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Date : 20250124


Dossier : IMM-14027-23

Référence : 2025 CF 145

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 24 janvier 2025

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

MASOUMEH AHMADALINEZHAD

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse, une citoyenne iranienne, a demandé un permis d’études pour faire une maîtrise en sciences. Dans sa décision du 2 novembre 2023, un agent d’immigration [l’agent] a déclaré qu’il n’était pas convaincu que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de sa période de séjour autorisée. L’agent a conclu, au vu des renseignements fournis, que les biens et la situation financière de la demanderesse n’étaient pas suffisants pour financer l’objet déclaré du voyage, qu’elle n’avait pas démontré l’existence de liens familiaux importants à l’extérieur du Canada et que l’objet de la visite n’était pas compatible avec un séjour temporaire.

[2] Pour les motifs qui suivent, j’accueillerai la demande et je renverrai l’affaire à un autre agent d’immigration pour nouvelle décision.

[3] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] et elle formule les arguments suivants :

  1. la manière dont l’agent a traité les éléments de preuve et les motifs inadéquats qu’il a donnés rendent la décision déraisonnable;

  2. la conclusion de l’agent selon laquelle l’objet de la visite n’était pas compatible avec un séjour temporaire reposait sur une conclusion défavorable en matière de crédibilité et le fait qu’il n’a pas donné à la demanderesse la possibilité de répondre à ses réserves constitue une atteinte à l’équité procédurale.

[4] Les motifs de l’agent, tels qu’ils sont consignés dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC], indiquent ce qui suit :

[traduction]

J’ai examiné la demande. Dans ma décision, j’ai pris en considération les facteurs suivants. Les documents fournis à l’appui de la situation financière de la demanderesse ne démontrent pas qu’elle disposerait de fonds suffisants. Les relevés bancaires fournis ne reflètent pas d’opérations bancaires attestant d’un historique d’accumulation de fonds et de la disponibilité de ces fonds. Étant donné l’absence de documents satisfaisants indiquant la source et la disponibilité de ces fonds, je ne suis pas convaincu que la demanderesse dispose de fonds suffisants pour le séjour envisagé. Aucun élément de preuve des fonds disponibles associé à des actifs comme un véhicule, des biens locatifs ou des revenus potentiels n’a été pris en compte dans le calcul des fonds disponibles. La demanderesse n’a pas de liens familiaux importants à l’extérieur du Canada. Le but de la visite de la demanderesse au Canada n’est pas compatible avec un séjour temporaire, compte tenu des renseignements fournis dans sa demande. Après avoir soupesé les facteurs à prendre en considération dans le cadre de la présente demande, je ne suis pas convaincu que la demanderesse quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Pour les motifs qui précèdent, je rejette la demande.

[5] La norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer à la décision de l’agent (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 10). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, aux para 85, 102, 105–07). La cour de révision ne doit pas juger les motifs au regard d’une norme de perfection (Vavilov, au para 91). Une décision ne devrait être infirmée que si elle souffre de « lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

[6] Il ressort de l’arrêt Vavilov que les motifs doivent être interprétés en tenant compte du contexte institutionnel dont ils émanent (au para 96). Notre Cour a reconnu que les agents des visas ne sont pas tenus de fournir des motifs détaillés compte tenu des quantités énormes de demandes à trancher, mais les motifs fournis doivent néanmoins être suffisants pour expliquer la décision (Potla c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 646 au para 24, citant Quintero Pacheco c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 347 au para 36; Ogbuchi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 764 aux para 12-13; Omijie c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 878 aux para 22-28). Le caractère succinct des motifs ne diminue en rien l’obligation que les motifs, lorsqu’ils sont considérés dans le contexte du dossier complet, doivent refléter les caractéristiques de transparence, de justification et d’intelligibilité.

[7] Les motifs de l’agent, lorsqu’ils sont examinés au regard de la preuve de la demanderesse, sont loin de respecter la norme énoncée dans l’arrêt Vavilov.

[8] Selon le document intitulé Visa de résident temporaire : Directives du bureau des visas d’Ankara [la liste de contrôle d’Ankara], le demandeur doit joindre à sa demande des relevés de compte bancaire couvrant six mois. La demanderesse n’a pas respecté cette directive, mais elle a fourni une lettre détaillée dans laquelle elle a exposé sa situation financière, la situation financière de ses parents en Iran ainsi que la situation financière de sa sœur et de son beau-frère qui allaient l’héberger au Canada. Dans sa lettre, la demanderesse a indiqué la source des fonds dont elle disposait et elle a fourni une preuve documentaire à cet égard.

[9] Bien que l’agent ait pu conclure que l’omission de la demanderesse de produire des relevés de compte bancaire était fatale, une simple affirmation à cet égard ne suffisait pas en l’espèce. L’agent était tenu, si brièvement soit-il, de tenir compte de la preuve établissant la source des fonds et d’expliquer pourquoi elle ne suffisait pas. En outre, l’agent n’a même pas pris en considération la preuve relative à la situation financière des parents de la demanderesse ou de sa sœur et de son beau-frère au Canada, qui ont tous deux été désignés comme des sources de financement. Qui plus est, la demanderesse a remis à l’agent une lettre de sa sœur dans laquelle celle-ci s’engageait à offrir à la demanderesse une aide générale, notamment de l’aide financière, pendant son séjour au Canada. Tous les documents prévus dans la liste de contrôle d’Ankara lorsqu’un hôte au Canada finance le séjour étaient joints à la demande.

[10] L’omission de l’agent de tenir compte d’éléments de preuve qui étaient directement liés à la question de l’autonomie financière, qui contredisent sans équivoque la déclaration selon laquelle il n’était pas convaincu que la demanderesse disposait de fonds suffisants pour le séjour envisagé, m’amène à conclure que cette preuve n’a pas été prise en compte et à conclure que la décision est inintelligible au regard du dossier.

[11] Pour les mêmes motifs, la conclusion de l’agent selon laquelle la demanderesse [traduction] « n’a pas de liens familiaux importants à l’extérieur du Canada » [non souligné dans l’original] est aussi inintelligible. Les parents de la demanderesse et son partenaire de longue date demeurent en Iran. Dans son plan d’études, la demanderesse a décrit ses liens solides avec ses parents et son partenaire, et a parlé de liens en Iran découlant de la propriété de biens et de sa situation professionnelle. La conclusion de l’agent est incompatible avec toute cette preuve, bien que l’agent reconnaisse l’existence de certains liens familiaux avec l’Iran, disant qu’ils sont peu importants. S’il s’agissait de la seule lacune de la décision, j’aurais pu conclure qu’elle est insuffisante pour justifier une intervention, mais ce n’est pas le cas.

[12] La conclusion de l’agent selon laquelle il n’était pas convaincu que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de son séjour autorisé découle d’un examen déraisonnable des liens familiaux et de la disponibilité de fonds pour financer le séjour de la demanderesse et elle ne peut donc pas être maintenue.

[13] Comme j’ai conclu que la décision est déraisonnable, je n’ai pas besoin d’examiner la question de l’équité.

[14] La demande sera accueillie. Les parties ne proposent pas de question à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER NO IMM-14027-23

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

1. La demande est accueillie.

2. L’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvelle décision.

3. Aucune question n’est certifiée.

 

« Patrick Gleeson »

 

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-14027-23

 

INTITULÉ :

MASOUMEH AHMADALINEZHAD c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATON

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 janvier 2025

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 JANVIER 2025

 

COMPARUTIONS :

Maryam Jamshidian

POUR LA DEMANDERESSE

 

Jake Boughs

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Maryam Jamshidian

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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