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Date : 20250213

Dossier : IMM-15208-23

Référence : 2025 CF 284

Ottawa (Ontario), le 13 février 2025

En présence de l'honorable madame la juge Ngo

ENTRE :

OMAR HERNANDEZ GARCIA

Partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

Partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] Le demandeur, Omar Hernandez Garcia [demandeur], sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada rejetant sa demande d’asile en raison de l’absence de crédibilité du demandeur quant au risque allégué [Décision]. Dans sa Décision, la SAR a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] puisque le demandeur n’a pas su établir une possibilité sérieuse de persécution au titre de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] ni qu’il a la qualité de personne à protéger au titre du paragraphe 97(1) de la LIPR.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Le demandeur n’a pas démontré que la Décision était déraisonnable.

II. Faits

[3] Le demandeur est un citoyen du Mexique. Il allègue craindre l’ex-conjointe de son défunt père [ARM] en raison d’un conflit judiciaire relatif à une maison que son père lui aurait léguée. ARM, dont il était séparé depuis plusieurs années, se serait approprié frauduleusement des titres sur ce bien immobilier. Lors de poursuites judiciaires contre ARM, le demandeur aurait reçu des appels téléphoniques de la part d’hommes inconnus, le menaçant de mort et le sommant de laisser tomber la cause. Selon le demandeur, ARM est une femme puissante et influente qui entretiendrait des liens avec des criminels. Le demandeur allègue également avoir reçu des menaces de mort par des individus circulant en camionnette et l’ayant accosté à l’extérieur du campus universitaire. Selon les dires du demandeur, sa mère voyait souvent des camionnettes suspectes, sans plaque d’immatriculation, faire la surveillance près de chez elle et le dernier incident remonterait à février 2023.

[4] Le 16 octobre 2021, le demandeur est arrivé au Canada et le 29 mars 2022, il a demandé l’asile. Le demandeur a aussi amendé son récit le 23 mars 2023 et le 4 avril 2023.

[5] Le 24 mai 2023, la SPR a rejeté sa demande d’asile en concluant à son absence de crédibilité quant aux menaces qu’il aurait reçues et à son défaut de démontrer un risque prospectif advenant son retour dans son pays.

[6] Le 7 novembre 2023, la SAR a confirmé la décision de la SPR. La SAR a conclu que le demandeur n’a pas su démontrer de liens entre les menaces qu’il avait reçues et ARM. Il n'avait pas établi, selon la prépondérance de probabilités, la survenance de faits au cœur de ses allégations. La SAR a conclu que les menaces établies dans ce dossier n'ont pas dépassé les appels téléphoniques anonymes. Bien que la SAR ait jugé que le demandeur était crédible quant à l’existence d’un litige relatif à l'héritage de son père qui l'oppose à ARM, elle a conclu que le demandeur pouvait éliminer son risque de persécution en renonçant à l’héritage et en arrêtant les procédures judiciaires. Il n’était pas déraisonnable pour le demandeur de renoncer à ses droits civils afin de protéger sa vie.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[7] La question en litige est celle de savoir si la Décision est déraisonnable.

[8] Les parties s’entendent que la Cour doit réviser le bien-fondé de la Décision en appliquant la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 16-17, 25 [Vavilov]). Je suis d’accord que la norme de la décision raisonnable s’applique quant aux motifs de la Décision.

[9] En contrôle judiciaire, la Cour doit faire l’analyse et déterminer si une décision fait preuve des caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov au para 99). Une décision raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision faisant l'objet du contrôle (Vavilov au para 90). Une décision pourrait se qualifier de déraisonnable, si le décideur administratif a mal interprété la preuve au dossier (Vavilov aux para 125, 126). La partie qui conteste la décision a le fardeau de démontrer que la décision est déraisonnable (Vavilov au para 100).

IV. Analyse

[10] Le demandeur allègue que la SAR a effectué une analyse « microscopique » de certains éléments de preuve qui ont miné la crédibilité de ces derniers. Il soutient que la SAR a erré en rejetant les allégations qu’il aurait été menacé personnellement et qu’il y aurait eu des camionnettes suspectes circulant autour de sa maison familiale. Le demandeur reconnait que ces allégations n’étaient pas mentionnées dans son formulaire de Fondement de la demande d’asile [FDA], mais il attribue cette omission à son jeune âge, à son faible niveau de scolarité et au fait qu’il n’avait pas de preuve pour les établir. De plus, le demandeur fait valoir que la SAR a erré en exigeant erronément un fardeau de preuve supérieur à celui de la prépondérance des probabilités en lui demandant d’identifier les personnes qui l’avaient menacé, d’établir le lien entre ces personnes et ARM ainsi que de démontrer l’influence de ARM.

[11] Le demandeur explique que le bénéfice du doute aurait dû lui être accordé en lien avec les allégations rejetées puisqu’il avait été jugé crédible quant aux autres éléments de preuve. Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable pour la SAR de requérir ces preuves considérant l’influence des organisations criminelles au Mexique, la dangerosité de l’agent de persécution, la corruption et son jeune âge.

[12] D’autre part, le défendeur soutient que la SAR a effectué une analyse approfondie et minutieuse de la décision de la SPR. Le demandeur n’a pas démontré que la conclusion d’absence de crédibilité de la SAR était déraisonnable puisque la SAR a raisonnablement retenu l’absence de preuve des allégations, l’omission dans le FDA et la réponse évasive du demandeur sur la date où les menaces ont eu lieu pour arriver à cette conclusion. Le défendeur souligne qu’il était pleinement loisible pour la SAR d’examiner la crédibilité d’un demandeur d’asile et de tirer des inférences défavorables des omissions, incohérences, contradictions et invraisemblances relevées dans la preuve pour lesquelles il n’a pas fourni d’explications satisfaisantes (citant Brahim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1215 au para 12; Kinyamba c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2000 CanLII 16263 (CF) au para 4). La SAR a aussi tranché son allégation de son âge et de niveau de scolarité. La preuve au dossier a aussi étayé le fait qu’il était capable de prendre les démarches de litige seul. Les incohérences et contradictions devant la SAR et la SPR n’étaient pas mineures et donc, le bénéfice du doute ne s’appliquerait pas à la circonstance du demandeur.

[13] Le défendeur rejette également l’argument du demandeur voulant que la SAR n’ait pas analysé ni soupesé ses explications où il soutient que la renonciation à ses droits n’éteindra pas les menaces qu’il subit. La SAR a analysé la renonciation à l’héritage et tient compte de l’argument du demandeur dans les motifs de sa décision. Le demandeur a témoigné qu’il avait la capacité de se soustraire du litige, mais ne pouvait pas le faire à cause de la valeur sentimentale et le bénéfice financier de son héritage.

[14] Avec égards, la Cour ne peut souscrire aux arguments du demandeur. Il est bien établi que les tribunaux spécialisés, tels que la SPR et la SAR, ont pleine compétence pour apprécier la plausibilité d’un témoignage, pour jauger la crédibilité d’un récit et pour tirer les inférences qui s’imposent. Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d’attirer l’intervention de la Cour, ses conclusions sont à l’abri du contrôle judiciaire (Reyes Contreras c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1453 au para 30 citant Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF No 732 (CAF) au para 4).

[15] De plus, l’accumulation de contradictions, d’incohérences et d’omissions sur des éléments fondamentaux de la demande d’asile peut être suffisante pour appuyer une conclusion négative sur la crédibilité d’un demandeur (Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 au para 22).

[16] Les lacunes en l’espèce comprennent non seulement une absence de preuve, mais également un témoignage vague. En effet, le demandeur a admis n'avoir jamais revu ARM, et qu’il ne connaissait pas le poste que celle-ci occupait en dépit du fait qu’il avait habité avec elle et son père. Ladite influence de ARM sur l’agent de persécution du demandeur était un élément important qui aurait dû être démontré. Je ne peux donc conclure que la SAR a erré dans son analyse de la crédibilité du demandeur.

[17] Sur la question de la renonciation à l’héritage, cette Cour a déclaré à plusieurs reprises que les demandeurs d’asile qui peuvent se soustraire à un risque de préjudice en faisant des choix raisonnables sont censés opter pour ces options (Enam v Canada (Citizenship and Immigration), 2023 FC 1683 au para 12; Malik c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 955 au para 29 citant Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 99 au para 16).

[18] Dans une décision similaire portant sur une demande d’asile en raison d’un litige immobilier, la Cour a déterminé que les contestations des déterminations de crédibilité de la SAR ne peuvent constituer un motif pour accueillir la demande de contrôle judiciaire si le demandeur n'avait pas pris les mesures raisonnables pour se libérer (Hamza v Canada (Citizenship and Immigration), 2024 FC 1742 au para 5). Je ne décèle donc aucune erreur de la SAR eu égard à son analyse de ce sujet.

V. Conclusion

[19] La Décision constitue une issue raisonnable justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov au para 85). En appliquant la norme de la décision raisonnable, la Décision satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[20] Les parties ont confirmé qu’il n’y avait aucune question à certifier et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-15208-23

LA COUR STATUE que :

  • 1)La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  • 2)Aucune question n’est certifiée.

« Phuong T.V. Ngo »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-15208-23

INTITULÉ :

OMAR HERNANDEZ GARCIA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 JANVIER 2025

JUGEMENT ET MOTIFS

LA JUGE NGO

DATE DES MOTIFS :

LE 13 FÉVRIER 2025

COMPARUTIONS :

Me Claudia Aceituno

Pour lA PARTIE demandeRESSE

Me Michèle Plamondon

Pour lA PARTIE défendeRESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocats

Montréal (Québec)

Pour lA PARTIE demandeRESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour lA PARTIE défendeRESSE

 

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