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Date : 20250129


Dossier : IMM-9458-23

Référence : 2025 CF 172

Ottawa (Ontario), le 29 janvier 2025

En présence de l’honorable juge Roy

ENTRE :

Caprices Fiacre BUMPUTU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, faite en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], d’une décision rendue par la Section de l’immigration [SI] le 4 juillet 2023.

[2] Le demandeur est arrivé au Canada en avril 2019 et a fait une demande d’asile. Le fondement de la demande d’asile porte la date du 12 avril et il est déposé le 23 avril : on y allègue une possibilité sérieuse de persécution dans les deux pays où le demandeur détient la citoyenneté, soit la République du Congo et le Mexique.

[3] Cependant, la demande d’asile n’a jamais été entendue puisque le demandeur fait l’objet d’un rapport en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR concluant à son interdiction de territoire vu les alinéas 34(1)b), c) et f) de la LIPR. L’affaire a été déférée à la SI pour enquête sur la question d’interdiction de territoire selon le paragraphe 44(2) de la LIPR. C’est de cette décision de la SI dont contrôle judiciaire est demandé en l’instance.

I. Les faits

[4] Les faits menant à la décision que M. Bumputu est interdit de territoire au Canada peuvent être résumés ainsi :

  • il est né à Brazzaville, en République du Congo, le 20 août 1984;

  • une guerre civile dans son pays de citoyenneté a cours depuis plusieurs années alors que le demandeur joint, le 17 décembre 1998, les « Ninjas », un groupe rebelle au Congo en opposition au gouvernement alors en place. Le demandeur est alors âgé de quatorze ans;

  • le conflit implique le gouvernement, dirigé par Denis Sassou Nguesso, un général, et sa milice dite « les Cobras », alors que « les Ninjas » constituent une milice supportant Bernard Kolélas. Il était le premier ministre du président Pascal Lissouba dont le gouvernement avait été renversé en 1997;

  • le demandeur participe aux combats des Ninjas durant l’année 1999, jusqu’au 15 novembre 1999 alors que plusieurs Ninjas ont quitté les lieux où des combats ont lieu, avec un groupe de réfugiés;

  • en février 2000, le demandeur se rend à Kinshasa où il y reste jusqu’à ce qu’il retourne à Brazzaville en août 2000 lorsque la situation est redevenue plus calme;

  • le demandeur continue ses études. Il quitte pour Cuba en novembre 2005 et il fréquente l’université jusqu’en 2011;

  • le demandeur vit au Mexique entre 2011 et 2019 et il obtient la citoyenneté mexicaine;

  • M. Bumputu arrive au Canada le 3 avril 2019; il dit craindre un groupe criminel (« Union ») au Mexique qui serait à sa recherche. Comme dit plus tôt, le fondement de la demande d’asile est produit le 23 avril;

  • l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] conduit une entrevue du demandeur le 31 mars 2022. S’en suit le 2 juin 2022 un rapport selon l’article 44 de la LIPR concluant que M. Bumputu devrait être interdit de territoire en vertu des alinéas 34(1)b), c) et f) de la LIPR. Le demandeur est déféré par le ministre (son délégué) à la SI sur la question d’interdiction de territoire le 29 juin 2022;

  • l’audience devant la SI aura duré trois jours. La décision est rendue le 4 juillet 2023.

II. La décision de la SI

[5] L’analyse de la SI est faite en deux temps. D’abord, elle détermine si le demandeur a participé avec le groupe d’insurgés malgré qu’il ne fut âgé que de quatorze ans, et était donc un « enfant-soldat ». La SI conclut :

[28] Vu la preuve de la participation active de la personne concernée avec ce groupe d’insurgés, les rebelles Ninjas, le tribunal est d’avis qu’il a été membre du groupe et celui-ci n’a pas démontré qu’il est devenu un enfant-soldat à la suite d’un recrutement forcé, ou à la suite de contraintes ou par peur des représailles.

Ensuite, la SI détermine que les activités des Ninjas sont, selon la norme des motifs raisonnables de croire, des activités de terrorisme et visant le renversement du gouvernement en place par la force. À cet égard, voici comment la SI conclut :

[50] Le tribunal est d’avis que les éléments de preuve retrouvés dans la divulgation du ministre sont crédibles et dignes de foi et établissent avec des motifs raisonnables de croire que les Ninjas se sont livrés au terrorisme et ont commis des actes visant le renversement du gouvernement en place par la force, et ce, de manière clairement intentionnelle.

CONCLUSION

[51] Pour ces raisons, il y a des motifs raisonnables de croire que M. Bumputu était membre des milices rebelles appelés Ninjas et que ceux-ci ont commis des actes décrits aux paragraphes 34(1)b) et c) de la LIPR. Il est par conséquent interdit de territoire et le tribunal émet une mesure d’expulsion à son endroit.

[6] Le demandeur aura consacré ses arguments au premier volet de l’analyse. Il n’est pas contesté que les exactions des Ninjas auxquelles le demandeur a participé se qualifient aux termes des alinéas 34(1)b), c) et f). Je les reproduis :

Sécurité

Security

34 (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

34 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

[…]

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

[…]

c) se livrer au terrorisme;

(c) engaging in terrorism;

[…]

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b), b.1) ou c).

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b), (b.1) or (c).

Les actes ou omissions constituant les actes visant le renversement d’un gouvernement par la force ou du terrorisme sont établis « sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir » (art 33 de la LIPR).

[7] Le demandeur déclare de fait ne pas contester sa participation aux activités de guerre ou de rébellion. Comme il le dit lui-même au paragraphe 7 de son mémoire des faits et du droit, « [l]a question n’est pas de savoir si le requérant a participé mais plutôt à quel titre il a participé et si on doit alors interpréter sa participation de la même façon qu’on l’aurait fait pour un adulte ». C’est donc sur le fait que le demandeur était un enfant-soldat que porte l’argumentaire. Ainsi, c’est sur le volet de l’analyse de la SI portant sur cet aspect que l’attention doit être portée.

[8] Après avoir conclu à l’appartenance du demandeur à une organisation au sens de l’alinéa 34(1)f), la SI s’est penchée sur le recrutement et la participation forcés d’enfants-soldats, question qui avait été soulevée par l’avocat du demandeur.

[9] La SI cite de nombreux extraits du narratif de la demande d’asile (« Mon Grand Témoignage ») qui, de manière détaillée, relate les événements de la guerre civile vécus par le demandeur. De ces extraits la SI dénote un grand enthousiasme de la part du demandeur et la satisfaction ressentie par la population pour les victoires remportées, ce qui génère ainsi un sentiment d’accomplissement.

[10] La SI déduit de la preuve présentée par le demandeur son consentement à joindre le groupe rebelle : il n’a pas été recruté par la force ou la peur de représailles. Quoique que ses « amis enfants-soldats » soient éventuellement venus pour le ramener avec eux, ce qui n’avait pas étonné le demandeur qui dit que « je savais que tôt ou tard ils allaient apparaître » (pièce D‑10, p 42), la SI y voit une liberté de mouvement qui dénote une participation volontaire et non contraignante.

[11] Trouvant appui sur R c Ryan, 2013 CSC 3 (CanLII), [2013] 1 RCS 14, au paragraphe 55, le décideur administratif conclut à l’absence de contrainte. Il écrit aux paragraphes 22 et 23 :

[22] Tel que mentionné plus haut, le récit détaillé de son implication avec les rebelles pendant une période d’environ six mois ne révèle pas l’existence d’un danger de mort ou de lésions corporelles en cas de refus de participer aux conflits armés du côté des rebelles Ninjas. La PC se joint aux Ninjas après avoir été libéré par eux. À ce moment, il ne demande pas d’aller rejoindre sa famille. La preuve démontre plutôt son engouement à poursuivre son aventure avec les miliciens Ninjas. Il n’indique aucunement un danger même implicite s’il avait décidé de se séparer des rebelles.

[23] Il aura l’occasion aussi de quitter les rangs pour aller faire du commerce. Au moment où ses amis viennent le chercher pour retourner avec les rebelles, son récit ne mentionne aucune contrainte ou peur s’il n’obtempère pas. Son témoignage à l’audience ainsi que les arguments du conseil demeurent également silencieux à ce sujet.

[12] Même lorsque, vers la fin du conflit, le demandeur rejoint sa famille et un groupe de personnes déplacées, qu’il est reconnu par des rebelles Ninjas et qu’on lui fait un mauvais parti pour ce qui est vu comme une défection, d’autres membres des Ninjas l’ont laissé aller grâce à sa réputation. Pour la SI, cela démontre l’influence au sein des rebelles. De toute manière, la SI ne peut mettre de côté la participation du demandeur entre décembre 1998 et mai 1999.

[13] En fin de compte, la SI ne voit dans la preuve aucune indication de crainte à l’égard des rebelles avec qui il s’était associé. Ainsi, suite à son départ de la zone de guerre, il a guidé sa famille pour se rendre à Brazzaville tout en évitant les zones de combat. À Brazzaville, il y rencontre ses amis ex-Ninjas. Il demeure au Congo et reprend ses études jusqu’à son départ en 2005. Il n’y a aucune indication de représailles ou d’un quelconque intérêt des rebelles pour lui, dit la SI (para 26). Si des craintes sont exprimées par rapport à un éventuel retour dans son pays natal, c’est relativement à l’armée qui le considère comme un rebelle; aucune référence n’est faite à une crainte de retour face aux rebelles Ninjas. Cela fait montre, selon la SI, que, « [m]ême à l’âge de quatorze ans, où la maturité et le consentement éclairé peut être affecté, le tribunal n’en dénote aucune » [crainte de retour où les Ninjas seraient à craindre] (para 27).

III. La position des parties

A. Le demandeur

[14] Comme noté plus haut, le demandeur a fait de son état d’enfant-soldat son cheval de bataille pour contester qu’il soit interdit de territoire au Canada et qu’il puisse ainsi être l’objet d’une mesure d’expulsion.

[15] Le demandeur reconnaît d’emblée que la notion d’enfant-soldat implique un enfant participant activement à un conflit au sein d’une organisation armée : toute la question serait de déterminer si cette participation est avec ou contre son gré. À cet égard, quelle est la qualité de consentement qu’un enfant peut donner? Il faut, dit le demandeur, traiter la participation de façon différente selon que la personne est un adulte ou un enfant.

[16] Le demandeur reste plutôt dans le domaine des généralités, plutôt que de proposer des critères particuliers. Ainsi, il est davantage dans la critique de la décision dont contrôle judiciaire est demandé, suggérant que la SI aurait fait fi de la condition d’enfant du demandeur.

[17] De fait, plutôt que de présenter des arguments précis, le demandeur se tourne vers ce qu’il considère être la position du Canada par rapport aux enfants-soldats. Ainsi, il réfère à la déclaration du Premier ministre du 12 février 2023 lors de la Journée internationale contre l’utilisation des enfants soldats. Celui-ci y condamne les utilisateurs d’enfants-soldats : « En cette Journée internationale contre l’utilisation d’enfants soldats, le Canada réitère donc son engagement inébranlable à mettre fin au recrutement et à l’utilisation d’enfants dans des conflits armés. »

[18] Le demandeur cite de longs extraits du Protocole (Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies le 25 mai 2002; le Canada a signé et ratifié le Protocole) qui condamne la conscription et l’enrôlement d’enfants de moins de quinze ans dans les forces armées nationales ou de les faire participer activement aux hostilités. On peut trouver le même type de condamnation à l’égard de groupes armés distincts des forces armées étatiques. De fait, l’article 4 du Protocole condamne précisément cet enrôlement et l’utilisation d’enfants-soldats. Il ne va pas plus loin que de condamner le recrutement et l’utilisation d’enfants-soldats par les états, disant que les groupes armés autres que les forces étatiques ne devraient pas non plus « enrôler ni utiliser dans des hostilités des personnes âgées de moins de 18 ans » (article 4).

[19] Le demandeur s’est aussi réclamé des Principes de Vancouver. Il n’a pas été en mesure de fournir à la Cour des précisions sur la portée de ces principes au plan juridique.

[20] À leur face même, ces principes constituent des engagements politiques. Les 17 principes mettent l’accent sur la prévention du recrutement et de l’utilisation d’enfants-soldats par des forces armées ou des groupes armés. Ce sont les états qui s’engagent quant au recrutement et à l’utilisation d’enfants-soldats. Le demandeur s’est contenté de soumettre certaines déclarations du Premier ministre et du ministre de la Défense afin de présenter la proposition suivante au paragraphe 22 de son mémoire des faits et du droit :

22.- Nous soumettons que la position du défendeur, à l’effet que le Requérant a joint volontairement des rebelles est erronée si on tient compte de la position du Canada envers l’utilisation des enfants soldats qui est conforme à celle itérée dans les traité [sic] dont il est signataire.

[21] En définitive, la seule véritable autorité citée par le demandeur est Zigta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 93 (CanLII). En effet, le demandeur cite de très longs passages de cette décision (aux para 20 à 25, 31 à 37).

[22] La seule lecture de Zigta révèle que la question y était toute différente. En effet, le demandeur y prétendait avoir été conscrit contre son gré, alors qu’il était mineur, par la force et la contrainte. Ainsi, les circonstances auraient été telles que l’agent de visa, dans ce cas, aurait fait abstraction d’éléments de preuve importants et fondamentaux démontrant son enrôlement forcé : le demandeur disait que des personnes armées l’avaient forcé à joindre les rangs d’une organisation luttant pour l’indépendance de l’Érythrée en se présentant chez lui. Dit autrement, notre Cour a vu dans la preuve présentée par le demandeur dans cette affaire un examen déficient par le décideur administratif.

B. Le défendeur

[23] Le défendeur met en exergue que la Cour d’appel fédérale a décidé il y a près de vingt ans que la qualité de mineur ne constitue pas en soi une exemption pour l’application de l’article 34 de la LIPR. Il s’agit plutôt d’un facteur à considérer. Comme il était dit dans Poshteh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CAF 85, [2005] 3 RCF 487 :

[51] Pour savoir si un mineur est ou non membre d'une organisation terroriste, il faut se demander où il en est dans l'acquisition de la connaissance ou de la capacité mentale requise. Tout comme l'on présumerait que de jeunes enfants sont dépourvus de la connaissance ou de la capacité mentale requise, on présumera que plus le mineur se rapproche de l'âge de dix-huit ans, plus il sera probable qu'il possède la connaissance ou la capacité mentale requise.

[24] Le décideur administratif a examiné les prétentions du demandeur et a dûment considéré qu’il était un mineur de quatorze ans quand il a été recruté dans les Ninjas. La SI constate spécifiquement que Poshteh rejette la notion d’une disperse générale d’application de l’article 34 de la LIPR pour les mineurs; mais la minorité constitue un facteur pertinent dans la détermination d’une appartenance volontaire à un groupe qui a commis des exactions qui se qualifient en vertu des alinéas 34(1)b), c) et f).

[25] Selon la SI, il n’y a aucune indication que le demandeur a subi quelque contrainte. Il s’est plutôt joint avec enthousiasme et ressentait un sentiment d’accomplissement. Le demandeur, selon la preuve, aurait pris fait et cause, prenant les armes et jouant son rôle d’éclaireur sans réticence aucune. Selon le défendeur, M. Bumputu comprenait les enjeux et a adhéré à une force rebelle parce qu’il voulait lutter contre le gouvernement en place.

[26] Le défendeur réfère à l’entrevue menée par l’ASFC le 31 mars 2022 auprès du demandeur où celui-ci manifeste sa fierté et l’absence de contrainte pour joindre les Ninjas et participer aux activités au front.

[27] Contrairement aux affirmations du demandeur, le droit canadien n’établit pas qu’un enfant de quatorze ans ne peut être trouvé criminellement responsable. De fait, le Code criminel établit plutôt qu’il faut être âgé de douze ans au moins pour entraîner la possibilité de condamnation criminelle. Le Code civil du Québec prévoit quant à lui que l’enfant de quatorze ans peut consentir seul à des soins médicaux.

[28] Quant au Protocole invoqué par le demandeur, il n’est pas un instrument qui lie le tribunal administratif. Qui plus est, le Protocole prévoit que les états parties autorisent l’engagement volontaire dans les forces armées nationales avant l’âge de dix-huit ans, ce qui veut dire qu’un mineur pourrait choisir d’adhérer consciemment et avec pleine capacité aux forces armées. Ainsi, qui se joint à un milieu rebelle afin de se livrer au terrorisme et au renversement d’un gouvernement par la force pourra être interdit de territoire au Canada dans la mesure où il a la connaissance et la capacité mentale nécessaire. C’est la conclusion à laquelle la SI est arrivée et sa décision est raisonnable.

[29] Finalement, le défendeur plaide que la décision Zigta ne trouve aucune application étant donné les différences factuelles entre cette décision et notre cas d’espèce. M. Zigta avait été forcé de joindre une organisation rebelle lorsque des hommes armés avaient investi sa demeure. Aucune telle preuve n’existe dans le cas de M. Bumputu.

IV. Analyse

[30] Le demandeur a le fardeau de démontrer que la décision sous étude n’est pas raisonnable (Zigta, au para 20). À mon avis, le demandeur n’a pas établi par prépondérance des probabilités que la décision comporte des lacunes graves qui feraient en sorte que la décision n’a pas les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, étant justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinents ayant évidement une incidence sur la décision.

[31] Le demandeur présente deux arguments : d’abord certains instruments internationaux auraient un impact sur l’analyse. Ensuite, la décision Zigta permettrait de disposer de la question devant la Cour. Ni l’un ni l’autre des arguments ne permet de disposer de la question parce qu’ils n’établissent pas que la décision sous étude n’est pas raisonnable.

[32] Le point de départ de l’analyse est évidemment que la minorité ne constitue pas une forme d’exemption évitant l’application de l’article 34 de la LIPR. La minorité est un facteur, mais elle n’est pas un empêchement. Ainsi, l’âge minimum pour la responsabilité criminelle au Canada est douze ans.

[33] Les Principes de Vancouver et le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés ne sont d’aucune utilité au demandeur. De fait, le demandeur n’a pas cherché à établir en quoi ils servent la cause du demandeur outre de mettre en preuve que le Canada a exprimé que l’enrôlement obligatoire et l’utilisation d’enfants-soldats constituent une profonde préoccupation. Fort peu nombreux seront ceux qui y verront des préoccupations illégitimes. Et le mot est faible.

[34] Mais ces instruments concernent les états pour leur créer certaines obligations. Le Protocole touche aux groupes armés distincts des forces armées étatiques en disant que ces groupes ne devraient en aucun cas recruter ou utiliser des enfants de moins de dix-huit ans. On n’a présenté aucune disposition qui aurait pour effet d’exempter un enfant de sa participation volontaire à des conflits. En notre espèce, c’est le ministre, par son délégué, qui a choisi de déférer l’affaire à la SI. Le paragraphe 44(2) de la LIPR est ainsi libellé :

(2) S’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête, sauf s’il s’agit d’un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu’il n’a pas respecté l’obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d’un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.

(2) If the Minister is of the opinion that the report is well-founded, the Minister may refer the report to the Immigration Division for an admissibility hearing, except in the case of a permanent resident who is inadmissible solely on the grounds that they have failed to comply with the residency obligation under section 28 and except, in the circumstances prescribed by the regulations, in the case of a foreign national. In those cases, the Minister may make a removal order.

[35] Quant à la tentative de se réclamer de la décision Zigta, elle est tout aussi infructueuse. Les faits de ces deux affaires sont complètement différents.

[36] Je note en particulier l’entrevue menée par l’ASFC en mars 2022. J’ai lu la transcription complète qui compte 113 pages. Le demandeur n’a pas établi qu’il avait été conscrit contre son gré ou qu’il agissait contre sa volonté : bien au contraire. Les passages cités par la SI dans sa décision (para 34) sont un reflet fidèle de l’entrevue de M. Bumputu. Ils établissent un choix conscient de participer aux hostilités en soutien de son ethnie. Le demandeur échoue dans sa tentative de démontrer que la décision est déraisonnable.

[37] Enfin, je note que la décision Zigta semble trouver appui sur une autre décision de notre Cour où, au sujet de l’enrôlement sous coercition ou contrainte, on voyait dans la contrainte une absence de mens rea (Jalloh c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 317, au para 36 à 38). Ni le Code criminel, ni la common law ne voient dans la contrainte une absence, ou une annulation, de la mens rea. Il s’agit plutôt d’une excuse (par opposition à une justification) qui « consiste à reconnaître le caractère mauvais de l’acte, mais à affirmer que les circonstances dans lesquelles il a été accompli sont telles qu’il ne devrait pas être attribué à son auteur » Perka c La Reine, [1984] 2 RCS 232, à la p 246. L’analyse devrait donc tenir compte de la nature de la contrainte (« duress ») qui ne constitue pas une absence de mens rea.

V. Conclusion

[38] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties et la Cour conviennent qu’aucune question n’est à être certifiée.

 


JUGEMENT au dossier IMM-9458-23

LA COUR STATUE ce qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Yvan Roy »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-9458-23

 

INTITULÉ :

CAPRICES FIACRE BUMPUTU c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

tenue par vidéoconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 décembre 2024

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE Roy

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 janvier 2025

 

COMPARUTIONS :

Me Sira Coulibaly

Pour le demandeur

Me Patricia Nobl

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Sira Coulibaly

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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