Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20250210


Dossier : IMM-13549-23

Référence : 2025 CF 261

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 10 février 2025

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

TOLUWALOPE OLUWABUKUNMI AJAYI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Toluwalope Oluwabukunmi Ajayi, est une citoyenne du Nigeria qui a présenté une demande de permis d’études afin d’obtenir un diplôme du Collège Conestoga. Un agent d’immigration [l’agent] a refusé de lui délivrer un permis d’études parce qu’il n’était pas convaincu qu’elle quitterait le Canada à la fin de son séjour et parce qu’il a conclu que ses actifs et sa situation financière ne permettaient pas de financer le but déclaré de son séjour.

[2] La demanderesse sollicite le présent contrôle judiciaire au motif que la décision de l’agent est déraisonnable et que ce dernier a violé son droit à l’équité procédurale. Pour les motifs qui suivent, je rejetterai la demande de contrôle judiciaire.

II. Questions en litige et normes de contrôle applicables

[3] La demanderesse soulève deux questions à trancher dans la présente demande :

  1. La décision de l’agent est-elle raisonnable?

  2. Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

[4] Le défendeur soulève une question relative à la présentation, par la demanderesse, de nouveaux éléments de preuve qui n’étaient pas à la disposition de l’agent. J’examine cette question plus loin.

[5] La norme de contrôle applicable à la décision de l’agent sur le fond est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 10, 25. La Cour doit se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité : Vavilov, au para 99. Il incombe au demandeur de démontrer le caractère déraisonnable de la décision : Vavilov, au para 100.

[6] Les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon une norme qui s’apparente à celle de la décision correcte, et la Cour doit examiner si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54.

III. Analyse

A. La Cour doit-elle examiner les nouveaux éléments de preuve que la demanderesse cherche à présenter?

[7] Le défendeur soutient que la demanderesse cherche à présenter, dans le cadre du contrôle judiciaire, de nouveaux éléments de preuve qui n’étaient pas à la disposition de l’agent. Par exemple, la demanderesse a insisté à maintes reprises sur la preuve d’un paiement de 9 000 $ de droits de scolarité. Toutefois, selon l’affidavit souscrit par l’agent et déposé auprès de la Cour par le défendeur, cet élément de preuve n’était pas à la disposition de l’agent. Il semble également que la demanderesse renvoie à sa déclaration d’intention à de nombreuses reprises ainsi qu’au relevé bancaire de son père, alors que ni l’un ni l’autre de ces documents n’était à la disposition de l’agent. Le défendeur, qui renvoie au paragraphe 25 de la décision Evans c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2022 CF 1516 [Evans], soutient qu’on ne peut reprocher à un agent de ne pas avoir tenu compte d’éléments de preuve qui n’étaient pas à sa disposition.

[8] Je suis d’accord avec le défendeur. Comme l’a fait observer la Cour dans la décision Evans, il est bien établi en droit que, sauf quelques exceptions limitées, seul le dossier de preuve soumis au décideur administratif est admissible en preuve aux fins du contrôle judiciaire : Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 [Access Copyright] aux para 18‑19.

[9] Je fais remarquer que la demanderesse a déclaré, dans l’affidavit à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, que tous les documents qu’elle avait présentés dans le cadre de sa demande de permis d’études étaient joints à l’affidavit en tant que « pièce A », mais que de nombreux documents inclus dans la « pièce A » ne se trouvent pas dans le dossier certifié du tribunal. De plus, comme le fait observer le défendeur, l’agent a souscrit un affidavit dans lequel il a confirmé que plusieurs documents inclus dans la « pièce A » de l’affidavit de la demanderesse n’étaient pas à sa disposition et ne pouvaient être examinés au moment où il a rendu sa décision.

[10] La demanderesse n’a pas présenté d’observations sur la possible application de l’une ou l’autre des exceptions relatives à l’admission de nouveaux éléments de preuve énoncées dans l’arrêt Access Copyright. À l’audience, l’avocate de la demanderesse a fait valoir qu’il n’aurait pas été logique pour cette dernière de ne pas avoir joint à sa demande de permis d’études les documents indiqués dans son affidavit. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que l’affirmation de l’avocate est purement conjecturale.

[11] Compte tenu de ce qui précède, je refuse d’admettre les nouveaux éléments de preuve que la demanderesse cherche à présenter.

B. La décision de l’agent est-elle déraisonnable?

[12] La demanderesse soutient que la décision de l’agent est déraisonnable. Les observations qu’elle a présentées sont assez décousues et redondantes. Selon ma compréhension, ses arguments peuvent être résumés ainsi :

  • a.Il était déraisonnable pour l’agent d’avoir rejeté sa demande de permis d’études sur le fondement de ses actifs personnels et de sa situation financière. L’agent a fait abstraction d’éléments de preuve pertinents, notamment des copies des relevés bancaires de son père, d’un paiement versé au Collège Conestoga confirmant qu’elle s’était acquittée de ses droits de scolarité et d’une lettre de son père corroborant son affirmation selon laquelle elle disposerait de fonds suffisants pour payer ses droits de scolarité et subvenir à ses besoins;

  • b.L’agent n’a pas expliqué pourquoi la preuve qu’elle avait présentée était insuffisante alors qu’elle avait démontré avoir suffisamment de fonds. La demanderesse renvoie au paragraphe 28 de la décision Ayeni c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1202, et au paragraphe 27 de la décision Lakhanpal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 694;

  • c.L’agent a fait abstraction d’éléments de preuve relatifs à ses liens avec son pays d’origine, dont ses liens familiaux. La demanderesse renvoie à la décision Rajasekharan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 68, à la décision Kavugho-Mission c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 597, à la décision Guo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2001 CFPI 1353, et à la décision Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2003 CF 1493;

  • d.L’agent n’est pas tenu de mentionner chaque détail, mais il ne doit pas faire abstraction d’éléments de preuve contradictoires, et le fait de ne pas tenir compte d’éléments de preuve pertinents constitue une erreur susceptible de contrôle : Penez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1001 au para 25. De plus, l’agent n’a pas fourni de motifs suffisants pour justifier le rejet de sa demande de permis d’études : Asong Alem c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 148;

  • e.L’agent n’a pas tenu compte de bon nombre de facteurs énoncés dans les lignes directrices ministérielles.

[13] À l’audience, l’avocate de la demanderesse est allée plus loin et a soutenu que l’agent n’avait fourni [traduction] « aucun motif » pour justifier le rejet de la demande.

[14] Je rejette tous les arguments de la demanderesse.

[15] Contrairement à ce qu’affirme l’avocate de la demanderesse, l’agent a bien fourni des motifs à l’appui de sa décision, lesquels se trouvent dans les notes qu’il a consignées dans le Système mondial de gestion des cas. Les motifs fournis par l’agent sont brefs, mais ce dernier mentionne avoir des raisons de croire que la demanderesse [traduction] « ne dispose pas de fonds suffisants et facilement accessibles lui permettant de payer ses droits de scolarité et de subvenir à ses besoins tout en étudiant au Canada ». De plus, l’obligation de l’agent de fournir des motifs dans le cadre d’une décision relative à une demande de visa est minime : Chaudhary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 102 aux para 27‑30.

[16] La jurisprudence confirme également qu’un agent des visas n’est pas tenu de mentionner tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés et qu’il est présumé avoir pris en compte l’ensemble de la preuve reçue à l’appui d’une demande : D’Almeida c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 308 au para 42; Solopova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 690 au para 28.

[17] Comme je le mentionne plus haut, la demanderesse s’appuie sur des documents devant la Cour qui n’étaient pas à la disposition de l’agent. Étant donné qu’elle s’appuie sur ces documents pour étayer l’argument selon lequel l’agent a fait abstraction d’éléments de preuve, comme les documents relatifs au paiement de ses droits de scolarité et les relevés bancaires de son père, la Cour ne peut retenir cet argument.

[18] Je ne dois m’en tenir qu’à l’examen des documents qui étaient à la disposition de l’agent, notamment les suivants : la lettre d’admission de la demanderesse au Collège Conestoga, la demande de permis d’études présentée par la demanderesse au moyen du formulaire IMM 1294, une lettre de recommandation, une lettre de confirmation de soutien financier et trois pages de relevés bancaires montrant soit un dépôt à terme ou un résumé de compte. Dans ses observations, la demanderesse fait mention des documents de nature financière de son père et des lettres de soutien de manière générale, mais ne démontre pas comment ces documents rendent la décision de l’agent déraisonnable.

[19] L’affirmation de la demanderesse selon laquelle l’agent était tenu de prendre en compte ses liens familiaux est aussi sans fondement. Selon la jurisprudence, les considérations financières suffisent à elles seules à justifier la décision d’un agent de rejeter une demande de permis d’études : Aghvamiamoli c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1613 au para 36; Mohammadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 598 aux para 14, 21.

[20] Enfin, le seul fait d’affirmer, sans plus, que l’agent a fait abstraction des lignes directrices ministérielles ne suffit pas à justifier l’annulation de la décision.

C. Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

[21] La demanderesse, qui renvoie à l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, soutient que l’agent a violé son droit à l’équité procédurale parce qu’il ne lui a pas donné l’occasion de répondre aux réserves qu’il avait à propos de sa demande de permis d’études.

[22] Il ne ressort pas clairement des observations écrites de la demanderesse de quelle façon son droit à l’équité procédurale a été violé. À l’audience, la demanderesse a fait valoir que « l’absence […] de motifs » à l’appui de la décision de l’agent constitue un manquement à l’équité procédurale, et renvoie à cet égard au paragraphe 7 de la décision Chantale c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 544 [Chantale].

[23] Comme je le mentionne plus haut, l’agent a bien fourni des motifs à l’appui de sa décision, quoiqu’ils ne conviennent pas à la demanderesse. La Cour a confirmé dans la décision Chantale que la suffisance des motifs ne pouvait fonder une conclusion de manquement à l’équité procédurale sauf s’il y avait absence totale de motifs, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

[24] Comme le fait valoir le défendeur, la Cour a également confirmé qu’un agent des visas n’était pas tenu de donner l’occasion à un demandeur de répondre à des réserves découlant d’une exigence réglementaire. Il incombe plutôt au demandeur de démontrer qu’il respecte les conditions d’obtention d’un visa, notamment qu’il quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée : Akhtar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 595 au para 18; Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 145 au para 7; Obeta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1542 au para 25.

[25] Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus que la demanderesse n’a pas établi que la décision de l’agent est déraisonnable et qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale.

IV. Conclusion

[26] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[27] Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-13549-23

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Avvy Yao‑Yao Go »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-13549-23

 

 

INTITULÉ :

TOLUWALOPE OLUWABUKUNMI AJAYI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 FÉVRIER 2025

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GO

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 FÉVRIER 2025

 

COMPARUTIONS :

Idowu Florence Adedoyin‑Thomas

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Elijah Lo Re

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Florence Thomas Law Firm

Waterloo (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.