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Date : 20250116


Dossier : T-1299-23

Référence : 2025 CF 86

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 janvier 2025

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

BANDE MIAWPUKEK

(aussi connue sous le nom de Première Nation Miawpukek)

demanderesse

et

TRACY HOWSE

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Tracy Howse, la défenderesse, est membre de la Première Nation Miawpukek (la PNM); elle a vécu pratiquement toute sa vie au sein de cette collectivité. Elle était employée par la PNM en tant que directrice du service de la formation et du développement économique (le SFDE).

[2] Au terme d’une enquête sur le lieu de travail lancée par suite des plaintes déposées par Mme Howse contre d’autres employés de la PNM, ainsi que des plaintes déposées par d’autres employés contre elle, la PNM a décidé de congédier Mme Howse pour un motif valable. Mme Howse a déposé une plainte de congédiement injuste en vertu du Code canadien du travail, LRC 1985 c L-2 (le Code). Après la tenue d’une audience, un arbitre a accueilli la plainte de Mme Howse et a ordonné sa réintégration dans un autre poste au sein de l’administration de la PNM.

[3] La PNM a sollicité le contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre. La juge Furlanetto a confirmé la décision de l’arbitre portant que Mme Howse avait été congédiée injustement, mais a conclu que l’arbitre avait outrepassé sa compétence en ordonnant la réintégration de Mme Howse à un autre poste au sein de la PNM. Ce volet de la décision a été annulé et renvoyé pour un nouvel examen : Première Nation Miawpukek c Howse, 2022 CF 1501 [PNM 2022].

[4] À la suite d’une nouvelle audience, l’arbitre a ordonné que Mme Howse soit réintégrée à son poste de directrice du SFDE à certaines conditions. La PNM sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

II. Contexte

[5] Tracy Howse a été une employée de la PNM pendant plus de 20 ans. En janvier 2011, elle a été promue au poste de directrice du SFDE, à savoir le plus grand des quatre services de la Première Nation, également reconnu comme étant essentiel au développement et à la réussite de la Première Nation.

[6] De 2011 à début 2017, il semble que la PNM ait été satisfaite du rendement de Mme Howse, car elle a fait l’objet d’évaluations favorables. Toutefois, en 2017 et 2018, Mme Howse a éprouvé plusieurs problèmes personnels qui ont entraîné des difficultés au travail pour elle et pour d’autres personnes. Elle a pris un congé de maladie en mai 2018 et a ensuite déposé plusieurs plaintes pour harcèlement et intimidation sur le lieu de travail à l’encontre de son superviseur et d’un autre gestionnaire de la PNM. À peu près au même moment, les gestionnaires de la PNM ont eu connaissance de plaintes que d’autres employés avaient déposées contre Mme Howse. La PNM a retenu les services d’un avocat externe, qui lui a conseillé de faire appel à un enquêteur indépendant pour examiner les plaintes et déterminer si le lieu de travail était toxique.

[7] La PNM a accepté la recommandation de l’avocat, et une autre avocate a été engagée pour mener l’enquête. L’enquêtrice a examiné les documents pertinents et eu des entretiens avec des témoins. Je précise qu’il existe un différend quant à la mesure dans laquelle Mme Howse a pu participer au processus, point sur lequel je reviendrai plus loin. L’enquêtrice a ensuite rédigé et présenté un rapport dans lequel elle confirmait le bien fondé de certaines des plaintes de harcèlement déposées contre Mme Howse, mais concluait que les éléments de preuve ne permettaient pas d’établir que Mme Howse avait été victime de harcèlement sur le lieu de travail de la part de son supérieur hiérarchique ou de l’avocat de la PNM. L’enquêtrice a également constaté que Mme Howse et un autre employé, avec lequel Mme Howse entretenait une relation personnelle, ont contribué à instaurer l’environnement de travail toxique au sein du SFDE de novembre 2017 à mai 2018, et dans une moindre mesure par la suite. En se fondant sur ce rapport, la PNM a congédié Mme Howse le 4 avril 2019.

[8] Le 23 avril 2019, Mme Howse a déposé une plainte de congédiement injuste en vertu du Code, et un arbitre a été nommé pour enquêter au sujet de la plainte. Après la tenue d’une audience, l’arbitre a conclu que Mme Howse avait été congédiée injustement et a ordonné qu’elle soit réintégrée dans un autre poste au sein de la PNM, sous réserve de certaines conditions. Mme Howse avait indiqué à l’arbitre qu’elle ne cherchait pas à être réintégrée dans son ancien poste de directrice du SFDE, car une autre personne y avait été affectée. La PNM a sollicité le contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre. La juge Furlanetto a statué que la conclusion de congédiement injuste était raisonnable, mais que l’arbitre avait outrepassé sa compétence en ordonnant que Mme Howse soit réintégrée à un autre poste. Ce volet de l’affaire a été renvoyé en vue d’un nouvel examen.

[9] L’arbitre a reçu des observations écrites supplémentaires des parties et a entendu des observations orales pendant une audience tenue le 25 avril 2023. L’arbitre a indiqué que la seule question à trancher était celle de la mesure de redressement approprié, car la conclusion selon laquelle Mme Howse avait été injustement congédiée a été confirmée. L’arbitre a appliqué le principe de l’indemnisation intégrale, souvent appliqué dans les cas de congédiement injuste, déclarant qu’[traduction] « il existe, bien que cela ne soit pas obligatoire, une présomption générale en faveur d’une ordonnance de réintégration »

[10] L’arbitre a synthétisé l’argumentation de la PNM quant aux facteurs qui militent en défaveur de la réintégration : la détérioration des relations entre Mme Howse et ses gestionnaires et autres employés, la perte de confiance de la direction de la PNM dans les capacités de Mme Howse, la conclusion qu’elle a commis des fautes à certains égards, et son incapacité apparente à assumer la responsabilité de ses actes, ainsi que l’incertitude quant au moment où elle serait apte à retourner au travail.

[11] L’arbitre a ensuite tiré les conclusions suivantes, qui ont été au cœur de la décision d’ordonner la réintégration de Mme Howse dans son poste :

[traduction]

Tout en reconnaissant que ces facteurs devraient être et ont été pris en considération pour déterminer le caractère judicieux de la réintégration comme mesure de redressement, ils sont, de l’avis de l’arbitre, supplantés par les circonstances particulières du cas qui nous occupe. En l’occurrence, toute mesure de redressement qui exclurait la réintégration ne remettrait pas la plaignante dans la position qui aurait été la sienne n’eût été le litige. La collectivité de Conne River n’est pas une simple désignation géographique; elle est l’ensemble de la vie culturelle, sociale, économique et pratique de la plaignante. La PNM constitue la force dominante et déterminante de l’ensemble de la collectivité de Conne River. L’importance de la PNM dans la vie quotidienne de Conne River ne saurait être surestimée. Tout en guidant, dirigeant et gérant ses opérations, la PNM affirme adhérer à l’objectif de principe du plein emploi pour l’ensemble de ses membres.

Conne River est situé à environ deux heures et demie de route de la collectivité la plus proche, à savoir Grand Falls-Windsor, qui compte elle-même une population modeste. En termes simples, compte tenu des réalités géographiques, il n’y a pas de perspectives d’emploi probables, identifiables, convenables et raisonnables pour une personne ayant les qualifications de la plaignante, à l’exception de celles qu’offrent sa collectivité de Conne River. La perte de son emploi lui cause non seulement des difficultés économiques immédiates et évidentes, mais sa situation est encore aggravée par le fait que l’employeur qui la congédie est sa tribu, ce qui, à lui seul, entraîne des répercussions communautaires, culturelles et personnelles incomparables, comme par exemple le rejet. Les résidents de la collectivité de Conne River sont presque exclusivement membres de la PNM et le stigmate du congédiement ou du rejet par son employeur tribal ajoute une autre dimension au préjudice subi par la plaignante par suite de son congédiement.

[12] L’arbitre a fait remarquer que les facteurs militant contre la réintégration mentionnés par la PNM [traduction] « ont tous en commun de trouver leur point de départ dans la conduite de Mme Howse », mais il a souligné que cette conduite s’était manifestée [traduction] « au cours d’une période incontestablement très stressante de sa vie, notamment sur le plan de la santé ». Cette conduite n’était pas représentative de celle que Mme Howse avait eue au cours des nombreuses années antérieures de son emploi, et l’arbitre a conclu que le traitement médical que Mme Howse suivait [traduction] « devrait lui permettre d’acquérir de meilleurs mécanismes d’adaptation et d’éviter que ces mauvais comportements ne se reproduisent ». Insistant sur ce point, l’arbitre a imposé la condition portant que Mme Howse devait être psychologiquement apte à retourner au travail.

[13] En ce qui concerne l’allégation de la PNM selon laquelle la longue absence du travail de Mme Howse et son handicap permanent ont eu pour effet de rendre le contrat de travail inexécutable, le décideur a jugé que l’examen des circonstances qui ont provoqué les absences ou y ont contribué ne serait pas productif, car le congédiement de Mme Howse avait déjà été considéré comme injuste. En outre, il y avait des raisons de croire que le temps et le traitement permettraient à Mme Howse de retourner au travail.

[14] Se fondant sur cette analyse, l’arbitre a conclu que la réintégration de Mme Howse à son ancien poste de directrice du SFDE était la mesure de redressement approprié, sous réserve de certaines conditions. L’arbitre lui a demandé de reconnaître, par écrit, qu’elle comprenait et acceptait les conditions de sa réintégration, et de présenter des avis médicaux et psychologiques écrits attestant de son aptitude physique et mentale à reprendre le travail.

[15] L’arbitre a rejeté la demande de dommages-intérêts de Mme Howse visant à compenser la différence entre son salaire et le montant qu’elle recevait pendant son congé d’invalidité. Enfin, l’arbitre a conclu qu’il convenait d’adjuger des dépens et s’est réservé la possibilité d’entendre des observations si les parties ne parvenaient pas à se mettre d’accord sur le montant approprié.

[16] La PNM sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[17] Les parties soulèvent quatre questions en litige :

1) La décision de réintégrer Mme Howse était-elle déraisonnable?

2) Dans l’affirmative, le contrat de travail a-t-il été rendu inexécutable par la longue absence de Mme Howse en congé d’invalidité et par l’incertitude quant au moment où elle pourrait retourner au travail?

3) L’arbitre a-t-il refusé sans raison valable la demande d’indemnisation supplémentaire de Mme Howse pour compenser la différence entre ses prestations d’invalidité et le salaire qu’elle aurait gagné si elle n’avait pas été injustement congédiée?

4) Y a-t-il lieu d’adjuger des dépens?

[18] Je conclus, comme je l’explique ci-après, que la question déterminante est de savoir si la décision de l’arbitre est raisonnable, au regard du cadre établi dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], et confirmé dans l’arrêt Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21.

[19] Pour résumer les choses, selon le cadre établi dans Vavilov, le rôle d’une cour de révision « consiste à examiner les motifs qu’a donnés l’arbitre et à déterminer si la décision est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes » (Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 2 [Société canadienne des postes]). Il incombe au demandeur de démontrer que « la lacune ou la déficience [. . .] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Postes Canada, au para 33, citant Vavilov, au para 100). Les erreurs en cause « ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision » (Vavilov, au para 100).

[20] Le principe selon lequel les décideurs doivent fournir une justification adaptée, ce qui signifie, entre autres, qu’ils doivent montrer comment ils traitent les éléments de preuve et les arguments les plus importants présentés par les parties, constitue un des enseignements principaux dans Vavilov. Un autre élément de cet enseignement est celui selon lequel le fardeau de la justification s’alourdit en fonction des conséquences de la décision pour les parties et l’intérêt public général. Dans l’arrêt Vavilov, ce point est expliqué dans les termes que voici au paragraphe 86 :

En somme, il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur doit également, au moyen de ceux‑ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique. Si certains résultats peuvent se détacher du contexte juridique et factuel au point de ne jamais s’appuyer sur un raisonnement intelligible et rationnel, un résultat par ailleurs raisonnable ne saurait être non plus tenu pour valide s’il repose sur un fondement erroné. (Italiques dans l’original.)

IV. Analyse

A. Cadre juridique

[21] Le Code accorde aux décideurs un très large pouvoir discrétionnaire en matière de redressement en cas de congédiement injuste :

242. (4) S’il décide que le congédiement était injuste, le Conseil peut, par ordonnance, enjoindre à l’employeur :

242. (4) If the Board decides under subsection (3) that a person has been unjustly dismissed, the Board may, by order, require the employer who dismissed the person to:

a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu’il aurait normalement gagné s’il n’avait pas été congédié;

 

(a) pay the person compensation not exceeding the amount of money that is equivalent to the remuneration that would, but for the dismissal, have been paid by the employer to the person;

b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;

 

(b) reinstate the person in his employ; and

c) de prendre toute autre mesure qu’il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.

 

(c) do any other like thing that it is equitable to require the employer to do in order to remedy or counteract any consequence of the dismissal.

[22] Cet ample pouvoir discrétionnaire de réparation vise à permettre au décideur de choisir celle qui permettra de remédier aux conséquences d’un congédiement injuste. Certains paramètres régissant l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire ont été confirmés par la jurisprudence et ne sont pas en cause en l’espèce. Par exemple, comme l’a démontré la décision PNM 2022, un arbitre ne peut réintégrer un employé dans son ancien poste que conformément à l’alinéa 242(4)b) du Code. S’il est souvent dit que la réintégration est le point de départ pour remédier à un congédiement injuste, une jurisprudence abondante confirme qu’un employé n’a pas « droit » à la réintégration; il s’agit simplement d’un des nombreux redressements à la disposition de l’arbitre : Atomic Energy of Canada Ltd. c Sheikholeslami (C.A.), [1998] 3 CF 349 aux para 11-12 (CAF), autorisation de pourvoi devant la CSC refusée : Bulletin de la CSC, 1998, p. 1399; Kouridakis c Banque Canadienne Impériale de Commerce, 2019 CF 1226 [Kouridakis] au para 39.

[23] La décision d’un arbitre quant au redressement approprié commande une grande déférence lors du contrôle judiciaire. Comme l’a déclaré la Cour dans Canada (Procureur général) c Gatien, 2016 CAF 3 au para 39, « les questions relatives au redressement sont au cœur même de l’expertise des arbitres en relations de travail, qui sont beaucoup mieux placés qu’une cour de révision pour décider s’il y a lieu de réparer un préjudice causé en milieu de travail et de déterminer comment le faire […] ». (citations omises, passage cité avec approbation dans de nombreuses décisions, notamment Amer c Shaw Communications Canada Inc., 2023 CAF 237 au para 67).

[24] Pour déterminer si la réintégration est une mesure de redressement appropriée, on renvoie souvent aux facteurs énoncés au paragraphe 11 de l’arrêt Banque de Montréal c Sherman, 2012 CF 1513 [Sherman] : 1) la détérioration des relations personnelles entre le plaignant et la direction ou d’autres employés; 2) la disparition de la relation de confiance nécessaire aux employés occupant un poste élevé dans la hiérarchie de l’entreprise; 3) la contribution du plaignant à la faute justifiant que son congédiement donne lieu à une sanction moins sévère; 4) l’attitude du plaignant menant à croire que la réintégration n’apporterait aucune amélioration; 5) l’incapacité du plaignant à reprendre immédiatement le travail, ainsi que deux autres facteurs qui ne sont pas pertinents en l’espèce.

[25] L’arrêt Payne c Banque de Montréal, 2013 CAF 33 [Payne] le rappelle au paragraphe 88 : « [la] question essentielle à laquelle il faut répondre pour décider du caractère approprié de la réintégration est de nature nettement prospective : l’employeur pourra‑t‑il faire un jour de nouveau confiance au jugement de l’employé, de telle sorte qu’il soit disposé à courir le risque de nouveaux écarts de conduite? » Les arbitres qui envisagent la réintégration comme mesure de redressement doivent examiner les facteurs et les circonstances propres à chaque cas, en tenant compte de la situation au moment où la réintégration est envisagée, en anticipant la situation future sur le lieu de travail si l’employé est réintégré dans son ancien poste, et en expliquant les raisons pour lesquelles ils estiment qu’il s’agit d’une mesure de redressement appropriée : Sheikholeslami, aux para 13 et 14; Chalifoux c Première Nation de Driftpile, 1999 CarswellNat 3165, [1999] ACF n° 781 au para 9.

B. L’ordonnance de réintégration était-elle raisonnable?

1) Les observations des parties

[26] La PNM fait valoir que, bien que l’arbitre ait mentionné les facteurs pertinents en matière de réintégration, il n’a pas appliqué ceux-ci aux faits particuliers de l’espèce. La PNM soutient que l’ordonnance de réintégration était fondée sur des conclusions de fait erronées et que l’arbitre n’a pas procédé à un examen équilibré de tous les facteurs pertinents. En particulier, elle avance que l’arbitre n’a pas expliqué en quoi la réintégration était viable, compte tenu des conclusions contenues dans le rapport de l’enquêtrice. Selon la PNM, la relation de confiance nécessaire à une personne occupant un poste aussi élevé est irrémédiablement rompue en raison de la faute antérieure de Mme Howse et de son refus d’assumer la responsabilité de ses actes.

[27] L’argument de la PNM concernant l’ordonnance de réintégration s’appuie largement sur les conclusions du rapport d’enquête sur le lieu de travail; il renvoie également aux conclusions de l’arbitre dans la procédure antérieure. La PNM fait valoir que l’analyse de l’arbitre dans la décision de réintégration a fait fi d’éléments clés du rapport d’enquête sur le lieu de travail, et cite les exemples suivants :

  • contrairement à la déclaration de l’arbitre selon laquelle Mme Howse [traduction] « n’a guère participé activement » au processus d’enquête, le rapport montre qu’elle a eu toute latitude pour participer, notamment en fournissant des renseignements par écrit après son entretien;

  • l’arbitre a déclaré qu’un obstacle important à la réintégration avait été levé, car l’ancien supérieur hiérarchique de Mme Howse n’occupait plus son poste. La PNM affirme que l’arbitre n’a pas tenu compte des conclusions selon lesquelles Mme Howse s’était livrée à du harcèlement au travail à l’encontre d’employés sous sa supervision et qu’elle avait contribué à créer un environnement de travail toxique au sein du SFDE;

  • l’arbitre a fait fi d’autres conclusions relatives à des fautes professionnelles énoncées dans le rapport d’enquête sur le lieu de travail, notamment les suivantes : Mme Howse a violé la confidentialité du processus d’enquête; elle a manqué à son obligation de répondre de manière appropriée à une allégation grave de harcèlement sexuel; elle a critiqué le chef et le conseil de la PNM sur les réseaux sociaux; elle n’a pas reconnu ses fautes professionnelles ni assumé la responsabilité de celles-ci, et elle n’a pas cherché à améliorer son approche en matière de gestion, même après avoir pris connaissance des préoccupations du personnel concernant son comportement.

[28] En outre, la PNM soutient que l’arbitre n’a pas expliqué pourquoi il s’était écarté des conclusions de la décision de 2020, selon laquelle [traduction] « c’était le refus de Mme Howse de changer ses habitudes, son mépris délibéré et son insubordination qui avaient fini par causer sa perte ». Le mémoire des faits et du droit de la PNM l’indique : [traduction] « la conduite inappropriée, délibérée et intentionnelle de Mme Howse, sa violation de la confidentialité, son manque de crédibilité et son refus persistant de reconnaître ses fautes et le sentiment de persécution qu’elle éprouve justifient la décision de ne pas la réintégrer ».

[29] La PNM soutient que l’évaluation de la possibilité de rétablir une relation de confiance doit être effectuée de manière objective, plutôt qu’à l’aune des opinions subjectives de l’une ou l’autre partie : Roda et Bank of Montreal, 2012 CarswellNat 4070 (arbitre canadien (partie III du)) au paragraphe 25. En l’espèce, l’arbitre n’a pas examiné tous les faits pertinents qui limitent la portée de sa décision sur ce point, mais s’est contenté d’examiner la question du point de vue de Mme Howse. La PNM soutient que les conclusions de l’enquêtrice, confirmées par la première décision arbitrale, confirment que la relation de confiance a été irrémédiablement rompue. Selon la PNM, l’enquêtrice était un tiers indépendant qui a examiné les éléments de preuve pertinents en l’espèce, et son rapport représente donc un point de vue objectif que l’arbitre aurait sérieusement dû prendre en considération.

[30] La PNM soutient que le refus persistant de Mme Howse de reconnaître ses torts et d’en assumer la responsabilité constitue un facteur aggravant que l’arbitre n’a pas pris en considération. Cela démontre que l’arbitre n’a pas procédé à une évaluation équilibrée et équitable des facteurs pertinents. En outre, la PNM soutient que les éléments de preuve n’étayent pas la conclusion de l’arbitre selon laquelle Mme Howse serait prête à reprendre le travail une fois que son traitement aurait progressé. Au contraire, la PNM soutient que rien, dans les éléments de preuve médicaux, ne permet de croire que Mme Howse serait apte à travailler dans un avenir relativement proche.

[31] La PNM affirme qu’il n’existe aucune décision judiciaire à l’appui de la déclaration de l’arbitre selon laquelle les préoccupations relatives à la réintégration peuvent être [traduction] « écartées » par les facteurs contextuels liés à l’appartenance de Mme Howse à la PNM et à la taille et à l’éloignement de la collectivité. Elle affirme que cela témoigne d’une mauvaise application de la loi, qui rend obligatoire la prise en considération de ces facteurs dans l’évaluation par l’arbitre de la réintégration comme mesure de redressement en cas de congédiement injuste : Sherman; Lafond v Muskeg Lake Cree Nation, 2018 CarswellNat 298 (arbitre canadien) (partie III du Code canadien du travail).

[32] Étant donné les lacunes susmentionnées, la PNM fait valoir que la décision ne satisfait pas au critère de raisonnabilité établi dans l’arrêt Vavilov.

[33] Mme Howse soutient que la PNM accorde une importance excessive au rapport d’enquête sur le lieu de travail, soulignant que l’arbitre avait précédemment déterminé que ce rapport était utile pour rendre compte du contexte général, mais qu’il avait par ailleurs déclaré qu’il n’accepterait pas simplement toutes ses conclusions, car le processus d’enquête n’offrait pas les mêmes garanties procédurales qu’une procédure arbitrale. Mme Howse souligne que, même si le rapport d’enquête est accepté, l’enquêtrice a conclu que la réintégration de Mme Howse dans son ancien poste ne serait pas une issue déraisonnable. Selon elle, la voie suivie par l’arbitre pour parvenir à la conclusion que la réintégration était une mesure de redressement appropriée ressort clairement de l’examen de l’ensemble du dossier.

[34] Selon Mme Howse, l’arbitre a conclu de manière raisonnable que le départ de son ancien superviseur constituait un changement de circonstances important et pertinent, car le conflit interpersonnel entre eux a été jugé comme un facteur significatif dans la détérioration des relations de travail. Dans l’ensemble, Mme Howse soutient que la décision de l’arbitre est raisonnable et ne devrait pas être modifiée. Elle accepte les conditions liées à sa réintégration et affirme qu’elles donnent à la PNM l’assurance qu’elle sera apte à exercer ses fonctions lorsqu’elle reprendra le travail.

2) Analyse

[35] Mon analyse de la décision de réintégration repose sur trois principes fondamentaux. Premièrement, il n’appartient pas à une cour de révision de réévaluer les éléments de preuve. Je suis plutôt tenu d’évaluer la décision de l’arbitre à la lumière du cadre établi dans l’arrêt Vavilov, afin de déterminer si elle présente « les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci […] ». (Vavilov, au para 99). Selon cette approche, il incombe à la PNM de démontrer qu’il existe une « lacune ou [une] déficience […] suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable » (Vavilov, au para 100).

[36] Deuxièmement, la décision d’un arbitre concernant le redressement doit être traitée avec une grande déférence, car l’arbitre a entendu les témoignages des parties et ces décisions relèvent de l’expertise des arbitres.

[37] Troisièmement, comme l’a souligné le juge Rothstein dans l’arrêt Payne, au paragraphe 88 : « [l]es facteurs contextuels à prendre en compte pour rechercher si le congédiement est injuste recoupent, dans une large mesure, les facteurs pertinents pour juger de l’opportunité de la réintégration » (voir également : Canada Post Corporation c Mainville, 2018 CF 214 au para 29; Kouridakis, au para 86). Dans la présente affaire, je suis tenu d’évaluer la décision de l’arbitre quant au redressement à accorder à la lumière de l’ensemble du dossier, y compris les conclusions de la première décision sur la question du congédiement injuste, conclusions qui ont été jugées raisonnables lors du contrôle judiciaire.

[38] Si j’applique ces directives à la présente affaire, je ne suis pas convaincu que la décision de réintégration prise par l’arbitre soit déraisonnable. L’évaluation de la décision à la lumière du dossier ne me convainc pas qu’il y ait des vices fondamentaux dans l’analyse ou que l’arbitre ait fondamentalement mal compris ou ignoré des éléments de preuve essentiels.

[39] La PNM soutient que l’arbitre n’a pas tenu compte des considérations pertinentes pour déterminer si la réintégration était une mesure de redressement viable dans cette affaire. Elle affirme que l’arbitre devait expliquer comment il pouvait ordonner la réintégration à la lumière des éléments de preuve présentés dans le rapport de l’enquêtrice et des conclusions contenues dans la première décision. Compte tenu des conclusions relatives à la faute de Mme Howse et des preuves démontrant qu’elle n’avait pas assumé la responsabilité de ses manquements, l’arbitre avait l’obligation d’expliquer comment la PNM pouvait avoir confiance en ses capacités et comment elle pouvait être réintégrée dans l’effectif. La PNM soutient que l’arbitre n’a pas fourni de justification adaptée dans sa décision de réintégration. Cet argument ne me convainc pas.

[40] À mon avis, les directives fournies dans l’arrêt Payne concernant le chevauchement entre les considérations pertinentes en matière de congédiement injuste et de réintégration confirment que la décision de réintégration doit être examinée à la lumière des conclusions formulées dans la première décision. La PNM ne soutient pas que l’arbitre a ignoré les éléments de preuve pertinents ou n’a pas tenu compte de toutes les conclusions pertinentes dans sa première décision. En effet, l’arbitre examine en détail les conclusions relatives à la faute commise par Mme Howse. La PNM fait plutôt valoir que les conclusions de la première décision n’ont pas été reprises dans la décision de réintégration. Je ne suis pas en mesure de tracer une ligne de démarcation aussi nette entre les deux, compte tenu du libellé de la décision faisant l’objet du présent contrôle. Je ne suis pas non plus convaincu qu’il y ait quelque contradiction que ce soit entre le raisonnement tenu dans les deux décisions.

[41] Il ne fait aucun doute que l’arbitre était au fait des conclusions de l’enquêtrice concernant la faute professionnelle de Mme Howse. Celles-ci sont examinées en détail dans la première décision. Dans son analyse, l’arbitre a formulé des remarques sur la nature du processus suivi par l’enquêtrice, et a notamment évoqué le fait que Mme Howse n’avait pas eu la possibilité de prendre connaissance des arguments retenus contre elle, qu’aucun des éléments de preuve n’avait été présenté sous serment et qu’il ne s’agissait pas d’un processus de type arbitral. Cela dit, l’arbitre a ensuite conclu que le travail de l’enquêtrice était [traduction] « utile et donnait un portrait détaillé du SFDE au moment du congédiement […] ».

[42] La PNM soutient que l’arbitre a reconnu, dans sa première décision, que Mme Howse avait commis une faute professionnelle, sans toutefois expliquer dans sa deuxième décision pourquoi la réintégration était appropriée, à la lumière des conclusions antérieures. La PNM fait également valoir que l’arbitre a commis une erreur en déclarant que ses préoccupations concernant la rupture de la relation de confiance étaient [traduction] « supplantées » par d’autres considérations. À mon avis, cette critique à l’endroit de la décision de l’arbitre ne résiste pas à un examen approfondi.

[43] Il est vrai que la deuxième décision relative au redressement ne contient pas toutes les précisions concernant l’historique des relations sur le lieu de travail et le comportement de Mme Howse pendant la période concernée que l’arbitre avait exposées dans la première décision, mais cela n’est pas déraisonnable dans les circonstances. Le point essentiel est qu’après avoir examiné ces questions dans la première décision, l’arbitre a néanmoins conclu qu’elles ne justifiaient pas le congédiement. La juge Furlanetto a confirmé cette conclusion lors du contrôle judiciaire (PNM 2022). Dans la deuxième décision (celle qui fait l’objet du présent examen), l’arbitre a énuméré les arguments avancés par la PNM pour justifier le refus de la réintégration, puis a conclu le contraire en se fondant sur des facteurs contextuels étayés par les renseignements figurant au dossier.

[44] Je ne suis pas convaincu que l’arbitre ait fait fi des éléments de preuve relatifs à la faute professionnelle de Mme Howse, même si ceux-ci ne sont pas exposés en détail dans la deuxième décision. Au contraire, une lecture attentive de la décision montre que l’arbitre a soupesé ces facteurs, mais qu’il a néanmoins jugé qu’ils étaient compensés par d’autres considérations. C’est précisément le type d’analyse que l’arbitre est tenu d’effectuer, et il ne m’appartient pas d’en effectuer une à sa place.

[45] Je rejette également l’argument de la PNM selon lequel l’arbitre a commis une erreur en déclarant que les facteurs qui militaient contre la réintégration [traduction] « étaient supplantés » par d’autres considérations. Le contrôle judiciaire n’est pas une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » et les décisions n’ont pas à être parfaites (Vavilov, au para 102). En l’espèce, je suis convaincu que l’arbitre a simplement expliqué comment il avait soupesé les considérations pertinentes; l’emploi d’un mot ne rend pas cette analyse déraisonnable.

[46] En appliquant le principe de la [traduction] « l’indemnisation intégrale » qui régit les redressements pour congédiement injuste en vertu du Code, l’arbitre a énuméré les arguments avancés par la PNM pour justifier le refus de la réintégration et a déclaré que ces facteurs [traduction] « devaient être pris en considération et l’ont été ». Toutefois, l’arbitre a ensuite conclu que les facteurs qui militaient contre la réintégration étaient « contrebalancés par les circonstances particulières de l’espèce ». La principale conclusion de l’arbitre est celle selon laquelle, dans le cas présent, [traduction] « une mesure de redressement qui n’inclut pas la réintégration ne permettrait pas, en réalité, de remettre [Mme Howse] dans la position qui aurait été la sienne n’eût été le litige ». L’arbitre explique clairement les raisons de cette conclusion, à savoir le fait que Mme Howse est membre de la PNM et que la collectivité représente [traduction] « l’ensemble de sa vie culturelle, sociale, économique et pratique ».

[47] La PNM ne conteste pas l’exactitude des déclarations de l’arbitre, mais laisse entendre que le fait de ne pas réintégrer la demanderesse dans son poste au SFDE ne revient pas à lui refuser un emploi au sein de la PNM. Celle-ci souligne que même si elle n’était pas réintégrée dans son ancien poste, Mme Howse pourrait néanmoins poser sa candidature à d’autres postes et, ce faisant, elle profiterait de la politique de la PNM consistant à donner la préférence aux membres de la Première Nation lors du recrutement. Cela peut être vrai, mais l’arbitre avait pour responsabilité de chercher à la [traduction] « réintégrer » après avoir conclu qu’elle avait été congédiée injustement. Ce faisant, il était raisonnable que l’arbitre tienne compte des circonstances particulières auxquelles Mme Howse faisait face.

[48] La PNM soutient que l’arbitre a commis plusieurs erreurs de fait, notamment en concluant que Mme Howse avait peu participé au processus d’enquête et que ses perspectives de retour au travail étaient plus favorables que ne l’indiquaient les preuves médicales. Même si je devais conclure que l’arbitre a commis de telles erreurs, je ne suis pas convaincu que l’une ou l’autre de ces conclusions constitue le type d’erreur qui rendrait l’ensemble de la décision déraisonnable.

[49] Quant au premier point, l’enquêtrice énumère les possibilités offertes à Mme Howse de participer au processus d’enquête. À cet égard, deux éléments méritent d’être soulignés. Premièrement, l’arbitre a constaté que l’enquête avait été ouverte à la suite des plaintes pour harcèlement et intimidation déposées par Mme Howse et un autre employé contre le directeur général et le conseiller juridique de la PNM. Toutefois, l’arbitre a conclu que la PNM [traduction] « semblait, à titre de contre-offensive, rassembler les plaintes que d’autres membres du SFDE pouvaient avoir à l’encontre de Mme Howse [et de l’autre employé] et les joindre à titre de questions supplémentaires à examiner par l’enquêtrice ». L’arbitre a conclu que [traduction] « l’effet pratique de ces ajouts à l’enquête semble avoir inversé le processus […] ».

[50] En outre, les éléments de preuve montrent que Mme Howse a dû écourter l’entretien avec l’enquêtrice en raison de son état de santé, et qu’elle a ensuite eu la possibilité de présenter des observations supplémentaires par écrit. Le point important à retenir est que la conclusion de l’arbitre concernant la participation limitée de Mme Howse au processus d’enquête a été expliquée et est fondée sur le dossier. C’est tout ce qu’exige l’examen du caractère raisonnable de la décision.

[51] En ce qui concerne l’évaluation des preuves médicales, je conclus que la PNM demande à la Cour de réévaluer des éléments de preuve qui ont déjà été examinés et commentés par l’arbitre. Ce n’est pas le rôle de la Cour. Les rapports médicaux comprennent des déclarations qui appuient la conclusion de l’arbitre selon laquelle le conflit avec son ancien gestionnaire était une source de grande détresse pour Mme Howse, ainsi que la conclusion selon laquelle son traitement l’avait aidée à élaborer des stratégies pour gérer son état. L’arbitre a évalué les éléments de preuve, et je ne vois aucun motif de remettre en question sa conclusion à cet égard.

[52] Je fais également remarquer que l’arbitre a assorti la décision de réintégration de plusieurs conditions visant à garantir que Mme Howse était apte à reprendre le travail et qu’elle respecterait les conditions de son retour et de sa réintégration sur le lieu de travail. Il s’agissait d’une approche raisonnable dans les circonstances de l’espèce.

[53] Le principal argument de la PNM est que la relation de confiance avec Mme Howse a été rompue. Elle soutient que l’arbitre n’a pas examiné cet élément d’un point de vue objectif. Je ne suis pas d’accord. L’arbitre renvoie à plusieurs considérations pertinentes qui replacent dans leur contexte les difficultés rencontrées par Mme Howse au cours de la période 2017-2018, notamment ses antécédents professionnels positifs, la formation et les compétences qu’elle a apportées à son travail, ainsi que le traitement qu’elle a suivi pour l’aider à développer des mécanismes de gestion de son état de santé afin de lui permettre de reprendre le travail. L’arbitre a également reconnu que, pendant la période 2017-2018, le rendement au travail de Mme Howse s’était détérioré alors qu’elle traversait une période de bouleversements personnels et professionnels. L’arbitre a pris note des allégations d’inconduite formulées à son encontre et des conclusions du rapport d’enquête sur le lieu de travail, de sorte que le tableau de la situation ne montrait pas un seul côté de la médaille. D’autre part, l’arbitre a également examiné le contexte particulier et unique du travail et du lieu de travail, ainsi que les conséquences de la décision sur Mme Howse.

[54] Après avoir examiné l’analyse de l’arbitre, je ne peux accepter l’argument de la PNM selon lequel l’analyse manquait d’objectivité ou penchait uniquement en faveur de Mme Howse. Au contraire, je juge que l’arbitre a procédé à un examen approfondi et réfléchi de tous les facteurs pertinents, lorsque je compare la deuxième décision à l’analyse présentée dans la première.

[55] À l’aune de l’analyse qui précède, je ne suis pas convaincu que la PNM ait démontré que la décision de l’arbitre comportait une erreur importante, et je conclus donc que l’ordonnance de réintégration est raisonnable.

C. La conclusion de l’arbitre sur l’impossibilité d’exécuter le contrat était-elle raisonnable?

[56] La PNM fait valoir que l’arbitre a commis une erreur en ne concluant pas que le contrat de travail avait été rendu impossible. Elle affirme ne pas chercher à remettre en cause la conclusion relative au congédiement injuste, mais soutient plutôt que l’arbitre était tenu d’examiner le critère juridique de l’impossibilité d’exécuter le contrat au moment d’envisager la réintégration comme mesure de redressement.

[57] En l’espèce, la PNM souligne que Mme Howse était absente de son lieu de travail depuis cinq ans au moment de la deuxième décision arbitrale et qu’il n’y avait aucune preuve quant à la date à laquelle elle serait en mesure de reprendre le travail. Dans ces circonstances, la PNM soutient que l’arbitre était tenu d’examiner la doctrine de l’impossibilité d’exécuter le contrat afin de déterminer s’il y avait lieu de réintégrer Mme Howse.

[58] Je ne suis pas d’accord. Une partie du retard à prendre la décision de réintégration était liée à la procédure d’arbitrage et à la demande de contrôle judiciaire subséquente. Plus fondamentalement, cependant, l’un des facteurs à prendre en considération pour évaluer la réintégration comme mesure de redressement en cas de congédiement injuste est la capacité de l’employé à reprendre le travail. Cela est expressément mentionné dans la décision Sherman et constitue manifestement un élément pertinent. Dans le cas présent, l’arbitre a examiné les éléments de preuve et a conclu que Mme Howse serait en mesure de reprendre son poste au SFDE, en se fondant sur les preuves médicales et sur le pronostic. Je précise que ces éléments de preuve indiquaient également que les progrès de Mme Howse dans son traitement avaient été quelque peu ralentis en raison de l’incertitude entourant sa situation professionnelle et que, à cet égard, le règlement des demandes de la PMN pourrait l’aider à reprendre le travail.

[59] Selon moi, l’arbitre a fait ce que la loi lui imposait, à savoir examiner si Mme Howse pouvait reprendre le travail dans un délai raisonnable. Au-delà de cela, je ne suis pas convaincu que l’arbitre était tenu de procéder à un examen plus approfondi de la doctrine de l’impossibilité d’exécuter le contrat.

D. Le refus de l’arbitre d’accorder une indemnité supplémentaire était-il déraisonnable?

[60] Dans ses observations écrites et orales, Mme Howse a demandé à la Cour d’annuler la décision de l’arbitre de lui refuser une indemnité supplémentaire. Elle souhaitait obtenir une indemnisation correspondant à la différence entre les prestations d’invalidité qu’elle avait perçues et le salaire qu’elle aurait touché si elle n’avait pas été injustement congédiée. L’arbitre a refusé d’accorder cette indemnité, concluant que Mme Howse aurait continué à percevoir les prestations d’invalidité si elle n’avait pas été congédiée, jusqu’à ce qu’elle soit apte à reprendre le travail. En substance, l’arbitre a estimé que l’octroi d’une indemnité supplémentaire irait au-delà du principe de l’indemnisation intégrale de Mme Howse, compte tenu du fait que cette dernière n’avait pas pu travailler pendant la période en cause.

[61] Je l’ai souligné à l’audience : la seule demande de contrôle judiciaire dont la Cour a été saisie était celle présentée par la PNM. Mme Howse n’a pas présenté de demande distincte portant contestation du refus d’imposer des mesures disciplinaires supplémentaires. Aux termes de l’article 302 des Règles, une demande de contrôle judiciaire « ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée ». Dans le cours normal des choses, Mme Howse aurait dû présenter une demande distincte de contrôle judiciaire. Les avocats des deux parties dans cette affaire ont indiqué que la pratique locale de la Cour supérieure provinciale voulait qu’une fois qu’une demande de contrôle judiciaire était présentée, toutes les questions étaient examinées. Cependant, chaque tribunal fonctionne selon ses propres règles et procédures, et je ne suis lié par aucune pratique locale. Je tiens toutefois à ajouter que les deux parties ont abordé cette question dans leurs observations écrites et orales, de sorte que la PNM n’a pas été prise au dépourvu ni n’a subi de préjudice.

[62] Même si je mets de côté la question procédurale, je ne suis toutefois pas convaincu que la décision de l’arbitre sur la question de l’indemnité supplémentaire soit déraisonnable. Il n’est pas nécessaire de répéter l’analyse des principes qui ont guidé mon raisonnement. La décision de l’arbitre sur ce point mérite une grande déférence. Les raisons du refus d’accorder une telle indemnité sont clairement exposées dans la décision. Mme Howse fait valoir que l’arbitre n’a pas tenu compte du fait qu’elle a été contrainte de quitter son emploi et de se mettre en invalidité de longue durée par suite des mesures prises par la PNM, notamment l’enquête peu soignée qui a abouti à son congédiement injuste, lequel a donné lieu à un long litige.

[63] Je ne conclus pas que l’arbitre a commis une erreur, car je ne peux accepter que les éléments de preuve relatifs aux raisons pour lesquelles Mme Howse a quitté son emploi puis obtenu des prestations d’invalidité sont évidents. L’arbitre était clairement conscient de la chronologie des événements et avait accès aux preuves médicales et aux témoignages concernant l’état de santé de Mme Howse, son congé pour invalidité et son pronostic. Il n’appartient pas à une cour de révision de réévaluer ces éléments de preuve. Le refus de l’arbitre d’accorder une indemnité supplémentaire à Mme Howse est raisonnable.

E. Dépens

[64] La PNM a demandé l’adjudication des dépens en sa faveur dans le cadre du contrôle judiciaire. Mme Howse a elle aussi demandé l’adjudication des dépens en sa faveur et a fait valoir que le barème des dépens devrait être plus élevé compte tenu de la longueur de l’instance, qui remontait à la première décision rendue, et qui avait donné lieu à un contrôle judiciaire largement infructueux sollicité par la PNM, puis à une deuxième audience d’arbitrage et enfin à la présente demande. Mme Howse a fait valoir que des dépens d’un montant plus élevé devaient être adjugés parce que la PNM avait avancé un argument sans fondement sur la question de l’impossibilité d’exécuter le contrat et que la présente demande visait en grande partie à remettre en cause des questions que l’arbitre avaient déjà examinées en détail.

[65] À l’audience, les avocats des parties ont indiqué qu’ils ne s’étaient pas mis d’accord sur le montant des dépens, mais ont demandé à pouvoir discuter de la question en se fondant sur les directives de la Cour quant au barème approprié.

[66] En vertu du pouvoir discrétionnaire que me confère l’article 400 des Règles, j’adjuge les dépens à Mme Howse et je souscris à son point de vue selon lequel les dépens doivent être calculés selon un barème plus élevé que le montant habituel prévu à la colonne III du tarif B (voir l’article 407 des Règles). Dans Amer, la juge Gleason a confirmé que l’adjudication des dépens sur une base avocat-client dans les cas de congédiement injuste ne se limitait pas aux situations dans lesquelles l’une des parties avait eu un comportement répréhensible, scandaleux ou outrageant, mais devait plutôt être examinée à la lumière du principe plus large de [traduction] « l’indemnisation intégrale ».

[67] Dans l’arrêt Amer, la question était de savoir si l’arbitre avait commis une erreur en adjugeant à l’employée des dépens sur une base avocat-client. La juge Gleason a fait remarquer que l’employée disposait de moyens limités et que les dommages-intérêts qui lui avaient été accordés étaient assez modestes, de sorte qu’il était tout à fait possible qu’elle se retrouve dans une situation plus difficile si elle ne recevait qu’une modeste indemnité au titre des dépens. Par contre, l’intimée disposait de ressources importantes et s’était engagée dans un long litige. Dans ces circonstances, l’adjudication des dépens a été jugée raisonnable.

[68] Bien que l’arrêt Amer ne s’applique pas directement à la présente affaire, je conclus que les directives générales qui y figurent sont instructives. En l’espèce, Mme Howse a engagé des frais juridiques pour défendre, en obtenant gain de cause, la validité de la décision de l’arbitre de la réintégrer dans son poste. Elle dispose de moyens modestes, vivant depuis plusieurs années de prestations d’invalidité. Le présent litige a été long et a abouti à des décisions largement favorables à Mme Howse. Je conclus qu’il est approprié qu’elle soit [traduction] « intégralement indemnisée » des frais qu’elle a engagés dans le cadre du présent contrôle judiciaire et je lui adjuge donc les dépens sur une base avocat-client, mais uniquement pour la présente instance.

[69] Les parties ont demandé un délai pour parvenir à un accord, ce qui se justifie au vu des circonstances. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur l’adjudication des dépens, conformément aux directives fournies dans les paragraphes précédents, elles en informeront la Cour dans les trente (30) jours suivant la décision et une directive sera rendue sur la procédure à suivre pour la présentation des observations relatives aux dépens.

V. Conclusion

[70] Je conclurai en réitérant une remarque que j’ai formulée pendant l’audience : il est grand temps que ce litige prenne fin. Je l’ai formulée lorsque j’ai demandé aux parties s’il était possible de résoudre le litige si j’ajournais l’audience pour une courte période. Les parties ayant refusé cette proposition, l’audience s’est poursuivie. Il n’en demeure pas moins que ce litige traîne depuis 2019 et qu’il y a maintenant eu deux audiences d’arbitrage suivies de deux demandes de contrôle judiciaire. Il est temps d’y mettre un terme afin que Mme Howse et la PNM puissent se consacrer à la tâche importante qui consiste à œuvrer au développement de leur collectivité.

[71] L’arbitre a félicité la PNM pour ses efforts visant à soutenir son propre développement en investissant dans la formation de ses membres, et a fait remarquer que Mme Howse avait acquis des compétences et une formation grâce à cette politique. Elle a été un précieux membre de la collectivité de la PNM et, de l’avis général, elle a contribué de manière positive à son développement. Le fait qu’elle ait traversé une période difficile n’efface pas cette contribution, mais cette période ne peut pas non plus être ignorée. L’arbitre a imposé plusieurs conditions à la réintégration de Mme Howse afin d’en assurer la réussite et de permettre à la PNM d’avoir confiance en sa capacité de contribuer à nouveau de façon positive au succès de sa collectivité.

[72] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. La décision de réintégration de l’arbitre est raisonnable, tout comme le rejet de l’argument de la PNM concernant l’inexécution du contrat. Le refus d’accorder une indemnisation supplémentaire à Mme Howse était également raisonnable, bien que j’aie également mis en doute le fait que la Cour ait été dûment saisie de cette question. Dans ces circonstances, j’accorde à Mme Howse les dépens sur une base avocat-client; si les parties ne parviennent pas à se mettre d’accord sur un montant dans les 30 jours suivant l’arrêt, elles en informeront le greffe et une directive sera émise pour fixer un échéancier pour la présentation des observations relatives aux dépens.


JUGEMENT dans le dossier T-1299-23

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. La PNM paiera à Mme Howse les dépens sur la base avocat-client. Si elles ne parviennent pas à se mettre d’accord sur un montant dans les 30 jours suivant la décision, les parties en informeront le greffe et une directive établissant un calendrier pour la présentation des observations sur les dépens sera émise.

« William F. Pentney »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

T-1299-23

INTITULÉ :

BANDE MIAWPUKEK (ÉGALEMENT CONNUE SOUS LE NOM DE PREMIÈRE NATION MIAWPUKEK) c TRACY HOWSE

LIEU DE L’AUDIENCE :

St. john’s (terre-neuve-et-labrador) et la plateforme zoom

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 21 février 2024

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE pentney

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 JANVIER 2025

 

COMPARUTIONS :

Gregory M. Anthony

 

POUR LA DEMANDERESSE

Keith S. Morgan

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cox & Palmer

Avocats

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador)

POUR LA DEMANDERESSE

 

Browne, Fitzgerald Morgan & Avis

Avocats

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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