemble, la portée des mesures d’atténuation concernant le loup de l’Est, qui ont été examinées par la CCSN et la Commission, dépassait celle du permis d’ECCC. Ces mesures d’atténuation comprennent les suivantes :
i)L’engagement des LNC à poursuivre la collecte et l’étude des données concernant le loup de l’Est.
ii)L’engagement des LNC à poursuivre leurs efforts de mobilisation et de collaboration avec la Première Nation de Kebaowek, en vue de la collecte et de l’étude de ces données.
iii)La mise en œuvre d’un plan d’aménagement forestier visant à réduire au minimum les répercussions sur le milieu terrestre, y compris sur les espèces en péril, ainsi que sur la disponibilité et la qualité de leurs habitats.
[141] Dans sa décision, la Commission donne en outre instruction à la CCSN d’ajouter un engagement explicite aux Mesures réglementaires relatives à l’autorisation de l’IGDPS pour que le personnel de la CCSN examine le plan d’aménagement forestier afin d’en confirmer le caractère adéquat.
[142] Il y a lieu de formuler quatre remarques concernant l’examen global du dossier et des contraintes factuelles imposées à la Commission.
[143] Premièrement, il faut lire la décision de la Commission en gardant à l’esprit que les LNC, la CCSN et les intervenants ont convenu que les données sur le loup de l’Est et son habitat étaient insuffisantes et que des données supplémentaires étaient requises pour comprendre les effets du projet d’IGDPS sur l’habitat de cette espèce menacée. Cela explique non seulement que la CCSN et la Commission aient mentionné peu de mesures d’atténuation, mais également que les mesures d’atténuation indiquées, notamment l’engagement des LNC à poursuivre la collecte de données en collaboration avec la Première Nation de Kebaowek, sont essentielles pour la protection du loup de l’Est et de son habitat.
[144] Deuxièmement, la Commission a effectué un examen rigoureux. Elle a demandé l’avis de la CCSN sur la question des mesures d’atténuation proposées par les LNC (la CCSN avait par ailleurs déclaré avoir tenu compte de la rétroaction de ministères fédéraux et provinciaux, du public, ainsi que des nations et communautés autochtones). Elle a également entendu le témoignage d’un représentant d’ECCC lors de l’audience.
[145] Troisièmement, les mesures d’atténuation examinées par la Commission répondent aux préoccupations soulevées par les intervenants, à savoir la nécessité d’obtenir des données supplémentaires et de veiller à ce que les LNC soient appuyés aux fins de la collecte et de l’étude de ces données, et un appel à la surveillance par la CCSN du plan d’aménagement forestier des LNC.
[146] Enfin, les demandeurs n’ont pas précisé quelles mesures d’atténuation particulières dans les observations des intervenants auraient été écartées par la Commission, et je ne vois pas non plus.
[147] Compte tenu des conclusions qui précèdent, je juge que la Commission s’est attaquée de façon significative aux observations des intervenants concernant le loup de l’Est et son habitat, et qu’il n’était pas déraisonnable pour la Commission de se fonder sur le permis d’ECCC, entre autres mesures.
Cinquième question – La Commission s’est-elle attaquée de façon significative aux arguments des demandeurs portant que les LNC n’ont pas fourni suffisamment de renseignements pour permettre au commissaire de tenir compte de tous les effets cumulatifs de l’IGDPS sur l’environnement, conformément à l’alinéa 19(1)a) de la LCEE 2012?
[148] Dans le cadre de sa décision concernant l’EE, la Commission devait tenir compte de tous les effets cumulatifs sur l’environnement susceptibles de découler du projet d’IGDPS, combinés à ceux d’autres activités concrètes qui ont été ou seront réalisées, conformément à l’alinéas 19(1)a) de la LCEE 2012.
[149] L’alinéa 19(1)a) de la LCEE 2012 dispose :
|
|
|
|
|
|
|
|
1) La décision de la Commission
[150] Dans les observations qu’ils ont présentées à la Commission, les LNC ont indiqué qu’ils avaient réalisé une évaluation des effets cumulatifs [l’évaluation des effets cumulatifs] visant à évaluer la contribution des effets du projet d’IGDPS, combinés à des développements ou activités antérieurs, existants ou raisonnablement prévisibles dans la région qui pourraient se recouper sur les plans spatial (c.‐à‐d. dans la même zone géographique) et temporel (c.‐à‐d. au fil du temps). Les développements raisonnablement prévisibles s’entendaient des projets qui, au moment de l’évaluation des effets cumulatifs, étaient visés par une demande à l’étude ou faisaient l’objet d’un processus d’autorisation réglementaire.
[151] Dans sa décision, la Commission a relevé les conclusions suivantes de l’évaluation des effets cumulatifs réalisée par les LNC, énoncées dans la version définitive de l’EIE des LNC :
a) dans la plupart des cas, les LNC ne prévoient pas que les effets du projet d’IGDPS se recouperont sur les plans spatial et temporel avec les effets de projets de développement raisonnablement prévisibles;
b) quand ils se recoupent, les effets cumulatifs en résultant pour les composantes valorisées (soit les composantes qui sont définies comme étant importantes sur le plan écologique, culturel, social ou économique dans le rapport d’EE) ne sont pas significatifs (décision, au para 281).
[152] La Commission a également fait état de la conclusion de la CCSN selon laquelle, pour toutes les composantes valorisées pour lesquelles des effets cumulatifs possibles avaient été relevés (qualité de l’air, qualité des eaux de surface et tortue mouchetée), les mesures d’atténuation et de surveillance proposées par les LNC étaient complètes et adéquates en vue de donner suite à ces effets cumulatifs possibles. Toutefois, compte tenu des préoccupations des intervenants quant à la pertinence de l’évaluation des effets cumulatifs par les LNC, elle a demandé à la CCSN des renseignements supplémentaires sur la portée de cette évaluation.
[153] La CCSN a informé la Commission que les effets cumulatifs sur l’environnement avaient été « adéquatement caractérisés et traités dans l’EIE »
. La Commission a pris connaissance de l’examen par la CCSN de l’évaluation des effets cumulatifs effectuée par les LNC, cet examen étant intégré dans le rapport d’EE de la CCSN. Le tableau 8.5 du rapport d’EE dresse une liste des projets passés, présents et raisonnablement prévisibles qui étaient inclus dans l’évaluation des effets cumulatifs par les LNC, comprend une description correspondante de ces projets et indique la distance du projet par rapport au site de l’IGDPS, ainsi que la possibilité d’interaction avec le projet d’IGDPS.
[154] Après avoir examiné l’ensemble des observations et des préoccupations soulevées, la Commission a conclu que l’évaluation des effets cumulatifs des LNC prenait en compte de manière adéquate les effets possibles de l’IGDPS, conformément à la LCEE 2012, et que l’IGDPS n’entraînerait pas d’effets cumulatifs négatifs importants sur l’environnement, pourvu que les mesures d’atténuation promises soient mises en œuvre.
2) Les observations des parties
[155] Dans les observations qu’ils ont présentées à la Commission, les Concerned Citizens ont indiqué que les LNC n’avaient fourni aucun renseignement concernant neuf projets liés aux déchets aux LCR, pour lesquels ils avaient transmis de l’information au Registre canadien d’évaluation d’impact au cours de la période de novembre 2020 à mars 2021. Selon les demandeurs, la Commission avait besoin de renseignements sur ces activités pour examiner correctement les effets cumulatifs sur l’environnement de l’IGDPS, comme l’exige l’alinéa 19(1)a) de la LCEE 2012.
[156] Voici les neuf activités aux LCR mentionnées par les Concerned Citizens :
Projet d’installation de châteaux de transport aux LNC;
Installation d’entreposage des déchets de moyenne activité par les LNC;
Entrepôt de vrac par les LNC;
Projet d’agrandissement de la fosse des matériaux des LNC;
Réfection d’une route d’accès par les LNC;
Projet de démolition de bâtiments des LNC;
Projet de modification d’une zone de gestion des déchets des LNC;
Projet de mise à niveau des stations de surveillance des effluents par les LNC;
Installations polyvalentes de manutention des déchets des LNC [collectivement, les projets énumérés].
[157] Les demandeurs font valoir qu’on ne peut considérer qu’un seul des projets énumérés, soit le projet de démolition de bâtiments des LNC, a été indiqué dans le tableau 8.5, et ils affirment qu’aucun des autres projets énumérés ne relève de l’une des activités décrites dans ce tableau.
[158] Les demandeurs soutiennent que la Commission n’a tout simplement pas tenu compte de l’élément principal de leurs observations, à savoir que les renseignements fournis par les LNC n’étaient pas suffisamment exhaustifs. Ils affirment que cette erreur peut être qualifiée à la fois d’erreur dans l’interprétation de l’alinéa 19(1)a) de la LCEE 2012 et de défaut du décideur de s’attaquer de manière significative à l’un des arguments principaux qu’ils avaient présentés.
[159] Les LNC soutiennent que l’évaluation des effets cumulatifs comprenait une analyse adéquate des catégories de projets susceptibles de contribuer aux effets cumulatifs sur l’environnement de l’IGDPS sur le site des LCR. Elle affirme qu’il est logique que ces catégories générales ne correspondent pas aux projets énumérés. Les LNC indiquent que les motifs, lus de concert avec le dossier, révèlent que la Commission s’est attaquée de façon significative aux observations des demandeurs, qu’elle mentionne ou non ces observations précises dans sa décision.
3) Analyse
a) L’examen des effets cumulatifs par la Commission était raisonnable
[160] Je juge que le fait que la Commission n’ait pas nommé les projets énumérés ne mine aucunement le caractère raisonnable de son examen des effets cumulatifs sur l’environnement.
[161] Le libellé de l’alinéa 19(1)a) de la LCEE 2012 constituait une contrainte juridique importante dans le cadre de l’examen effectué par la Commission (Vavilov, aux para 108, 110, et Médicaments Novateurs Canada c Canada (Procureur général), 2022 CAF 210 au para 40). L’exigence prévue par la loi ne concerne pas chacun des projets en soi, mais leurs effets combinés avec ceux du projet d’IGDPS. La plainte des demandeurs selon laquelle les renseignements fournis à la Commission ne correspondaient pas aux projets énumérés s’explique donc logiquement et ne compromet nullement le caractère raisonnable de l’évaluation par la Commission des effets cumulatifs possibles du projet d’IGDPS sur l’environnement.
[162] Même si l’on acceptait l’argument des demandeurs portant que la plupart des projets énumérés ne font pas partie des catégories générales figurant dans le tableau 8.5, il convient de rappeler que les LNC ont examiné les effets cumulatifs possibles sur l’environnement dans leur évaluation de ces effets selon leur propre méthodologie, qui tenait compte des projets qui se recoupaient avec le projet d’IGDPS sur les plans spatial et temporel. Cette contrainte spatiale et temporelle est raisonnable, puisque le but de l’évaluation était de déterminer l’effet combiné de l’IGDPS et d’autres activités. Rien dans le libellé de l’alinéa 19(1)a) ne dicte la forme particulière de l’analyse des effets cumulatifs, et, comme les LNC l’ont fait remarquer, l’EIE (qui comprend l’évaluation des effets cumulatifs) a été préparée conformément aux normes, codes et lignes directrices applicables aux études d’impact sur l’environnement. La CCSN n’a contesté ni le choix de la méthode ni l’évaluation des LNC.
b) La Commission s’est attaquée de façon significative aux arguments des demandeurs
[163] Je rejette la prétention des demandeurs selon laquelle la Commission ne s’est pas attaquée de façon significative à leurs observations. Il ressort de la décision et du dossier que la Commission a traité l’essentiel de l’argument des demandeurs, qui doutaient que les LNC aient présenté suffisamment de renseignements pour permettre à la Commission d’établir correctement les effets cumulatifs du projet d’IGDPS, combinés à ceux d’autres activités concrètes.
[164] Dans sa décision, la Commission a même fait état des préoccupations des intervenants concernant : i) la pertinence de la portée de l’évaluation des effets cumulatifs par les LNC, et ii) la question de savoir si les effets cumulatifs sur l’environnement avaient été adéquatement caractérisés et traités dans l’EIE. Il ressort du dossier que la Commission a sollicité les commentaires de la CCSN sur ces questions et qu’elle a été satisfaite de l’examen par la CCSN de l’évaluation des effets cumulatifs effectuée par les LNC, qui figure dans le rapport d’EE de la CCSN.
[165] Il est compréhensible que la Commission ait traité les préoccupations des intervenants dans sa décision de façon plus générale plutôt qu’en mentionnant expressément les projets énumérés, compte tenu des multiples observations présentées par les divers intervenants et du travail qu’elle devait accomplir pour résumer une grande quantité de documents afin d’en dégager l’essentiel (Halton, aux para 21‐32). On ne saurait conclure que le décideur n’a pas réussi à s’attaquer de façon significative à l’argument d’une partie ou d’un intervenant simplement parce qu’il ne l’a pas mentionné ou admis expressément.
VI. Conclusion
[166] Je conclus que la décision de la Commission est raisonnable. La Commission a examiné et traité adéquatement chacune des questions dont elle devait tenir compte dans le cadre de sa décision concernant l’EE et de sa décision concernant le permis, et elle a répondu aux diverses observations des 165 intervenants, au besoin. Lorsqu’elle est lue dans son ensemble et en tenant compte de l’expérience et des compétences techniques de la Commission, la décision est justifiée, intelligible et transparente. Par conséquent, la présente demande sera rejetée.
VII. Les dépens
[167] Les parties ont convenu que des dépens de 11 160 $, selon la tranche supérieure de la colonne III du tarif B des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, devraient être accordés à la partie ayant gain de cause.
JUGEMENT dans le dossier T-226-24
LA COUR STATUE :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée;
Les demandeurs doivent payer à la défenderesse la somme convenue de 11 160 $ au titre des dépens.
« Allyson Whyte Nowak »
Juge
Christian Laroche, LL.B., juriste‐traducteur
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
T-226-24 |
INTITULÉ :
|
CONCERNED CITIZENS OF RENFREW COUNTY AND AREA, REGROUPEMENT POUR LA SURVEILLANCE DU NUCLÉAIRE ET RALLIEMENT CONTRE LA POLLUTION RADIOACTIVE c LABORATOIRES NUCLÉAIRES CANADIENS |
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
OTTAWA (ONTARIO) |
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LES 19 ET 20 NOVEMBRE 2024 |
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LA JUGE WHYTE NOWAK |
DATE DU JUGEMENT
ET DES MOTIFS :
|
Le 20 FÉVRIER 2025 |
COMPARUTIONS :
Nicholas Pope |
POUR LES DEMANDEURS |
Jeremy Barretto Dana Poscente |
POUR LA DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Hameed Law
Avocats
Ottawa (Ontario)
|
POUR LES DEMANDEURS |
Cassels Brock & Blackwell LLP
Avocats
Calgary (Alberta)
|
POUR LA DÉFENDERESSE |