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Date : 20250206


Dossier : IMM-11977-23

Référence : 2025 CF 240

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 6 février 2025

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

HECTOR HUGO SANCHEZ ROJAS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Hector Hugo Sanchez Rojas [le demandeur] est un citoyen du Mexique qui a présenté une demande d’asile au motif qu’il craint d’être persécuté par le cartel Los Zetas et par d’anciens membres de ce cartel qui ont quitté l’organisation pour joindre le cartel de Jalisco Nouvelle Génération [le cartel]. Le cartel a extorqué de l’argent au demandeur pendant qu’il dirigeait une entreprise prospère dans le secteur des matières plastiques dans l’État de Veracruz. Le demandeur affirme également avoir été persécuté par la police de Veracruz parce qu’il avait organisé des rassemblements pour dénoncer la mort injustifiée de son frère pendant que celui‑ci était détenu par la police.

[2] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté la demande d’asile du demandeur. En appel, la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a ordonné la tenue d’une nouvelle audience. La SPR a une fois de plus rejeté la demande d’asile. Le demandeur a interjeté appel de la seconde décision de la SPR.

[3] Dans une décision du 29 août 2023, la SAR a confirmé la seconde décision de la SPR par laquelle celle‑ci avait rejeté la demande d’asile du demandeur. La question déterminante était l’existence d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] valable.

[4] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la SAR parce que cette dernière a, selon lui, commis une erreur dans l’appréciation de son témoignage et de la preuve documentaire. Pour les motifs exposés ci‑après, je conclus que la décision est raisonnable et je rejetterai la demande de contrôle judiciaire.

II. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[5] Le demandeur soulève les questions suivantes pour contester la conclusion de la SAR selon laquelle il dispose d’une PRI valable :

  1. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en exigeant la corroboration du témoignage du demandeur?

  2. La SAR a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de la preuve documentaire lorsqu’elle a conclu que les agents de persécution n’avaient pas la volonté de causer un préjudice au demandeur dans le lieu proposé comme PRI?

  3. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en insistant sur le fait que les agents de persécution doivent torturer la famille du demandeur ou exercer de la pression sur elle pour qu’il soit possible de conclure que ces derniers souhaitent toujours retrouver le demandeur?

  4. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en concluant qu’il serait sûr et raisonnable pour le demandeur de s’installer dans le lieu proposé comme PRI?

[6] La norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable, énoncée dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[7] La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle empreinte de déférence, mais rigoureuse : Vavilov, aux para 12‑13. La cour de révision doit déterminer si la décision faisant l’objet du contrôle, tant en ce qui concerne le raisonnement suivi que le résultat obtenu, est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, au para 15. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85.

III. Analyse

[8] Le critère à deux volets permettant au tribunal de statuer sur l’existence d’une PRI a été établi dans l’arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CAF) [Rasaratnam]. En ce qui a trait au premier volet du critère, la SAR doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où, selon elle, il existe une possibilité de refuge : Rasaratnam, au para 6. La SAR doit examiner tant la volonté des agents de persécution que les moyens dont ils disposent. En l’espèce, la SAR a conclu que les agents de persécution n’avaient pas la volonté de retrouver le demandeur.

A. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en exigeant la corroboration du témoignage du demandeur?

[9] Le demandeur, qui s’appuie sur la décision Kaya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1519 [Kaya], fait valoir que la SPR a eu tort de conclure que son témoignage de vive voix était insuffisant sans fournir de justification à l’appui.

[10] À l’audience, l’avocat du demandeur a précisé cette observation en expliquant que la SAR avait eu tort d’exiger que le demandeur présente des éléments de preuve corroborant son témoignage selon lequel sa mère avait reçu des menaces. La SAR a conclu que la preuve présentée par le demandeur était vague. Le demandeur soutient que cette conclusion est déraisonnable, puisqu’il a présenté un témoignage « détaillé » à l’audience de la SPR concernant les menaces proférées contre sa mère.

[11] Pour les motifs qui suivent, je juge que les arguments du demandeur ne sont pas fondés.

[12] Premièrement, contrairement à ce qu’affirme le demandeur, la SAR a justifié sa conclusion portant que la preuve présentée par le demandeur était insuffisante.

[13] En ce qui a trait plus précisément à la déclaration du demandeur selon laquelle sa mère lui avait dit que des personnes qu’elle ne connaissait pas avaient demandé à cette dernière où il se trouvait, la SAR a jugé cet élément de preuve insuffisant parce que « rien au dossier ne précis[ait] ni qui [étaient] ces personnes, ni à quel moment elles [avaient] posé des questions au sujet [du demandeur], ni combien de fois elles l’[avaient] fait ». La SAR a également fait remarquer que le demandeur avait confirmé durant son témoignage que sa sœur n’avait pas été menacée, que les menaces proférées contre sa famille concernant le décès de son frère avaient cessé en 2015 et que rien n’indiquait que sa mère avait reçu d’autres menaces. La SAR a ensuite conclu que la preuve selon laquelle des personnes inconnues avaient cherché à savoir où se trouvait le demandeur était trop vague pour qu’elle puisse conclure que le demandeur serait exposé à un risque de préjudice. Les motifs de la SAR sont raisonnables compte tenu du dossier qui était à sa disposition.

[14] Deuxièmement, l’affirmation du demandeur selon laquelle il a présenté un témoignage « détaillé » à l’audience de la SPR n’est pas étayée par le dossier. Selon la transcription de l’audience de la SPR, le commissaire a demandé au demandeur si les membres de sa famille avaient mentionné que le cartel avait communiqué avec eux pour savoir où il se trouvait au Mexique. Le demandeur a répondu ce qui suit : [traduction] « Parfois, des personnes que nous ne connaissions pas, des personnes inconnues, allaient voir ma mère, l’abordaient et lui demandaient où j’étais. » Le commissaire de la SPR lui a ensuite demandé si ces personnes s’étaient nommées, si elles étaient armées ou si elles portaient un masque. Le demandeur a fourni la réponse suivante : [traduction] « Non. C’étaient juste des gens que ma mère ne connaissait pas. » Compte tenu du témoignage du demandeur, je suis d’avis que la SAR n’a pas commis d’erreur en jugeant que la preuve présentée par le demandeur était vague.

[15] Enfin, l’affaire Kaya se distingue de l’espèce, puisque les lacunes relevées par la juge Fuhrer dans cette affaire ne sont pas présentes dans la décision de la SAR en l’espèce.

B. La SAR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la preuve documentaire?

[16] La SAR a conclu que le demandeur avait été la cible de tentatives d’extorsion dans l’État de Veracruz et qu’il était personnellement exposé à un risque à cet endroit, mais a jugé que le profil et la situation du demandeur ne pousseraient pas les agents de persécution à vouloir le poursuivre.

[17] La SAR a renvoyé à la preuve sur la situation dans le pays qui traite de certains facteurs pouvant inciter un cartel à vouloir retrouver une personne à l’extérieur de sa zone d’activité, comme une querelle personnelle, une dette importante, une vengeance personnelle, le refus de la personne de joindre le cartel, ou le fait que ce dernier pense avoir a été exposé par la personne. Le SAR a fait remarquer que les personnes ayant refusé d’être recrutées, les personnes travaillant pour l’État, les journalistes et les communautés autochtones étaient souvent pris pour cible. La SAR a conclu que le demandeur ne correspondait à aucun de ces profils.

[18] Le demandeur fait valoir que la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que les agents de persécution n’avaient pas la volonté d’utiliser leurs ressources pour le retrouver dans le lieu proposé comme PRI et lui causer un préjudice.

[19] Le demandeur renvoie à un rapport sur la situation dans le pays pour soutenir qu’une guerre violente impliquant le cartel qui le poursuit a lieu dans l’endroit proposé comme PRI et que les cartels sont prêts à tuer les personnes qui ne se plient pas à leurs exigences. Le demandeur fait valoir que la SAR a été sélective dans son appréciation de la preuve documentaire et qu’elle [traduction] « a fermé les yeux sur des éléments de preuve cruciaux qui concernent le cœur même de [s]a demande d’asile ».

[20] Pour appuyer la proposition selon laquelle un décideur commet une erreur susceptible de contrôle lorsqu’il procède à un examen sélectif de la preuve, le demandeur renvoie aux décisions Ali c Canada (Emploi et Immigration), [1994] ACF no 901, Okafor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2002 CFPI 1108, [2002] ACF no 1471, Cepeda-Gutierrez c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1999] 1 CF 52, 1998 CanLII 8667 (CF), et Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1296.

[21] Je ne suis pas convaincue par les arguments du demandeur.

[22] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les éléments de preuve sur la situation dans le pays auxquels renvoie le demandeur concernent principalement les « moyens » à la disposition du cartel pour retrouver le demandeur et non sa « volonté » de le faire. Je suis également d’avis que les éléments de preuve sur la situation dans le pays auxquels renvoie le demandeur et qui précisent quelles sont les personnes souvent prises pour cible par les cartels étayent la décision de la SAR et contredisent les observations du demandeur.

[23] De plus, le demandeur confond les concepts de « moyen » et de « volonté » lorsqu’il fait valoir que la SAR, dans sa conclusion selon laquelle il n’est pas une cible suffisamment importante pour que le cartel consacre des ressources en vue de le retrouver, n’affirme pas qu’il est [traduction] « coûteux de [le] poursuivre […] ni que cela nécessite des ressources considérables ».

[24] Le demandeur peut désapprouver la décision de la SAR, mais il n’a pas démontré que cette dernière avait commis une erreur susceptible de contrôle en concluant qu’il n’avait pas le profil des personnes souvent prises pour cible par les cartels, ni démontré que cette conclusion était déraisonnable.

[25] Le demandeur soutient également que la SAR a soulevé une nouvelle question qui n’avait pas été examinée dans la décision de la SPR lorsqu’elle a conclu que rien n’indiquait que le cartel considérait le demandeur comme ayant une dette élevée ou importante envers lui.

[26] Comme le fait valoir le défendeur, et je suis d’accord avec lui, la SAR a tiré cette conclusion lorsqu’elle s’est penchée sur la question de savoir si le demandeur avait le profil requis pour être pris pour cible par le cartel. Cette conclusion concernait aussi l’allégation du demandeur selon laquelle il était une victime d’extorsion et représentait donc une source de revenus pour le cartel. Compte tenu des allégations formulées par le demandeur, je juge qu’il était pertinent pour la SAR de tenir compte de la somme due par ce dernier afin de déterminer si les agents de persécution avaient la volonté de le retrouver dans le lieu proposé comme PRI.

C. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en insistant sur le fait que les agents de persécution doivent torturer la famille du demandeur ou exercer de la pression sur elle pour qu’il soit possible de conclure que ces derniers souhaitent toujours retrouver le demandeur?

[27] Le demandeur fait valoir qu’il était déraisonnable pour la SAR d’exiger qu’il prouve que sa famille a été torturée ou qu’elle a subi de la pression de la part des agents de persécution. Il soutient que, puisque les membres de sa famille ne sont pas la cible des agents de persécution, le fait que ceux‑ci ne leur aient pas causé un préjudice ou qu’ils n’aient pas communiqué avec eux est sans importance pour l’évaluation du risque auquel il serait exposé.

[28] Je ne suis pas d’accord.

[29] La SAR n’a pas exigé que le demandeur démontre que sa famille avait subi de la pression ou fait l’objet de menaces. Le fait que la famille du demandeur ait reçu ou non des menaces n’était qu’un des facteurs pris en compte par la SAR.

[30] La SAR a également fait remarquer que le demandeur avait fermé son entreprise immédiatement après l’augmentation des sommes hebdomadaires que le cartel exigeait qu’il paie, mais qu’il était resté dans sa ville natale pendant quatre mois sans être retrouvé par l’organisation. La SAR a tenu compte de la déclaration du demandeur selon laquelle il s’était caché pendant ces quatre mois, mais a fait observer que rien n’indiquait que le cartel avait consacré des ressources en vue de le retrouver dans la ville où était établie son entreprise. La SAR a fait observer que le cartel n’avait pas communiqué avec la famille du demandeur, alors que ce dernier avait fait valoir que la police était complice du cartel. La SAR a conclu que si c’était le cas, la police aurait pu transmettre au cartel des renseignements obtenus auprès de la famille du demandeur quant à l’endroit où celui‑ci se trouvait, mais personne n’avait communiqué avec sa famille. Je ne relève aucune erreur dans cette conclusion.

D. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en concluant qu’il serait sûr et raisonnable pour le demandeur de s’installer dans le lieu proposé comme PRI?

[31] Le demandeur soutient qu’il serait déraisonnable pour lui de s’installer dans le lieu proposé comme PRI en raison de la violence et de la situation économique difficile causées par la mainmise du cartel sur ce lieu.

[32] Je rejette l’observation du demandeur pour deux raisons. Tout d’abord, le demandeur n’a présenté aucune preuve à l’appui de cette affirmation. Deuxièmement, comme le fait remarquer le défendeur, et je suis d’accord avec lui, aucun des motifs d’appel invoqués par le demandeur devant la SAR n’était fondé sur le deuxième volet du critère établi dans l’arrêt Rasaratnam. Par conséquent, le demandeur ne peut soulever cette question devant la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

IV. Conclusion

[33] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[34] Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-11977-23

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Avvy Yao‑Yao Go »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-11977-23

 

 

INTITULÉ :

HECTOR HUGO SANCHEZ ROJAS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 FÉVRIER 2025

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GO

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 FÉVRIER 2025

 

COMPARUTIONS :

Peter Ademu-Eteh

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Desmond Jung

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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