Date : 20250210
Dossier : T-662-24
Référence : 2025 CF 257
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 10 février 2025
En présence de monsieur le juge Fothergill
ENTRE :
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EVAN WIOME
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demandeur
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et
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] Le capitaine Evan Wiome est membre des Forces armées canadiennes (FAC) depuis plus de 18 ans. Jusqu’au 29 novembre 2023, il a détenu le grade de major et a été officier commandant un escadron de l’École du Corps blindé royal canadien.
[2] Le 8 juin 2023, le capitaine Wiome a assisté à un dîner au mess, où étaient également présents des stagiaires. Il s’est volontairement et gravement intoxiqué.
[3] Après le dîner, le capitaine Wiome a rencontré quatre subordonnés, dont trois faisaient partie de sa chaîne de commandement directe. Il a formulé des commentaires à caractère sexuel et homophobe. Lorsque l’épouse d’un subordonné est arrivée pour conduire les stagiaires au centre-ville, le capitaine Wiome est entré dans le véhicule et a fait des commentaires racistes et sexuels à l’égard de l’épouse, a fait allusion au tourisme sexuel dans un pays étranger et a raconté des histoires de nature sexuelle. Il a également laissé entendre qu’il retiendrait les rapports de stage, selon la réaction des stagiaires à son comportement.
[4] Le 10 novembre 2023, quatre chefs d’accusation ont été portés contre le capitaine Wiome en vertu des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC) :
Chef d’accusation 1 – ORFC 120.03(i) : A nui à la discipline, à l’efficacité et au moral des troupes en formulant des commentaires de nature sexuelle vers le 8 juin 2023, aux environs d’Oromocto (Nouveau-Brunswick);
Chef d’accusation 2 – ORFC 120.03(i) : A nui à la discipline, à l’efficacité et au moral des troupes en formulant des commentaires de nature raciste envers des étrangers vers le 8 juin 2023, aux environs d’Oromocto (Nouveau-Brunswick);
Chef d’accusation 3 - ORFC 120.03(i) : A nui à la discipline, à l’efficacité et au moral des troupes en menaçant de retenir les rapports de stage à des fins inappropriées vers le 8 juin 2023, aux environs d’Oromocto (Nouveau-Brunswick);
Chef d’accusation 4 - ORFC 120.03(i) : A nui à la discipline, à l’efficacité et au moral des troupes en urinant en public alors qu’il portait l’uniforme vers le 8 juin 2023, aux environs d’Oromocto (Nouveau-Brunswick).
[5] Le 29 novembre 2023, le colonel M.J. Reekie (officier chargé de l’audience sommaire) a tenu une audience disciplinaire sommaire. Après avoir pris en considération le témoignage de huit témoins, dont celui du capitaine Wiome, l’officier chargé de l’audience sommaire a conclu que les chefs d’accusation nos 1 et 2 avaient été établis selon la prépondérance des probabilités.
[6] En ce qui concerne le chef d’accusation no 3, l’officier chargé de l’audience sommaire a conclu que le capitaine Wiome avait commis une erreur de fait honnête et raisonnable et l’a déclaré non responsable. L’officier chargé de l’audience sommaire a décidé de ne pas donner suite au chef d’accusation no 4 parce que les déclarations des témoins ne contenaient pas suffisamment de détails.
[7] L’officier chargé de l’audience sommaire a conclu que la conduite du capitaine Wiome était incompatible avec celle d’un officier supérieur et contrevenait à la fois aux ORFC et à l’éthos des Forces armées canadiennes : digne de servir. Il a infligé une rétrogradation, la sanction la plus sévère pouvant être infligée au terme d’une audience sommaire.
[8] Le 16 janvier 2024, le capitaine Wiome a demandé la révision de la décision de l’officier chargé de l’audience sommaire parce que les motifs écrits fournis étaient insuffisants pour justifier la sanction. Le capitaine Wiome a également affirmé que la rétrogradation a nui à sa santé mentale et porté atteinte à son droit à la sécurité de la personne garanti par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 (Charte).
[9] Le capitaine Wiome n’a pas contesté les conclusions selon lesquelles les chefs d’accusation nos 1 et 2 avaient été établis, mais a soutenu que la rétrogradation était excessive. Il a déclaré qu’une sanction appropriée et raisonnable aurait dû se limiter à une réprimande, avec ou sans solde, pour une période maximale de 14 jours.
[10] Le 4 mars 2024, le brigadier-général S.G. Graham, en sa qualité d’« autorité compétente »
, a conclu que la sanction infligée par l’officier chargé de l’audience sommaire était raisonnable. Le capitaine Wiome demande maintenant le contrôle judiciaire de la décision de l’autorité compétente.
[11] L’autorité compétente n’a pas respecté le cadre législatif et politique qui prescrivait la nature de la révision qu’elle devait entreprendre. Sa décision était intrinsèquement incohérente et manquait du degré requis de justification, d’intelligibilité et de transparence. Elle était donc déraisonnable.
[12] La Cour accueille la demande de contrôle judiciaire.
II. Cadre législatif et stratégique
[13] La décision de l’autorité compétente a été rendue dans le cadre prescrit par la Loi sur la défense nationale, LRC 1985, c N‑5 (LDN), les ORFC et la Politique sur la justice militaire au niveau de l’unité.
A. Infractions d’ordre militaire et audiences sommaires
[14] L’audience sommaire est une procédure administrative d’un nouveau genre, introduite par la Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois, LC 2019, c 15 (projet de loi C‑77), qui visait à remédier à des manquements moins graves à la discipline militaire (ORFC, c 120). Il existe trois catégories d’infractions d’ordre militaire : les infractions relatives à la propriété et à l’information, les infractions relatives au service militaire et les infractions relatives à la drogue et à l’alcool.
[15] Le capitaine Wiome a été accusé d’infractions relatives au service militaire, qui ne peuvent être jugées que par voie d’audience sommaire (LDN, art 162.4).
[16] Toute audience sommaire doit être tenue par l’officier chargé de l’audience sommaire, lequel doit être d’au moins un grade supérieur à celui du membre des FAC accusé de l’infraction. La norme de preuve applicable est la prépondérance des probabilités. L’audience sommaire se déroule conformément aux principes d’équité procédurale du droit administratif canadien.
B. Sanctions
[17] La LDN prévoit les sanctions, de la plus sévère à la moins sévère, qui peuvent être infligées en cas de manquement d’ordre militaire :
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[18] L’infliction de sanctions vise à atteindre un ou plusieurs des objectifs énumérés à l’article 162.9 de la LDN, à savoir :
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[19] Les sanctions doivent être proportionnelles à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité de la personne qui l’a commise (LDN, art 162.91). Elles doivent également être conformes aux autres principes suivants (LDN, art 162.92) :
a)l’adaptation des sanctions aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la commission du manquement d’ordre militaire ou à la situation de la personne qui le commet, étant notamment considérés comme des circonstances aggravantes les éléments de preuve établissant que le manquement, selon le cas :
comporte une utilisation abusive de son grade ou un autre abus de confiance ou d’autorité,
est motivé par des préjugés ou de la haine fondés sur des facteurs tels que la race, l’origine nationale ou ethnique, la langue, la couleur, la religion, le sexe, l’âge, la déficience mentale ou physique, l’orientation sexuelle ou l’identité ou l’expression de genre,
a eu un effet nuisible sur la conduite d’une opération militaire ou d’un entraînement militaire;
b)l’harmonisation des sanctions, c’est-à-dire l’infliction de sanctions semblables à celles infligées pour des manquements d’ordre militaire semblables commis dans des circonstances semblables;
c)l’infliction de la sanction la moins sévère possible qui permet de maintenir la discipline, l’efficacité et le moral des Forces canadiennes.
[20] Le commandant supérieur peut infliger une variété de sanctions, tandis que le commandant ne peut infliger une sanction plus sévère que la réprimande (LDN, art 163.1(1) et (2)).
C. Révision
[21] Une personne qui a commis un manquement d’ordre militaire peut demander une révision par une autorité compétente, qui est l’officier supérieur le plus proche après l’officier chargé de l’audience sommaire en matière disciplinaire. L’autorité compétente peut également procéder à une révision de sa propre initiative. Dans un cas comme dans l’autre, l’officier chargé de l’audience sommaire doit être informé des motifs de la révision ou de la demande de révision, et il peut fournir une réponse. La personne jugée avoir commis l’infraction peut alors répondre aux observations de l’officier chargé de l’audience sommaire ou présenter ses observations.
[22] L’autorité compétente peut réviser une conclusion d’infraction ou une sanction. Une sanction peut être révisée au motif qu’elle est beaucoup plus sévère que celles prévues à l’échelle des sanctions, qui seraient normalement ou raisonnablement infligées pour la même infraction dans des circonstances similaires. En règle générale, l’autorité compétente devrait éviter de modifier une sanction, à moins qu’elle ne soit manifestement déraisonnable.
[23] L’autorité compétente doit obtenir un avis juridique avant de procéder à la révision (ORFC, art 124.02(2)). Lorsqu’elle effectue la révision, l’autorité compétente ne doit tenir compte que des éléments suivants :
a)les motifs invoqués pour demander la révision;
b)le procès-verbal d’accusation et tout ce qui y est annexé conformément à la Politique sur la justice militaire au niveau de l’unité;
c)la décision et la sanction de l’officier chargé de l’audience sommaire;
d)toute réponse fournie par l’officier chargé de l’audience sommaire et la personne jugée avoir commis le manquement d’ordre militaire.
III. Décision faisant l’objet du contrôle
[24] Le 26 janvier 2024, l’officier chargé de l’audience sommaire a présenté des observations en réponse aux motifs invoqués par le capitaine Wiome pour demander la révision de la sanction. L’officier chargé de l’audience sommaire a souligné que trois des subordonnés directs du capitaine Wiome avaient exprimé une perte de confiance en sa capacité de diriger, et que la seule sanction minimale acceptable était donc la rétrogradation. L’officier chargé de l’audience sommaire a également fourni une copie des notes manuscrites qu’il a prises lors de l’audience sommaire.
[25] Le capitaine Wiome a répondu aux observations de l’officier chargé de l’audience sommaire le 2 février 2024. Il a continué de soutenir que les motifs écrits de l’officier chargé de l’audience sommaire étaient insuffisants et que la réponse ne corrigeait pas les lacunes de la décision initiale. Il a affirmé qu’il n’y avait aucune justification raisonnable à l’infliction de la sanction la plus sévère par l’officier chargé de l’audience sommaire.
[26] L’autorité compétente a estimé que la sanction infligée au capitaine Wiome devait être maintenue. Elle a reconnu que les motifs de l’officier chargé de l’audience sommaire manquaient de détails et étaient brefs, mais a néanmoins conclu qu’ils étaient raisonnables. L’autorité compétente a également procédé à une évaluation indépendante de la sanction infligée.
[27] L’autorité compétente n’était pas convaincue que la rétrogradation infligée portait atteinte à la sécurité de la personne du capitaine Wiome. Tout en exprimant sa sympathie pour les problèmes de santé mentale du capitaine Wiome, l’autorité compétente a conclu qu’il n’y avait pas de droit constitutionnellement garanti à un grade militaire et que sa perte ne pouvait pas donner lieu à une violation de l’article 7 de la Charte.
[28] L’autorité compétente a donc maintenu la rétrogradation du capitaine Wiome.
IV. Question en litige
[29] La seule question soulevée en l’espèce est celle de savoir si la décision de l’autorité compétente était raisonnable.
V. Nouveaux éléments de preuve
[30] Le procureur général du Canada (PGC) a déposé un affidavit auquel neuf pièces ont été jointes. Le capitaine Wiome a noté qu’aucune de ces pièces ne figurait devant l’autorité compétente lorsqu’elle a pris la décision faisant l’objet du contrôle. Il s’oppose plus particulièrement à la pièce I, soit la description de travail de l’ancien poste du capitaine Wiome qui a été produite par le capitaine Daniel Jongsma-Burke le 21 mai 2024.
[31] Le PGC affirme que les pièces H et I contiennent des renseignements généraux qui pourraient aider la Cour à comprendre les questions soulevées en l’espèce. La pièce H est un courriel du capitaine Jongsma-Burke, daté du 23 février 2024, dans lequel ce dernier informait le capitaine Wiome que l’autorité compétente avait besoin de plus de temps encore pour rendre sa décision.
[32] Le dossier dont dispose la cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire se limite habituellement au dossier de preuve dont disposait le décideur administratif. Il existe cependant des exceptions, notamment lorsque la preuve fournit un contexte général; aborde les questions d’équité procédurale; ou souligne l’absence totale de preuve devant le décideur : Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 [Access Copyright] aux para 19–20; Shhadi c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2024 CF 1580 au para 43; Bolduc c Canada (Procureur général), 2023 CF 1497 au para 48. Cette liste d’exceptions n’est pas exhaustive.
[33] Les pièces A et B, qui contiennent un résumé législatif du projet de loi C‑77 et une publication donnant un aperçu du projet de loi C‑77, font partie de la première exception. Ces documents visent à clarifier le contexte législatif des présentes procédures, y compris les changements récents apportés au système de justice militaire.
[34] Les pièces C à G comprennent des messages généraux des FAC concernant les changements apportés au système de justice militaire, les lignes directrices sur la conduite professionnelle et la réponse des FAC à l’inconduite sexuelle. Ces renseignements peuvent être considérés comme des renseignements généraux, bien qu’ils soient peu pertinents par rapport aux questions soulevées dans la présente instance.
[35] La pièce H fournit des renseignements généraux sur la procédure ayant mené à la décision de l’autorité compétente et pourrait être visée par l’exception reconnue des renseignements relatifs à l’équité procédurale. Le document est admissible, mais, là encore, il est d’une pertinence ténue par rapport aux questions soulevées dans la présente instance.
[36] La pièce I, soit la description de travail du poste précédent du capitaine Wiome, n’est pas admissible. Sa provenance n’est pas claire, et il semble qu’elle n’ait été fournie par le PGC que pour étayer la décision de l’autorité compétente.
VI. Analyse
[37] Devant notre Cour, la décision de l’autorité compétente est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 10). La Cour n’interviendra que si la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence »
(Vavilov, au para 100).
[38] Il est satisfait à ces exigences si les motifs permettent à la Cour de comprendre le raisonnement qui a mené à la décision et d’établir si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Vavilov, aux para 85-86, citant Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).
[39] Afin d’apprécier le caractère raisonnable de la décision de l’autorité compétente, la Cour doit d’abord déterminer la nature de la révision entreprise par l’autorité compétente.
[40] Le paragraphe 17 de la décision de l’autorité compétente est ainsi libellé :
[traduction]
L’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, de la Cour suprême précise que la norme de contrôle applicable aux décisions administratives est celle de la décision raisonnable. À la lumière de la présente affaire, je conclus que la décision de l’officier chargé de l’audience sommaire est raisonnable malgré la brièveté des motifs qui vous ont été fournis.
[41] Même si l’autorité compétente renvoie à l’arrêt Vavilov, il est évident qu’elle n’a pas procédé au contrôle de la décision de l’officier chargé de l’audience sommaire en appliquant la norme de la décision raisonnable. En plus de souligner la brièveté des motifs fournis par l’officier chargé de l’audience sommaire, l’autorité compétente a fait observer ce qui suit au paragraphe 14 de sa décision : [TRADUCTION] « L’officier chargé de l’audience sommaire n’a pas fourni de détails sur son raisonnement, mais il a quand même indiqué qu’il s’était livré à une analyse détaillée » du comportement du capitaine Wiome.
L’incapacité d’un décideur à articuler un raisonnement cohérent porte habituellement un coup fatal à une décision administrative susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Vavilov, au para 103).
[42] Au paragraphe 18 de sa décision, l’autorité compétente a écrit ce qui suit : [traduction] « le dossier dans son ensemble, notamment les éléments de preuve présentés à l’officier chargé de l’audience sommaire […] et d’autres ordonnances et politiques applicables, est pertinent dans le cadre de l’examen de la sévérité des sanctions »
. Comme je le mentionne plus haut, les éléments de preuve qui n’étaient pas devant le décideur et qui portent sur le fond de la décision sont généralement inadmissibles lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Access Copyright, au para 19).
[43] L’officier chargé de l’audience sommaire a relevé trois circonstances atténuantes qui ont influé sur le choix de la sanction à infliger. L’autorité compétente a confirmé ces circonstances atténuantes, mais a ensuite fait état de facteurs aggravants qui n’ont jamais été mentionnés par l’officier chargé de l’audience sommaire, notamment la position du capitaine Wiome en tant qu’officier supérieur, la nature de la conduite reprochée et la consommation excessive d’alcool.
[44] Le PGC affirme que l’autorité compétente a qualifié à tort sa révision comme étant limitée par l’arrêt Vavilov. Le PGC soutient plutôt qu’il était loisible à l’autorité compétente de mener une analyse indépendante et de confirmer la décision de l’officier chargé de l’audience sommaire pour des motifs différents de ceux fournis précédemment.
[45] Le PGC s’appuie sur les dispositions suivantes de la LDN, qui donnent toutes à penser que l’autorité compétente ne se livre pas à une révision selon la norme de la décision raisonnable comme l’envisage l’arrêt Vavilov :
a) l’autorité compétente peut procéder à la révision d’office ou sur demande de la personne visée par la décision en cause (LDN, art 163.6(2));
b) l’autorité compétente peut substituer une nouvelle décision à la décision, invalide ou non justifiée par la preuve, portant qu’une personne a commis un manquement d’ordre militaire, rendue par l’officier ayant tenu l’audience sommaire, lorsque l’officier aurait pu valablement la rendre sur la base de l’accusation et que l’autorité compétente croit que l’officier était convaincu des faits établissant le manquement visé par la nouvelle décision (LDN, art 163.8(1));
c) lorsqu’elle substitue une nouvelle décision à une décision comportant une sanction excédant celle qui est permise à l’égard de la nouvelle décision ou étant, à son avis, indûment sévère, l’autorité compétente substitue à cette sanction la ou les sanctions qu’elle juge indiquées (LDN, art 163.8(2));
d) l’autorité compétente peut substituer à la sanction invalide infligée par l’officier chargé de l’audience sommaire la ou les nouvelles sanctions qu’elle juge indiquées. (LDN, art 163.9(1));
e) l’autorité compétente peut commuer, mitiger ou remettre tout ou partie des sanctions infligées par l’officier chargé de l’audience sommaire (LDN, art 163.91(1)).
[46] Le chapitre 4 de la Politique sur la justice militaire au niveau de l’unité prévoit que la fonction de l’autorité compétente est d’« examiner les décisions prises »
au cours de l’audience sommaire lorsqu’il est reconnu que la personne accusée a commis un manquement d’ordre militaire. Conformément à la LDN, l’article 4.3.2 de la Politique sur la justice militaire au niveau de l’unité confirme que l’autorité compétente peut : a) maintenir la décision et ne pas la modifier; b) annuler la décision; c) annuler la décision et en substituer une nouvelle.
[47] Les articles 4.4.7 et 4.4.8 de la Politique sur la justice militaire au niveau de l’unité sont libellés ainsi :
Réponses et représentations
4.4.7 L’officier ayant tenu l’AS peut fournir toute observation concernant la révision, y compris en ce qui concerne chaque motif de révision identifié et toute autre question pertinente pouvant aider l’AC à prendre sa décision. Toute observation doit être fournie à l’AC et à la personne reconnue d’avoir commis un manquement d’ordre militaire dans les 7 jours suivant la réception des motifs de l’initiation d’une révision.
4.4.8 La personne reconnue d’avoir commis un manquement d’ordre militaire peut répondre aux observations de l’officier ayant tenu l’AS, et dans le cas d’une révision initiée par l’AC, elle peut également fournir des représentations. Toute réponse et/ou représentations par la personne reconnue d’avoir commis un manquement d’ordre militaire doit être fournie à l’AC dans un délai de 7 jours à compter de la réception des observations de l’officier qui a tenu l’AS, ou dans un délai de 14 jours à compter de la réception par l’AC des motifs pour lesquels la révision a été initiée si l’officier qui a tenu l’AS ne fournit aucune observation.
[48] La Politique sur la justice militaire au niveau de l’unité permet également à l’autorité compétente de tenir compte de nouveaux renseignements, mais seulement s’ils sont pertinents et qu’ils étaient inconnus au moment de l’audience sommaire (art 4.5.1 et 4.5.2) :
Nouveaux renseignements
4.5.1 Lorsqu’une demande de révision contient des renseignements qui étaient inconnus au moment de l’AS, l’AC doit déterminer si ces renseignements sont pertinents. Si les renseignements sont pertinents, l’AC doit évaluer leur incidence sur la ou les décisions afin de déterminer si une ou plusieurs décisions doivent être annulées en conséquence. Après avoir terminé la révision, l’autorité compétente en matière de révision doit expliquer dans ses motifs sa décision concernant les incidences des nouveaux renseignements, y compris toute décision selon laquelle les nouveaux renseignements n’étaient pas pertinents et n’ont donc pas eu d’incidence.
4.5.2 Lorsque l’AC détermine que de nouveaux renseignements sont pertinents, elle doit alors déterminer si ces renseignements sont pertinents pour les intérêts de toute personne à l’égard de laquelle un manquement d’ordre militaire est jugé avoir été commis ou qui a subi des dommages – matériels, corporels ou moraux – ou des pertes économiques résultant de ce manquement d’ordre militaire. Si les renseignements sont jugés pertinents pour eux, l’AC doit leur donner une possibilité raisonnable de présenter des observations et doit également donner à la personne reconnue d’avoir commis un manquement d’ordre militaire la possibilité raisonnable de présenter d’autres observations en réponse, conformément aux principes d’équité procédurale. Si les renseignements ne sont pas pertinents aux intérêts d’une telle personne, l’AC doit suivre le processus de révision tel que décrit à la s 4.2 et au para 4.5.1.
[49] Si l’on considère le cadre législatif et politique dans son ensemble, la révision entreprise par l’autorité compétente ne repose pas sur la norme déférente de la décision raisonnable telle énoncée dans l’arrêt Vavilov. Il s’agit plutôt d’une procédure hybride qui combine les éléments d’un appel de la décision de l’officier chargé de l’audience sommaire et d’une audience de novo. L’autorité compétente est en grande partie limitée par le dossier factuel dont disposait l’officier chargé de l’audience sommaire, bien qu’elle jouisse d’un pouvoir discrétionnaire limité pour accepter de nouveaux éléments de preuve, et peut recevoir des observations l’officier chargé de l’audience sommaire et de la personne jugée avoir commis le manquement d’ordre militaire. L’autorité compétente est habilitée à tirer de nouvelles conclusions de fait, à condition qu’elles soient étayées par la preuve présentée à l’officier chargé de l’audience sommaire ou par des renseignements nouveaux et pertinents qui étaient inconnus au moment de l’audience sommaire, et elle peut annuler ou modifier toute sanction infligée par l’officier chargé de l’audience sommaire.
[50] En l’espèce, l’autorité compétente a affirmé qu’elle appliquait l’arrêt Vavilov (au para 17), mais elle a ensuite complété les motifs de l’officier chargé de l’audience sommaire par une analyse différente. L’autorité compétente a fait remarquer (au para 18) que le dossier dans son ensemble, [traduction] « notamment les éléments de preuve présentés à l’officier chargé de l’audience sommaire »
, était pertinent pour son examen de la sévérité de la sanction, mais on ne sait pas quels nouveaux éléments de preuve elle a pris en considération ni pourquoi elle a jugé que ceux-ci étaient admissibles.
[51] L’analyse de l’autorité compétente s’est écartée considérablement des motifs écrits et des observations supplémentaires de l’officier chargé de l’audience sommaire. Bien que l’officier chargé de l’audience sommaire ait conclu que le capitaine Wiome n’avait pas fait preuve de remords et de maturité, l’autorité compétente a reconnu que le capitaine Wiome avait reconnu à plusieurs reprises ses actes répréhensibles. De façon troublante, l’autorité compétente a considéré qu’il s’agissait là d’une circonstance aggravante (au para 18c)).
[52] L’autorité compétente ne s’est pas conformée au cadre législatif et politique qui prescrivait la nature de la révision qu’elle devait entreprendre. Sa décision était intrinsèquement incohérente et manquait du degré requis de justification, d’intelligibilité et de transparence (Vavilov, au para 100). Elle était donc déraisonnable.
VII. Conclusion
[53] La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à une autre autorité compétente pour nouvelle décision.
[54] Avec l’accord des parties, des dépens d’une somme globale de 4 500 $ sont adjugés en faveur du capitaine Wiome.
JUGEMENT
LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :
La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à une autre autorité compétente pour nouvelle décision.
Les dépens d’une somme globale de 4 500 $ sont accordés au capitaine Wiome.
« Simon Fothergill »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-662-24
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INTITULÉ :
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EVAN WIOME c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Ottawa (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 12 DÉcembRe 2024
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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le juge FOTHERGILL
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DATE :
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le 10 février 2025
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COMPARUTIONS :
Rory Fowler
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pour le demandeur
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Julie Chung
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pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Law Office of Rory G. Fowler
Avocat
Kingston (Ontario)
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pour le demandeur
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Procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
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pour le défendeur
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