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Date : 20250212


Dossier : T-903-19

Référence : 2025 CF 267

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), February 12, 2025

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

ROBERT HOULE

demandeur

et

PREMIÈRE NATION DE SWAN RIVER ET CHEF ET CONSEIL DE LA PREMIÈRE NATION DE SWAN RIVER

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, M. Robert Houle [le demandeur ou M. Houle], est membre de la Première Nation de Swan River [PNSR]. Il est mis en candidature pour le poste de conseiller à l’élection du chef et des conseillers de la PNSR du 14 juin 2019. Le 3 mai 2019, le président d’élection de la PNSR refuse la candidature de M. Houle [la décision relative à la candidature] au motif qu’il n’est pas éligible aux termes de l’alinéa 9.1(a)(2) du règlement intitulé Swan River First Nation Customary Election Regulations As Amended March 8, 2007 [le Règlement]. Selon cette disposition, les candidats au poste de chef ou de conseiller de la PNSR doivent résider sur la réserve de la PNSR [la réserve] depuis au moins un an à la date de leur mise en candidature [l’obligation de résidence]. M. Houle conteste la constitutionnalité de l’obligation de résidence au motif qu’elle est discriminatoire envers les membres de la PNSR qui, comme lui, ne résident pas sur la réserve. Il avance que l’obligation n’est pas protégée par l’article 25 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [la Charte], et qu’elle devrait être invalidée sur le fondement de l’article 15 de la Charte

[2] Les défendeurs, la PNSR et le chef et le conseil de la PNSR, rejettent la contestation de M. Houle et affirment que, même si l’obligation de résidence enfreint l’article 15, elle est protégée par l’article 25 de la Charte.

Contexte procédural

[3] La présente affaire commence par le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire le 30 mai 2019. Initialement, elle est instruite avec une demande similaire présentée par Mme Shawna Jean (dossier T-904-19), qui a été mise en candidature, mais n’a pas été autorisée à briguer le poste de chef à l’élection du 14 juin 2019 de la PNSR. Les deux demandes de contrôle judiciaire [collectivement, les demandes] sont réunies par une ordonnance datée du 18 juillet 2019.

[4] Dans sa demande de contrôle judiciaire, M. Houle sollicite les réparations suivantes : une ordonnance annulant la décision relative à la candidature; une déclaration portant qu’il est éligible au poste de conseiller de la PNSR à l’élection générale de 2019 et une déclaration portant que l’alinéa 9.1(a)(2) du Règlement enfreint l’article 15 de la Charte et est donc inconstitutionnel et inopérant. Il réclame également les dépens calculés sur la base avocat-client.

[5] Les défendeurs sollicitent subséquemment par requête que les demandes soient instruites comme des actions en vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les cours fédérales, LRC 1985, c F-7. À l’origine de la requête des défendeurs est leur intention d’opposer les articles 1 et 25 de la Charte et l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et les droits ancestraux ou issus de traités qu’ils revendiquent comme défense aux demandes. Ils font valoir que la procédure de l’action est nécessaire pour l’examen juste de la question des droits ancestraux ou issus de traités et des moyens de défense invoqués. Qui plus est, étant donné la nature des demandes, les avantages du contrôle judiciaire, notamment sa rapidité, ne s’appliquent pas. Les demandeurs, qui se représentent tous deux eux-mêmes, s’opposent à la requête.

[6] Dans une ordonnance datée du 6 novembre 2020, la juge responsable de la gestion de l’instance à l’époque accueille la requête et ordonne que les demandes soient instruites comme des actions. Elle note que l’ordonnance rendue en vertu du paragraphe 18.4(2) n’a pas pour effet de « convertir » la demande en action, de remplacer l’avis de demande par une déclaration ou d’obliger le plaideur à déposer une déclaration en plus de l’avis de demande, lequel demeure l’acte introductif d’instance. Les règles de droit applicables demeurent celles du contrôle judiciaire. Son seul effet est de permettre aux parties d’invoquer les dispositions des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles] concernant les actions dans le cadre de la demande (Canada (Commission des droits de la personne) c Nation crie de Saddle Lake, 2018 CAF 228 aux para 23-24; Brake c Canada (Procureur général), 2019 CAF 274 au para 43).

[7] Subséquemment, dans une ordonnance datée du 30 novembre 2020, la juge responsable de la gestion de l’instance fixe les délais suivants :

[traduction]

  1. Les demandeurs sont autorisés à modifier leur avis de demande. Ils ont jusqu’au 15 janvier 2021 pour signifier et déposer leur avis de demande modifié.

  2. Les défendeurs ont jusqu’au 16 février 2021 pour signifier et déposer leur défense.

  3. Les demandeurs ont jusqu’au 26 février 2021 pour signifier et déposer leur réponse.

  4. Les parties ont jusqu’au 26 mars 2021 pour s’échanger leurs affidavits de documents.

  5. Les parties ont jusqu’au 14 mai 2021 pour effectuer les interrogatoires préalables.

  6. Les parties ont jusqu’au 31 mai 2021 pour soumettre un rapport sur l’état de l’instance.

  7. Les défendeurs ont jusqu’au 31 août 2021 pour signifier leurs affidavits ou déclarations de témoins experts.

  8. Les demandeurs ont jusqu’au 15 octobre 2021 pour signifier leurs affidavits ou déclarations de témoins experts.

  9. […]

[8] Une nouvelle réparation est sollicitée dans l’avis de demande modifié, qui a été dûment déposé : une déclaration portant que l’alinéa 9.1(a)(2) du Règlement n’est pas protégé par l’article 25 de Charte, car son objet ne concerne pas un droit ancestral ou issu d’un traité. Les défendeurs déposent une défense, et le demandeur dépose une réponse.

[9] Un avis de question constitutionnelle est déposé le 17 août 2022. Dans une ordonnance datée du 9 septembre 2022, l’affaire est inscrite au rôle pour le 14 février 2023.

[10] Toutefois, la Cour suprême du Canada avait pris en délibéré l’appel interjeté contre l’arrêt Dickson v Vuntut Gwitchin First Nation, 2021 YKCA 5, qui traite de l’application de l’article 25 de la Charte à une obligation de résidence. L’instance est donc suspendue en attendant l’arrêt de la Cour suprême. Le 28 mars 2024, la Cour suprême rend l’arrêt Dickson c Vuntut Gwitchin First Nation, 2024 CSC 10 [Dickson]. Le 9 avril 2024, la date du procès dans la présente affaire est fixée au 23 septembre 2024.

[11] Préalablement au procès, les parties déposent un exposé conjoint des faits.

[12] Le 16 septembre 2024, Mme Jean dépose un avis de désistement dans le dossier T-904-19.

[13] Un recueil conjoint de documents est déposé le 22 septembre 2024. Il comprend notamment un affidavit de Mme Jean, daté du 22 juillet 2020 [l’affidavit de Mme Jean], et un affidavit de M. Houle, daté du 7 août 2020 [l’affidavit de M. Houle], tous deux préparés en réponse à la requête visant à ce que les demandes soient instruites comme une action. M. Houle choisit finalement de ne pas produire l’affidavit de Mme Jean ni l’affidavit de M. Houle comme preuve au procès. M. Houle, qui se représente lui-même, ne témoigne pas au procès.

Documents admis en preuve d’un commun accord

[14] Au procès, il est convenu d’admettre quatre documents en preuve : le Règlement, la décision relative à la candidature; la décision relative à la candidature de Mme Jean et le Traité no 8.

Témoins

[15] Le procès dans la présente affaire a lieu le 23 septembre 2024, et les observations finales sont présentées le lendemain matin.

[16] Aucun expert ne témoigne, y compris au sujet des droits issus de traités ou d’autres droits.

[17] M. Houle convoque deux témoins : Mme Darlene McRee, une Aînée de la PNSR qui siège au conseil des Aînés, et Mme Jean, qui est membre de la PNSR (ainsi que la fille de Mme McRee).

[18] Les défendeurs convoquent trois témoins : M. Dustin Twin père, un Aîné de la PNSR et un ancien chef et conseiller; M. Gordon Courtorielle, un Aîné de la PNSR et un ancien chef et conseiller; et M. Mark Giroux, un conseiller de la PNSR actuellement en poste.

[19] Les parties n’ont pas mis en place de protocole relatif au témoignage des Aînés ni tenu compte des Lignes directrices sur la pratique en matière de procédures intéressant le droit des autochtones (septembre 2021 (4e édition)), qui ont été portées à leur connaissance, si ce n’est que quelques brèves questions ont été posées aux témoins Aînés.

Exposé conjoint des faits

[20] Étant donné le peu d’éléments de preuves présentés au procès, je reproduis ci-dessous l’intégralité de l’exposé conjoint des faits.

[traduction]

EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS

Les Parties

1. Les demandeurs, Robert Houle et Shawna Jean (les « demandeurs ») sont membres de la Première Nation de Swan River (« PNSR »).

2. La PNSR est une bande au sens de la Loi sur les Indiens. Elle est présente sur les rives du Petit lac des Esclaves depuis les années 1930 et la séparation de la tribu de Kinoosayo. Ses membres sont des Autochtones qui habitent l’Amérique du Nord depuis des temps immémoriaux, bien avant le contact avec les Européens.

3. La PNSR a deux réserves : Swan River 150E et Assineau River 150F. Toutes deux sont situées sur la rive sud du Petit lac des Esclaves, à proximité du village de Kinuso, en Alberta (la « réserve de la PNSR »). Kinuso est enclavé dans la réserve 150E de la PNSR.

4 La PNSR compte quelque 1 500 membres. Environ 500 d’entre eux résident sur la réserve de la PNSR, tandis que les autres résident à l’extérieur.

5. Pendant toute la période visée par la présente demande, les demandeurs résident à l’extérieur de la réserve de la PNSR. Le demandeur Robert Houle habite St. Albert, en Alberta. La demanderesse Shawna Jean partage son temps entre Edmonton et la Première Nation des Chipewyans des Prairies.

6. Le demandeur Robert Houle a vécu de trois à cinq ans à Kinuso quand il était enfant. Rappelons que le village est enclavé dans la réserve de la PNSR, mais n’en fait pas partie. Il a quitté la réserve pour faire des études et travailler. Quand il habitait à l’extérieur de la réserve, M. Houle revenait régulièrement sur le territoire de la PNSR pour participer à des rassemblements familiaux et communautaires.

7. La demanderesse Shawna Jean a vécu à Kinuso jusqu’à ses 18 ans. Elle a quitté Kinuso pour faire des études et travailler. Adulte, elle est revenue y vivre pendant deux ans et demi et y a enseigné pendant un an. Quand elle habitait à l’extérieur de la réserve, Mme Jean revenait régulièrement sur le territoire de la PNSR pour participer à des rassemblements familiaux et communautaires.

Contexte historique :

8. Les membres de la PNSR ont recours à des pratiques de gouvernance établies par leurs ancêtres en des temps immémoriaux pour organiser et diriger leur communauté. Ces pratiques régissent la prise de décision, la sélection des dirigeants, le partage des ressources et d’autres aspects importants du fonctionnement de leur communauté.

9. Même si les pratiques de gouvernance de la PNSR ont évolué au fil du temps, elles conservent des éléments antérieurs au contact avec les Européens.

10. Les ancêtres de la PNSR vivaient en petites unités familiales qui passaient l’automne, l’hiver et le printemps ensemble et pratiquaient la chasse et le trappage. L’été, elles se rassemblaient en grands groupes sur les rives du Petit lac des Esclaves avec d’autres groupes autochtones vivant à proximité.

11. Les ancêtres de la PNSR sélectionnaient leurs dirigeants au moyen d’un processus informel, sans tenir d’élections. Les dirigeants étaient choisis en fonction de leurs compétences et de leur capacité à diriger et à subvenir aux besoins des membres.

12. Depuis les années 1930, les dirigeants élus de la PNSR résident ordinairement avec les membres sur les terres de réserve de la PNSR.

13. Les parties ne s’entendent pas sur le caractère contraignant de l’obligation pour les dirigeants de résider sur la réserve ou sur le territoire traditionnel avant les années 1930.

Le Traité no 8

14. En 1899, les colons euro-canadiens ont déjà commencé à s’établir sur le territoire traditionnel de la PNSR. Par conséquent, la Couronne souhaite conclure un traité avec les peuples autochtones qui habitent ce qui est maintenant le Nord de l’Alberta, de la Saskatchewan et de la Colombie-Britannique et une partie des Territoires-du-Nord-Ouest.

15. Le 21 juin 1899, Kinoosayo conclut le Traité no 8 avec la Couronne.

16. Le conseiller Felix Giroux représente ce qui deviendra la PNSR aux négociations.

17. La Couronne assure aux Autochtones que le Traité garantira leur survie malgré la colonisation croissante, de même que leur prospérité économique, physique et culturelle. Elle leur assure également que leur mode de vie et leur organisation sociale demeureront inchangés.

18. La Couronne promet plusieurs choses aux Autochtones, notamment qu’elle ne les empêchera pas de vivre comme ils l’entendent, et qu’ils pourront vivre sur des terres en particulier (et non sur une réserve). Les Autochtones comprennent de ces promesses qu’ils pourront maintenir leurs pratiques de gouvernance sans ingérence.

19. La Couronne et la PNSR conviennent que le Traité no 8 s’applique à perpétuité.

La PNSR après le Traité no 8

20. Peu après la conclusion du Traité no 8, les ancêtres de la PNSR demandent que des terres soient arpentées et réservées conformément au Traité. Des familles s’établissent de manière permanente dans le secteur de la rivière Swan, sur la rive centre-sud du Petit lac des Esclaves. La Couronne enclenche le processus de création de réserves en 1902; toutefois les réserves 150E et 150F ne sont officiellement établies que vers 1912.

21. Les ancêtres de la PNSR conservent leurs modes de gouvernance traditionnels une fois établis sur leurs terres de réserve. Felix Giroux occupe le poste de conseiller du groupe de Swan River jusqu’à l’établissement de la PNSR dans les années 1930. Le premier chef sélectionné est August Sound.

22. Depuis l’établissement permanent de la PNSR, les dirigeants ont toujours été issus de son territoire et, depuis l’établissement sur la réserve, ils sont choisis parmi les membres qui résident ordinairement sur une réserve de la PNSR. C’est le cas des successeurs du conseiller Felix Giroux. Après les années 1930, le poste de conseiller est remplacé par celui de chef, dont le premier titulaire est August (Sound). Lui ont succédé Gene Giroux (Davis), August Chalifoux, Victor Twin, Paul Sound, Gordon Courtoreille, Charlie Chalifoux, Dusty Twin, Richard Davis, Leon Chalifoux, Ryan Davis et Gerald Giroux (le chef actuel). Tous ces dirigeants résidaient ordinairement sur les terres de réserve de la PNSR.

Les codes électoraux écrits de la PNSR

23. En 2005, la PNSR adopte le Règlement électoral coutumier de la Première Nation de Swan River (le « Code de 2005 »), qui prévoit notamment ce qui suit :

Paragraphe 6.5(a) : l’électeur qui réside sur la réserve depuis au moins trois (3) mois sans interruption peut être mis en candidature pour le poste de conseiller.

Article 14 : Tous les membres du conseil doivent résider sur la réserve de Swan River pendant la durée de leur mandat.

Paragraphe 15.2(e) : Les conseillers peuvent être destitués par le conseil pour les motifs suivants : [...] Ils ne résident pas sur la réserve pendant toute la durée de leur mandat.

24. En 2007, le Code de 2005 est remplacé par une nouvelle version qui comprend les dispositions suivantes :

Alinéa 9.1(a)(2) : Pour être éligible, le candidat doit résider sur la réserve depuis au moins un (1) an à la date de mise en candidature.

Article 14.4 : Tous les membres du conseil doivent résider sur la réserve de Swan River pendant la durée de leur mandat.

(ci-après, l’« obligation de résidence »)

25. Le contrôle judiciaire sollicité par les demandeurs concerne le code de gouvernance décrit ci-dessus.

Les demandeurs veulent briguer les postes de chef et de conseiller

26. L’élection du chef et du conseil de la PNSR est prévue pour le 14 juin 2019 (l’« élection »).

27. Le demandeur Robert Houle veut briguer le poste de conseiller. La demanderesse Shawna Jean veut briguer le poste de chef.

28. Le président d’élection refuse la candidature des demandeurs, car ils ne satisfont pas à l’obligation de résidence.

29. Les demandeurs sollicitent une injonction pour que l’élection soit reportée le temps que la présente demande de contrôle judiciaire soit entendue. Leur requête est rejetée.

30. L’élection a lieu le 14 juin 2019.

31. La disposition de modification du Règlement électoral coutumier de la Première Nation de Swan River est ainsi libellée : « Le conseil de bande prépare et présente les modifications au Règlement électoral coutumier à la demande écrite de vingt-cinq pour cent (25 %) des électeurs de la bande de Swan River. » Les demandeurs ne se sont pas prévalus de la procédure de modification.

32. La prochaine élection de la PNSR est prévue pour juin 2022.

L’avis de question constitutionnelle

[21] Le fondement juridique indiqué dans l’avis de question constitutionnelle est le suivant :

[traduction]

Les demandeurs contestent l’obligation de résidence au motif qu’elle est discriminatoire et donc contraire à l’article 15 de la Charte.

Les défendeurs sont notamment d’avis que la PNSR a droit à l’autonomie gouvernementale, ce qui comprend le droit de sélectionner ses dirigeants conformément à ses coutumes et traditions. Le droit d’appliquer une obligation de résidence fait partie des « droits ou libertés – ancestraux, issus de traités ou autres – des peuples autochtones du Canada » protégés par l’article 25 de la Charte.

Questions en litige

[22] Dans l’arrêt Dickson, la Cour suprême énonce l’analyse que le tribunal doit effectuer lorsqu’une partie oppose l’article 25 à une demande fondée sur la Charte. Comme le demandeur avance que l’obligation de résidence enfreint l’article 15 et que les défendeurs estiment que l’obligation de résidence est protégée par l’article 25, les parties conviennent que le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Dickson s’applique en l’espèce.

[23] Le cadre d’analyse des demandes fondées sur l’article 25 comprend les quatre étapes suivantes (Dickson, aux para 179-183) :

  1. Premièrement, le demandeur qui invoque la Charte doit démontrer que la conduite contestée viole à première vue un droit individuel garanti par la Charte. Si aucune violation à première vue n’est établie, alors la revendication basée sur la Charte échoue, et il n’est pas nécessaire de passer à l’examen fondé sur l’article 25.

  2. Deuxièmement, la partie qui invoque l’article 25 — habituellement la partie qui se fonde sur un intérêt collectif de la minorité — doit convaincre le tribunal que la conduite contestée est un droit, ou l’exercice d’un droit, protégé par l’article 25. Il lui incombe de démontrer que le droit à l’égard duquel il réclame la protection de l’article 25 est un droit ancestral, issu de traité ou autre. Si le droit en cause fait partie des « autres » droits, alors la partie qui l’invoque doit démontrer l’existence du droit revendiqué et le fait que ce droit protège ou reconnaît la spécificité autochtone.

  3. Troisièmement, la partie qui invoque l’article 25 doit démontrer l’existence d’un conflit irréconciliable entre le droit garanti par la Charte et le droit ancestral, issu de traité ou autre, ou l’exercice de ce droit. Si les droits sont irréconciliablement en conflit, l’article 25 agira comme bouclier afin de protéger la spécificité autochtone.

  4. Quatrièmement, le tribunal doit se demander s’il existe quelque limite applicable à l’intérêt collectif invoqué. Par exemple, lorsque les protections de l’article 25 s’appliquent, le droit collectif peut céder devant les restrictions imposées par l’article 28 de la Charte ou le paragraphe 35(4) de la Loi constitutionnelle de 1982.

[24] Dans les cas où le tribunal conclut que l’article 25 ne s’applique pas, le défendeur peut démontrer que l’acte contesté est justifié au regard de l’article premier de la Charte.

Question préliminaire – Statut du Règlement

[25] Au procès, Mme Jean dit ne pas être au courant que les modifications à la version de 2005 du règlement électoral de la PNSR [le Règlement de 2005] ont fait l’objet d’un référendum en 2007 et ignorer si un vote a eu lieu. Elle ne reconnaît pas le Règlement, car, comme elle n’a pas voté à son sujet, elle estime qu’il n’a pas été ratifié correctement.

[26] Inversement, M. Twin témoigne que les membres de la PNSR ont adopté le Règlement par référendum, de même que sa version précédente, le Règlement de 2005, car il s’agit d’une formalité obligatoire pour que le gouvernement fédéral les reconnaisse. Il affirme avoir voté à ce référendum.

[27] Dans ses observations finales, M. Houle fait valoir que la tenue d’un référendum non conforme au Règlement constituerait un manquement à l’équité procédurale. Il affirme aussi que les témoignages attestant la tenue d’un vote sur le Règlement ne suffisent pas à établir qu’un référendum a eu lieu. Il avance que l’Aîné qui dit avoir voté au référendum le confond peut-être à l’élection qui a eu lieu cette année-là. Ultimement, son argument semble être que, comme la ratification a été mise en doute, le Règlement n’exprime pas nécessairement la volonté des membres de la PNSR.

[28] Je ne peux retenir cet argument.

[29] Premièrement, les réparations sollicitées dans l’avis de demande modifié comprennent l’annulation de la décision relative à la candidature, une déclaration portant que M. Houle est éligible à l’élection et une déclaration portant que l’alinéa 9.1(a)(2) du Règlement est inconstitutionnel et inopérant, et qu’il n’est pas protégé par l’article 25 de la Charte. M. Houle ne soulève pas la validité du Règlement dans l’avis de demande modifié, et se contente plutôt de contester la constitutionnalité de l’alinéa 9.1(a)(2) du Règlement. À cet égard, il est indiqué dans l’exposé conjoint des faits que le Règlement de 2005 a été remplacé en 2007. Aux termes de l’ancien paragraphe 6.5(a), les électeurs devaient résider sur la réserve depuis au moins trois mois sans interruption à la date de leur mise en candidature pour être éligibles au poste de conseiller. Cette exigence a été remplacée par l’obligation de résidence prévue à l’alinéa 9.1(a)(2) – les candidats doivent résider sur la réserve depuis au moins un an à la date de mise en candidature. Dans l’exposé conjoint des faits, il est indiqué que le Code électoral de 2005 a été remplacé et que [traduction] « [l]e contrôle judiciaire sollicité par les demandeurs concerne le code de gouvernance décrit ci-dessus ». À mon avis, M. Houle ne peut pas soulever pour la première fois au procès la validité du Règlement et invoquer un manquement connexe à l’équité procédurale.

[30] Deuxièmement, M. Houle ne peut pas simultanément avancer que le Règlement n’a pas force de loi parce qu’il n’a pas été ratifié et demander l’annulation de l’obligation de résidence (une disposition du Règlement) au motif qu’elle est inconstitutionnelle. Si le Règlement n’a pas force de loi parce qu’il n’a pas été ratifié, la contestation constitutionnelle est sans objet.

[31] Troisièmement, la PNSR applique le Règlement depuis 17 ans. Mme McRee ne peut pas confirmer si elle a reçu une trousse de référendum en 2007. Le seul élément de preuve soutenant la thèse de la non-ratification dont je dispose est le témoignage de Mme Jean. Toutefois, cette dernière ne connaît rien du processus de ratification. Elle est d’avis que, comme elle n’a pas reçu d’information sur le vote, le Règlement n’a pas été ratifié dans les formes. Inversement, M. Twin se souvient d’avoir voté au référendum, et son témoignage sur ce point n’a pas été contesté en contre-interrogatoire.

[32] Je juge que, même si la ratification avait été soulevée dans l’avis de demande modifié, les éléments de preuve présentés par le demandeur ne permettent pas d’établir que le Règlement n’a pas été ratifié dans les formes. Par conséquent, je rejette l’affirmation selon laquelle il ne représente pas la volonté de la majorité des membres de la PNSR.

i. L’obligation de résidence constitue-t-elle à première vue une violation des droits garantis au demandeur par l’article 15 de la Charte?

Thèse du demandeur

[33] M. Houle soutient que l’obligation de résidence constitue de la discrimination à son égard fondée sur le motif analogue de l’« autochtonité‑lieu de résidence » établi dans l’arrêt Corbiere c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 RCS 203 [Corbiere].

[34] Il avance que le motif analogue du « statut de non‑résident dans une communauté autochtone autonome » établi subséquemment dans l’arrêt Dickson (Dickson, au para 198) ne s’applique pas en l’espèce. En effet, l’obligation de résidence ne fait pas partie d’une constitution adoptée par les membres de la PNSR, et le Règlement ne constitue pas un exercice libre et démocratique du droit inhérent de la PNSR à l’autonomie gouvernementale (Dickson, au para 192). Le Règlement est plutôt un code coutumier incorporé par renvoi à la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I-5, ce qui signifie que le processus de sélection prend sa source dans une loi fédérale au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales (Bellegarde c Première Nation Carry the Kettle, 2024 CF 699 au para 90 [Bellegarde]). Voilà pourquoi, selon le demandeur, la présente affaire se distingue de l’affaire Dickson.

[35] Le demandeur, appliquant le cadre d’analyse fondé sur l’article 15 établi dans l’arrêt Corbiere (Corbiere, au para 55), affirme que l’obligation de résidence prive les membres de la SRFN vivant hors réserve de la possibilité de se porter candidat aux élections et réserve cette possibilité au bassin limité de candidats qui résident sur la réserve. Il s’agit d’une différence de traitement qui a pour effet d’exclure les quelque 70 % des membres de la PNSR qui vivent hors réserve.

[36] En outre, les membres vivant hors réserve y sont souvent contraints, car la réserve de la PNSR est en proie à une pénurie de logements. Or, l’application stricte de l’obligation de résidence a pour effet d’exclure même les membres qui résident à Kinuso, une localité pourtant enclavée dans la réserve de la PNSR. Cette différence de traitement crée des désavantages, des stéréotypes et des préjudices définis par le lieu de résidence (Corbiere, au para 62).

[37] Enfin, la Cour fédérale a examiné des violations d’autres droits garantis par le paragraphe 15(1) que le droit de vote en cause dans l’affaire Corbiere, y compris des violations découlant des coutumes d’une bande (Cockerill c Première nation No 468 de Fort McMurray, 2010 CF 337 aux paras 28-29 [Cockerill]; Thompson c Première Nation Leq’á:mel, 2007 CF 707 au para 8 [Thompson]; Clifton c Hartley Bay (Président d’élection), 2005 CF 1030 aux paras 44-45 [Clifton]); Cardinal c Première Nation des Cris de Bigstone, 2018 CF 822 au para 48 [Bigstone]).

[38] Par conséquent, l’obligation de résidence crée à première vue une violation du droit à l’égalité de l’appelant fondée sur le motif analogue de l’autochtonité‑lieu de résidence en renforçant, perpétuant ou accentuant un désavantage.

Thèse des défendeurs

[39] Les défendeurs font valoir que, dans l’arrêt Dickson, la Cour suprême conclut que le motif analogue d’« autochtonité‑lieu de résidence » ne s’applique pas aux obligations de résidence créées par une Première Nation qui exerce son droit inhérent à l’autonomie gouvernementale, et non imposées par la Couronne (comme dans l’affaire Corbiere). La Cour suprême reformule ce motif analogue pour parler de « statut de non‑résident dans une communauté autochtone autonome ».

[40] Les défendeurs reconnaissent que l’obligation de résidence établit une distinction entre les membres qui résident ordinairement sur une réserve et ceux qui résident ailleurs. Dans leurs observations préliminaires, les défendeurs font valoir que cette distinction n’a pas pour effet de renforcer, perpétuer ou accentuer un désavantage, mais qu’elle est plutôt le produit du mode de gouvernance de la PNSR et n’est donc pas discriminatoire. Malgré cet argument, les défendeurs reconnaissent les conclusions de la Cour suprême dans les arrêts Dickson et Corbiere au sujet de l’article 15 et avancent que l’analyse de l’article 25 [traduction] « sera vraisemblablement déterminante ». Dans leurs observations finales, les défendeurs confirment qu’ils ne contestent pas l’argument relatif à l’article 15. Sans donner explicitement raison au demandeur, ils reconnaissent la conclusion de la Cour suprême dans l’arrêt Dickson et, étant donné ce précédent faisant autorité, estiment raisonnablement évident le résultat.

Analyse

[41] Pour les motifs qui suivent, je suis convaincue que l’obligation de résidence constitue à première vue une violation des droits du demandeur garantis par l’article 15 de la Charte. L’obligation de résidence crée une distinction fondée sur la qualité de membre hors réserve d’une bande indienne. Elle renforce et accentue aussi les désavantages subis par les membres de la PNSR qui ne résident pas sur la réserve.

[42] La disposition en litige est l’alinéa 9.1(a)(2) du Règlement, qui est ainsi libellé :

[traduction]

PARTIE 9 – CANDIDATURE

Éligibilité des candidats

(a) Seuls les électeurs qui répondent aux exigences fixées dans le présent code peuvent être mis en candidature :

1) […]

2) Résider sur la réserve depuis au moins un (1) an à la date de mise en candidature.

[…]

[43] Signalons que l’article 14.4 du Règlement établit une seconde obligation de résidence : tous les membres du conseil doivent résider sur la réserve de la PNSR pendant la durée de leur mandat. Elle n’est pas contestée par le demandeur.

[44] L’article 15 de la Charte garantit l’égalité devant la loi, l’égalité de bénéfice et la protection égale de la loi :

15 (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

[45] Pour établir qu’il y a, à première vue, une violation des droits garantis par l’article 15, les demandeurs doivent démontrer que la loi contestée : a) crée, à première vue ou de par son effet, une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue; b) impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage (Dickson, au para 188, citant notamment R c Sharma, 2022 CSC 39 au para 28).

a) L’obligation de résidence crée-t-elle, à première vue ou de par son effet, une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue?

[46] Dans l’arrêt Corbiere, la Cour suprême se penche sur la contestation fondée sur l’article 15 d’une obligation de résidence imposée par la Couronne au paragraphe 77(1) de la Loi sur les Indiens. Aux termes de cette disposition, les membres d’une bande doivent résider ordinairement sur la réserve pour pouvoir voter aux élections de la bande. La Cour suprême détermine que la première étape de l’analyse relative à l’article 15 est facilement franchie, car le paragraphe 77(1) de la Loi sur les Indiens établit une distinction entre les membres des bandes qui vivent dans les réserves et ceux qui vivent en dehors de celles‑ci, en excluant ces derniers de la définition d’« électeur » pour les élections de la bande. Cette distinction constitue une différence de traitement (au para 57). Elle reconnaît ensuite le motif analogue de la « qualité de membre hors réserve d’une bande indienne », aussi appelé « autochtonité‑lieu de résidence » :

62 Dans le présent cas, plusieurs facteurs amènent à conclure que la reconnaissance, comme motif analogue, de la qualité de membre hors réserve d’une bande indienne serait compatible avec les objets du par. 15(1). Du point de vue des membres hors réserve des bandes indiennes, la décision de vivre dans la réserve ou à l’extérieur de celle‑ci, si ce choix leur est ouvert, est importante pour leur identité et leur personnalité et revêt donc un caractère fondamental. Cette décision les oblige à choisir entre vivre avec les autres membres de la bande à laquelle ils appartiennent ou vivre à l’écart de ceux‑ci. Elle se rattache à une communauté et à un territoire qui ont une importance sociale et culturelle significative pour plusieurs ou la plupart des membres de la bande. Constitue également un facteur crucial, le fait que, comme nous le verrons ci‑après au cours de la troisième étape de l’analyse, les membres hors réserve des bandes indiennes ont généralement souffert de désavantages, stéréotypes et préjugés, et font partie d’une « minorité discrète et isolée », définie par la race et le lieu de résidence. En outre, en raison du manque de débouchés et de logements qui sévit dans de nombreuses réserves et du fait que, auparavant, la Loi sur les Indiens retirait à diverses catégories de membres la qualité de membre d’une bande indienne, les personnes qui vivent à l’extérieur de la réserve n’ont bien souvent pas eu le choix à cet égard ou, si elles l’ont eu, elles n’ont pris leur décision qu’à contrecœur ou qu’à un prix très élevé sur le plan personnel. Pour ces raisons, la seconde étape de l’analyse est satisfaite, et la « qualité de membre hors réserve d’une bande indienne » est un motif analogue. Elle sera par conséquent reconnue comme telle dans toute affaire ultérieure mettant en cause cette combinaison de caractéristiques. Je tiens à souligner qu’en statuant ainsi je ne tire aucune conclusion relativement à la possibilité que le « lieu de résidence » constitue un motif analogue dans des contextes autres que ceux où il a une incidence sur les membres d’une bande indienne qui n’habitent pas la réserve de la bande à laquelle ils appartiennent.

[47] La contestation de l’obligation de résidence en cause dans l’affaire Dickson s’inscrit dans le contexte du cadre juridique établi par le processus moderne de négociation des traités sur les revendications territoriales et les ententes sur l’autonomie gouvernementale entre la Première Nation des Gwitchin Vuntut [VGFN] et les gouvernements fédéral et du Yukon. Ce cadre comprend un accord-cadre au titre duquel 11 traités distincts ont été négociés, dont l’Entente définitive de la VGFN, un accord portant règlement de revendications territoriales entre la VGFN et les gouvernements fédéral et du Yukon, qui est approuvé et mis en vigueur par des textes législatifs fédéraux et territoriaux. L’Entente définitive de la VGFN est assimilée à un traité pour l’application de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Comme l’envisage l’Entente définitive de la VGFN, la VGFN et les deux gouvernements ont conclu l’Entente sur l’autonomie gouvernementale de la VGFN, qui reconnaît à la VGFN des pouvoirs d’autonomie gouvernementale, y compris le pouvoir d’adopter sa propre constitution, des pouvoirs législatifs et des pouvoirs en matière de taxation. La constitution de la VGFN définit les règles de gouvernance de la VGFN. Selon la constitution de la VGFN, les citoyens de la VGFN qui souhaitent se porter candidats au poste de chef ou de conseiller sont tenus à une obligation de résidence : ils doivent résider sur les terres désignées de la VGFN ou y déménager dans les 14 jours suivant le jour de l’élection. C’est cette disposition qui est contestée par l’appelante, Mme Dickson.

[48] Mme Dickson s’appuie sur l’arrêt Corbiere pour faire valoir que l’obligation de résidence crée une distinction basée sur le motif analogue de l’« autochtonité‑lieu de résidence ». La VGFN rétorque qu’il y a une distinction avec l’affaire Corbiere, où le facteur déterminant était la qualité de membre hors réserve d’une bande indienne au sens de la Loi sur les Indiens. Par conséquent, toute distinction établie par l’obligation de résidence en cause dans cette affaire ne repose pas sur un motif analogue. La Cour suprême tire la conclusion suivante :

[192] Nous sommes d’accord pour dire que l’arrêt Corbiere ne tranche pas entièrement la question. Cette affaire concernait une demande présentée en vertu du par. 15(1) sur la base d’une obligation de résidence prévue par la Loi sur les Indiens qui exigeait que les membres de la bande indienne résident sur la réserve pour pouvoir voter aux élections de la bande. Contrairement à la disposition en litige dans Corbiere, l’obligation de résidence en l’espèce fait partie de la constitution d’une première nation autonome. Comme le fait observer la VGFN, l’obligation de résidence [traduction] « n’est pas imposée par la Couronne, mais par les citoyens de la VGFN qui exercent librement et démocratiquement leur droit inhérent à l’autonomie gouvernementale » (m.i., par. 143). Comme l’autochtonité‑lieu de résidence, telle qu’elle est énoncée dans Corbiere, ne prend pas cette différence en considération, nous n’allons pas en tenir compte en tant que motif analogue dans la présente affaire.

[49] Toutefois, le Cour suprême juge que la qualité de non‑résident dans une communauté autochtone autonome est un motif analogue.

[50] Dans son analyse de ce motif, la Cour Suprême admet qu’il est reconnu dans l’arrêt Corbiere que le fait qu’une personne autochtone réside hors de la réserve est un motif analogue parce que cette caractéristique est considérée comme immuable, en ce qu’elle est essentielle à l’identité personnelle d’un membre d’une bande et modifiable uniquement à un prix considérable (Dickson, au para 193).

[51] La Cour Suprême rejette aussi l’affirmation de la VGFN selon laquelle la distinction créée par l’obligation de résidence n’est pas intrinsèquement suspecte, car elle [traduction] « ne fait pas subir à un groupe un désavantage historique, une différence de traitement, ni ne comporte le genre de stigmate dont il est question dans Corbiere » :

[196] Bien que l’arrêt Corbiere ne soit pas directement applicable dans le cas où la disposition contestée a été adoptée par une première nation autonome, l’analyse par notre Cour des désavantages auxquels sont exposés les Autochtones non résidents n’était pas circonscrite au contexte des dispositions de la Loi sur les Indiens, et elle fournit des indications utiles. L’analyse de la juge L’Heureux‑Dubé sur l’autochtonité‑lieu de résidence, à laquelle ont souscrit les juges majoritaires, souligne les difficultés auxquelles sont exposés les Autochtones qui vivent loin de leurs communautés. La juge a insisté sur le fait que, pour les membres hors réserve des bandes indiennes, la décision de vivre dans la réserve ou à l’extérieur de celle‑ci « est importante pour leur identité et leur personnalité », du point de vue du rattachement à une communauté et à un territoire qui ont une « importance sociale et culturelle significative pour plusieurs ou la plupart des membres de la bande » (Corbiere, par. 62). La juge L’Heureux‑Dubé a en outre fait observer que « les membres hors réserve des bandes indiennes ont généralement souffert de désavantages, stéréotypes et préjugés, et font partie d’une “minorité discrète et isolée”, définie par la race et le lieu de résidence » (par. 62).

[52] La Cour Suprême conclut que le remaniement du motif potentiellement analogue invoqué par Mme Dickson pour parler non plus d’« autochtonité‑lieu de résidence », mais plutôt de « statut de non‑résident dans une communauté autochtone autonome » en fait un motif analogue conforme à l’arrêt Corbiere. Elle indique aussi que « [l]e désavantage historique et continu que subissent les Autochtones vivant à l’extérieur de leurs terres traditionnelles signifie que les distinctions fondées sur “le statut de non-résident dans une communauté autochtone autonome” constituent des “indicateurs permanents de l’existence d’un processus décisionnel suspect ou de discrimination potentielle” (Corbiere, par. 8) » (Dickson, au para 198).

[53] Ainsi, même si les arrêts Corbiere et Dickson mettent en cause des motifs analogues différents, ils ont en commun la reconnaissance des désavantages subis par les membres d’une Première Nation non résidents.

[54] À mon avis, comme dans l’affaire Corbiere, l’obligation de résidence en cause en l’espèce crée une distinction entre les membres qui résident sur la réserve et ceux qui résident à l’extérieur. Selon l’obligation de résidence découlant de l’article 77 de la Loi sur les Indiens en jeu dans l’affaire Corbiere, les membres de la bande doivent résider ordinairement sur la réserve pour pouvoir voter aux élections de la bande. En l’espèce, les membres de la bande doivent résider ordinairement sur la réserve depuis au moins un an pour être éligibles à un poste. Or, cette différence factuelle ne change en rien l’analyse requise. C’est la distinction entre les membres résidents et les membres non-résidents qui est importante.

[55] Je conviens avec le demandeur que l’obligation de résidence crée une distinction entre les membres résidents et non-résidents de la PNSR fondée sur le motif analogue de la « qualité de membre hors réserve d’une bande indienne ».

b) L’obligation de résidence impose-t-elle un fardeau ou nie-t-elle un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer un désavantage?

[56] La deuxième étape de l’analyse visant à établir s’il y a, à première vue, violation de l’article 15, consiste à déterminer si l’obligation de résidence, qui crée une distinction entre les membres de la PNSR fondée sur le motif analogue de la « qualité de membre hors réserve d’une bande indienne », renforce, perpétue ou accentue le désavantage de M. Houle et des autres membres de la PNSR résidant à l’extérieur de la réserve (Dickson, au para 199).

[57] Les témoignages au procès traient peu du désavantage et portent surtout sur les conditions de vie actuelles. Je les résume ci-dessous.

[58] Mme McRee témoigne qu’elle a vécu la majeure partie de sa vie à l’extérieur de la réserve. En 2021, après son départ à la retraite, elle retourne vivre à Kinuso, dans la maison de sa fille. Le village est enclavé dans la réserve de la PNSR, et Mme McRee indique que la maison de sa fille n’est qu’à 100 mètres (333 pieds) de la réserve. Malgré cela, elle est considérée comme non-résidente et, en raison de l’obligation de résidence, elle ne peut briguer de poste au sein de la PNSR.

[59] Mme McRee indique qu’à titre d’Aînée, elle reçoit un certain soutien de la PNSR, qui l’aide notamment à payer sa facture de services publics. Elle est également invitée aux activités de la PNSR. Même si elle n’habite qu’à 100 mètres de la réserve, elle décrit sa situation en ces termes : [traduction] : « Je suis proche du groupe, mais je n’en fais pas partie. Il y a une distinction. »

[60] Interrogée au sujet du logement sur la réserve, Mme McRee indique qu’elle a présenté plusieurs demandes de logement, mais qu’elles auraient toutes été perdues. Mme McRee est convaincue qu’elle et sa famille n’ont pas été traitées équitablement par le comité du logement de la PNSR. Je considère toutefois que cette question est distincte des questions relatives à la Charte dont je suis saisie. Mme McRee affirme également que, si on lui offrait une maison sur la réserve, elle choisirait d’y vivre.

[61] Au sujet des services offerts sur la réserve, Mme McRee témoigne que la PNSR aide ses membres non-résidents à payer les frais d’obsèques, mais qu’à sa connaissance, les membres résidents ont accès à davantage de services. Comme exemple de service offert exclusivement aux membres résidents, elle mentionne une aide financière aux déplacements pour raisons médicales. La PNSR verse également des prestations sociales aux membres résidents, mais pas aux membres non-résidents, qu’ils habitent à Kinuso ou ailleurs au Canada. Mme McRee reconnaît qu’elle reçoit la distribution per capita de la PNSR et qu’elle a conclu avec la PNSR des contrats de travail visant la prestation de services sur la réserve.

[62] Mme Jean indique qu’elle a vécu à l’extérieur de la réserve toute sa vie. Elle a passé son enfance à Kinuso, y est retournée après ses études universitaires et y est demeurée jusqu’à ses 19 ans, soit de 1998 à 2001. En 2006, elle est allée vivre auprès de la Première Nation des Chipewyans des Prairies. Elle raconte que, quand elle allait à l’école à Kinuso, elle ne se sentait pas acceptée par les habitants du village, car elle était considérée comme une Autochtone de Swan River, mais qu’elle ne se sentait pas non plus acceptée par la PNSR, car elle ne résidait pas sur la réserve. Quand on lui demande pourquoi elle souhaite être candidate à l’élection, elle répond qu’elle considère que les membres non-résidents de la PNSR ne sont pas représentés alors qu’ils forment la majorité de la population et que l’obligation de résidence est discriminatoire envers elle et les autres membres non-résidents.

[63] Au sujet du logement, Mme Jean explique que les personnes qui souhaitent obtenir l’un des logements disponibles remplissent un formulaire de demande et le soumettent au comité du logement, qui fait un choix parmi les demandes reçues. Elle présente une première demande, qui semble avait été perdue. Elle présente une autre demande en 1999 alors qu’elle enseigne à l’école de la PNSR, qui semble elle aussi avoir été égarée. Comme elle a l’impression d’être délibérément écartée, elle ne présente pas de nouvelle demande. Toutefois elle témoigne aussi qu’on lui a [traduction] « conseillé pour son bien » de ne pas chercher à vivre sur la réserve même s’il y avait des logements disponibles pour les enseignants et de s’engager verbalement à accepter le poste d’enseignante, mais à ne pas demander de logement. En contre-interrogatoire, elle explique que le comité du logement attribue les logements disponibles en fonction de certains critères, mais qu’elle ne les connaît pas. Lorsqu’on lui demande pourquoi elle a acheté une maison à Kinuso au lieu d’en faire construire une sur la réserve, elle répond qu’en 2019 – après le dépôt de sa demande de contrôle judiciaire –, elle a demandé l’autorisation au chef et au conseil, qui lui ont répondu qu’il n’y avait pas de terrain disponible.

[64] Mme Jean témoigne qu’elle a tenté d’obtenir les services offerts par la réserve en tant que membre non-résidente de la PNSR. Elle n’a obtenu des fonds que pour la dernière année de son baccalauréat et le dernier trimestre de sa maîtrise. Elle ajoute qu’elle n’a pas pu obtenir de services de la PNSR pour son enfant autiste, car elle ne réside pas sur la réserve. En outre, elle ne reçoit pas de services de la Première Nation des Chipewyans même si elle réside sur sa réserve, car, comme elle n’est pas membre de la nation, elle est considérée comme une non-résidente. Selon son témoignage, elle aurait volontiers recours aux autres services offerts par la PNSR, mais, à titre de membre non-résidente, elle n’y a pas accès.

[65] M. Twin explique qu’en raison d’un manque de fonds, la liste d’attente pour un logement s’est allongée et compte entre 40 et 50 personnes.

[66] M. Giroux est conseiller depuis 11 ans. Il explique que Kinuso est enclavé dans la réserve de la PNSR et précise que, quand il gare sa voiture dans l’entrée, il est sur la réserve, et quand il en sort, il est dans le village. Il indique qu’à l’heure actuelle, environ 370 membres de la PNSR résident sur la réserve, pour une population totale de 1 267 membres (ce qui signifie que 897 membres résident à l’extérieur de la réserve). Ces nombres varient en fonction des déménagements. Il explique que la PNSR est partie à une entente de financement avec le gouvernement fédéral qui restreint le nombre de membres admissibles aux services. Par exemple, le gouvernement fédéral fournit des fonds à la PNSR pour qu’elle verse des prestations d’aide sociale. Les membres résidents peuvent demander ces prestations, tandis que les non-résidents doivent demander les prestations d’État offertes là où ils résident. Qui plus est, les fonds sont accordés selon les besoins de la réserve, notamment en matière de logement, et leur utilisation fait l’objet de restrictions. D’autres fonds, notamment ceux qui relèvent des revendications relatives aux avantages agricoles, peuvent être dépensés par la PNSR comme elle l’entend, y compris pour aider les membres résidents et non-résidents.

[67] M. Giroux témoigne que, pour obtenir un terrain sur la réserve, les membres doivent soumettre une demande et remplir un formulaire confirmant qu’ils résident sur la réserve. S’ils n’ont nulle part où habiter sur la réserve, ils peuvent habiter dans une caravane en attendant qu’une maison leur soit fournie. S’ils souhaitent déplacer une maison sur les terres de réserve de la PNSR, le conseil leur fournit de l’aide pour le raccordement aux services publics. M. Giroux affirme qu’à sa connaissance, M. Houle n’a jamais rempli de formulaire de résidence et n’a jamais demandé de terrain sur la réserve de la PNSR. Il s’est également renseigné auprès du comité du logement, qui lui a confirmé que M. Houle n’a jamais demandé de maison sur la réserve.

[68] Je souligne que, dans l’arrêt Corbiere, la Cour suprême se livre à un examen approfondi du désavantage historique vécu par les membres des Premières Nations vivant hors réserve et note que l’exclusion des processus démocratiques des bandes a pour effet de perpétuer les lois et politiques discriminatoires « conçues pour encourager les [A]utochtones à renoncer à leur patrimoine et à leur identité, ainsi que pour les contraindre à le faire s’ils désiraient participer pleinement à la société canadienne » (aux para 88, 91-96).

[69] Notre Cour aussi s’est penchée sur la question de l’obligation de résidence pour les candidats aux postes de chef ou de conseiller, notamment dans l’affaire Bigstone. La juge Roussel y examine l’obligation pour le chef et les conseillers de s’établir sur la réserve dans les trois mois suivant leur élection. Elle juge que la distinction créée par l’obligation de résidence impose un fardeau aux membres non-résidents et les prive d’un avantage d’une façon qui perpétue la notion erronée que les membres de la bande qui vivent hors réserve n’ont pas d’intérêt et ont une capacité réduite à participer à la gouvernance de la bande. Elle ajoute que la distinction renforce le stéréotype historique selon lequel les membres non-résidents sont moins dignes de reconnaissance et n’ont pas droit aux mêmes avantages, non pas parce qu’ils ne le méritent pas, mais parce qu’ils vivent hors de la réserve (Bigstone, au para 52).

[70] La juge Roussel analyse la jurisprudence et conclut que l’obligation de résidence énoncée dans le code électoral impose aux membres non-résidents qui décident de se porter candidat au conseil un fardeau dont l’effet est manifestement discriminatoire, ce qui perpétue le désavantage préexistant du groupe qui devait en tirer des avantages. En effet, pour pouvoir servir sa communauté, le membre de la bande doit, une fois élu, déménager sur la réserve, ce qui entraîne des coûts élevés sur le plan personnel et financier (Bigstone, au para 58). La juge Roussel ajoute ce qui suit :

[65] Le fait est que bien que les membres hors réserve puissent maintenant voter et être élus comme conseillers de la NCB, l’exigence les obligeant à établir leur résidence dans la réserve au cours de leur mandat leur impose un fardeau dont les membres résidant dans la réserve n’ont pas à s’acquitter. Cette pratique perpétue également le stéréotype selon lequel seuls les membres résidant dans la réserve sont habilités à se prononcer sur les affaires de la bande.

[66] Par conséquent, je conclus que l’exigence en matière de résidence énoncée dans le code électoral de la NCB est discriminatoire envers les membres vivant hors réserve en leur interdisant de participer à l’administration représentative de leur bande par l’intermédiaire du conseil de bande, en raison de leur statut de membre hors réserve.

(Voir aussi Cunningham v Sucker Creek First Nation 150A, 2021 FC 1221 au para 34 [Sucker Creek]).

[71] Dans l’arrêt Dickson, la Cour suprême rejette l’argument de la VGFN selon lequel il n’y a pas de preuve d’un désavantage historique vécu par les citoyens de la VGFN qui vivent à l’extérieur du territoire traditionnel, car la preuve présentée dans l’affaire Corbiere demeure vraie pour les citoyens non résidents des communautés autochtones. La Cour suprême invoque également la Commission royale sur les peuples autochtones et le rapport publié en 2019 par l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées comme preuves supplémentaires du désavantage historique. Elle juge que l’appelante dans cette affaire « se voit refuser ou du moins fortement dissuader d’exercer un droit démocratique fondamental — le droit de briguer un poste au Conseil — en raison de son statut de non‑résidente ». Cette distinction fondée sur le motif analogue du statut de non‑résident dans une communauté autochtone autonome renforce, perpétue et accentue le désavantage qu’elle subit en tant que non‑résidente. Ne pas lui permettre de participer au processus électoral et à la vie politique de sa communauté l’éloigne davantage de cette communauté, ce qui rend difficile la préservation de son identité de citoyenne de la VGFN (au para 203).

[72] À mon avis, le raisonnement exposé dans les arrêts Corbiere et Dickson et dans les décisions Bigstone et Sucker Creek s’applique en l’espèce. L’avantage refusé au demandeur est la possibilité d’être mis en candidature pour briguer un poste. Le fardeau est l’obligation pour les membres non-résidents de déménager sur la réserve de la PNSR un an avant l’élection à laquelle ils souhaitent se présenter pour pouvoir être mis en candidature et briguer le poste. Les membres qui résident sur la réserve n’ont pas à porter ce fardeau personnel et financier. Même le candidat disposé à déménager sur la réserve un an avant sa mise en candidature supporte un fardeau supplémentaire : il doit déménager à grands frais simplement pour avoir la possibilité de se présenter à l’élection, sans la moindre certitude d’être élu. Encore une fois, les membres qui résident sur la réserve n’ont pas à porter ce fardeau. La disponibilité d’un logement sur la réserve est en outre loin d’être assurée. Enfin, l’obligation de résidence a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage reconnu de longue date que subissent les membres des Premières Nations qui ne résident pas sur une réserve.

[73] Je conclus que le demandeur satisfait aux deux volets nécessaire pour établir qu’il y a, à première vue, une violation du paragraphe 15(1) .

ii. L’obligation de résidence s’inscrit-elle au nombre des droits « ancestraux, issus de traités ou autres » et tombe-t-elle ainsi sous le coup de l’article 25 de la Charte?

Thèse du demandeur

[74] Selon le demandeur, l’obligation de résidence ne s’inscrit pas au nombre des « autres » droits visés à l’article 25. La présente affaire se distingue sur le plan des faits de l’arrêt Dickson, dans lequel la Cour suprême conclut à l’existence d’un « autre » « droit ». Si je comprends bien la thèse du demandeur, contrairement à la VGFN, la PNSR n’a pas conclu d’entente sur l’autonomie gouvernementale avec le gouvernement fédéral ou provincial et n’a pas adopté de constitution sous le régime d’une telle entente. La constitution entérinée par la VGFN prévoit la composition, la structure et les pouvoirs des institutions gouvernementales de la Première Nation, ainsi que les règles relatives à l’appartenance et aux élections. Or, la PNSR ne dispose pas d’une telle constitution habilitant l’adoption de la procédure électorale. Elle a simplement le Règlement, qui prévoit l’obligation de résidence.

[75] En outre, le demandeur soutient que la dernière modification à l’obligation de résidence – une amélioration ayant pour objet de permettre à un citoyen de la VGFN ne résidant pas sur la réserve de détenir un poste rémunéré d’élu assorti d’un mandat de quatre ans avant d’être assujetti à l’obligation de résidence –, constitue un motif de distinction important. Par contre, la modification de 2007 au Règlement est plus stricte que la disposition équivalente du Règlement de 2005, car elle a fait passer le délai de résidence préalable à l’éligibilité d’un membre de trois mois à un an.

[76] Enfin, le demandeur affirme que l’obligation de résidence ne découle pas d’une coutume ou d’une tradition de la PNSR ayant cours depuis des temps immémoriaux. Avant le Traité no 8, les ancêtres de la PNSR avaient un mode de vie nomade, au gré des saisons et de la disponibilité des ressources. Par conséquent, il n’était pas possible pour eux de demeurer en place pendant une longue période et encore moins pendant une année complète. En outre, les signataires du Traité entendaient que ce mode de vie se perpétue, comme en témoignent les récits des Aînés et la réticence des membres à être confinés à une réserve. Leur désir de conserver la liberté de mouvement ressort des rapports des négociateurs rédigés pendant la période antérieure à la signature du Traité no 8 et du fait que la version finale de ce document comprend une disposition sur la fourniture d’une terre en particulier, qui est unique.

[77] Selon le demandeur, le choix fait par les bandes riveraines du Petit lac des Esclaves après la conclusion du Traité, à savoir continuer à former une seule communauté répartie autour du lac et dirigée par un chef, vient appuyer la thèse selon laquelle elles exprimaient ainsi leur droit de ne pas être confinées à une réserve. Ce n’est que dans les années 1930 que, par suite de la politique et de l’intervention du gouvernement fédéral, les dirigeants ont été contraints de représenter une population réduite et de résider dans une réserve. Non seulement ces actes ont enfreint les droits reconnus aux communautés visées par le Traité no 8, mais ils ont aussi porté atteinte à la spécificité autochtone que procure la disposition sur la fourniture d’une terre en particulier.

[78] Selon le demandeur, en confirmant l’obligation de résidence, on irait à l’encontre de l’esprit du Traité no 8, tout particulièrement de sa disposition sur la fourniture d’une terre en particulier, et on donnerait vie aux craintes exprimées par les dirigeants avant la conclusion du Traité quant au confinement dans des réserves. Le droit des membres de la PNSR d’adopter des modes de vie traditionnels comprend la liberté de mouvement et la résidence hors de la réserve, comme en témoignent la disposition sur la fourniture d’une terre et l’histoire d’éminents dirigeants. Ces droits tombent sous le coup des droits ancestraux et issus de traités protégés par l’article 25 de la Charte. Comme les pratiques traditionnelles de gouvernance de la PNSR comprennent des aspects relatifs aux déplacements – y compris celle de la gouvernance depuis un endroit situé hors de la réserve, une pratique traditionnelle – l’article 25 ne s’applique pas.

[79] Enfin, si la Cour conclut que l’obligation de résidence protège la spécificité autochtone, elle doit préciser que le présent contrôle judiciaire traite non pas de l’obligation de résidence applicable aux élus, mais de celle applicable aux candidats.

Thèse des défendeurs

[80] Les défendeurs soutiennent que la PNSR dispose du droit d’établir des critères pour l’élection à son corps dirigeant. Il s’agit d’un droit de la même nature que l’« autre » droit reconnu par la Cour suprême dans l’arrêt Dickson.

[81] Les défendeurs soutiennent que le droit d’établir des critères pour l’élection à son corps dirigeant relève du droit inhérent à l’autonomie gouvernementale. Ce droit est également reconnu dans la Loi sur les Indiens, qui reconnaît la faculté pour les Premières Nations de se gouverner suivant leurs règles de droit coutumier. Selon les défendeurs, les tribunaux estiment que les lois électorales coutumières comme le Règlement sont « analogues aux constitutions » (Whalen c Première Nation no 468 de Fort McMurray, 2019 CF 732 au para 48 [Whalen]). En outre, l’article 3 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui a été adoptée en droit canadien par le truchement de la Loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, LC 2021, c 14, reconnaît aux Premières Nations le droit à l’autodétermination et celui de « détermine[r] librement leur statut politique ». La Cour suprême dans l’arrêt Dickson détermine qu’il s’agit d’un droit visé par la protection que confère l’article 25 de la Charte.

Analyse

[82] Comme l’affirme le demandeur, l’affaire Dickson porte sur l’obligation, prévue dans la constitution de la VGFN, pour le chef et les membres du conseil de résider sur les terres désignées ou d’y déménager dans les quatorze jours suivant leur élection.

[83] À cet égard, la Cour suprême affirme qu’elle est appelée à interpréter l’article 25 au regard d’une obligation de résidence faisant partie de la loi constitutionnelle d’une Première Nation autonome. Elle souligne que, si l’affaire Corbiere intéressait la constitutionnalité d’une exigence relative au vote que l’on peut assimiler à l’obligation de résidence contestée dans l’affaire Dickson, dans la première affaire, l’exigence était prévue à la Loi sur les Indiens et non dans la constitution de la Première Nation. L’arrêt Corbiere, ainsi que d’autres arrêts de cette cour, fournissant à cette dernière des indications modestes pour lui permettre de trancher dans l’affaire Dickson, la prudence était de mise. Par conséquent, la cour s’est attachée à la tâche à accomplir, à savoir décider comment l’article 25 s’applique à l’obligation de résidence prévue dans la constitution d’une Première Nation autonome et que conteste un de ses membres en vertu du paragraphe 15(1) de la Charte (aux paras 104-106). Comme le soutient le demandeur, les circonstances de la présente espèce sont autres, car la PNSR ne dispose pas d’une constitution découlant d’une entente sur l’autonomie gouvernementale, constitution qui prévoit une obligation de résidence. Dans la présente affaire, l’obligation est prévue dans le Règlement.

[84] Toutefois, dans son analyse des droits tombant sous le coup de l’article 25, la Cour suprême affirme que les droits protégés par cette disposition ne se limitent pas à ceux qui ont une nature constitutionnelle et peuvent comprendre des droits prévus par des lois ordinaires (Dickson, au para 149, renvoyant à Corbiere, au para 52). En outre, elle précise ce qui suit :

[150] Bien que nous ne soyons pas d’avis de donner effet à la restriction formelle quant à la source des « autres » droits qu’a proposée Mme Dickson, le texte et l’objet de l’art. 25 suggèrent toutefois l’existence d’une restriction substantielle. Puisque l’art. 25 visait à protéger les droits associés à la spécificité autochtone — considérés comme les intérêts liés à la différence culturelle, à l’occupation antérieure, à la souveraineté antérieure ou encore à la participation au processus de négociation de traités — le fait qu’un droit mérite ou non la protection de l’art. 25 au motif qu’il fait partie des « autres » droits dépendra de la réponse à la question de savoir s’il protège ou reconnaît ces intérêts. Bref, la partie qui sollicite la protection de l’art. 25 à l’égard d’un droit qui ferait partie des « autres » droits doit établir à la fois l’existence du droit en question et le fait que ce droit protège ou reconnaît la spécificité autochtone.

[85] La Cour suprême finit par conclure que l’adoption de l’obligation de résidence constitue l’exercice d’un « autre » droit visé à l’article 25. La VGFN avait le droit de restreindre la composition de ses corps dirigeants et la participation à ceux-ci en tant que membres. L’exercice de ce droit au moyen de l’obligation de résidence protège des intérêts associés à la spécificité autochtone. Selon elle, que l’obligation de résidence représente ou non aussi l’exercice d’un droit inhérent à l’autonomie gouvernementale, il constitue néanmoins un « autre » droit protégé par l’article 25 (Dickson, au para 204).

[86] Dans l’arrêt Dickson, la Cour suprême signale ce qui suit à propos de la « nature constitutionnelle » de l’obligation de résidence contestée :

[218] Enfin, à l’instar des deux juridictions inférieures, nous sommes d’avis que l’obligation de résidence possède une « nature constitutionnelle » sur le plan substantiel, plutôt que formel (motifs de première instance, par. 207; motifs de la C.A., par. 147). Il n’est pas nécessaire de décider si une « nature constitutionnelle » sera toujours une condition requise pour que s’applique la protection de l’art. 25 : en l’espèce, il est évident que l’obligation de résidence a une importante dimension constitutionnelle. Au-delà du simple fait que l’obligation de résidence fait partie de la Constitution de la VGFN, elle constitue un aspect du droit de la Première Nation qui préserve et consacre une dimension importante des traditions et pratiques de la VGFN en matière de leadership, et du lien de ses dirigeants avec le territoire. Nous soulignons spécialement la conclusion de la Cour d’appel selon laquelle l’obligation de résidence [traduction] « a clairement pour objet d’exprimer et de promouvoir les traditions et coutumes particulières de la VGFN en matière de gouvernance et de leadership — une question d’importance fondamentale pour une petite première nation habitant un endroit vaste et éloigné » (par. 147). Suivant toute définition raisonnable qui pourrait être donnée d’un droit, ou de l’exercice d’un droit, qui présente une « nature constitutionnelle », l’obligation de résidence satisfait à cette définition.

a) Existe-t-il un « autre » droit?

[87] Dans la présente affaire, M. Twin, un Aîné de la PNSR âgé de 77 ans, affirme dans son témoignage avoir résidé sur la réserve de la PNSR sa vie entière, sauf les années où il a été envoyé à un pensionnat indien et, comme adulte, les périodes où il a travaillé à l’extérieur de la réserve pour soutenir sa famille. Il a été élu chef à deux reprises (il a exercé le mandat de 1983 à 1985 et de 1996 à 1999) et a détenu le poste de conseiller pendant six ans; son dernier mandat s’étant terminé autour de 1988.

[88] Selon M. Twin, les élections au sein de la PNSR étaient régies par la Loi sur les Indiens jusqu’à ce que le gouvernement fédéral permette l’adoption de codes électoraux coutumiers. Pendant une courte période d’environ dix ans, la PNSR a adopté un mode de gouvernance coutumière fondé sur les groupes familiaux. Dans le cadre de ce dernier, les six groupes familiaux déterminés par la PNSR ont chacun choisi une personne pour les représenter au conseil, par scrutin ou par un moyen traditionnel. M. Twin a été choisi selon la coutume à l’issue de discussions au sein de son groupe familial, par consensus plutôt qu’au moyen d’un vote. L’ensemble de la PNSR votait ensuite pour choisir le chef parmi les six représentants.

[89] Selon M. Twin, après le mode fondé sur les groupes familiaux, la PNSR a adopté son code électoral coutumier actuel. Le changement est survenu à l’issue d’un processus comprenant un examen des codes coutumiers d’autres Premières Nations, la tenue de forums communautaires et la tenue d’un référendum ayant mené à la ratification du Règlement de 2005. Selon le témoignage de M. Twin, le Règlement a également été adopté par voie de référendum.

[90] Le paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens définit ainsi le terme « conseil de bande » :

a) Dans le cas d’une bande à laquelle s’applique l’article 74, le conseil constitué conformément à cet article;

b) s’agissant d’une bande dont le nom figure à l’annexe de la Loi sur les élections au sein de premières nations, le conseil élu ou en place conformément à cette loi;

c) s’agissant d’une bande dont le nom a été radié de l’annexe de la Loi sur les élections au sein de premières nations conformément à l’article 42 de cette loi, le conseil élu ou en place conformément au code électoral communautaire visé à cet article;

d) s’agissant de toute autre bande, le conseil choisi selon la coutume de celle-ci ou, en l’absence d’un conseil, le chef de la bande choisi selon la coutume de celle-ci. (council of the band)

 

[91] Il convient de souligner que la preuve dont je dispose sur l’application de cette définition à la PNSR est plutôt lacunaire. Les parties ne renvoient la Cour à aucun arrêté du ministre, pris en vertu de l’article 74 de la Loi sur les Indiens, obligeant la SRFN à choisir son conseil de bande par voie de scrutin tenu conformément à la Loi sur les Indiens ni à un arrêté, pris à la demande de la PNSR, soustrayant cette dernière à l’application de l’article 74 (voir Taypotat c Taypotat, 2013 CAF 192, aux para 5 et 6; Chipesia c Premières Nations de la rivière Blueberry, 2019 CF 41, aux para 23 et 24; Bellegarde, au para 82). Elles n’affirment pas et n’établissent pas que la PNSR figure dans la liste des Premières Nations participantes à l’annexe de la Loi sur les élections au sein de premières nations, LC 2014, c 5. Selon le témoignage de M. Twin, la gouvernance au sein de la PNSR a été régie par des codes électoraux coutumiers dès le moment où cette option est devenue possible. Avant, les élections étaient tenues conformément à la procédure prévue dans la Loi sur les Indiens.

[92] Signalons que la Cour, dans la décision Sound c Première nation de Swan River (C.F.), [2004] 1 RCF 336, constate que la SRFN est régie par la coutume et que ses procédures électorales, à l’époque, sont régies par le Règlement (Customary Election Regulations of the Swan River First Nation). Le Règlement a d’abord été adopté en 1993, afin d’énoncer la coutume électorale de la bande. Il traite notamment du droit de vote, de l’inscription à la liste électorale, de la tenue des élections et des appels des résultats (au para 6). À l’époque, les élections au conseil de bande se tenaient sur le fondement des six principaux groupes familiaux que regroupe la bande (au para 9). Le droit de vote dépendait de la reconnaissance par le conseil du fait que la personne voulant voter est membre d’un groupe familial, conformément à l’article 7 du Règlement en vigueur à l’époque. Les renseignements qui précèdent corroborent en général le témoignage de M. Twin quant à l’existence antérieure de codes coutumiers ou de règlements au sein de la PNSR.

[93] Il semble que la PNSR a un règlement sur les élections coutumières, sous une forme ou une autre, depuis au moins 1993. Cela dit, la Cour n’est saisie en l’espèce que du Règlement. Le dossier de preuve ne permet pas d’établir si, avant 1993, le conseil de la PNSR était choisi suivant des coutumes non écrites (voir Ratt c Matchewan, 2010 CF 160, aux para 8-10 [Ratt]) ou à l’issue d’élections tenues conformément au paragraphe 74(1) de la Loi sur les Indiens.

[94] Quoi qu’il en soit, le préambule du Règlement indique les éléments suivants : le droit intrinsèque de la PNSR à l’autonomie gouvernementale est reconnu et confirmé dans le Traité no 8; les coutumes, traditions et institutions du gouvernement autonome de la PNSR ont été établies avec le consentement et la participation des membres de la PNSR; la PNSR souhaite que les élections en vue de pourvoir des postes de dirigeants soient démocratiques, justes et libres; la PNSR souhaite que ses coutumes et traditions relatives à l’élection d’un chef et de conseillers soient consignées dans un règlement électoral coutumier assorti d’une procédure; et elle souhaite qu’une majorité d’électeurs approuve par voie de pétition ou de référendum l’adoption du Règlement – qui entre en vigueur, aux termes du paragraphe 2(1), sur vote majoritaire (50 % +1) des électeurs.

[95] Suivant la jurisprudence de la Cour, pour établir la coutume d’une bande relativement à l’élection d’un chef et d’un conseil, il est nécessaire de démontrer que la coutume invoquée fait l’objet d’un « large consensus » au sein de la Première Nation, notamment par ratification d’un code coutumier par une majorité de membres. Nous y revenons ci-après.

[96] Selon les défendeurs, le droit d’établir des critères applicables à l’élection d’un chef et d’un conseil – l’organe législatif – est un droit inhérent à l’autonomie gouvernementale. Ce droit découle également de la Loi sur les Indiens, qui reconnaît le droit des Premières Nations à la gouvernance selon leurs propres lois coutumières. À mon avis, point n’est besoin dans les circonstances de déterminer si la source de l’« autre » droit revendiqué par les défendeurs découle du droit inhérent à l’autonomie gouvernementale. En l’espèce, il suffit de conclure que l’« autre » droit, à savoir le droit d’adopter et d’imposer l’obligation de résidence – qui restreint l’éligibilité des membres de la PNSR et, partant, le droit de restreindre la composition de ses corps dirigeants –, découle du Règlement, qui codifie les coutumes électorales de la PNSR. Il s’agit d’un droit légal; l’exercice du droit de gouverner par l’adoption du Règlement étant prévue dans la Loi sur les Indiens.

[97] À cet égard, je signale que, dans l’arrêt Dickson, la première question dont traite la Cour suprême – et qui ne joue pas en l’espèce – est celle de l’application du paragraphe 32(1) de la Charte à l’obligation de résidence de la VGFN. Selon la Cour suprême, la Charte s’applique sous le régime de la constitution de la VGFN, car cette dernière constitue, de par sa nature même, un gouvernement. La Cour suprême, dans son analyse des éléments permettant au tribunal de décider si une entité exerce une fonction gouvernementale, énonce ce qui suit :

[82] Quatrièmement, bien que (comme l’a conclu le juge de première instance) les Vuntut Gwitchin se gouvernent eux-mêmes depuis des temps immémoriaux, et même si la VGFN a le pouvoir de légiférer en vertu de son droit inhérent à l’autonomie gouvernementale, elle se voit également reconnaître le statut d’entité juridique en vertu de la loi fédérale de mise en œuvre. Dans cette mesure, elle tient au moins une partie de son pouvoir de légiférer d’un texte de loi fédéral. En d’autres termes, le pouvoir de légiférer de la VGFN émane au moins en partie du Parlement, en ce que la VGFN exerce des pouvoirs que le Parlement aurait autrement exercés en vertu de la compétence législative qu’il détient en vertu du par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867. Bien entendu, cela ne signifie pas que l’autonomie gouvernementale autochtone est forcément une émanation du pouvoir fédéral. Le Parlement peut, comme dans la présente affaire, être une source du pouvoir d’autonomie gouvernementale, et c’est ce fait qui déclenche l’application de la Charte en l’espèce.

[Je souligne.]

[98] La Cour suprême souligne que sa démarche a une portée plus étroite que celle adoptée par les juridictions d’instance inférieure et conclut que la Charte s’applique à l’obligation de résidence adoptée par la VGFN seulement dans la mesure où cette obligation découle de l’exercice du pouvoir de légiférer en vertu du par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867. Elle affirme ce qui suit : « [n]ous ne faisons pas de commentaires sur la question de savoir si l’exercice d’un droit inhérent à l’autonomie gouvernementale non rattaché à une loi fédérale serait assujetti à la Charte, car nous estimons qu’il n’est pas nécessaire de trancher cette question en l’espèce, compte tenu des arrangements en matière d’autonomie gouvernementale en cause. Comme l’a souvent rappelé notre Cour, “[l]a règle de conduite qui dicte la retenue dans les affaires constitutionnelle[s] est sensée”, car elle “repose sur l’idée que toute déclaration inutile sur un point de droit constitutionnel risque de causer à des affaires à venir un préjudice dont les conséquences n’ont pas été prévues » (au para 91; voir également para 101).

[99] En l’espèce, l’application de la Charte ne se pose pas. En outre, la PNSR n’a pas conclu d’accord d’autonomie gouvernementale ni adopté sa propre constitution. Ce qu’il faut comprendre, c’est que le Règlement n’est point « non rattaché » à une loi fédérale.

[100] À cet égard, et s’agissant de la juridiction de notre Cour, le juge Mainville dans la décision Ratt affirme qu’à défaut d’un arrêté pris en vertu du paragraphe 74(1) de la Loi sur les Indiens, le processus de sélection coutumier des dirigeants est consigné dans un code coutumier et approuvé, ce qui constitue une condition préalable à la reconnaissance d’un conseil de bande prévue à la Loi sur les Indiens. L’exercice par le conseil de bande des pouvoirs prévus à la Loi sur les Indiens découle du code coutumier. En conséquence, le conseil choisi conformément au code coutumier et les organes qui, comme le Conseil des Aînés, sont censés contrôler la régularité de la sélection du chef et des conseillers selon la coutume, répondent à la définition d’« office fédéral », au sens de la Loi sur les Cours fédérales (para 103).

[101] Dans la décision Bellegarde, s’agissant également de la juridiction de notre Cour, le juge Régimbald conclut qu’en reconnaissant « la coutume » comme procédure de sélection de dirigeants admissible, la Loi sur les Indiens « incorpore par renvoi » toutes les coutumes de sélection démocratique de leurs dirigeants suivies par les Premières Nations et reconnaît en ces dirigeants le « conseil de bande » pour l’application du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens et l’exercice des pouvoirs prévus à cette dernière (au para 50). En outre, en incorporant par renvoi la procédure de sélection coutumière de dirigeants, la Cour assimile ces coutumes à des lois fédérales pour l’application de la Loi sur les Indiens, comme s’il s’agit des processus électoraux prévus à l’article 74 de la Loi sur les Indiens et à la Loi sur les élections au sein de premières nations (au para 51). Par conséquent, les pouvoirs exercés par les Premières Nations pour choisir leurs dirigeants, même par des moyens coutumiers, sont incorporés par renvoi dans la Loi sur les Indiens et émanent donc en partie d’une « loi fédérale » (et sont assimilés à ceux exercés par un « office fédéral » au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales), (au para 52; voir également les para 65 et 90; et l’arrêt Buffalocalf c Nekaneet First Nation, 2024 CAF 127 aux para 19-20 [Buffalocalf], suivant lequel les pouvoirs exercés par les Premières Nations pour choisir leurs dirigeants, s’ils émanent de la coutume, sont incorporés par renvoi dans la Loi sur les Indiens et émanent donc d’une loi fédérale).

[102] La juridiction de la Cour n’est pas en cause dans la présente affaire. Toutefois, les décisions Ratt, Bellegarde et Buffalocalf illustrent le lien établi entre les codes électoraux coutumiers et la Loi sur les Indiens.

[103] À cet égard, signalons également que les décisions de notre Cour antérieures à l’arrêt Dickson renvoient au motif analogue que constitue la « qualité de membre vivant hors réserve » dans les cas où les Premières Nations ont choisi leur conseil suivant la coutume. Dans ces cas, la Cour conclut que « le conseil de bande élu sous le régime d’un règlement de bande exerce néanmoins ses pouvoirs en vertu de la Loi sur les Indiens » (Thompson, au para 8; voir également Woodward c Première nation no 468 de Fort McMurray, 2010 CF 337 aux para 28 à 29; Bigstone, au para 48, renvoyant à Cockerill, aux para 28 à 29; Clifton, aux para 44 à 45).

[104] En l’espèce, comme il est énoncé plus haut, suivant l’alinéa 2(1)d) de la Loi sur les Indiens, le « conseil de la bande » s’entend notamment du « conseil choisi selon la coutume de celle-ci ». La PNSR a choisi de prendre le Règlement, qui prescrit les modalités relatives à l’élection du chef et du conseil, dont l’éligibilité par l’application de l’obligation de résidence. La « source » du droit ou du pouvoir de prendre le Règlement et de gouverner sous le régime du Règlement émane de l’alinéa 2(1)d) de la Loi sur les Indiens. Subsidiairement, comme l’affirment les défendeurs, l’alinéa 2(1)d) de la Loi sur les Indiens reconnaît le droit des Premières Nations de se gouverner en fonction de leurs règles de droit coutumier. Suivant l’arrêt Dickson, le texte et l’objet de l’article 25 de la Charte démontrent que les protections prévues par cette disposition ne se limitent pas aux droits qui possèdent un statut constitutionnel (à savoir les droits qui ne sauraient être abrogés ou modifiés par voie législative ordinaire) et que « les droits protégés à l’art. 25 ne se limitent pas à ceux qui sont inscrits dans la Constitution, mais peuvent plutôt comprendre des droits prévus par des lois ordinaires » (Dickson, au para 149). Compte tenu de ce qui précède, je suis d’avis qu’en l’espèce, le pouvoir et le droit d’adopter et d’imposer l’obligation de résidence, qui limite l’éligibilité des membres de la PNSR, émanent du Règlement, et sont ainsi assimilés à l’exercice d’un droit légal et d’un « autre » droit pour l’application de l’article 25.

[105] En outre, comme il est indiqué plus haut, la Cour suprême dans l’affaire Dickson reconnaît que l’obligation de résidence est « de nature constitutionnelle » sur le plan substantiel plutôt que sur le plan formel. Dans cette affaire, l’obligation de résidence comportait une importante dimension constitutionnelle. Au-delà du simple fait que l’obligation de résidence fait partie de la constitution de la VGFN, elle constitue un aspect du droit de la Première Nation qui préserve et consacre une dimension importante des traditions et pratiques de la VGFN en matière de leadership, et du lien de ses dirigeants avec le territoire. La Cour suprême souligne spécialement la conclusion de la Cour d’appel du Yukon selon laquelle l’obligation de résidence [traduction] « a clairement pour objet d’exprimer et de promouvoir les traditions et coutumes particulières de la VGFN en matière de gouvernance et de leadership — une question d’importance fondamentale pour une petite première nation habitant un endroit vaste et éloigné ». Elle conclut que, « [s]uivant toute définition raisonnable qui pourrait être donnée d’un droit, ou de l’exercice d’un droit, qui présente une “nature constitutionnelle”, l’obligation de résidence satisfait à cette définition » (Dickson, au para 218).

[106] Le même raisonnement s’applique en l’espèce.

[107] J’examine ci-après les observations du demandeur sur le Traité no 8 et les coutumes de la PNSR relatives à l’existence d’une obligation de résidence. Je m’attache ensuite à déterminer si ce droit protège ou reconnaît la spécificité autochtone.

Traité no 8

[108] L’argument du demandeur, à mon sens, est le suivant : la disposition sur la fourniture d’une terre en particulier du Traité no 8 ou le droit à un mode de vie ancestral confirme le droit aux déplacements et le droit à la résidence des membres de la PNSR à l’extérieur de la réserve, et comme ces droits sont issus d’un traité, ils sont protégés par l’article 25 de la Charte. En outre, il affirme que l’obligation de résidence, s’il s’agit d’un « autre » droit, enfreint ces droits, car elle entrave la liberté de mouvement et le droit de résider hors réserve. Essentiellement, le demandeur y oppose des droits issus de traités, qui, selon lui, devraient l’emporter sur tout « autre » droit de la PNSR d’adopter et d’imposer l’obligation de résidence. À son avis, l’obligation de résidence émane de l’intervention du gouvernement fédéral et vient corrompre les pratiques traditionnelles de gouvernance.

[109] Les défendeurs interprètent les arguments du demandeur à la lumière de l’expression [traduction] « réside ordinairement ». Le terme [traduction] « résident de la réserve » est défini à l’article 3 du Règlement ainsi : « une personne qui réside ordinairement sur la réserve de Swan River ». Selon les défendeurs, le demandeur affirme que l’obligation de résidence contraint les candidats aux postes de chef et de conseillers à être présents en tout temps sur la réserve aux côtés des membres de la PNSR, à être confinés dans le territoire de la réserve et à être privés de la liberté de mouvement. Ce faisant, il déforme l’obligation de résidence et, sur un tel fondement erroné, il affirme que l’obligation de résidence ne cadre pas avec l’histoire de la PNSR, sa coutume, voire le Traité no 8.

[110] Selon les défendeurs, il ressort de la jurisprudence que l’expression « réside ordinairement » est bien comprise et est appliquée avec souplesse (renvoyant à Procureur général du Canada et al c Canard, 1975 CanLII 137 (CSC) à la p 199; Earl c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2004 CF 897 au para 24, entre autres). En outre, ils affirment qu’on entend simplement par l’obligation de résider sur la réserve de la PNSR que cette dernière constitue le lieu de résidence ordinaire des candidats. Par conséquent, les arguments du demandeur à l’encontre d’une conception de la résidence qui n’a jamais eu cours –suivant laquelle il est interdit de se déplacer et de vivre hors de la réserve et la liberté de mouvement est restreinte – n’apportent pas d’eau à son moulin.

[111] Signalons tout d’abord que, si le demandeur soutient effectivement que le droit de ne pas être confiné dans la réserve et la liberté de mouvement entrent en jeu en l’espèce et qu’il s’agit de droits issus du Traité no 8 qui sont protégés par l’article 25 de la Charte, la preuve dont je dispose sur le Traité no 8 est minime.

[112] Je ne dispose d’aucun témoignage d’expert sur le Traité no 8. Outre le libellé du Traité même, le dossier comporte le témoignage de Mme McRee. Elle affirme qu’à sa connaissance, le Traité devait durer pour toujours et avait pour objet de protéger les membres des Premières Nations signataires du Traité qui avaient cédé leurs terres. Interrogée sur sa connaissance du terme « fourniture d’une terre en particulier », Mme McRee répond qu’à sa connaissance, chacun des Indiens visés par un traité devait recevoir 160 acres de terres. Le demandeur renvoie Mme McRee au libellé du Traité no 8 et lui demande d’en lire l’extrait souligné :

Et Sa Majesté la Reine par les présentes convient et s’oblige de mettre à part des réserves pour les bandes qui en désireront, pourvu que ces réserves n’excèdent pas en tout un mille carré pour chaque famille de cinq personnes pour tel nombre de familles qui désireront habiter sur des réserves, ou dans la même proportion pour des familles plus ou moins nombreuses ou petites; et pour les familles ou les indiens particuliers qui préféreront vivre séparément des réserves des bandes, Sa Majesté s'engage de fournir une terre en particulier de 160 acres à chaque indien […]

[113] Interrogée au sujet de sa connaissance de cette disposition, Mme McRee répond qu’avant de la lire, elle croyait que chaque Indien visé par un traité devait se voir attribuer 160 acres dans la réserve. Or, après en avoir pris connaissance, elle comprend que, si quelqu’un souhaitait obtenir les 160 acres, il n’était pas contraint de vivre sur la réserve. On lui demande si elle croit que résider sur la réserve compte parmi les droits issus d’un traité, ce à quoi elle répond qu’à son avis, les réserves ont été créées par le gouvernement pour contrôler les Indiens. Toutefois, après avoir pris connaissance de la disposition, elle est d’avis que les Indiens visés par un traité doivent pouvoir vivre là où bon leur semble et se voir attribuer leurs 160 acres. Interrogée au sujet de termes ou de liens en rapport avec un [traduction] « mode de vie » dans le Traité no 8, elle répond par la négative. On l’interroge aussi au sujet de la gouvernance au sein de la PNSR; elle affirme ne rien connaître des pratiques de gouvernance antérieures au Traité.

[114] Dans son témoignage, Mme Jean affirme que le Traité no 8 apporte une distinction territoriale. Interrogée au sujet de promesses qui auraient été faites en vertu du Traité no 8, elle répond [traduction] « éducation » et « médical » et précise que le Traité énonce les services, programmes et fonds à fournir au système des réserves. Quant à la disposition sur la fourniture d’une terre en particulier, Mme Jean affirme qu’à sa connaissance, les Indiens visés par un traité ne sont pas contraints de vivre dans une réserve pour avoir accès à ces terres.

[115] À mon avis, vu le dossier lacunaire dont je dispose sur le Traité no 8, il n’est pas possible ni opportun pour la Cour de tenter de définir les droits issus du Traité no 8, auquel figure la disposition sur la fourniture d’une terre en particulier, pour en déterminer l’effet, si effet il y a, sur les pratiques de gouvernance au sein de la PNSR, notamment en ce qui a trait au lieu de résidence d’éventuels dirigeants de la PNSR. Pour l’application du cadre établi dans l’arrêt Dickson, il faut plutôt décider si les droits revendiqués par le demandeur existent et s’ils s’appliquent en l’espèce. Si c’est le cas, il faut décider si ces droits l’emportent sur l’« autre » droit, conféré à la PNSR par le Règlement, d’adopter et de faire respecter l’obligation de résidence (voir Dickson, au para 91). Signalons que l’avis de question constitutionnelle ne mentionne pas non plus de réparation pour manquement à des droits protégés par le Traité no 8.

Coutume de la PNSR

[116] Cela dit, il est vrai que l’obligation de résidence ne découle pas des pratiques et coutumes de gouvernance au sein de la PNSR qui existent depuis des temps immémoriaux.

[117] Toutefois, les coutumes sont appelées à changer. Elles ne sont pas figées dans le temps. L’exposé conjoint des faits mentionne que, dans les années 1930, après l’établissement de la réserve, la PNSR était dirigée par des membres qui résidaient ordinairement dans une réserve de la PNSR.

[118] À l’audience, des éléments de preuve sont présentés sur l’obligation de résidence entre la conclusion du Traité no 8 et le Règlement de 2005. Par exemple, dans son témoignage, M. Twin ne se souvient de personne ayant siégé au conseil qui n’était pas résident de la réserve. Selon lui, l’obligation découle du souhait des membres de la PNSR d’être représentés par un conseil connaissant la Première Nation pour y avoir habité et avoir occupé le territoire. Il affirme que, même avant la rédaction des lois électorales, y compris celles concernant la résidence, ont été transmises de génération en génération. En 1996, il a été nommé et élu au conseil pendant qu’il fréquentait l’université à Calgary. Aux termes du règlement en vigueur à l’époque, les étudiants qui, n’eût été leurs études, auraient habité sur la réserve étaient réputés résider ordinairement sur la réserve pour les besoins des élections. Il a terminé sa session (sa dernière) et est rentré à la PNSR pour s’acquitter de son mandat de conseiller. En revanche, plus tard, sa nomination à titre de candidat à un poste au conseil a été refusée, car il ne résidait pas ordinairement sur la réserve. Il avait alors une maison sur la réserve, mais il habitait et travaillait depuis 10 ou 15 ans à Edmonton. Il a interjeté appel de la décision, mais l’appel a été rejeté, et il a accepté la décision.

[119] Selon le témoignage de M. Courtorielle également, il a toujours existé une obligation de résidence. Il n’est pas au courant d’un seul chef ou conseiller qui n’était pas un résident de la réserve.

[120] Fait important, par voie de référendum tenu en 2005, la PNSR, à la majorité des voix, a pris le Règlement. Elle signifiait ainsi son souhait de codifier ses coutumes électorales choisies et a ratifié la mise en œuvre du Règlement. Les coutumes évoluent, et il est loisible à la Première Nation d’adopter un code électoral, notamment un code fondé sur une démarche occidentale en matière d’élections et de gouvernance (voir p ex Hunt c Kwakiutl First Nation, 2024 CF 367 au para 33 [Hunt]).

[121] Dans la décision Whalen, le juge Grammond traite des lois coutumières reconnues par la Loi sur les Indiens, et indique ce qui suit :

[32] Pour un grand nombre de Premières Nations, y compris la PNFM, la Loi sur les Indiens énonce que le conseil est choisi en fonction de la « coutume » de la Première Nation, mais ne définit pas en quoi consiste cette « coutume » ni qui détient le pouvoir de l’énoncer. Dans ce sens, la « coutume » ne signifie pas nécessairement une loi enracinée dans la pratique ou dans la tradition historique. Comme le professeur John Borrows le soutient à juste titre, [traduction] « toutes les lois autochtones ne sont pas coutumières à la base ou dans leur expression, comme on le suppose souvent » : Canada’s Indigenous Constitution (Toronto : University of Toronto Press, 2010) (Borrows, Indigenous Constitution), à la page 24. Un examen de la jurisprudence de la Cour montre que nous entendons par « coutume » les normes résultant de l’exercice de la capacité inhérente des Premières Nations d’adopter leurs propres lois (Gamblin c. Conseil de la Nation des Cris de Norway House, 2012 CF 1536, au paragraphe 34; Pastion, au paragraphe 13; Mclean c. Tallcree First Nation, 2018 CF 962, au paragraphe 10). En d’autres termes, la coutume « constitue plutôt un mode consensuel et communautaire de production du droit qui, sans être contraint au plan matériel par les pratiques des ancêtres, permet aux contemporains de tracer leur propre itinéraire entre tradition et modernité » [note en bas de page omise] (Ghislain Otis, « Élection, gouvernance traditionnelle et droits fondamentaux chez les peuples autochtones du Canada » (2004), 49 R.D. McGill 393, aux pages 402 et 403). Ainsi, il peut être préférable d’utiliser l’expression « droit autochtone » au lieu de « coutume ». Notre Cour est prête à reconnaître l’existence d’une règle de droit autochtone lorsqu’il est démontré qu’elle reflète le large consensus des membres d’une Première Nation : Bigstone c. Big Eagle, [1992] A.C.F. n16 (QL) (1re inst.), au paragraphe 20.

[122] Le juge Grammond affirme ensuite que pareil « large consensus » peut survenir de deux manières principales. Premièrement, une loi peut être adoptée à la majorité des voix des membres d’une Première Nation, soit en assemblée, soit par référendum. Deuxièmement, un « large consensus » peut ressortir d’une ligne de conduite qui révèle un acquiescement tacite des membres de la Première Nation à une certaine règle (au para 33; voir également Beardy c Beardy, 2016 CF 383 au para 93 renvoyant à Francis c Conseil Mohawk de Kanesatake, 2003 CFPI 115 et Bande indienne de McLeod Lake c Chingee, 1998 CanLII 8267 (CF), portant qu’une coutume peut être établie au fil des ans par la répétition d’actes ou par un seul acte comme l’adoption d’un code électoral; Hunt, au para 31, portant qu’il est possible de démontrer l’existence d’une coutume par un référendum, un vote majoritaire ou autre décision ponctuelle, par une série de faits, voire par un acquiescement).

[123] Je suis d’avis que la preuve démontre que, depuis l’établissement de la réserve de la PNSR, la coutume de la PNSR inclut une obligation de résidence applicable à ses dirigeants, qui oblige ces derniers à résider ordinairement sur la réserve pendant leur mandat. En outre, depuis au moins 2005, et la ratification du Règlement de 2005 par une majorité des membres de la PNSR, l’obligation de résidence est un critère d’éligibilité inscrit dans la coutume actuelle de la PNSR. C’était le cas, prévu par le Règlement, quand le demandeur a brigué le mandat de conseiller.

[124] Je comprends l’argument du demandeur selon lequel la question de l’obligation de résidence (et l’obligation de résider ordinairement sur la réserve) est postérieure à la conclusion du Traité no 8. En effet, avant, la PNSR et d’autres Premières Nations avaient adopté un mode de vie nomade, et les réserves n’existaient pas encore. Toutefois, depuis au moins 2005, la coutume de la PNSR comprend une obligation de résidence, qui résulte du choix exprimé par une majorité des membres de la PNSR. Au vu de la preuve, je ne suis pas convaincue que ce choix puisse être écarté pour le simple motif qu’il n’émane pas de la coutume antérieure. En outre, comme il est indiqué plus haut, je ne suis pas convaincue que la preuve très limitée sur le Traité no 8 suffit pour me permettre de déterminer les droits en matière de déplacement que le Traité pourrait avoir conférés aux membres de la PNSR et de décider si pareils droits entrent en conflit avec l’« autre » droit, celui d’imposer une obligation de résidence par le truchement du Règlement, et l’emportent sur celui-ci.

b) Si elle ressortit aux « autres » droits, l’obligation de résidence protège-t-elle ou reconnaît-elle la spécificité autochtone?

[125] Les arguments du demandeur à cet égard sont fondés sur sa thèse, selon laquelle l’obligation de résidence ne représente pas une coutume ou une tradition de la SRFN en vigueur depuis des temps immémoriaux. Dans ses observations, il renvoie également à des éléments, comme les négociations ayant mené à la conclusion du Traité no 8 et les récits des Aînés, qui ne font pas partie du dossier de preuve. Essentiellement, il soutient que, dans les années 1930, les politiques et les interventions du gouvernement fédéral ont activement limité les populations sous la houlette des dirigeants et ont contraint ces derniers à résider sur la réserve. Selon le demandeur, ces actions non seulement ont enfreint des droits reconnus aux communautés visées par le Traité no 8, mais ont porté atteinte à la spécificité autochtone que procure la disposition sur la fourniture d’une terre en particulier.

[126] Comme il est indiqué plus haut dans les présents motifs, les défendeurs ont démontré que l’obligation de résidence s’inscrit dans l’exercice d’un « autre » droit pour l’application de l’article 25. Il s’agit du droit d’adopter et d’imposer l’obligation de résidence, qui limite l’éligibilité des membres de la PNSR, à savoir le droit d’établir des critères applicables à l’élection des dirigeants. Toutefois, les défendeurs doivent également démontrer que ce droit protège la spécificité autochtone, à savoir la différence culturelle autochtone, l’occupation antérieure des Autochtones, la souveraineté autochtone antérieure et la participation des Autochtones au processus de négociation de traités (Dickson, aux para 151-152 et 180).

[127] Dans l’arrêt Dickson, la Cour suprême souligne les conclusions de fait déterminantes sur le contexte historique et culturel lié à la résidence tirées par le juge de première instance. Selon ce dernier, la preuve historique démontre que [traduction] « les Vuntut Gwitchin manifestent une préférence pour des dirigeants qui démontrent une connaissance du territoire et des traditions, un engagement envers le service à la communauté ainsi que d’efficaces habiletés de communication, et qui sont fortunés » et que « le thème qui revient constamment dans les propos des [A]înés au sujet du leadership est l’idée de reddition de compte aux citoyens Vuntut sur une base quotidienne à Old Crow et lors de l’Assemblée générale annuelle » (au para 211). Le juge de première instance résume ses conclusions de fait relatives au leadership de la VGFN et à l’obligation de résidence, notamment : (i) les Vuntut Gwitchin se gouvernent eux-mêmes conformément à leurs pratiques traditionnelles antérieures à la création du Canada en 1867; (ii) depuis des temps immémoriaux, tous les chefs et conseillers de la VGFN ont résidé sur le territoire traditionnel de celle-ci; et (iii) même à l’époque moderne, depuis l’Entente définitive de 1993, citoyens élus ont pour pratique de résider à Old Crow (Dickson, au para 212).

[128] Dans cette même affaire, la Cour suprême signale également que la Cour d’appel du Yukon souligne l’importance du lien entre les dirigeants de la VGFN et le territoire de celle-ci, prenant acte de la déposition d’un ancien chef de la VGFN selon lequel [traduction] « l’identité même des Vuntut Gwitchin a toujours été profondément enracinée dans le territoire lui-même » et « les pratiques, coutumes et traditions des Vuntut Gwitchin liées au leadership et à la gouvernance sont aussi enracinées dans le territoire lui-même » (au para 213). D’après le chef de la VGFN, les [traduction] « processus décisionnels [de la VGFN] sont fondés sur l’obtention d’un consensus, et le fait d’avoir un conseil composé de membres qui ne résident pas dans notre communauté serait totalement incompatible avec notre gouvernance traditionnelle ». La Cour d’appel du Yukon fait également observer que le droit de définir la composition de ses corps dirigeants sur la base de restrictions fondées sur le lieu de résidence permet à la société des Vuntut Gwitchin de préserver l’insistance particulière qu’elle accorde au [traduction] « lien entre ses dirigeants et le territoire ». La Cour suprême conclut qu’il s’agit « clairement d’un fondement permettant d’établir un lien entre la spécificité autochtone et l’obligation de résidence dans la Constitution de la VGFN » (Dickson, au para 210).

[129] La Cour suprême arrive à la conclusion suivante :

[216] À ce stade-ci de l’analyse, il s’agit de déterminer si l’obligation de résidence protège la spécificité autochtone, de sorte qu’elle doit être protégée afin d’éviter que le droit garanti à Mme Dickson par le par. 15(1) de la Charte y porte atteinte. Nous avons examiné les arguments de Mme Dickson portant, d’une part, que l’obligation de résidence a pour effet d’éroder la spécificité autochtone en amenant les citoyens non résidents à se sentir des membres « de moindre valeur » de la communauté et en les éloignant des structures de gouvernance de la communauté, et d’autre part, que l’obligation ne repose pas sur des pratiques traditionnelles. Toutefois, nous ne pouvons pas accepter les arguments de Mme Dickson selon lesquels il n’existe pas de preuve que le fait que les conseillers résident sur les terres désignées est [traduction] « démonstratif de leur connaissance du territoire ou leur intérêt pour celui-ci », ou que l’obligation est basée sur des notions modernes de démocratie (par. 83).

[217] À la lumière de la preuve et des conclusions de fait en première instance, nous sommes convaincus que l’obligation de résidence est l’exercice d’un droit qui protège des intérêts associés à la spécificité autochtone. Obliger les dirigeants de la VGFN à résider sur les terres désignées aide à préserver le lien entre les dirigeants et le territoire, qui est profondément ancré dans la culture et les pratiques de gouvernance distinctives de la VGFN. L’obligation de résidence favorise le respect des attentes de la VGFN que ses dirigeants seront en mesure de maintenir des interactions personnelles continues avec les autres membres de la communauté. Elle renforce aussi la capacité de la VGFN de résister aux forces extérieures qui attirent les citoyens loin de ses terres désignées, en plus de prévenir l’érosion de son important lien avec le territoire. De tels intérêts sont associés à divers aspects de la spécificité autochtone, y compris la différence culturelle et la souveraineté antérieure des Vuntut Gwitchin, ainsi que leur participation au processus de négociation de traités qui a abouti à l’édiction de la Constitution de la VGFN.

[Je souligne. Italiques dans l’original.]

[130] Suivant l’exposé conjoint des faits dans la présente affaire, depuis des temps immémoriaux, les ancêtres des peuples autochtones qui forment actuellement la PNSR se livrent à diverses pratiques de gouvernance, notamment en ce qui a trait aux méthodes de prise de décision et de sélection des dirigeants. Les pratiques de gouvernance ont évolué au fil des ans, mais conservent certains éléments de la société de la PNSR avant le contact avec les Européens. Les ancêtres choisissaient leurs dirigeants de manière informelle parmi les membres sans procéder à des élections. Les dirigeants étaient sélectionnés sur le fondement de leurs aptitudes et de leur capacité à diriger et à subvenir aux besoins des membres. Depuis les années 1930, les dirigeants élus de la PNSR résident ordinairement sur la réserve de la PNSR.

[131] Les témoins ayant comparu à l’audience conviennent que les terres de la réserve de la PNSR et le territoire environnant (les parties n’ont pas délimité précisément le territoire traditionnel de la PNSR) sont très importants aux membres de la PNSR et à leur culture.

[132] Selon Mme McRee, dans la culture crie pratiquée à Swan River, le territoire joue un rôle crucial. Toutefois, à son avis, nul besoin pour les membres de se trouver sur les terres pendant un an pour ressentir un lien d’appartenance.

[133] Mme Jean affirme que, si l’obligation de résidence était supprimée et qu’elle était élue, elle se réinstallerait dans la réserve de la PNSR. En contre-interrogatoire, elle dit croire que les membres élus devraient [traduction] « vivre à proximité » de la réserve. Selon elle, en vue de faire partie du système de gouvernance, il faut appartenir à la PNSR pour remplir un rôle positif de dirigeant fonctionnel et productif.

[134] En outre, Mme Jean affirme être active au sein de la communauté de la PNSR, tant dans la réserve qu’à l’extérieur de celle-ci. Selon son témoignage, les peuples de la PNSR étaient migratoires et n’étaient pas confinés à une parcelle de terre. Ils se déplaçaient à la recherche de sources d’aliments et d’eau. À son avis, les réserves ont été établies par la Loi sur les Indiens; sans cette loi, il n’y aurait pas de distinction à faire entre ce qui se trouve sur la réserve et ce qui se trouve à l’extérieur de la réserve. Toutefois, elle convient que les ancêtres ont transmis d’importantes connaissances culturelles, en grande partie liée aux terres. En outre, elle affirme que la chasse, la trappe, les techniques de survie et d’autres compétences sont très respectées au sein de la communauté de la PNSR. Elle convient également que les élus devraient posséder ces compétences et valeurs et les mettre en pratique pour entretenir un fort lien au territoire et pour montrer l’exemple aux autres membres. Elle ajoute qu’elle a habité à l’extérieur de la réserve toute sa vie et que son [traduction] « lien d’appartenance est rompu ». Toutefois, elle a vu des Aînés quitter la réserve pour aller enseigner et signale que les membres de la PNSR chassent souvent à l’extérieur des terres de réserve. À son avis, le lien d’appartenance n’est pas limité aux terres, car la culture de la PNSR a son fondement partout au Canada. Il est possible pour un candidat de ressentir l’importance culturelle du territoire pour la communauté sans résider sur la réserve pendant un an avant sa mise en candidature. À cet égard, elle précise qu’à titre de praticienne contemporaine de la danse à clochettes, elle enseigne cette tradition et assiste à des cérémonies en Alberta, en Colombie-Britannique et en Saskatchewan. Ces pratiques ne sont pas l’apanage de la PNSR. Elle dit résider ordinairement sur le territoire en général, non limité aux terres de réserve de la PNSR.

[135] Selon le témoignage de M. Twin, l’obligation de résidence tient au fait que les membres de la PNSR voulaient que les membres du conseil connaissent la PNSR pour y avoir habité et en avoir occupé le territoire. Ils craignaient que l’élection d’un membre dépourvu de cette connaissance mette en péril l’existence de la PNSR. Selon son témoignage, des règles de droit informelles sont transmises de génération en génération. Par exemple, de telles règles régissent la chasse et l’entretien des terres situées au sud de la PNSR, qui appartiendraient au territoire traditionnel. Lorsqu’on lui demande si l’obligation de résidence bénéficie au gouvernement de la PNSR, M. Twin affirme qu’elle est à l’avantage de la population depuis des décennies. Des gens comme lui ont vécu sur la nation (réserve) pendant la majeure partie de leur vie; les membres briguant mandat devraient connaître l’histoire de la nation, ses membres et les enjeux qui les concernent.

[136] M. Courtorielle décrit sa vie sur la réserve de la PNSR. Il est un gardien du savoir et transmet aux enfants ses connaissances sur les terres et les techniques permettant d’en vivre. À son avis, l’obligation de résidence (quelle qu’elle soit) a donné de bons résultats au fil des ans. Si elle était modifiée, des membres pourraient briguer mandat sans avoir vécu sur la réserve. Selon lui, ce serait comme le dirigeant d’un pays se présentant aux élections d’un autre pays où il n’a jamais vécu. Lorsqu’on lui demande si ses absences d’un mois pour la trappe viennent affaiblir son lien à la réserve, il répond par l’affirmative, car sa famille et lui se trouvent toujours dans la réserve. Il quitte la réserve contre son gré pour gagner de l’argent pour subvenir aux besoins de sa famille.

[137] Selon M. Giroux, il existe un rapport spécial entre la PNSR et les terres de la réserve et le territoire environnant. Les cérémonies y sont tenues et transmises de génération en génération, et les êtres chers y sont enterrés. Il affirme avoir un lien au territoire, car il s’agit de son foyer, de ses gens, de tout pour lui. Selon lui, même si certains affirment que le gouvernement fédéral a confiné les membres à la réserve, en fait, il en a découlé la création d’un noyau fort. Autrement, les membres de la PNSR se seraient éparpillés aux quatre coins du Canada. Il se demande comment 1 200 personnes éparpillées aux quatre coins du Canada pourraient constituer une nation. Quant à l’obligation de résidence, M. Giroux affirme que, si un membre veut devenir dirigeant, il devrait connaître toutes les coutumes de la PNSR, ce que les membres y font, leurs pratiques, de la chasse aux pow-wow en passant par les cérémonies du calumet et les protocoles de tenues d’assemblées. Par exemple, les membres ne font pas qu’assister aux assemblées. Il y a des protocoles à respecter, notamment commencer par une séance de sudation, une conversation ou une cérémonie du calumet. Contre-interrogé sur l’origine de ces cérémonies, M. Giroux affirme que, comme la plupart des Aînés ont fréquenté les pensionnats indiens, ces cérémonies leur avaient été interdites par la force. Or, depuis le début des années 2000, grâce à la réconciliation et à d’autres facteurs, ces coutumes renaissent.

[138] À mon avis, le dossier de preuve en l’espèce n’est pas aussi exhaustif que dans l’affaire Dickson. Toutefois, il est suffisant pour démontrer l’importance du lien entre les dirigeants de la PNSR et le territoire de cette dernière, lien qui est reconnu par les parties. Il est attendu des dirigeants de la PNSR qu’ils aient un lien fort au territoire, qu’ils connaissent le territoire et la culture de la PNSR et qu’ils œuvrent à les préserver et à les revitaliser. Donc, l’obligation de résidence est un droit qui protège les intérêts associés à la spécificité autochtone. En exigeant que les candidats aux postes de chef et de conseillers résident sur la réserve pendant les douze mois précédant leur nomination, on veille à ce que les dirigeants potentiels aient établi un lien au territoire. Cette obligation relève de la culture et des pratiques de gouvernance de la PNSR, permet de « prévenir l’érosion » de cet important lien et garantit la connaissance des coutumes et traditions de la PNSR chez les candidats (Dickson, au para 217).

[139] Enfin, je reconnais l’argument du demandeur, selon lequel la présente instance se distingue de l’affaire Dickson au motif que, dans cette dernière, la VGFN avait modifié et [traduction] « amélioré » son obligation de résidence de sorte que le membre non résident élu avait 14 jours à partir de l’élection pour déménager sur les terres désignées (Dickson v Vuntut Gwitchin First Nation, 2020 YKSC 22, au para 146). Au contraire, en l’espèce, l’obligation de résidence préalable à la mise en candidature prévue dans le Règlement de 2005 a été modifiée par le Règlement en vigueur, qui l’a rendue plus – et non moins –stricte, la faisant passer de trois mois à un an.

[140] Signalons tout d’abord que la modification apportée à l’obligation de résidence dans l’affaire Dickson n’est pas déterminante.

[141] Cela dit, je conviens qu’obliger un candidat à résider sur la réserve un an avant de briguer un poste constitue un lourd fardeau. Comme il est expliqué plus haut, ce fardeau n’est pas imposé aux membres résidant sur la réserve. Toutefois, l’obligation de vivre sur la réserve pour le membre élu pendant son mandat et l’obligation de vivre sur la réserve pour le candidat comme critère d’éligibilité ressortissent toutes deux à l’obligation de résidence. Par conséquent, il semble qu’il faut seulement décider, à cette étape, si la preuve démontre que l’obligation de résidence actuelle préalable à la nomination protège et reconnaît les intérêts associés à la spécificité autochtone. À mon avis, l’obligation de résidence a pour effet de garantir que les membres qui briguent mandat, de par l’obligation qui leur est imposée de vivre sur la réserve pendant un an avant de se présenter à l’élection, se seront familiarisés avec le lien de la PNSR avec le territoire, ses coutumes, ses traditions et les enjeux au sein de la communauté pendant cette période. Comme dans l’affaire Dickson, l’obligation de résidence protège et reconnaît la spécificité autochtone en permettant de préserver le lien des dirigeants de la PNSR avec les terres de réserve et les coutumes de la PNSR. Si certains peuvent raisonnablement penser que cette obligation est onéreuse, elle a pour objet ultime de protéger la spécificité autochtone.

[142] Le demandeur soutient également que l’affaire Dickson se distingue de la présente espèce parce que la PNSR, contrairement à la VGFN, n’est pas une communauté « autonome ». Les défendeurs ne sont pas d’accord. Ils soutiennent également que la PNSR n’a pas encore sa propre constitution, à l’instar de la plupart des Premières Nations. Toutefois, elle est régie par un code coutumier, à savoir le Règlement. Ils affirment que l’absence d’une constitution ne veut pas dire que la PNSR n’est pas autonome et ne justifie pas une distinction d’avec l’arrêt Dickson. En outre, l’article 25 de la Charte ne prévoit pas pareil motif de distinction. En effet, l’article 25 ne précise pas qu’il ne s’applique qu’aux communautés autonomes; il s’applique aux « peuples autochtones du Canada ». On ne saurait reconnaître un tel motif de distinction. Par exemple, si le Canada n’acceptait pas de conclure une entente sur l’autonomie gouvernementale, permettant notamment l’adoption d’une constitution, avec une Première Nation, cette dernière ne pourrait invoquer l’article 25 à l’encontre d’une atteinte à tout droit ancestral, issu de traités ou autre ou à toute liberté garantis aux peuples autochtones du Canada, au motif qu’elle ne dispose pas de sa propre constitution. Il n’est pas possible que pareille situation soit conforme à l’esprit de l’article 25.

[143] Vu les motifs qui précèdent, il suffit d’affirmer que je ne suis pas d’accord avec le demandeur pour dire que l’analyse de l’article 25 effectuée par la Cour suprême dans l’arrêt Dickson permet de distinguer cette affaire de la présente espèce au simple motif que la VGFN a sa propre constitution. Je conviens avec les défendeurs que l’absence d’une constitution en bonne et due forme n’a pas pour effet de réduire la protection assurée par l’article 25 de la Charte.

iii. L’obligation de résidence et les droits que garantit l’article 15 de la Charte au demandeur sont-ils irréconciliablement en conflit?

Thèse du demandeur

[144] Le demandeur soutient que tout conflit perçu entre les droits que lui garantit l’article 15 et les « autres » droits dont jouit collectivement la PNSR peut être résolu.

[145] Sa thèse est principalement fondée sur une distinction qu’il établit sur le plan factuel entre l’affaire Dickson et la présente espèce. Plus précisément, dans la première, conformément à la constitution de la VGFN, tout membre, qu’il réside ou non sur la réserve, est éligible. Ainsi, il est loisible aux membres de la VGFN d’élire les candidats qu’ils jugent les mieux outillés pour diriger, peu importe leur lieu de résidence. Ce n’est qu’une fois élus que les candidats sont contraints de résider sur la réserve. En revanche, les électeurs de la PNSR sont limités dans le choix des candidats aux membres qui résident sur la réserve depuis au moins un an avant la tenue de l’élection. Selon le demandeur, il s’agit d’un critère beaucoup plus strict que l’obligation de résidence dans l’affaire Dickson. En outre, il soutient que la Cour peut résoudre tout conflit, si conflit il y a, en obligeant la PNSR à modifier l’obligation de résidence de sorte que les droits protégés par le paragraphe 15(1) et l’article 25 puissent coexister. En exigeant de telles modifications, la Cour n’enfreindrait aucun droit dont jouit la PNSR. Elle réaliserait ainsi le droit prévu au Traité no 8 de ne pas être confiné dans la réserve envisagé dans la disposition sur la fourniture d’une terre en particulier et reconnaîtrait la spécificité autochtone.

Thèse des défendeurs

[146] Les défendeurs soutiennent que le droit des membres de la PNSR à titre collectif et le droit que l’article 15 de la Charte garantit au demandeur, à titre individuel, sont irréconciliablement en conflit. Par conséquent, l’article 25 doit protéger le droit collectif de la PNSR. En l’espèce, comme dans l’affaire Dickson, il n’est pas possible de concilier les prétentions individuelles du demandeur fondées sur la Charte (et la réparation qu’il sollicite) et le droit collectif de la PNSR. Il faut que le droit collectif prévale.

Analyse

[147] Dans l’arrêt Dickson, la Cour suprême affirme que, lorsqu’il s’agit de déterminer si la VGFN a établi que le conflit entre les deux droits est irréconciliable, de telle sorte que le droit visé à l’article 25 serait protégé contre l’atteinte qui découlerait du fait de donner effet au droit garanti à Mme Dickson par le paragraphe 15(1), les deux droits doivent d’abord être interprétés correctement, puis comparés l’un à l’autre, comme l’exige le cadre d’analyse de l’article 25. Elle conclut que la VGFN a démontré que le conflit entre les deux droits est irréconciliable et que, par conséquent, il est possible d’invoquer l’article 25 afin de protéger l’obligation de résidence de la VGFN (para 219 et 220).

[148] Pour ce qui est du contenu du droit que le paragraphe 15(1) garantit à Mme Dickson, cette dernière a établi à première vue l’existence d’une distinction basée sur le motif analogue que constitue le statut de non-résident dans une communauté autochtone autonome. Elle était inhabile à occuper un poste au sein du Conseil de la VGFN parce qu’elle vivait à l’extérieur des terres désignées. Cette distinction basée sur son statut de non-résidente renforçait et accentuait le désavantage historique auquel sont toujours exposés les Autochtones qui vivent à l’extérieur de leur territoire traditionnel (au para 221). Quant à la teneur de l’« autre » droit, la Cour suprême affirme qu’à la base, l’obligation de résidence protège et reconnaît la spécificité autochtone en préservant le lien entre le leadership de la VGFN et les terres de cette dernière. Les autres façons dont l’obligation de résidence protège cette différence, par exemple en favorisant la capacité de la VGFN à résister à l’attraction des influences extérieures, se rattachent à ce lien (au para 222).

[149] La Cour suprême rejette l’argument de Mme Dickson selon lequel il était loisible à la VGFN d’adopter des mesures qui donneraient effet à la fois aux droits démocratiques individuels en cause et aux droits collectifs de la VGFN de gouverner et d’établir des critères d’éligibilité pour ses dirigeants. Par exemple, Mme Dickson avait proposé qu’un seul conseiller soit choisi parmi les citoyens de la VGFN vivant à Whitehorse. Selon la Cour suprême, le fait de permettre à un conseiller de résider à Whitehorse minerait, de manière non accessoire, le droit de la VGFN de décider qui peut être membre de ses corps dirigeants (au para 225). Dans cette affaire, la spécificité autochtone protégée par l’obligation de résidence était inextricablement liée au lien entre les dirigeants et les terres désignées.

[150] La Cour suprême souscrit à la conclusion de la Cour d’appel du Yukon portant que [traduction] « l’application du par. 15(1) porterait de fait atteinte aux droits des Vuntut Gwitchin de se gouverner eux-mêmes conformément à leurs propres valeurs et traditions particulières et conformément aux arrangements en matière d’“autonomie gouvernementale” » conclus avec le Canada et le Yukon en 1993 » (Dickson, aux para 224-225). À cet égard, la Cour d’appel a cité la déposition du directeur exécutif de la VGFN, qui disait que la raison pour laquelle la proposition initiale de Mme Dickson d’éliminer l’obligation de résidence n’avait pas reçu d’appui était qu’elle entrait en conflit [traduction] « avec l’opinion largement répandue que l’autonomie gouvernementale des Vuntut Gwitchin et la protection de notre culture sont liées de manière cruciale au fait que le siège de notre gouvernement se trouve à Old Crow » (Dickson, au para 225).

[151] La Cour suprême est d’avis que la décision de permettre à l’un des quatre conseillers de résider à Whitehorse minerait de manière inacceptable ce lien. Elle tire la conclusion suivante :

[226] En conséquence, nous ne pouvons pas accepter que les effets d’un tel changement à la composition du Conseil de la VGFN sur les intérêts que favorise l’obligation de résidence seraient simplement accessoires. Pour reprendre les propos du professeur Macklem, donner effet de cette manière au droit garanti par la Charte à Mme Dickson représenterait [traduction] « un véritable risque pour la vitalité durable de la spécificité autochtone » (p. 232). Donner effet au droit garanti par le par. 15(1) à Mme Dickson porterait atteinte à un « autre » droit, qui appartient à la VGFN. Les deux droits sont, par conséquent, irréconciliablement en conflit.

[152] En l’espèce, le demandeur a également démontré à première vue une atteinte au droit que lui garantit le paragraphe 15(1) de ne pas subir de discrimination, en raison de sa qualité de membre ne résidant pas sur la réserve, par application de l’obligation de résidence, qui l’empêche de briguer un mandat de conseiller au sein de la PNSR. Le demandeur était inéligible à un poste de dirigeant parce qu’il ne résidait pas sur la réserve au cours des douze mois ayant précédé l’élection. Cette distinction, fondée sur sa qualité de membre ne résidant pas sur la réserve, a pour effet de renforcer et de perpétuer le désavantage historique ou systémique subi par les membres des Premières Nations qui vivent à l’extérieur de leur territoire traditionnel.

[153] Comme il est expliqué plus haut, la preuve dans la présente affaire établit qu’il est attendu des dirigeants de la PNSR qu’ils aient un lien fort au territoire, qu’ils connaissent le territoire et la culture de la PNSR et qu’ils œuvrent à les préserver et à les revitaliser, comme ils l’ont toujours fait. S’agissant de l’article 25, l’obligation de résidence protège et reconnaît la spécificité autochtone en préservant le lien entre les dirigeants de la VGFN et les terres de cette dernière. Ainsi, l’obligation de résidence préalable à la mise en candidature fait en sorte que les candidats à l’élection et ceux voulant le devenir ont acquis ces connaissances avant l’élection. Comme dans l’affaire Dickson, supprimer l’obligation de résidence minerait, de manière non accessoire, le droit de la PNSR d’adopter et d’imposer l’obligation de résidence, en fait, de déterminer la composition de son corps dirigeant. La spécificité autochtone que protège l’obligation de résidence est inextricablement rattachée au lien entre les dirigeants et les terres désignées. Ce que l’obligation de résidence apporte, c’est un moyen de veiller à ce que les personnes, comme le demandeur, qui n’ont jamais vécu sur la réserve de la PNSR, aient établi le lien au territoire et aux coutumes de la PNSR que cette dernière juge essentielle à sa gouvernance.

[154] Certes, je conviens avec le demandeur que l’obligation de résidence d’un an préalable à l’élection constitue un lourd fardeau. Toutefois, l’analyse que l’affaire commande est une comparaison entre le droit d’une personne à ne pas subir de discrimination et le droit collectif de la PNSR de préserver la spécificité autochtone. Appliquer le paragraphe 15(1) minerait le droit de la PNSR d’adopter et d’imposer l’obligation de résidence, qui limite l’éligibilité des membres de la PNSR, c’est-à-dire le droit de se gouverner selon ses propres valeurs et traditions, comme le Règlement, ratifié par une majorité des membres de la PNSR.

[155] Contrairement à la situation dans l’affaire Dickson, le demandeur ne propose pas de méthode permettant de concilier les droits protégés par l’article 15 et l’article 25. Il affirme simplement qu’il est possible pour la Cour de résoudre tout conflit en ordonnant la modification de l’obligation de résidence. De même, son avis de demande modifié ne propose pas de méthode de conciliation. Il demande seulement à titre de réparation une ordonnance annulant la décision relative à la candidature, un jugement déclarant que le demandeur est éligible à un poste de conseiller et un jugement déclarant que l’obligation de résidence est inconstitutionnelle, et donc inopérante et n’est pas protégée par l’article 25 de la Charte.

[156] En conclusion, le demandeur soutient que tout conflit opposant des droits individuel et collectif doit être résolu par l’annulation de l’obligation de résidence et le maintien de l’obligation de résider sur la réserve après l’élection (qui n’a pas été contestée dans la présente affaire). Certes, la proposition du demandeur imposerait un fardeau beaucoup moins lourd aux membres qui résident à l’extérieur de la réserve souhaitant briguer mandat. Toutefois, comme je l’indique plus haut, concilier ces droits comme le veut le demandeur minerait, de manière non accessoire, le droit de la PNSR d’adopter et d’imposer l’obligation de résidence et, en fait, de déterminer les critères et la composition de son corps dirigeant. Par conséquent, je ne suis pas convaincue que la spécificité autochtone en serait ainsi préservée.

[157] Signalons en dernier lieu que les articles 17.1, 17.2 et 17.3 du Règlement mentionnent la procédure de modification :

[traduction]

17.1 Des modifications au Règlement électoral coutumier peuvent être préparées et présentées par le conseil de bande sur demande écrite présentée à ce dernier par un groupe représentant vingt-cinq (25 %) pour cent des électeurs de la Bande de Swan River.

17.2 Sur réception de la demande de modification, le conseil donne aux membres de la bande un préavis de soixante (60) jours de la modification proposée au Règlement électoral coutumier. Des avis sont affichés à cette fin au bureau du conseil de bande de la Première Nation de Swan River.

17.3 Pour être adoptée, la modification doit être approuvée par une majorité des électeurs de la bande, soit par référendum, soit par pétition tenu soixante (60) jours après l’affichage de l’avis de modification proposée.

[158] Selon M. Giroux, le Règlement énonce la procédure de modification. Le chef et le conseil ne peuvent pas simplement supprimer des dispositions du Règlement. Les modifications doivent plutôt exprimer la volonté des membres de la PNSR. À sa connaissance, ni M. Houle ni Mme Jean – ni personne d’autre – n’ont présenté de pétition visant à modifier le Règlement. M. Giroux affirme que le chef et le conseil précédents ont demandé des fonds pour la révision du Règlement, car son libellé a causé des problèmes. Les fonds ont été obtenus par le chef et le conseil actuels. Les anciens chefs, des Aînés et d’autres personnes collaborent avec un représentant juridique pour recenser les dispositions problématiques. Leurs suggestions seront présentées aux membres de la PNSR, et des assemblées se tiendront pour en discuter, et ce possiblement dès le début de 2025. Tout compte fait, il revient aux membres de décider s’il y a lieu de modifier le Règlement, de prendre un nouveau règlement ou de ne rien faire.

[159] Mme Jean reconnaît que la procédure de modification commence par une pétition. Elle confirme qu’elle n’a pas présenté de pétition et qu’elle et le demandeur n’ont pas interjeté appel de la décision relative à la candidature ni de la décision relative à sa candidature au poste de chef. Elle a plutôt présenté la demande de contrôle judiciaire. À son avis, le chef et les membres du conseil devraient résider à proximité de la réserve. Elle a proposé au chef et au conseil un système de limites territoriales. Elle reconnaît ne pas avoir présenté de pétition visant à faire modifier le Règlement en ce sens et que le chef et le conseil ne peuvent pas, de leur propre chef, modifier le Règlement. Toutefois, elle fait remarquer qu’ils constituent le corps dirigeant élu et que c’est à eux que les membres adressent leurs préoccupations.

[160] Rien ne démontre que le demandeur a tenté de se prévaloir de la procédure de modification du Règlement pour proposer des changements à l’obligation de résidence préalable à la mise en candidature. Comme il est mentionné plus haut dans les présents motifs, l’obligation de résidence applicable aux élus n’est pas contestée. Le demandeur reconnaît à l’audience que le chef et le conseil ne sont pas habilités à modifier unilatéralement le Règlement et que la procédure de modification doit être suivie, mais il affirme que le chef et le conseil pourraient pousser en faveur d’une pétition. À son avis, le Règlement est désuet.

[161] Si ce qui précède n’est pas pertinent pour le recours de nature constitutionnelle du demandeur, j’en traite simplement pour signaler que ce dernier et les autres membres de la PNSR, qui résident sur la réserve ou non, disposent d’autres moyens pour faire modifier l’obligation de résidence. En outre, il ressort de la preuve que le chef et le conseil ont demandé une révision du Règlement et présenteront toute modification proposée aux membres de la PNSR pour décision.

[162] De même, le demandeur soulève d’autres arguments, notamment qu’il est déraisonnable de tracer des [traduction] « lignes imaginaires » autour de Kinuso (qui est enclavée dans la réserve de la PNSR) pour déterminer l’exercice de droits fondamentaux comme la participation aux élections de la PNSR. Ces arguments ne sont pas pertinents pour la demande de contrôle judiciaire ou le recours de nature constitutionnel.

iv. Des limitations s’appliquent-elles à l’intérêt collectif de la PNSR?

[163] Dans l’arrêt Dickson, la Cour suprême affirme que, même dans les cas où un droit ancestral, issu de traités ou autre serait normalement priorisé en vertu de l’article 25, il peut y avoir d’autres limitations pertinentes ayant trait à l’application et à l’effet de l’article 25. Elle donne comme exemples l’article 28 de la Charte et le paragraphe 35(4) de la Loi constitutionnelle de 1982. L’article 28, qui figure comme l’article 25 dans la section « Dispositions générales » de la Charte, prévoit que, « [i]ndépendamment des autres dispositions de la présente charte, les droits et libertés qui y sont mentionnés sont garantis également aux personnes des deux sexes ». Pour sa part, le paragraphe 35(4) précise ce qui suit : « Indépendamment de toute autre disposition de la présente loi, les droits – ancestraux ou issus de traités – visés au paragraphe (1) sont garantis également aux personnes des deux sexes ». Ces dispositions veillent à ce qu’un droit protégé par l’article 25 ne permette pas de discrimination fondée sur le sexe. Toutefois, la Cour suprême est d’avis qu’il est préférable de définir de façon précise les limites des protections prévues par l’article 25, y compris celles qui découlent d’autres sources constitutionnelles, à l’occasion d’une autre affaire où ces limites se soulèvent à la lumière des faits (Dickson, aux paras 173 et 227).

[164] En l’espèce, aucune partie ne soutient qu’il y a lieu de définir la portée d’autres limites.

Article premier de la Charte

[165] Enfin, comme je suis d’avis que l’article 25 s’applique à l’obligation de résidence, la PNSR n’a pas à justifier cette obligation au regard de l’article premier de la Charte (Dickson, au para 227).

Conclusion

[166] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que l’article 25 agit comme bouclier et protège l’obligation de résidence contre la revendication du demandeur fondée sur le paragraphe 15(1).

Dépens

[167] Les deux parties ont demandé les dépens, mais aucune n’a présenté d’observation en ce sens.

[168] Aux termes du paragraphe 400(1) des Règles, la Cour a le pouvoir discrétionnaire l’habilitant à déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer. Dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, la Cour peut tenir compte des facteurs énoncés au paragraphe 400(3), dont, le résultat de l’instance; l’importance et la complexité des questions en litige; le fait que l’intérêt public dans la résolution judiciaire de l’instance justifie une adjudication particulière des dépens; la conduite d’une partie qui a eu pour effet d’abréger ou de prolonger inutilement la durée de l’instance; et toute autre question qu’elle juge pertinente. La Cour peut fixer tout ou partie des dépens en se reportant au tarif B et adjuger une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés (au para 400(4)).

[169] En l’espèce, comme les parties n’ont pas présenté d’observations sur les dépens, sauf pour les demander, j’estime qu’il est raisonnable d’adjuger aux défendeurs, la partie ayant eu gain de cause, les dépens taxés en conformité avec la colonne III du tableau du tarif B (art 407 des Règles).


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-903-19

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire, qui a été instruite comme une action, est rejetée;

  2. Les défendeurs se voient adjuger les dépens taxés en conformité avec la colonne III du tableau du tarif B.

"Cecily Y. Strickland"

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-903-19

 

INTITULÉ :

ROBERT HOULE ET SHAWNA JEAN C PREMIÈRE NATION DE SWAN RIVER ET CHEF ET CONSEIL DE LA PREMIÈRE NATION DE SWAN RIVER

 

LIEU DES AUDIENCES :

Edmonton (Alberta)

 

DATE DES AUDIENCES :

les 23, 24 et 25 Septembre 2024

 

motifs et jugement :

la juge STRICKLAND

 

DATE :

february 12, 2025

 

COMPARUTIONS

Robert Houle

 

pour le demandeur

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Evan C. Duffy

 

pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Bailey, Wadden & Duffy LLP

Edmonton (Alberta)

 

pour les défendeurs

 

 

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