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                                                                                                                                  Date : 20050617

                                                                                                                               Dossier : T-518-05

                                                                                                                     Référence : 2005 CF 863

ENTRE :

                                         LE CONSEIL DE LA PREMIÈRE NATION

                                   MALÉCITE DE VIGER, (ci-après désigné Conseil)

                                 AUBIN JENNISS en sa qualité de membre du Conseil

                            MARTINE BRUNEAU en sa qualité de membre du Conseil

                               PIERRE NICOLAS en sa qualité de membre du Conseil

                       ERNEST DANIEL NICOLAS en sa qualité de membre du Conseil

                                                                                                                                       Demandeurs

Et

                                     JEAN GENEST, en sa qualité de grand chef de la

                                                 Première Nation malécite de Viger

Et

                             L'HONORABLE ANDY SCOTT, en sa qualité de ministre

                                           des Affaires indiennes et du Nord Canada

                                                                                                                                         Défendeurs

Que la transcription révisée ci-jointe des motifs de l'ordonnance que j'ai prononcés à l'audience, tenue à Montréal (Québec), les 8 et 9 juin 2005, soit déposée conformément à l'article 51 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7.

                                                               

       JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 17 juin 2005


À Montréal, le 9 juin 2005

L'HONORABLE JUGE YVON PINARD, jcf :

Alors je suis prêt à rendre ma décision. Alors à partir de maintenant, Monsieur le Sténographe, ce que je vais dire, ça va constituer mes motifs qui devront être déposés au dossier.

Je dois d'abord considérer que la raison pour laquelle nous sommes ici, c'est parce que cette audition a lieu suite à l'ordonnance du protonotaire. C'est une ordonnance qui est très spécifique et qui oblige, obligeait l'intimé Jean Genest à comparaître devant cette Cour aujourd'hui, hier c'est-à-dire, pour y entendre la preuve d'actes qui sont spécifiques et qui suivent, qu'il aurait commis, et dont il est accusé, et pour y faire valoir les moyens de défense qu'il peut invoquer pour éviter d'être reconnu coupable d'outrage au tribunal et puni en vertu des règles.

Et là, le protonotaire énumère, dans les paragraphes qui vont de (a) à (i), les faits précis qui sont tous préfacés, précédés des mots : « d'avoir sciemment et intentionnellement désobéi à l'ordonnance du 14 avril 2005 » ... en ne prenant pas sans délai certaines mesures ... en refusant d'autres choses.


Mais chacun de ces paragraphes-là , chacune des accusations sur lesquelles je dois juger, comporte les mots ... je dois juger si Monsieur Genest a « sciemment et intentionnellement désobéi à l'ordonnance du 14 avril 2005 » , en regard de chacun des actes énumérés dans l'ordonnance du protonotaire.

Maintenant, cette ordonnance-là réfère à l'ordonnance du juge Noël, du 14 avril 2005, qui inclut notamment une disposition importante de rétablir le statu quo au 20 février 2005. Je suis d'accord que ce passage mérite d'être interprété et qu'il ne doit pas être isolé du contexte de toute l'ordonnance qui fait clairement état de la nécessité des parties de travailler ensemble, de bonne foi, en coopération pour rétablir l'ordre dans la Première Nation. Qu'il suffise de référer au paragraphe suivant de la page dix (10) de l'ordonnance du juge Noël :


Ayant noté l'importance de la présomption jouant en faveur des élus et de l'obligation des membres d'un conseil de bande de respec-ter et d'assumer la primauté du droit, la Cour demande par ordonnance aux membres du conseil de bande de la Première nation (les quatre demandeurs ainsi que le grand chef) de travailler ensemble et de régler les dossiers qui leur sont présentés selon la Loi, les règlements et la coutume, dans l'intérêt de la Première nation;

Et on voit que la plus grande préoccupation du juge Noël, selon l'ordonnance, c'est l'intérêt de la Première Nation et puis la nécessité, dans une situation de conflit, que les Élus travaillent de bonne foi ensemble. Alors ça, ce n'est pas juste un côté qui doit faire quelque chose, pendant que l'autre côté se croise les bras pour voir. Les deux côtés doivent travailler ensemble. Et les reproches qu'on fait spécifiquement ici, au défendeur, et bien, moi, je dois les considérer dans le contexte de l'ordonnance du juge Noël qui en appelle à la coopération de tous les Élus.

Et dans le contexte de la preuve qui est devant moi, je ne suis pas convaincu qu'il y ait eu toute la coopération voulue pour que ces affaires-là soient administrées de part et d'autre d'une façon, de la meilleure façon ou dans le meilleur intérêt de la Première Nation.


Maintenant, ceci étant dit, la règle quatre cent soixante et neuf (469) des règles de la Cour édicte que la déclaration de culpabilité, en cas d'outrage au tribunal, doit être fondée sur une preuve hors de tout doute raisonnable. Il est donc clair que j'ai l'obligation d'être satisfait, hors de tout doute raisonnable, que le grand chef, Jean Genest, a sciemment et intentionnellement désobéi à l'ordonnance du 14 avril 2005, comme l'indique l'ordonnance qui sous-tend cette audition à laquelle vous venez tous de participer.

Dans le présent cas, dans mon appréciation de la preuve pertinente, vous avez vu à quel point je me suis appliqué à suivre chacun des témoignages et parfois à intervenir - des fois pour tester aussi la bonne foi de l'individu, notamment, quand j'ai demandé à Monsieur Genest si spontanément il était prêt à changer certaines choses; le but n'était pas de rendre une ordonnance l'obligeant à le faire, parce que ce n'est pas ce que j'ai à faire s'il n'y a pas de jugement de culpabilité; mais j'ai voulu comprendre, par sa réaction spontanée, s'il était de bonne foi ou non, s'il était bien intentionné ou non. À tout événement, ça m'a aidé à apprécier la crédibilité de ses explications.

Plusieurs témoins, je l'ai mentionné ouvertement, dans le cas par exemple de, une minute, pas tous, je ne veux pas blesser personne, mais il y en a un au sujet duquel j'ai dit ouvertement que j'avais été impressionné par son témoignage ... Madame Caron, oui, un témoin crédible et de bonne foi; ... je n'ai pas perçu ici qu'il y avait des témoins de mauvaise foi, qui ont voulu induire la Cour en erreur, ni d'une part, ni de l'autre.


Alors comme résultat de mon appréciation de la preuve pertinente, tant orale qu'écrite, cette preuve-là me laisse avec un doute raisonnable quant à la désobéissance consciente et intentionnelle, par le défendeur Jean Genest, de l'ordonnance rendue le 14 avril 2005 par mon collègue, le juge Noël, dans cette affaire.

Sans pour autant endosser tous les agissements, parfois malhabiles, du Grand Chef Genest, dans l'exercice de sa volonté exprimée de respecter l'ordonnance du juge Noël, notamment en ce qui concerne la présence régulière au centre administratif de la Première Nation de personnes non directement employées par le Conseil, en ce qui concerne le contrôle qu'il exerce sur l'accès à ce centre et en ce qui concerne sa façon dite temporairement nécessaire de gérer les affaires de la Première Nation, et bien, je tiens compte du contexte. Je tiens compte du climat de tension extraordinaire qui existe depuis au moins le mois de mars 2005, tant au niveau politique qu'administratif, surtout au niveau politique.


Je tiens compte aussi du manque flagrant de communication entre tous les intéressés visés par cette ordonnance. Parce que, n'oublions pas, l'ordonnance du juge Noël ne visait pas que le défendeur, Jean Genest. Elle vise, notamment, les quatre conseillers, chefs conseillers. Il me semble, comme je l'ai dit tantôt, que l'ordonnance en appelle à la coopération de tout le monde, requérant de tous les intéressés, et non seulement de Monsieur Genest, que certaines choses soient faites ou que certaines omissions aient lieu. Et dans le contexte où la communication des parties n'a pas été rétablie, il est bien difficile d'établir qui est le principal responsable, qui est plus responsable que l'autre. Mais c'est dans ce contexte-là que je dois juger s'il y a eu désobéissance, s'il a désobéi sciemment et intentionnellement à l'ordonnance qui est concernée.

Alors je dis que j'ai tenu compte de la tension extraordinaire qui a continué d'exister après l'ordonnance du juge Noël et que j'ai tenu compte du manque flagrant de communication entre les parties qui a continué d'exister après l'ordonnance du juge Noël. Et j'ai tenu compte aussi de l'importance que quelque chose se fasse pour gérer sans interruption les affaires importantes de la Première Nation. Parce que, encore une fois, c'est l'intérêt de la Première Nation qui doit primer dans l'ordonnance du juge Noël, puis c'est celle que j'ai à l'esprit aussi.


Alors dans tout ce contexte-là et selon ma compréhension des événements, je ne suis pas convaincu, encore une fois, hors de tout doute raisonnable, de la culpabilité ici du Grand Chef. Il ne faut pas oublier que j'ai à juger (et je suis en train de juger) dans une procédure bien particulière. C'est une demande d'outrage dont je suis saisi, et non pas une demande de médiation. Dieu merci, il va y en avoir une, une médiation par cette Cour, qui est prévue pour le 20 juin, médiation à laquelle Monsieur Genest a indiqué clairement qu'il était disposé, avec empressement, à participer. Alors, c'est encourageant; mais dans la mesure où l'outrage au tribunal est concerné, et bien je suis conscient que je ne règle pas le conflit à la Première Nation ... ce n'est pas le but de la procédure non plus. Donc, je dois rejeter la requête.

À cause de toutes ces circonstances, dont je viens de parler, je le fais sans frais.

En conséquence, l'ordonnance formelle, c'est que la requête pour outrage est rejetée, sans frais.

Enfin, je remercie les procureurs pour leurs présentations et la Cour est ajournée.

********************

                             Je, soussigné, DANIEL MASSÉ, certifie sous mon serment d'office, que les pages qui précèdent sont et contiennent la transcription fidèle et exactes de mes notes. Le tout conformément à la loi.

ET J'AI SIGNÉ

DANIEL MASSÉ

Sténographe officiel


********************


                                         COUR FÉDÉRALE

                   NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           T-518-05

INTITULÉ :                                             LE CONSEIL DE LA PREMIÈRE NATION MALÉCITE DE VIGER et al. c. JEAN GENEST et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :                         Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                        Les 8 et 9 juin 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Le juge Pinard

DATE DES MOTIFS :                 Le 17 juin 2005

(Prononcés à l'audience le 9 juin 2005)

COMPARUTIONS :

Me Pierre Méthot

Me Paul-Yvan Martin                               POUR LES DEMANDEURS

Me Édith Fortin

Me Alain Dumas                                     POUR LE DÉFENDEUR JEAN GENEST

Me Tania Hernandez                               POUR LE DÉFENDEUR LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Martin Camirand Pelletier                      POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)

Reinhardt Bérubé Fortin              POUR LE DÉFENDEUR JEAN GENEST


Sainte-Foy (Québec)

Turgeon, Lavoie                                     POUR LE DÉFENDEUR JEAN GENEST

Québec (Québec)

John H. Sims, c.r.                                  POUR LE DÉFENDEUR LE MINISTRE DES

Sous-procureur général du Canada          AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADA

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