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Date : 20250124


Dossier : IMM-10770-22

Référence : 2025 CF 146

Ottawa (Ontario), le 24 janvier 2025

En présence de l'honorable madame la juge Tsimberis

ENTRE :

BOURAMA SIRE KOUREKAMA

KADIATOU BOURAMA KOUREKAMA

HENATY FATOUMATA KOUREKAMA

Demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Bourama Sire Kourekama [le demandeur principal], citoyen du Mali, et ses filles Kadiatou Bourama Kourekama et Henaty Fatoumata Kourekama [les demanderesses associées, collectivement les demandeurs], citoyennes des États-Unis, demandent le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] datée du 21 octobre 2022 [Décision], confirmant le rejet de leur demande d’asile par la Section de la protection des réfugiés [SPR]. La SAR a conclu que les demandeurs n’ont pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 [la LIPR], puisque la SPR n’a pas erré dans l’appréciation du risque auquel s’exposerait le demandeur principal advenant son retour au Mali et celui auquel s’exposeraient les demanderesses associées advenant leur retour aux États-Unis.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. La Décision est claire, justifiée, et intelligible au regard de la preuve soumise (Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 [Mason] au para 8; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 99). Les demandeurs ne se sont pas déchargés de leur fardeau de démontrer que la Décision était déraisonnable.

II. Contexte factuel

[3] En avril 2009, le demandeur principal a quitté le Mali, son pays d’origine, et s’est installé au Mozambique avec sa femme. Ils ont eu trois filles : Fatoumata est née au Mozambique en 2010 et Henaty est née aux États-Unis en 2015 lorsque la famille y était en vacances. Deux mois plus tard, ils sont retournés vivre au Mozambique. En 2017, ils ont quitté le Mozambique pour les États-Unis avec un visa de visiteur et deux mois plus tard, leur troisième fille, Kadiatou, est née aux États-Unis. De janvier 2017 jusqu’à juillet 2018, la famille a demeuré aux États-Unis, où le demandeur principal, sa femme, et sa fille aînée ont demandé l’asile. Les demanderesses associées sont citoyennes des États-Unis.

[4] En début août 2018, les cinq membres de la famille ont déposé une demande d’asile. Le demandeur principal allègue craindre un retour au Mali puisqu’il a participé à la politique malienne en 2013, lorsqu’il était au Mozambique, et craindre que ses filles soient contraintes de subir une mutilation génitale féminine [MGF] advenant un retour au Mali. Le 17 mars 2022, la SPR a accueilli la demande de l’épouse et de la fille aînée du demandeur principal, mais a rejeté la demande du demandeur principal et de ses deux filles mineures. La SPR a trouvé qu’ils n’ont pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention, ni celle de personnes à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1)b) de la LIPR. Le 19 avril 2022, les demandeurs ont fait appel à la SAR.

III. Décision sous contrôle judiciaire

[5] Par Décision datée du 21 octobre 2022, la SAR a rejeté l’appel de la décision de la SPR, ayant conclu que la question déterminante était de savoir si la SPR a erré dans l’appréciation du risque auquel s’exposerait le demandeur principal advenant son retour au Mali et celui auquel s’exposeraient les demanderesses associées advenant leur retour aux États-Unis. La SAR a répondu par la négative et a trouvé que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ni qualité de personnes à protéger.

[6] En premier lieu, la SAR a conclu que le demandeur principal n’a pas établi l’existence d’une possibilité sérieuse de persécution en raison de son opposition à la MGF. La SAR a reconnu dans la preuve documentaire que la pratique de la MGF fait l’objet de critiques et a reconnu la possibilité d’une discrimination et d’un ostracisme sociétaux en raison de l’opposition du demandeur principal à la MGF sur ses filles, mais a trouvé que rien n’indique que le demandeur principal risque sa vie ou la violence à cause de ce refus. La SAR a considéré les allégations du demandeur principal quant à l’effet psychologique que peut avoir son opposition à la MGF et a jugé que ce facteur n’est pas suffisant pour équivaloir à de la persécution. La SAR a souligné le témoignage du demandeur principal à l’effet que son opposition à la MGF n’aurait pas d’incidence sur sa capacité de trouver un emploi ou un logement au Mali.

[7] En deuxième lieu, la SAR a constaté qu’à l’audience devant la SPR, le demandeur principal a déclaré « qu’il n’a jamais été et n’est toujours pas partisan ou intéressé par la politique » et qu’il a « fait campagne brièvement pour le parti "MPR", lorsqu’il était au Mozambique, et que cela consistait à militer pour le parti auprès de ses contacts maliens, qu’il avait établis en jouant au soccer ». La SAR a adopté les raisons de la SPR qui a accordé peu de poids au document conférant au demandeur principal une procuration pour représenter un candidat à l’élection de 2013, puisqu’elle ne correspondait pas au témoignage du demandeur principal, et qui a estimé que le demandeur principal n’a pas établi de façon crédible un profil politique qui l’exposerait à une possibilité sérieuse de persécution. La SAR a noté que la preuve ne démontrait pas, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur principal « est perçu par les autorités maliennes comme une personne d’intérêt en raison de ses activités politiques ».

[8] En troisième lieu, la SAR a considéré la demande des demanderesses associées, les filles mineures du demandeur principal. Puisque les enfants sont des citoyennes des États-Unis, la SAR a limité son analyse quant à la crainte vis-à-vis ce pays. Elle a précisé « que le principe de la réunification de la famille n’est pas un motif sur lequel la SAR peut fonder une décision pour octroyer à une personne demandant l’asile la qualité de réfugiée au sens de la Convention, ou celle de personne à protéger au titre de l’article 97(1) de la LIPR ». La SAR s’est appuyée sur la décision de la Cour fédérale dans Nazari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 561 aux paragraphes 17-21 [Nazari] qui a statué que la séparation des membres d’une famille n’équivaut pas à de la persécution, au risque d’être soumis à la torture, à une menace personnelle à la vie, ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. La SAR a conclu que les demanderesses associées n’ont pas établi la possibilité sérieuse de persécution aux États-Unis ou qu’elles seraient exposées aux risques énumérés à l’article 97 de la LIPR.

IV. Question en litige

[9] La seule question en litige devant la Cour est à savoir si la Décision de la SAR que les demandeurs ne risquent pas sérieusement d’être persécutés advenant un retour dans leur pays d’origine respectif est raisonnable.

V. Norme de contrôle

[10] La Cour suprême du Canada a conclu que, lorsqu’une cour effectue le contrôle judiciaire d’une décision administrative sur le fond, hormis un examen se rapportant à un manquement à la justice naturelle et/ou à l’obligation d’équité procédurale, la norme de contrôle présumée est celle de la décision raisonnable (Vavilov au para 23). Bien que cette présomption soit réfutable, aucune des exceptions n’est applicable en l’espèce.

[11] Une cour qui applique la norme de contrôle de la décision raisonnable ne se demande donc pas quelle décision elle aurait rendu à la place du décideur administratif. Elle ne tente pas de prendre en compte l’« éventail » des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution « correcte » au problème (Vavilov au para 83).

[12] Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » (Vavilov au para 125).

[13] Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov au para 85). La Cour ne devrait pas intervenir dans le cas d’une « erreur mineure » (Vavilov au para 100; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Mason, 2021 CAF 156 au para 36). Ce n’est pas n’importe quelle erreur ou préoccupation qui justifient une intervention de la Cour. Les lacunes reprochées doivent être au-delà des évocations superficielles sur le fond de la décision contestée. Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer que la décision comporte une lacune suffisamment capitale ou importante (Vavilov au para 100).

[14] La norme de la décision raisonnable exige de la Cour de révision qu’elle fasse preuve de retenue judiciaire envers une telle décision (Vavilov au para 85).

VI. Analyse

A. La Décision sur la crainte du demandeur principal au Mali en raison de ses opinions politiques n’était pas déraisonnable

[15] Le demandeur principal soumet qu’il a été jugé crédible et donc le document qu’il a déposé qui lui confèrerait une procuration pour représenter un candidat aux élections de 2013 vient compléter son témoignage. Il indique que la SAR ne doit pas « utiliser des passages jugés non dignes de foi comme prémisse (fondement factuel) pour juger le demandeur non crédible sur d'autres aspects du dossier » (Hilo v Canada (Minister of Employment and Immigration) (1991), 15 Imm. LR (2d) 199 (FCA)). Le demandeur soumet qu’un « autre groupe de décisions établit le principe que les incohérences retenues par la SPR doivent être importantes et déterminantes pour la revendication et ne doivent pas être exagérées » (Mahathmasseelan c Canada (Minister of Employment and Immigration), (1991), 15 Imm LR (2d) 30 (FCA) [Mahathamasseelan]; Djama c Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, (CAF) A-738-90, en date du 5 juin 1992). De plus, il soumet que la Cour fédérale « a également insisté sur l’importance de ne pas uniquement concentrer l’attention sur les exagérations ou de ne pas ignorer les éléments de preuve qui ne sont pas favorable au demandeur » (Mahathamasseelan; Canada (Minister of Citizenship and Immigration v Roitman, 2001 CFPI 462). Il faut donc « lui accorder le bénéfice du doute » si son récit paraît crédible (Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié, publié par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, Genève, 1988). Le demandeur principal allègue que le fait qu’il faisait campagne pour le candidat qui a été renversé face à un régime militaire « est vu du point de vue du persécuteur comme étant l’opposant à eux », et le demandeur principal « n’avait pas nécessairement besoin d’avoir un profil politique pour qu’une opinion politique lui soit imputée » (Marino Gonzalez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 38 au para 62). Puisque la présomption de véracité s’applique, le demandeur soumet que « la jurisprudence constante nous enseigne qu’elle ne peut pas exiger d’éléments de preuve pour corroborer un témoignage non contredit » ni « se fonder sur l’absence d’éléments corroboratifs pour décider de ne pas croire les assertions du demandeur d’asile » (Ahortor c Canada (Ministre de l’Emploi et de Immigration), [1993] ACF no 705, 65 FTR 137 au para 50; Liban c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1252 aux para 14 et 15; Horvath c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 147 aux para 23-25)

[16] Contrairement à ce qu’indique le demandeur principal, la SAR n’a pas monté un dossier nuisible à sa crédibilité. La SAR a accepté que le demandeur principal a été impliqué dans les politiques lors de l’élection de 2013. Cependant, elle n’a pas accordé un poids lourd à la procuration déposée par le demandeur puisqu’elle ne s’accordait pas avec son témoignage. Ce n’est pas à la Cour de repeser les éléments de preuve et de substituer son appréciation de la preuve à celle de la SAR. La Cour ne devrait qu’intervenir lorsqu’il s’agit d’une erreur grave commise par la SAR dans son appréciation de la preuve, tel que prescrit par l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les cours fédérales, LRC 1985, c F-7. Dans le cas en espèce, la transcription de l’audience devant la SPR démontre que le demandeur principal a été impliqué dans les politiques maliennes depuis le Mozambique que brièvement, entre 2013 et 2014, quand il a fait campagne pour le parti MPR, qu’il n’est pas partisan, et que des militants des autres partis lui encourageaient de temps à temps à joindre leur parti. Il indique aussi qu’il a été menacé physiquement une fois, mais qu’il n’est plus en contact avec ces personnes. Le demandeur principal a admis ne pas connaitre d’autres chefs de campagne qui ont été emprisonnés. En fait, ce ne sont que des personnes de hauts rangs qui ont été arrêtées pour leur implication politique.

[17] Il était loisible pour la SAR de soupeser la preuve comme elle l’a fait et de conclure à l’insuffisance de la preuve pour démontrer que le demandeur principal est perçu par les autorités maliennes comme étant une personne d’intérêt en raison de ses activités politiques et qu’il est recherché par les autorités maliennes à cause de ses opinions politiques ou que d’autres personnes ayant milité comme lui ont été arrêtées ou font l’objet de recherche par les autorités. Le test à appliquer pour la notion et l’analyse du risque est prospectif et non pas rétrospectif (Fernandopulle c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 91 au para 21). Il n’était pas déraisonnable pour la SAR de conclure que la preuve ne démontre pas, selon la prépondérance des probabilités, que les autorités maliennes lui reconnaissent comme une personne d’intérêt au Mali, ni qu’il est recherché par les autorités maliennes, ni que d’autres personnes dans des positions similaires ont été arrêtées ou font l’objet de recherche par les autorités maliennes.

B. La Décision sur la crainte du demandeur principal au Mali en raison de son opposition à l’excision de ses filles n’était pas déraisonnable

[18] Selon le demandeur principal, la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a décidé qu’il ne fera pas face à la persécution advenant son retour en Mali. Reproduisant les paragraphes 37, 38 et 40 de la décision Bors c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1004, le demandeur principal soumet que la SAR aurait dû considérer l’ouvrage préparé par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés [HCR] intitulé Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés (réédité à Genève en janvier 1992) [Guide du HCNUR] lors de l’examen des admissions des réfugiés, qui nous indique que la crainte subjective peut soulever d’un craint d’être persécuté pour des motifs cumulés. Plus précisément, elle aurait dû considérer le fait qu’ils « vivront l’exclusion sociale, le fait qu’ils ne pourront vivre en paix, car ils craindront qu’à la moindre inattention, la mère du demandeur principal pourrait amener les filles se faire exciser et elles ont facilement accès aux filles, car ils vivent ensemble dans la même concession ». Le demandeur principal avance que la crainte subjective est corroborée par la crainte objective, car le Cartable national de documentation nous informe que la MGF est une pratique courante.

[19] Tandis que la MGF est une pratique courante, le demandeur principal n’a pas démontré qu’il fera face à la persécution personnellement, à part l’isolement social. La SAR a noté que lorsque le demandeur était questionné quant à savoir si son opposition à la MGF mettrait sa vie en danger, il a déclaré ce qui suit : « Bien, je ne saurais dire, parce que vraiment, en Afrique, tout est possible. Il y a des mauvais sorts. Il y a toutes sortes de choses, là-bas. Tout est vraiment possible dans ce pays, dans ce continent. » La SAR a considéré la preuve au dossier et a jugé de façon raisonnable que ni les effets psychologiques reliés à l’exclusion sociale qu’entrainerait l’opposition du demandeur principal à la MGF ni le risque auquel le demandeur principal pourra être confronté au Mali en raison de son refus à la MGF sur ses filles n’équivalait à de la persécution et ne l’exposerait personnellement, selon la prépondérance des probabilités, aux risques énumérés à l’article 97 de la LIPR. L’argument du demandeur principal que la SAR a erré dans son analyse de la discrimination versus la persécution constitue une demande à la Cour de substituer son appréciation de la preuve à celle de la SAR, alors que tel n’est pas son rôle.

C. La Décision sur la crainte des filles mineures n’était pas déraisonnable

[20] Les demandeurs soutiennent que « la SAR devait analyser le risque de retour des demanderesses mineures au Mali et non pas seulement aux États-Unis ». Cependant, ils n’offrent aucune jurisprudence pour appuyer cette divergence de l’application de la LIPR. Comme l’indique le défendeur, « aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR, l’examen des risques doit se faire vis-à-vis le ou les pays de citoyenneté » et « [s]i un demandeur d’asile possède la citoyenneté de plusieurs pays, il devra démontrer une crainte justifiée à l’égard de tous les pays pour lesquels il possède la citoyenneté ».

[21] Comme l’indique la Cour d’appel fédérale aux paragraphes 19 et 20 de Williams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 126 [Williams] :

[19] Il est acquis aux débats que la qualité de personne à protéger est refusée s'il est démontré qu'au moment de l'audience le demandeur a le droit, par de simples formalités, d'acquérir la citoyenneté (ou la nationalité, les deux termes étant employés de façon interchangeable dans ce contexte) d'un pays déterminé à l'égard duquel il n'a aucune crainte fondée d'être persécuté.

[20] Ce principe découle d'une longue suite de décisions commençant par les arrêts rendus par notre Cour dans les affaires Canada (Procureur général) c. Ward, 1990 CanLII 13041 (CAF), [1990] 2 C.F. 667 (C.A.), et Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Akl (1990), 140 N.R. 323 (C.A.F.), dans lesquels il a été jugé que, si un demandeur d'asile possède la citoyenneté de plusieurs pays, il doit démontrer qu'il a raison de craindre d'être persécuté dans chacun des pays dont il a la citoyenneté avant de pouvoir demander l'asile dans un pays dont il n'est pas un ressortissant. Notre décision dans l'affaire Ward a été confirmée par la Cour suprême du Canada (au paragraphe 12 des présents motifs) et ce principe a finalement été consacré par la Loi, à l'article 96, qui parle de « tout pays dont elle a la nationalité ».

[22] Ce principe a été consacré par l’article 96 de la LIPR qui traite de « tout pays dont elle a la nationalité » (Williams au para 20). Les demandeurs n’ont pas fourni de preuve afin de démontrer que les demandeurs mineurs feront face à des risques aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR aux États-Unis, leur pays de citoyenneté.

[23] Le demandeur principal note qu’il amènerait les défenderesses associées avec lui au Mali. Même en présumant que ceci est vrai, le défendeur soutient qu’il n’en demeure pas moins qu’elles ne peuvent se voir accorder le statut de réfugié ou de personne à protéger parce qu’elles n’ont pas démontré de risques aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR dans leur pays de citoyenneté, les États-Unis. Le défendeur avance, avec raison, que le seul risque auquel les demanderesses associées peuvent prétendre aux États-Unis est la séparation de la famille. Comme l’a soulevé la SAR avec raison, ceci n’est pas un motif sur lequel la SAR peut « fonder une décision pour octroyer à une personne demandant l’asile la qualité de réfugié au sens de la Convention, ou celle de personne à protéger au titre de l’article 97(1) de la LIPR » (Nazari aux para 17-21; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Ali Khan, 2005 CF 398 au para 11).

[24] Il se peut que les membres d’une famille qui présente une demande d’asile ne soient pas tous accordé le statut de réfugiés puisque « selon la jurisprudence, la définition de réfugié au sens de la Convention ne fait intervenir aucune notion d’unité de la famille » (Dawlatly c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 7952 (CF) au para 15 [Dawlatly]). Les paragraphes 13 à 16 de Dawlatly qui commentent l’arrêt Ward sont particulièrement pertinents en l’espèce :

[13] Selon le principe établi dans l"arrêt Ward, le demandeur d"asile doit établir qu"il craint avec raison d"être persécuté dans chacun des pays dont il a la nationalité avant de pouvoir obtenir le statut de réfugié au Canada. Le raisonnement qui sous-tend ce principe est que si le demandeur d"asile peut se réclamer de la protection de son pays de nationalité, il n"a pas le droit de se réclamer de celle d"un autre État. Comme l"a dit le juge La Forest dans l"arrêt Ward :

En examinant la revendication d"un réfugié qui bénéficie de la nationalité de plus d"un pays, la Commission doit se demander si le demandeur ne peut ou ne veut se réclamer de la protection de chaque pays dont il a la nationalité. [...] [L]a protection internationale des réfugiés est destinée à servir de mesure "auxiliaire" qui n"entre en jeu qu"en l"absence d"appui national. Lorsqu"il est possible de l"obtenir, la protection de l"État d"origine est la seule solution qui s"offre à un demandeur.

[14] Il s"ensuit que lorsque la Commission a déterminé que le revendicateur ne serait pas persécuté dans l"un ou l"autre des pays dont il a la nationalité, elle n"est pas tenue d"examiner les autres prétentions de ce dernier. En conséquence, compte tenu de l"arrêt Ward, je conclus que la Commission n"a pas commis d"erreur en l"espèce.

[15] Cependant, je fais remarquer que cet arrêt n"envisage pas la situation difficile qui se pose lorsque le revendicateur appartient également à la catégorie de la famille. Comme je l"ai déjà dit, les conséquences du refus d"accorder le statut de réfugié aux personnes à charge du demandeur principal semblent graves à première vue. Toutefois, selon la jurisprudence, la définition de réfugié au sens de la Convention ne fait intervenir aucune notion d"unité de la famille4, notre Cour ayant choisi d"interpréter la définition de façon restrictive.

[16] Cependant, la Loi sur l"immigration prévoit heureusement d"autres moyens permettant d"accorder le statut de résident permanent aux personnes à charge d"un réfugié au sens de la Convention. Par exemple, le paragraphe 46.04 prévoit :

46.04(1) Any person who is determined by the Refugee Division to be a Convention refugee may, within the prescribed period, apply to an immigration officer for landing of that person and any dependant of that person ... "My emphasis >

46.04(1) La personne à qui le statut de réfugié au sens de la Convention est reconnu par la section du statut peut, dans le délai réglementaire, demander le droit d'établissement à un agent d'immigration pour elle-même et les personnes à sa charge ... "Je souligne >

[25] La décision de la SAR quant à l’analyse des risques auxquels les demanderesses associées feront face était donc raisonnable. Comme le défendeur l’indique, l’épouse du demandeur principal, laquelle s’est faite reconnue réfugiée ou personne à protéger, pourra inclure les membres de sa famille dans sa demande de résidence permanente le moment venu (Dawlatly au para 16; Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 au paragraphe 176(1); LIPR au paragraphe 46.04(1)).

VII. Conclusion

[26] Je ne trouve rien de déraisonnable dans l’analyse de la SAR et dans son évaluation de la preuve au dossier. Les arguments des demandeurs invitent la Cour à substituer son opinion à celle du décideur administratif, ce qui n’est pas le rôle de la Cour en contrôle judiciaire. Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[27] Les parties ne proposent aucune question grave de portée générale à certifier au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-10770-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Ekaterina Tsimberis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-10770-22

 

INTITULÉ :

BOURAMA SIRE KOUREKAMA, KADIATOU BOURAMA KOUREKAMA, HENATY FATOUMATA KOUREKAMA c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 juillet 2024

 

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE TSIMBERIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 janvier 2025

 

COMPARUTIONS :

Christian Ndjock

 

pour le demandeurS

 

Suzon Létourneau

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

CHRISTIAN NDJOCK

Montréal (Québec)

 

pour le demandeurS

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Montréal (Québec)

pour le défendeur

 

 

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