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Date : 20250110


Dossier : T‑214‑21

Référence : 2025 CF 51

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 janvier 2025

En présence de monsieur le juge Gascon

RECOURS COLLECTIF – ENVISAGÉ

ENTRE :

JOHN ZANIN

demandeur

et

OOMA, INC.

OOMA CANADA INC.

défenderesses

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, John Zanin, est un résident de l’Ontario qui s’est abonné aux services téléphoniques fournis par les défenderesses, Ooma, Inc. et Ooma Canada Inc. [collectivement, Ooma]. Ooma est une entreprise de téléphonie résidentielle qui offre aux particuliers et aux entreprises des services de téléphonie utilisant le protocole Internet [la téléphonie IP]. Ces services permettent une communication audio à partir de son domicile au moyen d’une connexion Internet plutôt que d’une ligne téléphonique traditionnelle. Ooma Canada Inc. est une société de la Colombie‑Britannique qui appartient à cent pour cent à Ooma, Inc., société publique américaine dont le siège social est situé en Californie.

[2] M. Zanin soutient qu’il s’est abonné au forfait de base du service de téléphonie résidentielle offert par Ooma [le service] parce que celui‑ci était annoncé comme étant « GRATUIT » ou coûtant « 0 $ », mais qu’il s’est retrouvé à payer mensuellement pour le service environ 5 à 6 $ pour les taxes et frais applicables. Il prétend qu’Ooma a faussement décrit le service offert aux clients résidentiels comme étant gratuit et qu’elle a mal présenté aux clients le coût réel de ses services de téléphonie résidentielle. Il allègue qu’Ooma lui doit des dommages‑intérêts pour indication trompeuse et dépose une requête en vue de faire autoriser la présente instance comme recours collectif [la requête en autorisation] au titre du paragraphe 334.16(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles]. Il affirme qu’il demande réparation dans le but de protéger les droits des consommateurs d’être à l’abri de renseignements faux ou trompeurs, et d’autres pratiques contraires à une concurrence libre et loyale sur le marché.

[3] Dans le recours collectif envisagé en protection du consommateur [le recours collectif], M. Zanin prétend que le service d’Ooma contrevient à l’alinéa 7d) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985 c T‑13, et, subsidiairement, aux articles 52 et 54 de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C‑34. De façon générale, l’alinéa 7d) de la Loi sur les marques de commerce dispose que nul ne peut employer, en liaison avec des produits ou services, une désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde certaines de leurs caractéristiques. Aux termes de l’article 52 de la Loi sur la concurrence, commet une infraction criminelle quiconque donne au public, sciemment ou sans se soucier des conséquences, des indications fausses ou trompeuses sur un point important aux fins de promouvoir la fourniture ou l’utilisation d’un produit. Quant à l’article 54 de cette seconde loi, il porte sur l’infraction criminelle connue sous le nom de « double étiquetage » et interdit à quiconque de fournir un produit à un prix qui dépasse le plus bas de deux ou plusieurs prix clairement exprimés au moment où le produit est fourni.

[4] M. Zanin demande réparation au titre de l’article 53.2 de la Loi sur les marques de commerce et de l’article 36 de la Loi sur la concurrence. L’article 53.2 de la Loi sur les marques de commerce dispose que le tribunal peut rendre une ordonnance pour réparation par voie d’injonction ou par recouvrement de dommages‑intérêts ou de profits, pour l’imposition de dommages punitifs, ou encore pour la disposition par destruction ou autrement des produits, emballages, étiquettes et matériel publicitaire contrevenant à cette loi et de tout équipement employé pour produire ceux‑ci. L’article 36 de la Loi sur la concurrence accorde à tout intéressé le droit d’intenter une action privée afin de recouvrer des dommages‑intérêts pour les dommages subis par suite de certains comportements criminels interdits par cette loi, y compris ceux visés aux articles 52 et 54, ainsi que le coût des enquêtes et des procédures engagées.

[5] À titre de représentant demandeur proposé pour les personnes inscrites au recours collectif, M. Zanin réclame à Ooma des dommages‑intérêts ou une indemnisation d’un montant encore indéterminé au nom de toutes les personnes au Canada qui sont ou ont été abonnées au service entre le 8 mai 2015 et la date à laquelle le présent recours collectif aura été autorisé [le groupe]. Il sollicite également une injonction enjoignant à Ooma de cesser d’utiliser le mot « GRATUIT » en lien avec le service ou d’indiquer autrement qu’il coûte 0 $. En juin 2021, Ooma comptait 56 287 clients canadiens abonnés au service et des milliers d’anciens clients.

[6] M. Zanin affirme que toutes les exigences juridiques pour l’octroi de l’autorisation sont remplies, à savoir : i) il existe une cause d’action valable; ii) il existe un groupe identifiable; iii) il existe des points de droit et de fait communs; iv) le recours collectif est le meilleur moyen de régler le différend; v) il est un représentant demandeur approprié pour le groupe.

[7] Ooma conteste le recours collectif proposé par M. Zanin à deux égards. Premièrement, elle soutient que la Cour n’a pas compétence pour l’examiner et que l’affaire devrait être soumise à l’arbitrage. Partant, elle a déposé une requête par laquelle elle conteste la compétence de la Cour, ou, subsidiairement, elle demande soit la suspension de l’instance dans l’attente d’un arbitrage soit un jugement sommaire rejetant le recours collectif au motif qu’il n’y a pas de véritable question litigieuse [la requête relative à la compétence]. La Cour a instruit conjointement la requête relative à la compétence et la requête en autorisation.

[8] Deuxièmement, Ooma prétend que, quoi qu’il en soit, M. Zanin ne s’est pas acquitté de son fardeau de démontrer que le recours collectif doit être autorisé. Plus précisément, Ooma fait valoir que la pratique dénoncée par M. Zanin ne contrevient à aucune disposition de la Loi sur les marques de commerce ou de la Loi sur la concurrence et ne constitue pas non plus une pratique donnant ouverture à une action en vertu de l’alinéa 7d) de la première loi ou des articles 52 ou 54 de la seconde. Il s’ensuit que, selon elle, le recours collectif envisagé ne satisfait pas aux critères d’autorisation pour les motifs suivants : i) la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable; ii) les questions soulevées ne peuvent être considérées comme des points communs, puisque M. Zanin n’a fourni aucun fondement factuel à l’existence ou au caractère commun d’une quelconque question relative à la responsabilité ou au préjudice subi; iii) comme la responsabilité et le préjudice subi ne font l’objet d’aucune question commune pouvant être autorisée, le recours collectif n’est pas le meilleur moyen de régler le différend; iv) M. Zanin n’est pas un représentant demandeur approprié.

[9] Pour les motifs exposés ci‑après, la Cour fait droit à la requête en suspension de l’instance d’Ooma en faveur de l’arbitrage et rejette la requête en autorisation de M. Zanin.

[10] Comme Ooma, je suis d’avis que la Cour n’a pas compétence pour instruire le recours collectif proposé par M. Zanin, étant donné qu’il existe une convention d’arbitrage couvrant l’abonnement de M. Zanin au service d’Ooma [la clause d’arbitrage]. De plus, il existe des clauses valables et exécutoires d’élection de for et de renonciation au recours collectif [respectivement, la clause d’élection de for et la clause de renonciation au recours collectif]. M. Zanin n’a invoqué aucun motif exceptionnel relevant de l’intérêt public ou de l’iniquité, et toute contestation de la compétence de l’arbitre doit être renvoyée à l’arbitre, suivant le principe de compétence‑compétence.

[11] Quoi qu’il en soit, indépendamment de la question de la compétence, la Cour rejette chacune des causes d’action invoquées au titre de la loi sur lesquelles repose le recours collectif. Elle conclut qu’il est évident et manifeste que les actes de procédure ne révèlent aucune cause d’action valable au titre de l’alinéa 7d) de la Loi sur les marques de commerce ou des articles 36, 52 et 54 de la Loi sur la concurrence. Les allégations de pratique donnant ouverture à une action ne sont fondées sur aucun fait substantiel et ni règle de droit; elles sont des affirmations gratuites qui n’ont aucune chance raisonnable de succès. Cela suffit pour que la Cour refuse d’accorder l’autorisation.

II. Contexte

A. Faits

[12] M. Zanin s’est abonné au service d’Ooma le 9 janvier 2020 et il y était toujours abonné en août 2021. Il convient de souligner que M. Zanin a depuis ajouté une option au service, qui lui coûte 90,27 $ de plus par an. L’option ne fait pas l’objet du présent recours collectif.

[13] M. Zanin s’est abonné au service après avoir vu, dans un numéro du magazine de Costco, une publicité qui aurait indiqué que le service coûtait 0 $. En décembre 2019, avant l’activation de son compte, il a acheté un Ooma Telo [Telo] – appareil qui permet d’utiliser les services téléphoniques d’Ooma – auprès d’un détaillant indépendant. Pour s’abonner au service et utiliser celui‑ci, les clients d’Ooma doivent acheter un Telo, car cet appareil est spécialement conçu pour fonctionner avec les services résidentiels de téléphonie IP offerts par l’entreprise.

[14] En janvier 2020, M. Zanin a créé et activé son compte sur le site Web d’Ooma, et, à cette étape, il a accepté les Conditions générales d’accord entre les clients et Ooma [les conditions générales]. Il affirme avoir reçu un courriel contenant les conditions générales plusieurs jours après s’être abonné au service. Ces conditions comprennent diverses clauses, notamment les clauses d’arbitrage, de renonciation aux recours collectifs et d’élection de for [collectivement, les clauses limitatives].

[15] Les abonnés au service profitent d’appels entrants et sortants illimités partout au pays. Le service comprend également plusieurs autres fonctionnalités, notamment : appels gratuits « de Ooma à Ooma », ce qui permet les appels internationaux entre clients d’Ooma; mise en attente et identification de l’appelant; appels au service 911; appels internationaux à faible coût; messagerie vocale; portail en ligne MyOoma; journal d’appels en ligne; configuration avancée du réseau et du pare‑feu; technologie PureVoice HD d’Ooma.

[16] Chaque mois, Ooma facture à ses abonnés au service des « frais de conformité réglementaire » et des « frais pour le service 911 ». Ooma admet que ces frais font partie de ses revenus et qu’ils s’élèvent à environ cinq dollars par mois par client (avant les taxes de vente). M. Zanin affirme qu’il n’était pas au courant de l’existence de ces frais, et qu’il a acheté l’appareil et s’est abonné au service parce qu’il croyait que ce dernier était gratuit. Bien que les appels nationaux illimités, la messagerie vocale et les appels 911 soient gratuits, les clients d’Ooma doivent payer chaque mois des frais nominaux et des taxes pour l’ensemble du forfait de service.

[17] Le montant de ces taxes et frais mensuels varie en fonction du lieu de résidence du client et peut être calculé en entrant un code postal sur la page du site Web d’Ooma prévue à cet effet.

B. Historique procédural

[18] Le recours collectif avait initialement été introduit par Mme Fiona Chiu le 3 février 2021. Par ordonnance datée du 9 novembre 2021, la Cour a autorisé la substitution de M. Zanin à Mme Chiu comme demandeur dans la présente instance. Le recours collectif a ainsi été réputé avoir été validement introduit par ce dernier le 8 novembre 2021.

[19] M. Zanin a déposé une déclaration modifiée le 9 novembre 2021 [la déclaration]. Dans sa requête en autorisation, il sollicite de la Cour, en son nom et au nom des membres du groupe, les mesures suivantes :

  1. un jugement déclaratoire portant qu’Ooma a employé, en liaison avec le service, une ou plusieurs désignations qui sont fausses sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde ses caractéristiques, sa qualité, sa quantité ou sa composition, en contravention de l’alinéa 7d) de la Loi sur les marques de commerce;
  2. une injonction interlocutoire provisoire et une injonction permanente interdisant à Ooma de continuer à employer, directement ou indirectement, en liaison avec le service, une désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde ses caractéristiques, sa qualité, sa quantité ou sa composition;
  3. des dommages‑intérêts (y compris des dommages‑intérêts symboliques), une remise des profits, des dommages‑intérêts punitifs, les dépens liés à la présente instance, ou des sommes sous l’un ou plusieurs de ces chefs de dommages, selon ce que M. Zanin ou les membres du groupe pourraient décider après enquête, au titre de l’article 53.2 ou de l’article 55 de la Loi sur les marques de commerce, ou de ces deux dispositions;
  4. un jugement déclaratoire portant que les indications données par Ooma relativement au service vont à l’encontre de l’article 52 de la Loi sur la concurrence;
  5. un jugement déclaratoire portant qu’Ooma a facturé aux membres du groupe un prix supérieur au plus bas de deux ou plusieurs prix clairement exprimés, par elle, pour le service, en contravention de l’article 54 de la Loi sur la concurrence;
  6. des dommages‑intérêts pour perte, en vertu de l’article 36 de la Loi sur la concurrence, en raison de la violation par Ooma des articles 52 et 54 de cette même loi;
  7. le recouvrement des coûts d’enquête et de poursuite liés à la présente instance, au titre de l’article 36 de la Loi sur la concurrence;
  8. une ordonnance autorisant la présente instance comme recours collectif et donnant des directives accessoires, conformément au paragraphe 334.16(1) et à l’article 334.17 des Règles;
  9. une ordonnance nommant M. Zanin représentant demandeur du groupe, conformément au paragraphe 334.12(3) et aux alinéas 334.16(1)e) et 334.17b) des Règles;
  10. une ordonnance relativement à l’évaluation globale des réparations pécuniaires qui sont dues aux membres du groupe, en application des paragraphes 334.28(1) et (2) des Règles;
  11. les intérêts avant jugement et après jugement;
  12. toute autre réparation que la Cour juge indiquée.

[20] À l’appui de sa requête en autorisation, M. Zanin a déposé un bref affidavit de quatorze paragraphes, souscrit le 23 août 2021 et auquel étaient jointes deux pièces [l’affidavit de M. Zanin]. Une pièce comprenait trois captures d’écran montrant l’historique de facturation de M. Zanin, tiré de son compte sur le site Web d’Ooma, et l’autre était une capture d’écran montrant les détails de la plus récente facture qu’il a reçue d’Ooma. M. Zanin a été contre‑interrogé sur son affidavit par les avocats d’Ooma.

[21] Le 12 novembre 2021, Ooma s’est opposée à la requête en autorisation de M. Zanin en déposant une défense modifiée [la défense] ainsi que la requête relative à la compétence. Elle s’est appuyée sur les éléments de preuve suivants :

  1. l’affidavit souscrit le 10 juin 2021 par Roy Calvo, vice‑président du service à la clientèle chez Ooma, Inc. [l’affidavit de M. Calvo], auquel étaient jointes plusieurs pièces;
  2. l’affidavit souscrit le 3 juin 2021 par Namrata Sabharwal, contrôleuse générale chez Ooma, Inc. [l’affidavit de Mme Sabharwal];
  3. l’affidavit souscrit le 14 octobre 2021 par Kathleen Jensby, directrice principale du marketing chez Ooma, Inc. [l’affidavit de Mme Jensby], auquel était jointe une publicité parue dans le numéro de Noël 2019 du magazine Costco Connection.

[22] M. Calvo et Mme Sabharwal ont tous deux été contre‑interrogés sur leurs affidavits, et un interrogatoire écrit a été envoyé à Mme Jensby.

[23] Par la requête relative à la compétence, Ooma conteste la compétence de la Cour et demande, subsidiairement, soit la suspension de l’instance dans l’attente d’un arbitrage, en application du paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 [la Loi sur les CF], soit un jugement sommaire rejetant le recours collectif, conformément à l’article 213 et au paragraphe 215(1) des Règles.

[24] Les parties ont déposé un dossier de requête unifié pour la requête en autorisation de M. Zanin et la requête relative à la compétence d’Ooma. L’audition des deux requêtes a eu lieu en janvier 2022.

[25] Après l’audience, la Cour a donné diverses directives concernant les demandes des parties visant le dépôt de décisions récentes et d’observations postérieures à l’audience sur différentes questions pertinentes pour la présente affaire. Le 18 juillet 2022, la Cour a rejeté la demande qu’avaient présentée les avocats de M. Zanin en vue de fournir des observations additionnelles au sujet d’une modification apportée après l’audience à l’article 52 de la Loi sur la concurrence. Le 17 octobre 2022, elle a autorisé les parties à présenter des observations additionnelles sur sa décision Difederico c Amazon.Com, Inc, 2022 CF 1256 [Difederico CF], rendue en septembre 2022.

[26] Le 2 novembre 2022, les avocats de M. Zanin ont porté à l’attention de notre Cour l’arrêt Valeant Canada LP/Valeant Canada SEC v British Columbia, 2022 BCCA 366 [Valeant BCCA], où la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique statue sur l’appel de la décision British Columbia v Apotex Inc, 2022 BCSC 1, rendue par la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, à laquelle les parties avaient renvoyé dans leurs observations respectives. Le 10 juillet 2023, ils ont envoyé à notre Cour l’arrêt Live Nation Entertainment, Inc v Gomel, 2023 BCCA 274 [Gomel], dans lequel de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique se prononce sur l’appel de la décision Gomel v Live Nation Entertainment, Inc, 2021 BCSC 699, de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, qui avait également été citée précédemment.

[27] Le 27 juillet 2023, notre Cour a également autorisé les parties à présenter des observations écrites additionnelles relativement à l’arrêt Difederico c Amazon.com, Inc, 2023 CAF 165 [Difederico CAF], rendu le 25 juillet 2023, dans lequel la Cour d’appel fédérale a tranché l’appel de la décision Difederico CF.

[28] Le 8 août 2023, notre Cour a de nouveau fait droit à la demande des parties visant le dépôt d’observations écrites additionnelles, cette fois en lien avec les arrêts de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique Williams v Amazon.com Inc, 2023 BCCA 314 [Williams BCCA] et Petty v Niantic Inc, 2023 BCCA 315 [Petty BCCA], puisque, lors de l’audience, les parties avaient renvoyé aux décisions rendues dans ces affaires par la Cour suprême de la Colombie‑Britannique (Williams v Amazon.com Inc, 2020 BCSC 300 [Williams BCSC] et Petty v Niantic Inc, 2022 BCSC 1077 [Petty BCSC]).

[29] Le 15 août 2023, la Cour a rejeté une demande faite par les avocats de M. Zanin en vue de déposer des observations additionnelles après l’audience concernant une décision rendue par une Cour de district des États‑Unis portant sur les services d’arbitrage et de médiation judiciaire [les JAMS] dont il est question dans la clause d’arbitrage d’Ooma.

[30] Le 8 janvier 2024, les avocats de M. Zanin ont porté à l’attention de notre Cour la décision Lochan v Binance Holdings Limited, 2023 ONSC 6714 [Lochan], récemment rendue par la Cour supérieure de justice de l’Ontario, puis, le 22 janvier 2024, ils lui ont envoyé l’arrêt de la Cour d’appel du Manitoba Pokornik v SkipTheDishes Restaurant Services Inc, 2024 MBCA 3 [Pokornik].

[31] La plupart de ces précédents supplémentaires qu’ont présentés les parties après l’audience portaient sur des requêtes en suspension de recours collectifs envisagés en raison de l’existence d’une clause d’arbitrage. Je tiens en outre à faire remarquer que, le 16 mai 2024, la Cour suprême du Canada a rejeté les demandes d’autorisation de pourvoi déposées à l’encontre des arrêts Difederico CAF, Williams BCCA et Petty BCCA (numéros de dossier de la Cour suprême du Canada : 40927, 40932 et 40935).

[32] Le 25 juin 2024, les avocats de M. Zanin ont demandé à la Cour l’autorisation de fournir d’autres observations au sujet de la décision Lin c Uber Canada Inc, 2024 CF 977 [Uber], que j’ai moi-même rendue le 24 juin 2024. Ils ont également affirmé qu’Ooma, Inc. aurait modifié ses conditions d’arbitrage le 13 juin 2024 et, par conséquent, ils demandaient l’autorisation de présenter des observations sur la pertinence de ces modifications quant à l’interprétation des conditions générales d’Ooma et sur leur incidence sur les réclamations présentées à compter de cette date. Dans une directive donnée le 12 juillet 2024, la Cour a rejeté leur demande.

[33] Enfin, le 27 septembre 2024, les avocats de M. Zanin ont porté à l’attention de notre Cour l’arrêt rendu par la Cour d’appel de l’Ontario RH20 North American Inc v Bergman, 2024 ONCA 445 [RH20], qui portait sur la question de la renonciation au droit à l’arbitrage dans les cas où la partie défenderesse sollicite une réparation substantielle.

C. Résumé des allégations des parties

[34] M. Zanin invoque trois causes d’action. Premièrement, il allègue qu’Ooma, Inc. a contrevenu à l’alinéa 7d) de la Loi sur les marques de commerce et, par conséquent, il demande réparation au titre de l’article 53.2 de cette loi. Deuxièmement, il allègue qu’Ooma, Inc. et Ooma Canada Inc. ont contrevenu à l’article 54 de la Loi sur la concurrence et demande donc réparation en vertu de l’article 36 de cette loi. Troisièmement, il allègue qu’Ooma, Inc. a contrevenu à l’article 52 de la Loi sur la concurrence et demande donc réparation en vertu de l’article 36 de cette loi.

[35] S’agissant de sa première cause d’action, M. Zanin soutient qu’Ooma, Inc. a induit le public en erreur en décrivant le service comme étant « GRATUIT ». Il fait également valoir que l’alinéa 7d) de la Loi sur les marques de commerce a pour objectif de protéger les consommateurs et qu’il s’ensuit que tout consommateur touché peut être considéré comme étant une « personne intéressée » visée à l’article 53.2 de cette loi. À l’appui de cette cause d’action, il se fonde sur plusieurs des arguments qu’il avance dans le contexte de son allégation de violation de l’article 52 de la Loi sur la concurrence. Plus précisément, il soutient qu’il n’est pas nécessaire d’invoquer l’existence d’un acte de confiance préjudiciable pour obtenir réparation en vertu de l’article 53.2 de la Loi sur les marques de commerce.

[36] Ooma répond que l’argument de M. Zanin est mal fondé, étant donné que l’alinéa 7d) de la Loi sur les marques ne porte pas sur les déclarations trompeuses quant au prix d’un produit ou service. Elle fait remarquer que M. Zanin n’a pas précisé, dans ses actes de procédure, sur quel élément de cette disposition reposait son allégation selon laquelle elle avait induit le public en erreur. Se fondant sur des précédents et des sources doctrinales, elle soutient en outre que l’article 7 de la Loi sur les marques de commerce – loi fédérale – devrait recevoir une interprétation restrictive afin d’éviter d’empiéter sur la compétence provinciale sur « la propriété et les droits civils » visée au paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867 (R‑U), 30 & 31 Victoria, c 3, art 91, reproduite dans LRC 1985, ann II, no 5 (voir, par exemple, MacDonald et al c Vapor Canada Ltd, 1976 CanLII 181 (CSC), [1977] 2 RCS 134 [Vapor Canada] à la p 172; Energizer Brands, LLC c The Gillette Company, 2018 CF 1003 [Energizer Brands CF] au para 75, inf en partie pour d’autres motifs dans 2020 CAF 49 [Energizer Brands CAF]; Teresa Scassa, Canadian Trademark Law, 1re éd, Markham, LexisNexis Canada, 2010 [Canadian Trademarks Law] aux pp 443, 444).

[37] Dans sa réponse, M. Zanin prétend qu’Ooma se fonde sur un argument bidon lorsqu’elle soutient que la cause d’action qu’il invoque au titre de l’alinéa 7d) de la Loi sur les marques de commerce repose uniquement sur le prix. Il explique qu’il a fourni, dans sa déclaration, d’autres désignations ou descriptions du service d’Ooma qui se rapportent aux éléments énumérés au sous‑alinéa 7d)(i) de cette loi. Ces désignations ou descriptions, dont il a dressé la liste au paragraphe 25 de sa déclaration [collectivement, les désignations ou descriptions], sont les suivantes :

  1. « Get crystal‑clear calling for free in Canada/Service téléphonique résidentiel gratuit »;
  2. [traduction] « Profitez d’appels nationaux gratuits d’une clarté exceptionnelle »;
  3. [traduction] « Forfait gratuit »;
  4. « Service de téléphonie – 0 $/mois* »;
  5. [traduction] « Le Telo et notre service gratuit* de téléphonie résidentielle »;
  6. [traduction] « Le fonctionnement du Ooma Telo et de notre service de téléphonie résidentielle gratuit »;
  7. [traduction] « Téléphonie IP gratuite ».

[38] M. Zanin prétend en outre qu’Ooma aurait dû donner un avis de question constitutionnelle en raison de sa position concernant l’alinéa 7d) de la Loi sur les marques de commerce, et qu’à cause de cette omission, la Cour ne peut examiner les arguments constitutionnels.

[39] La deuxième cause d’action qu’invoque M. Zanin repose sur l’article 54 de la Loi sur la concurrence. Il soutient que les trois éléments constitutifs de l’infraction aux termes de cette disposition sont présents, à savoir : i) une personne a fourni un produit (en l’occurrence, le service); ii) à un prix qui dépasse le plus bas de deux ou plusieurs prix (5,41 $ plutôt que 0 $); iii) qui sont clairement exprimés sur le produit, sur quelque chose qui est fixé au produit ou qui y est joint, ou dans un étalage ou la réclame d’un point de vente (en l’occurrence, sur la facture mensuelle).

[40] Selon M. Zanin, la présente affaire s’apparente à bien des égards à l’affaire Lin c Airbnb, Inc, 2019 CF 1563 [Airbnb], mais la violation de l’article 54 de la Loi sur la concurrence alléguée en l’espèce est encore plus flagrante étant donné que les deux prix sont exprimés sur le même document, plutôt qu’affichés sur deux pages Web séquentielles. En effet, il affirme que sa facture mensuelle indique un prix de 0 $ pour le service, ainsi qu’une somme de 5,41 $ pour les frais, ce qui, à son avis, équivaut à un double étiquetage.

[41] Ooma conteste cette conclusion et soutient qu’aucun des trois éléments constitutifs de l’infraction prévue à l’article 54 de la Loi sur la concurrence n’est présent. Le premier élément est absent, puisqu’on ne sait pas exactement à quel produit M. Zanin fait référence. En fait, certaines des publicités produites par M. Zanin à l’appui du recours collectif ne mentionnent pas le service, tandis que d’autres font la promotion d’autres produits d’Ooma. En ce qui concerne le deuxième élément, les deux prix allégués étaient exprimés sur la facture mensuelle après l’abonnement de M. Zanin au service, ce qui signifie qu’ils ne pouvaient l’avoir induit en erreur et incité à s’abonner au service. S’agissant du troisième élément, les deux prix ne figuraient pas sur le produit, sur quelque chose qui était fixé au produit ou qui y était joint, ni dans un étalage ou la réclame d’un point de vente (Loi sur la concurrence, art 54(1)a) à c)). Comme il a été mentionné plus haut, les prix étaient exprimés sur la facture mensuelle.

[42] Dans sa réponse, M. Zanin soutient que la facture mensuelle d’un service est clairement visée par l’alinéa 54(1)b) ou c) de la Loi sur la concurrence, puisque la facture accompagne le service. Il ajoute que son compte en ligne Ooma peut être considéré comme un « étalage [d’un] point de vente » (art 54(1)c)). Enfin, il estime que les arguments avancés par Ooma reviennent à exclure les « services » du champ d’application de l’article 54, comme si cette disposition ne s’appliquait qu’aux biens matériels.

[43] Comme troisième cause d’action, M. Zanin allègue qu’Ooma, Inc. a décrit le service comme étant « GRATUIT », ce qui revient à donner au public une indication fausse ou trompeuse aux termes de l’article 52 de la Loi sur la concurrence. Il fait également valoir qu’il n’a pas à prouver l’existence d’un acte de confiance préjudiciable pour établir qu’Ooma a contrevenu à l’article 52 et justifier une demande de réparation au titre de l’article 36. Autrement dit, il ne lui serait pas nécessaire de démontrer que les indications trompeuses d’Ooma l’ont véritablement incité à agir contre son propre intérêt. Pour étayer sa position, il renvoie notamment aux paragraphes 178 à 190 de la décision Krishnan v Jamieson Laboratories Inc, 2021 BCSC 1396 [Krishnan] et aux paragraphes 32 à 36 de la décision Rebuck v Ford Motor Company, 2018 ONSC 7405 [Rebuck]. Il soutient essentiellement que l’existence d’un acte de confiance préjudiciable n’est pas une exigence pour l’obtention d’une réparation au titre de l’article 36 de la Loi sur la concurrence.

[44] Ooma répond qu’elle n’a donné aucune indication fausse ou trompeuse, car l’ensemble des frais facturés à ses clients sont expressément mentionnés dans ses documents. Elle ajoute que le droit est clair à ce sujet : une demande de réparation au titre des articles 36 et 52 de la Loi sur la concurrence ne peut être accueillie que s’il y a eu eu acte de confiance préjudiciable (Airbnb, au para 71; Murphy c Compagnie Amway Canada, 2015 CF 958 [Amway] aux para 79‑85). Elle souligne aussi que M. Zanin est toujours abonné à son service, ce qui montre que le fait qu’il s’est fié aux indications qu’elle a données au sujet du service ne lui a causé aucun préjudice.

D. Dispositions pertinentes

[45] Les dispositions pertinentes des Règles sont reproduites à l’annexe A des présents motifs, alors que celles de la Loi sur la concurrence et de la Loi sur les marques de commerce se trouvent à l’annexe B.

III. Considérations contextuelles

[46] Avant d’aller plus loin, quelques observations préliminaires s’imposent. À l’audience, la Cour a eu du mal à obtenir des éclaircissements de la part des avocats de M. Zanin concernant la teneur de leurs actes de procédure et de leurs observations.

[47] Ils ont eu de multiples occasions de les expliquer et d’y apporter des précisions, mais, malheureusement, la Cour a continué à recevoir des réponses vagues et alambiquées qui n’étaient pas particulièrement utiles. À l’issue de ce processus pénible et déconcertant, la Cour s’interrogeait toujours sur la teneur réelle des allégations et des arguments formulés par M. Zanin dans le cadre du recours collectif. Les avocats de M. Zanin n’ont pas été en mesure ou ont refusé de répondre directement aux questions de la Cour, et ont préféré s’en tenir aux éléments contradictoires contenus dans leurs propres documents et actes de procédure. En particulier, ils ont été incapables de répondre de façon claire à des questions très simples au sujet des points suivants : i) Quelles étaient les indications et les annonces précises d’Ooma? ii) Est-ce que « GRATUIT » et « 0 $ » ont la même signification, et le mot « GRATUIT » exprime-t-il un prix? iii) M. Zanin avait-il accepté les conditions générales d’Ooma?

[48] Chacun de ces points est examiné ci‑après.

A. Indications données par Ooma

[49] Dans ses observations, M. Zanin a affirmé qu’Ooma avait présenté le service au public comme étant gratuit. Selon lui, elle aurait décrit son service en ces termes : i) « FREE home phone service/Service téléphonique à domicile GRATUIT »; ii) « Get crystal‑clear calling for free in Canada/Service téléphonique résidentiel gratuit »; iii) [traduction] « Profitez d’appels nationaux gratuits d’une clarté exceptionnelle »; iv) [traduction] « Forfait gratuit »; v) « Service de téléphonie – 0 $/mois* »; vi) [traduction] « Le Telo et notre service gratuit* de téléphonie résidentielle »; vii) [traduction] « Le fonctionnement du Ooma Telo et de notre service de téléphonie résidentielle gratuit »; et viii) [traduction] « Téléphonie IP gratuite* » (déclaration, au para 25).

[50] M. Zanin a en outre fait valoir que ces désignations ou descriptions figuraient aux endroits suivants : a) sur l’emballage des appareils Ooma Telo; b) sur le site Web canadien d’Ooma; c) sur les factures détaillées mensuelles des membres du groupe; d) dans les renseignements disponibles lors de l’abonnement au service; e) sur les médias sociaux d’Ooma (déclaration, au para 24). Dans sa déclaration, M. Zanin a affirmé à plusieurs reprises que le service était gratuit ou qu’il coûtait 0 $ (déclaration, aux para 3, 4, 24, 25, 31b) et d), 36, 41e), 43, 51 et 59). Il a fait valoir le même point aux questions nos 1, 3, 4 et 5 de sa liste de questions communes proposées.

[51] Cependant, l’examen des documents présentés à la Cour révèle que M. Zanin a proposé une interprétation partielle, sélective et trompeuse des indications qu’a réellement données Ooma.

[52] À la demande de la Cour, les avocats de M. Zanin ont résumé l’ensemble des indications données par Ooma dans un document intitulé [traduction] « Résumé des indications », qui a été présenté à la Cour le troisième jour de l’audience. Une chose ressort de ce document : dans les extraits présentés et les renvois donnés dans le document, jamais Ooma n’emploie une indication ou une expression isolée concernant son service téléphonique « GRATUIT » ou coûtant « 0 $ » sans l’accompagner d’une mention explicite des « taxes et frais applicables » qui doivent être payés, ou d’un renvoi à ceux‑ci.

[53] Contrairement à ce qu’a allégué M. Zanin et ont soutenu ses avocats, les indications données par Ooma ne se limitent jamais au mot « GRATUIT » ou au montant « 0 $ », qui sont toujours suivis de la mention des taxes et frais applicables ou, au moins, d’un astérisque renvoyant à ceux‑ci, sur la même page, le même document ou l’emballage sur lequel figure le mot « GRATUIT » ou le montant « 0 $ ». Lorsqu’il est question d’un [traduction] « service téléphonique gratuit » ou d’un [traduction] « service de téléphonie résidentielle GRATUIT » dans les publicités d’Ooma, ces mentions sont immédiatement suivies de la précision [traduction] « Vous ne payez que les taxes et frais applicables » ou [traduction] « Vous ne payez que les taxes et frais » écrite dans la même taille de police ou dans une taille légèrement plus petite. La précision figure sur la même page que le mot « GRATUIT » ou le montant « 0 $ », et les consommateurs peuvent cliquer sur un lien pour connaître le montant de ces taxes et frais, ou consulter l’endos de l’emballage pour obtenir plus d’information. De même, les factures mensuelles d’Ooma indiquent que le prix du [traduction] « forfait téléphonique de base » correspond à un « sous‑total » de « 0 $ », somme à laquelle s’ajoutent des taxes et frais, comme les « frais pour le service 911 » et les « frais de conformité réglementaire », qui donnent le « total » de la somme à payer. Selon les renseignements sur les factures, le prix du [traduction] « forfait téléphonique de base » correspond à un « sous‑total » de « 0 $ », auquel s’ajoutent des taxes et frais qui portent le prix à un total variant entre 5 $ et 6 $. Selon le document intitulé [traduction] « Historique de facturation Ooma », le forfait téléphonique de base coûte 5,07 $.

[54] Autrement dit, si les documents d’Ooma indiquent que le service est gratuit, ils précisent néanmoins toujours, sur la même page ou sur le même document ou emballage, que des taxes et frais s’appliquent, et il est possible d’en connaître le montant en cliquant sur un lien.

[55] De plus, le dossier montre que la mention des taxes et frais applicables n’est pas écrite en petits caractères, de façon à peine lisible, dans une note de bas de page ni dans d’autres documents d’Ooma. Elle figure en fait tout près des indications « GRATUIT » ou « 0 $ » et fait partie intégrante des indications données par Ooma. Il ressort clairement des actes de procédure et des documents qui y sont joints qu’Ooma n’a pas simplement décrit son service comme étant « GRATUIT » ou coûtant « 0 $ ».

[56] Je trouve qu’il est troublant de constater que, tout au long de ses actes de procédure et de ses observations, M. Zanin a présenté à la Cour ce qui semble être une interprétation sélective et trompeuse de la teneur réelle des indications données par Ooma au sujet de son service. Il est assez ironique de voir une telle approche dans le contexte d’un recours collectif envisagé visant à faire sanctionner des pratiques prétendument trompeuses en ce qui a trait au prix.

B. « GRATUIT ou 0 $ »

[57] Lors de l’audience, les avocats de M. Zanin ont tenté à maintes reprises de convaincre la Cour que le mot « GRATUIT » et le montant « 0 $ » semblaient renvoyer à deux réalités et notions différentes, et que le mot « GRATUIT » pouvait en quelque sorte ne pas être associé à la notion de prix. Je suis d’avis que cet argument n’a absolument aucun fondement. Il ne repose sur aucun élément de preuve ni précédent, il est contraire au sens commun, et même les actes de procédure de M. Zanin ne vont pas dans ce sens.

[58] D’abord et avant tout, la tentative de M. Zanin d’établir une distinction entre le mot « GRATUIT » et le montant « 0 $ » constitue un affront au sens commun de toute personne raisonnable. Selon le dictionnaire en ligne Merriam-Webster Dictionary – ou tout autre dictionnaire fiable –, le sens ordinaire du mot [traduction] « gratuit » (free) dans le contexte commercial est sans aucun doute le suivant : [traduction] « qui ne coûte rien ou est donné sans faire payer » (not costing or charging anything) [non souligné dans l’original] (Merriam-Webster Dictionary (consulté le 18 décembre 2024), sous l’entrée « free », en ligne : <https://www.merriam-webster.com/dictionary/free>). Il s’ensuit nécessairement que le mot « gratuit » renvoie à un coût de 0 $, et est donc une forme de prix.

[59] Dans le même ordre d’idées, M. Zanin emploie indifféremment le mot « GRATUIT » et le montant « 0 $ » tout au long de ses propres actes de procédure et de ses observations. Tout lecteur comprendrait que M. Zanin et ses avocats ont recouru à ces deux moyens de s’exprimer pour renvoyer exactement à la même chose. En gros, « GRATUIT » signifie toujours « 0 $ » et exprime manifestement un prix.

[60] La combinaison [traduction] « GRATUIT ou 0 $ » (et ses légères variantes stylistiques) est employée pas moins de neuf fois dans la déclaration de M. Zanin et reprise dans sa réponse. Elle apparaît également quatre fois dans sa liste des questions communes. Les avocats de M. Zanin l’ont également utilisée à sept reprises dans le mémoire des faits et du droit déposé à l’appui de la requête en autorisation de leur client, ainsi qu’à huit reprises dans leurs observations présentées en réponse. De même, de nombreuses mentions de ces deux notions réunies apparaissent dans les actes de procédure et dans des observations dans le contexte précis de la cause d’action fondée sur l’alinéa 7d) de la Loi sur les marques de commerce : trois fois dans la déclaration (aux para 36, 40e), 59) ainsi que trois fois dans le mémoire des faits et du droit de M. Zanin (aux para 5, 105, 106).

[61] Je tiens en outre à faire remarquer que, dans l’un des documents du Bureau de la concurrence fournis par les avocats de M. Zanin comme sources à l’appui, plus précisément au paragraphe 3(6) du document intitulé [traduction] « Indications fausses ou trompeuses », le mot « gratuit » fait l’objet d’une sous‑section portant sur les diverses formes d’« indications relatives aux prix ».

[62] Même les avocats de M. Zanin ont souvent utilisé le terme [traduction] « indication du prix » dans leur plaidoirie et dans leurs observations alors qu’ils faisaient référence au mot « GRATUIT » ou au montant « 0 $ ».

[63] La Cour a amplement donné l’occasion aux avocats de M. Zanin de préciser leur position lors de l’audience, mais soit ils n’en ont pas été capables, soit ils ont refusé de le faire. Ils ont plutôt persisté à soutenir que le mot « GRATUIT » et le montant « 0 $ » renvoyaient en quelque sorte à deux réalités différentes, et que le mot « GRATUIT » pouvait ne pas être associé à la notion de prix.

[64] Je rejette complètement cet argument. En bref, il est absurde de prétendre que le mot « GRATUIT » n’exprime pas un prix et qu’il est en quelque sorte différent du montant « 0 $ » dans le contexte commercial des indications données par Ooma au sujet du service, et une telle prétention n’est aucunement étayée par le sens commun le plus élémentaire, par les propres actes de procédure et observations de M. Zanin ni par aucun précédent.

 

C. Acceptation des conditions générales d’Ooma

[65] Je passe enfin à la question de l’acceptation par M. Zanin des conditions générales d’Ooma. Encore une fois, les avocats de M. Zanin n’ont pas été en mesure ou ont refusé de répondre clairement à la question. Ils ont fait valoir qu’il n’y avait aucune preuve d’acceptation ou, du moins, qu’on ne peut établir avec certitude que leur client avait accepté les conditions générales, y compris les clauses limitatives qu’elles comportent.

[66] M. Zanin affirme avoir reçu un courriel contenant les conditions générales après s’être abonné au service, soit quelques jours après son achat du Telo en décembre 2019. Selon lui, ce fait tend fortement à indiquer qu’il n’a pas accepté les conditions générales au moment de son abonnement au service et que le contrat qui le lie à Ooma a en fait été conclu lors de l’achat du Telo.

[67] Malheureusement, je ne peux souscrire à cette prétention. Après examen du dossier dont je dispose, je suis convaincu que M. Zanin a accepté les conditions générales lorsqu’il a créé son compte Ooma, et que les clauses limitatives sont valides en droit et qu’elles lient les parties.

[68] M. Zanin a mentionné et invoqué les conditions générales – qu’il appelle les [traduction] « conditions d’utilisation » – pour la première fois aux paragraphes 21, 22, 60 et 61 de la déclaration. Le recours collectif proposé par M. Zanin est en fait fondé sur les conditions générales.

[69] En réalité, les éléments de preuve exposés ci‑après, tirés du dossier de la Cour, confirment que M. Zanin a accepté les conditions générales.

[70] En contre‑interrogatoire, il a été demandé à M. Zanin s’il avait accepté les conditions générales d’Ooma lors de la création de son compte à la suite de l’achat du Telo, et sa réponse a été la suivante : [traduction] « J’imagine que cela en fait partie, oui » (contre‑interrogatoire de M. Zanin, à la p 26). À la question de savoir à quel moment il avait accepté les conditions générales, il a répondu qu’il l’avait fait [traduction] « en décembre 2019 », mais qu’il ne pouvait se souvenir de la date exacte (contre‑interrogatoire de M. Zanin, à la p 26).

[71] De plus, M. Calvo a confirmé que Mme Chiu – la demanderesse à l’époque où il a déposé son affidavit – avait créé son compte et accepté les conditions générales en même temps (affidavit de M. Calvo, aux para 19, 32). M. Zanin n’a produit aucune preuve contraire à cet égard. M. Calvo a ajouté que Mme Chiu s’était appuyée sur deux versions des conditions générales et qu’elle les avaient envoyées aux avocats d’Ooma (affidavit de M. Calvo, au para 32). De plus, par voie de demande d’admission, les avocats de Mme Chiu avaient demandé à Ooma de reconnaître l’authenticité des conditions générales.

[72] M. Zanin soutient qu’il incombait à Ooma de prouver que les clauses d’arbitrage et de renonciation au recours collectif avaient effectivement été portées à l’attention du client au moment de la conclusion du contrat. Pour étayer sa position, il invoque l’arrêt Tilden Rent‑A‑Car v Clendenning, 1978 CanLII 1446 (ON CA), 18 OR (2d) 601 [Tilden], et l’arrêt anglais Thornton v Shoe Lane Parking Ltd, [1970] EWCA Civ 2, [1971] 1 All ER 686 (QL) [Thornton]. Selon lui, Ooma ne s’est pas acquittée de ce fardeau.

[73] Nul ne conteste qu’il incombe à la partie invoquant les conditions prévues dans une clause d’arbitrage de prouver que la clause a été acceptée et qu’elle était en vigueur et exécutoire au moment où le contrat la contenant a été conclu (Stella-Jones Inc c Mariana (Le), 2001 CFPI 1148 aux para 8, 9, conf par 2002 CAF 215; voir aussi : Brentwood Plastics Inc v Topsyn Flexible Packaging Ltd, 2014 MBQB 97 au para 20). En effet, [traduction] « si le contrat ne comportait aucune clause d’arbitrage au moment de sa conclusion, le débat est clos [en ce qui concerne l’arbitrage] » (Secure Solutions Inc v Smiths Detection Toronto Ltd, 2011 ONCA 337 à la fin du para 4). Les arguments de M. Zanin ne me convainquent pas et, compte tenu de la preuve mentionnée plus haut, je conclus que les clauses en litige ont été portées à son attention.

[74] Les clauses d’arbitrage et de renonciation au recours collectif faisaient partie intégrante des conditions générales, et des lettres majuscules ont été utilisées à la section 16 du contrat afin de les présenter et d’attirer l’attention du client sur leur importance. Dans des jugements antérieurs, les tribunaux ont conclu que des clauses d’arbitrage ayant une structure semblable donnaient un avis suffisant aux consommateurs (Difederico CF, au para 78, renvoyant à Kanitz v Rogers Cable Inc, 2002 CanLII 49415 (C sup Ont), 58 OR (3d) 299 aux para 30‑33). M. Zanin était redirigé vers les conditions générales en cliquant sur ce terme. Les éléments de preuve au dossier, notamment les captures d’écran du site Web d’Ooma ainsi que l’affidavit et le contre‑interrogatoire de M. Calvo, démontrent qu’au moment de son abonnement, M. Zanin pouvait, grâce à un hyperlien, consulter les conditions générales associées au service.

[75] Il est désormais bien reconnu que M. Zanin a donné son consentement aux clauses limitatives en cliquant sur l’hyperlien et en acceptant les conditions générales : la présence d’un hyperlien menant à des conditions dans un contrat de consommation électronique suffit pour lier les consommateurs à ces conditions, même s’ils ne cliquent pas sur le lien ou ne lisent pas les conditions (Uber, au para 181, renvoyant à Hazell v DoorDash Technologies Canada Inc, 2022 BCSC 2497 [DoorDash] au para 74); voir aussi : Tahmasebpour v Freedom Mobile Inc, 2024 BCSC 726 [Tahmasebpour] au para 26, renvoyant à DoorDash, au para 74).

[76] Dans l’arrêt Dell Computer Corp c Union des consommateurs, 2007 CSC 34 [Dell], la Cour suprême du Canada a formulé les observations suivantes au sujet des conditions accessibles en cliquant sur un hyperlien dans les contrats de consommation électroniques :

[100] Il ressort de la preuve au dossier que le consommateur peut accéder directement à la page du site Internet de Dell où figure la clause d’arbitrage en cliquant sur l’hyperlien en surbrillance intitulé « Conditions de vente » (ou « Terms and Conditions of Sale » dans la version anglaise de ce site). Ce lien est reproduit à chaque page à laquelle le consommateur accède. Dès que le consommateur active le lien, la page contenant les conditions de vente, dont la clause d’arbitrage, apparaît sur son écran. En ce sens, cette clause n’est pas plus difficile d’accès pour le consommateur que si on lui avait remis une copie papier de l’ensemble du contrat comportant des conditions de vente inscrites à l’endos de la première page du document.

[101] À mon avis, l’accès du consommateur à la clause d’arbitrage n’est pas entravé par la configuration de cette clause dont il peut lire le texte en cliquant une seule fois sur l’hyperlien menant aux conditions de vente. La clause d’arbitrage ne constitue donc pas une clause externe au sens du Code civil du Québec.

[Non souligné dans l’original.]

[77] S’agissant des affaires Tilden et Thornton, on peut facilement établir une distinction d’avec celle qui nous occupe. Dans l’arrêt Tilden, la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que la défenderesse ne pouvait invoquer les clauses inhabituelles et onéreuses d’un contrat type pour écarter sa propre responsabilité alors qu’elle savait que la demanderesse n’y avait pas sciemment donné son consentement. La cour a jugé qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que la partie ayant l’intention de se prévaloir des clauses strictes ou onéreuses contenues dans un contrat type doive aviser l’autre partie de leur présence. Je suis convaincu que, dans les circonstances de l’espèce, Ooma a pris des mesures raisonnables afin d’attirer l’attention de ses clients sur les clauses d’arbitrage et de renonciation au recours collectif, ainsi que sur la clause d’élection de for, au moment de l’abonnement au service.

[78] Dans l’arrêt Thornton, la Cour d’appel de l’Angleterre et du Pays de Galles a conclu que les conditions onéreuses en cause ne faisaient pas partie du contrat, car le client du stationnement ne pouvait les consulter au moment où il achetait son billet pour l’espace de stationnement. Dans cette affaire, la condition contestée était affichée à un endroit distinct et constituait une clause externe au contrat. M. Zanin renvoie à cette affaire pour étayer son argument selon lequel Ooma ne lui aurait envoyé les conditions générales qu’après son abonnement au service. L’affaire Thornton se distingue cependant de la situation de M. Zanin, puisque dans le cas de ce dernier, les clauses en litige ne se trouvaient pas en dehors de l’accord contractuel principal – c’est‑à‑dire les conditions générales – et elles avaient été portées à son attention au moment de la conclusion du contrat.

[79] En somme, je suis convaincu que les conditions générales, y compris les clauses limitatives, ont été acceptées par les parties.

[80] Quoi qu’il en soit, l’argument de M. Zanin selon lequel il n’avait pas donné son consentement aux conditions générales d’Ooma n’est d’aucune utilité, étant donné que cet argument vient essentiellement saboter toute chance de succès de son propre recours collectif. En effet, dans l’hypothèse où je retenais cet argument, cela entraînerait le rejet immédiat de la requête en autorisation qu’il a présentée. Comme il a été souligné à l’audience, M. Zanin doit démontrer qu’il est un représentant demandeur approprié pour le groupe afin d’aller de l’avant avec le recours collectif. S’il n’était pas lié par les conditions générales, il n’aurait aucune relation contractuelle avec Ooma et n’aurait pas qualité pour contester les clauses limitatives ni intenter une poursuite contre l’entreprise. Par conséquent, M. Zanin ne satisferait pas à l’exigence concernant l’existence d’un représentant demandeur, et le recours collectif serait rejeté.

IV. Questions préliminaires

[81] Avant d’examiner les questions de fond soulevées par les parties, je dois statuer sur cinq questions préliminaires : le délai de prescription applicable aux recours collectifs, la règle d’équité établie dans l’arrêt Browne v Dunn, 1893 CanLII 65 (FOREP), 6 R 67 (Ch des lords (Angl)) [Browne], la reconnaissance de la compétence, la nécessité de l’avis de question constitutionnelle, et la requête subsidiaire en jugement sommaire présentée par Ooma.

A. Délai de prescription

[82] Selon Ooma, le délai de prescription applicable au recours collectif devrait être calculé à partir de la date à laquelle la Cour rend sa décision concernant l’autorisation, étant donné que c’est l’autorisation de l’instance comme recours collectif qui interrompt la prescription. Elle tire cette conclusion du constat que les Règles ne mentionnent pas la possibilité de suspendre la prescription, contrairement aux lois provinciales qui sont explicites sur ce point.

[83] M. Zanin répond que la position d’Ooma quant au calcul du délai de prescription n’est pas étayée par le droit et qu’elle est insensée. Il explique que, si la Cour retenait un tel argument, cela créerait une situation où de nombreux recours collectifs seraient rejetés d’emblée, puisque le processus d’autorisation, sans compter le délibéré, peut s’avérer long. À l’audience, M. Zanin a cité la décision Airbnb à titre d’exemple de décision rendue par notre Cour concernant une requête en autorisation où le délai de prescription avait été fixé en fonction de la date de dépôt de la déclaration, et non de la date à laquelle la Cour avait accordé l’autorisation.

[84] Je conviens avec M. Zanin que le calcul du délai de prescription applicable aux réclamations des membres du groupe commence à courir à compter du dépôt du recours collectif, et non de la décision de la Cour relative à l’autorisation. Cette façon de faire est la pratique suivie par la Cour depuis longtemps, et Ooma n’a fourni aucun argument convaincant justifiant de s’en écarter.

B. Règle établie dans l’arrêt Browne

[85] M. Zanin fait valoir que, contrairement à ce qu’allègue Ooma, sa réclamation n’est pas fondée sur la publicité de Costco et que c’est pour cette raison qu’il ne l’a pas incluse dans son dossier. Ooma a produit la publicité de Costco à la suite du contre‑interrogatoire de M. Zanin.

[86] En réponse à la requête subsidiaire en jugement sommaire présentée par Ooma, M. Zanin soutient que cette dernière ne devrait pas être autorisée à utiliser la publicité de Costco pour le contredire et attaquer sa crédibilité. Il affirme que cette publicité ne lui a jamais été montrée, puisqu’elle n’a été présentée par Ooma qu’après son contre‑interrogatoire. Il n’a donc jamais eu l’occasion d’expliquer l’incohérence qu’il y aurait entre son témoignage et l’information fournie dans la publicité de Costco. Selon lui, le recours à cette publicité va à l’encontre de la règle fondamentale d’équité énoncée dans l’arrêt Browne.

[87] Dans l’arrêt Browne, jugement charnière en matière criminelle, la Chambre des Lords britannique a conclu que la preuve contradictoire devait être présentée aux témoins afin qu’ils puissent expliquer toute incohérence alléguée qui pourrait attaquer leur crédibilité (Browne, aux pp 70, 71). Lord Herschell a décrit cette règle comme étant [traduction] « essentielle pour agir de façon loyale envers les témoins » (Browne, à la p 71). Elle reflète le principe de la confrontation dans le contexte du contre‑interrogatoire de témoins lorsque les parties s’opposent sur des questions de fait (R v Megill, 2021 ONCA 253 au para 110; R v Quansah, 2015 ONCA 237 [Quansah] au para 76).

[88] La règle établie dans l’arrêt Browne est un principe d’application générale en droit canadien (R c Lyttle, 2004 CSC 5 [Lyttle] au para 65) qui a depuis été codifié à l’article 11 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C‑5 (JD Irving, Limited c Siemens Canada Limited), 2016 CF 69 [JD Irving] au para 43). Elle n’a pas un caractère absolu, et la mesure dans laquelle elle est appliquée est une décision qui relève du pouvoir discrétionnaire du juge qui préside l’instruction, eu égard à toutes les circonstances de l’affaire dont il est saisi (Lyttle, au para 65; R v Lambert, 2024 ONCA 391 au para 17; Quansah, au para 101).

[89] Les deux principes à la base de la règle établie dans l’arrêt Browne sont bien résumés dans l’arrêt Quansah. Certes, cet arrêt a été rendu dans un contexte de droit criminel, mais il a depuis été mentionné dans de nombreux jugements en droit civil et commercial (voir, par exemple : Trillium Motor World Ltd v Cassels Brock & Blackwell LLP, 2017 ONCA 544 au para 316; Yan v Nadarajah, 2017 ONCA 196 au para 15; JD Irving, au para 43; 2287913 Ontario Inc v ERSP International Enterprises Ltd, 2021 ONSC 3927 au para 12). Premièrement, la règle établie dans l’arrêt Browne repose sur des considérations d’équité et [traduction] « la mesure dans laquelle elle est appliquée est une décision qui relève d’un exercice judicieux du pouvoir discrétionnaire dont dispose le juge qui préside l’instruction, compte tenu des circonstances de l’affaire » (Quansah, au para 80). Partant, le juge jouit d’un large pouvoir discrétionnaire dans le choix d’une réparation convenable pour le manquement à la règle et, ce faisant, il peut soupeser divers facteurs concurrents, notamment la gravité et le contexte du manquement ainsi que le moment auquel l’objection à l’élément de preuve contesté a été formulée (Quansah, au para 117). Deuxièmement, la règle peut être respectée même dans des contextes où tous les éléments de preuve n’ont pas été présentés au témoin, car son application se limite aux questions de fond : la preuve doit se rapporter à des questions de fond que la partie adverse cherche à présenter pour attaquer la crédibilité du témoin et à l’égard desquelles ce dernier a été privé de la possibilité de s’expliquer, puisque rien ne tendait à indiquer que son récit n’était pas accepté (Quansah, au para 81).

[90] En l’espèce, Ooma affirme que M. Zanin n’a exposé aucun fondement factuel à l’appui de sa réclamation, et que ce fait à lui seul devrait suffire pour justifier le rejet du recours collectif. M. Zanin n’a fourni aucun renseignement outre le fait qu’il avait entendu parler du service pour la première fois dans un numéro du magazine de Costco aux alentours de Noël 2019, et que le service aurait été annoncé comme un [traduction] « téléphone résidentiel à zéro dollar (0 $) » (contre‑interrogatoire de M. Zanin, aux pp 14, 15).

[91] Lors de l’audience, les avocats d’Ooma ont expliqué qu’ils avaient ajouté la publicité de Costco afin de compléter le dossier à la suite du contre‑interrogatoire de M. Zanin, et que cet ajout avait été fait à un stade avancé de l’instance en raison de la substitution tardive de M. Zanin à Mme Chiu en tant que demandeur. Dans les observations écrites qu’elle a présentées à la Cour, Ooma a fait valoir que la publicité de Costco ne laissait place à aucune ambiguïté sur le fait que les abonnés au service doivent payer les taxes et frais mensuels applicables, et que la prétention selon laquelle un client aurait sincèrement compris qu’il pouvait profiter d’un service téléphonique gratuit à vie ne concordait tout simplement pas avec le texte pertinent ni avec l’impression générale qui se dégageait de la publicité. Ooma soutient que la thèse de M. Zanin est fondée sur une lecture tronquée de la publicité de Costco, et elle met en doute la crédibilité de ce dernier.

[92] Je reconnais que M. Zanin n’a pas eu l’occasion d’expliquer l’incohérence qu’il y aurait entre son témoignage et le texte contenu dans la publicité de Costco. Je suis également d’avis que cette publicité est importante en l’espèce, car elle constitue, pour reprendre les mots d’Ooma, un [traduction] « élément clé » de la thèse de M. Zanin. Je tiens en outre à faire remarquer qu’Ooma a directement soulevé la question de la crédibilité de M. Zanin dans ses observations écrites. Cela étant dit, je suis d’avis que je peux exercer en l’espèce le large pouvoir discrétionnaire dont je dispose pour conclure que le fait qu’Ooma s’appuie sur la publicité de Costco ne contrevient pas à la règle établie dans l’arrêt Browne.

[93] À mon sens, le dépôt de la publicité de Costco a eu lieu dans un ensemble de circonstances très particulier dont je n’ai trouvé aucun équivalent dans la jurisprudence où il était question de la règle établie dans l’arrêt Browne. Ooma a produit la publicité de Costco afin de compléter le dossier à la suite du contre‑interrogatoire de M. Zanin, puisque ce dernier a omis de la fournir. Cet ajout a été fait à un stade avancé de l’instance uniquement en raison de la substitution tardive de M. Zanin à Mme Chiu en tant que demandeur. De plus, M. Zanin aurait pu demander l’autorisation de produire une preuve supplémentaire par voie d’affidavit dans le but d’expliquer l’incohérence, mais il ne l’a jamais fait.

C. Reconnaissance de la compétence

[94] Selon M. Zanin, la requête relative à la compétence présentée par Ooma, versée au dossier conformément à l’ordonnance rendue par la Cour le 22 mars 2021 [l’ordonnance de mars 2021], constitue une reconnaissance de la compétence de la Cour, étant donné que son contenu dépasserait la portée de l’ordonnance de mars 2021 (Stuart Budd & Sons Limited v IFS Vehicle Distributors, 2014 ONCA 546 [Stuart Budd] au para 33; Re: HarperCollins, 2017 CACT 14 [HarperCollins] au para 79). M. Zanin avance que, vu cette reconnaissance de la compétence de la Cour de la part d’Ooma (Stuart Budd, au para 33; Van Damme v Gelber, 2013 ONCA 388 [Van Damme] aux para 21‑24), la Cour ne devrait pas pousser plus loin l’examen des clauses limitatives d’Ooma.

[95] M. Zanin critique en particulier le fait qu’Ooma a soulevé, dans sa requête en autorisation, des questions de fond en vue de l’obtention d’un jugement sommaire, et allègue que ces questions n’étaient pas visées par l’ordonnance de mars 2021. La première question est exposée aux paragraphes 27 à 30 de la requête relative à la compétence qu’a déposée Ooma le 12 novembre 2021. M. Zanin affirme que, dans ces paragraphes, Ooma demande à la Cour de tirer des conclusions de fait sur les activités d’Ooma Canada Inc., et que cela équivaut à lui demander de tirer une conclusion sur le fond. La deuxième question est quant à elle exposée aux paragraphes 16 à 18 de l’avis de requête modifié d’Ooma, déposé conformément à une autre ordonnance de la Cour rendue le 9 novembre 2021 [l’ordonnance de novembre 2021]. Selon M. Zanin, Ooma a reconnu la compétence de la Cour lorsqu’elle a fait valoir qu’il n’existait aucune véritable question litigieuse en l’espèce en raison de l’omission de M. Zanin de produire la publicité de Costco.

[96] M. Zanin soutient que la stratégie adoptée par Ooma équivaut à parler des deux côtés de la bouche : elle ne peut, d’une part, prétendre que la Cour n’a pas compétence et, d’autre part, lui demander de trancher certaines questions de fond au moyen de sa requête relative à la compétence. L’article 208 des Règles énumère les cas où une partie peut présenter une requête à la Cour sans que cela constitue une reconnaissance de la compétence de cette dernière, et la présentation d’une requête en jugement sommaire n’est pas mentionnée. M. Zanin ajoute que, lors de l’audience, Ooma n’a pas traité du véritable problème relevé dans son acte de procédure, à savoir le fait qu’elle a outrepassé le cadre de l’ordonnance de mars 2021 en soulevant des questions de fond. Enfin, dans ses dernières observations postérieures à l’audience, présentées à la fin de septembre 2024, M. Zanin s’est fondé sur l’arrêt RH20 pour faire valoir qu’Ooma a manqué à son obligation négative de ne pas chercher à résoudre devant les tribunaux nationaux les différends faisant l’objet d’une convention d’arbitrage (RH20, au para 41).

[97] Je ne suis pas convaincu par les arguments de M. Zanin à cet égard et je suis d’avis qu’Ooma n’a pas reconnu la compétence de la Cour.

[98] Je reconnais qu’en principe, la présentation d’arguments portant sur le fond de l’affaire peut constituer une reconnaissance. Il n’y a toutefois pas reconnaissance de la compétence lorsqu’une partie a formulé une réserve expresse de droits avant de se défendre dans le cadre d’une requête en autorisation, et encore moins lorsque la Cour a confirmé cette réserve à deux reprises.

[99] Dans l’arrêt Van Damme, la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que la partie avait reconnu la compétence de la Cour suprême de l’État de New York en présentant devant ce tribunal des arguments sur le fond de la demande. Elle a jugé que la présentation par le défendeur d’une requête en jugement sommaire dépassait largement une contestation de la compétence, puisque le défendeur avait choisi de soulever des moyens de défense sur le fond de l’affaire. Il importe de noter que la requête ne découlait pas d’une ordonnance judiciaire. Par la présentation de sa requête, le défendeur avait implicitement reconnu la compétence de la Cour suprême de l’État de New York pour trancher les questions qu’il avait lui‑même soulevées devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario (Van Damme, au para 24).

[100] Dans l’arrêt Stuart Budd, la Cour d’appel de l’Ontario a renvoyé aux motifs exposés dans l’arrêt Van Damme et conclu que [traduction] « le fait d’avoir présenté une requête en jugement sommaire, requête qui allait au‑delà d’une simple contestation de compétence et qui ne découlait d’aucune ordonnance judiciaire[,] constituait une reconnaissance » (Stuart Budd, au para 33). De même, dans la décision HarperCollins, le Tribunal de la concurrence a fait observer que « si une partie va plus loin qu’une simple comparution et qu’elle prend des mesures autres que la contestation de la compétence, ces mesures seront considérées comme une reconnaissance volontaire de la compétence de la cour » (HarperCollins, au para 79).

[101] Dans ses observations, M. Zanin a invoqué le paragraphe de la décision HarperCollins cité ci‑dessus. Il a cependant fait une lecture sélective de la décision – décision que j’ai en fait moi‑même rendue –, car j’y ai expressément établi une distinction entre les cas où le défendeur ne s’était pas expressément réservé le droit de contester la compétence et ceux où il l’avait fait (HarperCollins, aux para 80‑82). En effet, les défenderesses avaient fait preuve de prudence dans leur réponse à la demande du commissaire de la concurrence et dans leurs requêtes, et avaient délibérément fait précéder leurs observations d’une introduction dans laquelle elles précisaient qu’elles se réservaient expressément le droit de contester la compétence du Tribunal de la concurrence (HarperCollins, au para 82). Les mots explicites utilisés pour la réserve de droits ne pouvaient pas non plus être qualifiés d’expression « passe‑partout » inoffensive n’ayant aucun effet sur la question de la reconnaissance de la compétence (HarperCollins, au para 82).

[102] Récemment, et dans le même esprit que la mise en garde contre les réserves de droits « passe‑partout » énoncée dans la décision HarperCollins, notre Cour a également souligné l’importance de l’examen de la teneur réelle de la défense lorsque le tribunal doit décider si la partie visée reconnaît la compétence du tribunal du fait qu’elle présente des arguments sur le fond de la demande. Dans la décision Davy Global Fund Management Limited c Michele Bottiglieri Armatore SpA, 2021 CF 789 [Davy], la juge Elizabeth Heneghan a suivi le raisonnement tenu par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Van Damme et a rejeté la contestation des défendeurs concernant la compétence de la Cour (Davy, aux para 94, 95). Selon elle, la réserve de droits formulée par les défendeurs dans le préambule de leur défense était insuffisante pour constituer une véritable réserve des droits de contester la compétence de la Cour : la compétence de la Cour n’avait pas été clairement contestée dans le texte de la défense; les défendeurs n’avaient pas expressément invoqué une clause attributive de compétence; et c’est dans le préambule de la défense que les défendeurs s’étaient approchés le plus d’une contestation de la compétence (Davy, aux para 92, 93, 96).

[103] En l’espèce, Ooma a véritablement réservé et exercé ses droits de contester la compétence de la Cour dès le début de la présente instance. Elle l’a fait dans sa défense, puis de nouveau dans sa requête relative à la compétence (défense, aux para 1, 31; requête relative à la compétence, aux para 5‑14). Il importe de noter que, dans le corps de sa défense, Ooma conteste clairement la compétence de la Cour et invoque expressément le fait que l’objet du recours collectif est visé par la clause d’arbitrage (défense, au para 31). Par conséquent, contrairement à l’affaire Davy, la réserve de droits énoncée par Ooma est véritable et soigneusement adaptée aux circonstances, ce qui signifie qu’elle est loin de s’apparenter à une simple formule passe‑partout (voir, a contrario, Davy, au para 96).

[104] En outre, contrairement à celles du défendeur dans l’affaire Van Damme, les mesures procédurales prises par Ooma découlaient d’ordonnances de la Cour (voir, a contrario, Van Damme, au para 24). En fait, la Cour a confirmé à deux reprises, dans des ordonnances explicites de nature procédurale, que le dépôt de la défense et de la requête relative à la compétence par Ooma ne constituait pas une reconnaissance de la compétence de la Cour.

[105] En premier lieu, dans l’ordonnance de mars 2021 – qui relate les étapes précédant l’audition de la requête en autorisation de M. Zanin –, j’ai précisé de façon expresse que [traduction] « les étapes, dépôts et interrogatoires mentionnés [dans l’ordonnance], y compris le dépôt d’une défense par [Ooma], peuvent être effectués sous la stricte réserve des arguments [d’Ooma] relatifs à l’absence de compétence des tribunaux canadiens et ils ne constitueront en aucun cas une reconnaissance de la compétence de la Cour » (ordonnance de mars 2021, au para 1). Ces étapes comprenaient expressément le dépôt des [traduction] « avis de requête pour les requêtes envisagées par [Ooma] en ce qui concerne la compétence et/ou les délais de prescription […], y compris les éventuels affidavits à l’appui de ces requêtes » (ordonnance de mars 2021, au para 4b)). Toutes les parties ont accepté les conditions de l’ordonnance de mars 2021.

[106] Selon l’ordonnance de mars 2021, la requête en autorisation de M. Zanin ainsi que la requête relative à la compétence envisagée par Ooma – y compris la requête subsidiaire en jugement sommaire – seraient instruites ensemble, par la même occasion. La requête d’Ooma relative à la compétence a donc été déposée en réponse à l’ordonnance de mars 2021.

[107] En deuxième lieu, le 9 novembre 2021, j’ai rendu l’ordonnance de novembre 2021 dans laquelle j’ai rappelé que la requête d’Ooma en modification de sa requête du 11 juin 2021 relative à la compétence [la requête en modification] avait été accueillie et que cette requête en soi ne constituait pas une reconnaissance de la compétence de la Cour (ordonnance de novembre 2021, para 3d)). M. Zanin est d’avis que l’inclusion des mots [traduction] « en soi » dans cette ordonnance avait pour but de limiter strictement la contestation de la compétence de la Cour par Ooma. Cette affirmation est sans fondement et inexacte, puisque la Cour a simplement repris, dans l’ordonnance de novembre 2021, les termes précis qu’avaient elles‑mêmes proposés les parties. Il n’y a jamais eu ni déclaration expresse ni conclusion implicite selon lesquelles le désir d’Ooma de modifier sa requête relative à la compétence pourrait traduire une intention de limiter la réserve de ses droits de contester la compétence de la Cour.

[108] Ainsi, il est clair que l’approche de Ooma en l’espèce était de déposer sa requête relative à la compétence sous la stricte réserve de ses arguments concernant l’absence de compétence de la Cour, ce que j’ai expressément confirmé dans les ordonnances de mars et de novembre 2021. Je ne suis pas convaincu que, ce faisant, Ooma a outrepassé les conditions de ces ordonnances de nature procédurale.

[109] Enfin, je suis d’avis que l’affaire RH20, invoquée par M. Zanin, se distingue de celle qui nous occupe. Dans l’arrêt RH20, la Cour d’appel de l’Ontario a conclu qu’en se joignant à une requête déposée par d’autres défendeurs en vue d’obtenir une ordonnance radiant certaines parties de la déclaration de la demanderesse, le défendeur avait pris une mesure pour invoquer la compétence de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, ce qui équivalait à une renonciation à sa convention d’arbitrage. En entreprenant une démarche procédurale autre qu’une simple contestation de la compétence du tribunal, le défendeur a renoncé à son droit à l’arbitrage (RH20, au para 58). Cependant, comme dans l’affaire Van Damme, aucune ordonnance judiciaire n’avait autorisé le défendeur à agir de la sorte.

[110] En l’espèce, Ooma n’a pas demandé à la Cour de se prononcer sur le fond d’un litige et n’a pas non plus contrevenu à une obligation négative des parties à une convention d’arbitrage. Ooma a simplement agi en toute conformité avec les ordonnances de mars et de novembre 2021, qui lui permettaient de répondre à la requête en autorisation de M. Zanin et de déposer sa propre requête en suspension de la requête de M. Zanin pour que le différend soit tranché par l’arbitrage. Tous les arguments et toutes les actions d’Ooma respectaient les limites fixées dans les ordonnances procédurales de la Cour et reflètent l’accord intervenu entre les parties, soit de traiter simultanément la demande d’autorisation de M. Zanin et la requête d’Ooma relative à la compétence.

D. Question constitutionnelle

[111] La quatrième question préliminaire concerne les avis de questions constitutionnelles visés à l’article 57 de la Loi sur les CF. Selon cette disposition, lorsqu’une partie cherche à faire déclarer une loi fédérale ou son texte d’application « invalid[e], inapplicabl[e] ou sans effet », un avis doit être signifié au procureur général du Canada et à ceux des provinces au moins dix jours avant la date à laquelle la question constitutionnelle doit être débattue.

[112] M. Zanin soutient qu’Ooma a omis de déposer un avis de question constitutionnelle, comme l’exige l’article 57 de la Loi sur les CF, alors qu’elle a présenté des arguments dans lesquels elle attaquait la constitutionnalité de dispositions de la Loi sur les marques de commerce. Il est d’avis que cette omission obligerait la Cour à ne pas tenir compte des arguments constitutionnels d’Ooma.

[113] À mon avis, l’argument de M. Zanin est totalement infondé.

[114] Il n’est pas contesté que l’objectif de l’article 57 de la Loi sur les CF est d’empêcher un tribunal de juger qu’une loi ou un règlement est invalide, inapplicable ou sans effet pour des motifs d’ordre constitutionnel sans le dépôt préalable d’un avis de question constitutionnelle. Inversement, il va sans dire qu’il n’est pas nécessaire de signifier l’avis prévu à l’article 57 dans un cas où la réparation judiciaire est autre chose qu’un jugement portant qu’une loi ou un règlement est invalide, inapplicable ou sans effet sur le plan constitutionnel (Première nation crie Mikisew c Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2004 CAF 66 aux para 76–79, inf pour d’autres motifs par 2005 CSC 69). En d’autres termes, la nécessité d’un avis de question constitutionnelle dépend de la réparation recherchée par la partie (Canada c Mozajko, 2021 CAF 25 au para 8; Thomson c Canada (Revenu national), 2013 CAF 197 au para 67).

[115] En l’espèce, Ooma ne demande pas à la Cour de déclarer une loi ou un règlement invalide, inapplicable ou sans effet. Elle soutient seulement que, pour interpréter l’alinéa 7d) de la Loi sur les marques de commerce, elle s’appuie sur la présomption selon laquelle le législateur fédéral entend adopter des lois qui relèvent de sa compétence constitutionnelle et, en cas d’ambiguïté dans le texte législatif, il faut privilégier l’interprétation qui va dans ce sens (Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation de l’impact, 2023 CSC 23 aux para 69–72). Par conséquent, puisqu’Ooma demande simplement à la Cour de donner une interprétation atténuée à la disposition contestée de manière à éviter une application inconstitutionnelle, l’article 57 de la Loi sur les CF ne s’applique pas et aucun avis de question constitutionnelle n’est nécessaire (Najafi c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CAF 262 aux para 94–96; Canada (Pêches et Océans) c MiningWatch Canada, 2008 CAF 166 aux para 4, 10).

[116] M. Zanin n’a cité aucun précédent, et je n’en connais pas non plus, où un avis de question constitutionnelle a été jugé nécessaire lorsqu’une partie invoquait des affaires portant sur un point constitutionnel pour appuyer son interprétation de certaines dispositions législatives.

E. Jugement sommaire

[117] Étant donné mes conclusions, qui sont exposées ci‑dessous, au sujet de la compétence de la Cour pour entendre le recours collectif en l’espèce et de l’absence de toute cause d’action valable sous‑tendant la requête en autorisation de M. Zanin, il n’est pas nécessaire de traiter directement à l’à-propos de la requête subsidiaire en jugement sommaire présentée par Ooma et de décider si cette dernière remplit les conditions lui permettant d’obtenir un jugement sommaire dans la présente affaire. Ces conclusions justifient à elles seules le rejet dans son intégralité du recours collectif proposé par M. Zanin.

V. Questions relatives à la compétence

[118] La présente affaire soulève deux séries de questions de fond : des questions de compétence et des questions liées à l’autorisation.

[119] Sur le plan de la compétence, Ooma soutient que notre Cour n’a pas compétence pour instruire le recours collectif proposé par M. Zanin, puisqu’il est visé par la clause d’arbitrage obligatoire, la clause d’élection de for et la clause de renonciation au droit de participer à un recours collectif. Ces clauses limitatives figurent dans les modalités générales, que M. Zanin a dûment acceptées le 9 janvier 2020 ou vers cette date. Par conséquent, comme l’affirme Ooma dans sa requête relative à la compétence, le litige en l’espèce relève de la compétence exclusive d’un arbitre et doit être rejeté. Subsidiairement, Ooma affirme que la Cour devrait suspendre le recours collectif en faveur d’un arbitrage en application du paragraphe 50(1) de la Loi sur les CF.

[120] Ooma soutient en outre qu’il faudrait que la Cour rejette ses arguments concernant les trois clauses limitatives pour autoriser le recours collectif proposé par M. Zanin. Dès lors qu’elle conclut que l’une de ces clauses est valide, la Cour doit renvoyer l’affaire à l’arbitre ou à un autre décideur.

[121] Les clauses d’arbitrage et de renonciation au droit de participer à un recours collectif figurent à l’article 16 des Conditions générales, tandis que la clause d’élection de for est décrite à l’alinéa 19c). Ces dispositions sont ainsi libellées :

16. Arbitrage

VEUILLEZ LIRE ATTENTIVEMENT LA PRÉSENTE SECTION, CAR ELLE EXIGE QUE LES PARTIES ARBITRENT LEURS LITIGES ET LIMITE LA MANIÈRE DONT VOUS POUVEZ DEMANDER DES RÉPARATIONS À OOMA. Dans l’hypothèse où Ooma n’est pas en mesure de résoudre un litige survenu avec vous, un membre de votre ménage, un de vos invités ou un utilisateur de vos Équipements ou Services découlant de l’utilisation des Équipements ou Services au bout de 60 jours, ou y afférant, dans les limites autorisées par la loi applicable, nous convenons tous de résoudre les réclamations, litiges ou conflits (sauf les réclamations d’Ooma relatives à une mesure injonctive ou une autre réparation en equity) liés aux présentes Conditions générales, à la Politique de confidentialité, au Contrat de licence d’utilisateur d’Ooma Mobile HD (le cas échéant) (ou qui en découlent, ou en relation avec ceux‑ci), y compris toute modification future desdits accords par Ooma, des frais pour les Équipements et Services, et d’autres documents connexes trouvés sur notre site Web, ou leur violation ou violation présumée (collectivement, les « Réclamations »), au moyen d’un arbitrage contraignant du Judicial Arbitration and Mediation Services (« JAMS », Services de médiation et d’arbitrage judiciaires), dans le cadre des Optional Expedited Arbitration Procedures (Procédures facultatives liées à l’arbitrage accéléré) alors en vigueur pour JAMS, sauf disposition contraire des présentes. La procédure d’arbitrage se déroulera dans le Comté de Santa Clara, en Californie, aux États‑Unis, sauf accord contraire entre Ooma et vous. Chaque partie est tenue de payer le dépôt de la demande auprès de JAMS, les frais administratifs et les honoraires de l’arbitre conformément aux règles de JAMS. La sentence rendue par l’arbitre doit comprendre les frais de l’arbitrage, les honoraires raisonnables d’avocat et les frais raisonnables de l’expert et d’autres témoins, et il pourra être obtenu d’un tribunal compétent dans un jugement portant exécution forcée de la sentence rendue par l’arbitre. Aucune disposition de la présente section ne peut être réputée empêcher Ooma de demander une mesure injonctive ou une réparation en equity de la part des tribunaux en vue de protéger les intérêts propriétaux d’Ooma. DANS LES LIMITES AUTORISÉES PAR LA LOI APPLICABLE, LES RÉCLAMATIONS DOIVENT ÊTRE ENGAGÉES PAR LES PARTIES À TITRE PERSONNEL, ET NON EN TANT QUE PLAIGNANT OU MEMBRE D’UN GROUPE DANS LE CADRE D’UN RECOURS COLLECTIF, D’UNE ACTION COLLECTIVE, D’UNE ACTION PORTÉE PAR UN PROCUREUR GÉNÉRAL PRIVÉ OU D’UNE AUTRE PROCÉDURE REPRÉSENTATIVE. CETTE RENONCIATION S’APPLIQUE À L’ARBITRAGE COLLECTIF ET, SAUF ACCORD CONTRAIRE DE NOTRE PART, L’ARBITRE NE PEUT REGROUPER LES RÉCLAMATIONS DE PLUS D’UNE SEULE PERSONNE. DANS LES LIMITES AUTORISÉES PAR LA LOI APPLICABLE, VOUS CONVENEZ, AU MOMENT OÙ VOUS CONCLUEZ LES PRÉSENTES CONDITIONS DE SERVICE, QU’OOMA ET VOUS‑MÊME RENONCEZ AU DROIT DE PROCÈS DEVANT JURY, DE PARTICIPER À UN RECOURS COLLECTIF, À UNE ACTION COLLECTIVE, À UNE ACTION PORTÉE PAR UN PROCUREUR GÉNÉRAL PRIVÉ ET À TOUTE PROCÉDURE REPRÉSENTATIVE DE QUELQUE NATURE QUE CE SOIT.

[…]

20. Divers

(c) Loi applicable : Sous réserve de la loi applicable, le présent Accord et notre relation sont régis par les lois de l’État de Californie, aux États‑Unis, sans égard à ses dispositions sur le conflit de lois. Dans la mesure où une poursuite en justice s’avère nécessaire pour exécuter une sentence arbitrale ou pour tout autre motif conforme à la Section 16 ou si la Section 16 ou une partie de celle‑ci est inapplicable en vertu de la loi applicable, cette poursuite ne peut être engagée que devant un tribunal fédéral ou d’État compétent situé dans le Comté de Santa Clara, ou devant les cours d’appel correspondantes. Vous devez également vous soumettre à la compétence personnelle et exclusive des tribunaux situés dans l’État de Californie, aux États‑Unis, et renoncer à toute objection quant à la compétence territoriale ou à un tribunal compétent contraignant. Vous reconnaissez et acceptez en outre que le présent Accord et tous les Accords connexes seront conclus dans l’État de Californie au moment et à l’endroit où Ooma recevra de votre part la communication, en Californie, de votre acceptation des présentes Conditions générales, quel que soit le moyen par lequel vous communiquez votre acceptation à Ooma.

[122] J’ouvre une parenthèse pour souligner qu’une clause de choix du droit applicable, une clause d’élection de for, une clause de renonciation au droit de participer à un recours collectif et une clause d’arbitrage ne sont pas interchangeables. Une clause de choix du droit applicable précise le droit de quel État régit le contrat, une clause d’élection de for écarte la compétence des tribunaux locaux autrement compétents au profit d’une juridiction étrangère, une clause de renonciation au droit de participer à un recours collectif empêche toute action collective, mais en permettant les litiges individuels, tandis qu’une clause d’arbitrage contraint les parties à se soumettre à un mécanisme de résolution des différends dont elles auront convenu.

[123] Chacune des trois clauses limitatives invoquées par Ooma pour contester la compétence de la Cour sera examinée à tour de rôle.

A. Clause d’arbitrage

[124] L’article 16 des Conditions générales décrit le cadre de résolution des différends applicable au contrat – et énonce plus particulièrement l’obligation d’arbitrage, qui est le seul recours offert aux parties. Il dispose que tous les différends découlant des Conditions générales, et notamment concernant le service d’Ooma, doivent être résolus de façon définitive selon les règles d’arbitrage des JAMS [les règles des JAMS]. En outre, on y lit que chaque partie est « tenue de payer le dépôt de la demande auprès [des] JAMS, les frais administratifs et les honoraires de l’arbitre conformément aux règles [des] JAMS » et que « [l]a sentence rendue par l’arbitre doit comprendre les frais de l’arbitrage, les honoraires raisonnables d’avocat et les frais raisonnables de l’expert et d’autres témoins ». Toutefois, la clause d’arbitrage ne précise pas le montant de ces frais ou honoraires.

[125] La clause d’arbitrage indique aussi que l’arbitrage suivra les procédures facultatives liées à l’arbitrage accéléré (Optional Expedited Arbitration Procedures) alors en vigueur pour les JAMS et se déroulera dans le comté de Santa Clara, en Californie, aux États‑Unis, « sauf accord contraire entre Ooma et vous ».

1) Observations des parties

[126] Ooma soutient que le recours collectif proposé par M. Zanin devrait être rejeté, étant donné que l’article 16 des Conditions générales prévoit un arbitrage obligatoire en cas de différend entre Ooma et ses clients.

[127] Elle fait valoir que la clause d’arbitrage est exécutoire en raison de son contenu et du fait qu’elle est sensiblement différente de la clause d’arbitrage qui a été jugée invalide par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Uber Technologies Inc c Heller, 2020 CSC 16 [Heller]. Ooma soutient par ailleurs qu’elle remplit les conditions préliminaires à l’approbation d’une suspension en faveur d’un arbitrage, qu’aucune exception légale ne s’applique, qu’aucune loi fédérale ou provinciale n’invalide la clause d’arbitrage et que la jurisprudence récente concernant l’invalidité de certaines clauses d’arbitrage, comme les arrêts Heller et Douez c Facebook, Inc, 2017 CSC 33 [Douez], ne s’applique pas à la présente affaire.

[128] Plus précisément, Ooma est d’avis que l’argument de M. Zanin fondé sur l’iniquité repose sur une interprétation erronée de l’arrêt Heller. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a énoncé en fait une exception à la règle générale selon laquelle les clauses d’arbitrage ne sont pas iniques : la clause examinée dans l’arrêt Heller a été jugée inique parce qu’elle « empêche une des parties de participer à l’arbitrage » (Heller, au para 4). En l’espèce, Ooma soutient que la clause d’arbitrage n’empêche pas ses clients d’obtenir un arbitrage, puisque les dispositions de cette clause sont plus favorables à ces derniers que celles en cause dans l’affaire Heller.

[129] En outre, Ooma soutient que sa position est au moins défendable – la norme à laquelle elle doit satisfaire, selon elle, pour démontrer que sa demande de suspension en faveur d’un arbitrage est fondée, et qu’un sursis devrait par conséquent être accordé pour permettre à un arbitre d’examiner les questions de compétence conformément au principe de compétence‑compétence. Autrement dit, la Cour devrait s’abstenir de se saisir du recours collectif proposé par M. Zanin, car, selon le principe de compétence‑compétence, il appartient généralement en premier lieu à l’arbitre de se prononcer sur la validité et l’applicabilité de la clause d’arbitrage (Dell, au para 11).

[130] Ooma rejette aussi l’argument de M. Zanin quant à l’application en l’espèce des lois provinciales sur la protection des consommateurs. Les réclamations de M. Zanin portent sur des dispositions législatives fédérales, et ni la Loi sur les marques de commerce ni la Loi sur la concurrence ne restreignent la capacité d’une partie d’insérer une clause d’arbitrage dans un contrat de consommation. Si certaines provinces, après les arrêts Dell et Rogers Sans‑fil Inc c Muroff, 2007 CSC 35 [Rogers], ont adopté des lois interdisant les clauses d’arbitrage en matière de consommation, ce n’est pas le cas au niveau fédéral.

[131] Selon Ooma, notre Cour et la Cour d’appel fédérale ont maintenant confirmé à plusieurs reprises que les réclamations fondées sur la Loi sur la concurrence sont arbitrables. À ce sujet, Ooma se reporte notamment aux arrêts Murphy c Amway Canada Corporation, 2013 CAF 38 [Murphy CAF] et Difederico CAF, où la Cour d’appel fédérale a expressément conclu que les réclamations présentées en vertu de la Loi sur la concurrence peuvent être soumises à l’arbitrage (Murphy CAF, au para 64; Difederico CF, au para 127, conf par Difederico CAF au para 77). Ooma souligne qu’il est indiqué clairement dans l’arrêt Murphy CAF que la législation provinciale sur la protection des consommateurs (en l’occurrence celle de la Colombie‑Britannique) et la Loi sur la concurrence ne peuvent être assimilées l’une à l’autre (Murphy CAF, aux para 61–63). Elle mentionne également les arrêts Williams BCCA et Petty BCCA.

[132] Ooma prétend enfin que les suspensions en faveur d’un arbitrage servent foncièrement l’intérêt de la justice lorsque les parties peuvent se prévaloir d’une clause d’arbitrage obligatoire (Difederico CAF, au para 52). En effet, la Cour suprême du Canada a déclaré dans l’arrêt Peace River Hydro Partners c Petrowest Corp, 2022 CSC 41 [Peace River] que les clauses d’arbitrage valides doivent être appliquées et que la question de la compétence de l’arbitre devrait être tranchée par ce dernier en vertu du principe de compétence‑compétence (Peace River, aux para 39–41).

[133] En réponse, M. Zanin soulève quatre arguments principaux à l’appui de sa position selon laquelle la Cour est compétente pour se saisir du recours collectif.

[134] Premièrement, il prétend que la clause d’arbitrage est invalide en droit californien, compte tenu notamment de l’arrêt de la Cour suprême de la Californie McGill v Citibank, NA, 393 P 3d 85, 2 Cal 5th 945 [McGill]. Il soutient également que, de toute manière, la clause d’arbitrage ne peut pas protéger Ooma Canada Inc. étant donné que cette entité affirme n’avoir conclu aucun contrat avec les clients d’Ooma, ce qui signifie, d’après M. Zanin, qu’Ooma Canada Inc. accepte de ne pas être liée par les Conditions générales, dont fait partie la clause d’arbitrage.

[135] Deuxièmement, M. Zanin affirme que la clause d’arbitrage est invalide en droit fédéral. À cet égard, il fait valoir qu’Ooma ne peut pas se soustraire aux lois provinciales sur la protection des consommateurs en obligeant simplement ses clients à renoncer à leurs droits de recourir aux tribunaux. M. Zanin se reporte aux lois provinciales suivantes pour appuyer son argument : la Loi de 2002 sur la protection du consommateur de l’Ontario, 2002, LO 2002, c 30, ann A, art 7‑8 [la LPC de l’Ontario]; la Loi sur la protection du consommateur du Québec, RLRQ c P‑40.1, art 11.1 [la LPC du Québec]; la Business Practices and Consumer Protection Act de la Colombie‑Britannique, SBC 2004, c 2, art 3, 172; la Consumer Protection Act de l’Alberta, RSA 2000, c C‑26.3, art 16; la Consumer Protection and Business Practices Act de la Saskatchewan, SS 2013, c C‑30.2, art 101. Il soutient en outre que les cours d’appel du Canada ont conclu que les clauses d’arbitrage ne peuvent être invoquées contre les consommateurs protégés par les lois provinciales sur la protection des consommateurs (TELUS Communications Inc c Wellman, 2019 CSC 19 aux para 4, 97 [TELUS]; Difederico CAF, au para 80; Williams BCCA, au para 174). M. Zanin soutient subsidiairement que l’article 25 de la Loi sur les CF assure à notre Cour la compétence à l’égard d’affaires faisant intervenir desx lois fédérales.

[136] Troisièmement, M. Zanin fait valoir que la clause d’arbitrage est invalide parce qu’elle est inique. À son avis, selon l’arrêt Heller, les dispositions sur l’arbitrage dans les contrats types rédigés par la partie dominante sont iniques en common law.

[137] Enfin, M. Zanin affirme que la clause d’arbitrage en l’espèce ne peut être appliquée, car ses dispositions ne respectent pas les normes minimales des JAMS en matière d’arbitrage à l’égard des consommateurs [les normes minimales des JAMS]. Il avance donc que ce non‑respect crée un obstacle concret apparent à l’application de la clause d’arbitrage. En d’autres termes, les JAMS ne seraient pas en mesure d’entendre les réclamations engagées par les consommateurs conformément aux Conditions générales, de sorte que la clause d’arbitrage, même si elle était jugée valide, ne pourrait pas être exécutée.

[138] Dans sa réponse, M. Zanin affirme également que le principe de compétence‑compétence ne s’applique pas à notre Cour, puisque celle‑ci n’a pas adopté intégralement, par une loi habilitante, la Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international, Doc NU A/40/17, ann I, 21 juin 1985, laquelle codifie le principe de compétence‑compétence (Dell, au para 74). De fait, M. Zanin prétend que ce principe n’a été adopté en droit fédéral que pour les recours où une des parties est l’État fédéral (Loi sur l’arbitrage commercial, LRC 1985, c 17 (2e supp), art 5(2)). Si notre Cour devait néanmoins appliquer le principe de compétence‑compétence, M. Zanin estime qu’elle ne devrait renvoyer l’affaire à un arbitre que dans les situations où le processus d’arbitrage a déjà commencé (Canada (Procureur général) c Aéroports de Montréal, 2016 CF 775 aux para 34–37 [Aéroports de Montréal]), ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

2) Approche concernant les suspensions en faveur de l’arbitrage

[139] Dans la décision Uber, j’ai résumé récemment les principes régissant l’approche à suivre pour évaluer une demande de suspension en faveur de l’arbitrage (Uber, aux para 38–47). Je ne peux que répéter ces paragraphes qui, à mon avis, continuent de refléter l’état du droit :

[38] Dans Peace River CSC, la CSC confirme la « préférence législative et judiciaire qui consiste à obliger les parties à respecter leurs conventions d’arbitrage » (Peace River CSC au para 10). Il est maintenant bien reconnu que les suspensions en faveur de l’arbitrage obligatoire servent fondamentalement l’intérêt de la justice, et que les cours canadiennes se saisiront de litiges sur la compétence d’un arbitre ou la force exécutoire d’une convention d’arbitrage seulement dans des circonstances exceptionnelles. Suivant la jurisprudence de la CSC, les clauses d’arbitrage valides doivent être respectées, et, suivant le principe de compétence‑compétence, les arbitres devraient de façon générale se prononcer sur leur propre compétence (Peace River CSC aux para 39–41; Telus CSC aux para 46, 54; Seidel c TELUS Communications Inc, 2011 CSC 15 aux para 2, 23, 42 [Seidel CSC]). La CAF embrasse cette démarche relativement aux affaires de compétence fédérale devant la Cour (Difederico CAF aux para 34, 35, 52).

[39] Le principe de compétence‑compétence donne préséance au processus arbitral (Dell Computer Corp c Union des consommateurs, 2007 CSC 34 au para 70 [Dell CSC]). Il exige que toute contestation de la compétence d’un arbitre ou de la portée des conventions d’arbitrage soit d’abord tranchée par l’arbitre, et non par la cour, à moins que des exceptions s’appliquent (Peace River CSC au para 39).

[40] La Cour ouvre une parenthèse pour souligner que, dans Peace River CSC, la CSC a refusé d’accorder la suspension de l’instance en faveur de l’arbitrage. Il s’agit d’une exception au principe fondamental de compétence‑compétence qui ordonne aux tribunaux de permettre aux arbitres de se prononcer en premier lieu sur leur propre compétence. Dans Peace River CSC, la Cour suprême souligne que seuls les objectifs de politique particuliers visés par la législation sur l’insolvabilité en cause en l’espèce justifient que l’on s’écarte des conventions d’arbitrage en cause (Peace River CSC aux para 9–10).

[41] Autrement dit, la démarche générale dans les affaires où la validité d’une convention d’arbitrage ou la compétence de l’arbitre sont contestées consiste à renvoyer la question à l’arbitre, sous réserve d’exceptions limitées (Dell CSC aux para 84–86; Difederico CF au para 96). Les cours de justice n’envisageront de se saisir de litiges portant sur des conventions d’arbitrage que s’ils soulèvent, selon le cas : 1) une pure question de droit; ou 2) une question mixte de fait et de droit qui n’exige qu’un examen superficiel du dossier (Dell CSC aux para 84–86; Difederico CAF au para 35; Spark Event Rentals Ltd c Google LLC, 2024 BCCA 148 aux para 15–18, 41 [Spark BCCA]). Dans Heller CSC, la CSC énonce une troisième exception au principe de compétence‑compétence, affirmant qu’un tribunal ne devrait pas renvoyer une contestation de bonne foi de la validité d’une convention d’arbitrage ou de la compétence d’un arbitre à ce dernier si ce renvoi empêche l’arbitrage par une partie ou la résolution de la question (Heller CSC aux para 38–46; Difederico CF aux para 96–97).

[42] En dehors de ces circonstances, le principe de compétence‑compétence exige que l’affaire soit renvoyée à l’arbitre.

[43] Dans Peace River CSC, la CSC, reprenant ces principes généraux, formule un cadre d’analyse à deux volets servant à déterminer si une instance doit faire l’objet d’une suspension en faveur de l’arbitrage (Peace River CSC aux para 76–84; General Entertainment and Music Inc c Gold Line Telemanagement Inc, 2023 CAF 148, au para 30 [Gold Line CAF]). Ces deux volets interreliés, mais distincts, pour la suspension obligatoire d’une instance sont les « conditions préliminaires » et les « exceptions statutaires ».

[44] Au premier volet, la Cour doit être convaincue que les quatre conditions préliminaires sont remplies avant de faire droit à la clause d’arbitrage : i) l’existence d’une convention d’arbitrage; ii) une partie à la convention d’arbitrage a intenté une procédure judiciaire; iii) l’instance porte sur une question que les parties ont convenu de soumettre à l’arbitrage; et iv) la partie qui demande une suspension d’instance en faveur de l’arbitrage le fait avant d’agir dans l’instance (Peace River CSC aux para 81–86; Gold Line CAF aux para 30, 31, 39; Difederico CF au para 68).

[45] Il n’est pas nécessaire que la partie qui sollicite la suspension de l’instance ait établi les conditions préliminaires selon la norme habituelle de la prépondérance des probabilités. Elle doit simplement établir l’existence d’une « cause défendable ». S’il y a une cause défendable, la Cour doit suspendre l’instance et laisser à l’arbitre le soin de trancher la question de compétence, sous réserve des exceptions dites statutaires (Peace River CSC aux para 84–85). Si toutes les conditions préalables techniques sont remplies, la disposition relative à la suspension obligatoire s’applique, et le tribunal doit passer à la deuxième étape de l’analyse.

[46] Au deuxième volet, la Cour détermine s’il existe des exceptions « statutaires » qui font obstacle à la suspension de l’instance en faveur de l’arbitrage. Ces exceptions dites statutaires représentent des motifs de fond justifiant la contestation ou l’invalidation d’une clause d’arbitrage, notamment une convention d’arbitrage « nulle, inopérante et non susceptible d’être exécutée », d’autres exceptions prévues par la loi ou une affaire mettant en cause un objet qui n’est pas susceptible d’être soumis à l’arbitrage (Peace River CSC aux para 86–87). S’il n’y a pas d’exceptions statutaires, la Cour doit accorder un sursis et céder sa compétence à l’arbitre (Peace River CSC au para 79).

[47] Dans ce deuxième volet de l’analyse, la partie qui veut se soustraire à l’arbitrage (en l’espèce, le demandeur) porte le fardeau de la preuve, et la norme habituelle de la prépondérance des probabilités s’applique à la question. Si cette partie ne s’acquitte pas de ce fardeau, la suspension de l’instance en faveur de l’arbitrage est obligatoire. De plus, le principe de compétence‑compétence exige que, lorsque « l’invalidité ou le caractère inexécutoire de la convention d’arbitrage n’est pas manifeste (mais seulement défendable), la question doit être tranchée par l’arbitre » (Peace River CSC aux para 88–89; voir également Spark BCCA aux para 13–18). Autrement dit, il doit ressortir du dossier que le renvoi à l’arbitrage soulève une possibilité réelle de déni de justice; une simple possibilité ne suffit pas à écarter le principe de compétence‑compétence (Difederico CF au para 112). Comme la Cour le mentionne plus haut, en raison de la présomption en faveur de la validité des clauses d’arbitrage, il faut un cas manifeste pour la réfuter (Peace River CSC au para 89).

[140] Les tribunaux canadiens ont donc statué qu’il existe un choix politique clair en faveur de l’application des conventions d’arbitrage. Le principe de compétence‑compétence accorde essentiellement aux arbitres le pouvoir de se prononcer sur leur propre compétence. Ainsi, lorsque les parties ont conclu une entente qui comporte une clause d’arbitrage, toute contestation visant la compétence de l’arbitre ou le caractère exécutoire de la convention d’arbitrage doit d’abord être renvoyée à l’arbitre, sauf si la contestation de la compétence de ce dernier ou du caractère exécutoire de la convention repose sur une des trois exceptions suivantes : une pure question de droit, une question mixte de fait et de droit qui ne nécessite qu’un examen superficiel du dossier ou l’impossibilité pour une partie de recourir à l’arbitrage ou de résoudre sa contestation devant l’arbitre (Heller, aux para 32, 38–46; Dell, aux para 84–86).

[141] Comme l’a déclaré la juge Angela Furlanetto, « [il] doit plutôt être clair, selon le dossier, que le renvoi à l’arbitrage soulève une possibilité réelle qu’il y ait un déni d’accès à la justice. À mon avis, une simple possibilité ne suffit pas à surmonter le principe de compétence‑compétence » (Difederico CF, au para 112). Pour ces raisons, même dans les cas où la question porte sur la compétence d’un arbitre pour entendre un litige, les tribunaux renvoient normalement l’affaire à l’arbitre lui‑même lorsque la décision relative à la compétence nécessite l’examen d’éléments de preuve factuels ou de questions mixtes de droit et de fait.

3) Principe de compétence‑compétence

[142] M. Zanin s’appuie sur l’arrêt Seidel c TELUS Communications Inc, 2011 CSC 15 [Seidel] et d’autres décisions pour affirmer que le principe de compétence‑compétence n’aurait qu’une application limitée en droit fédéral, de sorte que les arbitres ne devraient pas pouvoir se prononcer sur l’étendue de leur propre compétence en cas de réclamations découlant de la Loi sur les marques de commerce ou de la Loi sur la concurrence.

[143] Je ne suis pas d’accord. Au contraire, les tribunaux fédéraux ont approuvé à plusieurs reprises le principe de compétence‑compétence (voir par ex Difederico CAF, aux para 34–35, 52; RS Marine Ltd v M/V Terre Neuvas (Ship), 2024 FC 1825 au para 43; General Entertainment and Music Inc c Gold Line Telemanagement Inc, 2022 CF 418 aux para 5, 40, 43 [Gold Line], conf par 2023 CAF 148; Aéroports de Montréal, aux para 34–35).

[144] Le rôle du principe de compétence‑compétence a été récemment affermi par notre Cour dans un contexte commercial : « Le fardeau qui incombe à un demandeur qui cherche à se soustraire à l’arbitrage est lourd. Il ne lui suffit pas de démontrer que la clause d’arbitrage peut ne pas s’appliquer, ni même qu’il est probable qu’elle ne s’applique pas. Dans la mesure où le différend pourrait être visé par la clause d’arbitrage, il doit être renvoyé à l’arbitrage » (Gold Line, au para 43). La Cour fédérale a reconnu par ailleurs qu’elle devrait certainement renvoyer l’affaire à l’arbitre dans les situations où la procédure arbitrale est déjà enclenchée (Aéroports de Montréal, au para 37). Toutefois, contrairement à ce que prétend M. Zanin, la Cour n’a jamais conclu qu’il s’agissait là d’une condition nécessaire pour reconnaître la compétence de l’arbitre.

[145] En outre, il est désormais bien établi qu’il faut que le libellé de la loi soit clair et explicite pour que les tribunaux refusent de donner effet aux modalités d’une convention d’arbitrage (Seidel, au para 29; Dell, au para 85; Difederico CAF, au para 52). En l’absence d’une telle intention législative, les tribunaux indiquent, dans les arrêts Seidel, Rogers et Dell, que toute contestation de la compétence de l’arbitre doit d’abord être tranchée par l’arbitre lui‑même, sauf si la contestation repose uniquement sur une question de droit ou sur une question mixte de fait et de droit qui nécessite un examen superficiel de la preuve (Seidel, au para 29; Rogers, au para 11; Dell, aux para 84–86). L’arrêt Heller a simplement créé une exception à la règle formulée par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Dell, Seidel et Rogers, exception qui s’applique lorsque le renvoi à l’arbitre d’une contestation de bonne foi relative à la compétence empêcherait une partie de recourir à l’arbitrage ou la résolution de sa contestation devant l’arbitre (Heller, aux para 32, 38–46; Difederico CF, aux para 96–97).

[146] Il ne fait donc aucun doute que le principe de compétence‑compétence entre en jeu en l’espèce. En effet, le caractère supposément injuste ou abusif de la clause d’arbitrage figurant dans les Conditions générales est une question mixte de fait et de droit qui nécessite bien plus qu’un examen superficiel du dossier (Rogers, aux para 15–17). Par conséquent, la Cour devrait suivre les enseignements de la Cour suprême et renvoyer cette question à l’arbitre.

4) Conditions préliminaires

[147] Je me tourne maintenant vers l’analyse en deux volets exposée dans l’arrêt Peace River pour décider si le recours collectif proposé par M. Zanin devrait être suspendu en faveur de l’arbitrage.

[148] Dans la présente affaire, je suis convaincu que les quatre conditions préliminaires (c’est‑à‑dire la première partie du critère établi dans l’arrêt Peace River) sont remplies. Comme il est indiqué ci‑dessus, Ooma doit simplement établir sur le fondement d’une [traduction] « cause défendable » que les conditions préliminaires sont remplies. S’il existe un tel fondement, la Cour doit suspendre le recours collectif et laisser l’arbitre trancher la question relative à la compétence, sous réserve des exceptions prévues par la loi (Peace River, aux para 84–85).

[149] Premièrement, il existe de toute évidence une convention d’arbitrage, car la clause d’arbitrage fait manifestement partie des Conditions générales. Deuxièmement, M. Zanin, en tant que partie liée par les Conditions générales, a enclenché le recours collectif en l’espèce. Comme je le mentionne ci‑dessus, il ne fait aucun doute qu’Ooma a démontré qu’il existe au moins le fondement d’une cause défendable et un contrat conclu avec M. Zanin et que ce dernier a accepté les Conditions générales, dont fait partie la clause d’arbitrage. Troisièmement, le recours collectif porte sur le service d’Ooma, et c’est une question qui peut être soumise à la clause d’arbitrage. Enfin, pour les motifs mentionnés ci‑dessus, Ooma n’a pris aucune mesure dans la présente instance et n’a donc pas reconnu la compétence de notre Cour.

[150] J’ouvre une parenthèse pour souligner que la validité de la clause d’arbitrage en droit californien constitue une question de fait dont la Cour ne peut prendre connaissance d’office, car elle ne peut pas s’enquérir de sa propre initiative du contenu de règles de droit étrangères. Par conséquent, il est bien établi que cette question doit être plaidée et prouvée, ce qui est généralement fait au moyen d’une preuve d’expert (Association du transport aérien international c Canada (Office des transports), 2024 CSC 30 au para 65 [ATAI]; Association du transport aérien international c Office des transports du Canada, 2022 CAF 211 au para 45, conf par ATAI; JPMorgan Chase Bank c Lanner (Le), 2008 CAF 399 au para 18; Backman c Canada, 1999 CanLII 9371 (CAF), [2000] 1 CF 555 au para 38, conf par 2001 CSC 10; Navire Mercury Bell c Amosin, 1986 CanLII 6832 (CAF), [1986] 3 CF 454 à la p 460; Nordion Inc v Life Technologies Inc, 2015 ONSC 99 au para 70).

[151] Dans la présente affaire, M. Zanin et Ooma se sont tous deux reportés à des décisions américaines confirmant ou infirmant la validité de clauses d’arbitrage en droit californien (McGill pour M. Zanin et DiCarlo v MoneyLion, Inc, 988 F 3d 1148 pour Ooma). Cependant, ni M. Zanin ni Ooma n’ont présenté de preuve d’expert sur le droit californien, et il s’agit là d’une question de fait qui devrait être tranchée par l’arbitre conformément au principe de compétence‑compétence.

5) Exceptions prévues par la loi

[152] Je vais maintenant évaluer l’applicabilité d’éventuelles exceptions prévues par la loi empêchant la Cour de renvoyer l’affaire à un arbitre. En ce qui concerne cette deuxième composante du critère à deux volets énoncé dans l’arrêt Peace River, M. Zanin avance trois grandes raisons pour lesquelles une suspension en faveur de l’arbitrage ne devrait pas être accordée même s’il est satisfait aux conditions préliminaires : i) les lois provinciales sur la protection des consommateurs et la Loi sur les CF ont préséance sur toute application de la clause d’arbitrage, ii) la clause d’arbitrage est « nulle » en ce sens qu’elle est inique et iii) la clause d’arbitrage n’est pas conforme aux normes minimales des JAMS et ne peut donc être exécutée puisque les JAMS – l’organe d’arbitrage choisi – refuseraient de statuer sur des différends semblables à celui qui est soulevé par Zanin.

[153] Pour les motifs exposés ci‑dessous, je conclus que, compte tenu de l’état du droit et des circonstances de la présente affaire, ces trois arguments sont sans fondement.

a) Dérogations législatives

[154] M. Zanin soutient qu’il existe deux dérogations législatives claires à la clause d’arbitrage, soit les lois provinciales sur la protection des consommateurs et l’article 25 de la Loi sur les CF.

i) Lois provinciales sur la protection des consommateurs

[155] M. Zanin prétend que les dispositions de plusieurs lois provinciales sur la protection des consommateurs interdisent totalement l’arbitrage et garantissent l’accès des consommateurs lésés aux tribunaux. Il affirme ainsi que les lois provinciales sur la protection des consommateurs ont limité la portée des clauses d’arbitrage dans les contrats de consommation et que cette restriction devrait s’étendre aux lois fédérales telles que la Loi sur la concurrence et la Loi sur les marques de commerce. À l’appui de son argument, il se reporte au texte des dispositions législatives provinciales, à l’objectif réparateur de ces dispositions et à la jurisprudence.

[156] Malheureusement, je suis d’avis que M. Zanin présente un argument qui a été systématiquement rejeté par la jurisprudence récente, laquelle confirme la validité des clauses d’arbitrage en droit fédéral, par opposition au droit provincial. Il n’est pas contesté qu’une clause d’arbitrage peut être invalidée dans la mesure où elle a pour conséquence de rendre sans effet par contrat des droits légaux accordés aux consommateurs, à la condition que cette clause soit interdite par la loi applicable sur la protection des consommateurs. Toutefois, ce n’est tout simplement pas le cas sous le régime de la Loi sur la concurrence ou de la Loi sur les marques de commerce. En résumé, si certaines provinces ont légiféré pour interdire ou restreindre fortement les clauses d’arbitrage en matière de consommation, le législateur fédéral ne l’a pas fait.

[157] Les lois provinciales sur la protection des consommateurs, dont celle de l’Ontario, n’invalident pas les contrats ou les clauses d’arbitrage obligatoire en tant que tels. Elles préservent simplement la compétence des cours provinciales à l’égard des contrats de consommation et limitent les recours à certaines juridictions, comme les tribunaux de l’Ontario. En outre, les lois provinciales sur la protection des consommateurs ne peuvent pas empêcher la Cour fédérale d’exercer sa compétence (Murphy CAF, aux para 31–32). Les lois qui sous‑tendent les réclamations de M. Zanin, soit la Loi sur les marques de commerce et la Loi sur la concurrence, sont des textes législatifs fédéraux et ne peuvent être confondues avec les lois provinciales sur la protection des consommateurs.

[158] Dans la décision Uber, j’ai analysé en détail un argument similaire fondé plus précisément sur les articles 7 et 8 de la LPC de l’Ontario, et j’ai conclu que le libellé de la loi ontarienne ne permettait pas d’accepter l’interprétation prônée par M. Zanin (Uber, aux para 54–85).

[159] L’article 7 de la LPC de l’Ontario et les précédents dans lesquels les tribunaux l’ont interprété limitent clairement la portée de cette dérogation législative. En effet, le paragraphe 7(2) invalide une clause d’arbitrage dans un contrat de consommation ou un contrat connexe uniquement dans la mesure où elle empêche le consommateur d’exercer son droit d’introduire une action devant la Cour supérieure de justice en vertu de la [LPC de l’Ontario] » [non souligné dans l’original]. Son libellé est limpide : il ne protège pas les consommateurs contre l’arbitrage à l’égard de toutes leurs transactions. Les lois sur la protection des consommateurs n’invalident pas non plus une clause d’arbitrage dans tous les cas (TELUS, au para 97; Seidel, aux para 31–32, 40, 50). Le paragraphe 7(2) de la LPC de l’Ontario ne protège que certaines causes d’action dans les instances engagées devant la Cour supérieure de justice en application de la loi ontarienne. La mention de la Cour supérieure de justice et de la Loi de 1992 sur les recours collectifs dans les articles 7 et 8 de la LPC de l’Ontario indique que le législateur ontarien avait simplement l’intention de protéger l’accès aux tribunaux de l’Ontario, mais pas à d’autres tribunaux de juridiction équivalente, comme notre Cour ou la cour supérieure d’une autre province.

[160] Il en va de même pour les autres lois provinciales sur la protection des consommateurs mentionnées par M. Zanin. Elles invalident les clauses d’arbitrage dans les contrats de consommation pour les recours devant certains tribunaux précis fondés sur certaines lois. Cependant, il est faux de prétendre que ces lois provinciales interdisent les clauses d’arbitrage obligatoire dans tout contrat : elles le font seulement à différents degrés, pour des recours précis devant les cours provinciales.

[161] Je dois également souligner qu’il y a maintenant plusieurs arrêts où des cours d’appel ont reconnu expressément que les réclamations présentées en vertu de la Loi sur la concurrence, comme celles de M. Zanin, sont arbitrables (Difederico CAF, aux para 52, 71–72, 77–81; Murphy CAF, au para 60; Williams BCCA, au para 156; Petty BCCA, au para 30). Notre Cour, la Cour d’appel fédérale, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique et la Cour d’appel de l’Alberta ont toutes conclu que des réclamations fondées sur la Loi sur la concurrence peuvent être suspendues en faveur de l’arbitrage. Ces cours ont clairement reconnu l’absence de quelque disposition que ce soit dans la Loi sur la concurrence dénotant l’intention du législateur de déroger aux clauses d’arbitrage valablement acceptées par les parties. En résumé, la question de savoir si l’action en dommages‑intérêts visée à l’article 36 de la Loi sur la concurrence peut faire l’objet d’un arbitrage a été tranchée explicitement.

[162] Dans l’arrêt Murphy CAF, la Cour d’appel fédérale a déclaré que la Loi sur la concurrence ne contenait pas le genre de dispositions législatives expresses requises pour que les tribunaux refusent de donner effet aux termes d’une convention d’arbitrage (Murphy CAF, au para 60; voir aussi Williams BCCA, au para 156). Elle a donc rejeté l’argument selon lequel les réclamations fondées sur l’article 36 de la Loi sur la concurrence ne pouvaient pas être réglées par arbitrage. Au paragraphe 65 de sa décision, la Cour d’appel fédérale s’est exprimée en ces termes :

[65] À mon sens, rien ne permet de conclure, comme le soutient l’appelant, que les réclamations faites en vertu de l’article 36 de la Loi sur la concurrence ne peuvent être réglées par arbitrage. Comme l’a clairement indiqué la Cour suprême par l’arrêt Seidel, et auparavant par les arrêts Dell et Rogers Sans‑fil, ce n’est que lorsque la loi peut être lue ou interprétée comme excluant ou interdisant l’arbitrage, comme c’est le cas de l’article 172 de la BPCPA, que le juge refuse de donner effet aux conventions d’arbitrage valides.

[163] Dans l’arrêt Difederico CAF, la Cour d’appel fédérale a fait expressément remarquer qu’il était loisible au législateur fédéral d’incorporer une disposition comparable au paragraphe 7(2) de la LPC de l’Ontario dans la Loi sur la concurrence. Il n’a toutefois pas encore fait ce choix d’orientation. En attendant, donc, « les clauses d’arbitrage obligatoire incluses dans les contrats d’adhésion à l’intention des consommateurs sont exécutoires, sous réserve des exceptions limitées énoncées par la Cour suprême du Canada et examinées dans les présents motifs » (Difederico CAF, au para 81). Seul le législateur fédéral, et non les assemblées législatives provinciales, peut décider si les réclamations présentées au titre de la Loi sur la concurrence sont arbitrables.

[164] Je rappelle en outre que, le 16 mai 2024, la Cour suprême du Canada a rejeté les demandes d’autorisation de pourvoi qui avaient été déposées à l’égard de chacun des arrêts Difederico CAF, Williams BCCA et Petty BCCA. Par conséquent, ces décisions rendues en appel reflètent l’état actuel et incontesté du droit relativement aux clauses d’arbitrage dans les affaires qui relèvent de la Loi sur la concurrence, comme en l’espèce.

[165] En résumé, l’état du droit ne présente aucune ambiguïté : en l’absence d’une intention législative claire de limiter l’application des clauses d’arbitrage obligatoire aux réclamations en droit de la concurrence, ces clauses sont exécutoires – même lorsqu’elles font partie de contrats types, pourvu qu’elles ne soient pas iniques et que le processus d’arbitrage soit un mécanisme viable et accessible de résolution des différends.

[166] Il en va de même pour la Loi sur les marques de commerce (Gold Line, au para 49).

[167] L’argument de M. Zanin relativement aux lois provinciales sur la protection des consommateurs ne peut donc être retenu. Les deux lois fédérales sous-tendant le recours collectif n’ont pas le même effet sur les clauses d’arbitrage que les lois sur la protection des consommateurs de certaines provinces.

[168] Contrairement à ce qu’affirme M. Zanin, les tribunaux n’ont jamais dit le contraire.

[169] L’affaire Telus concernait un recours collectif intenté devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario en vertu de la LPC de l’Ontario au sujet de services de téléphonie cellulaire. En examinant la portée de l’article 7 cette loi, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit : « [l]ues conjointement, ces deux dispositions [de la LPC de l’Ontario] invalident les conventions d’arbitrage auxquelles ont adhéré les consommateurs dans la mesure où celles‑ci empêchent ces derniers d’intenter un recours collectif ou de participer à un recours collectif comme celui qu’a introduit M. Wellman. À cet égard, les dispositions de la [LPC de l’Ontario] constituent une “dérogation législative” à la clause d’arbitrage à l’égard des consommateurs (Seidel, par. 40) » [non souligné dans l’original] (Telus, au para 97, citant l’arrêt Seidel, au para 40). Cet extrait, pris dans son sens ordinaire, révèle que la Cour suprême du Canada a expressément limité ses observations à « un recours collectif comme celui qu’a introduit M. Wellman », c’est‑à‑dire un recours collectif fondé sur la LPC de l’Ontario. Rien dans l’arrêt Telus ne permet d’affirmer que la « dérogation législative » s’applique à toutes les conventions d’arbitrage à l’égard des consommateurs au-delà de celles visées par le paragraphe 7(2) de la LPC de l’Ontario.

[170] Dans l’arrêt Williams BCCA, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a mentionné que l’Ontario, le Québec et la Saskatchewan ont expressément interdit les conventions rendant l’arbitrage obligatoire et les renonciations au droit de participer à un recours collectif dans leurs lois sur la protection des consommateurs, mais que la Colombie‑Britannique a choisi de ne pas le faire (Williams BCCA, aux para 174–175). Il se trouve que ces lois font partie des lois provinciales sur la protection des consommateurs mentionnées dans les observations de M. Zanin. Toutefois, nulle part la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique n’a déclaré ni laissé entendre qu’il était impossible pour des parties d’insérer des clauses d’arbitrage obligatoire dans leurs contrats, ni que l’interdiction expresse des conventions d’arbitrage obligatoire visait tous les contrats ou que les clauses d’arbitrage étaient interdites dans toutes les conventions régies par les lois de l’Ontario.

[171] Enfin, dans l’arrêt Difederico CAF, la Cour d’appel fédérale a fait une remarque incidente sur les lois provinciales sur la protection des consommateurs au paragraphe 80 de ses motifs :

[80] […] Certaines provinces ont réagi à cette réalité [à savoir l’inclusion de conventions d’arbitrage obligatoire dans les contrats d’adhésion numériques pour les transactions de consommation en ligne] en adoptant des lois protégeant les consommateurs contre l’injustice potentielle de tels contrats d’adhésion. Par exemple, en Ontario, l’article 7 de la Loi de 2002 sur la protection du consommateur, L.O. 2002, ch. 30, annexe A, déclare invalides les clauses d’arbitrage obligatoire, tandis que l’article 8 rend invalide toute clause qui aurait pour effet de faire obstacle à un recours collectif de consommateurs. De même, au Québec, l’article 11.1 de la Loi sur la protection du consommateur, ch. P‑40.1, interdit toute stipulation ayant pour effet d’imposer au consommateur l’obligation de soumettre un litige éventuel à l’arbitrage, ainsi que toute stipulation qui tente d’empêcher une action collective. En vertu du même article, les consommateurs peuvent convenir de soumettre à l’arbitrage un litige qui survient après la conclusion du contrat. En revanche, en Colombie‑Britannique, la jurisprudence veut que l’article 172 de la Business Practices and Consumer Protection Act (Loi sur les pratiques commerciales et la protection du consommateur), S.B.C. 2004, ch. 2, écarte les clauses d’arbitrage obligatoire, mais seulement à l’égard des réclamations présentées en vertu de cet article. En adoptant ces dispositions, chaque législature provinciale a fait un choix de politique pour protéger les consommateurs à divers degrés contre les clauses d’arbitrage.

[Non souligné dans l’original.]

[172] Les mots importants en l’espèce sont « à divers degrés ». Contrairement à ce que prétend M. Zanin en s’appuyant sur l’arrêt Difederico CAF, la Cour d’appel fédérale n’a jamais conclu que les législateurs provinciaux avaient déclaré que les clauses d’arbitrage obligatoire étaient invalides dans toutes les circonstances. Au contraire, elle a pris soin de préciser expressément que les assemblées législatives d’autres provinces avaient légiféré en ce sens seulement dans une certaine mesure. Elle a donc comparé la situation dans ces provinces à celle qui existe en droit fédéral, et notamment en ce qui concerne la Loi sur la concurrence, qui est dépourvue de dispositions semblables, puis a reconnu que la création d’un régime fédéral analogue est subordonnée à la prise d’une mesure parlementaire (Difederico CAF, au para 81). Jusqu’ici, le législateur fédéral a choisi de ne pas exercer son pouvoir à cet égard.

[173] Je souligne également que la décision Union des consommateurs c Bell Canada, 2018 QCCS 1927 [Bell], mentionnée par M. Zanin, se distingue de la présente affaire pour le même motif. Dans cette affaire, la Cour supérieure du Québec a rejeté une interprétation stricte d’une loi provinciale au motif qu’elle irait à l’encontre de l’intention du législateur visant à garantir l’interruption des délais de prescription et l’interprétation souple et généreuse des lois sur les recours collectifs (Bell, aux para 2, 23). La Cour supérieure du Québec devait décider si un article de la loi ontarienne sur les recours collectifs qui suspendait les délais de prescription visant les recours collectifs s’étendait aux actions ou recours collectifs introduits dans n’importe quelle province ou s’appliquait seulement en Ontario. Dans cette affaire, la disposition législative qui avait pour effet d’interrompre les délais de prescription n’était assortie d’aucune limite, et la déclaration de la Cour supérieure du Québec concernant la vaste portée de l’interdiction ne faisait que reprendre le libellé de la disposition provinciale en question.

[174] Enfin, je souligne que ce ne serait pas la première fois que notre Cour exécute une clause d’arbitrage qui ne relève pas de la Loi sur l’arbitrage commercial. Par exemple, elle a déjà suspendu un recours collectif envisagé présentant une réclamation fondée sur la Loi sur la concurrence au nom des distributeurs Amway en raison d’une clause d’arbitrage (Murphy c Compagnie Amway Canada, 2011 CF 1341 [Murphy CF]). La Cour semble également avoir accepté le fait que la Loi de 1991 sur l’arbitrage de l’Ontario, LO 1991, c 17, puisse s’appliquer parce que les parties l’avaient incorporée dans leur contrat. La Cour d’appel fédérale a ensuite confirmé la décision de suspendre le recours dans l’arrêt Murphy CAF.

[175] Pour tous les motifs exposés ci‑dessus, je conclus que les lois provinciales sur la protection des consommateurs ne constituent pas une dérogation législative à la clause d’arbitrage présentée à la Cour en l’espèce.

ii) Article 25 de la Loi sur les CF

[176] M. Zanin soutient également que l’article 25 de la Loi sur les CF, qui figure dans la partie intitulée « Compétence de la Cour fédérale » de cette loi, s’apparente à une disposition « fourre‑tout » permettant au législateur fédéral de s’assurer que les lois de son ressort sont interprétées par un tribunal canadien et que la jurisprudence fédérale canadienne est affinée et élaborée par les juridictions canadiennes, qu’il s’agisse d’une cour provinciale ou de notre Cour. Voilà pourquoi M. Zanin soutient que l’article 25 de la Loi sur les CF constitue une autre dérogation législative faisant obstacle à une suspension de l’instance en faveur de l’arbitrage. Il est d’avis que le texte de cette disposition serait dépourvu de tout sens si un commerçant étranger pouvait, d’un trait de plume dans un contrat d’adhésion, obliger les consommateurs canadiens à soumettre leurs réclamations fondées sur une loi fédérale canadienne à un arbitrage à l’extérieur du Canada.

[177] Pour les motifs que j’ai donnés dans la décision Uber, je suis toutefois d’avis que l’argument de M. Zanin n’est pas fondé (Uber, aux para 86–103).

[178] L’article 25 de la Loi sur les CF prévoit que la Cour fédérale « a compétence, en première instance, dans tous les cas — opposant notamment des administrés — de demande de réparation ou de recours exercé en vertu du droit canadien ne ressortissant pas à un tribunal constitué ou maintenu sous le régime d’une des Lois constitutionnelles de 1867 à 1982 ».

[179] S’appuyant sur des décisions comme Creighton c Franko, 1998 CanLII 8155 (CF) [Creighton], M. Zanin soutient que c’est la Cour fédérale qui est compétente, conformément à l’article 25 de la Loi sur les CF, lorsqu’aucun autre tribunal n’a compétence. Dans la décision Creighton, notre Cour a déclaré que l’article 25 de la Loi sur les CF s’applique « lorsqu’aucun autre tribunal constitué en vertu des Lois constitutionnelles n’a compétence relativement à une demande de réparation ou à un recours » (Creighton, au para 25). Selon M. Zanin, la position d’Ooma, si elle était acceptée, aurait pour effet d’évacuer la compétence de toute autre cour canadienne pour trancher les demandes présentées sous le régime de la Loi sur la concurrence ou de la Loi sur les marques de commerce en raison de la clause d’arbitrage. Il soutient que pareil vide de compétence fait intervenir l’article 25, dont l’objet consiste à faire en sorte que le pouvoir résiduel en matière d’application des lois fédérales incombe à une cour canadienne.

[180] Je ne conteste pas le fait que, comme l’a précisé M. Zanin, aucune des parties dans l’affaire Difederico CAF n’a soulevé la question de l’article 25 de la Loi sur les CF dans ses observations à la Cour d’appel fédérale, et que cet arrêt est muet sur l’application de cet article 25 à une requête comme celle d’Ooma en suspension de l’instance en faveur de l’arbitrage dans une affaire mettant en jeu le droit fédéral.

[181] Cependant, l’article 25 de la Loi sur les CF confère à la Cour la compétence en première instance dans certaines circonstances, et ne s’applique pas en l’espèce. Il entre en jeu seulement « lorsqu’une compétence, au sens de compétence ratione materiae (ou parfois, ratione personae) n’a été conférée à aucun “autre tribunal” par la législation, par les pouvoirs inhérents aux tribunaux ou par quelqu’autres moyens reconnus » (Winmill c Winmill, 1974 CanLII 2554 (CF) [1974] 1 CF 539 à la p 543, conf par [1974] 1 CF 686 (CAF)). Il empêche un vide de compétence dans les situations rares où une cour supérieure provinciale ne peut pas connaître d’une demande relevant d’une loi fédérale. Il n’invalide pas d’autres formes de règlement obligatoire des différends, dont l’arbitrage, en faveur de la compétence de notre Cour.

[182] Si l’interprétation de l’article 25 de la Loi sur les CF que propose M. Zanin était la bonne, toutes les lois fédérales conférant une compétence exclusive à un arbitre seraient inutiles, et notre Cour serait toujours compétente aux termes de l’article 25 parce que c’est un cas « ne ressortissant pas à un [autre] tribunal ». L’article 25 rendrait donc l’arbitrage impossible dans les affaires faisant intervenir des lois fédérales, ce qui est non seulement absurde, mais aussi manifestement erroné à la lumière de la jurisprudence analysée ci‑dessus.

[183] De plus, l’arrêt de la Cour suprême du Canada Desputeaux c Éditions Chouette (1987) Inc, 2003 CSC 17 [Desputeaux] permet de réfuter complètement l’argument de M. Zanin au sujet de l’article 25 de la Loi sur les CF. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a examiné l’article 37 de la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C‑42 (dans sa version en vigueur à l’époque), qui accordait à la Cour fédérale une compétence concurrente à celle des cours provinciales pour connaître de toute procédure liée à l’application de cette loi.

[184] Il convient de reproduire les paragraphes 42 et 46 des motifs du juge Louis LeBel :

[42] L’adoption d’une disposition comme l’art. 37 de la Loi sur le droit d’auteur vise à définir la compétence matérielle des tribunaux judiciaires sur une question. Elle n’entend pas exclure la procédure arbitrale. Elle ne fait qu’identifier le tribunal qui, au sein de l’organisation judiciaire, aura compétence pour entendre les litiges concernant une matière particulière. On ne saurait présumer qu’elle exclut la juridiction arbitrale, faute de la mentionner expressément. Celle‑ci fait maintenant partie du système de justice du Québec, tel que celui‑ci peut l’aménager en vertu de ses compétences constitutionnelles.

[…]

[46] L’article 37 de la Loi sur le droit d’auteur attribue à la Cour fédérale une compétence concurrente pour l’application de la loi, en partageant la compétence matérielle sur les droits d’auteur entre la Cour fédérale et les « tribunaux provinciaux ». Cette disposition demeure suffisamment générale à mon avis pour inclure les procédures arbitrales créées par une loi provinciale. Si le législateur fédéral avait voulu exclure l’arbitrage en matière de droit d’auteur, il l’aurait fait clairement.

[Non souligné dans l’original.]

[185] Le même raisonnement s’applique, par analogie, à l’article 25 de la Loi sur les CF en ce qui concerne la Loi sur la concurrence ou la Loi sur les marques de commerce. Son application s’impose d’autant plus dans le contexte actuel : contrairement à l’époque où l’arrêt Desputeaux a été rendu, l’arbitrage constitue aujourd’hui un mode incontesté de résolution des différends au Canada dont la légitimité est pleinement reconnue par les législateurs fédéral et provinciaux ainsi que par les tribunaux. Par exemple, dans l’arrêt TELUS, la Cour suprême du Canada a précisé qu’il s’agit d’une façon de faire [traduction] « conforme à l’approche moderne, selon laquelle l’arbitrage est un processus autonome par lequel les parties conviennent de régler leurs différends en les soumettant à un arbitre et non à un tribunal » (TELUS, au para 56, citant Inforica Inc c CGI Information Systems and Management Consultants Inc, 2009 ONCA 642 au para 14). Si le législateur avait voulu exclure l’arbitrage en matière fédérale, il l’aurait fait expressément.

[186] À l’instar de l’article 41.25 de la Loi sur le droit d’auteur – qui est l’équivalent moderne de la disposition examinée dans l’arrêt Desputeaux – l’article 25 de la Loi sur les CF n’empêche pas un arbitre de statuer sur des questions relevant du droit fédéral, notamment celles qui font intervenir la Loi sur la concurrence ou la Loi sur les marques de commerce. La disposition n’a jamais entendu exclure l’arbitrage. Elle ne fait que désigner le tribunal qui, au sein du système judiciaire, pourra connaître des litiges concernant sur un sujet particulier. Elle demeure suffisamment générale pour viser les procédures d’arbitrage.

[187] Je souligne en outre que l’arrêt Desputeaux a ensuite été suivi par les tribunaux fédéraux dans l’arrêt Difederico CAF, au para 77, dans la décision Murphy CF, aux para 61–63, conf par Murphy CAF, et dans la décision Gold Line, aux para 48–49.

[188] Dans la décision Murphy CF, la Cour fédérale s’est rangée au principe que, comme dans l’arrêt Desputeaux, le paragraphe 36(3) de la Loi sur la concurrence n’attribue pas une compétence exclusive à la Cour fédérale, mais ne fait que préciser que la Cour est un tribunal qui a compétence à l’égard des réclamations fondées sur l’article 36 : « [a]utrement dit, l’article 36 ne fait que préciser la compétence ratione materiae de la Cour fédérale et n’a pas pour effet d’exclure l’arbitrage comme mécanisme valide » (Murphy CF, au para 63). Dans la décision Gold Line, la Cour fédérale a réaffirmé que l’article 41.25 de la Loi sur le droit d’auteur n’entendait pas exclure la procédure arbitrale. Il ne fait que désigner le tribunal qui, au sein du système judiciaire, aura compétence pour entendre les litiges concernant un sujet particulier. La Cour a rappelé qu’on ne saurait présumer qu’il exclut la juridiction arbitrale, faute de la mentionner expressément (Gold Line, aux para 48–49).

[189] En outre, l’argument de M. Zanin concernant l’article 25 de la Loi sur les CF doit être écarté pour une autre raison. Comme l’a expressément déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Moudgill c Canada, 2014 CAF 90, au paragraphe 9 : « L’article 25 de la Loi sur les Cours fédérales n’est d’aucune utilité pour l’appelant, car il ne s’applique pas lorsque la Cour supérieure d’une province a compétence pour accorder une réparation comme celle demandée en l’espèce ». En effet, l’article 25 ne constitue pas une disposition valide d’attribution de compétence dans les cas où le demandeur pourrait ester en justice devant la cour supérieure d’une province (Fetr v Kazerani, 2024 FC 1429 au para 10; Nation crie Kelly Lake c Canada, 2017 CF 791 au para 38; Creighton, au para 25). En l’espèce, M. Zanin pourrait exercer un recours devant les cours supérieures provinciales en vertu de l’article 36 de la Loi sur la concurrence et de l’article 53.2 de la Loi sur les marques de commerce, puisque notre Cour et les cours supérieures de chaque province ont une compétence concurrente pour entendre les réclamations déposées au titre de ces dispositions.

[190] Bref, on ne saurait affirmer que l’article 25 de la Loi sur les CF fait obstacle à l’arbitrage comme forme de résolution des différends et que cette disposition constitue une dérogation législative à la clause d’arbitrage.

iii) Conclusion sur les dérogations législatives

[191] Pour toutes ces raisons, je conclus que M. Zanin n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’il existe une dérogation législative à la clause d’arbitrage en question, que ce soit au titre d’une loi provinciale sur la protection des consommateurs ou de l’article 25 de la Loi sur les CF.

b) Iniquité

[192] La deuxième exception prévue par la loi invoquée par M. Zanin pour soutenir que la clause d’arbitrage est invalide repose sur l’argument selon lequel la convention d’arbitrage est nulle pour des raisons d’iniquité et d’intérêt public. L’iniquité et l’intérêt public sont des concepts distincts mais en même temps étroitement liés dans la doctrine. L’iniquité est centrée sur la vulnérabilité de la partie qui cherche à faire annuler le contrat et sur l’injustice qu’elle subit, tandis que l’intérêt public est axé sur le préjudice qui serait causé à la société si la validité du contrat était confirmée (Pearce v 4 Pillars Consulting Group Inc, 2021 BCCA 198 au para 192 [Pearce BCCA]; voir aussi Petty BCSC, au para 41).

[193] M. Zanin s’appuie sur l’arrêt Heller pour affirmer que la common law considère iniques les clauses d’arbitrage contenues dans les contrats types rédigés par les parties les plus fortes. Dans cet arrêt, la Cour suprême a reconnu que les contrats types sont particulièrement susceptibles de créer une inégalité de pouvoir de négociation entre les parties (Heller, au para 89). Dans ses observations écrites, M. Zanin se concentre également sur les principes de common law relatifs à l’iniquité, décrits dans l’arrêt Pearce BCCA. À son avis, contrairement aux affaires où les tribunaux n’ont pas jugé les clauses d’arbitrage iniques à la lumière du critère énoncé dans l’arrêt Heller, la clause d’arbitrage imposée par Ooma présente diverses caractéristiques similaires à celle que contestait M. Heller.

[194] Par suite de mon examen détaillé des circonstances de la présente affaire et des paramètres établis par la jurisprudence – que ce soit dans les litiges relatifs à la Loi sur la concurrence ou dans d’autres affaires faisant intervenir des clauses d’arbitrage, je ne suis pas convaincu par les arguments de M. Zanin et son évaluation de la clause d’arbitrage en cause. À mon avis, M. Zanin n’a pas réussi à démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la clause d’arbitrage contestée est inique.

i) Principes régissant une conclusion d’iniquité

[195] Je me permets de citer à nouveau un extrait de la décision Uber, où j’ai résumé les principes auxquels est subordonnée une conclusion d’iniquité dans les demandes de suspension en faveur de l’arbitrage (Uber, aux para 122–132). Il reflète toujours l’état du droit :

[122] Dans l’arrêt Heller CAC, la CSC établit les principes auxquels est subordonnée une conclusion quant à l’iniquité d’une convention d’arbitrage. La CSC explique que deux éléments sont essentiels pour prouver l’iniquité : 1) la preuve de l’inégalité des situations respectives des parties; 2) la preuve d’un marché imprudent (Heller CSC au para 64 citant l’arrêt Norberg c Wynrib, [1992] 2 RCS 226 à la p 256; Douez CSC au para 115; Williams BCCA aux para 71, 129). Tant l’inégalité du pouvoir de négociation que l’imprudence sont nécessaires pour rendre une convention d’arbitrage inique, et donc invalide (Heller CSC au para 74).

[123] Essentiellement, la doctrine de l’iniquité offre une réparation contre les marchés imprudents lorsqu’il existe une inégalité dans le pouvoir de négociation entre les parties découlant d’une faiblesse ou d’une vulnérabilité du demandeur. Le marché est imprudent s’il avantage indûment la partie la plus forte ou désavantage indûment la plus vulnérable (Heller CSC, au para 74). L’imprudence est évaluée au moment de la conclusion du contrat compte tenu des circonstances qui l’entourent.

i) L’inégalité du pouvoir de négociation

[124] Il y a inégalité dans le pouvoir de négociation lorsqu’une partie « ne peut pas adéquatement protéger ses intérêts durant le processus de formation d’un contrat » (Heller CSC au para 66) et il ne doit pas y avoir de « “limites rigides” quant aux types d’inégalités qui correspondent à cette définition » (Heller CSC au para 67). Par exemple, l’inégalité pourrait se manifester par « [d]es écarts de richesse, de connaissance ou d’expérience », mais « l’inégalité comprend davantage que ces seuls attributs » (Heller CSC au para 67).

[125] Dans le contexte des relations contractuelles, la CSC précise que, dans bien des cas où l’inégalité du pouvoir de négociation est établie, « les désavantages pertinents nuisaient à la capacité de la partie de négocier ou de conclure librement un contrat, compromettaient la capacité d’une partie à comprendre ou à apprécier le sens ou l’importance des clauses du contrat ou les deux » (Heller CSC au para 68). C’est particulièrement vrai dans les cas de nécessité, où la partie plus vulnérable dépend tant de la partie plus forte que de graves conséquences découleraient du refus de conclure un contrat. « Lorsque cette partie est prête à accepter presque n’importe quelle condition, parce que les conséquences d’un refus seraient si graves, l’equity intervient pour empêcher une partie contractante de tirer un trop grand avantage de la situation malheureuse de la partie la plus faible » (Heller CSC au para 69). À cet égard, la CSC présente le scénario d’un « sauvetage en mer » comme un exemple classique d’un cas de nécessité (Heller CSC au para 70). L’inégalité du pouvoir de négociation peut donc exister dans les cas de nécessité, lorsqu’une partie est vulnérable en raison de circonstances financières, ou lorsqu’il existe une relation de confiance particulière.

[126] La CSC mentionne également une deuxième forme d’inégalité dans les relations contractuelles, notamment une « asymétrie cognitive » (Heller CSC au para 71). Une telle situation survient lorsqu’« une seule des parties peut comprendre et apprécier la portée complète des clauses du contrat » (Heller CSC au para 71). La CSC indique que, dans une telle situation, la partie plus faible devient particulièrement vulnérable, et « l’hypothèse du droit selon laquelle les parties protègent leurs intérêts perd de sa force » (Heller CSC au para 71).

[127] En fin de compte, pour établir l’inégalité du pouvoir de négociation entraînant l’iniquité, il faut être en présence d’un contexte « où les hypothèses normales du droit sur la liberté de négociation soit ne tiennent essentiellement plus soit ne peuvent pas être appliquées équitablement » (Heller CSC au para 72).

[128] Dans l’arrêt Heller CSC, la CSC retient les éléments suivants dans son analyse de l’inégalité du pouvoir de négociation :

  1. La convention d’arbitrage faisait partie d’un contrat type;

  2. M. Heller n’avait aucun pouvoir de négociation sur ses clauses et n’avait qu’une option contractuelle : accepter la convention d’arbitrage ou la refuser;

  3. Il existait un fossé important sur le plan des connaissances entre M. Heller (un livreur de nourriture à Toronto) et Uber (une grande multinationale);

  4. La convention d’arbitrage ne contenait aucune information sur les coûts de la médiation et de l’arbitrage qui devaient avoir lieu aux Pays‑Bas;

  5. On ne peut pas s’attendre à ce qu’une personne dans la position de M. Heller puisse apprécier les conséquences financières et juridiques de son consentement à un arbitrage mené en application des règles applicables ou du droit néerlandais;

  6. Même en supposant que M. Heller soit une des rares personnes à avoir lu le contrat dans son intégralité avant de le signer, il n’aurait eu aucune raison de soupçonner que derrière la mention inoffensive à la médiation obligatoire, il y aurait un obstacle de 14 500 $ US à franchir pour avoir accès à une réparation;

  7. Les règlements n’étaient pas annexés au contrat, et M. Heller aurait donc dû les chercher lui‑même.

ii) Marché imprudent

[129] Quant à l’examen de la dimension relative à un marché imprudent, la CSC établit d’abord qu’en règle générale, « [u]n marché est imprudent s’il avantage indûment la partie la plus forte ou désavantage indûment la plus vulnérable » et « [l]’imprudence est mesurée au moment de la conclusion du contrat » et « évaluée selon le contexte » (Heller CSC aux para 74–75). Ainsi, selon la CSC, « il faut se demander avant tout si la partie la plus forte a été indûment enrichie » (Heller CSC au para 76), ce qui peut se manifester de différentes manières.

[130] Dans le cas de l’asymétrie cognitive, la CSC note que l’analyse doit demander si la partie plus vulnérable a été indûment désavantagée par des clauses qu’elle n’a pas comprises ou appréciées. Les clauses sont abusives lorsque, selon le contexte, elles bafouent les [traduction] « attentes raisonnables » de la partie la plus faible […] ou causent une [traduction] « surprise inéquitable » (Heller CSC au para 77).

[131] Enfin, la CSC détermine que l’iniquité fait intervenir à la fois l’inégalité et l’imprudence, et que « la preuve d’un marché manifestement inéquitable peut appuyer l’inférence qu’une partie était incapable de protéger adéquatement ses intérêts […] C’est une question de bon sens que les parties ne concluent pas souvent un marché substantiellement imprudent lorsqu’elles ont un pouvoir de négociation égal » (Heller CSC au para 79).

[132] Dans l’arrêt Heller, la CSC retient les éléments suivants dans son analyse du marché imprudent :

  1. Les procédures de médiation et d’arbitrage requièrent le paiement de 14 500 $ US de frais administratifs initiaux, un montant qui s’apparente au revenu annuel de M. Heller et ne comprend pas les frais potentiels du déplacement, de l’hébergement, de la représentation juridique ni les pertes de revenus.

  2. Ces frais étaient disproportionnés par rapport à la valeur d’une sentence arbitrale qui aurait pu être raisonnablement envisagée lors de la conclusion du contrat.

  3. La convention d’arbitrage désignait le droit néerlandais comme droit applicable et Amsterdam comme « lieu » de l’arbitrage.

  4. La convention d’arbitrage laissait l’impression claire que les chauffeurs d’Uber n’avaient guère d’autre choix que de se rendre aux Pays‑Bas à leurs propres frais afin de faire valoir individuellement leurs réclamations contre Uber.

  5. Toute représentation auprès de l’arbitre, y compris concernant le lieu de l’audience, ne peut être faite qu’après le paiement des frais.

  6. En fait, la clause d’arbitrage modifiait tous les autres droits substantiels prévus au contrat de sorte que tous les droits dont jouissait M. Heller étaient assujettis à la condition préalable apparente qu’il se rende à Amsterdam, intente une procédure d’arbitrage en payant les frais requis et reçoive une sentence arbitrale établissant une violation de ce droit. Ce n’est qu’une fois ces conditions préalables remplies que M. Heller pouvait obtenir une décision de justice pour faire valoir les droits substantiels en application du contrat. En fait, la clause d’arbitrage empêchait un chauffeur de faire valoir contre Uber les droits substantiels prévus au contrat.

  7. Aucune personne raisonnable ayant compris et apprécié les conséquences de la clause d’arbitrage ne l’aurait acceptée.

[196] En bref, pour qu’il y ait iniquité, la partie intéressée doit établir à la fois l’inégalité du pouvoir de négociation et un marché imprudent en résultant (Heller, aux para 64–65). Il existe une inégalité du pouvoir de négociation « lorsqu’une partie ne peut pas adéquatement protéger ses intérêts durant le processus de formation du contrat » (Heller, au para 66). Un marché est imprudent « s’il avantage indûment la partie la plus forte ou désavantage indûment la plus vulnérable » (Heller, au para 74). Les deux éléments doivent être prouvés et, dès qu’un d’entre eux ne l’est pas, la clause d’arbitrage ne sera pas jugée inique.

[197] Aux paragraphes 133 à 152 de la décision Uber, j’ai également présenté un examen approfondi de plusieurs prédédents portant sur des conventions d’arbitrage ayant fait l’objet de demandes présentées en vertu de la Loi sur la concurrence et où les principes de l’arrêt Heller avaient été appliqués. Il s’agit des arrêts Difederico CAF, Williams BCCA, Petty BCCA et Spark Event Rentals Ltd v Google LLC, 2024 BCCA 148 [Spark] ainsi que de la décision Tahmasebpour, dans lesquels la Cour d’appel fédérale, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique et la Cour suprême de la Colombie‑Britannique ont toutes conclu que les clauses d’arbitrage en litige dans les affaires dont elles étaient respectivement saisies n’étaient pas iniques. J’ai également examiné deux autres décisions (auxquelles a également renvoyé M. Zanin en l’espèce) qui ne portaient pas sur des questions relatives à la Loi sur la concurrence, mais dans lesquelles la cour saisie de l’affaire a jugé que la clause d’arbitrage était inique (Uber, aux para 153–62). Il s’agit de la décision Lochan, confirmée par 2024 ONCA 784, et de l’arrêt Pokornik.

ii) Inégalité du pouvoir de négociation

[198] Comme je le mentionne plus haut, il existe une inégalité du pouvoir de négociation lorsque l’une des parties « ne peut pas adéquatement protéger ses intérêts durant le processus de formation d’un contrat » (Heller, au para 66). Il « n’existe pas de [traduction] “limites rigides” quant aux types d’inégalités qui correspondent à cette définition » (Heller, au para 67). Dans l’arrêt Heller, la Cour suprême du Canada a fourni des exemples de ce qui pourrait constituer une inégalité : « Des écarts de richesse, de connaissance ou d’expérience peuvent être pertinents, mais l’inégalité comprend davantage que ces seuls attributs » (Heller, au para 67).

[199] En fin de compte, la Cour suprême du Canada a décrit deux situations principales où une relation contractuelle ferait intervenir la dimension de l’inégalité du pouvoir de négociation : i) lorsque les conséquences de l’inégalité sont si graves que l’equity doit intervenir pour empêcher une partie contractante de tirer un trop grand avantage de la partie la plus faible; et ii) lorsqu’une « asymétrie cognitive » empêche l’une des parties contractantes de comprendre parfaitement les clauses du contrat, ce qui la rend vulnérable dans le processus de formation du contrat. Pour que l’inégalité du pouvoir de négociation justifie une conclusion d’iniquité, il faut être en présence d’un contexte « où les hypothèses normales du droit sur la liberté de négociation soit ne tiennent essentiellement plus soit ne peuvent pas être appliquées équitablement » (Heller, au para 72).

[200] En l’espèce, il y a absence d’une telle vulnérabilité ou injustice, et je ne suis pas convaincu qu’il existe une inégalité du pouvoir de négociation entre les parties qui me permet de conclure à l’iniquité de la clause d’arbitrage.

[201] Premièrement, rien n’indique que le service de téléphonie résidentielle offert par Ooma est un service essentiel pour M. Zanin ni que ce dernier est dépendant du service au point où les conséquences d’une inégalité du pouvoir de négociation seraient « graves ».

[202] Il est évident que M. Zanin ne dépend pas du service de la même façon, par exemple, que Mme Pokornik dépendait de Skip dans l’affaire Pokornik ou que M. Heller dépendait d’Uber dans l’affaire Heller, où ces personnes avaient un contrat d’emploi avec l’autre partie contractante. Autrement dit, M. Zanin n’est manifestement pas dans une situation de nécessité, de vulnérabilité ou de dépendance à l’égard du service de téléphonie résidentielle qu’il s’est procuré.

[203] En réalité, la situation de M. Zanin s’apparente beaucoup plus aux cadres factuels des affaires Difederico CAF (produits Amazon), Williams BCCA (produits Amazon), Petty BCCA (jeux vidéo), Uber (services de livraison de produits alimentaires) et Tahmasebpour (services de téléphonie cellulaire), où les cours de justice ont conclu à l’absence de nécessité ou de dépendance. Les faits de l’espèce s’apparentent en effet davantage à ceux sous-tendant l’abondante jurisprudence sur les clauses d’arbitrage dans les contrats de consommation, selon laquelle les consommateurs ne dépendent généralement pas de ces services au point d’être vulnérables ou de subir de « graves » conséquences.

[204] J’ouvre une parenthèse pour faire remarquer que même les services de téléphonie cellulaire ont été jugés non essentiels à la vie quotidienne. Dans la décision Tahmasebpour, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a admis [traduction] « [qu’]un téléphone cellulaire est une nécessité pour presque tout le monde » et que le contrat de téléphonie cellulaire en cause revêtait, en ce sens, une plus grande importance pour les demandeurs que les contrats en question dans les affaires DoorDash, Williams BCCA et Petty BCCA, mais sans être aussi important que les contrats en cause dans les affaires Heller et Pearce BCCA (Tahmasebpour, au para 55). Si les services de téléphonie cellulaire ne sont pas considérés comme essentiels à l’ère numérique d’aujourd’hui, il est difficile de voir comment les services de téléphonie résidentielle pourraient l’être. De plus, il existe plusieurs options concrètes sur le marché en matière de services de téléphonie résidentielle, tant pour la ligne fixe que pour le service mobile, contrairement à la situation dans l’affaire Douez, où il n’existait pas d’autre plateforme de réseautage social que Facebook à l’époque (voir a contrario Douez, au para 56). Rien ne permet de croire que M. Zanin, ou un client typique, aurait subi des conséquences s’il avait refusé d’accepter les conditions générales, étant donné qu’il aurait pu faire appel à un autre fournisseur de service de téléphonie résidentielle ou même à un fournisseur de services de téléphonie cellulaire.

[205] En résumé, l’abonnement au service offert par Ooma est une transaction ordinaire conclue auprès d’un détaillant où le consommateur n’est pas en situation de dépendance, de vulnérabilité, de déséquilibre ou de nécessité, comme l’ont conclu notre Cour et la Cour suprême de la Colombie‑Britannique dans des affaires comparables (Difederico CF, au para 124; Petty BSCS, au para 60).

[206] M. Zanin est loin de se trouver dans la situation du « sauvetage en mer » à laquelle fait référence la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Heller. Il ne s’agit pas non plus d’une situation où une relation de confiance particulière existe entre M. Zanin et Ooma, contrairement, par exemple, aux affaires Heller et Pokornik, où une entente entre un employeur et un employé avait été conclue, ou à l’affaire Lochan, qui concernait une prestation de services financiers. Je ne suis pas d’avis que la nature du service offert par Ooma me permet de considérer les faits de l’espèce comme étant comparables à ceux des affaires mentionnées plus haut, et je ne vois aucune raison de tirer une conclusion qui s’écarte de la jurisprudence. Dans les contrats de consommation où la relation entre le consommateur et l’entreprise n’est pas caractérisée par la nécessité mais par la commodité, les tribunaux ont été réticents à déclarer les clauses d’arbitrage iniques.

[207] Par ailleurs, comme dans les affaires Difederico CAF, Williams BCCA et Petty BCCA, rien n’indique en l’espèce que M. Zanin, ou un autre consommateur typique, dépend du service offert par Ooma. M. Zanin n’a présenté aucune preuve montrant qu’il avait besoin des services d’Ooma et que ce besoin le rendait dépendant ou vulnérable, ou qu’une relation de confiance particulière existait entre lui et l’entreprise. Il n’a pas démontré qu’il avait besoin d’Ooma au point où sa [traduction] « subsistance ou son bien‑être financier dépendaient d’une manière quelconque de l’accès » à ce service (Williams BCCA, au para 126). En conséquence, son argument fondé sur l’iniquité ne tient pas.

[208] Deuxièmement, je ne suis pas convaincu qu’il s’agit d’une situation où M. Zanin n’était pas en mesure de comprendre la clause d’arbitrage lorsqu’il l’a acceptée ou dans laquelle il existait un [traduction] « fossé important sur le plan des connaissances » entre les parties (voir a contrario Heller, au para 93).

[209] Il est vrai que M. Zanin n’avait pas la possibilité de négocier les dispositions des conditions générales lorsqu’il s’est abonné au service offert par Ooma. Telle est la nature des contrats types, où [traduction] « les parties [n’en] négocient pas les modalités et [où] le contrat est présenté comme une proposition à prendre ou à laisser » (Ledcor Construction Ltd c Société d’assurance d’indemnisation Northbridge, 2016 CSC 37 au para 28, citant MacDonald v Chicago Title Insurance Company of Canada, 2015 ONCA 842 au para 33). Il est aussi vrai que les conditions générales, qui comportent 38 pages, ne font que brièvement référence aux règles des JAMS et ne fournissent que peu de précisions sur celles‑ci. La clause d’arbitrage était toutefois présente et compréhensible, et il était possible de consulter les documents relatifs aux JAMS. Rien n’indique qu’il y avait un manque d’information important ou une « asymétrie cognitive » entre M. Zanin et Ooma. Il ne suffit pas de simplement faire valoir qu’un contrat type a été utilisé et d’affirmer qu’il est inique.

[210] Dans l’arrêt Pokornik, la Cour d’appel du Manitoba a fait remarquer que [traduction] « l’existence d’un contrat type, d’une clause d’arbitrage et d’une renonciation aux recours collectifs [n’étaient] pas en soi des facteurs déterminants » (Pokornik, au para 85; voir aussi Williams BCCA, au para 171). En effet, l’utilisation d’un contrat type entre un consommateur et une société, que celle‑ci soit nationale ou multinationale, ne fait pas en soi naître une inégalité du pouvoir de négociation dans le sens entendu dans le cadre de l’application du critère relatif à l’iniquité.

[211] Au paragraphe 88 de l’arrêt Heller, la Cour suprême du Canada a pris grand soin de préciser qu’un contrat type ne créait pas nécessairement une inégalité du pouvoir de négociation :

[88] Nous ne voulons pas laisser entendre qu’un contrat type, en soi, crée une inégalité du pouvoir de négociation (Waddams (2017), p. 240). Au contraire, les contrats types sont dans bien des cas à la fois nécessaires et utiles. Par exemple, des gens d’affaires avisés peuvent être familiers avec les contrats d’adhésion couramment utilisés au sein d’une industrie. Des explications ou des conseils suffisants peuvent lever l’incertitude quant aux clauses d’une convention type. Certains contrats types peuvent exprimer clairement et efficacement le sens de clauses dont les effets sont inhabituels ou onéreux (Benson, p. 234).

[212] En l’espèce, je ne suis pas convaincu qu’il y avait une mauvaise compréhension des conditions générales liant les parties, car M. Zanin pouvait consulter les règles des JAMS et les renseignements pertinents. La procédure d’arbitrage et ses caractéristiques sont décrites de manière suffisante et adéquate dans la clause d’arbitrage et dans les règles des JAMS qui y sont incorporées par renvoi.

[213] De plus, rien n’indique, là encore, que M. Zanin n’était pas en mesure de comprendre la clause d’arbitrage ou les règles des JAMS, et aucune des caractéristiques d’une inégalité du pouvoir de négociation énoncées dans les arrêts Heller et Pokornik et dans la décision Lochan n’est présente. Par exemple, la clause d’arbitrage en litige dans l’affaire Lochan (clause d’arbitrage dans un contrat de consommation jugée inique et à laquelle renvoie M. Zanin en l’espèce), présentait bon nombre des caractéristiques associées à une inégalité du pouvoir de négociation qui avaient amené la Cour suprême du Canada à tirer une conclusion d’iniquité dans l’arrêt Heller : l’arbitrage devait se dérouler à Hong Kong et être régi par les lois d’un pays étranger, les frais d’arbitrage dépassaient 35 000 $ (sans compter les frais de déplacement), la clause d’arbitrage ne contenait aucun renseignement sur les paramètres et les frais de l’arbitrage, les demandeurs devaient verser un cautionnement pour les frais à l’organe d’arbitrage et il y avait un manque d’information important (Lochan, aux para 16, 28–29, 51).

[214] En l’espèce, aucun de ces facteurs n’entre en jeu.

[215] Par conséquent, je juge qu’il n’existe aucune inégalité du pouvoir de négociation dans la présente affaire, ce qui suffit pour conclure que la clause d’arbitrage n’est pas nulle pour cause d’iniquité.

iii) Marché imprudent

[216] En ce qui concerne le marché imprudent, même si je partais de l’hypothèse qu’il existait une inégalité du pouvoir de négociation en l’espèce (ce qui n’est pas le cas), je ne suis pas convaincu que la clause d’arbitrage avantage indûment Ooma ou désavantage indûment M. Zanin. À mon avis, les conditions de la clause d’arbitrage ne viennent pas créer d’avantages ou de désavantages « indus » ni empêcher, dans les faits, M. Zanin ou un consommateur typique dans une situation comparable d’avoir accès à la justice.

[217] Selon la Cour suprême du Canada, l’imprudence est mesurée au moment de la conclusion du contrat et doit être évaluée selon le contexte (Heller, aux para 74–75). Par exemple, lorsqu’une partie plus faible se trouve dans des circonstances désespérées, pratiquement n’importe quelle entente sera imprudente. La Cour suprême du Canada fait ainsi remarquer qu’« il faut se demander avant tout si la partie la plus forte a été indûment enrichie » (Heller, au para 76). Comme je le mentionne plus haut, M. Zanin ne se trouve pas, en l’espèce, dans de telles circonstances désespérées.

[218] Lorsqu’une partie fait valoir qu’une convention d’arbitrage est inique parce qu’il est coûteux de s’en prévaloir et que seul un recours collectif est possible sur le plan pécuniaire, la question pertinente que la Cour doit examiner dans le cadre d’une demande de suspension de l’instance est celle de savoir s’il est manifeste que les frais d’arbitrage constitueraient un obstacle à ce qu’un arbitre statue sur l’iniquité de la clause d’arbitrage selon le principe de compétence‑compétence. Les frais de la procédure d’arbitrage pour que la demande soit tranchée sur le fond ne sont pas pertinents pour l’analyse de la Cour. En l’espèce, seuls importent les frais à payer pour qu’un arbitre tranche la question préliminaire relative à l’iniquité de la clause d’arbitrage. S’il est possible qu’un arbitre soit saisi de cette question préliminaire, la Cour doit accueillir la demande de suspension de l’instance (Spark, aux para 57–63).

[219] Dans l’affaire Spark, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a examiné la capacité de la demanderesse à payer les frais requis pour qu’un arbitre statue sur la question préliminaire de la compétence, et non les frais requis pour qu’un arbitre tranche la réclamation sur le fond (Spark, au para 61). Elle a déclaré que la demanderesse n’avait pas produit d’éléments de preuve concernant sa situation financière et n’avait même pas mentionné ne pas avoir les moyens de payer les frais de dépôt initiaux (Spark, aux para 59–62). En conséquence, elle a conclu que les questions de compétence en litige pouvaient être soumises à l’arbitrage suivant le principe de compétence‑compétence (Spark, au para 63). La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a tiré cette conclusion malgré le fait que la demanderesse avait présenté une preuve d’expert concernant la procédure d’arbitrage envisagée et les frais qui s’y rapportaient.

[220] Je ne suis pas convaincu, dans la présente affaire, qu’une quelconque imprudence résulte d’une supposée inégalité du pouvoir de négociation. Dans l’affaire Heller, les frais élevés à payer pour que l’arbitrage puisse être entamé, soit des frais initiaux de 14 500 $ US, ont été considérés comme « constitu[a]nt un obstacle infranchissable entre [M. Heller] et la résolution de toutes les demandes qu’il a[vait] présentées contre Uber » (Heller, au para 47). L’imprudence résultait de cet « obstacle infranchissable », qui faisait en sorte que M. Heller ne pouvait même pas présenter des observations à l’arbitre sans devoir payer cette somme exorbitante. Les situations des personnes concernées dans les affaires Pokornik et Lochan étaient comparables à celle de M. Heller.

[221] En l’espèce, M. Zanin n’a pas démontré que la clause d’arbitrage entraînait un avantage ou un désavantage indu important. Comme l’a indiqué Ooma, les règles des JAMS sont en fait beaucoup plus avantageuses que les conditions d’arbitrage dont il était question dans l’affaire Heller. Il ressort de l’examen des règles des JAMS et de la [traduction] « Liste des frais d’arbitrage » que la procédure d’arbitrage n’est pas plus contraignante que les règles et obligations en matière de procédure qu’impose le système judiciaire traditionnel : i) les frais de dépôt sont relativement bas et le sont encore davantage lorsque l’arbitrage concerne un consommateur; ii) les parties n’ont pas besoin de se rendre en Californie pour l’arbitrage, car les documents peuvent être déposés par voie électronique et les audiences peuvent être tenues par téléphone ou par vidéoconférence (règles des JAMS, art 8 et 22g)); iii) les « Optional Expedited Arbitration Procedures (Procédures facultatives liées à l’arbitrage accéléré) » dont il est question dans la clause d’arbitrage prévoient une procédure accélérée et une communication préalable limitée (règles des JAMS, art 16.1 et 16.2); et iv) les parties sont chacune tenues de payer leur part des frais et des dépenses de façon proportionnelle, à moins qu’elles n’en conviennent autrement (règles des JAMS, art 31a)), à l’exception des consommateurs, qui ne paient que 250 $ selon la Liste des frais d’arbitrage.

[222] Dans l’arrêt Williams BCCA, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a jugé raisonnable la conclusion de la cour de première instance selon laquelle la clause d’arbitrage en litige n’était pas inique en raison, notamment, des frais administratifs initiaux peu élevés et de la possibilité de procéder à l’arbitrage à distance (Williams BCCA, aux para 122–25). En conséquence, même si elle a conclu que l’analyse de la cour de première instance n’était pas aussi approfondie que celle de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Heller, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique était [traduction] « convaincue que l’analyse globale de la juge [de première instance] des questions d’iniquité et d’intérêt public dans le contexte de [cette] affaire en particulier command[ait] la retenue et d[evai]t être confirmée » (Williams BCCA, au para 117).

[223] À mon avis, l’analyse exposée dans l’arrêt Heller, selon laquelle les clauses d’arbitrage sont généralement valides, appuie la validité de la clause d’arbitrage en l’espèce. Cette clause est sensiblement différente de la convention d’arbitrage qui a été jugée nulle dans l’arrêt Heller et se compare davantage à celle qui a été jugée valide dans l’arrêt Williams BCCA. Plus particulièrement, contrairement aux frais initiaux exorbitants de 14 500 $ US dont il était question dans l’affaire Heller, les frais à payer pour avoir recours aux JAMS s’élèvent à la modique somme de 250 $ pour les consommateurs comme M. Zanin. L’écart est donc mince entre les frais que les consommateurs doivent payer pour les JAMS et les frais initiaux de 200 $ dans l’affaire Williams BCCA qui ont été qualifiés de [traduction] « modestes » au paragraphe 122 de l’arrêt. Qui plus est, comme dans l’affaire Williams BCCA, les audiences et les réunions d’arbitrage peuvent être tenues à tout endroit que l’arbitre juge pratique ou nécessaire (règles des JAMS, art 19c)), et ne doivent pas forcément être tenues à l’étranger et en personne, comme c’était le cas dans l’affaire Heller. De plus, selon l’alinéa 22g) des règles des JAMS, l’instruction peut avoir lieu par téléphone, par courriel, par Internet, par vidéoconférence ou par tout autre moyen de communication convenu entre les parties ou ordonné par l’arbitre.

[224] Je reconnais que la clause d’arbitrage ne présente pas toutes les caractéristiques mentionnées dans les arrêts Difederico CAF, Williams BCCA, Petty BCCA ou Murphy CAF. Par exemple, la clause ne prévoit pas la possibilité pour le consommateur de s’adresser à une cour des petites créances, les honoraires exacts pour les services d’un arbitre ne sont pas précisés et rien n’indique que les frais payés par le consommateur pourraient être remboursés dans certains cas. Dans le même ordre d’idées, rien n’empêche que le consommateur soit condamné aux dépens, même si l’arbitre exerce un vaste pouvoir discrétionnaire à l’égard de l’adjudication des dépens et qu’il peut les répartir entre les parties.

[225] Toutefois, ces différences ne me permettent pas de conclure que la clause d’arbitrage s’inscrit dans la catégorie de celles jugées iniques par les tribunaux. Je suis d’avis que les caractéristiques particulières que M. Zanin a ciblées comme étant manquantes sont plus accessoires que d’autres conditions principales des conventions d’arbitrage, comme la possibilité de participer à l’audience à distance (plutôt qu’en personne à l’étranger) et les frais initiaux peu élevés. La clause d’arbitrage en l’espèce répond certainement à ces conditions principales énoncées dans la jurisprudence. En fait, la clause d’arbitrage est loin de posséder les caractéristiques problématiques relevées dans les affaires Heller, Pokornik et Lochan, où les conventions d’arbitrage ont été jugées iniques.

[226] Dans la décision Tahmasebpour, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a reconnu que la clause d’arbitrage ne prévoyait pas le genre de concessions en faveur des consommateurs qui avaient contribué à ce que les clauses d’arbitrage dans les affaires Williams BCCA, Petty BCCA et DoorDash soient jugées valides. La clause ne prévoyait pas d’exception autorisant un demandeur à s’adresser à une cour des petites créances, ne permettait pas l’arbitrage par téléphone ou par vidéoconférence et ne prévoyait pas la possibilité pour Freedom Mobile de payer les frais initiaux si les demandeurs n’en avaient pas les moyens. Malgré l’absence de ces concessions, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a conclu que la condition principale de la clause d’arbitrage était les [traduction] « frais initiaux » à payer pour avoir recours à la procédure, mais aucune preuve n’avait été présentée à cet égard (Tahmasebpour, au para 58). Il lui était donc [traduction] « impossible de déterminer si la clause d’arbitrage [était] susceptible de priver les demandeurs d’une réparation utile pour un préjudice découlant de leur contrat », et ces derniers ne s’étaient pas acquittés du fardeau qui leur incombait de démontrer clairement l’iniquité de la clause (Tahmasebpour, au para 58).

[227] Par ailleurs, il incombait à M. Zanin de prouver que l’iniquité invoquée était « manifeste », et non simplement que sa thèse était « défendable » (Peace River, aux para 88–89; voir aussi Difederico CF, au para 112). M. Zanin n’a toutefois présenté aucune preuve de cette nature. Il n’a pas précisé, dans sa déposition, s’il avait lu la clause d’arbitrage et n’avait pas pu la comprendre. Il n’a présenté aucun renseignement financier qui permettrait à la Cour de comprendre l’importance des frais d’arbitrage pour lui ou de comprendre si ces frais faisaient obstacle à son accès à la justice au moment où il a conclu le contrat avec Ooma. Comme c’était le cas dans les affaires Uber et Tahmasebpour, le dossier de preuve à la disposition de la Cour ne permet pas de savoir si la clause d’arbitrage prive véritablement M. Zanin d’une réparation utile dans le cadre de son contrat avec Ooma.

[228] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que le marché en l’espèce n’est pas imprudent.

[229] Je fais observer que la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Heller, a explicitement fait la distinction entre les affaires Heller et Dell lorsqu’elle a indiqué que la question de l’« accessibilité » ne s’était pas posée, eu égard aux faits de l’affaire Dell, ce qui justifiait qu’elle s’écarte de la règle générale du renvoi à l’arbitrage (Heller, au para 37). L’exception établie dans l’arrêt Heller vise donc, en premier lieu, à éviter une situation où un demandeur ne pourrait avoir recours à la clause d’arbitrage et se verrait refuser l’accès à la justice et à un processus indépendant de règlement des différends. Des raisons purement factuelles ou contextuelles pourraient entraîner une pareille situation, comme l’écart entre les frais d’arbitrage et le faible montant de la réclamation ou encore l’impossibilité pour le demandeur de se rendre au lieu de l’arbitrage, de sorte que la partie qui compte sur la clause d’arbitrage se verrait privée de toute possibilité de contestation véritable (Heller, au para 39). En l’espèce, je conclus que M. Zanin n’est pas privé d’accès à un mécanisme de règlement des différends.

[230] Enfin, je suis d’avis que M. Zanin s’appuie à tort sur l’arrêt Pearce BCCA. Si cet arrêt établit une distinction utile entre les concepts généraux d’iniquité et d’intérêt public, il n’est pas d’un grand secours pour ce qui est de l’application concrète de la doctrine de l’iniquité aux clauses d’arbitrage. Il n’était pas question dans cette affaire de clauses d’arbitrage ni de suspension d’une instance en faveur de l’arbitrage : les concepts d’iniquité et d’intérêt public étaient appliqués relativement à une clause de renonciation aux recours collectifs. Dans l’arrêt Pearce BCCA, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a conclu que la clause de renonciation aux recours collectifs en question aurait eu pour effet pratique d’empêcher les membres du groupe d’avoir accès à la justice, et a jugé la clause nulle et inexécutoire parce qu’elle était inique et contraire à l’intérêt public (Pearce BCCA, aux para 245, 248).

[231] En fait, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a reconnu que l’issue de l’affaire aurait été différente s’il avait été question d’une clause d’arbitrage (Pearce v 4 Pillars Consulting Group Inc., 2019 BCSC 1851 aux para 170–72 [Pearce BCSC], conf par Pearce BCCA). Elle a d’ailleurs fait observer que l’intérêt public était un argument qui militait en faveur des clauses d’arbitrage, étant donné que [traduction] « [l]es procédures d’arbitrage sont généralement plus rapides, moins coûteuses et font souvent intervenir des tribunaux spécialisés qui connaissent bien le sujet sur lequel porte le litige » (Pearce BCSC, au para 172). Elle a en revanche conclu qu’il était [traduction] « difficile de voir comment l’intérêt public pourrait, de la même manière, justifier qu’un consommateur soit empêché d’intenter un recours collectif pour des réclamations fondées sur une loi en matière de protection des consommateurs » (Pearce BCSC, au para 172). La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a également conclu que la jurisprudence relative aux clauses d’arbitrage ne lui était guère utile pour l’instruction de l’appel dont elle était saisie, entre autres parce qu’une [traduction] « convention d’arbitrage valide p[ouvait] permettre une mesure comparable de justice à celle offerte par les cours supérieures » (Pearce BCSC, au para 278, renvoyant à Heller, au para 120, le juge Brown, motifs concordants). Même si, à première vue, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a formulé ces observations relativement à la doctrine de l’intérêt public, je suis d’avis qu’elles sont tout aussi valables en ce qui concerne la doctrine de l’iniquité, car les deux doctrines traitent de considérations relatives à l’accès à la justice. En fait, la pertinence de ces observations ressort de manière évidente de la conclusion de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique selon laquelle la clause de renonciation aux recours collectifs en litige était à la fois inique et contraire à l’intérêt public parce qu’elle privait les membres du groupe de la possibilité d’obtenir justice au moyen d’une procédure de règlement des différends (Pearce BCCA, aux para 245, 248).

iv) Conclusion sur l’iniquité de la clause d’arbitrage

[232] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que la clause d’arbitrage ne satisfait pas au critère relatif à l’iniquité. Comme c’était le cas dans les affaires Difederico CAF, Williams BCCA et Petty BCCA, le demandeur n’a pas de dépendance particulière à l’égard des services en cause, soit, en l’espèce, à l’égard des services de téléphonie résidentielle d’Ooma. La Cour d’appel fédérale et la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique ont établi une distinction ferme entre les clauses d’arbitrage comme celle qui nous occupe, où le consommateur n’est pas dans une situation de nécessité, et les clauses problématiques qui étaient en litige dans les affaires Heller et Pokornik et qui s’inscrivaient dans une relation d’emploi.

[233] Quoi qu’il en soit, la contestation de M. Zanin fondée sur l’iniquité soulève des questions mixtes de fait et de droit qui exigeraient manifestement que la Cour ne se limite pas à un « examen superficiel » de l’affaire. À tout le moins, les questions d’iniquité soulevées par M. Zanin doivent donc être tranchées par un arbitre dans le cadre d’une procédure d’arbitrage, conformément au principe de compétence‑compétence (Dell, au para 85).

[234] Certes, les clauses d’arbitrage obligatoire dans les contrats de consommation ont parfois pour effet malheureux de limiter de manière importante l’accès à la justice dans le cas de réclamations à faible valeur. Toutefois, à mon avis, l’arrêt Heller ne permet pas de conclure que la faible valeur potentielle d’une réclamation suffit, en soi, à rendre inique une convention d’arbitrage. Cela fait peut‑être partie des considérations d’intérêt public qui ont poussé bon nombre de législateurs provinciaux à modifier leurs lois en matière de protection du consommateur afin d’interdire ou de limiter à divers degrés les conventions d’arbitrage dans les contrats de consommation. Cependant, comme l’a fait observer à juste titre la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Difederico CAF, rien à cet égard n’a encore été fait au niveau fédéral (Difederico CAF, au para 81). Seul le législateur fédéral peut légiférer en ce sens en modifiant la Loi sur la concurrence, la Loi sur les marques de commerce ou une autre loi fédérale; ce rôle n’appartient pas à la Cour.

c) Clause d’arbitrage non susceptible d’être exécutée

[235] Comme dernier argument pour s’opposer à une suspension de l’instance en faveur de l’arbitrage, M. Zanin fait valoir que la clause d’arbitrage est [traduction] « non susceptible d’être exécutée » parce qu’elle ne respecte pas les normes minimales des JAMS, de sorte que les JAMS refuseraient de procéder à l’arbitrage conformément à leurs propres règles, étant donné que la clause en question ne respecte pas leur politique d’équité procédurale.

[236] D’après leurs normes minimales, les JAMS acceptent d’arbitrer les demandes présentées par des consommateurs seulement lorsque la clause d’arbitrage satisfait à ces normes. M. Zanin soutient que, à première vue, la clause d’arbitrage d’Ooma ne respecte pas de nombreuses normes minimales des JAMS : i) la clause empêche les consommateurs de s’adresser aux tribunaux en toutes circonstances et ne comporte aucune exception pour les petites créances, ce qui contrevient à l’article 1; ii) la clause exige que l’arbitrage ait lieu dans le comté de Santa Clara, en Californie, à moins que toutes les parties n’en conviennent autrement, ce qui contrevient à l’article 5, qui précise que le consommateur ne doit pas être privé d’accès à la procédure d’arbitrage en raison du lieu de l’arbitrage; iii) la clause prévoit que les deux parties sont responsables de payer les frais de dépôt, les frais administratifs et les honoraires de l’arbitre, alors que l’article 7 porte que l’entreprise doit payer tous les frais, à l’exception des frais initiaux de 250 $ qui incombent au consommateur; iv) la clause stipule que le consommateur peut être condamné à payer les honoraires d’avocat à Ooma, ce qui contrevient à l’article 8, qui prévoit que, en Californie (où se trouve le siège social d’Ooma), le consommateur ne peut être tenu de payer des dépens et d’autres frais engagés par la partie adverse, même s’il est perdant.

[237] M. Zanin fait valoir que, compte tenu de ce qui précède, il n’existe aucune raison de croire que les JAMS accepteront de procéder à l’arbitrage au titre de la clause d’arbitrage d’Ooma. En effet, il affirme qu’Ooma n’a jamais tenté d’avoir recours à une telle procédure d’arbitrage pour un différend avec un consommateur sur le fondement de cette clause. Il ajoute qu’après le dépôt de la requête visant à faire autoriser le recours collectif, Ooma n’a même pas tenté de communiquer avec les JAMS pour confirmer auprès d’eux s’ils accepteraient de procéder à un arbitrage.

[238] Dans l’arrêt Peace River, la Cour suprême du Canada a fait observer « [qu’u]ne convention d’arbitrage est considérée comme “non susceptible d’être exécutée” lorsque [traduction] “le processus arbitral ne peut être efficacement mis en œuvre” en raison d’un obstacle physique ou juridique indépendant de la volonté des parties » (Peace River, au para 144). Plus précisément, « la non‑disponibilité de l’arbitre désigné dans la convention » suffit à démontrer l’existence d’un obstacle physique qui rend une convention d’arbitrage non susceptible d’être exécutée (Peace River, au para 145).

[239] L’argument de M. Zanin sur ce point n’est pas convaincant, et je ne peux conclure qu’il a démontré, selon la prépondérance des probabilités, que cette dernière exception prévue par la loi mentionnée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Peace River s’applique à la clause d’arbitrage.

[240] La clause d’arbitrage précise que l’arbitrage aura lieu dans le comté de Santa Clara, en Californie, à moins que les parties n’en conviennent autrement. Cela dit, les parties ne sont pas tenues de s’y rendre, étant donné que les documents peuvent être déposés par voie électronique et que les audiences peuvent se dérouler par téléphone ou par vidéoconférence (règles des JAMS, art 8 et 22g)). L’alinéa 24g) de ces mêmes règles énonce également que l’arbitre peut adjuger les honoraires d’avocat et les frais de la façon qu’il juge appropriée. Il ne s’agit donc pas d’une situation où la convention d’arbitrage est manifestement non susceptible d’être exécutée.

[241] En outre, la question de savoir si la clause d’arbitrage est conforme aux normes minimales des JAMS repose fortement sur des faits. À tout le moins, la question de savoir si la clause d’arbitrage est non susceptible d’être exécutée en raison des exigences qu’imposeraient les normes minimales des JAMS doit être renvoyée à l’arbitre selon le principe de compétence‑compétence. S’il y a une question qui relève directement de la compétence de l’arbitre, c’est certainement celle de savoir si les règles de procédure applicables à l’arbitrage sont effectivement respectées. De fait, contrairement à la Cour, les JAMS ont une connaissance approfondie de leurs normes minimales et de leurs règles et, par conséquent, sont bien mieux placés pour décider si la clause d’arbitrage contrevient réellement à ces dernières.

[242] Comme je le mentionne plus haut, lorsque « l’invalidité ou le caractère inexécutoire de la convention d’arbitrage n’est pas manifeste (mais seulement défendable), la question doit être tranchée par l’arbitre » (non souligné dans l’original) selon le principe de compétence‑compétence (Peace River, aux para 88–89). Une simple possibilité ne suffit pas à écarter le principe de compétence‑compétence (Difederico CF, au para 112). En l’espèce, il est évident que l’objection soulevée par M. Zanin est une question mixte de fait et de droit qui exige plus qu’un examen superficiel du dossier, de sorte que la question doit être tranchée par l’arbitre (Dell, au para 85).

[243] M. Zanin n’a donc pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que la clause d’arbitrage est non susceptible d’être exécutée et que la requête visant la suspension de l’instance en faveur de l’arbitrage devrait être rejetée pour ce motif.

6) Conclusion quant à la clause d’arbitrage

[244] Pour l’ensemble des motifs exposés ci‑dessus, je conclus que la clause d’arbitrage ne fait l’objet d’aucune dérogation législative, n’est pas nulle pour cause d’iniquité et n’est pas non susceptible d’être exécutée. Aucune des exceptions prévues par la loi, énoncées dans les arrêts Dell, Heller et Peace River, ne justifie, en l’espèce, d’écarter le principe de compétence‑compétence. Ainsi, toute contestation de bonne foi, que ce soit de la validité de la clause d’arbitrage ou de la compétence de l’arbitre à examiner les réclamations de M. Zanin fondées sur la Loi sur la concurrence et la Loi sur les marques de commerce, doit être tranchée par l’arbitre.

[245] Cette conclusion me permet de faire droit à la requête relative à la compétence présentée par Ooma et de suspendre le recours collectif proposé par M. Zanin en faveur de l’arbitrage. Par souci d’exhaustivité, j’exercerai néanmoins mon pouvoir discrétionnaire pour traiter brièvement des deux autres clauses contractuelles invoquées par Ooma pour soutenir que la Cour n’a pas compétence, à savoir la clause d’élection de for et la clause de renonciation aux recours collectifs.

B. Clause d’élection de for

[246] À l’alinéa 19c) des conditions générales, Ooma exige que ses clients intentent leurs poursuites en justice devant les tribunaux de la Californie, sous le régime des lois de cet État. Ooma est d’avis que cette clause d’élection de for est un motif supplémentaire appuyant sa position selon laquelle la Cour n’a pas compétence en l’espèce.

[247] Ooma fait valoir que les clauses d’élection de for sont généralement valides, à moins que la Cour juge qu’il y a lieu de prendre en compte des considérations d’intérêt public. Lorsque la Cour doit examiner de telles clauses, elle doit appliquer le critère des « motifs sérieux » établi dans l’arrêt ZI Pompey Industrie c ECU‑Line NV, 2003 CSC 27 [Pompey] aux paragraphes 20, 39 et 47, et dans l’arrêt Douez, aux paragraphes 28 à 29 et 38 à 39.

[248] Dans l’affaire Pompey, qui s’inscrivait dans un contexte commercial, la Cour suprême du Canada a jugé que la clause d’élection de for contenue dans un connaissement engageant deux sociétés de transport maritime était exécutoire. Les deux sociétés devaient être « tenues de respecter leurs engagements » parce qu’elles étaient des parties averties, au fait des pratiques dans ce secteur d’activité, et que rien n’indiquait que la clause d’élection de for résultait de l’exercice, par l’une des parties, d’un pouvoir de négociation abusif qui justifiait son annulation (Pompey, au para 29). Dans ses motifs, la Cour suprême du Canada s’est fondée sur le critère des « motifs sérieux » établi par une cour anglaise dans la décision The « Eleftheria », [1969] 1 Lloyd’s Rep 237 (Adm Div) (Pompey, au para 19). Dans l’affaire Douez, qui concernait un contrat de consommation, la Cour suprême du Canada a refusé de donner effet à une clause d’élection de for, contenue dans un contrat type, portant que les consommateurs étaient obligés de poursuivre Facebook en Californie (Douez, au para 76).

[249] D’après le critère des « motifs sérieux » à deux étapes, Ooma, à savoir la partie qui demande la suspension de l’instance, doit d’abord démontrer que la clause d’élection de for est [traduction] « valide, claire et exécutoire et s’applique à la cause d’action dont le tribunal est saisi » (Douez, au para 28, citant Preymann v Ayus Technology Corp, 2012 BCCA 30 au para 43). À cette étape de l’analyse, la Cour doit appliquer les principes du droit des contrats, comme le caractère inique, l’influence indue et la fraude, pour statuer sur la validité de la clause (Douez, au para 28). Si le caractère exécutoire de la clause doit être démontré selon les principes du droit des contrats par la partie qui demande la suspension, le fardeau de preuve, à la seconde étape du critère, incombe à l’autre partie, en l’espèce M. Zanin, qui doit démontrer l’existence de motifs « sérieux » pour lesquels la Cour ne devrait pas donner effet à la clause d’élection de for (Douez, au para 29; Pompey, au para 39). À cette étape de l’analyse, la Cour doit prendre en considération « toutes les circonstances de l’espèce », notamment les inconvénients pour les parties, l’équité entre les parties, l’intérêt de la justice et l’intérêt public (Douez, au para 29; Pompey, au para 31). Il n’existe aucune liste de facteurs précise ou exhaustive qui encadre le pouvoir discrétionnaire de la Cour à cet égard. La Cour n’a toutefois pas à se pencher sur les « questions de droit substantielles sous‑jacentes au litige » (Pompey, au para 31).

[250] Ooma soutient, relativement à la deuxième étape du critère, qu’aucun motif, à plus forte raison aucun motif sérieux, ne permettrait à la Cour de conclure qu’il y a lieu de refuser de donner effet à la clause d’élection de for.

[251] M. Zanin conteste la clause d’élection de for et affirme que les arguments qu’il a formulés à l’égard de la clause d’arbitrage valent également pour la clause d’élection de for contenue dans les conditions générales. M. Zanin, qui s’appuie sur l’arrêt Douez, soutient que la Cour peut refuser de donner effet à une clause d’élection de for dans un contrat type, et fait aussi valoir que les articles 53.2 et 55 de la Loi sur les marques de commerce et l’article 36 de la Loi sur la concurrence confèrent expressément compétence à la Cour pour instruire l’affaire. En outre, il s’appuie encore une fois sur le fait que l’article 25 de la Loi sur les CF confère compétence à la Cour pour l’instruction des demandes fondées sur des lois fédérales.

[252] M. Zanin soutient que le critère des « motifs sérieux » ne s’applique pas aux actions intentées en vertu la Loi sur les marques de commerce ou de la Loi sur la concurrence, étant donné que ces deux lois confèrent explicitement compétence à la Cour à cet égard. Par conséquent, il ne s’agit pas d’une situation où « aucune disposition législative […] ne s’applique » (Pompey, au para 39). Selon M. Zanin, le critère établi dans l’arrêt Pompey peut être modifié dans pareille situation (Canstar Restorations Limited Partnership v DKI Canada Ltd, 2021 BCSC 951 au para 74; Douez v Facebook, Inc, 2014 BCSC 953 aux para 86–90), car le fait que le législateur confère expressément compétence à une cour donnée indique qu’il reconnaît la vaste expertise de cette dernière sur le sujet en question. De son point de vue, la compétence que la loi confère à la Cour appuie sa position selon laquelle la Cour doit refuser de donner effet à la clause d’élection de for.

[253] M. Zanin fait aussi valoir que l’affaire Douez est particulièrement pertinente en l’espèce, puisqu’il y est également question d’une entreprise californienne, d’un contrat conclu en ligne, de causes d’action prévues par la loi et d’une clause portant que les consommateurs doivent intenter leurs poursuites devant les tribunaux de la Californie. Il soutient plus particulièrement que l’arrêt Douez révèle la volonté de la Cour suprême du Canada de protéger la partie la plus vulnérable dans un contrat de consommation en favorisant les juridictions locales et le droit canadien, même lorsqu’une clause d’élection de for est invoquée.

[254] Je ne suis pas d’avis qu’une conclusion aussi radicale se dégage de l’arrêt Douez ni que M. Zanin a démontré l’existence de « motifs sérieux » justifiant que la Cour ne donne pas effet à la clause d’élection de for.

[255] Dans l’arrêt Douez, la Cour suprême du Canada a déclaré que les clauses d’élection de for, qui constituent un élément fondamental du droit international privé, ont une raison d’être louable, mais qu’il faut garder à l’esprit qu’elles peuvent avoir pour effet de soustraire un litige à la fonction juridictionnelle des tribunaux canadiens afin que ce litige soit tranché à l’étranger, et ainsi avoir une incidence sur la nature de la fonction juridictionnelle, dont l’exercice au Canada « sert le bien commun » (Douez, aux para 24–25). En effet, comme les clauses d’élection de for « empiètent sur la fonction juridictionnelle de l’autorité judiciaire publique », les tribunaux ne doivent pas se contenter de les appliquer comme n’importe quelles autres clauses d’un contrat type (Douez, au para 27).

[256] La Cour suprême du Canada a également saisi l’occasion pour modifier légèrement le critère des « motifs sérieux » établi dans l’arrêt Pompey. En ce qui a trait à la deuxième étape du critère, elle a déclaré que, malgré l’absence d’une liste exhaustive des éléments à prendre en compte, les considérations examinées doivent être « interprétées et appliquées de manière restrictive dans le domaine commercial », car les clauses d’élection de for confèrent aux opérations commerciales internationales stabilité et prévisibilité (Douez, au para 31, renvoyant à GreCon Dimter inc c JR Normand inc, 2005 CSC 46 au para 22). En revanche, elle a fait observer qu’il existe une grande différence entre rapports commerciaux et rapports de consommation, et que le fait qu’il s’agit d’un contrat de consommation peut offrir au tribunal des motifs sérieux de refuser de donner effet à une clause d’élection de for étant donné l’inégalité du pouvoir de négociation qui caractérise ce type de rapport (Douez, au para 33). Ainsi, lorsqu’une cour de justice applique le critère des « motifs sérieux » à un contrat de consommation, elle doit prendre en compte des éléments différents qui sont pertinents dans ce contexte, notamment des considérations d’intérêt public (Douez, aux para 35, 38).

[257] J’ouvre une parenthèse pour faire remarquer que les motifs des juges majoritaires dans l’arrêt Douez nous enseignent également que, lorsqu’il s’agit de contrats de consommation, que les considérations liées à l’intérêt public sont aujourd’hui déterminantes dans l’analyse des « motifs sérieux » et qu’elles peuvent, à elles seules, justifier qu’un tribunal refuse de donner effet à une clause d’élection de for, tandis que les autres considérations, à savoir les inconvénients pour les parties, l’équité entre les parties et l’intérêt de la justice, sont secondaires (Douez, aux para 63–64, 75). Contrairement aux considérations liées à l’intérêt public, ces considérations secondaires ne peuvent probablement pas, à elles seules, permettre à un tribunal de conclure à l’existence de motifs sérieux, mais ne servent qu’à appuyer une telle conclusion (Douez, au para 75).

[258] La Cour suprême du Canada a ensuite fait la distinction entre deux catégories de motifs liés à l’intérêt public qui peuvent amener un tribunal à limiter la liberté contractuelle lorsqu’il applique le critère des « motifs sérieux » : i) les motifs qui visent à protéger la partie la plus vulnérable, comme un consommateur exposé à une inégalité évidente du pouvoir de négociation dans un contrat type; et ii) les motifs qui visent à protéger les mesures sociales, économiques ou politiques prises par l’État, comme les droits constitutionnels ou quasi constitutionnels (Douez, au para 52). Lorsqu’elle appliquait ces principes aux faits de l’affaire, la Cour suprême du Canada a fait observer que l’inégalité du pouvoir de négociation entre les parties est importante et que le droit de Mme Douez au respect de sa vie privée a un caractère quasi constitutionnel (Douez, aux para 54–59). En effet, dans son analyse des « motifs sérieux », elle a beaucoup insisté sur le fait que les dispositions législatives qui garantissent le droit au respect de la vie privée se voient reconnaître un caractère quasi constitutionnel (Douez, au para 59, renvoyant à Lavigne c Canada (Commissariat aux langues officielles), 2002 CSC 53 aux para 24–25). Elle a terminé son analyse des considérations d’intérêt public en s’exprimant ainsi : « Vu l’importance des droits constitutionnels et quasi constitutionnels, il importe d’autant plus de veiller à ce que le respect de la liberté contractuelle et de l’autonomie de la volonté ne prive pas systématiquement de recours les personnes qui sont victimes d’atteintes à de tels droits » (Douez, au para 62).

[259] En l’espèce, il n’y a pas de considérations d’intérêt public suffisamment importantes qui me permettent de refuser de donner effet à la clause d’élection de for.

[260] Premièrement, M. Zanin n’a pas soutenu que ses droits constitutionnels ou quasi constitutionnels étaient en jeu. Quoi qu’il en soit, il est évident qu’un pareil droit n’est pas en jeu en l’espèce, contrairement à l’affaire Douez, où l’appelante reprochait à Facebook d’avoir violé son droit au respect de la vie privée. Les réclamations de M. Zanin sont fondées sur la Loi sur les marques de commerce et la Loi sur la concurrence et ne mettent pas en jeu des droits quasi constitutionnels qui font en sorte qu’il serait dans l’intérêt public qu’elles soient tranchées par les tribunaux canadiens (Williams BCCA, au para 151; voir aussi Difederico CAF, au para 79).

[261] Deuxièmement, je ne suis pas convaincu que le degré de vulnérabilité de M. Zanin se rapproche le moindrement de celui l’appelante dans l’affaire Douez (Douez, au para 52). Même si la clause d’élection de for en l’espèce fait effectivement partie d’un contrat type, comme je le mentionne plus haut dans mon analyse relative à l’iniquité, l’inégalité du pouvoir de négociation entre M. Zanin et Ooma est loin d’être aussi grande que celle entre Mme Douez et Facebook. Par exemple, M. Zanin avait le choix entre plusieurs services de téléphonie offerts sur le marché, tant pour la ligne fixe que pour le service mobile, contrairement à la situation dans l’affaire Douez, où l’appelante n’avait pas de véritable option autre que Facebook au moment où la décision a été rendue (voir a contrario Douez, au para 56). Si les conditions générales d’Ooma ne convenaient pas à M. Zanin, il aurait facilement pu faire affaire avec un autre fournisseur de services de téléphonie résidentielle ou cellulaire.

[262] Je suis plutôt d’accord avec Ooma, qui soutient que M. Zanin, dans son interprétation du critère des « motifs sérieux » établi dans les arrêts Pompey et Douez, cherche à élever des considérations contextuelles ordinaires, à savoir des facteurs relatifs aux contrats, au rang de considérations d’intérêt public.

[263] Dans l’arrêt Schuppener v Pionneer Steel Manufacturers Limited, 2020 BCCA 19 [Schuppener], la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a accueilli un appel au motif que le juge de première instance avait confondu des considérations contextuelles ordinaires et des considérations d’intérêt public (Schuppener, au para 12). Dans cette affaire, le demandeur avait intenté une action pour négligence et violation de contrat en Colombie‑Britannique. En réponse, la défenderesse avait demandé la suspension de l’instance en raison de l’existence, dans le contrat d’achat et de vente, d’une clause d’élection de for selon laquelle toutes les actions en justice devaient être intentées devant les tribunaux de l’Ontario. Au paragraphe 14, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique s’est exprimée ainsi :

[traduction]

[14] À mon avis, l’arrêt Douez ne permet pas d’affirmer qu’une clause d’élection de for, dans un contrat de consommation type non négociable, soulève systématiquement une préoccupation d’intérêt public qui permet de contrebalancer l’intérêt public à obliger les parties à respecter leurs engagements. Ni les contrats types ni les clauses d’élection de for ne soulèvent en soi des considérations d’intérêt public. En l’absence d’intervention du législateur, les tribunaux donnent généralement effet aux clauses d’un contrat de consommation type : Seidel c. TELUS Communications Inc, 2011 CSC 15 au para 2. Les clauses d’élection de for ont aussi été considérées comme valides et utiles : Douez, au para 24. Elles éliminent l’ambiguïté quant à l’endroit où les parties doivent intenter une action ou se défendre advenant une action les visant, et les consommateurs peuvent bénéficier de prix réduits si les défendeurs parviennent à limiter les ressorts dans lesquels ils peuvent se faire poursuivre. Dans l’affaire Douez, ce n’était pas le fait qu’il s’agissait d’un contrat type qui posait problème, mais plutôt l’inégalité flagrante du pouvoir de négociation des parties. Cela ne veut pas dire que la forme du contrat ne peut pas être un facteur contextuel à prendre en compte dans l’évaluation de l’inégalité du pouvoir de négociation, mais plutôt qu’un contrat type ne soulève pas, en soi, une préoccupation d’intérêt public.

[Non souligné dans l’original.]

[264] Je souscris à cet énoncé. L’arrêt Douez ne permet pas d’affirmer qu’une caractéristique d’un contrat, comme le fait qu’il s’agisse d’un contrat type, soulève nécessairement des préoccupations d’intérêt public. En fait, les motifs exposés par la Cour suprême du Canada dans cet arrêt sont clairs à cet égard : ce n’était pas le fait qu’il s’agissait d’un contrat type qui posait en soi problème, mais plutôt l’existence d’une inégalité du pouvoir de négociation dans le cadre particulier d’un contrat type, puisque cette forme de contrat avait pour effet d’accroître une inégalité qui était déjà importante (Douez, fin du para 52). Autrement dit, les contrats types ne sont qu’un outil à la disposition des parties contractantes. Ce n’est pas « l’outil » qui pose problème, mais plutôt l’existence d’un pouvoir de négociation excessivement inégal entre les parties individuelles qui se servent de celui‑ci.

[265] Par ailleurs, dans l’arrêt Schuppener, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a rappelé que les tribunaux, lorsqu’ils procèdent à l’analyse des motifs sérieux, doivent garder à l’esprit qu’ils n’ont pas le [traduction] « pouvoir discrétionnaire de refuser de donner effet à un contrat valide à moins qu’une considération d’intérêt public prépondérante ne l’emporte sur l’intérêt public lié à la liberté de contracter » (Schuppener, au para 23). Elle a en outre déclaré que [traduction] « les tribunaux devraient “exercer rarement” le pouvoir de refuser de donner effet à un contrat pour des motifs liés à l’intérêt public, et le faire seulement “lorsqu’il est manifeste que le préjudice infligé au public est foncièrement incontestable” » (Schuppener, au para 23, citant Tercon Contractors Ltd c Colombie‑Britannique (Transports et Voirie), 2010 CSC 4 au para 117, le juge Binnie, dissident quant au résultat, mais dont la démarche analytique a recueilli l’accord de la majorité). En l’espèce, rien ne prouve ni ne tend à indiquer qu’un préjudice est causé au public ou à la société.

[266] Je prends également note du fait que, dans l’arrêt Douez, la Cour suprême du Canada a jugé que « l’intérêt de la justice » fait partie des « considérations secondaires » à analyser à la deuxième étape du critère des « motifs sérieux » (Douez, aux para 64–72). Lorsqu’elles évaluent l’intérêt de la justice, les cours peuvent examiner les questions de savoir quel tribunal est le mieux placé pour entendre l’affaire au fond, si le tribunal désigné ne pourrait ou ne voudrait pas se saisir du recours du demandeur si elles donnaient effet à la clause d’élection de for, et si le législateur a voulu conférer un caractère impératif aux lois du ressort où naît le litige et leur donner préséance sur le droit choisi par les parties (Douez, aux para 65–67, 71–72).

[267] En l’espèce, il était naturel pour Ooma de choisir le droit de la Californie. Le siège d’Ooma, Inc. se trouve dans cet État américain, dont le droit offre des garanties juridiques sur les plans procédural et substantiel. De plus, rien n’indique que les tribunaux de la Californie ne seraient pas en mesure d’instruire un recours comparable à celui de M. Zanin ni que les dispositions contestées de la Loi sur les marques de commerce et de la Loi sur la concurrence n’ont aucun équivalent en Californie.

[268] Enfin, pour les mêmes motifs que ceux que j’ai exposés en lien avec la clause d’arbitrage, je suis d’avis que les arguments invoqués par M. Zanin relativement aux lois provinciales en matière de protection du consommateur et à l’article 25 de la Loi sur les CF ne sont pas plus valables à l’égard de la clause d’élection de for. Si la Cour peut écarter sa compétence en faveur de l’arbitrage, elle peut aussi le faire en faveur de tribunaux d’un autre ressort précisé dans une clause d’élection de for. L’article 36 de la Loi sur la concurrence ne dispose pas que la Cour est le seul for compétent et n’empêche pas les parties de rejeter cette juridiction par une clause contractuelle (Difederico CAF, aux para 75–76; Murphy CAF, aux para 17, 41–42) Pour réclamer des dommages‑intérêts en vertu de l’article 36 de la Loi sur la concurrence, les parties ne sont pas tenues de s’adresser à la Cour; elles peuvent aussi, et elles le font souvent, saisir un arbitre ou une cour supérieure provinciale du litige. En l’espèce, il n’existe pas de disposition légale obligeant les parties à présenter leur demande devant un tribunal en particulier. Il en va de même pour l’article 53.2 de la Loi sur les marques de commerce.

[269] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que M. Zanin n’a pas démontré l’existence de « motifs sérieux » qui permettraient à la Cour de ne pas donner effet à la clause d’élection de for, et je suis d’avis que cette clause appuie la conclusion formulée par Ooma dans sa requête relative à la compétence.

[270] Quoi qu’il en soit, étant donné le principe de compétence‑compétence et la validité de la clause d’arbitrage, il appartiendra à un arbitre, et non à la Cour, de déterminer si la clause d’élection de for est valide et exécutoire.

C. Clause de renonciation aux recours collectifs

[271] Finalement, Ooma s’appuie sur la dernière partie de l’article 16 des conditions générales, soit la clause de renonciation aux recours collectifs, pour soutenir que ses clients ont renoncé à leur droit d’intenter un recours collectif et que la Cour doit donc écarter sa compétence relativement à l’instruction du recours collectif proposé par M. Zanin.

[272] Ooma soutient que la clause de renonciation aux recours collectifs est valide et exécutoire et que, par conséquent, la Cour ne devrait pas instruire le recours collectif. De plus, elle fait valoir que la Loi sur les marques de commerce et la Loi sur la concurrence n’interdisent pas l’utilisation de clauses de renonciation aux recours collectifs dans les contrats de consommation (Murphy CAF, au para 60).

[273] Les arguments présentés par M. Zanin pour s’opposer à la clause de renonciation aux recours collectifs sont semblables à ceux qu’il a formulés à l’égard de la clause d’arbitrage. Il soutient que la clause de renonciation aux recours collectifs contrevient aux lois provinciales en matière de protection du consommateur et à l’article 25 de la Loi sur les CF. Se fondant sur l’arrêt Pearce BCCA, il affirme également que la clause est inique et contraire à l’intérêt public. Selon M. Zanin, l’analyse exposée dans l’arrêt Heller, laquelle porte essentiellement sur la validité des clauses d’arbitrage incluses dans des contrats types, s’applique de la même manière aux clauses de renonciation aux recours collectifs et permet de conclure à leur iniquité. Toujours selon lui, l’arrêt Pearce BCCA est pertinent en l’espèce, puisque la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a appliqué le concept de l’iniquité, décrit dans l’arrêt Heller, à une clause de renonciation aux recours collectifs. M. Zanin affirme que la clause de renonciation aux recours collectifs dans la présente affaire est inique tout comme celle en cause dans l’affaire Pearce BCCA, car son application empêcherait les clients d’avoir accès à la justice en raison de la faible valeur de la réclamation de chacun (Pearce BCCA, aux para 244–45). Par conséquent, un recours collectif est la seule façon réaliste pour les clients d’avoir accès à la justice, car les réclamations individuelles seraient regroupées.

[274] M. Zanin soutient également que les circonstances de la présente affaire sont comparables à celles de l’affaire Seidel, où la Cour suprême du Canada a jugé nulle une clause de renonciation aux recours collectifs parce qu’elle ne pouvait être dissociée de l’ensemble d’une clause d’arbitrage jugée nulle.

[275] Ooma répond que M. Zanin s’appuie à tort sur l’arrêt Seidel, car des distinctions claires doivent être établies entre cette affaire et celle qui nous occupe. Par exemple, Ooma affirme que, même si les clauses d’arbitrage et de renonciation aux recours collectifs figurent toutes deux à l’article 16 intitulé « Arbitrage », la clause de renonciation aux recours collectifs est précédée de la mention « DANS LES LIMITES AUTORISÉES PAR LA LOI APPLICABLE », ce qui indique que la clause de renonciation doit être lue, comprise et appliquée de manière distincte de la clause d’arbitrage. En outre, l’affaire Seidel concernait une loi provinciale de protection du consommateur et non une loi fédérale, comme la Loi sur les marques de commerce ou la Loi sur la concurrence, et aucune disposition, dans ces deux lois fédérales, n’empêche l’utilisation de clauses de renonciation aux recours collectifs.

[276] Je suis d’accord avec Ooma.

[277] Les clauses d’arbitrage et de renonciation aux recours collectifs énoncées par Ooma sont deux dispositions distinctes et indépendantes. À mon avis, il ressort clairement du libellé de l’article 16 que la clause de renonciation aux recours collectifs n’existe pas ou ne s’applique pas uniquement en raison de l’existence de la clause d’arbitrage. Par ailleurs, l’arrêt Seidel confirme simplement que la nullité d’une clause d’arbitrage peut entraîner la nullité d’une clause de renonciation aux recours collectifs qui y est étroitement liée. Cela dit, l’arrêt Seidel ne permet pas d’affirmer que l’inverse est aussi vrai et ne peut être interprété comme indiquant que la nullité d’une clause de renonciation aux recours collectifs entraînerait la nullité d’une clause d’arbitrage distincte. Je fais également observer que, dans l’arrêt Pearce BCCA, la clause de renonciation aux recours collectifs était considérablement différente de celle qui nous occupe en l’espèce. En effet, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique devait examiner une disposition contractuelle relativement vague et floue dans une affaire qui faisait intervenir des lois strictes en matière de faillite.

[278] De plus, il ressort clairement de l’arrêt Murphy CAF, rendu par la Cour d’appel fédérale, que le raisonnement exposé dans l’arrêt Seidel ne peut s’appliquer dans le cadre de demandes fondées sur la Loi sur la concurrence. Dans l’arrêt Murphy CAF, l’appelant avait signé un accord d’inscription afin de pouvoir faire partie du réseau de distribution de l’intimée, Amway. L’accord d’inscription contenait une convention d’arbitrage, laquelle prévoyait une renonciation limitée aux recours collectifs. Dans son arrêt, la Cour d’appel fédérale a conclu « [qu’]aucune disposition de la Loi sur la concurrence n’interdi[s]ait la renonciation à un recours collectif dans le but d’empêcher la saisine de la réclamation par l’arbitre » (Murphy CAF, au para 60). Pour reprendre l’idée exprimée par le juge Richard Boivin dans l’arrêt Difederico CAF en lien avec les clauses d’arbitrage, le législateur fédéral aurait tout à fait le droit de faire un choix de politique en modifiant la Loi sur la concurrence et d’interdire les clauses de renonciation aux recours collectifs dans la mesure où elles empêchent les consommateurs d’intenter un recours collectif fondé sur cette loi. Il ne l’a toutefois pas encore fait (Difederico CAF, au para 81).

[279] Je conclus également que le raisonnement exposé dans l’arrêt Murphy CAF s’applique aux demandes fondées sur la Loi sur les marques de commerce, car celle‑ci, comme la Loi sur la concurrence, ne contient aucune disposition interdisant explicitement les conventions d’arbitrage ou les clauses de renonciation aux recours collectifs (Gold Line, au para 49).

[280] Je fais aussi remarquer que, dans l’arrêt Dell, la Cour suprême du Canada a implicitement rejeté l’argument selon lequel l’inclusion d’une clause de renonciation aux recours collectifs dans une convention d’arbitrage serait contraire à l’ordre public (Dell, aux para 105‑110, 224‑226; voir aussi Williams BCCA, fin du para 176). Les parties peuvent convenir de renoncer à intenter un recours collectif dans le cadre d’une convention d’arbitrage, et il appartient aux législateurs fédéral ou provinciaux, et non aux tribunaux, de créer des exceptions à cet égard (Williams BCCA, au para 172).

[281] En résumé, je ne suis pas convaincu que la clause de renonciation aux recours collectifs est nulle ou inexécutoire, et je juge que cette clause appuie elle aussi la conclusion formulée par Ooma dans sa requête relative à la compétence.

[282] Quoi qu’il en soit, je suis d’avis, une fois de plus, compte tenu du principe de compétence‑compétence et de la validité de la clause d’arbitrage, qu’un arbitre, et non la Cour, doit trancher la question de savoir si la clause de renonciation aux recours collectifs est valide et exécutoire.

D. Conclusion sur les questions relatives à la compétence

[283] Pour tous les motifs exposés plus haut, je suis d’avis d’accueillir la requête relative à la compétence présentée par Ooma et de suspendre en conséquence le recours collectif proposé par M. Zanin en faveur de l’arbitrage.

VI. Questions relatives à la requête en autorisation

[284] Par souci d’exhaustivité et au cas où je ferais erreur sur les questions relatives à la compétence, je passe à la deuxième question de fond soulevée en l’espèce, soit celle de savoir si la requête en autorisation de M. Zanin devrait être accueillie.

[285] Supposant que la Cour a compétence pour examiner la requête en autorisation, je conclus qu’aucune des trois causes d’action prévues par la loi invoquées par M. Zanin ne permettrait à la Cour d’autoriser le recours collectif, puisqu’il est évident et manifeste que les actes de procédure ne révèlent aucune cause d’action valable, que ce soit au titre de l’alinéa 7d) et de l’article 53.2 de la Loi sur les marques de commerce ou encore des articles 36, 52 et 54 de la Loi sur la concurrence.

A. Cadre législatif

[286] La partie 5.1 des Règles établit le cadre qui régit l’autorisation et le déroulement d’une instance comme recours collectif devant la Cour. Les paragraphes 334.16(1) et 334.16(2) et l’article 334.18 sont les principales dispositions qui encadrent l’autorisation des recours collectifs. Elles sont reproduites intégralement à l’annexe A des présents motifs.

[287] Selon le paragraphe 334.16(1) des Règles, un recours collectif doit être autorisé si les cinq conditions suivantes sont réunies : i) les actes de procédure révèlent une cause d’action valable; ii) il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes; iii) les réclamations soulèvent des points de droit ou de fait communs; iv) le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, ces points communs; v) il existe un représentant demandeur approprié. La première condition reprend une exigence applicable à toutes les actions intentées par un demandeur, mais les quatre autres conditions visent plus particulièrement les recours collectifs.

[288] Le libellé du paragraphe 334.16(1) est impératif, ce qui signifie que la Cour doit accorder l’autorisation lorsque les cinq conditions sont réunies. Étant donné que ces conditions sont cumulatives, la requête en autorisation doit être rejetée dès lors que le demandeur ne respecte pas l’une d’elles (Brink c Canada, 2024 CAF 43 [Brink] au para 138; Jensen c Samsung Electronics Co Ltd, 2021 CF 1185 [Jensen CF] au para 51, conf par 2023 CAF 89 [Jensen CAF], autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 40807 (11 janvier 2024); Airbnb, au para 21; Nation crie de Samson c Nation crie de Samson (Chef et conseil), 2008 CF 1308 [Buffalo] au para 35, conf par 2010 CAF 165 au para 3). Inversement, la Cour n’a pas le pouvoir discrétionnaire de refuser d’accorder l’autorisation si toutes les conditions sont respectées (Jensen CF, au para 51; Airbnb, au para 21).

[289] Le paragraphe 334.16(2) des Règles dresse la liste des facteurs dont le juge doit tenir compte pour évaluer les conditions d’autorisation, alors que l’article 334.18 énonce les facteurs qui ne peuvent, soit seuls, soit combinés aux autres facteurs énumérés, constituer un motif suffisant pour refuser l’autorisation (Jensen CF, au para 52; Airbnb, au para 22; Kenney c Canada (Procureur général), 2016 CF 367 au para 17; Buffalo, au para 37). Cependant, l’emploi du mot « uniquement » à l’article 334.18 indique que les facteurs qui y sont énumérés peuvent tout de même être des éléments pertinents que le juge peut prendre en considération lors de l’examen d’une requête en autorisation, pourvu que la conclusion générale sous‑jacente à l’éventuel refus d’autorisation soit également fondée sur d’autres considérations (Jensen CF, au para 52; Airbnb, au para 22).

[290] Les conditions d’autorisation énoncées au paragraphe 334.16(1) des Règles sont semblables à celles appliquées par les tribunaux en Ontario et en Colombie‑Britannique (Canada (Procureur général) c Jost, 2020 CAF 212 [Jost] au para 23; Canada c M. Untel, 2016 CAF 191 [M. Untel] au para 22; Nation crie de Samson c Nation crie de Samson (Chef et conseil), 2010 CAF 165 au para 8; Jensen CF, au para 53; Airbnb, au para 23). Il n’est donc pas rare que notre Cour et la Cour d’appel fédérale renvoient à la jurisprudence établie par les tribunaux de ces provinces en matière de recours collectif, car cette jurisprudence est instructive à cet égard.

B. Principes généraux

[291] Dans l’arrêt L’Oratoire Saint‑Joseph du Mont‑Royal c JJ, 2019 CSC 35 [L’Oratoire], la Cour suprême du Canada a rappelé qu’un recours collectif était un véhicule procédural qui poursuit plusieurs objectifs, « à savoir faciliter l’accès à la justice, modifier des comportements préjudiciables et économiser les ressources judiciaires » (L’Oratoire, au para 6, renvoyant à Hollick c Toronto (Ville), 2001 CSC 68 [Hollick] au para 15; Western Canadian Shopping Centres Inc c Dutton, 2001 CSC 46 [Dutton] aux para 27–29; et Vivendi Canada Inc c Dell’Aniello, 2014 CSC 1 [Vivendi] au para 1).

[292] Premièrement, il faut avant tout tenir compte du fait que le recours collectif permet de faire des économies de ressources judiciaires, car cet instrument de procédure particulier permet d’éviter la duplication inutile de l’appréciation des faits et de l’analyse du droit (Hollick, au para 15). Les actions intentées individuellement peuvent en effet être moins pratiques et moins efficaces que les recours collectifs (Rumley c Colombie‑Britannique, 2001 CSC 69 au para 38). Deuxièmement, le recours collectif assure un meilleur accès à la justice en rendant plus économiques des poursuites que les membres du groupe auraient jugées trop coûteuses pour les intenter individuellement (Hollick, au para 15). Il peut aussi permettre aux membres du groupe de surmonter les obstacles d’ordre psychologique ou social grâce au représentant, qui dirige le recours pour leur compte (AIC Limitée c Fischer, 2013 CSC 69 [Fischer] au para 29). Troisièmement, le recours collectif sert l’efficacité et la justice en faisant en sorte que les malfaisants prennent pleinement conscience du préjudice qu’ils infligent ou qu’ils pourraient infliger au public et modifient leur comportement en conséquence (Hollick, au para 15). Ce faisant, les recours collectifs servent d’importants objectifs d’intérêt public tels que la dissuasion des comportements répréhensibles.

[293] Les conditions d’autorisation doivent toujours être évaluées au regard des trois objectifs généraux des recours collectifs (Difederico c Amazon.com, Inc, 2023 FC 1156 [Difederico CF 2] au para 26, renvoyant à Jensen CF, au para 54; Airbnb, au para 25). Par conséquent, lorsque les tribunaux interprètent des dispositions législatives relatives aux recours collectifs dans le cadre d’une requête en autorisation, il est « essentiel […] [qu’ils ne les] interprètent pas […] de manière trop restrictive, mais qu’ils adoptent une interprétation qui donne pleinement effet aux avantages escomptés par les rédacteurs » et à l’objet qui sous-tend les recours collectifs (Hollick, au para 15; Dutton, aux para 27–29; Condon c Canada, 2015 CAF 159 [Condon] au para 10).

[294] L’objet principal d’une requête en autorisation est que la Cour décide si le recours collectif est la procédure appropriée pour l’instruction de l’affaire (Hollick, au para 16; Jost, au para 27). Comme l’a fait remarquer la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hollick, l’étape de l’autorisation intéresse la forme que revêt l’action, pas son bien‑fondé : la question « n’est pas [de savoir] s’il est vraisemblable que la demande aboutisse, mais s’il convient de procéder par recours collectif » (Hollick, au para 16; voir aussi Vivendi, au para 37; Infineon Technologies AG c Option consommateurs, 2013 CSC 59 au para 65).

1) Critère applicable

[295] Les exigences diffèrent selon les conditions d’autorisation.

[296] Le critère relatif à la première condition d’autorisation, soit que les actes de procédure révèlent une cause d’action valable, est le même que celui qui s’applique à une requête en radiation ou en rejet (Pro‑Sys Consultants Ltd c Microsoft Corporation, 2013 CSC 57 [Pro‑Sys] au para 63; Alberta c Elder Advocates of Alberta Society, 2011 CSC 24 [Alberta Elder] au para 20; Jensen CAF, au para 15). Il s’agit de savoir s’il est « évident et manifeste », dans l’hypothèse où les faits allégués seraient avérés, que les actes de procédure ne révèlent aucune cause d’action valable et qu’il n’y a lieu à aucune réclamation (Société des loteries de l’Atlantique c Babstock, 2020 CSC 19 [Société des loteries de l’Atlantique] au para 14; Pioneer Corp c Godfrey, 2019 CSC 42 [Godfrey] au para 27; R c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42 [Imperial Tobacco] au para 17; Alberta Elder, au para 20; Hollick, au para 25; Hunt c Carey Canada Inc, [1990] 2 RCS 959 à la p 980; Jensen CAF, au para 15; Canada c Greenwood, 2021 CAF 186 [Greenwood] au para 91; Jost, au para 29). En d’autres mots, la demande doit être si manifestement irrégulière qu’elle n’a « aucun[e] chance d’être accueilli[e] » (Jensen CAF, au para 15; Wenham c Canada (Procureur général), 2018 CAF 199 [Wenham] au para 33, citant JP Morgan Asset Management (Canada) Inc c Canada (Revenu national), 2013 CAF 250 [JP Morgan] au para 47; Jensen CF, au para 58; Airbnb, au para 28). Le critère est plus clair si on le formule ainsi : les tribunaux doivent être convaincus que l’action envisagée n’a aucune chance raisonnable d’être accueillie et qu’elle est vouée à l’échec (Wenham, au para 22).

[297] Pour ce qui est des quatre autres conditions d’autorisation, il incombe aux demandeurs de produire des éléments de preuve pour démontrer que chacune d’elles a « un certain fondement factuel » (Hollick, au para 25; Pro‑Sys, au para 99). Selon cette norme, toutes les conditions d’autorisation, hormis la condition relative à la cause d’action, doivent reposer sur une preuve. Toutefois, l’emploi du mot « certain » indique que la preuve n’a pas à être exhaustive et qu’il ne doit pas s’agir d’une preuve propre à présider au débat sur le fond (Fischer, au para 41, citant McCracken v Canadian National Railway Company, 2012 ONCA 445 aux para 75–76; Greenwood, au para 94; Jensen CF, au para 59; Airbnb, au para 30). Étant donné la portée restreinte de l’examen factuel des tribunaux à l’étape de l’autorisation et le fait qu’ils ne sont pas en mesure, à cette étape, de « déterminer [l]a valeur probante [de la preuve] à l’issue d’une analyse nuancée », la norme de preuve applicable est peu exigeante et inférieure à celle de la prépondérance des probabilités (Fischer, au para 40; Pro‑Sys, aux para 102, 104; M. Untel, au para 24). De plus, je tiens à faire remarquer que la Cour doit adopter une « approche en deux étapes » dans son évaluation des points communs : elle doit d’abord décider si un certain fondement factuel étaye l’existence même de chaque point commun et ensuite décider si les membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait communs (Jensen CAF, aux para 77‑81, confirmant Jensen CF, aux para 211‑14).

[298] Le fardeau de preuve qui incombe à la partie qui demande l’autorisation n’est pas lourd, et le critère applicable pour l’octroi de l’autorisation est généralement décrit comme étant peu exigeant. Cela dit, le demandeur doit néanmoins présenter des allégations et des éléments de preuve suffisants à l’appui de sa requête en autorisation. L’autorisation est un petit obstacle, mais il s’agit néanmoins d’un obstacle qui doit être franchi (Jensen CF, au para 57, renvoyant à Simpson v Facebook, 2021 ONSC 968 au para 50). Il importe de souligner que, même si le critère est peu exigeant, des conditions doivent tout de même être respectées pour que l’instance soit autorisée comme recours collectif. Par conséquent, une requête en autorisation sera rejetée en l’absence d’une cause d’action valable ou lorsque la preuve à l’appui des faits sur lesquels reposent les réclamations des membres du groupe est insuffisante.

[299] Bien qu’une requête en autorisation ne soit pas un mécanisme de filtrage par lequel la Cour se prononcerait sur le bien‑fondé ou la solidité du recours collectif envisagé, elle doit néanmoins fonctionner comme un « mécanisme de filtrage efficace » (Pro‑Sys, au para 103). Dans l’arrêt Pro‑Sys, la Cour suprême du Canada a précisé que l’examen du caractère suffisant de la preuve selon la norme fondée sur l’existence d’un certain fondement factuel ne peut pas être superficiel au point « d’être strictement symbolique » (Pro‑Sys, au para 103). Suffisamment de faits doivent permettre de convaincre le juge saisi des demandes d’autorisation que les conditions d’autorisation sont réunies « de telle sorte que l’instance puisse suivre son cours sous forme de recours collectif sans s’écrouler à l’étape de l’examen au fond » à cause du non‑respect des conditions (Pro‑Sys, au para 104).

[300] Dans le même ordre d’idées, dans le contexte des requêtes en autorisation introduites en vertu du régime québécois des recours collectifs et de l’application de la norme de la « cause défendable » du droit québécois, la Cour suprême du Canada a affirmé qu’il « faut éviter de réduire le processus d’autorisation à une “simple formalité” » (Desjardins Cabinet de services financiers inc c Asselin, 2020 CSC 30 [Desjardins] au para 74; L’Oratoire, au para 62). Ce principe a été réaffirmé par notre Cour dans la décision Jensen CF (et confirmé par la suite par la Cour d’appel fédérale). Dans la décision Jensen CF, la Cour a souligné que les tribunaux doivent procéder à un examen suffisamment rigoureux pour éviter que le processus d’autorisation se résume à une approbation « sans discussion » (Jensen CF, au para 292, conf par Jensen CAF, au para 49).

[301] Ainsi, les tribunaux jouent un rôle important de filtrage et de contrôle à l’étape de l’autorisation (Pro‑Sys, au para 103; Jensen CAF aux para 49, 70; Mohr c Ligue nationale de hockey, 2022 CAF 145 [Mohr] aux para 49, 53, autorisation de pourvoi à la CSC refusée 40426 (20 avril 2023)). Ils doivent notamment se demander si les actes de procédure « suffisent pour informer le défendeur de l’essence de la réclamation du demandeur » (Société des loteries de l’Atlantique, au para 89), énoncent de manière adéquate les éléments constitutifs de chacune des causes d’action et présentent suffisamment de faits ou de précisions pour assurer « la saine gestion et l’équité » de l’instruction (Mancuso c Canada (Santé Nationale et Bien‑être Social), 2015 CAF 227 [Mancuso] aux para 18‑19.

[302] En somme, les tribunaux doivent procéder à « un examen rigoureux de la requête en autorisation d’un demandeur et [...] examiner attentivement les allégations, les faits substantiels et les éléments de preuve » présentés à l’appui (Jensen CF, au para 292, conf par Jensen CAF, au para 49). Ils doivent ainsi écarter les demandes frivoles et mal fondées afin de s’assurer que des parties ne soient pas inutilement obligées de se défendre contre des demandes insoutenables en y consacrant des ressources considérables (Desjardins, au para 27; L’Oratoire, aux para 7, 56, 61; Vivendi, au para 37; Jensen CF, au para 61; Airbnb, au para 25).

2) Interprétation de la loi et demandes inédites

[303] Compte tenu des questions soulevées dans la requête en autorisation présentée par M. Zanin, il est important d’examiner la jurisprudence concernant l’interprétation de la loi et les demandes inédites.

[304] Pour déterminer si les conditions d’autorisation sont réunies, les tribunaux doivent souvent interpréter la loi, en particulier lorsque le demandeur invoque une cause d’action ayant un fondement législatif, comme c’est le cas en l’espèce. Toutefois, le juge saisi d’une demande d’autorisation doit se garder de s’aventurer sur le terrain réservé au juge du procès, notamment en tirant des conclusions définitives sur l’interprétation correcte de la loi. Cela est d’autant plus vrai lorsque les questions d’interprétation législative sont complexes ou que le fait d’y répondre déterminerait l’issue de l’affaire sur le fond. Cela dit, cela ne signifie pas que le juge saisi d’une demande d’autorisation devrait éviter de procéder à une interprétation de la loi ou se contenter d’analyser sommairement dans ses motifs une loi qui est au cœur de la demande.

[305] Il est vrai que les tribunaux se sont souvent montrés hésitants à conclure qu’il est évident et manifeste que les actes de procédure ne révèlent aucune cause d’action valable lorsqu’une telle conclusion relève d’une question complexe d’interprétation législative (voir, par exemple, Salna c Voltage Pictures, LLC, 2021 CAF 176 au para 131; Airbnb, au para 56; Committee for Monetary and Economic Reform c Canada, 2014 CF 380 aux para 72‑73). Lorsque le juge saisi d’une demande d’autorisation est d’avis que la preuve qui sera éventuellement présentée pourrait avoir une incidence sur l’interprétation législative, il convient de reporter au procès l’examen des points en litige (Pearce BCCA, au para 71; Williams v Audible, 2022 BCSC 834, au para 55). Autrement, on éliminerait les questions communes fondées sur ces points complexes, ce qui pourrait empêcher le juge du procès de les examiner sur le fond au moyen d’un dossier de preuve complet (Airbnb, au para 56, citant Jiang v Peoples Trust Company, 2017 BCCA 119 [Jiang], aux para 64, 67).

[306] Étant donné que le critère de la cause d’action valable est le même que celui qui s’applique aux requêtes en radiation, la jurisprudence relative aux requêtes en radiation fournit une orientation utile quant à la portée de l’interprétation législative appropriée à l’étape de l’autorisation. Encore une fois, les tribunaux s’abstiendront généralement de radier des actes de procédure lorsqu’ils doivent se pencher sur des questions complexes d’interprétation de la loi (voir, par exemple, Haida Tourism Partnership (West Coast Resorts) c Canada (Caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires), 2024 CF 439 au para 104; Canada (Caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires) c Colombie‑Britannique (Finances), 2012 CF 725 au para 27; Safilo Canada Ltd c Contour Optik Inc, 2004 CF 1534 aux para 11‑1; Apotex Inc c Eli Lilly and Co, 2001 CFPI 636 aux para 13‑14).

[307] Dans l’arrêt Apotex Inc c Laboratoires Servier, 2007 CAF 350 [Servier], la Cour d’appel fédérale a conclu, à la lumière de l’interprétation subsidiaire avancée par la demanderesse, que la juge des requêtes avait commis une erreur lorsqu’elle avait jugé que le sens d’une disposition contestée était inévitable (Servier, aux para 31, 33). Dans son analyse, la Cour d’appel fédérale a déterminé que la juge des requêtes n’avait pas examiné la question de savoir si l’interprétation proposée avait des chances d’être accueillie, et qu’elle avait plutôt « tiré sa propre conclusion sur la question litigieuse de l’interprétation de la loi » (Servier, au para 34). La Cour d’appel fédérale a ensuite examiné l’interprétation subsidiaire avancée par la demanderesse et a conclu finalement qu’elle n’était ni « faible » ni « dénuée de tout fondement ». Elle a ajouté qu’aucune décision publiée ne portait sur l’interprétation appropriée de la disposition en cause et qu’aucune des affaires mentionnées n’allait clairement dans le sens de la conclusion tirée par la juge des requêtes (Servier, au para 46).

[308] La Cour d’appel fédérale a récemment rappelé ce principe dans l’arrêt Mohr, et elle a confirmé que le critère peu exigeant utilisé par le juge des requêtes pour déterminer si une demande a une chance raisonnable d’être accueillie s’applique également lorsqu’une question d’interprétation de la loi est au cœur de la requête en radiation (Mohr, au para 52, citant l’arrêt Servier, au para 34). Lorsqu’une disposition législative se prête à plus d’une interprétation, le juge des requêtes ne peut conclure à l’absence d’une cause d’action valable : « [d]ès lors qu’un juge constate qu’une disposition législative est susceptible d’être interprétée d’au moins deux manières différentes, il n’a pas la possibilité de conclure qu’il est clair et évident que l’action n’a aucune chance raisonnable d’être accueillie » (Mohr, aux para 47, 52; voir aussi Jiang, aux para 55‑57).

[309] Se fondant sur le paragraphe 27 de la décision Arsenault c Canada, 2008 CF 299 [Arsenault], conf par 2009 CAF 242, notre Cour a parfois affirmé que, pour conclure qu’il est « évident et manifeste » qu’il n’y a lieu à aucune réclamation, il faut « un dossier portant exactement sur la même question, issu de la même juridiction, et démontrant que cette même question a été clairement examinée et rejetée » (Jacques c Canada, 2024 CF 851 [Jacques] au para 35; Doan c Canada, 2023 CF 968, au para 132; Sweet c Canada, 2022 CF 1228, au para 123; Airbnb, au para 59). La Cour d’appel fédérale a toutefois tempéré cette affirmation dans l’arrêt Mohr en rejetant la proposition selon laquelle les questions d’interprétation soumises au tribunal qui n’ont pas été examinées précédemment ne peuvent pas être considérées de manière concluante comme étant dépourvues de succès (Mohr, aux para 51, 54). Autrement dit, pour obtenir gain de cause dans une requête en radiation, la partie requérante n’a pas besoin de se fonder sur une décision contraignante qui a définitivement tranché le point de droit.

[310] Compte tenu de son rôle de gardien du système, le juge saisi d’une demande d’autorisation doit éviter le gaspillage des ressources judiciaires lorsqu’il est évident que les actes de procédure sont voués à l’échec selon l’interprétation correcte d’une disposition législative (Trotman v WestJet Airlines Ltd, 2022 BCCA 22 [Trotman] au para 46). Ce principe s’applique non seulement lorsqu’il existe des précédents faisant autorité qui semblent directement pertinents, mais également lorsque l’exercice d’interprétation est si simple que la réponse à la question est évidente et manifeste malgré l’absence de précédents (Campbell v Capital One Financial Corporation, 2024 BCCA 253 aux para 18, 81; Sharifi v WestJet Airlines Ltd, 2022 BCCA 149 [Sharifi] aux para 38, 48‑51; Trotman, au para 46). Par exemple, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a récemment conclu qu’un recours collectif envisagé concernant les crédits de voyage WestJet ne révélait pas de cause d’action valable, car il était évident et manifeste que les crédits ne correspondaient pas aux définitions de [traduction] « carte d’achat prépayée » ou de [traduction] « carte‑cadeau » figurant dans la loi sur la protection des consommateurs de la Colombie‑Britannique ou d’autres provinces (Sharifi, aux para 51, 54‑61, 65‑66).

[311] Lorsqu’elles ne nécessitent aucun fondement probant et qu’elles peuvent être tranchées sur la base des seuls actes de procédure, les questions d’interprétation législative pures — même celles qui sont inédites ou contestées — peuvent faire l’objet d’une décision ou d’un règlement à l’étape de l’autorisation, tout comme elles peuvent être tranchées dans le cadre d’une requête en radiation ou d’une requête en jugement sommaire (Energizer Brands CAF, au para 55; Pearson v Boliden Ltd, 2002 BCCA 624 aux para 39‑42). Par exemple, dans l’arrêt Koubi v Mazda Canada Inc, 2012 BCCA 310 [Koubi], la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a conclu que, à la suite de son analyse, il était [traduction] « évident et manifeste que les demandes de restitution visant des concessionnaires pour violation de la garantie fondées sur la [Sale of Goods Act] et présentées par Mme Koubi ne peuvent être accueillies en raison d’une incompatibilité avec les dispositions expresses de la Loi » (Koubi, au para 69).

[312] De même, le seul fait qu’une demande soit inédite n’est pas une raison suffisante en soi pour qu’elle soit radiée (Darmar Farms Inc v Syngenta Canada Inc, 2019 ONCA 789 [Darmar Farms] au para 51). Le juge saisi d’une requête en autorisation doit interpréter de manière aussi libérale que possible la déclaration afin de remédier à tout vice de forme qui aurait pu se glisser dans les allégations. Le fait qu’une thèse, une interprétation ou une cause d’action en particulier n’a pas encore été reconnue en droit n’est pas déterminant pour l’issue de la requête. Il faut permettre l’instruction de toute demande inédite, mais soutenable, puisque l’évolution du droit trouve souvent son origine dans la survie des requêtes en radiation (Imperial Tobacco, au para 21; Mohr, au para 48).

[313] Cependant, le fait qu’une cause d’action soit inédite ne justifie pas en soi la tenue d’un procès. Toute demande inédite doit en outre être soutenable, présenter les éléments requis pour constituer une cause d’action reconnue en droit, et représenter un élargissement raisonnablement logique et défendable du droit établi. En termes simples, il doit exister une probabilité raisonnable que la demande soit accueillie (Imperial Tobacco, aux para 17, 21; Darmar Farms, au para 51; Das v George Weston Limited, 2018 ONCA 1053 [Das ONCA] au para 75; Stolove v Waypoint Centre for Mental Health Care, 2024 ONSC 3639 au para 272).

[314] Dans l’arrêt Société des loteries de l’Atlantique, la Cour suprême du Canada a statué qu’une demande ne survivra pas à une requête en radiation simplement parce qu’elle est inédite, et que les tribunaux devraient résoudre les différends juridiques rapidement, plutôt que de les renvoyer à un procès : « [i]l est bénéfique, et même essentiel à la viabilité de la justice civile et à l’accès du public à celle‑ci que les demandes, y compris les demandes inédites, qui sont vouées à l’échec soient tranchées tôt dans l’instance. Il en est ainsi parce que de telles demandes ne présentent pas “matière à un procès long et coûteux” » [en italique dans l’original] (Société des loteries de l’Atlantique, au para 19, citant Syl Apps Secure Treatment Centre c BD, 2007 CSC 38 au para 19).

[315] Dans l’affaire Mohr, l’appelant avait soutenu que l’exigence relative à la « cause d’action valable » était remplie simplement parce que le demandeur avait proposé une interprétation inédite de la loi en cause et que, par conséquent, il n’existait aucun précédent contraignant empêchant l’action d’être instruite au début de l’instance (Mohr, au para 51). La Cour d’appel fédérale n’a pas souscrit à ce point de vue. Si l’appelant avait obtenu gain de cause sur ce point, l’absence de précédent définitif quant au sens d’une loi en particulier signifierait que chaque affaire qui soulève un point d’interprétation pour la première fois, si futile soit l’argument, survivrait à une requête en radiation ou en autorisation, car il n’y aurait jamais de précédent, et encore moins de précédent contraignant (Mohr, au para 54). Tel n’est pas l’état du droit : « une cause d’action n’est pas présumée “raisonnable” » simplement parce qu’elle n’a pas d’antécédents dans la jurisprudence (Mohr, au para 53).

[316] En règle générale, les déclarations juridiques définitives sur le sens d’une loi ne devraient pas être faites lors de la présentation d’une requête en radiation ou d’une requête en autorisation lorsqu’il existe des « interprétations concurrentes et crédibles » (Mohr, au para 52). À l’étape de l’autorisation, le tribunal doit déterminer « s’il existe une interprétation conflictuelle qui mérite d’être prise en considération ou qui a une chance raisonnable d’être accueillie » et cette tâche pourrait nécessiter « [u]ne analyse juridique » (Mohr, aux para 52‑53).

[317] En résumé, lorsqu’une requête en autorisation soulève une question strictement juridique, l’analyse ne nécessite aucune preuve et repose uniquement sur les faits allégués qui sont tenus pour avérés, et les tribunaux peuvent et doivent statuer sur la question à cette étape.

C. Cause d’action valable

[318] Je passe maintenant à la première condition pour qu’il y ait autorisation, à savoir que les actes de procédure révèlent une cause d’action valable. Pour les motifs qui suivent, je conclus que la requête en autorisation présentée par M. Zanin ne remplit pas cette condition. Les allégations concernant les actes répréhensibles reprochés ne sont pas étayées par des faits pertinents ni appuyées par la loi; elles ne révèlent donc aucune cause d’action valable.

1) Critère

a) Principes généraux

[319] Comme je l’ai mentionné plus haut, la question de savoir si les actes de procédure révèlent une cause d’action valable doit être examinée au regard de la norme applicable aux requêtes en radiation (Pro‑Sys, au para 63). Dans l’arrêt Brink, la Cour d’appel fédérale a résumé comme suit les principes généraux régissant l’analyse d’une requête en radiation d’une déclaration sur le fondement de l’alinéa 221(1)a) des Règles, à savoir que la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable (voir aussi McMillan c Canada, 2024 CAF 199 [McMillan] aux para 74‑78; Jensen CAF, aux para 15‑18; Difederico CF 2, aux para 27‑33) :

[traduction]

[43] [...] une déclaration ne devrait pas être radiée à moins qu’il ne soit évident et manifeste que l’action ne peut être accueillie, à supposer que les faits allégués soient vrais : Hunt c. Carey Canada Inc, [1990] 2 R.C.S. 959, [1990] A.C.S. no 93, p. 980; Pro‑Sys Consultants Ltd. c. Microsoft Corporation, 2013 CSC 57, par. 63. Autrement dit, la demande doit n’avoir aucune possibilité raisonnable d’être accueillie : R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, par. 17.

[44] Le fardeau de la preuve incombe à la partie qui soutient qu’un acte de procédure ne révèle aucune cause d’action valable : La Rose c. Canada, 2023 CAF 241, par. 19; Edell c. Canada, 2010 CAF 26, par. 5. Le critère auquel un demandeur doit satisfaire pour établir qu’un acte de procédure révèle une cause d’action valable est peu exigeant : Brake c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 274, par. 70.

[45] Les actes de procédure doivent, en outre, être interprétés de manière libérale de façon à remédier à tout vice de forme, imputable à une carence rédactionnelle, qui aurait pu se glisser dans les allégations : voir Operation Dismantle c La Reine, [1985] 1 RCS 441, [1985] ACS no 22 à la p 451.

[46] Le juge saisi de la requête, plutôt que de procéder à une analyse détaillée de l’argument du demandeur, devrait se demander si ce dernier pouvait avancer son argument : Salna c. Voltage Pictures, LLC, 2021 CAF 176, par. 77. Gardant à l’esprit que le droit n’est pas immuable, le juge saisi de la requête doit également permettre l’instruction de toute demande inédite, mais soutenable : R. c. Imperial Tobacco, précité, par. 19‑25; Mohr c. Ligue nationale de hockey, 2022 CAF 145, par. 48, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 40426 (20 avril 2023).

[47] Cela dit, il convient de rappeler que permettre l’instruction de causes dépourvues de fondement a des répercussions sur l’accès à la justice. Le détournement de ressources judiciaires limitées vers ce type d’affaires empêche les tribunaux de consacrer du temps à des affaires qui nécessitent une attention particulière : Mohr, au para 50; Coote c Lawyers’ Professional Indemnity Company, 2013 CAF 143, par. 13.

[320] Une demande qui contient un « vice fondamental », qui est « vouée à l’échec » ou qui « n’a aucune chance d’être accueillie » ne révèle aucune cause d’action valable (Société des loteries de l’Atlantique, aux para 89‑90; Wenham, au para 33, citant JP Morgan, au para 47; Jensen CF, au para 58; Airbnb, au para 28).

[321] Il n’appartient pas à la Cour, lorsqu’elle applique ce critère, « [de] résoudre des faits et des éléments de preuve contradictoires et [d’]évaluer la solidité de l’affaire » (Wenham, au para 28). L’analyse de la Cour doit plutôt se concentrer sur les actes de procédure, et non sur la preuve (Imperial Tobacco, aux para 22‑23; Jensen CAF, au para 52; M. Untel, au para 23; Condon, au para 13; Amway, au para 39). La Cour doit interpréter les actes de procédure de manière libérale, en s’employant à en faire une lecture globale et pratique, afin de « permettre [...] l’instruction de toute demande inédite, mais soutenable » (Imperial Tobacco, au para 21; voir aussi Mohr, au para 48).

[322] Comme dans le cas d’une requête en radiation, le défendeur qui demande le rejet d’une requête en autorisation au motif que la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable doit s’acquitter d’un lourd fardeau. En effet, la Cour d’appel fédérale a qualifié à plusieurs reprises de « rigoureux » le fardeau qui incombe au défendeur dans de telles affaires (Brink, au para 50; Canada (Procureur général) c Nasogaluak, 2023 CAF 61 au para 19; Greenwood, au para 144).

b) Actes de procédure

[323] Même si aucune preuve ne peut être examinée à cette étape, la partie qui demande l’autorisation doit néanmoins présenter un exposé des faits suffisant à l’appui d’une cause d’action valable aux termes de la loi. À cet égard, selon les articles 174 et 181 des Règles, les parties doivent plaider les faits substantiels et fournir des précisions sur chaque allégation.

[324] La Cour d’appel fédérale a bien résumé les principes qui régissent les actes de procédures à l’étape de l’autorisation aux paragraphes 63 à 71 de l’arrêt McMillan :

[TRADUCTION]

[63] L’article 174 des Règles des Cours fédérales dispose que « [t]out acte de procédure contient un exposé concis des faits substantiels sur lesquels la partie se fonde [...] ». Le paragraphe 181(1) des Règles exige en outre que les actes de procédure contiennent « des précisions sur toute allégation ».

[64] Comme l’a fait remarquer notre Cour dans l’arrêt Mancuso c. Canada (Santé nationale et Bien‑être Social), 2015 CAF 227, autorisation de pourvoi à la CSC refusée 36889 (23 juin 2016), « [l’]instruction d’un procès requiert du demandeur qu’il allègue des faits matériels suffisamment précis à l’appui de la déclaration et de la mesure sollicitée », car les actes de procédure jouent un rôle important pour aviser les intéressés et définir les questions à trancher (par. 16).

[65] Une déclaration correctement rédigée est nécessaire pour que le défendeur puisse préparer sa défense, mais les faits matériels permettront aussi de définir les paramètres d’appréciation de la pertinence d’éléments de preuve lors des interrogatoires préalables et de l’instruction du procès : Mancuso, par. 17. De plus, les avocats tiennent compte de la nature des faits allégués pour conseiller leurs clients, préparer leurs moyens et établir une stratégie en vue du procès. Par conséquent, la Cour et les parties adverses ne peuvent se permettre de formuler des hypothèses sur la façon dont les faits pourraient être organisés pour appuyer diverses causes d’action : Brink, par. 54.

[66] Chaque élément constitutif de la cause d’action doit être plaidé avec suffisamment de détails dans la déclaration, et chaque allégation doit être étayée par des faits substantiels. La simple assertion d’une conclusion ne constitue pas une allégation d’un fait important : Mancuso, par. 27; Canadian Olympic Association c USA Hockey, Inc., [1997] A.C.F. no 824 (QL) (C.F. 1re inst). En effet, si la Cour « autorisait les parties à avancer de simples affirmations de fait, ou de simples conclusions de droit, les actes de procédure ne rempliraient pas le rôle qui leur revient, soit celui de cerner les questions en litige » : Mancuso, par. 17.

[67] Ce qui constitue un fait substantiel dans la déclaration dans une affaire donnée doit être évalué en fonction des causes d’action invoquées et des dommages‑intérêts sollicités. Le demandeur doit énoncer avec concision, mais suffisamment de précision, les éléments constitutifs de chacun des moyens de droit ou de fait soulevé. L’acte de procédure doit indiquer au défendeur « par qui, quand, où, comment et de quelle façon » sa responsabilité aurait été engagée : Mancuso, par. 19.

[68] L’évaluation du caractère suffisant des faits substantiels invoqués dans la déclaration repose sur une analyse contextuelle et axée sur les faits. Il n’existe pas de démarcation très nette entre les faits matériels et les simples allégations ni entre l’exposé de faits matériels et l’interdiction de plaider certains éléments de preuve. Ce ne sont que deux points d’une même ligne continue, et il appartient au juge des requêtes, « lequel dispose d’une vue d’ensemble des actes de procédure, de voir à ce que les actes de procédure cernent les questions en litige avec une précision suffisante pour assurer la saine gestion et l’équité de l’instruction et des phases préparatoires à l’instruction » : Mancuso, par. 18.

[69] Le demandeur ne peut déposer des actes de procédures qui ne sont pas suffisants et ensuite compter sur le défendeur pour présenter une demande de précisions, pas plus qu’il ne peut les compléter au moyen de précisions visant à les rendre suffisants : Mancuso, par. 20; AstraZeneca Canada Inc c Novopharm Limited, 2010 CAF 112.

[70] En outre, pour décider s’il y a lieu de radier la déclaration, la Cour doit examiner celle‑ci telle qu’elle a été rédigée, et non de la façon dont elle pourrait être rédigée : Brink, par. 72; Merchant Law Group c Agence du revenu du Canada, 2010 CAF 184 [Merchant Law Group], par. 40.

[71] Les règles normales relatives aux actes de procédure valent tout autant pour les recours collectifs envisagés. En effet, l’ouverture d’un recours collectif est une question très sérieuse qui peut avoir une incidence sur les droits d’un grand nombre des membres du groupe ainsi que sur les intérêts des défendeurs. La conformité aux Règles des Cours fédérales n’est pas sans importance ou optionnelle, elle est à la fois obligatoire et essentielle : Brink, par. 60; Merchant Law Group, par. 40.

[325] Compte tenu des principes généraux établis dans l’arrêt McMillan, précité, et du contexte particulier des allégations de M. Zanin, il y a lieu de faire cinq observations concernant la nature des allégations dans le cadre d’une requête en autorisation.

[326] Premièrement, pour que les allégations contenues dans les actes de procédure soient considérées comme énonçant des faits substantiels, elles doivent être suffisamment précises (Jensen CAF, au para 52a), confirmant Jensen CF, aux para 75, 79). Si elle doit appliquer les conditions d’autorisation de façon libérale et avec souplesse, « la Cour ne peut aller jusqu’à présumer l’existence d’un élément essentiel à l’établissement d’une cause d’action » (Jensen CF, au para 76). Il incombe donc à la partie qui demande l’autorisation d’alléguer des faits suffisants pour étayer une cause d’action valable et sur lesquels elle entend s’appuyer pour faire valoir sa réclamation (Société des loteries de l’Atlantique, au para 89; Pro‑Sys, au para 63; Imperial Tobacco, au para 22; Mancuso, aux para 19‑20). Un demandeur ne peut compter sur la possibilité que de nouveaux faits apparaissent au fur et à mesure que l’instruction progresse. Les faits allégués sont le fondement solide en fonction duquel doit être évaluée la possibilité que la demande soit accueillie (Imperial Tobacco, au para 22; Jensen CF, au para 71).

[327] Deuxièmement, les allégations de fait ne sont tenues pour avérées que lorsque les faits allégués sont suffisamment précis et concrets pour garantir qu’ils étayent effectivement l’existence du droit revendiqué (Jensen CF, au para 81; voir aussi L’Oratoire, au para 59). La présomption de véracité qui s’applique aux faits allégués « ne s’étend pas aux questions qu’il n’est manifestement pas possible de prouver, aux questions qui sont dénuées de bon sens, qui constituent une généralisation vague, une opinion, une supposition, de simples allégations, de simples affirmations non étayées de nature juridique ou une hypothèse qui n’est pas étayée par des faits substantiels » (Jensen CAF, au para 52b), confirmant Jensen CF, aux para 81‑82; voir aussi L’Oratoire, aux para 59‑60). On ne peut tenir pour avérées les simples allégations et les affirmations non étayées de nature juridique qui sont fondées sur des hypothèses ou des conjectures et qui sont impossibles à prouver. En outre, la Cour n’est pas tenue d’admettre les allégations de fait qui sont incompatibles avec les preuves présentées comme irréfutables par les deux parties aux fins de la requête en autorisation (Jensen CF, au para 82; Das v George Weston Limited, 2017 ONSC 4129, au para 27, conf par Das ONCA).

[328] Troisièmement, lors de l’évaluation du caractère suffisant des allégations, les documents qui sont mentionnés dans les actes de procédure – que ce soit au moyen de citations directes, de résumés ou de paraphrases – sont incorporés par renvoi et seront considérés comme en faisant partie « s’ils sont suffisamment cruciaux pour la demande pour constituer un élément essentiel ou faire partie intégrante de la demande elle‑même ou de sa matrice factuelle » (Jensen CAF, au para 52c), confirmant Jensen CF, aux para 85, 87; McCreight v Canada (Attorney General), 2013 ONCA 483 au para 32). En effet, il est bien établi en droit qu’en règle générale les documents mentionnés dans les actes de procédure sont incorporés par renvoi puisque, en s’y référant, les parties considèrent leur contenu comme des faits (McLarty c Canada, 2002 CAF 206 au para 10; Fitzpatrick c District 12 du Service régional de la GRC de Codiac, 2022 CF 841 au para 9; Bouchard c Canada, 2016 CF 983 au para 18; Paul c Canada, 2001 CFPI 1280 au para 23; Del Giudice v Thompson, 2024 ONCA 70 [Del Giudice] au para 18; Das ONCA, au para 74). Toutefois, la simple mention d’un document dans un acte de procédure (sans qu’il y soit joint) ne suffit pas pour qu’il en fasse partie (Jensen CF, au para 85; Nicholson c CWS Industries Ltd, 2002 CFPI 1225 aux para 13, 16‑17).

[329] Quatrièmement, s’il y a des documents incorporés par renvoi aux actes de procédure, il n’appartient pas au juge, à l’étape de la requête en autorisation, de les examiner de manière détaillée et de déterminer si les demandeurs les ont interprétés correctement, car cela équivaudrait à apprécier la preuve, ce que la Cour ne peut pas faire à ce stade. Le rôle du juge consiste uniquement à vérifier si, à la simple lecture, les documents mentionnés dans les actes de procédure disent réellement ce que le demandeur prétend (Jensen CAF, au para 52d), confirmant Jensen CF, aux para 86‑87; Del Giudice, au para 18). Dans ces circonstances, il convient que le juge saisi de la demande d’autorisation lise les citations et les paraphrases contenues dans les actes de procédure dans leur contexte, en se reportant aux documents d’où ils sont tirés. Si un demandeur a attribué à ces paraphrases et citations un sens qui n’est pas compatible, à la simple lecture, avec les documents d’où elles sont tirées, et si les documents mentionnés dans les actes de procédure ne disent pas réellement ce que les demandeurs allèguent, la Cour ne peut considérer ces allégations comme des faits substantiels, car elles ne pourraient être prouvées (Jensen CF, au para 86). En bref, si les allégations formulées dans la déclaration contiennent des affirmations, des paraphrases ou des faits qui s’avèrent faux ou inexacts et ne correspondent pas au contenu réel des documents sous‑jacents, il convient que la Cour n’en tienne pas compte ou ne leur accorde aucun poids.

[330] En l’espèce, la déclaration de M. Zanin contient de multiples allégations qui renvoient, directement ou indirectement, au matériel promotionnel et publicitaire d’Ooma. Plusieurs de ces documents sont expressément désignés dans la déclaration ou annexés à celle‑ci. Par conséquent, je suis convaincu que les documents mentionnés par M. Zanin dans sa déclaration, que ce soit au moyen de citations directes, de résumés ou de paraphrases des documents, font partie intégrante de sa demande. Comme M. Zanin s’appuie effectivement sur des extraits, paraphrasés ou directement cités, tirés des publicités d’Ooma, ces dernières seront considérées comme étant incorporées par renvoi aux actes de procédure (Jensen CAF, au para 52d), confirmant Jensen CF, aux para 86‑87).

[331] Enfin, comme je l’ai mentionné dans ma première observation, la cause d’action ne sera généralement pas établie lorsque les allégations dans la déclaration ne renvoient pas adéquatement à tous les éléments constitutifs d’une cause d’action reconnue, ou lorsque les allégations faites dans la déclaration ne correspondent pas à celles d’une cause d’action reconnue (Jensen CF, au para 73; Fernandez Leon v Bayer Inc, 2023 ONCA 629 [Fernandez] au para 8; Yan v Hutchinson, 2023 ONCA 97 au para 12). Par exemple, lorsqu’une cause d’action repose sur l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur la concurrence, la Cour évalue le caractère suffisant des actes de procédure en ce qui concerne les éléments suivants : i) la commission d’une infraction criminelle visée à la partie VI de la Loi sur la concurrence; ii) la perte ou les dommages allégués subis par le demandeur; et iii) le lien de causalité entre la perte ou les dommages allégués et le comportement criminel reproché (Jensen CF, au para 93).

2) Première cause d’action : l’alinéa 7d) de la Loi sur les marques de commerce

[332] À l’appui de sa cause d’action fondée sur l’alinéa 7d) et l’article 53.2 de la Loi sur les marques de commerce, M Zanin fait valoir que le qualificatif « gratuit » du service d’Ooma constitue une description fausse et mensongère concernant « [les] caractéristiques, [la] qualité, quantité ou composition » du service en violation du sous‑alinéa 7d)i). L’ensemble des allégations et des arguments de M. Zanin relativement à la première cause d’action concerne les indications « GRATUIT ou 0 $ » qui auraient été données par Ooma.

[333] M. Zanin allègue que la description du service comme étant un service de téléphonie résidentielle gratuit est fausse à un égard important et est [traduction] « de nature à tromper le public en ce qui regarde [les] caractéristiques, [la] qualité, quantité ou composition du service [d’Ooma] », parce que le service n’est pas réellement gratuit (déclaration, au para 38).

[334] M. Zanin affirme que, lorsqu’un produit est présenté comme étant « gratuit », ce qualificatif distingue ce produit d’un autre produit assorti d’un coût. Lors de l’audience, les avocats de M. Zanin ont fait valoir que le mot « GRATUIT » a un [traduction] « sens très, très particulier ». Selon eux, ce terme signifie qu’il n’est pas nécessaire de verser quelque montant que ce soit et que le produit offert n’est assorti d’aucun prix. M. Zanin ajoute que la caractéristique du service est qu’il est « gratuit ».

[335] En ce qui concerne la notion de « personne intéressée » à l’article 53.2 de la Loi sur les marques de commerce, M. Zanin déclare que la disposition est de nature réparatrice et a une portée vaste, et que l’objectif de la loi est à la fois de faciliter la création d’une image de marque efficace et de protéger les consommateurs. Il fait valoir que, en tant que consommateur, il est visé par cette disposition, dont le libellé ne vise pas uniquement l’emploi inapproprié d’une marque de commerce ou la commercialisation trompeuse et s’applique à toute violation de la Loi sur les marques de commerce. M. Zanin ajoute qu’à sa connaissance, il n’existe aucune jurisprudence empêchant les consommateurs d’invoquer la Loi sur les marques de commerce.

[336] Sur le fondement de ces arguments, M. Zanin soutient qu’il a au moins une cause défendable et qu’il n’est pas évident et manifeste qu’il n’y a lieu à aucune réclamation au titre de l’alinéa 7d) et de l’article 53.2 de la Loi sur les marques de commerce.

[337] Je ne suis pas d’accord.

[338] Il est vrai que la demande de M. Zanin fondée sur la Loi sur les marques de commerce pourrait être qualifiée d’inédite. Cependant, l’aspect problématique des allégations de M. Zanin n’est pas qu’elles ne sont pas inédites; le problème concerne le fait qu’elles ne sauraient être étayées par aucune interprétation raisonnable de l’alinéa 7d) et de l’article 53.2 de la Loi sur les marques de commerce. Ni M. Zanin ni ses avocats n’ont été en mesure d’expliquer ou de justifier comment le [traduction] « sens très, très particulier » allégué du mot « GRATUIT » ou la notion de « gratuité » pourrait signifier autre chose que le fait que le client ne paie rien ou zéro dollar pour le service.

a) Les éléments de l’alinéa 7d) et de l’article 53.2

[339] Le sous‑alinéa 7d)i) de la Loi sur les marques de commerce dispose que « [n]ul ne peut [...] employer, en liaison avec des produits ou services, une désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde : i) leurs caractéristiques, leur qualité, quantité ou composition ». L’article 53.2, quant à lui, indique que le tribunal doit être convaincu, « sur demande de toute personne intéressée », qu’un acte a été accompli contrairement à la Loi sur les marques de commerce.

[340] Pour avoir une cause d’action valable au titre du sous‑alinéa 7d)i) et de l’article 53.2 de la Loi sur les marques de commerce, M. Zanin doit donc invoquer des faits substantiels montrant qu’Ooma a utilisé une « désignation » fausse et de nature à tromper le public en ce qui regarde [les] caractéristiques, [la] qualité, quantité ou composition du service, et qu’il est qualifié à titre de « personne intéressée ».

[341] Selon le principe moderne d’interprétation des lois, « [i]l est de jurisprudence constante qu’il [traduction] “faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur” » (Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c Directrice de la protection de la jeunesse du CISSS A, 2024 CSC 43 au para 23, citant Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 RCS 27 au para 21, et Bell ExpressVu Limited Partnership c Rex, 2002 CSC 42 au para 26, citant tous deux Elmer A. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd (Toronto, Butterworths, 1983) à la p 87).

[342] En l’espèce, je conclus que ni le libellé ni l’objet de la Loi sur les marques de commerce n’appuient d’une quelconque façon les allégations de M. Zanin relatives à sa cause d’action au titre de l’alinéa 7d) et de l’article 53.2.

[343] À mon avis, il n’existe en l’espèce aucun fait substantiel ou fondement juridique suffisant pour étayer une réclamation au titre de l’alinéa 7d) et de l’article 53.2 de la Loi sur les marques de commerce. Premièrement, le prix ne fait pas partie « [des] caractéristiques, [de la] qualité, quantité ou composition » d’un produit et, outre les considérations de prix, M. Zanin n’a indiqué aucune description fausse ou trompeuse concernant un attribut du service. Deuxièmement, aucune marque de commerce ni aucun autre droit de propriété intellectuelle n’est invoqué par M. Zanin à l’appui de sa réclamation. Troisièmement, M. Zanin n’est pas une « personne intéressée » visée par l’article 53.2, car ce terme n’englobe pas les consommateurs n’ayant aucun droit de propriété intellectuelle.

b) Les indications données par Ooma

[344] Avant de passer à l’analyse, j’ouvre une parenthèse pour répéter les conclusions de fait relatives aux indications données par Ooma, tirées à la section III.A des présents motifs.

[345] Il ressort de l’examen des documents à la disposition de la Cour que, dans la déclaration et les observations écrites et orales qu’ils ont présentées, M. Zanin et ses avocats ont fait une lecture partielle, sélective et faussée de la nature réelle des indications données par Ooma et ont proposé une description inexacte, tronquée et incomplète du service d’Ooma.

[346] Contrairement à ce que M. Zanin allègue dans sa déclaration, il ressort des actes de procédure lus de concert avec les documents d’Ooma qui sont incorporés par renvoi qu’Ooma n’a aucunement déclaré offrir un service téléphonique « GRATUIT ou [à] 0 $ » sans mentionner expressément les « taxes et frais applicables » ou y renvoyer. En outre, il ressort des documents au dossier que les mentions relatives aux taxes et frais applicables ne figurent pas en petits caractères, en caractères à peine lisibles, dans une note de bas de page ou ailleurs dans les documents d’Ooma. Ces mentions sont plutôt accolées aux indications « GRATUIT » ou « 0 $ » et figurent juste à côté de ces dernières; elles font partie intégrante des indications données par Ooma.

[347] Il ressort donc clairement des actes de procédure qu’Ooma n’indique pas que le service est « GRATUIT » ou offert à « 0 $ » sans autre information. Il n’existe aucune description du service qui se limiterait uniquement à exprimer sa dimension « sans prix ».

[348] Je souligne que l’examen effectué ci‑dessus concernant les indications d’Ooma et les allégations de M. Zanin à leur sujet ne constitue pas un exercice d’interprétation de la preuve ou d’appréciation de la valeur de la preuve invoquée par M. Zanin dans sa déclaration. Par cet examen, la Cour cherche plutôt à faire observer que, à la simple lecture des actes de procédure dont elle dispose, il est manifeste que les allégations formulées par M. Zanin dénaturent ou paraphrasent de manière erronée le contenu des indications données par Ooma sur lesquelles repose précisément la cause d’action fondée sur l’alinéa 7d) de la Loi sur les marques de commerce (Jensen CAF, au para 52d), confirmant Jensen CF, aux para 86‑87; Del Giudice, au para 18).

[349] Le fait de se montrer libéral à l’égard de l’interprétation des actes de procédure ne veut pas dire qu’il faille faire preuve d’aveuglement concernant ce qu’ils contiennent ou ne contiennent pas ni que la Cour peut adopter une attitude de complaisance et insérer les éléments constitutifs d’un acte répréhensible allégué alors qu’ils ne figurent manifestement pas dans les actes de procédure. Un demandeur n’a pas l’obligation de prouver ses prétentions dans la déclaration, mais il doit néanmoins exposer les faits substantiels à l’appui des éléments constitutifs de la demande présentée (Jensen CF, au para 164, conf par Jensen CAF, au para 69). Or M. Zanin ne l’a pas fait. Le critère de la cause d’action valable est peu exigeant, « mais il ne saurait être à ce point bas qu’il serait dépourvu de tout sens » (Jensen CAF, au para 69).

c) « GRATUIT ou 0 $ »

[350] En outre, même dans l’hypothèse où les indications d’Ooma se limiteraient à la mention « GRATUIT ou 0 $ » (ce qui n’est pas le cas), elles renvoient clairement à une notion liée au prix.

[351] À l’appui de la cause d’action qu’il invoque au titre de l’alinéa 7d) de la Loi sur les marques de commerce, M. Zanin critique l’emploi du mot « GRATUIT » par Ooma et fait valoir que ce mot a un sens très particulier, qui aurait en quelque sorte une signification différente de l’indication 0 $. Comme je le mentionne plus haut à la section III.B des présents motifs, rien dans les documents présentés par M. Zanin n’appuie une telle affirmation. Dans la déclaration de M. Zanin et les observations écrites et orales de ses avocats, « GRATUIT » veut toujours dire « 0 $ » et les deux indications sont utilisées de manière interchangeable. M. Zanin le fait de façon générale dans ses actes de procédure, et plus particulièrement dans le contexte de sa cause d’action fondée sur l’alinéa 7d) (voir par exemple les paragraphes 25, 36 et 40 de la déclaration). Tout lecteur constate qu’il est évident que M. Zanin et ses avocats ont employé « GRATUIT » et « 0 $ » en leur accordant le même sens. Autrement dit, « GRATUIT » correspond toujours à « 0 $ » et exprime manifestement un prix. Même en interprétant les allégations de la manière la plus libérale possible, il est évident et manifeste que M. Zanin a affirmé à plusieurs reprises que « GRATUIT » et « 0 $ » renvoient à la même et unique réalité.

[352] Contrairement à ce que soutient M. Zanin, les éléments mentionnés au paragraphe 25 de la déclaration ne comprennent pas des [TRADUCTION] « descriptions [du service] non liées au prix ». Ces éléments sont tous des descriptions liées au prix.

[353] M. Zanin n’a pas été en mesure de démontrer que, dans le contexte commercial, le mot « GRATUIT » n’est pas une caractéristique de prix ou pourrait n’avoir aucun lien avec le prix. Un produit gratuit est un bien ou un service qui ne coûte rien ou 0 $, et le mot « GRATUIT » concerne toujours et uniquement le prix et la valeur du bien ou du service. Dans ses actes de procédure, M. Zanin n’allègue aucune indication fausse ou trompeuse donnée par Ooma autre qu’en ce qui concerne le prix.

[354] En résumé, je conclus que les faits substantiels invoqués par M. Zanin à l’appui de sa cause d’action au titre de l’alinéa 7d) de la Loi sur les marques de commerce sont liés exclusivement au prix du service.

d) « [Les] caractéristiques [et] [la]qualité, quantité ou composition » ne comprennent pas le prix

[355] Pour invoquer une cause d’action au titre du sous‑alinéa 7d)i) de la Loi sur les marques de commerce, M. Zanin a reconnu qu’il doit faire état d’une description fausse ou trompeuse en ce qui regarde « [les] caractéristiques, [la] qualité, quantité ou composition » du service.

[356] Il ne fait aucun doute que « GRATUIT » ou « 0 $ » n’est pas une désignation ou une description des caractéristiques, de la qualité, quantité ou composition d’un bien ou d’un service, et que le prix et les éléments liés au prix ne font pas partie de la désignation ou description d’un produit dont il est question dans la Loi sur les marques de commerce. En termes simples, le prix n’est visé par aucun des éléments descriptifs énoncés au sous‑alinéa 7d)i).

[357] En fait, en réponse à une question de la Cour, les avocats de M. Zanin ont reconnu que, si un produit est annoncé à un prix de 5 $, mais vendu à 10 $, ce type d’indications quant au prix [traduction] « ne relève probablement pas des caractéristiques » du produit parce qu’un prix exprimé en chiffres ne revêt pas une signification particulière contrairement à l’indication « GRATUIT ou 0 $ ». N’en déplaise à M. Zanin, je ne vois pas en quoi un prix exprimé en chiffres qui est supérieur à 0 $ ne serait pas une « caractéristique » du produit, mais un prix de 0 $ ou la mention « gratuit » le serait.

[358] Les tribunaux et d’autres autorités ont affirmé systématiquement que le mot « caractéristiques » utilisé à l’alinéa 7d) de la Loi sur les marques de commerce s’entend d’une caractéristique, d’une particularité ou d’un trait importants et inhérents au produit ou service, de ses qualités intrinsèques évidentes ou des éléments liés à sa composition matérielle. Pour contrevenir à l’alinéa 7d), [traduction] « les déclarations faites par le défendeur doivent manifestement être de nature à tromper le public en ce qui concerne une qualité ou une caractéristique essentielle du produit » [non souligné dans l’original] (Scassa on Trademarks, au para 7.199). Ainsi, les déclarations doivent porter sur un trait caractéristique ou particulier qui se rapporte à une qualité ou caractéristique essentielle [traduction] « inhérente » du produit ou service (Fox on Canadian Law of Trade‑marks and Unfair Competition, vol 2, 4e éd (feuilles mobiles), aux pp 4‑18 [Fox on Trademarks]). Autrement dit, la Loi sur les marques de commerce vise les éléments inhérents au produit, et non des facteurs externes tels que le prix.

[359] Comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kirkbi AG c Gestions Ritvik Inc, 2005 CSC 65 [Kirkbi CSC], « les marques de commerce servent à indiquer, de façon distinctive, la source d’un produit, d’un procédé ou d’un service, afin qu’idéalement les consommateurs sachent ce qu’ils achètent et en connaissent la provenance » (Kirkbi CSC, au para 39). Le prix d’un produit n’aide aucunement les consommateurs à en comprendre les caractéristiques intrinsèques ou la composition matérielle.

[360] Dans la décision Alliance Laundry Systems LLC c Whirlpool Canada LP, 2019 CF 724 [Alliance Laundry], notre Cour a conclu que, pour satisfaire au critère de l’alinéa 7d) de la Loi sur les marques de commerce, le demandeur doit d’abord établir, comme condition préalable, que sa marque a créé de l’achalandage sur le marché canadien, ce que la demanderesse dans cette affaire n’avait pas réussi à démontrer (Alliance Laundry, au para 73). La juge Jocelyne Gagné (alors juge en chef adjointe) a néanmoins ensuite également fait observer que la demanderesse n’avait pas non plus fourni des éléments de preuve démontrant que la défenderesse avait employé une fausse description à l’égard des caractéristiques, de la qualité, de la quantité ou de la composition de ses produits. La preuve de la demanderesse révélait simplement que les produits étaient vendus à un prix inférieur à celui annoncé, et non qu’ils étaient d’une qualité inférieure (Alliance Laundry, au para 74), ce qui n’était pas suffisant pour satisfaire aux exigences de l’alinéa 7d), car « il est conjectural de présumer qu’un prix inférieur est synonyme de qualité inférieure » (Alliance Laundry, au para 74). Autrement dit, le prix d’un produit n’est pas en soi représentatif de sa qualité et ne peut l’être que s’il existe un élément de preuve précis en ce sens.

[361] De même, les cours fédérales ont affirmé que la description visée à l’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce s’entend « d’une caractéristique, d’une particularité ou d’un trait inhérents aux marchandises ou aux services » (Conseil du régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario c Canada (Procureur général), 2012 CAF 60 [Conseil du régime de retraite CAF] au para 29; Ottawa Athletic Club inc (Ottawa Athletic Club) c Athletic Club Group inc, 2014 CF 672 au para 60). Il est maintenant bien établi que la description d’un bien ou service « doit s’appliquer à la composition matérielle des marchandises ou services qui forment l’objet de la marque de commerce, ou se rapporter à une de leurs qualités intrinsèques évidentes, par exemple une caractéristique, une particularité ou un trait inhérents au produit » (ITV Technologies Inc c WIC Television Ltd, 2003 CF 1056 au para 67, citant Provenzano c Registraire des marques de commerce, [1977] A.C.F. no 902 (CF 1re inst) au para 2, conf par 2005 CAF 96; voir aussi Bodum USA c Meyer Housewares Canada Inc, 2012 CF 1450 au para 150; Conseil du régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario c Canada (Procureur général), 2011 CF 58 aux para 46‑47, conf par Conseil du régime de retraite CAF; Tradition Fine Foods Ltd c Group Tradition’L Inc, 2006 CF 858 au para 20).

[362] Il est évident et manifeste que le prix, qu’il s’élève à 10 $, 5 $ ou 0 $, n’est pas une caractéristique intrinsèque du produit. Le prix n’est pas lié au produit lui‑même; il est plutôt lié au vendeur du produit, qui détermine ce prix. Le prix est une qualité extrinsèque d’un produit qui est dictée par la décision du vendeur d’établir un prix de vente, décision qui est influencée par de nombreux facteurs externes, tels que les coûts de production, la demande pour le produit et la présence de concurrents. Le dictionnaire en ligne Merriam-Webster Dictionary donne d’ailleurs le sens suivant au mot [traduction] « prix » (price) dans le contexte commercial : [traduction] « valeur marchande, en argent, donnée à un bien en vue de sa vente » (the amount of money given or set as consideration for the sale of a specified thing) (Merriam-Webster Dictionary, (consulté le 4 janvier 2025), sous l’entrée « price », en ligne : <https://www.merriam-webster.com/dictionary/price>). Le prix n’est pas une qualité intrinsèque d’un bien ou service, mais une évaluation externe de ce bien ou service pour en déterminer la valeur en vue de sa vente.

[363] À l’audience, les avocats de M. Zanin ont mentionné, dans leur réplique, d’autres affaires, notamment deux décisions administratives, soit Imperial Tobacco Co of Canada v Philip Morris Inc, 1976 CarswellNat 601, 27 CPR (2d) 205 (registraire des marques de commerce) et Pizza Pizza Limited v 241 Pizza Limited, 1995 CanLII 10163 (CA COMC). Aucune de ces décisions n’est utile pour M. Zanin, puisqu’elles confirment simplement que le terme « caractéristiques » se rapporte aux caractéristiques distinctives d’un produit ou d’une marque de commerce. Le tribunal ne laisse entendre nulle part dans ces décisions que les caractéristiques ou les particularités d’un produit ou d’une marque de commerce pourraient comprendre son prix.

[364] M. Zanin n’a pas été en mesure de présenter à la Cour le moindre précédent où il aurait été dit que « [les] caractéristiques, [la] qualité, quantité ou composition » mentionnées au sous‑alinéa 7d)i) de la Loi sur les marques de commerce visent ou pourraient viser le prix du bien ou service. Je reconnais qu’il n’existe aucun précédent faisant autorité ayant établi définitivement que les mots employés au sous‑alinéa 7d)i) ne visent pas le prix. Toutefois, cela ne signifie pas que l’allégation selon laquelle le prix pourrait être visé par la disposition est défendable. L’absence de précédent sur ce point ne signifie pas que M. Zanin a une cause d’action défendable au titre de l’alinéa 7d) (Mohr, au para 53). Il doit encore convaincre la Cour qu’il propose une interprétation qui est conforme à la disposition expresse de la Loi sur les marques de commerce et qui peut trouver appui dans la législation applicable.

[365] En l’espèce, M. Zanin propose une interprétation législative qui est tout à fait incompatible avec le libellé de la disposition et l’objet de la Loi sur les marques de commerce, et il n’existe aucun fondement logique ou défendable à l’appui de cette interprétation.

[366] Autrement dit, je juge que l’interprétation de M. Zanin concernant le sous‑alinéa 7d)i) est manifestement erronée en droit et, si l’on suit l’interprétation juste de cette disposition, les allégations formulées dans les actes de procédure sont « voué[es] à l’échec » ou « n’[ont] aucun[e] chance d’être accueillies » (Wenham, au para 33, citant JP Morgan, au para 47; voir aussi L’Oratoire, au para 55). Plus précisément, l’exercice d’interprétation de la Cour en l’espèce est si simple qu’il est évident et manifeste que le prix et les éléments connexes, tels que l’indication « GRATUIT ou 0 $ », ne relèvent ni des caractéristiques ni la qualité, quantité ou composition du produit (Trotman, au para 46). Dans la présente affaire, il n’y a manifestement qu’une seule interprétation correcte; il n’existe pas d’« interprétations concurrentes et crédibles » concernant la question en litige (Mohr, au para 52). En outre, en l’espèce, la Cour n’a pas besoin d’un dossier de preuve complet pour conclure que les éléments liés au prix ne relèvent pas du champ d’application de l’alinéa 7d).

[367] Je reconnais que l’alinéa 7d) de la Loi sur les marques de commerce vise à interdire aux commerçants offrant des produits ou services au public d’employer une désignation qui est fausse ou trompeuse. Le sous‑alinéa 7d)i) ne vise toutefois pas tous les types de désignations ou descriptions, mais se limite à celles concernant « [les] caractéristiques, [la] qualité, quantité ou composition » de ces produits ou services. L’argument selon lequel la notion de prix pourrait être visée par l’un de ces éléments est indéfendable.

[368] `À lui seul, le rejet de cet argument suffit pour que la Cour conclue que M. Zanin n’a soulevé aucune cause d’action valable aux termes de la Loi sur les marques de commerce. Néanmoins, je relève deux autres motifs de rejet de la cause d’action.

e) Aucun droit de propriété intellectuelle n’est en jeu

[369] La cause d’action fondée sur le sous‑alinéa 7d)i) de la Loi sur les marques de commerce présentée par M. Zanin doit également être rejetée au motif qu’aucune marque de commerce et aucun droit de propriété intellectuelle ne sont invoqués dans la déclaration.

[370] Il est de jurisprudence constante que la Loi sur les marques de commerce protège indirectement les consommateurs grâce à des dispositions et mesures garantissant un environnement concurrentiel. Plus précisément, l’alinéa 7d) de la Loi sur les marques de commerce [traduction] « vise à protéger les consommateurs contre les désignations fausses se rapportant à un produit ou service » (Scassa on Trademarks, au para 7.198).

[371] Dans l’arrêt Vapor Canada, le juge en chef Bora Laskin, s’exprimant au nom de la majorité, a souligné le volet de protection du consommateur de l’alinéa 7d) de la Loi sur les marques de commerce et fait observer qu’il « semble prévoir la protection de l’acheteur ou consommateur de marchandises ou services » (Vapor Canada, à la p 148). Il a également fait remarquer que cette disposition concerne « la duperie dans l’offre au public de marchandises ou services, duperie au sens de désignation fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde les caractéristiques, la qualité, la quantité ou la composition des marchandises ou services ou leur origine géographique ou leur mode de fabrication, de production et d’exécution » (Vapor Canada, à la p 148).

[372] Depuis l’arrêt Vapor Canada, des décisions rendues par des cours d’appel ont réaffirmé le volet de protection des consommateurs de la Loi sur les marques de commerce. Dans l’arrêt Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22 [Mattel], la Cour suprême du Canada a déclaré que la Loi sur les marques de commerce appartient au domaine de la protection des consommateurs, en ce sens que les marques sont « une garantie d’origine et, implicitement, [un] gage de la qualité que le consommateur en est venu à associer à une marque de commerce en particulier (comme c’est le cas du personnage mythique du réparateur “Maytag”) » (Mattel, au para 2). Quelques années plus tard, dans l’arrêt BBM Canada c Research in Motion Limited, 2011 CAF 151 [BBM Canada], la Cour d’appel fédérale a énoncé de façon similaire les deux objets de la Loi sur les marques de commerce : protéger les consommateurs et faciliter le choix d’une marque de commerce pour des produits (BBM Canada, au para 28, citant Mattel, aux para 21‑23).

[373] Toutefois, le fait que l’alinéa 7d) vise à protéger l’acheteur ou consommateur de marchandises ou services ne signifie pas ou ne nous permet pas de déduire que la disposition s’applique aux pratiques relatives au prix. La Loi sur les marques de commerce est une loi qui a pour objet de protéger les consommateurs par la protection des marques de commerce et l’interdiction des signes prêtant à confusion (Kirkbi CSC, au para 39). Cette loi ne concerne pas le prix, et le prix n’est pas un élément distinctif au sens de la Loi sur les marques de commerce. Le législateur a plutôt choisi de traiter les questions relatives au prix dans la Loi sur la concurrence, où il a notamment prévu des sanctions pour punir les personnes ayant fait des indications fausses ou trompeuses ou adopté une autre pratique commerciale trompeuse. En d’autres termes, la Loi sur les marques de commerce prévoit des mesures de protection des consommateurs, mais ne comprend aucune mesure ayant trait au prix des biens ou services.

[374] D’abord et avant tout, la Loi sur les marques de commerce « vis[e] la réglementation de l’usage des marques de commerce et prévo[it] un système et des mesures pour en assurer l’enregistrement et la protection » (Vapor Canada, à la p 142). L’économie globale de la Loi sur les marques de commerce vise [traduction] « [l’]interdiction des fausses déclarations au moyen de symboles commerciaux » (Fox on Trademarks, au para 2:15).

[375] Plus précisément, historiquement, l’alinéa 7d) de la Loi sur les marques de commerce découle du délit de commercialisation trompeuse de la common law. La création de ce délit visait à garantir aux consommateurs la qualité des produits auxquels, dans la pratique du commerce, ils en venaient à accorder leur confiance : « [b]ien que la raison d’être de ce délit eût été la protection du public, ce n’est pas le consommateur qui poursuivait, mais bien le propriétaire de la marque qui, ainsi, protégeait le public en même temps que ses propres intérêts » (Pink Panther Beauty Corp c United Artists Corp, 1998 CanLII 9052 (CAF), [1998] 3 CF 534 au para 13). Le délit de commercialisation trompeuse est codifié aux alinéas b) à d) de l’article 7 de la Loi sur les marques de commerce.

[376] Il est évident et manifeste que, pour qu’une réclamation fondée sur la Loi sur les marques de commerce soit accueillie, « on doit alléguer que les actes attaqués découlent de l’emploi de la propriété intellectuelle ou ont une incidence sur celle‑ci » (Zoe International Distributing Inc v Smoke Arsenal Inc, 2024 FC 2087 [Zoe] au para 70, citant CSI Core Specialities Inc c Sonoco Ltd, 2001 CFPI 801 [CSI] au para 9; voir aussi Sa’d c Yew, 2023 CF 1286 au para 30; a contrario, Living Sky Water Solutions c ICF Pty Ltd, 2018 CF 876 [Living Sky Water] aux para 21‑22; LBI Brands Inc v Aquaterra Corporation, 2016 ONSC 3572 aux para 24, 27). Le demandeur doit invoquer des faits substantiels démontrant un lien entre sa réclamation et un droit de propriété intellectuelle identifiable (Zoe, au para 71). En termes simples, il est « impératif de donner des précisions sur les liens existant entre ces actes et la propriété intellectuelle » (Zoe, au para 70, citant CSI, au para 9).

[377] Dans l’arrêt Vapor Canada, la Cour suprême du Canada a invalidé l’alinéa 7e) de la Loi sur les marques de commerce au motif qu’il ne concernait pas le commerce et les marques de commerce ou toute autre forme de propriété intellectuelle assujettie à la compétence législative fédérale : « l’art. 7 comprend des dispositions visant les fins de la loi fédérale dans la mesure où l’on peut les considérer comme un complément des systèmes de réglementation établis par le Parlement dans l’exercice de sa compétence à l’égard des brevets, du droit d’auteur, des marques de commerce et des noms commerciaux » (Vapor Canada, à la p 172).

[378] Dans le même ordre d’idées, la Cour d’appel fédérale a affirmé que « [l]es éléments de la commercialisation trompeuse comportent la tromperie du public par la représentation trompeuse et, dans le cas d’une action fondée sur l’article 7 de la Loi, la représentation trompeuse doit se rapporter à une marque de commerce » [non souligné dans l’original] (WIC TV Amalco Inc c ITV Technologies, Inc, 2005 CAF 96 au para 60, citant Kirkbi AG c Ritvik Holdings Inc, 2003 CAF 297 au para 38, conf par Kirkbi CSC).

[379] Notre Cour a également rendu des décisions allant dans le même sens que les arrêts de la Cour d’appel fédérale.

[380] Dans la décision Energizer Brands CF, le juge Henry Brown a conclu que « selon l’arrêt Vapor, pour déclencher la protection prévue à l’article 7 dans le contexte des marques de commerce, une partie doit établir l’existence de la propriété intellectuelle, comme une marque de commerce, enregistrée ou non » (Energizer Brands CF, au para 76, inf en partie pour d’autres motifs dans Energizer Brands CAF). De même, dans la décision Fluid Energy Group Ltd c Exaltexx Inc, 2020 CF 81 [Fluid Energy], le juge Nicholas McHaffie a confirmé que, selon l’arrêt Vapor Canada, « pour que l’alinéa 7a) soit valide, il doit être interprété comme se rapportant à des déclarations fausses et trompeuses faites au sujet d’une marque de commerce ou d’une autre propriété intellectuelle » (Fluid Energy, au para 48, citant Canadian Copyright Licensing Agency c Bureau en gros ltée, 2008 CF 737 [Bureau en gros] au para 27 et Riello Canada, Inc c Lambert (1986), 9 CPR (3d) 324 (CF 1re inst.) au para 35).

[381] Plus récemment, dans la décision Zoe, notre Cour a conclu que la défenderesse n’avait invoqué dans sa demande reconventionnelle fondée sur l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce aucun fait substantiel démontrant qu’elle détenait un droit de propriété intellectuelle ou que les déclarations fausses ou trompeuses alléguées concernaient l’un de ses droits de propriété intellectuelle (Zoe, au para 71). Ainsi, la juge adjointe Kathleen Ring a conclu que l’absence du lien requis entre les déclarations fausses ou trompeuses alléguées et un droit de propriété intellectuelle excluait l’existence d’une cause d’action valable au titre de l’alinéa 7a), et elle a donc radié la déclaration (Zoe, au para 75).

[382] Avant de parvenir à cette conclusion dans l’affaire Zoe, la juge adjointe Ring a rappelé que, pour être valide, l’alinéa 7a) doit faire l’objet d’une interprétation restrictive qui limite son application aux causes d’action se rapportant à des déclarations fausses et trompeuses faites à propos d’une marque de commerce ou d’un autre droit de propriété intellectuelle du demandeur (Zoe, au para 69, citant Bureau en gros, au para 27, et Vapor Canada, aux pp 172‑173). Vu cette limite constitutionnelle, « on doit alléguer que les actes attaqués découlent de l’emploi de la propriété intellectuelle ou ont une incidence sur celle‑ci »; il s’ensuit qu’« [i]l est […] impératif de donner des précisions sur les liens existant entre ces actes et la propriété intellectuelle » (Zoe, au para 70, citant CSI, au para 9). Un tel lien avec la propriété intellectuelle doit viser expressément des droits de propriété intellectuelle appartenant au demandeur, et non à un tiers (Zoe, aux para 72‑73).

[383] À mon avis, il ressort clairement des décisions Energizer Brands CF, Fluid Energy et Zoe que tout demandeur présentant une réclamation au titre de l’alinéa 7d) de la Loi sur les marques de commerce doit alléguer dans ses actes de procédure un droit de propriété intellectuelle applicable. En résumé, l’alinéa 7d) vise à interdire les désignations fausses ou trompeuses de biens et de services protégés par un droit de propriété intellectuelle, et le demandeur doit donc, conformément à l’interprétation correcte de cette disposition législative, énoncer dans ses actes de procédure des éléments établissant un lien avec le droit de propriété intellectuelle.

[384] En l’espèce, M. Zanin n’a pas soutenu que les indications fausses alléguées concernant le service d’Ooma se rapportent à une marque de commerce ou à un droit de propriété intellectuelle. En effet, dans ses actes de procédure et ses observations, il n’y a aucune allégation concernant des indications fausses ou trompeuses qui auraient été données par Ooma et qui auraient porté atteinte à une marque de commerce ou à un droit de propriété intellectuelle. Comme des décisions ont été respectivement rendues sur un « dossier portant exactement sur la même question, issu de la même juridiction, et démontrant que cette même question a été clairement examinée et rejetée », la demande de M. Zanin au titre de l’alinéa 7d) est vouée à l’échec et n’a aucune chance d’être accueillie (Jacques, au para 35; Arsenault, au para 27; voir aussi Trotman, au para 46).

f) Le terme « personne intéressée » ne vise pas les consommateurs

[385] Le dernier motif qui m’amène à rejeter la réclamation de M. Zanin fondée sur l’alinéa 7d) de la Loi sur les marques de commerce est le fait que M. Zanin n’est pas une « personne intéressée » qui a le droit d’intenter une action aux termes de l’article 53.2 de cette loi.

[386] Voici la définition du terme « person interested » dans la version en anglaise (« personne intéressée » dans la version française) figurant à l’article 2 de la Loi sur les marques de commerce : « [s]ont assimilés à une personne intéressée le procureur général du Canada et quiconque est atteint ou a des motifs valables d’appréhender qu’il sera atteint par une inscription dans le registre, ou par tout acte ou omission, ou tout acte ou omission projeté, sous le régime ou à l’encontre de la [Loi sur les marques de commerce] ». Le terme « interested person » figurant dans la version anglaise de l’article 53.2 (« personne intéressée » dans la version française) correspond à « person interested » défini à l’article 2 (Victoria’s Secret Stores Brand Management, Inc c Thomas Pink Limited, 2014 CF 76 [Victoria’s Secret] au para 19). Par conséquent, l’article 53.2 « doit recevoir une interprétation large, de manière à ce qu’il s’applique à tout acte ou omission d’un tiers pouvant être visé par la [Loi sur les marques de commerce] » (Victoria’s Secret, au para 21).

[387] Pour savoir qui est une « personne intéressée », le tribunal doit s’intéresser aux faits propres à l’affaire dont il est saisi et effectuer une analyse cas par cas. Le critère auquel le demandeur doit satisfaire pour être considéré comme une « personne intéressée » est peu exigeant (Victoria’s Secret, au para 28; McCallum Industries Limited c HJ Heinz Company Australia Ltd, 2011 CF 1216 [McCallum] au para 28; Fairmont Resort Properties Ltd c Fairmont Hotel Management, LP, 2008 CF 876 [Fairmont Resort] au para 57). Il s’agit d’un critère minimal qui est justifié pour faire échec aux demandes abusives, et il n’est pas nécessaire que le demandeur « prouve des “dommages importants et graves” ni qu’il soit un concurrent du propriétaire de la marque de commerce. Il doit toutefois appartenir au même domaine d’activités commerciales » [renvoi omis, non souligné dans l’original] (Unitel Communications Inc v Bell Canada, [1995] ACF no 613 (QL) au para 27; voir aussi Travel Leaders Group, LLC c 2042923 Ontario Inc (Travel Leaders), 2023 CF 319 [Travel Leaders] au para 57; Beijing Jingdong 360 du E‑commerce Ltd c Zhang, 2019 CF 1293 [Beijing Jingdong] au para 11; CIBC World Markets Inc c Stenner Financial Services Ltd, 2010 CF 397 aux para 19‑20).

[388] Notre Cour a récemment apporté des précisions sur les types de personnes ayant qualité pour agir à titre de « personne intéressée ». Dans la décision Travel Leaders, la juge Elizabeth Walker (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) a déclaré que « [l]e terme “personne intéressée” doit recevoir une interprétation large et vise les parties dont les droits peuvent être restreints par l’enregistrement d’une marque ou qui craignent raisonnablement un préjudice, ou dont les activités commerciales risquent d’être gênées par l’enregistrement d’une marque » (Travel Leaders, au para 57, citant Beijing Jingdong, aux para 11‑13, TLG Canada Corp c Product Source International LLC, 2014 CF 924 aux para 3839 et Apotex Inc c Canada (Registraire des marques de commerce), 2010 CF 291 [Apotex CF] au para 7).

[389] La Cour n’a connaissance d’aucun précédent dans lequel il aurait été reconnu un droit d’intenter une action au titre de la Loi sur les marques de commerce à un consommateur qui ne s’appuie pas sur un droit de propriété intellectuelle, et les parties n’en ont pas cité. Cependant, là encore, il est évident et manifeste que la Loi sur les marques de commerce ne saurait appuyer une telle interprétation.

[390] Ce n’est pas parce que la Loi sur les marques de commerce offre une certaine protection aux consommateurs qu’elle leur confère un droit d’action direct. Contrairement aux lois provinciales en matière de protection des consommateurs ou à la Loi sur la concurrence, la Loi sur les marques de commerce ne donne pas directement de recours aux consommateurs. Comme je le mentionne plus haut et plus bas, plusieurs précédents de la Cour établissent clairement qu’une personne doit se fonder sur une marque de commerce ou un droit de propriété intellectuelle pour avoir un recours au titre de la Loi sur les marques de commerce.

[391] Dans l’affaire Fairmont Resort, la demanderesse exploitait des centres de villégiature constitués de logements en copropriété à temps partagé et la défenderesse, des hôtels, toutes les deux sous le nom de « Fairmont ». La demanderesse a cherché à faire radier certains des enregistrements de la défenderesse figurant dans le registre des marques de commerce, mais ce n’est que presque cinq ans après la date auxquels ces enregistrements ont été faits qu’elle a présenté sa demande. Après cinq ans, les enregistrements deviennent « incontestable[s] » dans de nombreuses situations, comme le prévoit l’article 11.19 de la Loi sur les marques de commerce. Le juge Frederick Gibson a conclu qu’en dépit du fait que le critère soit peu élevé, la demanderesse n’était pas une « personne intéressée » visée à l’article 57 de la Loi sur les marques de commerce parce qu’elle n’avait pas de motifs valables d’appréhender un préjudice et qu’elle avait attendu près de cinq ans avant d’introduire son instance en radiation (Fairmont Resort, aux para 54‑56).

[392] Dans l’affaire Apotex CF, les demanderesses, des fabricantes de médicaments génériques, souhaitaient commercialiser des inhalateurs de produits pharmaceutiques présentant une association de couleurs semblables à celle d’une marque de commerce déposée appartenant à la défenderesse. Le juge Robert Barnes a conclu que les demanderesses avaient la qualité de « personnes intéressées » visées à l’article 57 de la Loi sur les marques de commerce, car la marque de commerce de la défenderesse restreignait leur intérêt dans la commercialisation de produits très semblables (Apotex CF, au para 7).

[393] Dans la décision Beijing Jingdong, le juge Brown a jugé que la demanderesse répondait à la définition de la « personne intéressée » visée à l’article 57 de la Loi sur les marques de commerce, car l’Office de la propriété intellectuelle du Canada était d’avis que la marque de la demanderesse créait de la confusion avec la marque de la défenderesse et que la marque de cette dernière faisait obstacle aux demandes d’enregistrement de marque de commerce en instance déposées par la demanderesse (Beijing Jingdong, aux para 12, 13).

[394] Dans la décision McCallum, le juge Yvon Pinard a jugé que la demanderesse n’avait pas la qualité de « personne intéressée » visée à l’article 57 de la Loi sur les marques de commerce parce qu’elle n’avait pas démontré qu’elle avait des motifs raisonnables de craindre de subir un préjudice en raison de l’inscription de la marque dans le registre des marques de commerce (McCallum, aux para 26, 27). Rien n’indiquait que l’enregistrement de la marque de la défenderesse constituait un obstacle pour la demanderesse, qu’il y avait eu confusion entre la marque de la demanderesse et celle de la défenderesse ni que la demanderesse avait subi un quelconque préjudice (McCallum, au para 24). En outre, l’attente de près de cinq ans avant que la demanderesse introduise la procédure en radiation a été jugé « incompatible avec la conduite d’une partie qui se perçoit comme une “personne atteinte” ou qui a des motifs raisonnables d’appréhender qu’elle sera atteinte par l’inscription de la marque de commerce [de la défenderesse] dans le registre » (McCallum, au para 25).

[395] En somme, l’article 53.2 de la Loi sur les marques ne reconnaît pas de droit d’action au consommateur sur qui une déclaration fausse ou trompeuse visée par cette disposition a une incidence lorsqu’aucune marque de commerce ni aucun droit de propriété intellectuelle n’est en cause. Il limite ce droit aux personnes intéressées détentrices d’une marque de commerce ou titulaires d’un droit de propriété intellectuelle. En l’espèce, comme M. Zanin ne revendique pas de marque de commerce ni de droit de propriété intellectuelle, il est évident et manifeste que l’article 53.2, interprété correctement, le prive de toute possibilité de se voir accorder la qualité de « personne intéressée » au sens de cette disposition.

g) Conclusion sur l’alinéa 7d) de la Loi sur les marques de commerce

[396] Pour les motifs exposés ci‑dessus, les allégations formulées dans la déclaration concernant une cause d’action fondée sur l’alinéa 7d) de la Loi sur les marques de commerce ne sont pas appuyées par des faits substantiels et n’ont pas de fondement juridique. Les affirmations de M. Zanin concernant les indications de prix trompeuses qu’aurait données Ooma n’ont absolument rien à voir avec Loi sur les marques de commerce.

[397] Il est évident et manifeste, dans l’hypothèse où les faits allégués seraient avérés, que les demandes présentées par M. Zanin en vertu de la Loi sur les marques de commerce n’ont aucune chance raisonnable de succès et qu’elles sont vouées à l’échec. Il s’agit d’une situation où aucune interprétation raisonnable ou plausible de l’alinéa 7d) et de l’article 53.2 de la Loi sur les marques de commerce ne pourrait fonder la cause d’action formulée par M. Zanin.

3) Deuxième cause d’action : l’article 54 de la Loi sur la concurrence

[398] Comme deuxième cause d’action, M. Zanin soutient qu’en fournissant son service aux membres du groupe, dont lui‑même, Ooma a initialement indiqué un premier prix par la mention « GRATUIT ou 0 $ », puis un deuxième prix, final, qui était supérieur au premier, comprenant les frais et les taxes connexes applicables. Selon M. Zanin, Ooma a ainsi facturé aux membres du groupe le plus élevé des deux prix affichés, en contravention de l’article 54 de la Loi sur la concurrence. L’article 54 érige en infraction criminelle le fait pour un commerçant d’indiquer deux prix ou plus à un client au moment de l’achat et de facturer le prix le plus élevé. M. Zanin est d’avis que cette violation de l’article 54 rend Ooma responsable, aux termes de l’article 36 de la Loi sur la concurrence, de dommages‑intérêts équivalant à la différence entre les deux prix ainsi que des coûts d’enquête.

[399] Dans sa déclaration, M. Zanin allègue ce qui suit à l’alinéa 31b) : [traduction] « Les défenderesses ont indiqué aux membres du groupe que le service de téléphonie résidentielle de base était gratuit ou coûtait 0 $. Cette information figurait sur l’emballage de l’appareil Telo d’Ooma et dans les documents de marketing concernant cet appareil, et était indiquée lors de l’abonnement au service de téléphonie résidentielle de base et dans chacune des factures mensuelles pour les frais et les taxes. » Ceci tend donc à indiquer qu’Ooma a exprimé un premier prix, à savoir « GRATUIT ou 0 $ », à divers endroits.

[400] Ensuite, à l’alinéa 31d) de la déclaration, M. Zanin allègue ce qui suit : [traduction] « Les factures mensuelles produites par les défenderesses indiquent clairement que le coût du service de téléphonie résidentielle de base est nul, mais les défenderesses facturent ensuite aux membres du groupe les frais et les taxes. » Autrement dit, il affirme que le deuxième prix, supérieur au premier, figure sur les factures mensuelles. Il n’affirme pas que le deuxième prix allégué est indiqué ailleurs.

[401] Aux paragraphes 43 et 44 de la déclaration, M. Zanin répète qu’Ooma a exprimé un premier prix, « 0 $ » ou « gratuit », des manières décrites au paragraphe 24, soit [traduction] « a. sur l’emballage des appareils Telo d’Ooma; b. sur son site Web canadien; c. dans les renseignements figurant sur les factures mensuelles destinées aux membres du groupe; d. au cours du processus d’abonnement au service de téléphonie résidentielle de base; e. sur ses pages des médias sociaux ». En outre, il répète que le deuxième prix équivalant aux frais et aux taxes connexes applicables est exprimé sur les factures mensuelles.

[402] Ooma répond que la déclaration de M. Zanin ne révèle pas de cause d’action valable, car l’article 54 de la Loi sur la concurrence ne peut pas s’appliquer aux faits invoqués.

[403] Après avoir examiné les actes de procédure, je ne suis pas convaincu par les arguments de M. Zanin et je conclus plutôt que la déclaration est loin de contenir les principaux éléments constitutifs d’une cause d’action valable au titre de l’article 36 de la Loi sur la concurrence pour une violation de l’article 54. Même si les faits allégués dans les actes de procédure et dans les documents incorporés par renvoi étaient tenus pour avérés, il est évident et manifeste que la demande de M. Zanin fondée sur l’allégation de « double étiquetage » est vouée à l’échec.

[404] Certes, la revendication formulée par M. Zanin au titre de l’article 54 de la Loi sur la concurrence pourrait peut-être être qualifiée d’inédite. Toutefois, je suis d’avis que les faits substantiels invoqués par M. Zanin ne peuvent correspondre à l’infraction criminelle visée à l’article 54. M. Zanin propose une interprétation erronée et absurde de la disposition selon laquelle il serait interdit de segmenter les prix et, criminel d’envoyer aux clients des factures mensuelles contenant des renseignements plus détaillés sur les prix. La cause d’action de M. Zanin fondée sur l’article 54 est manifestement erronée et frivole, et elle n’a aucune chance de succès. La Cour doit la rejeter dès l’étape de l’autorisation afin d’éviter un gaspillage de ressources judiciaires.

a) La structure de la Loi sur la concurrence

[405] La Loi sur la concurrence est une loi fédérale d’application générale qui vise les comportements commerciaux anticoncurrentiels au Canada. Comme la plupart des régimes de droit de la concurrence ou de droit antitrust existant dans le monde, elle traite de trois grands sujets : le comportement coordonné de concurrents, le comportement unilatéral d’entreprises ayant un pouvoir de marché, et les fusionnements. Elle traite également de pratiques « susceptibles d’examen » ainsi que d’une variété de pratiques commerciales trompeuses, comme la publicité mensongère ou le double étiquetage (Jensen CF, au para 89). À cet égard, la Loi sur la concurrence et les lois provinciales en matière de protection des consommateurs se recoupent.

[406] La Loi sur la concurrence adopte une approche à deux volets à l’égard des comportements anticoncurrentiels. D’une part, certains types de comportements sont considérés comme suffisamment graves pour la concurrence pour justifier des sanctions criminelles. D’autre part, d’autres types de comportements qui sont considérés uniquement comme étant potentiellement anticoncurrentiels ne sont pas traités comme des crimes. Ils sont plutôt assujettis à un examen civil et pourraient faire l’objet d’une interdiction prospective une fois qu’il a été établi que le comportement contesté a eu ou a des effets anticoncurrentiels, ou est susceptible d’en avoir (Jensen CF, au para 90).

[407] L’article 36 de la Loi sur la concurrence confère un droit d’action privée à toute personne qui a subi des pertes ou des dommages par suite d’un comportement contrevenant à l’une des dispositions criminelles de la Loi sur la concurrence ou par suite d’un défaut de se conformer à une ordonnance du Tribunal de la concurrence ou d’un autre tribunal rendue en vertu de la Loi sur la concurrence. En revanche, un comportement anticoncurrentiel qui ne relève pas du droit criminel, même s’il a de graves effets anticoncurrentiels, ne donne pas lieu à un recours en dommages‑intérêts par des demandeurs privés (Jensen CF, au para 91).

[408] Pour établir le bien‑fondé d’une demande présentée en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur la concurrence, le demandeur doit faire valoir que le défendeur a contrevenu à une disposition de la partie VI de cette même loi (qui porte sur les « [i]nfractions relatives à la concurrence ») et qu’il a subi une perte ou des dommages du fait du comportement criminel reproché. Le droit d’intenter une action en dommages‑intérêts et de demander le recouvrement de certains frais d’enquête est assujetti à certaines limites importantes, y compris une limite quant aux dommages‑intérêts compensatoires ‑ c.-à-d. pas de dommages‑intérêts punitifs ni de mesures injonctives ‑ (Jensen CF, au para 93).

[409] L’article 36 est la disposition créant les causes d’action de M. Zanin fondées sur la Loi sur la concurrence (Godfrey, au para 76; Amway, aux para 83‑85; Singer v Shering‑Plough Canada Inc, 2010 ONSC 42 aux para 107, 108). Pour avoir gain de cause, M. Zanin doit démontrer ce qui suit : i) la faute qu’aurait commise Ooma comporte tous les éléments constitutifs de l’infraction criminelle sous‑jacente (en l’espèce, l’article 54 ou l’article 52); ii) il a subi des pertes ou des dommages; iii) les pertes ou les dommages résultent de la violation de la disposition prévoyant l’infraction criminelle (voir par exemple : Jensen CF, au para 94; Airbnb, au para 69).

b) Les éléments de l’article 54

[410] L’article 54 de la Loi sur la concurrence crée l’infraction criminelle de « double étiquetage », qui fait partie des infractions relatives aux pratiques commerciales trompeuses visées à la partie VI de cette loi. Les éléments constitutifs de l’infraction prévue à l’article 54 sont les suivants : i) la fourniture d’un produit par une personne; ii) à un prix qui dépasse le plus bas de deux ou plusieurs prix; iii) les deux prix ont été clairement exprimés sur le produit, sur quelque chose qui est fixé au produit ou qui y est joint, ou dans un étalage ou la réclame d’un point de vente; iv) les deux prix sont exprimés au moment où le produit est fourni.Seules ces exigences s’appliquent (Airbnb, au para 36). Cette disposition vise essentiellement à empêcher l’affichage de deux prix sur un même produit.

[411] Le libellé de l’article 54 indique clairement que cette disposition porte strictement sur la conduite du fournisseur, plus précisément sur ce que le fournisseur exprime et le prix auquel le produit est fourni. Elle ne s’applique qu’aux situations où des prix différents sont exprimés à l’égard du même produit, fourni en quantité identique et au même moment (Airbnb, au para 36; voir également : Bergen v WestJet Airlines Ltd, 2021 BCSC 12 au para 24 [Bergen], conf par Trotman). Aux termes du paragraphe 2(1) de la Loi sur la concurrence, un « article » et un « service » sont assimilés à un produit, de sorte que l’article 54 peut s’appliquer aux deux. Les termes « fournir » et « approvisionner » ont également un sens large. Relativement à un service, ils sont définis au paragraphe 2(1) de la Loi sur la concurrence de la façon suivante : « vendre, louer ou autrement fournir un service ou offrir de le faire ».

[412] L’article 54 crée donc une infraction de responsabilité stricte, selon laquelle la facturation d’un prix supérieur au prix le plus bas de deux ou plusieurs prix exprimés constitue une violation de la Loi sur la concurrence. Cette disposition dit directement que, si le fournisseur exprime deux prix pour un produit, il ne peut pas facturer le prix le plus élevé. On peut soutenir qu’un tel énoncé suppose que l’acheteur a le droit de profiter du prix le plus bas (Airbnb, au para 80).

[413] J’ouvre une parenthèse pour faire remarquer que l’infraction de « double étiquetage » est entrée en vigueur au même moment que l’infraction criminelle de « vente au‑dessus du prix annoncé », qui se trouvait dans une disposition distincte qui interdisait la fourniture d’un produit à un prix supérieur au prix annoncé. Cette disposition criminelle a été abrogée en 1999 et remplacée par celle visant la conduite susceptible d’examen au civil, la « vente au‑dessus du prix annoncé », qui figure à l’article 74.05 de la Loi sur la concurrence (Airbnb, au para 37).

[414] Même si la disposition relative au double étiquetage fait partie de la Loi sur la concurrence et des lois qui l’ont précédée depuis près de 50 ans, la jurisprudence sur cette disposition est limitée.

[415] Dans l’affaire The Consumers’ Association of Canada et al. v Coca‑Cola Bottling Company et al., 2006 BCSC 863 [Coca‑Cola], conf par 2007 BCCA 356, les frais de recyclage pour les boissons en bouteille étaient exclus du prix affiché sur l’étagère pour ces produits, mais étaient ajoutés à la caisse et facturés au consommateur dans le prix final. La Cour suprême de la Colombie‑Britannique a conclu que l’imposition de frais de recyclage pour les boissons en bouteille dans le prix final facturé aux consommateurs ne contrevenait pas à la disposition sur le [traduction] « double étiquetage, en dépit du fait que ces frais n’étaient pas inclus dans le prix affiché sur l’étagère » (Coca‑Cola, au para 69 et 93).

[416] Dans la décision Airbnb, j’ai conclu qu’il n’était pas évident et manifeste qu’Airbnb ne s’était pas livrée à un double étiquetage en ajoutant des « frais de service » au prix final qu’elle exige pour ses services de réservation d’hébergements (Airbnb, au para 60).

[417] Dans la décision Bergen, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a conclu que, comme WestJet facturait des frais de bagages alors que ses propres tarifs indiquaient que des frais de ce type ne seraient pas facturés pour le premier bagage enregistré, il était possible de soutenir qu’elle exprimait clairement deux prix au moment de la fourniture du service, soit [traduction] « au cours de la période allant du moment où la réservation était faite au moment où le voyage était fait » (Bergen, au para 42). En appel, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a confirmé que les allégations de la demanderesse sur l’article 54 de la Loi sur la concurrence n’étaient pas vouées à l’échec et qu’il n’était pas évident et manifeste que la manière d’exprimer les deux prix n’était pas visée par la disposition (Trotman, au para 47). Elle a reconnu que, dans cette affaire, [traduction] « les allégations, si elles [étaient] interprétées libéralement, [pouvaient] être considérées comme comprenant une affirmation selon laquelle le deuxième prix [était] exprimé dans les tarifs » et que les prix étaient exprimés « “immédiatement avant le paiement” au moyen de l’affichage au point de vente » (Trotman, au para 49).

[418] En l’espèce, je ne suis pas convaincu que M. Zanin ait invoqué tous les éléments requis de l’infraction prévue à l’article 54, à savoir qu’il existait un premier et un deuxième prix pour le service, que le service a été fourni au prix le plus élevé des deux, et qu’Ooma a clairement exprimé les prix au moment de la fourniture du service et au point de vente. Même si les faits invoqués sont tenus pour avérés et interprétés de façon libérale, le contexte factuel de la présente affaire n’appuie pas une cause d’action au titre des articles 36 et 54 de la Loi sur la concurrence. Segmenter ou détailler des prix sur la facture d’un client ne sont pas des comportements criminels.

[419] Contrairement à ce qu’allègue M. Zanin, la présente affaire est très différente de l’affaire Airbnb, le seul autre précédent de notre Cour concernant l’article 54 de la Loi sur la concurrence.

[420] Je constate que M. Zanin n’a pas expressément invoqué l’élément de l’intention coupable de l’infraction criminelle visée à l’article 54. Le bon sens veut que certains éléments requis d’une cause d’action, comme l’intention coupable, puissent toutefois être implicites dans les faits allégués, et il n’est pas toujours nécessaire qu’ils soient expressément mentionnés (Airbnb, au para 55, renvoyant à Watson v Bank of America Corporation, 2015 BCCA 532 au para 101; voir également : Pass Herald Ltd c Google LLC, 2024 CF 1623 au para 154 [Pass Herald]). En l’espèce, je n’ai pas besoin d’examiner si l’élément moral requis de la conduite d’Ooma est implicite dans les allégations de M. Zanin, car Ooma n’a soulevé aucune objection sur ce point et la cause d’action de M. Zanin n’est pas valable pour d’autres motifs.

[421] Dans le même ordre d’idées, compte tenu de mes conclusions selon lesquelles Ooma n’exprime pas clairement un premier et un deuxième prix au moment de la fourniture du service, je n’ai pas à examiner la question du lien de causalité ni celle de savoir si M. Zanin a adéquatement fait valoir que les dommages‑intérêts qu’il réclame, équivalant aux frais et aux taxes connexes applicables, découlent d’une violation de l’article 54.

c) Ooma n’a pas clairement exprimé un premier et un deuxième prix

[422] En substance, M. Zanin fait valoir qu’Ooma offre le service à un premier prix, exprimé par la mention « GRATUIT ou 0 $ », et qu’elle facture ensuite un deuxième prix, équivalant aux frais et aux taxes connexes applicables, qui est supérieur au premier prix.

[423] Malheureusement, je suis d’avis que les faits substantiels allégués par M. Zanin n’appuient pas cette position. Ooma n’exprime tout simplement pas clairement un premier et un deuxième prix pour le service.

[424] À l’alinéa 31b) de la déclaration, M. Zanin allègue qu’Ooma a exprimé un premier prix, à savoir « gratuit ou 0 $ », sur son emballage et ses documents de marketing, au moment de l’abonnement au service et au moment de l’établissement des factures mensuelles. Il déclare ensuite, au paragraphe 43, que le [traduction] « prix de 0 $ ou gratuit » pour le service est le premier prix visé par sa cause d’action fondée sur l’article 54 et que ce prix est exprimé des diverses manières décrites au paragraphe 24. Dans son acte de procédure, M. Zanin affirme donc qu’il existe un premier prix, à savoir « GRATUIT ou 0 $ », qu’Ooma a exprimé à différents endroits dans des documents promotionnels et publicitaires ainsi que sur ses factures.

[425] Ces affirmations sont manifestement fausses. Les documents d’Ooma sont considérés comme faisant partie des actes de procédure et y sont incorporés par renvoi, car ils font évidemment partie intégrante de la demande de M. Zanin et de sa matrice factuelle (Jensen CAF, à l’alinéa 52c), confirmant Jensen CF, aux para 85, 87). Il est manifeste qu’en mentionnant les différents moyens par lesquels Ooma aurait indiqué ses prix, M. Zanin présente le contenu des documents comme étant des faits. Toutefois, comme je le mentionne à la section III.A des présents motifs, les allégations selon lesquelles Ooma a proposé un premier prix, à savoir « GRATUIT ou 0 $ », sont inexactes. Il ressort de la simple lecture des allégations contenues dans la déclaration qu’elles sont totalement incompatibles avec les documents dont, selon ce qui est indiqué, elles seraient tirées, car elles constituent un résumé tronqué et incomplet des indications de prix d’Ooma. Lorsque le contenu des documents mentionnés dans les actes de procédure ne correspond pas réellement aux allégations du demandeur, la Cour ne peut pas considérer l’objet de ces allégations comme des faits substantiels, car de telles allégations ne pourraient être prouvées (Jensen CF, au para 86).

[426] En l’espèce, Ooma n’a jamais exprimé un premier prix en indiquant « GRATUIT ou 0 $ » sans rien ajouter. L’indication du prix est toujours suivie d’une mention des frais et des taxes connexes applicables. En aucun cas un premier prix de 0 $ n’est exprimé sans être immédiatement suivi de la mention des frais mensuels et des taxes connexes applicables. D’ailleurs, M. Zanin a été incapable de présenter une situation, un document, une indication ou une publicité où Ooma aurait exprimé un premier prix qui se limitait seulement à la mention de 0 $ ou de [traduction] « gratuit ».

[427] En bref, le « premier prix » allégué par M. Zanin n’existe tout simplement pas.

[428] En ce qui concerne le deuxième prix, M. Zanin allègue, à l’alinéa 31d) et au paragraphe 44 de la déclaration, qu’Ooma exprime un deuxième prix, équivalant aux frais et aux taxes associées applicables, sur les factures mensuelles envoyées à ses clients. Dans ses observations écrites, M. Zanin affirme que les factures mensuelles sont [traduction] « le support sur lequel figure le prix le plus élevé » (mémoire des faits et du droit, à la note de bas de p 105). En fait, M. Zanin affirme que les factures mensuelles d’Ooma constituent [traduction] « le nœud de l’allégation de double étiquetage » (mémoire des faits et du droit, au para 71).

[429] M. Zanin va même jusqu’à affirmer qu’il [traduction] « a limité la réclamation fondée sur [l’article] 54 aux factures mensuelles envoyées aux clients » (mémoire des faits et du droit déposé en réponse, au para 76). Il soutient donc que, quoi qu’il en soit, Ooma a exprimé les deux prix allégués dans ses factures mensuelles.

[430] À mon avis, il ne s’agit toutefois pas d’un cas de double étiquetage.

[431] Les factures mensuelles d’Ooma indiquent, pour le « service téléphonique de base », un « sous‑total » de « 0 $ », somme à laquelle s’ajoutent des taxes et des frais, tels que les « frais de service 911 » et les « frais de conformité à la réglementation », et un « total » qui comprend l’ensemble de ces taxes et de ces frais (dossier de requête conjoint, à la p 920). Selon les renseignements se trouvant sur les factures, le « sous‑total » du prix du « service téléphonique de base » est de « 0 $ », somme à laquelle s’ajoutent des taxes et des frais qui portent le prix total à entre 5 et 6 $.

[432] À première vue, le prix total du service figure à un unique endroit sur les factures mensuelles, qui détaillent les divers éléments du prix et indiquent on ne peut plus clairement les sous‑totaux et le total. Il ne s’agit pas d’un cas de double étiquetage, mais plutôt de simple étiquetage, où les renseignements relatifs au prix pour un seul produit sont détaillés et où le prix total et les sommes qui le composent figurent clairement sur la facture mensuelle. Les éléments qui composent le prix facturé par Ooma sont exprimés une seule fois sur une même facture, et non à différents endroits ou à différentes étapes du processus de vente et d’achat. Je suis d’avis que, selon une interprétation plausible et raisonnable, il ne peut s’agir d’un double étiquetage au sens de l’article 54 de la Loi sur la concurrence.

[433] De surcroît, les factures mensuelles d’Ooma ne sont même pas une indication de prix partiel, car Ooma n’ajoute pas d’éléments au cours du processus de vente. Les factures ne sont aucunement partielles. Le prix n’est pas communiqué au client progressivement, mais une seule fois sur une seule page, à savoir la facture mensuelle elle‑même où figurent tous les éléments du prix total final.

[434] En bref, étant donné que la demande de M. Zanin présentée au titre de l’article 54 de la Loi sur la concurrence se limite, comme le dit M. Zanin, aux factures mensuelles, ses allégations et ses documents ne démontrent pas l’existence d’un premier prix distinct d’un deuxième prix. Les éléments du prix du service d’Ooma sont tous exprimés sur les factures mensuelles, qui font état d’un sous‑total de 0 $ et d’un total qui est le prix final facturé aux clients. Segmenter ainsi le prix d’un fournisseur ou détailler le prix à un client ne sont clairement pas des comportements criminels visés à l’article 54 et ne confèrent donc pas un droit d’action en vertu de l’article 36.

[435] Même si tous les faits invoqués par M. Zanin étaient vrais, il n’y aurait pas violation de l’article 54. Il ne s’agit pas d’une situation où deux prix différents sont clairement exprimés pour un même produit et où le deuxième prix annoncé est plus élevé que le premier. À toutes les étapes pertinentes, Ooma a indiqué un seul et même prix. La différence entre les indications sur les documents promotionnels et publicitaires et les factures mensuelles d’Ooma réside dans le fait que ces dernières indiquent le montant exact des frais et des taxes connexes applicables.

[436] Il est évident et manifeste que les moyens utilisés par M. Zanin pour faire valoir que deux prix ont été clairement exprimés ne peuvent satisfaire aux exigences de l’article 54. Même selon l’interprétation la plus libérale possible, les allégations ne font pas état de faits substantiels permettant à la Cour de conclure qu’Ooma a exprimé deux prix. En effet, le fait de se montrer libéral à l’égard des actes de procédure ne veut pas dire que la Cour peut faire preuve d’aveuglement concernant ce qu’ils contiennent ou ne contiennent pas (Jensen CF, au para 164, conf par Jensen CAF, au para 69).

[437] J’admets qu’il n’existe pas de jurisprudence contraignante portant précisément sur ce point qui démontre que cette même question a été examinée et rejetée (Airbnb, au para 59, renvoyant à Arsenault, au para 27). Cela dit, je rappelle à nouveau que la Cour d’appel fédérale a récemment précisé que l’absence de précédent sur un point donné ne signifie pas nécessairement qu’une cause d’action a une chance raisonnable d’être accueillie (Mohr, au para 53). Lorsque l’exercice d’interprétation est si simple qu’il est évident et manifeste qu’une demande serait rejetée même en l’absence d’un précédent, la Cour doit exercer son rôle de gardien et conclure à l’absence de cause d’action valable (Trotman, au para 46; voir également : Mohr, aux para 53, 54). C’est le cas en l’espèce, et il en va de même de l’interprétation que fait M. Zanin du sous‑alinéa 7d)i) de la Loi sur les marques de commerce selon laquelle la disposition viserait également le prix.

[438] L’interprétation de l’article 54 de la Loi sur la concurrence proposée par M. Zanin ne peut être étayée par aucun fait substantiel ni par le libellé de l’article 54. Les faits allégués par M. Zanin sont totalement incompatibles avec les éléments expressément exigés pour qu’il y ait infraction de double étiquetage, car Ooma n’a pas affiché un premier prix distinct d’un deuxième prix. La cause d’action n’est pas établie lorsque les allégations dans la déclaration ne renvoient pas adéquatement à tous les éléments constitutifs d’une cause d’action reconnue (Jensen CF, au para 73; Fernandez, au para 8). Comme son nom l’indique, l’infraction de double étiquetage vise à empêcher l’affichage de deux prix sur un même produit (Airbnb, au para 38). Dans l’ensemble de ses documents publicitaires et promotionnels et de son processus de vente, Ooma exprime toujours un seul prix composé de divers éléments, jamais deux prix.

d) Ooma n’a pas indiqué deux prix au moment de la fourniture

[439] En outre, si je devais admettre qu’Ooma a exprimé un premier et un deuxième prix sur les factures mensuelles, il demeure qu’il est évident et manifeste qu’ils ne sont pas exprimés au moment de la fourniture du produit. Une facture mensuelle n’est pas un étalage d’un point de vente.

[440] L’article 54 de la Loi sur la concurrence sanctionne une forme de pratiques commerciales trompeuses en interdisant la communication aux clients de renseignements inexacts sur les prix. Il vise l’acte de « fournir » un produit « au moment où il [est fourni] ». Il précise également qu’il vise exclusivement les prix clairement exprimés « a) soit sur le produit ou sur son emballage; b) soit sur quelque chose qui est fixé au produit, à son emballage ou à quelque chose qui sert de support au produit pour l’étalage ou la vente, ou sur quelque chose qui y est inséré ou joint; c) soit dans un étalage ou la réclame d’un magasin ou d’un autre point de vente.»

[441] Il est évident et manifeste que cette disposition criminelle vise l’affichage de prix avant l’achat et la vente du produit. Les deux prix contradictoires doivent être exprimés à l’intention du client au moment de la fourniture du produit, avant que le client ne fasse son choix définitif d’acheter ou non le produit. Cette exigence temporelle est une [traduction] « exigence essentielle » de l’article 54 (Bergen, au para 44, conf par Trotman, au para 3; voir également Airbnb, au para 36).

[442] Cependant, une facture n’est pas un étalage ou une réclame d’un bien ou d’un service, n’est pas produite au moment de la fourniture du produit, et n’est émise qu’après l’achat et la vente du produit, ce qui est confirmé par l’utilisation du passé dans la définition du terme « facture » employé dans un contexte commercial : [traduction] « Pièce comptable indiquant le détail du coût des marchandises qui ont été vendues ou des services qui ont été exécutés » (an itemized account of the separate cost of goods sold, services performed, or work done) [non souligné dans l’original] (Merriam-Webster Dictionary, « bill » (Facture) (consulté le 4 janvier 2025) : <https://www. merriam-webster.com/dictionary/bill >).

[443] M. Zanin allègue qu’il reçoit les factures mensuelles et qu’il est facturé au moment ou au cours de la période où le service lui est offert par Ooma. Malheureusement, je ne suis pas d’accord. Je ne suis pas convaincu, contrairement à ce que prétend M. Zanin, que la facture accompagne le service et que le service est fourni chaque mois dans le cadre de la facturation. Cette affirmation n’est pas étayée par les faits substantiels invoqués par M. Zanin.

[444] M. Zanin a acheté l’appareil Telo le 30 décembre 2019 et a activé son compte le 9 janvier 2020. Une première facture mensuelle a ensuite été émise le 11 janvier 2020, et M. Zanin en a pris connaissance lorsqu’il a consulté son compte de carte de crédit. Au vu des allégations présentées, aucun [traduction] « deuxième prix » ne lui a été communiqué au moment où il a acheté le service.

[445] Les factures mensuelles d’Ooma sont émises après la vente du service. Elles ne figuraient pas dans un étalage au moment de la vente. Elles peuvent être émises de manière continue au cours de l’exécution du contrat, mais il est clair qu’elles ont été émises après la décision de M. Zanin – ou de tout autre client d’Ooma – d’acheter le service.

[446] Il n’y a pas d’ambiguïté en l’espèce et le comportement décrit par M. Zanin dans sa déclaration n’est aucunement visé par l’article 54. Segmenter un prix total ou même indiquer deux prix sur une facture mensuelle ne revient pas à exprimer deux prix avant l’achat du service. Il ne s’agit pas d’une situation semblable à celle qui est en cause dans la décision Bergen, où la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a jugé qu’en raison de la nature particulière des prix affichés par WestJet, il n’était pas, de façon évidente et manifeste, erroné de soutenir qu’ils avaient été exprimés de manière continue entre le moment de la réservation et celui du voyage, c’est‑à‑dire avant le moment où le client avait commencé à utiliser le service de voyage (Bergen, au para 42). Dans cette affaire, le tribunal a conclu que la demanderesse pouvait, en s’appuyant sur des éléments de preuve relatifs aux prix et aux mesures prises par WestJet pour les publier et en informer les passagers, établir que les prix avaient été clairement exprimés au moment de la réservation et du voyage.

[447] Ce que M. Zanin décrit et dont il se plaint dans sa déclaration n’est tout simplement pas du double étiquetage. L’indication ou la facturation d’un prix plus élevé sur une facture fournie à un client après l’achat d’un service pourrait peut‑être constituer une vente au‑dessus du prix annoncé, objet de l’article 74.05 de la Loi sur la concurrence, laquelle est maintenant une disposition civile qui n’ouvre pas droit à une demande de recouvrement de dommages‑intérêts en vertu de l’article 36. Toutefois, il ne fait aucun doute qu’une telle indication ou facturation ne constitue pas le comportement criminel interdit par l’article 54.

e) Conclusion sur l’article 54 de la Loi sur la concurrence

[448] Pour les motifs exposés ci‑dessus, les allégations formulées dans la déclaration concernant la cause d’action fondée sur l’article 54 de la Loi sur la concurrence ne sont pas appuyées par des faits substantiels suffisants et n’ont pas de fondement juridique. Il est évident et manifeste, dans l’hypothèse où les faits allégués seraient avérés, que les réclamations présentées concernant ces points n’ont aucune possibilité réaliste d’être accueillies et qu’elles sont vouées à l’échec. Aucun fait substantiel n’appuie l’allégation voulant qu’il existait un premier et un deuxième prix ou qu’un premier et un deuxième prix ont été exprimés dans un étalage ou lors de l’achat du service. Par conséquent, les faits allégués par M. Zanin ne répondent pas aux exigences de l’article 54.

4) Troisième cause d’action : l’article 52 de la Loi sur la concurrence

[449] Comme troisième et dernière cause d’action, M. Zanin soutient que les indications d’Ooma à propos du service contreviennent à l’article 52 de la Loi sur la concurrence, qui interdit de donner au public des indications fausses ou trompeuses. Comme dans le cas de la cause d’action fondée sur l’infraction de double étiquetage, M. Zanin prétend que cette violation de l’article 52 rend Ooma responsable, aux termes de l’article 36 de la Loi sur la concurrence, de dommages‑intérêts et des coûts d’enquête.

[450] Les allégations de M. Zanin en ce qui concerne cette cause d’action sont plus succintes. Dans la déclaration, il allègue qu’Ooma a [traduction] « délibérément indiqué que [le service] était gratuit afin de le promouvoir auprès du public, dont ses clients actuels et potentiels » et que « [l’]indication selon laquelle le [service] est gratuit est fausse ou trompeuse sur un point important parce que le service n’est, en fait, ni gratuit ni offert à 0 $ » (déclaration, aux para 50, 51). Il soutient qu’en raison de ces indications, [traduction] « les consommateurs croiront probablement que le [service] est effectivement gratuit » et ajoute que le comportement d’Ooma l’a amené, et a amené les autres membres du groupe « à dépenser plus d’argent qu’ils ne s’y attendaient, ou à obtenir une valeur moindre » (déclaration, aux para 53, 54). À l’appui de ces allégations, M. Zanin renvoie aux désignations ou descriptions promotionnelles d’Ooma énumérées au paragraphe 25 de la déclaration.

[451] Ooma répond qu’elle n’a pas donné d’indications trompeuses sur le prix total du service ni caché celui‑ci et qu’elle a toujours communiqué avec exactitude les frais et les taxes applicables au service.

[452] M. Zanin réplique que la question de savoir si les frais ont été communiqués et celle de savoir si des indications fausses ou trompeuses ne peuvent donc avoir été données au public constituent [traduction] « des moyens de défense sur le fond qui doivent être examinés au procès, et non à l’étape de l’autorisation » (mémoire des faits et du droit, au para 76). Dans ses observations, M. Zanin soutient également [traduction] « [qu’]Ooma affirme expressément dans ses factures mensuelles que le coût du [service] est de 0 $, et sa liste de prix indique que le service est gratuit, sans astérisque » en renvoyant aux pièces D et E des transcriptions du contre‑interrogatoire de M. Calvo (mémoire des faits et du droit déposé en réponse, au para 70). Ces deux pièces sont, respectivement, la facture mensuelle d’Ooma, qui tient sur une page, et la liste de prix d’Ooma, qui compte deux pages.

[453] Malheureusement, je ne suis pas d’accord avec M. Zanin.

[454] La question de savoir si une indication fausse ou trompeuse a effectivement été donnée n’est pas automatiquement tranchée dans un procès. À l’étape de l’autorisation, le rôle de la Cour est de décider si une allégation est étayée par des faits substantiels et si elle contient les éléments de base requis pour fonder la cause d’action. M. Zanin reconnaît que son allégation d’indication fausse ou trompeuse ne repose pas sur une omission de communiquer l’existence de frais supplémentaires.

[455] Comme il a été démontré tout au long des présents motifs, la nature exacte des indications d’Ooma est au cœur même du recours collectif envisagé. Contrairement à ce qu’affirme M. Zanin, la question principale n’est pas celle de savoir s’il est [traduction] « approprié d’indiquer qu’un produit est “GRATUIT” ou qu’il coûte “0 $”, alors que ce commerçant exige en fait de l’argent en échange du produit » (mémoire des faits et du droit déposé en réponse, au para 59b)). Il s’agit plutôt de savoir si les affirmations de M. Zanin et de ses avocats traduisent correctement la nature réelle des indications d’Ooma. De même, la question que la Cour doit trancher n’est pas celle de savoir si, lorsque des commerçants présentent leurs produits comme Ooma le fait, c’est‑à‑dire en indiquant que le service est gratuit ou qu’il coûte 0 $ et en précisant séparément le montant des frais et des taxes connexes applicables, il s’agit d’une [traduction] « juste et saine concurrence dans le marché » (mémoire des faits et du droit déposé en réponse, au para 72). La Cour doit plutôt décider si le fait de donner de telles indications constitue un comportement criminel interdit et si de telles indications constituent à des indications fausses ou trompeuses visées à l’article 52 de la Loi sur la concurrence.

[456] Comme je le mentionne plus haut, le service n’est jamais annoncé, promu, présenté, étiqueté ou facturé comme un service « GRATUIT » ou coûtant« 0 $ » sans que rien ne soit ajouté. Le service n’est jamais strictement décrit d’une manière que M. Zanin qualifie de [traduction] « hautement uniforme ». Les indications fausses ou trompeuses alléguées par M. Zanin n’existent tout simplement pas.

[457] Après avoir examiné les allégations, je conclus à nouveau que la déclaration est loin de contenir les principaux éléments constitutifs d’une cause d’action valable au titre de l’article 36 de la Loi sur la concurrence concernant une violation de l’article 52 de cette même loi. Si on lit conjointement les allégations de fait contenues dans les actes de procédure avec les documents incorporés par renvoi et les indications réelles données par Ooma, force est de conclure qu’il est évident et manifeste que la réclamation de M. Zanin au titre de l’article 52 n’est pas étayée par des faits substantiels et qu’elle est vouée à l’échec.

[458] Je suis bien conscient du fait qu’à cette étape, soit celle de l’autorisation, mon rôle n’est pas d’évaluer la preuve en profondeur. Néanmoins, à première vue, je ne peux accepter les allégations de M. Zanin étant donné qu’il ressort d’un simple examen superficiel des documents sur lesquels il s’appuie qu’il ne décrit pas, dans ces allégations, de façon honnête et exacte ce qu’Ooma indique réellement dans ses documents de promotion, de publicité ou de facturation. Une fois écartées les citations erronées, les citations sélectives, les descriptions inexactes, les déformations et les indications trompeuses, les allégations de M. Zanin se résument à une présentation de pratiques de tarification qui sont loin de constituer des indications fausses ou trompeuses de nature criminelle.

[459] Je ne remplirais pas mon rôle de gardien au stade de l’autorisation (Pro‑Sys, au para 103; Jensen CAF, aux para 49, 70; Mohr, aux para 49, 53) si je déférais l’examen de la question des indications fausses ou trompeuses à l’étape du procès alors qu’à première vue les allégations et les actes de procédures de M. Zanin ne décrivent manifestement rien de faux ou de trompeur.

a) Les éléments de l’article 52

[460] Comme l’article 54, l’article 52 crée une infraction criminelle faisant partie des infractions relatives aux pratiques commerciales trompeuses contenues dans la partie VI de la Loi sur la concurrence. Le paragraphe 52(1) prévoit que commet une infraction quiconque : i) donne au public « des indications fausses ou trompeuses sur un point important »; ii) « sciemment ou sans se soucier des conséquences »; iii) « aux fins de promouvoir directement ou indirectement soit la fourniture ou l’utilisation d’un produit, soit des intérêts commerciaux quelconques ».

[461] Selon le paragraphe 52(2), les indications suivantes accompagnant un produit sont réputées être données au public : les indications qui « a) apparaissent sur un article mis en vente ou exposé pour la vente, ou sur son emballage; b) apparaissent soit sur quelque chose qui est fixé à un article mis en vente ou exposé pour la vente ou à son emballage ou qui y est inséré ou joint, soit sur quelque chose qui sert de support à l’article pour l’étalage ou la vente; c) apparaissent à un étalage d’un magasin ou d’un autre point de vente; d) sont données, au cours d’opérations de vente en magasin, par démarchage ou par communication orale faite par tout moyen de télécommunication, à un usager éventuel; e) se trouvent dans ou sur quelque chose qui est vendu, envoyé, livré ou transmis au public ou mis à sa disposition de quelque manière que ce soit».

[462] De plus, le paragraphe 52(4) dispose que, dans toute poursuite intentée en vertu de l’article 52 (indications fausses ou trompeuses), « pour déterminer si les indications sont fausses ou trompeuses sur un point important il faut tenir compte de l’impression générale qu’elles donnent ainsi que de leur sens littéral ».

[463] Comme d’autres dispositions relatives aux pratiques commerciales trompeuses contenues dans la Loi sur la concurrence (comme l’article 54), l’article 52 porte sur le comportement du commerçant. Il vise à améliorer la qualité et l’exactitude des renseignements sur le marché et à « protéger les consommateurs contre la vente de biens ou de services reposant sur des informations inexactes » (Canada (Commissaire de la concurrence) c Cineplex Inc, 2024 Trib conc 5, 2024 CanLII 93716 au para 233 [Cineplex]).

[464] Enfin, pour étayer une demande au titre de l’article 36 de la Loi sur la concurrence, M. Zanin doit non seulement faire valoir que, selon la prépondérance des probabilités, les éléments constitutifs d’une violation de l’article 52 sont réunis, mais aussi qu’il a subi une perte ou des dommages en raison du comportement criminel d’Ooma (Toyota Jidosha Kabushiki Kaisha (Toyota Motor Corporation) c Marrand Auto Inc, 2024 CF 1776 au para 15). La violation d’une disposition criminelle de la Loi sur la concurrence ne donne pas automatiquement lieu à l’octroi de dommages‑intérêts, et, pour avoir une cause d’action valable au titre de l’article 36, le demandeur doit avoir subi une perte découlant de la violation de la disposition criminelle et alléguer des dommages‑intérêts découlant de la violation (Airbnb, au para 69, renvoyant notamment à Sun‑Rype Products Ltd c Archer Daniels Midland Company, 2013 CSC 58 aux para 74, 75).

[465] En ce qui concerne l’interprétation de l’article 52, il convient de mentionner deux jugements : l’arrêt Richard c Time Inc, 2012 CSC 8 [Richard] et la décision Cineplex.

[466] Dans l’arrêt Richard, la Cour suprême du Canada a interprété l’article 218 de la LPC du Québec, qui interdit à quiconque de faire une représentation fausse ou trompeuse par quelque moyen que ce soit (art. 219 de la LPC du Québec). L’article 218 expose la méthode permettant de déterminer si une représentation constitue une pratique interdite aux termes de la LPC du Québec, et son libellé est « fortement inspiré » de celui du paragraphe 52(4) de la Loi sur la concurrence, dans sa version en vigueur à l’époque (Richard, au para 45). Les deux dispositions prévoient qu’il faut tenir compte du sens littéral et de l’impression générale de la représentation qui serait fausse ou trompeuse.

[467] La Cour suprême du Canada a déclaré que, lorsqu’une publicité écrite est en cause, les tribunaux doivent déterminer objectivement l’impression générale qui se dégage de l’ensemble de cette publicité (plutôt que des bribes de son contenu). Les tribunaux devraient non pas se livrer à un « décorticage minutieux du texte », mais plutôt lire le texte au complet une seule fois pour apprécier l’impression générale qu’il donne (Richard, au para 56). En outre, la Cour suprême du Canada a fait observer que l’impression générale « n’est pas celle qui se dégage d’une lecture précipitée ou partielle de la publicité » (Richard, au para 56). L’analyse « doit prendre en considération l’ensemble de la publicité plutôt que de simples bribes de son contenu » et « [u]ne seule lecture d’ensemble devrait suffire pour apprécier l’impression générale donnée par une publicité écrite » (Richard, au para 56; voir également : Pass Herald, au para 262; TELUS Communications Inc v Shaw Communications Inc, 2020 BCSC 1354 au para 65). L’impression générale que donne la représentation doit être « conforme à la réalité » pour qu’il ne s’agisse pas d’une pratique interdite (Richard, au para 78).

[468] La Cour suprême du Canada a également admis que la méthode qu’il convient d’utiliser pour l’analyse de l’impression générale ressemble au critère utilisé pour déterminer si une marque crée de la confusion sous le régime de la Loi sur les marques de commerce (Richard, au para 57, renvoyant à Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23 au para 20 [Veuve Clicquot] et Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, 2011 CSC 27 au para 41). Ce critère est celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue d’un nom (qui créerait de la confusion avec une marque de commerce) alors qu’il n’a qu’un vague souvenir de la marque de commerce en question. Élément important, ce consommateur ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques (Veuve Clicquot, au para 20).

[469] La Cour suprême du Canada a ensuite employé les qualificatifs « crédule et inexpérimenté » pour décrire le consommateur ordinaire et définir la norme juridique que le tribunal doit utiliser pour apprécier le sens littéral et l’impression générale donnée par une représentation : « Le terme “crédule” reconnaît que le consommateur moyen est disposé à faire confiance à un commerçant sur la base de l’impression générale que la publicité qu’il reçoit lui donne. Cependant, il ne suggère pas que le consommateur moyen est incapable de comprendre le sens littéral des termes employés dans une publicité, pourvu que la facture générale de celle‑ci ne vienne pas brouiller l’intelligibilité des termes employés » (Richard, au para 72). Le consommateur moyen crédule et inexpérimenté « ne prête rien de plus qu’une attention ordinaire à ce qui lui saute aux yeux lors d’un premier contact avec une publicité » (Richard, au para 67; voir également : Mattel, au para 58, auquel renvoie Richard, au para 66).

[470] En ce qui concerne l’affaire Cineplex, le Tribunal de la concurrence devait examiner une demande introduite par le commissaire à la concurrence en vertu des dispositions civiles relatives aux pratiques commerciales trompeuses de la Loi sur la concurrence. Le commissaire à la concurrence y alléguait que Cineplex avait donné des indications fausses ou trompeuses sur le prix des billets de cinéma sur son site Web et son application mobile. J’ouvre une parenthèse pour mentionner que, tout comme le paragraphe 52(4), le paragraphe 74.03(5) de la Loi sur la concurrence exige, dans toute poursuite intentée en vertu de l’article 74.01 – la disposition civile portant sur les indications fausses et trompeuses –, que le Tribunal de la concurrence tienne compte à la fois du sens littéral des indications et de l’impression générale qu’elles donnent.

[471] Dans sa décision, le Tribunal de la concurrence a affirmé que « conformément aux directives données dans l’arrêt Richard, la perspective appropriée qui sert à évaluer le critère de l’impression générale pour l’application de l’article 74.01 et du paragraphe 73.03(5) devrait refléter l’objet général de la Loi sur la concurrence, les objectifs des dispositions relatives aux pratiques commerciales trompeuses, la portée de l’article 74.01 et la diversité des situations dans lesquelles des indications données au public peuvent être visées par l’article 74.01 » (Cineplex, au para 268). Il a ensuite tiré la conclusion suivante :

[278] Dans ce contexte, je conclus que le Tribunal ne devrait pas adopter la norme de la personne « crédule et inexpérimentée » établie dans l’arrêt Richard aux fins de son analyse de l’impression générale dont il est question à l’article 74.01 et au paragraphe 74.03(5) de la Loi sur la concurrence. Comme l’énonce la Cour suprême dans l’arrêt Richard, la norme juridique devrait plutôt être adaptée en fonction de l’objet de la Loi sur la concurrence et des objectifs des dispositions relatives aux pratiques commerciales trompeuses qu’elle contient. La perspective servant à l’application, en droit, du critère de l’impression générale doit rester celle du consommateur ordinaire du produit ou du service, qui peut être affinée selon la nature de l’indication en cause, les caractéristiques des membres du public auxquels l’indication a été donnée ou destinée, la nature du produit ou du service concerné et les circonstances particulières de l’affaire.

[472] La norme juridique que les tribunaux doivent utiliser dans leur analyse de l’impression générale dont il est question à l’article 52 de la Loi sur la concurrence n’est donc toujours pas établie de façon définitive (Pass Herald, au para 263). Il s’agit soit du consommateur « crédule et inexpérimenté » décrit dans l’arrêt Richard, soit du « consommateur ordinaire du produit ou du service » de la décision Cineplex. Quoi qu’il en soit, la Cour n’a pas besoin de trancher cette question. Tant dans l’arrêt Richard que dans la décision Cineplex, la norme utilisée par le tribunal pour décider si une déclaration publicitaire est fausse ou trompeuse est objective. Il s’agit des attributs du consommateur « crédule et inexpérimenté » ou « ordinaire » qui reçoit l’indication ou à qui l’indication s’adresse.

[473] Dans la décision Energizer Brands, LLC c Gillette Company, 2023 CF 804 [Gillette], la juge Janet Fuhrer a rappelé que, pour déterminer l’impression générale que donne une publicité, il faut tenir compte de la nature du segment de la population à laquelle elle s’adresse (Gillette, au para 176(1), renvoyant notamment à Maritime Travel Inc v Go Travel Direct.Com Inc, 2008 NSSC 163 au para 39, conf par 2009 NSCA 42 [Go Travel Direct]). Elle a ajouté que l’impression générale doit être évaluée du point de vue d’un consommateur ciblé par les indications données, qui, dans cette affaire, était un « consommateur de piles qui n’[était] pas particulièrement aguerri et qui n’a[vait] pas d’expérience sur le plan technique, c’est‑à‑dire qui n’a[vait] pas d’expérience eu égard à l’information technique contenue dans les déclarations comparatives sur le rendement » (Gillette, au para 178). La juge Fuhrer a donc conclu que la perspective à adopter pour apprécier l’impression générale est celle du consommateur ordinaire pressé « qui ne prête rien de plus qu’une attention ordinaire à ce qui lui saute aux yeux lors d’un premier contact avec une publicité » et non celle du « consommateur prudent et diligent » (Gillette, au para 180, renvoyant à Richard, aux para 66, 67; voir également : Pass Herald, au para 262).

[474] Dans l’arrêt Brault & Martineau inc c Riendeau, 2010 QCCA 366 [Riendeau] et la décision Vidéotron, senc c Bell Canada, 2015 QCCS 1663 [Vidéotron], deux recours collectifs auxquels a renvoyé Ooma qui se rapportent à des dispositions sur les indications ou représentations fausses ou trompeuses, les tribunaux québécois ont appliqué le cadre analytique de « l’impression générale » pour conclure, compte tenu du sens littéral des termes utilisés dans les publicités, qu’un consommateur crédule et inexpérimenté ne serait pas induit en erreur par les indications contestées (Riendeau, aux para 27, 29, 33; Vidéotron, aux para 48‑54).

[475] Pour ce qui est du « sens littéral » d’une indication au sens du paragraphe 52(4), il ne prête pas à controverse sur le plan conceptuel : c’est ce qu’elle dit à première vue lorsqu’elle est interprétée dans son sens ordinaire (Pass Herald, au para 261; Cineplex, au para 242, renvoyant à Richard, au para 47).

[476] En l’espèce, il est évident et manifeste que les indications contestées dans la réclamation de M. Zanin présentée au titre de l’article 52 de la Loi sur la concurrence ne possèdent pas le principal élément constitutif de la disposition, à savoir qu’elles soient effectivement fausses ou trompeuses. Par conséquent, la réclamation est vouée à l’échec et l’autorisation ne peut être accordée.

b) Les indications données par Ooma ne sont pas fausses ou trompeuses

[477] Vu l’impression générale que donnent les indications d’Ooma et leur sens littéral, je conclus qu’à première vue, elles ne constituent pas des indications fausses ou trompeuses. Comme je le mentionne à la section III.A des présents motifs, et au risque de me répéter, l’examen des documents présentés révèle que, dans la déclaration et dans leurs observations écrites et orales, M. Zanin et ses avocats ont donné une description inexacte et tronquée des documents de promotion, de publicité et de facturation d’Ooma.

[478] Contrairement à ce que M. Zanin allègue dans sa déclaration, la Cour est d’avis, après lecture conjointe des actes de procédure et des documents d’Ooma qui y sont incorporés par renvoi, qu’Ooma n’a pas déclaré offrir un service téléphonique « GRATUIT » ou coûtant « 0 $ » sans mentionner expressément des « taxes et frais applicables ».

[479] Il ressort d’une simple lecture des documents d’Ooma que celle‑ci n’indique pas que le service est « GRATUIT » ou qu’il coûte « 0 $ » sans rien ajouter. Soulignons que cette constatation vaut pour toutes les désignations ou descriptions qui sont énumérées au paragraphe 25 de la déclaration et auxquelles M. Zanin renvoie à l’appui de sa cause d’action fondée sur l’article 52 de la Loi sur la concurrence ainsi que pour la publicité de Costco qui a incité M. Zanin à acheter le service d’Ooma : cette publicité contient expressément les deux mentions suivantes, dans la même police de caractères et en plein milieu de la page : [TRADUCTION] « le service de base, qui comprend les appels nationaux, la messagerie vocale et le service 911, est gratuit. Vous ne payez que les taxes et frais mensuels applicables » (dossier de requête conjoint, aux pp 1098, 1124).

[480] Quant aux factures mensuelles d’Ooma, elles indiquent tous les éléments du prix total facturé pour le service et un « sous‑total » pour le « service téléphonique de base » de « 0 $ » auquel s’ajoutent des taxes et divers frais tels que les « frais du service 911 » et les « frais de conformité réglementaire », qui constituent le « total » de la somme à payer (dossier de requête conjoint, aux pp 599, 920). Pour ce qui est des feuilles de facturation, elles indiquent, sur la même page, que le « service de base » est « gratuit » et mentionnent, immédiatement après, à la ligne suivante, les « taxes et frais applicables » qui « varient selon la région », et un lien permet d’y accéder en un simple clic (dossier de requête conjoint, à la p 602).

[481] Partout où Ooma donne des indications, tous les renseignements relatifs aux prix sont détaillés et clairement visibles pour les clients.

[482] En bref, dans ses allégations reposant sur les publicités et les documents d’Ooma, M. Zanin déforme le contenu de ces documents et les faits de telle sorte qu’il semble s’agir de publicité fausse ou trompeuse. Le contenu des documents mentionné ou paraphrasé dans les actes de procédure n’est pas tel que le présente M. Zanin dans la déclaration, et les allégations d’indications fausses ou trompeuses qui en découlent ne peuvent donc pas être tenues pour véridiques.

[483] Pour les besoins de l’analyse de l’impression générale du consommateur « ordinaire » ou « crédule et inexpérimenté », mentionnons que les renseignements fournis par Ooma figurent entre les « quatre coins » de la publicité, et que le client peut les voir sans avoir à changer de page ou à faire défiler la page (Cineplex, au para 299); Bell Mobility Inc v Telus Communications Company, 2006 BCCA 578 au para 20).

[484] Ce qui est visible et que les clients peuvent réellement lire dans les documents d’Ooma est on ne peut plus clair et figure dans une taille de police semblable ou légèrement plus petite. Rien n’est caché ni dissimulé. Tous les éléments du prix sont divulgués aux clients, qui sont dans chaque cas informés de l’existence des frais et des taxes connexes applicables.

[485] Il est évident et manifeste que l’impression générale donnée aux consommateurs crédules et inexpérimentés (ou ordinaires) du service d’Ooma coïncide avec le sens littéral des prix indiqués. Les mentions expresses des frais et des taxes applicables à payer ne pourraient objectivement échapper à aucun consommateur lisant brièvement une seule fois l’ensemble des documents d’Ooma. Les renseignements bruts fournis par Ooma, lorsqu’ils sont lus dans leur intégralité, ne sont ni faux ni trompeurs.

[486] La simple lecture des indications données par Ooma ne permet pas à un consommateur crédule et inexpérimenté, ni à un consommateur ordinaire, de conclure que le service est gratuit ou qu’il coûte 0 $, à moins qu’un tel consommateur ne fasse preuve d’aveuglement volontaire et choisisse de faire abstraction de la mention expresse [traduction] « vous ne payez que les taxes et les frais applicables ». Un consommateur crédule et inexpérimenté (ou ordinaire) ne fait pas abstraction de la moitié d’un court message publicitaire de tout au plus 20 mots et ne lit pas partiellement ce qui est expressément écrit. À moins de décider d’agir avec la plus grande mauvaise foi, nul ne pourrait sérieusement lire les indications d’Ooma dans leur intégralité et en comprendre que le service est, en réalité, « GRATUIT » ou qu’il coûte« 0 $ ».

[487] Détailler le prix total d’un produit au cours du processus d’achat n’est pas interdit par l’article 52 ni aucune autre disposition de la Loi sur la concurrence. Même une publicité agressive ne tombe pas sous le coup de la Loi sur la concurrence à moins qu’elle ne constitue un [traduction] « dénigrement mensonger et manifestement injuste » des marchandises ou des services (Go Travel Direct, au para 5). L’affaire qui nous occupe ne vise pas une situation où les consommateurs doivent être protégés contre l’achat de biens ou de services sur le fondement de renseignements inexacts et mensongers. Aucune interprétation raisonnable des faits substantiels présentés ne permet à la Cour de conclure qu’Ooma a donné à M. Zanin ou aux membres du groupe des indications sur les prix de son service qui sont fausses ou trompeuses.

[488] Si j’acceptais la prétention de M. Zanin, les mots expressément utilisés par Ooma dans ses documents de promotion, de publicité et de facturation devraient être vidés de leur sens clair et ordinaire, ce qui abaisserait la norme objective relative aux consommateurs à un niveau inacceptable. Même si le consommateur moyen est considéré comme « crédule et inexpérimenté », il n’est pas aveugle.

[489] Je souligne qu’il ne s’agit même pas en l’espèce d’une situation où un astérisque renvoie aux renseignements sur les frais applicables dans une note de bas de page, ce qui n’a pas été considéré comme de la publicité fausse ou trompeuse dans l’arrêt Riendeau, car les renseignements n’étaient pas cachés aux consommateurs (Riendeau, aux para 33, 37). En l’espèce, M. Zanin et les clients d’Ooma obtiennent tous les renseignements dans un même document et peuvent cliquer sur un hyperlien pour obtenir le détail des frais et des taxes connexes applicables.

[490] Je fais également observer que les frais applicables mentionnés par Ooma ne peuvent être confondus avec des taxes ou d’autres prélèvements gouvernementaux (Ileman v Rogers Communications Inc, 2015 BCCA 260 au para 42; Coca‑Cola, au para 57, conf par 2007 BCCA 356; Prince c Avis Budget Group Inc, 2016 QCCS 3770 aux para 86, 87, 98). En fait, rien dans les actes de procédure n’appuie la thèse selon laquelle le consommateur pourrait raisonnablement conclure que les frais facturés par Ooma, considérés objectivement, sont ou pourraient être des prélèvements gouvernementaux ou des taxes ou qu’ils sont autrement trompeurs.

[491] Enfin, pour ce qui est des factures mensuelles, j’ajoute qu’elles ne comprennent pas un autre élément constitutif de l’article 52 de la Loi sur la concurrence, à savoir que l’indication soit donnée « aux fins de promouvoir directement ou indirectement soit la fourniture ou l’utilisation d’un produit, soit des intérêts commerciaux quelconques ». Les factures mensuelles et les renseignements de facturation n’accompagnent pas un produit au moment de la promotion ou de la fourniture de celui‑ci : elles sont plutôt émises après l’achat. Elles ne sont pas visées par l’article 52.

[492] En somme, je conclus, à la lumière des actes de procédures qui m’ont été présentés, qu’il est évident et manifeste qu’aucune indication fausse ou trompeuse contrevenant à l’article 52 de la Loi sur la concurrence n’a été faite à un membre du groupe. Le critère que les tribunaux doivent utiliser pour déterminer l’impression générale et le sens littéral d’une indication attaquée au motif qu’elle serait fausse ou trompeuse est objectif, et la Cour n’a pas besoin de procéder à un examen approfondi de la preuve pour statuer sur ce point. Cela suffit pour conclure que M. Zanin n’a pas fait valoir de cause d’action valable au titre de l’article 52 de la Loi sur la concurrence.

c) L’acte de confiance préjudiciable

[493] Vu mes conclusions sur l’absence de toute indication fausse ou trompeuse, je n’ai pas besoin d’examiner la question du lien de causalité ni de décider si M. Zanin a à bon droit fait valoir que les dommages‑intérêts qu’il réclame, équivalant aux frais et aux taxes connexes applicables, découlent d’une violation de l’article 52 et, plus particulièrement, s’il devait invoquer l’existence d’un « acte de confiance préjudiciable ».

[494] Cela dit, comme les deux parties ont présenté de longues observations écrites et orales sur cette question, je ferai les observations suivantes.

[495] M. Zanin soutient qu’il n’invoque pas l’existence d’un acte de confiance préjudiciable à l’appui de ses deux réclamations présentées en vertu de la Loi sur la concurrence. Il maintient qu’il n’a pas besoin de soulever cet argument parce que l’existence d’un acte de confiance préjudiciable n’est pas nécessaire dans le cas d’une réclamation présentée en vertu de l’article 36 et fondée sur l’article 52 ou l’article 54. Il reconnaît que, dans certaines décisions, les tribunaux ont jugé qu’un acte de confiance préjudiciable devait être invoqué, mais il soutient que ces décisions ne lient pas la Cour et que cette jurisprudence ne ferait que susciter un débat judiciaire.

[496] M. Zanin s’appuie principalement sur les décisions Rebuck et Krishnan rendues par des cours supérieures pour soutenir qu’il n’est pas toujours nécessaire d’invoquer l’existence d’un acte de confiance préjudiciable dans le cas d’une réclamation présentée en vertu de l’article 36 et fondée sur l’article 52 de la Loi sur la concurrence.

[497] Dans la décision Rebuck, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a jugé qu’un acte de confiance n’était pas un élément nécessaire d’une cause d’action civile en vertu de l’article 36 de la Loi sur la concurrence, mais qu’il serait un élément nécessaire dans le cas d’une allégation de déclaration inexacte faite par négligence en common law (Rebuck, aux para 33‑36). À son avis, le demandeur devait faire valoir non pas que les indications trompeuses en cause étaient l’incitation qui l’avait amené à acheter sa voiture, mais plutôt qu’elles étaient la raison pour laquelle il avait obtenu une valeur moindre que celle qu’il s’attendait à obtenir, à savoir il devait acheter plus de carburant qu’il le prévoyait au moment de l’achat du véhicule (Rebuck, au para 35).

[498] Dans la décision Krishnan, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, a fait observer, tout en s’appuyant sur la décision Rebuck, qu’il existe une distinction entre l’« acte de confiance » et le« lien de causalité », et que la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique avait privilégié la notion de lien de causalité dans l’arrêt Wakelam v Wyeth Consumer Healthcare/Wyeth Soins de santé Inc, 2014 BCCA 36 [Wakelam] en traitant des réclamations fondées sur l’article 52 de la Loi sur la concurrence (Krishnan, aux para 181‑189). L’exigence d’un « lien de causalité » représenterait une barre moins haute à atteindre pour le demandeur qui intente une action au titre des articles 36 et 52, car il lui suffirait d’alléguer que les indications trompeuses du défendeur sont la raison pour laquelle il a subi une perte, alors que, selon l’exigence de l« acte de confiance », le demandeur doit également alléguer qu’il a été trompé ou induit en erreur parce qu’il s’est fié à l’indication. En appel, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a jugé que la Cour suprême de la Colombie‑Britannique n’avait pas commis d’erreur en rejetant l’argument selon lequel une preuve établissant l’existence d’un acte de confiance préjudiciable était essentielle (WN Pharmaceuticals Ltd v Krishnan, 2023 BCCA 72 aux para 114‑116).

[499] Depuis les décisions Rebuck et Krishnan, les tribunaux ont également conclu dans d’autres affaires qu’il n’est pas toujours nécessaire d’invoquer l’existence d’un acte de confiance préjudiciable pour qu’une réclamation présentée en vertu de l’article 36 et fondée sur l’article 52 de la Loi sur la concurrence soit valable, pourvu que le demandeur établisse autrement un lien de causalité entre la violation alléguée et la perte subie (voir par exemple : Gomel BCCA, aux para 120‑125; Valeant BCCA, aux para 228‑236; Drynan v Bausch Health Companies Inc, 2021 ONSC 7423 aux para 180‑183, 237‑239 [Drynan]). Par exemple, dans la décision Drynan, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a conclu qu’une action au titre des articles 36 et 52 exige non pas un acte de confiance envers une pratique déloyale, mais plutôt [traduction] « un lien de causalité [entre la violation alléguée et] les dommages subis en raison de l’acquisition d’un produit dont la valeur est inférieure à celle annoncée » (Drynan, au para 237, renvoyant à Rebuck, au para 35). Elle a ensuite jugé qu’on pouvait satisfaire à l’exigence de l’existence d’une perte au titre de l’article 36 au moyen du calcul de la différence de prix entre les produits faisant l’objet d’une indication trompeuse et les versions génériques des produits (Drynan, au para 394).

[500] Pour sa part, Ooma soutient que la jurisprudence des cours fédérales et de nombreux autres tribunaux au pays a établi depuis longtemps qu’un acte de confiance préjudiciable est en fait nécessaire pour qu’une réclamation présentée au titre des articles 36 et 52 de la Loi sur la concurrence soit accueillie. Elle s’appuie notamment sur les décisions Living Sky Water, Airbnb, Amway, Finkel v Coast Capital Savings Credit Union, 2017 BCCA 361 [Finkel], Wakelam, et Singer v Schering‑Plough Canada Inc, 2010 ONSC 42 [Singer].

[501] Les précédents cités par Ooma appuient la thèse selon laquelle non seulement il doit exister un lien de causalité entre la violation alléguée et les dommages, mais le demandeur doit en outre alléguer qu’il s’est fié à l’indication trompeuse à son détriment. Sans un acte de confiance, une indication trompeuse donnée au public en violation de l’article 52 de la Loi sur la concurrence ne peut être liée à une perte subie par une personne en particulier (Finkel, aux para 82, 84; Wakelam, aux para 91, 92; Singer, au para 107, 108).

[502] Dans les décisions Living Sky Water, Airbnb et Amway, notre Cour a accepté qu’on devait alléguer un acte de confiance préjudiciable pour que la réclamation présentée en vertu de l’article 36 et fondée sur l’article 52 de la Loi sur la concurrence soit accueillie. Dans la décision Amway, le juge René LeBlanc (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) s’est appuyé sur le raisonnement exposé dans la décision Singer pour conclure que l’acte de confiance posé par le demandeur à son détriment était un élément nécessaire d’une réclamation présentée en vertu de l’article 36 en raison d’une violation de l’article 52 (Amway, au para 82). La décision Amway a ensuite été invoquée dans la décision Airbnb, où j’ai fait observer que « [l]es tribunaux ont affirmé à maintes reprises que, lorsque la conduite criminelle reprochée prend la forme d’une indication trompeuse visée à l’article 52, le demandeur, pour étayer une réclamation au titre de l’article 36 pour violation de l’article 52, doit démontrer qu’il s’est fié à l’indication trompeuse et que cela lui a causé un préjudice » (Airbnb, au para 71). La décision Amway a également été citée avec approbation par la juge adjointe Ring aux paragraphes 33 à 35 de la décision Living Sky Water.

[503] Les deux courants jurisprudentiels invoqués par M. Zanin et Ooma semblent difficilement conciliables, et le débat n’a pas besoin d’être tranché dans la présente affaire.

[504] Cela dit, j’admets qu’il n’est pas toujours nécessaire que le demandeur se soit fié à une indication trompeuse pour qu’il obtienne des dommages‑intérêts en vertu de l’article 36 de la Loi sur la concurrence. En termes simples, cela dépend de l’infraction criminelle sous‑jacente. Dans la décision Amway, la Cour a fait remarquer que ce ne sont pas toutes les réclamations présentées en vertu de l’article 36 qui exigent une preuve établissant qu’il y a eu acte de confiance et indication trompeuse (Amway, aux para 83, 91). De même, la Cour d’appel de l’Ontario a écrit qu’une indication trompeuse n’est pas pertinente dans les affaires de fixation des prix parce que, [traduction] « lorsqu’une fixation des prix est alléguée, tous les acheteurs ont subi des dommages » (Shah v LG Chem Ltd, 2018 ONCA 819 au para 77). Dans le même ordre d’idées, j’ai fait observer dans la décision Airbnb que le double étiquetage ne pouvait pas être simplement assimilé au fait de donner une indication trompeuse et que la question du lien de causalité pouvait être différente en ce qui concerne une telle pratique tarifaire (Airbnb, aux para 71, 82, 83). Comme il est interdit au fournisseur d’exprimer clairement deux prix différents pour un produit et de facturer le prix le plus élevé des deux, il est possible de soutenir que le client subit une perte ou des dommages équivalant à la différence entre les deux prix en raison d’un tel « double étiquetage » (Airbnb, au para 81; voir également Bergen, au para 52).

[505] À la lumière des nouveaux développements de la jurisprudence, une question demeure : un lien de causalité prenant la forme d’un acte de confiance est‑il toujours nécessaire pour établir une réclamation présentée au titre des articles 36 et 52 de la Loi sur la concurrence dans laquelle une indication fausse ou trompeuse est alléguée?

[506] Il est possible de soutenir que l’exigence du lien de causalité de l’article 36 pourrait varier en fonction du type d’indication trompeuse alléguée, et plus particulièrement selon qu’il s’agit d’une indication trompeuse non liée au prix ou liée uniquement au prix. Si l’indication trompeuse alléguée est liée uniquement au prix et que les dommages qui auraient été subis sont strictement liés à une différence de prix, il est possible de soutenir qu’une telle indication pourrait être intrinsèquement abusive et qu’un acte de confiance préjudiciable n’est alors pas nécessaire pour établir le lien de causalité, comme il est possible de le soutenir concernant les infractions de responsabilité stricte liées aux prix, comme celles visées aux articles 45 et 54 de la Loi sur la concurrence. Dans de tels cas, l’indication trompeuse alléguée est la raison pour laquelle le demandeur dépense plus qu’il ne l’aurait fait en l’absence d’indication fausse ou trompeuse.

[507] À mon avis, il n’est donc pas, de façon manifeste ou évidence, erroné d’alléguer et de soutenir, pour prouver une perte ou un dommage résultant d’une indication fausse ou trompeuse liée uniquement au prix (par opposition aux indications trompeuses non liées au prix), que le demandeur ne doit pas nécessairement établir un lien de causalité reposant sur un acte de confiance préjudiciable, pourvu que les dommages allégués soient uniquement liés à une différence de prix. Dans un tel cas, contrairement à une infraction d’indication fausse ou trompeuse non liée au prix, il serait possible de soutenir que la perte subie par quiconque achèterait un produit au plus élevé de deux prix ferait partie de l’infraction. Autrement dit, il serait possible de soutenir qu’il suffit que le demandeur allègue et démontre, pour étayer une allégation de perte ou de dommages consécutifs à une indication trompeuse liée uniquement au prix, qu’il était en droit de payer un prix inférieur et qu’il n’aurait pas payé le prix supérieur s’il avait eu connaissance de l’existence du prix inférieur.

[508] Comme il n’est pas nécessaire de trancher cette question pour statuer sur la troisième cause d’action formulée par M. Zanin, il vaut mieux en remettre l’examen à une autre occasion.

d) Conclusion sur l’article 52 de la Loi sur la concurrence

[509] Pour les motifs exposés ci-dessus, je conclus que les allégations de M. Zanin concernant la cause d’action fondée sur l’article 52 de la Loi sur la concurrence ne sont pas appuyées par des faits substantiels suffisants et n’ont pas de fondement juridique. Il est évident et manifeste, dans l’hypothèse où les faits allégués seraient avérés, que la réclamation n’a aucune possibilité réaliste d’être accueillie et qu’elle est vouée à l’échec. Aucun fait substantiel n’étaye l’existence d’une indication fausse ou trompeuse et, par conséquent, les faits allégués par M. Zanin ne répondent pas aux exigences de l’article 52.

5) Conclusion sur l’existence d’une cause d’action valable

[510] À la lumière de ce qui précède, je conclus qu’aucune des trois causes d’action alléguées par M. Zanin ne me permet de conclure à l’existence d’une cause d’action valable, car les actes de procédure sont insuffisants quant aux principaux éléments constitutifs des comportements fautifs allégués.

[511] Je suis conscient du fait que le critère de la cause d’action valable est peu exigeant. Toutefois, il ne peut pas être aussi peu exigeant que le voudrait M. Zanin. Il « ne saurait être à ce point bas qu’il serait dépourvu de tout sens » et il ne saurait y être satisfait en l’absence des principaux éléments constitutifs d’une cause d’action (Jensen CAF, au para 69). Interpréter de façon libérale les actes de procédure ne signifie pas que la Cour doit y intégrer, par magie, les principaux éléments constitutifs des actes fautifs allégués qui en sont manifestement absents. La Cour ne peut pas établir de liens qui n’existent pas. En l’espèce, ce n’est pas que les actes de procédure sont imparfaits ou qu’ils manquent de clarté, mais plutôt que les faits substantiels qui étayeraient les allégations de M. Zanin sont absents.

[512] Lorsque les actes de procédure souffrent de lacunes rédactionnelles, qu’ils ne répondent pas aux exigences d’une cause d’action valable et qu’ils ne contiennent pas les éléments requis pour étayer une cause d’action, il est bien établi que l’autorisation de modifier la déclaration sera généralement accordée, à moins qu’il ne soit évident et manifeste que la modification ne suffirait pas à remédier aux lacunes (Canada c Preston, 2023 CAF 178 au para 51; Canada (Revenu national) c Sharp, 2022 CAF 138 au para 88 [Sharp]; Enercorp Sand Solutions Inc c Specialized Desanders Inc, 2018 CAF 215 au para 27 [Enercorp]; Collins c Canada, 2011 CAF 140 aux para 26; Simon c Canada, 2011 CAF 6 au para 8). Le critère relatif à l’autorisation de modifier la déclaration est par conséquent « peu exigeant » (Sharp, au para 88).

[513] La déclaration ne sera donc radiée sans autorisation de la modifier seulement lorsqu’il « ne peut pas être remédié à ses défauts » et que « toute modification est simplement impossible » (Baird c Canada, 2007 CAF 48 au para 3); Allabadi c Lahaie, 2024 CF 1814 au para 40). Par exemple, lorsque la modification de l’acte de procédure donnerait quand même lieu à une autre requête en radiation fructueuse pour cause d’absence de fondement juridique, la modification devrait être refusée (Pelletier c Canada, 2020 CF 1019 au para 62, renvoyant à Carom c Bre‑X Minerals Ltd, 1998 CanLII 14705 (ONSC), [1998] OJ no 4496 (QL)).

[514] Dans l’arrêt Jost, la Cour d’appel fédérale a rappelé que, étant donné l’interprétation libérale qu’il convient d’avoir à l’égard des lois relatives à une autorisation de recours collectif, « l’autorisation de modifier un acte de procédure dans le cadre d’un recours collectif proposé ne sera refusée que dans les cas les plus notoires, où il est évident et manifeste qu’aucune cause d’action défendable n’est possible selon les faits allégués et où il n’y a aucune raison de croire que la partie pourrait mieux défendre sa cause au moyen d’une modification » (Jost, au para 49; voir également : McMillan, au para 107; Brink, au para 133; Enercorp, au para 27).

[515] En outre, dans la décision Pass Herald, le juge en chef Paul Crampton, après avoir cité les principes mentionnés plus haut et énoncés aux paragraphes 181 et 182 de la décision Jensen CF, a récemment jugé qu’il existe un autre principe important, à savoir qu’il est pertinent de prendre en considération le fait qu’une déclaration a déjà été modifiée pour décider d’accorder ou non l’autorisation de la modifier (Pass Herald, au para 314, renvoyant à Incognito v Skyservice Business Aviation Inc, 2022 ONSC 1795 au para 14). Ce principe a également une importance particulière lorsque les modifications ont été apportées à la suite d’une requête en radiation (Pass Herald, au para 314, renvoyant à Horfil Holding Corp v Queens Walk Inc, 2019 ONSC 1381 au para 34).

[516] En l’espèce, vu le contenu et la nature des indications données par Ooma, il est évident et manifeste que M. Zanin n’a aucune cause d’action défendable, et rien ne permet de conclure qu’il pourrait améliorer sa cause au moyen d’une modification. Il serait inutile de lui accorder l’autorisation de modifier sa déclaration afin de présenter une nouvelle demande d’autorisation.

D. Autres exigences relatives à l’autorisation

[517] Comme j’ai conclu que les allégations de M. Zanin ne révèlent aucune cause d’action valable, je n’ai pas besoin d’examiner les autres questions soulevées dans la requête en autorisation, car toutes les exigences relatives à l’autorisation devaient être remplies pour que l’action puisse être autorisée. L’absence d’une cause d’action valable suffit pour que l’autorisation soit refusée. Autrement dit, l’existence d’importants points de droit communs ou d’un solide plan de litige ne peut suppléer à l’absence d’une cause d’action valable dans le processus d’autorisation (Brink, au para 141, renvoyant à Bou Malhab c Diffusion Métromédia CMR inc, 2011 CSC 9 au para 52).

VII. Conclusion

[518] Pour tous ces motifs, la requête relative à la compétence présentée par Ooma en vue d’obtenir la suspension de l’instance en faveur de l’arbitrage est accueillie et la requête en autorisation de M. Zanin est rejetée.

[519] Selon l’article 334.39 des Règles, des dépens ne sont habituellement pas adjugés dans le cadre d’une requête en autorisation. Étant donné que la requête relative à la compétence et la requête en autorisation étaient intimement liées, rien ne justifie de déroger au principe établi à l’article 334.39 et d’adjuger des dépens en l’espèce.

[520]


ORDONNANCE dans le dossier T‑214‑21

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête en suspension de l’instance en faveur de l’arbitrage présentée par les défenderesses est accueillie.

  2. La requête en autorisation du demandeur est rejetée.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Denis Gascon »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo


ANNEXE A

Les paragraphes 334.16(1) et (2) et l’article 334.18 des Règles disposent :

Autorisation

Certification

Conditions

Conditions

334.16 (1) Sous réserve du paragraphe (3), le juge autorise une instance comme recours collectif si les conditions suivantes sont réunies :

334.16 (1) Subject to subsection (3), a judge shall, by order, certify a proceeding as a class proceeding if

a) les actes de procédure révèlent une cause d’action valable;

(a) the pleadings disclose a reasonable cause of action;

b) il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes;

(b) there is an identifiable class of two or more persons;

c) les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait communs, que ceux‑ci prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre;

(c) the claims of the class members raise common questions of law or fact, whether or not those common questions predominate over questions affecting only individual members;

d) le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs;

(d) a class proceeding is the preferable procedure for the just and efficient resolution of the common questions of law or fact; and

e) il existe un représentant demandeur qui :

(e) there is a representative plaintiff or applicant who

i) représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe,

(i) would fairly and adequately represent the interests of the class,

ii) a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’instance au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés de son déroulement,

(ii) has prepared a plan for the proceeding that sets out a workable method of advancing the proceeding on behalf of the class and of notifying class members as to how the proceeding is progressing,

iii) n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait communs,

(iii) does not have, on the common questions of law or fact, an interest that is in conflict with the interests of other class members, and

iv) communique un sommaire des conventions relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et l’avocat inscrit au dossier.

(iv) provides a summary of any agreements respecting fees and disbursements between the representative plaintiff or applicant and the solicitor of record.

Facteurs pris en compte

Matters to be considered

2) Pour décider si le recours collectif est le meilleur moyen de régler les points de droit ou de fait communs de façon juste et efficace, tous les facteurs pertinents sont pris en compte, notamment les suivants :

(2) All relevant matters shall be considered in a determination of whether a class proceeding is the preferable procedure for the just and efficient resolution of the common questions of law or fact, including whether

a) la prédominance des points de droit ou de fait communs sur ceux qui ne concernent que certains membres;

(a) the questions of law or fact common to the class members predominate over any questions affecting only individual members;

b) la proportion de membres du groupe qui ont un intérêt légitime à poursuivre des instances séparées;

(b) a significant number of the members of the class have a valid interest in individually controlling the prosecution of separate proceedings;

c) le fait que le recours collectif porte ou non sur des réclamations qui ont fait ou qui font l’objet d’autres instances;

(c) the class proceeding would involve claims that are or have been the subject of any other proceeding;

d) l’aspect pratique ou l’efficacité moindres des autres moyens de régler les réclamations;

(d) other means of resolving the claims are less practical or less efficient; and

e) les difficultés accrues engendrées par la gestion du recours collectif par rapport à celles associées à la gestion d’autres mesures de redressement.

(e) the administration of the class proceeding would create greater difficulties than those likely to be experienced if relief were sought by other means.

[…]

[…]

Motifs ne pouvant être invoqués

Grounds that may not be relied on

334.18 Le juge ne peut invoquer uniquement un ou plusieurs des motifs ci‑après pour refuser d’autoriser une instance comme recours collectif :

334.18 A judge shall not refuse to certify a proceeding as a class proceeding solely on one or more of the following grounds:

a) les réparations demandées comprennent une réclamation de dommages‑intérêts qui exigerait, une fois les points de droit ou de fait communs tranchés, une évaluation individuelle;

(a) the relief claimed includes a claim for damages that would require an individual assessment after a determination of the common questions of law or fact;

b) les réparations demandées portent sur des contrats distincts concernant différents membres du groupe;

(b) the relief claimed relates to separate contracts involving different class members;

c) les réparations demandées ne sont pas les mêmes pour tous les membres du groupe;

(c) different remedies are sought for different class members;

d) le nombre exact de membres du groupe ou l’identité de chacun est inconnu;

(d) the precise number of class members or the identity of each class member is not known; or

e) il existe au sein du groupe un sous‑groupe dont les réclamations soulèvent des points de droit ou de fait communs que ne partagent pas tous les membres du groupe.

(e) the class includes a subclass whose members have claims that raise common questions of law or fact not shared by all of the class members.


ANNEXE B

Les dispositions pertinentes de la Loi sur la concurrence et de la Loi sur les marques de commerce sont formulées ainsi :

Loi sur la concurrence

Recouvrement de dommages‑intérêts

Recovery of damages

36 (1) Toute personne qui a subi une perte ou des dommages par suite :

36 (1) Any person who has suffered loss or damage as a result of

a) soit d’un comportement allant à l’encontre d’une disposition de la partie VI;

(a) conduct that is contrary to any provision of Part VI, or

[…]

[…]

peut, devant tout tribunal compétent, réclamer et recouvrer de la personne qui a eu un tel comportement ou n’a pas obtempéré à l’ordonnance une somme égale au montant de la perte ou des dommages qu’elle est reconnue avoir subis, ainsi que toute somme supplémentaire que le tribunal peut fixer et qui n’excède pas le coût total, pour elle, de toute enquête relativement à l’affaire et des procédures engagées en vertu du présent article.

may, in any court of competent jurisdiction, sue for and recover from the person who engaged in the conduct or failed to comply with the order an amount equal to the loss or damage proved to have been suffered by him, together with any additional amount that the court may allow not exceeding the full cost to him of any investigation in connection with the matter and of proceedings under this section.

[…]

[…]

PARTIE VI

PART VI

Infractions relatives à la concurrence

Offences in Relation to Competition

[…]

[…]

Indications fausses ou trompeuses

False or misleading representations

52 (1) Nul ne peut, de quelque manière que ce soit, aux fins de promouvoir directement ou indirectement soit la fourniture ou l’utilisation d’un produit, soit des intérêts commerciaux quelconques, donner au public, sciemment ou sans se soucier des conséquences, des indications fausses ou trompeuses sur un point important

52 (1) No person shall, for the purpose of promoting, directly or indirectly, the supply or use of a product or for the purpose of promoting, directly or indirectly, any business interest, by any means whatever, knowingly or recklessly make a representation to the public that is false or misleading in a material respect.

Preuve non nécessaire

Proof of certain matters not required

1.1) Il est entendu qu’il n’est pas nécessaire, afin d’établir qu’il y a eu infraction au paragraphe (1), de prouver :

(1.1) For greater certainty, in establishing that subsection (1) was contravened, it is not necessary to prove that

a) qu’une personne a été trompée ou induite en erreur;

(a) any person was deceived or misled;

b) qu’une personne faisant partie du public à qui les indications ont été données se trouvait au Canada;

(b) any member of the public to whom the representation was made was within Canada; or

c) que les indications ont été données à un endroit auquel le public avait accès.

(c) the representation was made in a place to which the public had access.

Indications

Permitted representations

1.2) Il est entendu que, pour l’application du présent article et des articles 52.01, 52.1, 74.01, 74.011 et 74.02, le fait de permettre que des indications soient données ou envoyées est assimilé au fait de donner ou d’envoyer des indications.

(1.2) For greater certainty, in this section and in sections 52.01, 52.1, 74.01, 74.011 and 74.02, the making or sending of a representation includes permitting a representation to be made or sent.

Indications accompagnant un produit

Representations accompanying products

2) Pour l’application du présent article, sauf le paragraphe (2.1), sont réputées n’être données au public que par la personne de qui elles proviennent les indications qui, selon le cas :

(2) For the purposes of this section, a representation that is

a) apparaissent sur un article mis en vente ou exposé pour la vente, ou sur son emballage;

(a) expressed on an article offered or displayed for sale or its wrapper or container,

b) apparaissent soit sur quelque chose qui est fixé à un article mis en vente ou exposé pour la vente ou à son emballage ou qui y est inséré ou joint, soit sur quelque chose qui sert de support à l’article pour l’étalage ou la vente;

(b) expressed on anything attached to, inserted in or accompanying an article offered or displayed for sale, its wrapper or container, or anything on which the article is mounted for display or sale,

c) apparaissent à un étalage d’un magasin ou d’un autre point de vente;

(c) expressed on an in‑store or other point‑of‑purchase display,

d) sont données, au cours d’opérations de vente en magasin, par démarchage ou par communication orale faite par tout moyen de télécommunication, à un usager éventuel;

(d) made in the course of in‑store or door‑to‑door selling to a person as ultimate user, or by communicating orally by any means of telecommunication to a person as ultimate user, or

e) se trouvent dans ou sur quelque chose qui est vendu, envoyé, livré ou transmis au public ou mis à sa disposition de quelque manière que ce soit.

(e) contained in or on anything that is sold, sent, delivered, transmitted or made available in any other manner to a member of the public, is deemed to be made to the public by and only by the person who causes the representation to be so expressed, made or contained, subject to subsection (2.1).

Indications provenant de l’étranger

Representations from outside Canada

2.1) Dans le cas où la personne visée au paragraphe (2) est à l’étranger, les indications visées aux alinéas (2)a), b), c) ou e) sont réputées, pour l’application du paragraphe (1), être données au public par la personne qui importe au Canada l’article, la chose ou l’instrument d’étalage visé à l’alinéa correspondant.

(2.1) Where a person referred to in subsection (2) is outside Canada, a representation described in paragraph (2)(a), (b), (c) or (e) is, for the purposes of subsection (1), deemed to be made to the public by the person who imports into Canada the article, thing or display referred to in that paragraph.

Idem

Deemed representation to public

3) Sous réserve du paragraphe (2), quiconque, aux fins de promouvoir directement ou indirectement soit la fourniture ou l’utilisation d’un produit, soit des intérêts commerciaux quelconques, fournit à un grossiste, détaillant ou autre distributeur d’un produit de la documentation ou autre chose contenant des indications du genre mentionné au paragraphe (1) est réputé avoir donné ces indications au public.

(3) Subject to subsection (2), a person who, for the purpose of promoting, directly or indirectly, the supply or use of a product or any business interest, supplies to a wholesaler, retailer or other distributor of a product any material or thing that contains a representation of a nature referred to in subsection (1) is deemed to have made that representation to the public.

Il faut tenir compte de l’impression générale

General impression to be considered

4) Dans toute poursuite intentée en vertu du présent article, pour déterminer si les indications sont fausses ou trompeuses sur un point important il faut tenir compte de l’impression générale qu’elles donnent ainsi que de leur sens littéral.

(4) In a prosecution for a contravention of this section, the general impression conveyed by a representation as well as its literal meaning shall be taken into account in determining whether or not the representation is false or misleading in a material respect.

Infraction et peine

Offence and punishment

5) Quiconque contrevient au paragraphe (1) commet une infraction et encourt, sur déclaration de culpabilité :

(5) Any person who contravenes subsection (1) is guilty of an offence and liable

a) par mise en accusation, l’amende que le tribunal estime indiquée et un emprisonnement maximal de quatorze ans, ou l’une de ces peines;

(a) on conviction on indictment, to a fine in the discretion of the court or to imprisonment for a term not exceeding 14 years, or to both; or

b) par procédure sommaire, une amende maximale de 200 000 $ et un emprisonnement maximal d’un an, ou l’une de ces peines.

(b) on summary conviction, to a fine not exceeding $200,000 or to imprisonment for a term not exceeding one year, or to both.

Comportement susceptible d’examen

Reviewable conduct

6) Le présent article s’applique au fait de donner des indications constituant, au sens de la partie VII.1, un comportement susceptible d’examen.

(6) Nothing in Part VII.1 shall be read as excluding the application of this section to a representation that constitutes reviewable conduct within the meaning of that Part.

Une seule poursuite

Duplication of proceedings

7) Il ne peut être intenté de poursuite en vertu du présent article contre une personne contre laquelle une ordonnance est demandée aux termes de la partie VII.1, si les faits qui seraient allégués au soutien de la poursuite sont les mêmes ou essentiellement les mêmes que ceux qui l’ont été au soutien de la demande.

(7) No proceedings may be commenced under this section against a person against whom an order is sought under Part VII.1 on the basis of the same or substantially the same facts as would be alleged in proceedings under this section.

[…]

[…]

Double étiquetage

Double ticketing

54 (1) Nul ne peut fournir un produit à un prix qui dépasse le plus bas de deux ou plusieurs prix clairement exprimés, par lui ou pour lui, pour ce produit, pour la quantité dans laquelle celui‑ci est ainsi fourni et au moment où il l’est :

54 (1) No person shall supply a product at a price that exceeds the lowest of two or more prices clearly expressed by him or on his behalf, in respect of the product in the quantity in which it is so supplied and at the time at which it is so supplied,

a) soit sur le produit ou sur son emballage;

(a) on the product, its wrapper or container;

b) soit sur quelque chose qui est fixé au produit, à son emballage ou à quelque chose qui sert de support au produit pour l’étalage ou la vente, ou sur quelque chose qui y est inséré ou joint;

(b) on anything attached to, inserted in or accompanying the product, its wrapper or container or anything on which the product is mounted for display or sale; or

c) soit dans un étalage ou la réclame d’un magasin ou d’un autre point de vente.

(c) on an in‑store or other point‑of‑purchase display or advertisement.

Infraction et peine

Offence and punishment

2) Quiconque contrevient au paragraphe (1) commet une infraction et encourt, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, une amende maximale de dix mille dollars et un emprisonnement maximal d’un an, ou l’une de ces peines.

(2) Any person who contravenes subsection (1) is guilty of an offence and liable on summary conviction to a fine not exceeding ten thousand dollars or to imprisonment for a term not exceeding one year or to both.

Loi sur les marques de commerce

Interdictions

7 Nul ne peut :

Prohibitions

7 No person shall

a) faire une déclaration fausse ou trompeuse tendant à discréditer l’entreprise, les produits ou les services d’un concurrent;

(a) make a false or misleading statement tending to discredit the business, goods or services of a competitor;

b) appeler l’attention du public sur ses produits, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu’il a commencé à y appeler ainsi l’attention, entre ses produits, ses services ou son entreprise et ceux d’un autre;

(b) direct public attention to his goods, services or business in such a way as to cause or be likely to cause confusion in Canada, at the time he commenced so to direct attention to them, between his goods, services or business and the goods, services or business of another;

c) faire passer d’autres produits ou services pour ceux qui sont commandés ou demandés;

(c) pass off other goods or services as and for those ordered or requested; or

d) employer, en liaison avec des produits ou services, une désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde :

(d) make use, in association with goods or services, of any description that is false in a material respect and likely to mislead the public as to

i) soit leurs caractéristiques, leur qualité, quantité ou composition,

(i) the character, quality, quantity or composition,

ii) soit leur origine géographique,

(ii) the geographical origin, or

iii) soit leur mode de fabrication, de production ou d’exécution.

(iii) the mode of the manufacture, production or performance of the goods or services.

e) [Abrogé, 2014, ch. 32, art. 10]

(e) [Repealed, 2014, c. 32, s. 10]

[…]

[…]

53.2 (1) Lorsqu’il est convaincu, sur demande de toute personne intéressée, qu’un acte a été accompli contrairement à la présente loi, le tribunal peut rendre les ordonnances qu’il juge indiquées, notamment pour réparation par voie d’injonction ou par recouvrement de dommages‑intérêts ou de profits, pour l’imposition de dommages punitifs, ou encore pour la disposition par destruction ou autrement des produits, emballages, étiquettes et matériel publicitaire contrevenant à la présente loi et de tout équipement employé pour produire ceux‑ci.

53.2 (1) If a court is satisfied, on application of any interested person, that any act has been done contrary to this Act, the court may make any order that it considers appropriate in the circumstances, including an order providing for relief by way of injunction and the recovery of damages or profits, for punitive damages and for the destruction or other disposition of any offending goods, packaging, labels and advertising material and of any equipment used to produce the goods, packaging, labels or advertising material.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑214‑21

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

JOHN ZANIN c OOMA, INC. et al.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

DU 17 AU 20 JANVIER 2022

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 10 JANVIER 2025

 

COMPARUTIONS :

Simon Lin

 

AVOCAT DU DEMANDEUR

 

Sébastien A. Paquette

Jérémie John Martin

 

AVOCATS DU DEMANDEUR

Yves Martineau

Patrick Girard

Marianne Bastille‑Parent

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Evolink Law Group

Burnaby (Colombie‑Britannique)

 

AVOCATS DU DEMANDEUR

 

Champlain Avocats

Montréal (Québec)

 

AVOCATS DU DEMANDEUR

Stikeman Elliott S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

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