Date : 20250127
Dossier : IMM-10770-23
Référence : 2025 CF 164
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 27 janvier 2025
En présence de monsieur le juge Gleeson
ENTRE : |
JUAN MANUEL TREJO MARIN |
demandeur |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] Le demandeur, un citoyen du Mexique, affirme qu’il craint d’être persécuté dans ce pays par le Cártel de Jalisco Nueva Generación [le CJNG]. La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté la demande d’asile du demandeur après avoir conclu que celui-ci n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, car il disposait d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] valable à Culiacán.
[2] Dans une décision rendue le 31 juillet 2023, la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a rejeté l’appel du demandeur et a confirmé la décision de la SPR. La SAR a rejeté certains des nouveaux éléments de preuve que le demandeur cherchait à lui présenter et elle a jugé que la question déterminante était l’existence d’une PRI.
[3] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la SAR au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].
[4] Je suis convaincu que la SAR a raisonnablement conclu que les nouveaux éléments de preuve en question n’étaient pas admissibles et qu’une audience n’était pas nécessaire. Le demandeur n’a pas démontré le caractère déraisonnable de l’analyse de la PRI faite par la SAR ni des conclusions tirées par cette dernière. Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée.
II. Contexte
[5] Le demandeur travaillait pour l’entreprise familiale avec ses frères et sœurs à Hidalgo, dans l’État du Michoacán. Il affirme que l’entreprise était victime d’extorsion de la part de cartels mexicains, dont le CJNG. Les manœuvres d’extorsion ont entraîné la fermeture de l’entreprise familiale, et le frère du demandeur, qui a tenu tête au cartel, a été enlevé. L’enlèvement a été signalé aux autorités, mais aucune mesure n’a été prise. L’entreprise a rouvert ses portes, mais le CJNG a de nouveau exigé des paiements, qui ne pouvaient pas être faits. L’entreprise a fermé une fois de plus, et les frères et sœurs sont allés vivre à d’autres endroits. Les appels du cartel ont alors cessé. Le demandeur a quitté le Mexique en avril 2022 pour venir au Canada, où il a présenté une demande d’asile.
[6] La SPR a estimé que l’exposé circonstancié du demandeur était crédible, mais que la demande d’asile devait être rejetée parce que le demandeur disposait d’une PRI à Culiacán. Elle a jugé que la preuve ne suffisait pas à démontrer que le cartel nourrissait un intérêt continu envers le demandeur qui le pousserait à chercher celui-ci à l’endroit proposé comme PRI, d’autant plus que le demandeur avait admis, dans l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (le formulaire FDA) et lors de son témoignage devant la SPR, que personne ne le cherchait activement.
III. Décision faisant l’objet du contrôle
A. Nouveaux éléments de preuve
[7] Devant la SAR, le demandeur a cherché à faire admettre de nouveaux éléments de preuve.
[8] La SAR a d’abord examiné les nouveaux éléments de preuve présentés lors de la mise en état de l’appel. Il s’agissait de neuf articles de presse sur la situation au Mexique. Les articles étaient postérieurs à la décision de la SPR. La SAR a conclu que ces éléments de preuve respectaient les conditions énoncées au paragraphe 110(4) de la LIPR et les critères relatifs à la nouveauté, à la pertinence et à la crédibilité. Elle a admis cette première tranche de nouveaux éléments de preuve.
[9] Après la mise en état de l’appel, le demandeur a cherché à faire admettre d’autres nouveaux éléments de preuve au titre de l’article 29 des Règles de la Section d’appel des réfugiés, SOR/2012-257 [les Règles de la SAR]. Cette tranche d’éléments de preuve comprenait quatre documents : un affidavit souscrit par le demandeur, une lettre de la fille du demandeur, le formulaire FDA de la fille du demandeur et les observations présentées par le demandeur à la SAR pour solliciter l’admission des nouveaux éléments de preuve. La SAR a rejeté ces éléments de preuve, estimant qu’ils ne respectaient pas les conditions énoncées à l’article 29 des Règles de la SAR puisqu’ils auraient pu, moyennant des efforts raisonnables, être présentés avec le dossier d’appel. De plus, même si elle avait été disposée à admettre ces éléments au titre de l’article 29, la SAR a conclu qu’elle les aurait tout de même jugés inadmissibles au motif qu’ils n’étaient pas crédibles.
[10] Comme elle n’avait admis aucun nouvel élément de preuve qui soulevait une question importante quant à la crédibilité du demandeur, la SAR a jugé que rien ne justifiait la tenue d’une audience. Présumant que les allégations de risque formulées devant la SPR étaient vraies, elle a procédé à une analyse de la PRI.
[11] La SAR a examiné la PRI potentielle à Culiacán. Elle a énoncé les deux volets du critère relatif à la PRI et elle a expliqué les raisons pour lesquelles la SPR avait conclu que Culiacán respectait le premier volet du critère. La SAR a déclaré qu’elle avait examiné l’ensemble de la preuve avant de se pencher sur les erreurs alléguées dans l’analyse de la SPR.
[12] La SAR a reconnu que le CJNG a les moyens de trouver qui il veut au Mexique et de lui porter préjudice, mais elle a fait remarquer que la question déterminante, au titre du premier volet du critère relatif à la PRI, était celle de la volonté. Elle a estimé qu’aucun élément de preuve fiable et crédible ne montrait l’existence d’une volonté continue de trouver le demandeur. Les appels du cartel avaient cessé après que le demandeur eut fermé l’entreprise et déménagé, et aucun élément de preuve crédible ne montrait que le cartel était entré en contact avec un des membres de la famille ou qu’il avait porté préjudice à l’un d’eux, ce qui aurait indiqué une volonté continue de trouver le demandeur.
[13] La SAR a admis que, dans un pays où des actes de violence sont commis par les cartels en toute impunité, la volonté n’a pas besoin d’être importante pour donner lieu à un risque au titre du premier volet du critère relatif à la PRI, mais elle a noté l’absence d’éléments de preuve objectifs indiquant que le CJNG a l’habitude de traquer des personnes dans le seul but d’essayer de continuer à leur extorquer de l’argent ailleurs. La SAR a estimé que le silence de la preuve quant au mode opératoire était significatif étant donné l’absence d’autres éléments de preuve sur la question de la volonté. En outre, la SAR a rejeté l’allégation selon laquelle la conclusion quant au manque de volonté tirée par la SPR équivalait à une conclusion erronée d’invraisemblance. Elle a aussi rejeté l’allégation selon laquelle la lettre d’un voisin qui faisait mention de la présence de personnes suspectes à l’extérieur de l’ancienne maison du demandeur était trop vague pour étayer l’affirmation voulant que le demandeur était surveillé ou que les personnes en question avaient quelque chose à voir avec l’agent de persécution. La SAR a jugé que l’argument du demandeur selon lequel il craignait que les gens à l’endroit proposé comme PRI cherchent à obtenir des renseignements sur son passé n’était pas fondé sur la preuve objective et qu’il était hypothétique. Elle a donc conclu que le premier volet du critère relatif à la PRI était respecté.
[14] En ce qui concerne le deuxième volet du critère, la SAR a reconnu l’important taux de criminalité à Culiacán et l’existence d’une mise en garde du gouvernement canadien avertissant les voyageurs d’éviter tout voyage non essentiel dans la région. Elle a reconnu que la preuve démontrait que Culiacán est aux prises avec un grave problème de criminalité, mais elle a noté que la ville et ses institutions fonctionnent et que les citoyens continuent de mener leur vie. Elle a estimé que rien dans la preuve n’indiquait que le demandeur serait systématiquement privé de la capacité de trouver un emploi ou un logement convenable, ou qu’il serait incapable de contribuer à la société ou d’exercer ses droits démocratiques. Elle a conclu qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur, compte tenu de toutes les circonstances, de chercher refuge dans l’endroit proposé comme PRI.
IV. Questions en litige et norme de contrôle applicable
[15] Le demandeur soulève les questions suivantes :
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La SAR a-t-elle manqué à l’équité procédurale en n’admettant pas les nouveaux éléments de preuve et en formulant diverses conclusions défavorables en matière de crédibilité sans l’aviser et sans tenir d’audience?
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La SAR a-t-elle commis des erreurs dans son analyse de la PRI, à savoir :
i. A-t-elle conclu de manière déraisonnable que la preuve ne suffisait pas à démontrer que le CJNG avait la volonté de poursuivre le demandeur à Culiacán?
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A-t-elle conclu de manière déraisonnable que Culiacán constituait une PRI raisonnable compte tenu de toutes les circonstances?
[16] Pour faire valoir que la SAR a commis une erreur en n’admettant pas les nouveaux éléments de preuve, le demandeur avance une série d’arguments dont aucun ne soulève de question d’équité procédurale. Il soutient plutôt que la façon dont la SAR a traité la preuve était déraisonnable et il formule diverses observations à l’appui de sa position.
[17] L’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] nous enseigne que la norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer lors du contrôle du traitement fait par la SAR de nouveaux éléments de preuve, de l’appréciation globale de la preuve effectuée par la SAR et des conclusions tirées par celle-ci quant à la PRI (au para 10). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable, qui constitue un examen rigoureux, a pour point de départ la retenue judiciaire et le respect du rôle distinct des décideurs administratifs.
[18] Pour obtenir gain de cause dans le cadre d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la partie qui conteste la décision doit convaincre la Cour que la décision souffre de lacunes graves à un point tel qu’elle ne satisfait pas aux exigences de justification, de transparence et d’intelligibilité au regard des contraintes juridiques et factuelles. Le décideur n’est pas tenu de répondre à toutes les questions que pourrait soulever le dossier, mais l’omission d’examiner les questions ou les préoccupations centrales pourrait compromettre le caractère raisonnable de la décision. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires; la cour de révision doit être convaincue que toute lacune ou insuffisance qu’invoque la partie qui conteste la décision est suffisante pour rendre la décision déraisonnable (Vavilov, aux para 99-100 et 127-128).
V. Analyse
A. La SAR n’a pas agi de manière déraisonnable lorsqu’elle a conclu que les nouveaux éléments de preuve ne pouvaient pas être admis
[19] L’article 29 des Règles de la SAR est ainsi libellé :
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[20] Le paragraphe 110(4) de la LIPR prévoit que de nouveaux éléments de preuve peuvent être admis devant la SAR 1) s’ils sont survenus depuis le rejet de la demande d’asile; 2) s’ils n’étaient alors pas normalement accessibles; ou 3) s’ils n’auraient pas normalement été présentés, dans les circonstances, au moment du rejet de la demande d’asile. Si la SAR est convaincue que les conditions énoncées au paragraphe 110(4) sont respectées, elle doit ensuite se demander si les nouveaux éléments de preuve sont crédibles, pertinents et substantiels avant de les admettre (Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 aux para 13-15; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 96 [Singh] aux para 38-49).
[21] Le demandeur fait valoir que la décision de la SAR d’apprécier les nouveaux éléments de preuve et leur crédibilité avant de statuer sur leur admissibilité est inintelligible. Il soutient que les nouveaux éléments de preuve étaient directement liés à la question de la volonté dans le cadre du premier volet du critère relatif à la PRI et qu’ils concernaient un incident particulier rapporté par sa fille. Selon lui, la SAR a commis une erreur en se concentrant sur l’explication qu’il avait donnée quant au fait qu’il n’avait pas produit les éléments de preuve plus tôt et en n’examinant pas les éléments de preuve en question.
[22] Je ne suis pas de cet avis. La SAR a expliqué clairement que les nouveaux éléments de preuve n’étaient pas admis parce que le demandeur n’avait pas expliqué de façon raisonnable pourquoi il ne les avait pas produits devant la SPR. Pour expliquer sa conclusion, la SAR a noté ce qui suit :
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Le demandeur savait manifestement que sa fille avait prétendument été jointe par le CJNG, qui cherchait à savoir où il se trouvait.
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Il a caché ce renseignement à sa conseil et il a mentionné, dans son exposé circonstancié écrit, que personne ne le recherchait activement.
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Il a déclaré devant la SPR que :
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son exposé circonstancié écrit était complet et véridique;
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personne ne le recherchait activement.
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Il a d’emblée donné de nombreux détails concernant les membres de sa famille dans son exposé circonstancié et lors de son témoignage, minant ainsi son explication selon laquelle il ne lui revenait pas de mentionner la menace faite par le CJNG à sa fille.
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Il n’a pas communiqué l’information au moment de la mise en état de son appel à la SAR.
[23] S’appuyant sur ce qui précède, la SAR a jugé déraisonnable l’explication du demandeur selon laquelle il avait caché des renseignements connus et directement liés à sa demande d’asile et avait affirmé activement le contraire parce qu’il ne lui revenait pas de communiquer ces renseignements. La SAR a reconnu que certaines circonstances peuvent faire en sorte qu’un demandeur soit réticent à communiquer des renseignements personnels (p. ex. s’il s’agit de renseignements médicaux ou de circonstances qui pourraient être considérées comme honteuses d’un point de vue culturel), mais elle a conclu qu’aucun élément de preuve convaincant ne démontrait l’existence de telles circonstances dans le cas du demandeur.
[24] Le demandeur soutient que les conclusions de la SAR équivalent à des conclusions erronées d’invraisemblance. Encore une fois, je ne suis pas de cet avis. Dans son examen des conditions énoncées au paragraphe 110(4) de la LIPR, la SAR s’est appuyée sur les incohérences relevées dans l’explication du demandeur pour conclure que les conditions n’étaient pas respectées.
[25] Le demandeur conteste l’autre évaluation faite par la SAR de la preuve réelle et les problèmes en matière de crédibilité relevés au cours de cette évaluation. En outre, il soutient que la SAR s’est méprise sur le statut ou la situation de ses filles. Aucun de ces points ne mine le caractère raisonnable de la conclusion selon laquelle les conditions énoncées au paragraphe 110(4) de la LIPR n’étaient pas respectées.
[26] L’analyse faite par la SAR est transparente et intelligible. Ayant raisonnablement conclu que les conditions énoncées au paragraphe 110(4) de la LIPR n’étaient pas respectées, la SAR n’avait pas le pouvoir discrétionnaire d’admettre les éléments de preuve (Singh, aux para 34-35; Dugarte de Lopez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 707 au para 17; Ifogah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1139 aux para 44-46).
B. La SAR n’a pas commis d’erreur en rejetant la demande d’audience
[27] Le demandeur fait valoir que la SAR aurait dû lui accorder une audience ou, à titre subsidiaire, lui faire part de ses doutes en matière de crédibilité. Il soutient que les conclusions de la SAR concernant les nouveaux éléments de preuve constituent, en fait, de nouvelles conclusions en matière de crédibilité.
[28] Une fois de plus, je ne suis pas de cet avis. Comme je le mentionne plus haut, la conclusion déterminante de la SAR était que les nouveaux éléments de preuve n’étaient pas admissibles parce que les conditions énoncées au paragraphe 110(4) de la LIPR n’étaient pas respectées. Comme la preuve documentaire n’avait pas été admise, il n’existait aucune question sérieuse de crédibilité, et la SAR n’avait donc pas le pouvoir discrétionnaire de tenir une audience en vertu du paragraphe 110(6) de la LIPR.
C. L’analyse de la PRI faite par la SAR est raisonnable
(1) Premier volet du critère relatif à la PRI – L’analyse de la question de la volonté faite par la SAR est raisonnable
[29] Le demandeur soutient que la SAR s’est méprise sur la volonté requise pour le traquer jusqu’à l’endroit proposé comme PRI. La preuve documentaire révèle la présence du CJNG partout au pays. De plus, les membres du CJNG n’auraient pas nécessairement besoin de se rendre à l’endroit proposé comme PRI pour s’en prendre au demandeur. Ils pourraient facilement embaucher quelqu’un à faible coût pour faire le travail. Comme les coûts à engager pour traquer le demandeur et lui porter préjudice ne seraient pas élevés, la volonté requise pour le faire ne le serait pas non plus. La conclusion de la SAR selon laquelle les cartels ne déploient pas d’efforts pour traquer d’anciennes cibles de manœuvres d’extorsion ne concordait pas avec la conclusion selon laquelle une faible volonté suffirait à poser un risque pour le demandeur.
[30] Contrairement aux observations du demandeur, la SAR a traité directement de son argument selon lequel il ne coûterait pas cher de le traquer :
[35] Il n’y a tout simplement pas d’éléments de preuve fiables et crédibles qui montrent l’existence d’une volonté continue. […] Dans la présente affaire, il n’y a aucun élément de preuve crédible qui montre que le cartel est déjà entré en contact avec l’un des membres de la famille ou a porté préjudice à l’un d’eux afin de retrouver qui que ce soit après que toute la famille a renoncé à l’entreprise et déménagé. Il ne s’agit certainement pas d’une conclusion déterminante, mais elle est pertinente et mérite d’être examinée.
[36] L’appelant avance un excellent argument en faisant valoir que, dans un pays comme le Mexique où, selon la preuve objective, il ne coûte pas cher d’embaucher un tueur, et où, toujours selon la preuve, les meurtres commis par les cartels sont souvent perpétrés en toute impunité, une faible volonté suffirait à donner naissance à une menace réelle. Je souscris à la logique qui sous-tend cet argument.
[37] Toutefois, je dois aussi tenir compte du fait qu’il n’est mentionné nulle part dans la preuve très détaillée que le CJNG ou d’autres cartels semblables déploient des efforts pour retrouver des personnes ordinaires auxquelles ils ont déjà tenté d’extorquer de l’argent lorsque les personnes en question décident simplement de fermer leur entreprise et de s’en aller. Il y a des éléments de preuve qui montrent clairement que les gens qui refusent de verser l’argent exigé et qui tentent de rester ou de continuer comme si de rien n’était subissent un préjudice. Je rappelle toutefois que le Mexique, malgré tous ses problèmes, est toujours une démocratie ouverte et que des milliers de personnes s’y déplacent chaque jour pour le travail, la famille ou d’autres raisons personnelles. Il y a régulièrement des entreprises qui ouvrent, qui ferment et qui changent d’endroit. Il n’y a tout simplement rien dans la preuve qui montre que le CJNG ou d’autres cartels semblables ont l’habitude de traquer des gens qui ferment leur entreprise et s’en vont afin de continuer de chercher à leur extorquer de l’argent ailleurs. La Cour fédérale a récemment conclu [dans la décision Escobedo Cerda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 763] qu’il avait été raisonnable de ma part d’interpréter le silence de la preuve quant à ce type de mode opératoire comme étant significatif vu l’absence d’autres éléments de preuve plus probants sur la question de la volonté. La situation dans la présente affaire est extrêmement semblable à celle que la Cour fédérale a examinée.
[31] Là encore, l’analyse de la SAR est transparente et intelligible, et elle est suffisamment étayée par la preuve. La SAR a examiné et pris en compte la preuve objective sur la situation dans le pays. Elle ne conteste pas le fait que le CJNG a les moyens de traquer le demandeur, mais il est, selon elle, plus probable qu’improbable que le CJNG n’ait pas la volonté continue de le faire. Pour parvenir à cette conclusion, la SAR s’est appuyée sur l’absence de preuve montrant que le cartel déploierait des efforts pour retrouver des personnes ordinaires auxquelles il a déjà tenté d’extorquer de l’argent. Cela répondait à l’argument du demandeur selon lequel l’appréciation de la volonté doit tenir compte du fait qu’il ne coûterait pas cher au cartel de le traquer. La SAR n’a pas commis d’erreur dans son examen du premier volet du critère relatif à la PRI.
(2) Deuxième volet du critère relatif à la PRI – La SAR n’a pas commis d’erreur en concluant qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur de s’installer dans l’endroit proposé comme PRI
[32] Le demandeur s’appuie sur la décision Vazquez Cruz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 684 [Vazquez Cruz], pour soutenir que le traitement fait par la SAR du deuxième volet du critère était déraisonnable. Il fait valoir que la SAR n’a pas tenu compte des éléments de preuve documentaire faisant état des actes de violence qui ont récemment secoué Culiacán et démontrant que la violence endémique a toujours fait partie de la vie quotidienne des habitants de la ville.
[33] Dans la décision Vazquez Cruz, le juge John Norris a effectivement conclu que le traitement fait par la SAR du deuxième volet du critère relatif à la PRI était déraisonnable :
[34] Comme je l’ai mentionné plus haut, la SAR a reconnu que Culiacán est l’une des municipalités les plus dangereuses du Mexique. Elle a toutefois conclu que la « crainte [des demandeurs] d’être victimes d’un crime à Culiacán est un problème répandu auquel fait face la majorité des habitants de ce grand centre urbain et, par conséquent, qu’il s’agit d’un risque généralisé. Un risque généralisé auquel sont exposés tous les habitants de Culiacán ne rend pas déraisonnable la PRI. »
[35] À mon avis, la SAR a confondu les premier et deuxième volets du critère relatif à la PRI lorsqu’elle a tiré cette conclusion. Il est vrai que, dans le cadre du premier volet, les demandeurs ne seraient pas en mesure de s’acquitter du fardeau qui leur incombe d’établir qu’ils seraient exposés à un risque au titre de l’article 97 de la LIPR en invoquant tout simplement à quel point c’est dangereux à Culiacán. En effet, il s’agirait d’un risque auquel d’autres personnes originaires de ce pays sont généralement exposées, ce qui, selon le sous-alinéa 97(1)b)(ii), n’est pas suffisant. Toutefois, dans le cadre du deuxième volet du critère relatif à la PRI, la prévalence de crimes violents à Culiacán est certainement pertinente pour établir si la vie ou la sécurité des demandeurs serait compromise s’ils s’y réinstallaient pour éviter le risque auquel ils étaient personnellement exposés à Apizaco. Le fait que la SAR n’ait pas abordé cette question parce qu’elle a confondu les deux volets du critère relatif à la PRI porte atteinte au caractère raisonnable de sa conclusion défavorable au regard du deuxième volet du critère relatif à la PRI et, par conséquent, à son ultime conclusion selon laquelle les demandeurs n’ont pas la qualité de personne à protéger parce qu’ils disposent d’une PRI viable à Culiacán.
[34] Toutefois, contrairement à la décision visée par le contrôle dans la décision Vazquez Cruz, la SAR n’a pas, en l’espèce, confondu les premier et deuxième volets du critère. La SAR soulève plutôt l’absence d’éléments de preuve indiquant que le demandeur serait systématiquement privé de la capacité de trouver un emploi ou un logement convenable, ou qu’il serait incapable de contribuer à la société ou d’exercer ses droits démocratiques.
[35] Dans l’affaire Ortega c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 652, dans laquelle la SAR a soulevé, de manière similaire, l’absence d’éléments de preuve indiquant une quelconque difficulté à trouver un logement ou un emploi à Culiacán, la Cour a conclu que l’analyse faite de la PRI était raisonnable (au para 32). Bien que le demandeur invoque la capture subséquente d’Ovidio Guzman – un membre haut placé du cartel de Sinaloa, présent à Culiacán – comme une circonstance permettant d’établir une distinction, cet argument a été présenté à la SAR, laquelle l’a rejeté. En contrôle judiciaire, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve (Vavilov, au para 125).
[36] Je ne suis pas convaincu que l’analyse de la PRI faite par la SAR est déraisonnable.
VI. Conclusion
[37] Pour les motifs qui précèdent, la demande sera rejetée.
[38] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-10770-23
LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :
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La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
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Aucune question n’est certifiée.
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« Patrick Gleeson » |
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Juge |
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM-10770-23 |
INTITULÉ : |
JUAN MANUEL TREJO MARIN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Audience tenue par vidéoconférence |
DATE DE L’AUDIENCE : |
Le 29 août 2024 |
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE GLEESON |
DATE DES MOTIFS : |
Le 27 JANVIER 2025 |
COMPARUTIONS :
Julie Beauchamp |
Pour le demandeur |
Aneta Bajic |
Pour le défendeur |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Jared Will & Associates Avocats Toronto (Ontario) |
Pour le demandeur |
Procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
Pour le défendeur |