Dossier : IMM-15961-23
Référence : 2025 CF 294
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 14 février 2025
En présence de madame la juge Sadrehashemi
ENTRE : |
ZHEFU ZHANG |
demandeur |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Contexte
[1] Le demandeur, Zhefu Zhang, avait demandé un permis de travail dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires. Il avait fait l’objet d’une étude d’impact sur le marché du travail (l’EIMT
) favorable d’Emploi et Développement social Canada pour travailler comme coordonnateur du marketing à Calgary. Un agent d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (l’agent
) a rejeté sa demande de permis de travail parce qu’il jugeait que l’offre d’emploi présentée par M. Zhang n’était pas authentique. M. Zhang a demandé le réexamen de la décision de l’agent et a fourni des documents supplémentaires relativement à l’offre d’emploi. L’agent a conclu que les nouveaux documents ne permettaient pas de dissiper les doutes qu’il avait initialement soulevés.
[2] M. Zhang conteste la décision de l’agent. Je suis d’accord avec M. Zhang que la décision doit être annulée. L’agent a manqué à l’équité procédurale en n’informant pas M. Zhang que la crédibilité de son offre d’emploi était en litige. Le processus de réexamen n’a pas permis de corriger le manquement à l’équité procédurale, puisque les motifs de l’agent n’indiquent pas clairement s’il a rouvert le dossier pour examiner les nouveaux éléments de preuve. L’affaire doit être renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.
II. Contexte et historique des procédures
[3] M. Zhang a présenté une demande de permis de travail appuyée par une EIMT favorable en octobre 2023. Sa demande a été rejetée au motif que l’agent n’était pas convaincu que la lettre d’offre d’emploi était authentique. Dans sa décision du 27 novembre 2023, l’agent a écrit ce qui suit :
[traduction] […] Je crains que [le demandeur] n’ait pas une offre d’emploi authentique. Je fais observer que : [-] l’offre d’emploi du demandeur est un document en texte brut généré par ordinateur selon un gabarit générique. Il ne comporte ni logo, ni en-tête, ni pied de page propre à une entreprise. Le document ne contient pas de coordonnées, mise à part une adresse physique. Il n’y a pas de numéro de téléphone ni d’adresse courriel.
[4] Deux jours après la date à laquelle l’agent a rejeté sa demande, M. Zhang a demandé à ce que la décision soit réexaminée en fonction de nouveaux éléments de preuve. Il a présenté les éléments suivants : une lettre d’explication de son employeur, dans laquelle figuraient des coordonnées supplémentaires, et une lettre dont il était lui-même l’auteur expliquant tous les efforts qu’il avait déployés pour démontrer que l’offre d’emploi était authentique.
[5] Le jour suivant, l’agent a confirmé le rejet de la demande et a fourni l’explication suivante :
[traduction] Les documents de réponse [du demandeur] (et ceux de son employeur et de son représentant) ne permettent pas de dissiper les doutes initialement soulevés dans mes notes. Comme il pourrait avoir des renseignements supplémentaires à fournir, je vais conseiller [au demandeur] de présenter une nouvelle demande.
[6] Par souci de précision, l’avocat du défendeur a reconnu à l’audience relative au contrôle judiciaire que son mémoire des arguments indiquait à tort que l’agent avait interrogé M. Zhang. Aucune entrevue n’a été réalisée, et aucune lettre d’équité procédurale n’a été envoyée.
III. Analyse
[7] Le défendeur soutient que la lettre d’offre d’emploi fournie par le demandeur comportait tellement de lacunes que la conclusion de l’agent ne portait pas sur la crédibilité, mais plutôt sur l’exhaustivité de la demande et que, par conséquent, l’agent n’était pas tenu de donner l’occasion à M. Zhang de répondre à ses réserves.
[8] Je ne suis pas convaincue. À mon avis, il est évident que l’agent a tiré une conclusion en matière de crédibilité en ce qui concerne l’offre d’emploi de M. Zhang. L’agent a écrit qu’il [traduction] « crai[gnait] que [le demandeur] n’ait pas une offre d’emploi authentique »
, puis a dressé la liste de ses doutes à l’égard de la lettre d’offre fournie. L’agent a clairement indiqué qu’il jugeait que M. Zhang avait fourni une lettre d’offre d’emploi qui n’était pas authentique. Il s’agit d’une conclusion en matière de crédibilité. Il est bien établi que, dans de pareilles circonstances, le demandeur aurait dû connaître la preuve à réfuter et avoir une réelle occasion de répondre aux doutes soulevés par l’agent quant à sa crédibilité (Talpur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 25 au para 21; Nguyen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1617).
[9] Le manquement à l’équité procédurale aurait pu être corrigé si M. Zhang avait eu l’occasion de fournir une réponse dans le cadre du processus de réexamen. Deux jours après le rejet de la demande, M. Zhang, qui était alors au courant des doutes de l’agent quant à la crédibilité, a présenté des éléments de preuve supplémentaires afin de combler les lacunes relevées par l’agent dans la lettre d’offre d’emploi.
[10] Comme l’expliquait récemment la juge Ngo dans la décision Bolies c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 1063 [Bolies], [traduction] « lors du processus de réexamen, l’agent doit dans un premier temps exercer son pouvoir discrétionnaire pour déterminer s’il y a eu lieu de permettre le réexamen. Si telle est sa décision, il procède dans un deuxième temps à un réexamen de la décision sur le fond »
(Boiles, au para 21, renvoyant à AB c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1206, au para 21).
[11] Compte tenu des brefs motifs de l’agent, je ne suis pas en mesure de déterminer si l’agent a rouvert le dossier pour examiner les nouveaux documents ou s’il a refusé de le faire. Dans un cas comme dans l’autre, le manque de justification rend la décision déraisonnable. Il s’ensuit également que le processus de réexamen ne permet pas de corriger le manquement à l’équité procédurale, parce que le demandeur n’a pas eu de réelle occasion de dissiper les doutes quant à la crédibilité.
[12] La possibilité pour le demandeur de présenter une nouvelle demande, comme le mentionne l’agent dans sa décision, ne dispense pas l’agent de son obligation de donner au demandeur la possibilité de dissiper les doutes quant à la crédibilité et de son obligation de fournir des motifs justifiés, transparents et intelligibles pour motiver sa décision initiale et la décision de rouvrir le dossier.
[13] La demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM-15961-23
LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :
-
La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
-
La décision du 27 novembre 2023 est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.
-
Au cours du nouvel examen, le demandeur aura la possibilité de présenter des observations et des éléments de preuve supplémentaires pour appuyer sa demande de permis de travail.
-
Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.
« Lobat Sadrehashemi »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS
DOSSIER : |
IMM-15961-23 |
INTITULÉ : |
ZHEFU ZHANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA |
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Calgary (Alberta) |
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 3 FÉVRIER 2025 |
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LA JUGE SADREHASHEMI |
DATE DES MOTIFS : |
Le 14 février 2025 |
COMPARUTIONS :
Gen Zha |
Pour le demandeur |
Meenu Ahluwalia |
Pour le défendeur |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Arkham Law Avocats Calgary (Alberta) |
Pour le demandeur |
Procureur général du Canada Calgary (Alberta) |
Pour le défendeur |