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Date : 20250207


Dossier : IMM-14702-23

Référence : 2025 CF 244

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 février 2025

En présence de monsieur le juge Régimbald

ENTRE :

BALJINDER SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur est un citoyen de l’Inde qui a demandé l’asile parce qu’il craint la persécution subie par sa famille pro-Khalistan aux mains de la police du Pendjab. La Section d’appel des réfugiés [la SAR] a rejeté la demande au motif que le demandeur n’était pas crédible et qu’il disposait d’une possibilité de refuge intérieur [la PRI]. Il sollicite devant la Cour le contrôle judiciaire de la décision de la SAR et conteste les deux principales conclusions tirées par cette dernière. Dans un premier temps, il fait valoir que les incohérences relevées par la SAR [traduction] « ne sont pas réelles ou, à tout le moins, qu’elles représentent un excès de zèle de la part de la Commission » (dossier du demandeur, à la p 47) et qu’à l’audience, celle-ci aurait dû attribuer plus de « poids » au traumatisme psychologique qu’il a subi pour expliquer les incohérences dans son témoignage (dossier du demandeur, à la p 51). Dans un deuxième temps, il soutient que la SAR a commis une erreur en mettant en doute son soutien à l’indépendance du Khalistan et qu’elle aurait dû conclure qu’il n’est pas raisonnable pour lui de déménager dans la ville proposée comme PRI en raison de son statut socio-économique.

[2] La seule question à trancher est celle de savoir si la décision de la SAR est raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 10, 25; Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 aux para 7, 39–44). À mon avis, le demandeur n’a pas démontré que la décision faisant l’objet du contrôle est déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée pour les motifs exposés ci-après.

[3] Des déclarations contradictoires peuvent être prises en considération dans l’appréciation globale de la crédibilité du demandeur (Sun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 477 au para 38, citant Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Dan-Ash, [1988] ACF no 571). La SAR a relevé plusieurs incohérences entre l’exposé circonstancié fourni par le demandeur dans son formulaire Fondement de la demande d’asile [FDA] et la preuve présentée au décideur, surtout l’absence de mention de son soutien au Khalistan dans le formulaire FDA (motifs de la SAR, aux para 7–18; voir aussi le dossier certifié du tribunal, aux p 96–98 [le DCT]). Contrairement à ce que soutient le demandeur, cette incohérence est assez importante, puisqu’elle touche un élément central de sa demande d’asile et les raisons pour lesquelles la police du Pendjab pourrait être motivée à lui faire du mal dans la ville proposée comme PRI. Le défaut d’inclure des allégations importantes dans un formulaire FDA peut justifier une conclusion défavorable en matière de crédibilité, et la SAR était tout à fait en droit de tirer une telle conclusion à partir des omissions importantes du demandeur (Ogaulu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 547 aux para 18–20; Weche c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 649 au para 22; Garay Moscol c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 657 au para 21).

[4] Le demandeur explique que ces incohérences sont attribuables au stress qu’il vivait au moment de présenter sa demande d’asile. Selon lui, ce stress pourrait avoir eu une incidence sur l’exhaustivité des renseignements présentés dans le formulaire FDA. Bien que je sois sensible aux difficultés que peut avoir vécues le demandeur au moment où il a déposé sa demande, il cherche essentiellement à ce que la Cour apprécie à nouveau la preuve présentée devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. À moins de circonstances exceptionnelles, qui n’existent pas en l’espèce, la Cour ne modifie pas les conclusions de fait d’un décideur administratif lors du contrôle judiciaire (Vavilov, au para 125). Le rôle de la Cour ne consiste pas à soupeser de nouveau les éléments de preuve présentés à la SAR (voir, de façon générale, Safe Food Matters Inc c Canada (Procureur général), 2022 CAF 19 au para 37, et la jurisprudence qui y est citée).

[5] Les arguments avancés par le demandeur en ce qui concerne la ville proposée comme PRI posent le même problème. Le demandeur conteste la conclusion de la SAR selon laquelle les photographies où on le voit en présence d’une bannière du Khalistan ainsi que d’autres photos sont insuffisantes pour conclure qu’il soutient le Khalistan et faire de lui une personne d’intérêt pour la police du Pendjab (motifs de la SAR, aux para 23–28; DCT, aux p 9–10). Puis, il émet l’hypothèse qu’il a probablement fait l’objet d’un premier rapport d’information, ce qui permettrait aux autorités de le retrouver n’importe où en Inde. Il ne s’est toutefois pas acquitté du fardeau qui lui incombe d’établir que son profil fait de lui une personne d’intérêt pour la police. Même si le demandeur affirme que la police du Pendjab peut le retrouver dans n’importe quelle ville proposée comme PRI en raison des renseignements contenus dans la base de données nationale sur les crimes et les criminels [le CCTNS], de la carte Aadhaar et du système de vérification des locataires, la Cour s’est déjà penchée à plusieurs reprises sur des cas comme celui en l’espèce, dans lesquels rien n’indiquait qu’un premier rapport d’information avait été déposé. Dans ses affaires, elle a fait observer que le CCTNS ne contient pas de renseignements sur les arrestations extrajudiciaires, qu’il y a peu de communications entre les corps de police des différents États et que la loi interdit à la police d’utiliser les données biométriques provenant de la carte Aadhaar et du système de vérification des locataires dans le cadre des enquêtes criminelles (voir, par exemple, Chatrath c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 958 au para 32; Bassi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 910 aux para 23–24; Sandhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 262 aux para 17, 21–22; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1758 aux para 30–31). Le demandeur demande essentiellement à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve afin qu’elle tire une conclusion différente en ce qui concerne la motivation et la capacité de la police à le retrouver. La Cour n’apprécie pas à nouveau la preuve lors d’un contrôle judiciaire à moins de circonstances exceptionnelles, qui n’existent pas en l’espèce.

[6] La SAR a conclu qu’il serait raisonnable pour le demandeur de s’installer dans la ville proposée comme PRI. Je ne vois aucune raison d’intervenir en ce qui concerne cette conclusion. Les motifs démontrent que le décideur administratif a fait exactement ce qu’il était tenu de faire, c’est-à-dire tirer des conclusions de fait intelligibles, transparentes et justifiées fondées sur la preuve et les observations qui lui ont été présentées (Vavilov, aux para 105, 125–128). La SAR a fait remarquer qu’il est vrai que la preuve documentaire mentionne qu’il est plus difficile pour les personnes issues des milieux ruraux de s’installer dans les grandes villes indiennes. Elle a toutefois aussi fait remarquer que le demandeur possède une expérience qui est transférable dans la ville proposée comme PRI et que celle-ci l’aiderait à y trouver de l’emploi (motifs de la SAR, au para 74; DCT, à la p 21). Devant notre Cour, le demandeur fait valoir qu’une barrière linguistique l’empêcherait de trouver un emploi rémunérateur. Rien n’indique que le demandeur a soulevé une pareille crainte devant la Section de la protection des réfugiés. Il ne l’a pas non plus mentionnée dans les observations écrites présentées à la SAR. J’hésite donc à me pencher sur cette nouvelle question à l’étape du contrôle judiciaire (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au para 23). De toute façon, la SAR a pris en considération la preuve documentaire récente indiquant que la majorité des sikhs vivant à l’extérieur du Pendjab vivent généralement en sécurité et sont en mesure de s’intégrer économiquement et socialement (motifs de la SAR, au para 76; DCT, aux p. 21–22). Je ne vois aucune raison d’intervenir en ce qui concerne cette appréciation de la preuve.

[7] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-14702-23

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Guy Régimbald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS


DOSSIER :

IMM-14702-23

INTITULÉ :

BALWINDER SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 FÉVRIER 2025

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RÉGIMBALD

DATE DES MOTIFS :

LE 7 FÉVRIER 2025

COMPARUTIONS :

Sohana Sara Siddiky

POUR LE DEMANDEUR

Suzanne Trudel

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Siddiky Law

Avocats

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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