Dossier : IMM-15819-23
Référence : 2025 CF 165
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 27 janvier 2025
En présence de monsieur le juge Manson
ENTRE : |
DAMION DERESCIO WILSON |
demandeur |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Introduction
[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent principal (l’agent) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) a rejeté la demande du demandeur en vue d’être dispensé, pour des considérations d’ordre humanitaire, des exigences du processus de demande de résidence permanente au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).
[2] Pour les motifs exposés ci-après, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
II. Contexte
[3] Le demandeur, M. Damion Derescio Wilson, est un citoyen de la Jamaïque âgé de 43 ans. Il est entré au Canada le 5 mai 2016 pour rendre visite à sa famille. Il a présenté une demande de rétablissement de son statut et de prorogation de son séjour, après avoir dépassé la durée de séjour autorisée à deux reprises, ce qui lui permettait de demeurer au Canada jusqu’en juin 2018. Le demandeur est sans statut depuis 2018.
[4] En août 2020, le demandeur a fait une chute qui lui a causé une lésion médullaire incomplète. Le demandeur a subi une intervention chirurgicale et a suivi un programme de réadaptation. Il a obtenu son congé de l’hôpital en décembre 2020 et a commencé des séances de physiothérapie en mars 2021. Le demandeur reçoit 100 $ toutes les deux semaines de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (la CSPAAT
).
[5] La sœur, la tante et la cousine du demandeur sont au Canada. La petite amie du demandeur et les deux fils de cette dernière sont en Jamaïque. Le demandeur les a soutenus financièrement pendant quelques années, alors que sa petite amie était en prison pour trafic de drogue.
[6] Le 6 juillet 2022, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.
III. Décision
[7] Dans une lettre du 27 novembre 2023, l’agent a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire qu’avait présentée le demandeur.
[8] L’agent a examiné les antécédents du demandeur en matière d’immigration et les considérations d’ordre humanitaire soulevées, notamment les conditions défavorables dans le pays, son établissement au Canada et sa blessure subie à la suite d’une chute, et il a conclu que, selon son appréciation globale des facteurs, une dispense pour considérations d’ordre humanitaire n’était pas justifiée.
[9] En ce qui concerne les difficultés, l’agent a tenu compte des observations et de la preuve présentées par le demandeur à l’égard de toutes les difficultés auxquelles il serait, selon lui, confronté s’il retournait en Jamaïque, notamment : la discrimination à l’endroit des personnes handicapées, la perte de l’accès au soutien médical offert par la CSPAAT, la stigmatisation associée à son expulsion vers la Jamaïque, la criminalité et les répercussions socioéconomiques découlant de la pandémie de COVID-19. L’agent a conclu que, compte tenu des éléments de preuve dont il disposait, chacune des difficultés alléguées était soit peu susceptible de survenir selon la prépondérance des probabilités, soit peu probante. Même si l’agent a fait observer que le demandeur éprouverait certaines difficultés à son retour en Jamaïque, il a conclu que le demandeur était établi dans son pays d’origine avant son départ et qu’il y avait peu d’éléments de preuve démontrant que les personnes qui l’avaient aidé financièrement et émotionnellement au Canada ne seraient pas disposées à continuer à l’aider s’il retournait en Jamaïque.
[10] L’agent a tenu compte de la blessure du demandeur, des soutiens sociaux et familiaux susceptibles de lui être offerts, de même que des possibilités d’emploi qui s’offraient à lui. L’agent a fait remarquer que le demandeur n’avait pas présenté de preuve provenant des autorités compétentes en matière de santé confirmant qu’un traitement acceptable n’était pas offert en Jamaïque. Il a également relevé que la preuve, bien que limitée, permettait d’établir que le demandeur avait des liens en Jamaïque et qu’il aurait accès à ces ressources ainsi qu’à d’autres formes de soutien familial et social dans son pays d’origine. De plus, la preuve ne permettait pas de conclure que le demandeur ne serait pas en mesure d’obtenir un emploi en Jamaïque.
[11] En ce qui concerne l’établissement du demandeur au Canada, l’agent a accordé un poids favorable aux liens familiaux démontrés par le demandeur et aux éléments de preuve concernant ses amitiés, mais a accordé un poids défavorable à l’absence d’éléments de preuve démontrant comment il avait subvenu à ses besoins financiers, soulignant l’absence de déclarations de revenus, de relevés bancaires et de factures. L’agent a conclu que l’établissement du demandeur au Canada était [TRADUCTION] « assez modeste »
et a accordé peu de poids à ce facteur.
[12] L’agent a accordé un poids défavorable aux démarches du demandeur visant à prolonger son visa de visiteur sans quitter le Canada, de même qu’à sa déclaration selon laquelle il avait travaillé au Canada sans y être autorisé.
[13] Enfin, l’agent a également examiné l’intérêt supérieur des enfants de sa petite amie; il a souligné que les enfants résident en Jamaïque et que rien n’indique qu’ils seraient lésés si le demandeur n’était plus au Canada.
[14] L’agent a également rejeté la demande de visa de résident temporaire présentée par le demandeur au titre du paragraphe 24(1) de la LIPR. L’agent a conclu que, même si le demandeur semblait admissible, celui-ci n’avait pas démontré que son séjour serait temporaire et qu’il quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.
IV. Question en litige
[15] Le présent contrôle judiciaire soulève les trois questions suivantes :
-
Le nouvel élément de preuve est-il admissible?
-
La décision de l’agent est-elle raisonnable?
-
Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?
V. Analyse
[16] La norme de contrôle applicable aux conclusions de fond de l’agent est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 25). La norme de contrôle qui s’applique lorsqu’il est question d’équité procédurale est celle de la décision correcte ou une norme ayant la même teneur (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 34-35 et 54-55, qui renvoie à Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79).
A. Le nouvel élément de preuve
[17] Le demandeur a inclus dans son dossier de demande une politique de la CSPAAT datant de 2004, qui ne semble pas avoir été présentée à l’agent et qui ne figure pas dans le dossier certifié du tribunal. Le demandeur fait valoir que ce nouvel élément de preuve devrait être admis puisqu’il fournit [traduction] « des informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire »
.
[18] À l’audience, l’avocat du demandeur a concédé que cet élément de preuve ne serait pas admissible et a retiré ses observations sur ce point. Cette démarche était avisée puisque l’élément de preuve en question porte sur le fond de l’affaire et ne relève d’aucune exception à la règle générale selon laquelle seuls les documents soumis au décideur initial peuvent être pris en considération au stade du contrôle judiciaire (Rafieyan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 727 au para 20).
B. La décision est raisonnable.
[19] Le demandeur n’explique pas en quoi la décision de l’agent est déraisonnable; il énumère simplement les éléments de preuve qui appuient les conclusions qu’il aurait préféré que l’agent tire, et il soutient que l’agent ne disposait d’aucun élément de preuve pour étayer certaines de ses [TRADUCTION] « conclusions/conjectures »
. À l’audience, l’avocat du demandeur a fait valoir que l’agent avait considéré que la preuve n’était pas crédible. J’estime que ce n’était pas le cas. L’agent a jugé que la preuve du demandeur était crédible et en a tenu compte dans sa décision, mais il a conclu qu’elle ne permettait pas d’étayer, selon la prépondérance des probabilités, les conclusions que le demandeur aurait souhaité que l’agent tire.
[20] Le demandeur n’a pas traité du raisonnement de l’agent ni de la manière dont celui-ci a examiné la preuve. Il ressort de la décision que l’agent a tiré ses conclusions après avoir examiné et apprécié tous les éléments de preuve présentés par le demandeur. Les arguments du demandeur à cet égard ne sont tout simplement que l’expression de son opposition aux conclusions de l’agent. Le demandeur n’a pas démontré que l’évaluation de l’agent manquait de justification, de transparence ou d’intelligibilité.
[21] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que l’agent ne s’est pas livré à des conjectures. Il était raisonnable de la part de l’agent de conclure, compte tenu de la preuve, que le demandeur aurait accès aux services de soutien offerts par la CSPAAT, aux services de santé et de soutien offerts en Jamaïque, de même qu’au soutien de son réseau au Canada. De plus, l’agent a fourni des explications détaillées quant au raisonnement l’ayant conduit à tirer chacune de ces conclusions. Le demandeur n’a pas traité des motifs de l’agent ou de son analyse de manière raisonnable; il ne suffit pas d’affirmer qu’il n’y avait [TRADUCTION] « aucun élément de preuve ».
[22] Il incombe au demandeur de présenter des éléments de preuve pertinents et des observations appropriées qui permettraient à l’agent d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’accorder une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire (Zlotosz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 724 au para 31). L’absence de preuve concrète ne permet pas de dire que l’agent s’est livré à des conjectures (Diaz Pena c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 369 au para 37).
[23] Bien que je sois sensible à la situation du demandeur découlant de sa blessure, il n’appartient pas à la Cour de substituer son pouvoir discrétionnaire à celui de l’agent (Lewis-Asonye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1349 au para 47). Je reconnais, tout comme l’agent, que le demandeur fera face à certaines difficultés s’il retourne en Jamaïque. Toutefois, l’agent a conclu que ces difficultés ne contrebalançaient pas les facteurs défavorables qui pesaient contre le demandeur. Étant donné la nature hautement discrétionnaire de la dispense pour considérations d’ordre humanitaire, il convient de faire preuve d’une retenue considérable à l’égard des conclusions de l’agent (Miyir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 73 au para 12).
[24] Le demandeur n’a pas démontré en quoi la décision de l’agent est déraisonnable, à savoir qu’elle ne fait pas état d’une analyse rationnelle ou que la conclusion tirée ne peut prendre sa source dans l’analyse effectuée (Vavilov, au para 103).
C. Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.
[25] L’agent n’a pas manqué à l’équité procédurale en n’offrant pas au demandeur, au moyen d’une entrevue, [TRADUCTION] « la possibilité de dissiper les réserves concernant l’affaire ».
L’agent a souligné à juste titre que, dans le contexte des demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire, la tenue d’une audience ou d’une entrevue n’est pas une exigence absolue du droit de se faire entendre (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 RCS 817 au para 34). Comme l’agent n’avait aucune réserve quant à la crédibilité des observations ou du témoignage du demandeur, il a eu raison de conclure qu’aucune audience n’était requise (Duka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1071 aux para 11-13).
VI. Conclusion
[26] La décision de l’agent est raisonnable et le processus décisionnel suivi est équitable sur le plan procédural. La demande de contrôle judiciaire en l’espèce sera rejetée.
JUGEMENT dans le dossier IMM-15819-23
LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :
-
La demande de contrôle judiciaire en l’espèce est rejetée.
-
Il n’y a aucune question aux fins de certification.
« Michael D. Manson »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM-15819-23 |
INTITULÉ : |
DAMION DERESCIO WILSON c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
LIEU DE L’AUDIENCE : |
TORONTO (ONTARIO) |
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 23 JANVIER 2025 |
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE MANSON |
DATE DES MOTIFS : |
LE 27 JANVIER 2025 |
COMPARUTIONS :
ROGER ROWE |
POUR LE DEMANDEUR |
Giancarlo Volpe |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Law Offices of Roger Rowe Avocats Toronto (Ontario) |
POUR LE DEMANDEUR |
Procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |