Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20250213


Dossier : IMM-16155-23

Référence : 2025 CF 283

Ottawa (Ontario), le 13 février 2025

En présence de l'honorable madame la juge Ngo

ENTRE :

SEFIANE HATTABI

MELISSA BOUMRAH

MOHAMED FAYCAL HATTABI

Partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

Partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs, Sefiane Hattabi [demandeur], Melissa Boumrah [demanderesse] et Mohamed Faycal Hattabi [demandeur mineur] [collectivement demandeurs], sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] portant sur une demande d’asile [Décision]. La SAR a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] qui a rejeté la demande d’asile en vertu des articles 96 et 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] puisqu’il existe une possibilité de refuge intérieur [PRI] en Algérie.

[2] Les demandeurs sont citoyens d’Algérie. Le demandeur et la demanderesse sont mariés et ensemble ils ont trois enfants, dont le demandeur mineur. Les autres enfants ont la nationalité canadienne et ne sont pas des parties à cette demande. Les demandeurs craignent plusieurs membres de leurs familles respectives qui n’ont jamais accepté leur union. Depuis leur mariage, la demanderesse allègue avoir subi du harcèlement, des menaces et des agressions de la part de sa famille et de sa belle-famille. L’accumulation de harcèlement et de violence a incité le couple à fuir l’Algérie pour s’installer au Canada.

[3] Les demandeurs ont présenté leurs représentations devant la SPR le 14 février 2023 et le 2 mars 2023. Le 11 avril 2023, la SPR a accepté une partie des allégations de la famille, mais elle a estimé qu’il existe une PRI viable en Algérie. Ainsi, les demandeurs n'ont pas la qualité de réfugiés ni de personnes à protéger. Le 23 novembre 2023, la SAR a rejeté l’appel et a confirmé la conclusion quant à la PRI viable.

[4] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Les demandeurs ont démontré que la Décision était déraisonnable justifiant l’intervention de la Cour.

II. Question en litige et norme de contrôle

[5] La question en litige est de savoir si la Décision était déraisonnable quant aux conclusions de la SAR sur la possibilité d’une PRI en Algérie.

[6] Les parties soutiennent que la norme de contrôle applicable aux motifs de la Décision s’agit de la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 16-17, 25 [Vavilov]). Je suis d’accord qu’il s’agit de la norme de contrôle appropriée.

[7] En contrôle judiciaire, la Cour doit faire l’analyse et déterminer si une décision fait preuve des caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov au para 99). Une décision raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision faisant l'objet du contrôle (Vavilov au para 90). Une décision pourrait se qualifier de déraisonnable, si le décideur administratif a mal interprété la preuve au dossier (Vavilov aux para 125, 126). La partie qui conteste la décision a le fardeau de démontrer que la décision est déraisonnable (Vavilov au para 100).

III. Analyse

[8] Les demandeurs allèguent que la SAR a erré dans son analyse de l’allégation de la menace d’enlèvement des enfants. Ils expliquent qu’il était erroné pour la SAR d’affirmer que cette allégation avait uniquement été mentionnée « après plus d’une heure d’audience » devant la SPR. Les demandeurs citent un passage de la 20e minute de la transcription de la même audience où la demanderesse a répondu aux questions de la SPR concernant la menace. Les demandeurs soutiennent que cette erreur a entaché l’analyse de la PRI, car la SAR a erré en rejetant cette allégation sur la base d’une interprétation erronée de la preuve. La SAR n’a pas tranché de façon raisonnable la PRI puisqu’elle n’a pas considéré une des persécutions centrales alléguées.

[9] D’autre part, le défendeur soutient que la conclusion de la SAR quant à la PRI est raisonnable et qu’elle a adéquatement appliqué le test associé. Il soutient que les arguments soulevés par les demandeurs ont déjà été examinés par la SAR et donc, que les demandeurs demandent essentiellement à la Cour de soupeser à nouveau la preuve étayée devant la SAR. La Cour ne peut faire ceci en contrôle judiciaire.

[10] Je suis d’accord avec les arguments des demandeurs. Dans sa Décision, la SAR a listé l’omission de cette allégation dans le récit initial, dans l’amendement et a soulevé le moment où la demanderesse a témoigné à ce sujet devant la SPR. La SAR s'est appuyée sur cette mention tardive, comme l'un des éléments importants, afin de conclure à l'absence de crédibilité de l’allégation de la crainte d’enlèvement de ses enfants. Par contre, la preuve au dossier démontre que la demanderesse a effectivement soulevé le risque plus tôt durant l’audience devant la SPR lorsque cette dernière a demandé s’ils voulaient ajouter des éléments à leur demande d’asile. De plus, la SAR a elle-même affirmé que cette allégation de persécution était « centrale » à la demande d’asile du demandeur mineur. La SAR a ainsi confirmé que la lacune reprochée n’est ni superficielle ni accessoire par rapport au fond de la Décision.

[11] À la lumière de ces barèmes que la SAR a définie elle-même, je conclus que la Décision souffre d’une lacune suffisamment capitale ou importante pour rendre la Décision déraisonnable (Vavilov au para 100).

IV. Conclusion

[12] Dans les circonstances en l’espèce, je ne peux conclure que la Décision est intrinsèquement transparente, intelligible et justifiée en tenant compte des contraintes factuelles et juridiques applicables (Vavilov au para 85). La demande de contrôle judiciaire est accueillie et le dossier est retourné à la SAR pour un nouvel examen par un autre décideur.


JUGEMENT dans le dossier IMM-16155-23

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. Le dossier est retourné à la SAR devant un nouveau décideur.

  2. Il n’y a pas de questions à certifier.

« Phuong T.V. Ngo »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-16155-23

INTITULÉ :

SEFIANE HATTABI, ET AL. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 FÉVRIER 2025

JUGEMENT ET MOTIFS

LA JUGE NGO

DATE DES MOTIFS :

LE 13 FÉVRIER 2025

COMPARUTIONS :

Me Jihane Chikhi

Pour lA PARTIE demandeRESSE

Me Zofia Przybytkowski

Pour lA PARTIE défendeRESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocats

Montréal (Québec)

Pour lA PARTIE demandeRESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour lA PARTIE défendeRESSE

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.