Date : 20250123
Dossier : IMM-11496-22
Référence : 2025 CF 128
Ottawa (Ontario), le 23 janvier 2025
En présence de l’honorable juge Roy
ENTRE :
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AHMED FALL
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demandeur |
et
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LE Ministre de la Sécurité publique et la Protection civile |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] Cette demande de contrôle judiciaire, faite en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], a ses particularités. Une demande de sursis administratif a été refusée par l’agent chargé du renvoi du demandeur. Une demande de contrôle judiciaire de cette décision a été présentée, ce qui donnait ouverture à une demande de sursis de la mesure de renvoi devant notre Cour, en vertu de l’article 18.2 de la Loi sur les cours fédérales, LRC 1985, c F-7. Cette demande a aussi été rejetée. Malgré tout, la demande d’autorisation de contrôle judiciaire du refus de sursis administratif a été accordée. C’est de cette demande de contrôle judiciaire dont il est question ici.
[2] Le défendeur argue que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée au stade préliminaire parce qu’elle serait devenue théorique, puisque le demandeur a quitté le pays. Néanmoins, en fin de compte, la demande doit être rejetée au mérite.
I. Les faits
[3] M. Fall est un citoyen de la République du Sénégal qui est arrivé au Canada en août 2018 pour y poursuivre des études. Il a fait une demande d’asile déférée à la Section de la protection des réfugiés le 30 avril 2021. Le demandeur y alléguait son homosexualité qui le faisait craindre la persécution dans son pays de nationalité. La demande a été rejetée parce que son témoignage n’était pas digne de foi et que le demandeur n’était pas jugé crédible.
[4] La Section d’appel des réfugiés n’a pas davantage été réceptive. Dans sa décision du 9 août 2022, l’appel est rejeté, le décideur administratif considérant que la Section de la protection des réfugiés avait eu raison que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié et qu’il n’est pas une personne à protéger. On conclut que le demandeur n’a pas établi son orientation sexuelle selon la norme de preuve requise, la prépondérance des probabilités. Encore ici, la preuve offerte est vue comme incohérente, en plus d’éléments qui se contredisent et des omissions considérées comme flagrantes.
[5] On reproche aussi au demandeur la présentation tardive de sa demande d’asile (plus de trois ans après son arrivée). Selon les tribunaux administratifs, le demandeur a considéré requérir le statut de réfugié ou de personne à protéger lorsqu’il s’est trouvé « en détresse financière et administrative, et pas pour des raisons liées à son homosexualité alléguée ».
Qui plus est, le retard de six ans à quitter le Sénégal alors qu’il prétendait pourtant être en danger fait douter de ses dires quant à sa crainte en lien avec son orientation sexuelle.
[6] C’est le 4 octobre 2022 que l’interdiction de séjour est devenue une mesure d’expulsion; s’en est suivie l’entrevue aux fins de renvoi le 11 octobre et la date du 16 novembre 2022 est fixée pour le renvoi. Le 14 octobre 2022, le demandeur communique aux autorités avoir été victime d’une agression sur son lieu de travail, le 5 septembre 2022, qui devra requérir qu’il témoigne devant un tribunal criminel. Il fait une demande de report de son renvoi le 28 octobre 2022 où il allègue l’existence d’un dossier auprès de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail [CNESST] et une détérioration de sa santé psychologique. Il dit devoir témoigner devant la cour criminelle; cela porterait atteinte à l’équité procédurale. Il voudrait que son renvoi soit reporté pour lui permettre de témoigner en personne car, dit-il, la qualité de l’internet au Sénégal est médiocre.
[7] La demande de report de renvoi (sursis administratif) est rejetée le 31 octobre. La décision reprend les allégués du demandeur et y répond. Ainsi on lit :
Vous n’avez pas soumis, ou démontré de façon claire avec de la preuve documentaire crédible que l’état de votre client s’est détérioré et qu’un suivi en psychologie est nécessaire par suite de l’agression. De plus, aucun document n’a été soumis indiquant qu’un dossier a été ouvert pour votre client auprès de la CNESST.
Vous n’avez pas soumis ou démontré de façon claire avec de la preuve documentaire crédible que le suivi psychologique pour votre client ne pourrait pas être réalisé au Sénégal ou à distance par un service de vidéoconférence.
[…]
Vous n’avez pas démontré de façon claire avec de la preuve documentaire crédible que votre client doit être physiquement présent au tribunal pour témoigner de vive voix contre son présumé agresseur.
Vous n’avez pas démontré de façon claire avec de la preuve documentaire crédible que le réseau internet au Sénégal ne peut pas prendre en charge un service de visioconférence. De plus vous n’avez pas démontrez que des alternatives, telle une déclaration assermentée, ne pouvaient pas être utilisées devant le tribunal dans le dossier en question.
Des recherches par notre service ont indiqué qu’aucune date de procès n’est présentement prévue dans la cause en question dû au fait que le présumé agresseur est présentement visé par un mandat d’arrestation.
Le décideur administratif a aussi noté que n’avait pas été invoqué un problème médical empêchant le demandeur de voyager, ou même que ce problème médical ne pourrait être traité au Sénégal. De fait, il n’est pas invoqué ni démontré qu’il existe des risques nouveaux de retour au Sénégal. Cela réfère à la décision récente de la Section d’appel des réfugiés d’août 2022, moins de trois mois avant la décision négative sur le sursis administratif, qui refusait les craintes alléguées par le demandeur.
[8] Le 17 novembre 2022, le demandeur déposait sa demande d’autorisation de contrôle judiciaire à l’égard du refus de sursis administratif. À l’évidence, il ne s’était pas présenté pour son renvoi ordonné pour le 16 novembre. Un mandat d’arrestation a donc été émis, aussi le 17 novembre.
[9] M. Fall est arrêté le 23 novembre 2022. Le 24 novembre, il dépose une demande de sursis judiciaire devant notre Cour : son renvoi prévu alors le 25 novembre est reporté au 3 décembre. Le sursis judiciaire est refusé le 1er décembre 2022. M. le juge Mosley écrivait au sujet des motifs de refus : « CONSIDÉRANT que la Cour n’est pas persuadée que le demandeur a démontré qu’il existe une question sérieuse à trancher ou qu’il subit un préjudice irréparable par son renvoi dans son pays d’origine »
. Le demandeur était déporté vers le Sénégal le 3 décembre 2022. Sans être présentement au Sénégal, nous dit son avocat, il semble que le demandeur soit toujours sur le continent africain, quoique ses allées et venues soient incertaines.
[10] Malgré qu’il ait conclu le 1er décembre 2022 qu’un sursis judiciaire ne devait pas être ordonné parce qu’une question sérieuse à trancher ou un préjudice irréparable n’avait pas été démontré, le juge Mosley a tout de même accordé l’autorisation d’introduire une demande de contrôle judiciaire, déposée le 17 novembre 2022 à l’égard du refus de sursis administratif décidé le 31 octobre 2022. L’ordonnance autorisant la demande de contrôle judiciaire de poursuivre son cours est venue le 2 janvier 2024.
II. La position des parties
[11] La position du demandeur n’est pas aussi claire qu’espérée. Il se plaint qu’alors qu’il s’attendait à être convoqué pour une forme d’audition par l’agent responsable de son renvoi, celui-ci a plutôt décidé sur dossier. On ne sait d’où cette attente pourrait venir et aucune telle demande à cet effet n’a de tout manière été faite par le demandeur.
[12] M. Fall déclare aussi que l’agent responsable de son renvoi n’aurait pas tenu compte de tous les éléments pertinents. Mais le demandeur ne dit pas en quoi le décideur administratif n’aurait pas considéré certaines preuves pertinentes alors même qu’il reprend les mêmes éléments qui avaient été soumis par lui et au sujet desquels le décideur administratif a opiné.
[13] Enfin, le demandeur annonce que le pouvoir discrétionnaire du décideur administratif n’a pas été exercé en conformité des règles de justice naturelle et d’équité procédurale. Pour seule démonstration, le demandeur reprend le test tripartite pour l’émission d’une injonction interlocutoire ou un sursis judiciaire d’une mesure de renvoi (RJR-Macdonald Inc. c Canada (Procureur général), 1994 CanLII 117 (CSC), [1994] 1 RCS 311; Toth c Canada (Citoyenneté et Immigration), 1988 CanLII 1420 (CAF)). Il n’établit pas en quoi ce test tripartite utilisé par le judiciaire peut avoir une quelconque pertinence quant à une décision d’un tribunal administratif.
[14] D’une manière tout à fait elliptique, le demandeur parle en termes de « contrôle judiciaire sous-jacent » lors de son examen de la question sérieuse (aux para 77 et 85) alors même que le contrôle judiciaire sous-jacent lorsque le test tripartite est examiné est en fait le contrôle judiciaire en l’espèce au sujet duquel il ne s’agit plus de la question sérieuse, mais bien d’établir que la décision administrative est déraisonnable.
[15] De plus, le demandeur invoque l’omission de l’agent responsable de son renvoi de considérer la privation d’être entendu lors de l’examen des risques avant renvoi [ERAR] qu’il dit avoir demandé. Or, cela semble référer à sa plainte au paragraphe 9 du mémoire des faits et du droit que sa demande ERAR faite le 10 octobre 2022 lui avait été refusée. En fait, la LIPR lui interdisait l’accès à une demande ERAR puisque les risques avaient déjà été évalués moins de trois mois plus tôt par la Section d’appel des réfugiés (au para 112(2) de la LIPR). Dans ces circonstances, la demande ERAR est interdite par la Loi.
[16] Les commentaires faits au titre du préjudice irréparable et de la balance des inconvénients, les deux autres branches du test tripartite, sont tout aussi elliptiques, le demandeur évoquant des prétentions de risques pour sa vie, sa sécurité et sa liberté au Sénégal de par ses activités politiques, et déclarant simplement que la balance des inconvénients le favorise sans dire comment.
[17] Quant au défendeur, il plaide d’abord que la demande de contrôle judiciaire est devenue théorique du fait que le demandeur a fait l’objet d’une déportation et que la décision de la Cour ne pourrait plus résoudre le litige. Le défendeur s’inspire de la première partie de l’arrêt souvent cité dans Baron c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81 (CanLII), [2010] 2 RCF 311 [Baron], pour argumenter qu’une demande pendante ne serait pas devant « les autorités de l’immigration canadienne »
permettant qu’un statut lui soit octroyé au Canada.
[18] Il est aussi soumis que le demandeur n’a subi aucune entrave à l’équité procédurale puisque le droit ne prévoit pas qu’il faille une entrevue. Le demandeur n’a pas fait la démonstration d’une quelconque obligation à cet égard. De fait, le fardeau de faire la démonstration qu’un sursis de renvoi est approprié doit être déchargé par le demandeur : il n’en a aucunement été privé. Le demandeur a pu participer au processus et l’a fait. Le demandeur n’a même pas demandé qu’une entrevue ait lieu.
[19] En tout état de cause, la décision rendue était raisonnable. La discrétion limitée de l’agent de renvoi a été exercée raisonnablement. Les motifs invoqués par le demandeur (témoigner lors d’un procès criminel, dossier ouvert auprès de la CNESST et vouloir consulter un psychologue) ne constituent pas des motifs exigeant un sursis de renvoi : l’agent de renvoi n’avait d’autre choix que de refuser le sursis administratif. De toute façon ces motifs n’empêchent pas le renvoi de quelqu’un sans statut. Les circonstances justifiant un tel report sont limitées (Baron, aux para 51 et 81).
III. Analyse
[20] Le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau d’établir que la décision de l’agent de renvoi n’avait pas les apanages de la décision raisonnable.
[21] La Cour décide de cette demande de contrôle judiciaire au mérite et non sur la base que la demande de contrôle judiciaire serait devenue théorique. Comme je l’ai indiqué lors de l’audition, j’entretiens des doutes au sujet de l’argument préliminaire voulant que le recours soit devenu théorique au sens de l’arrêt Borowski c Canada (Procureur général), 1989 CanLII 123 (CSC), [1989] 1 RCS 342 [Borowski], l’arrêt de principe en la matière.
[22] C’est que le caractère théorique d’un litige apparaît lorsqu’il n’y a plus de « litige actuel ni de différend concret »
(« a live controversy or concrete dispute »).
Or, le même juge qui avait refusé d’accorder un sursis judiciaire en décembre 2022 (le renvoi a eu lieu le 3 décembre 2022) est aussi celui qui a accordé en janvier 2024 l’autorisation du contrôle judiciaire de la décision de l’agent chargé du renvoi de refuser le sursis administratif en 2022. On peut penser qu’il ne voyait rien de théorique au contrôle judiciaire.
[23] Il est loin d’être certain, à mon sens, qu’il n’existe plus de « litige actuel » du fait qu’une demande de contrôle judicaire reste pendante après que le demandeur eut été renvoyé.
[24] Dans Baron, l’agent de renvoi avait refusé le sursis administratif demandé pendant qu’une demande fondée sur des considérations humanitaires [demande CH] devait suivre son cours. Notre Cour avait alors conclu au caractère théorique de la demande de contrôle judiciaire parce que celle-ci ne pourrait résoudre le litige; c’est qu’un sursis judiciaire avait été accordé. De se prononcer sur le refus d’accorder un sursis administratif ne changerait rien à la situation. L’appel en aura décidé autrement.
[
25
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Dans Baron, même le Procureur général du Canada était d’avis que le recours n’était pas devenu théorique (para 20). Le seul fait que la date de renvoi prévue soit passée n’est pas le bon critère pour conclure que le recours est maintenant théorique. De fait, cela deviendrait inéquitable disait le Procureur général puisque la demande de sursis administratif prendrait une dimension considérable en ce que « étant donné que toutes les requêtes en sursis qui se soldent par un report du renvoi auront pour effet de sceller le sort de toute demande d’autorisation et de contrôle judiciaire et de transformer essentiellement les requêtes en sursis en demandes de contrôle judiciaire avec peu de préavis et, dans bien des cas, sur le fondement d’un dossier incomplet »
(para 20). On doit penser que l’iniquité jouerait tant pour le demandeur que le défendeur.
[26] La Cour d’appel a plutôt décidé que la demande de contrôle judiciaire n’était pas théorique parce qu’il existait toujours un litige actuel qui, dans ce cas, était de déterminer si une demande CH en instance requérait un sursis administratif. Or la qualification donnée au litige est ce qui importe pour décider du caractère théorique, ou non, d’un recours.
[27] Je ne suis pas convaincu que la demande de contrôle judiciaire dont l’autorisation est accordée après que la personne a quitté le pays devient automatiquement théorique à cause de ce seul départ. On peut arguer qu’il continue d’y avoir un litige actuel du fait que l’autorisation a été accordée. Celle-ci l’est après que le sursis judiciaire ait été refusé sur une base juridique différente. À mon sens, la demande de contrôle judicaire, que ce soit celle du demandeur ou du défendeur, procède sur une base différente qui constitue un litige actuel qui peut, mais pas nécessairement doit, donner lieu à une autorisation. Mais si celle-ci est accordée, je vois mal comment le litige serait devenu théorique.
[28] L’avocate du Procureur général insistait lors de l’audience que le recours est théorique parce que la Cour ne peut ordonner un remède adéquat. Dans Baron, où on a décidé que l’existence d’une demande CH ne requérait pas d’accorder un sursis (mais un sursis pourrait être accordé), la Cour d’appel note au paragraphe 51 que « [d]ans les affaires où le demandeur a gain de cause dans sa demande CH, il peut obtenir réparation par sa réadmission au pays ».
Dans le cas d’un examen des risques avant renvoi là où le renvoi a eu lieu, la Cour d’appel (2011 CAF 286, [2012] 2 RCF 133) rappelait que le ministre peut permettre au demandeur de revenir au Canada en attendant la décision sur sa demande ERAR. De fait, même si on devait considérer le recours théorique, la Cour pourrait entendre quand même le recours pour l’application du pouvoir discrétionnaire décrit dans Borowski.
[29] En fin de compte, il est loin d’être clair que la demande de contrôle judiciaire en notre espèce est théorique, et même si elle l’était, qu’elle ne pourrait ou devrait pas être entendue. D’ailleurs, la Cour d’appel dans Baron, qui avait conclu que la demande de contrôle judiciaire n’était pas théorique, aurait entendu l’affaire malgré tout : « Compte tenu des facteurs énumérés par la Cour suprême dans l’arrêt Borowski, précité, si j’avais été d’avis que la demande est théorique, je n’aurais eu aucune hésitation à décider que notre Cour devrait statuer sur le fond de la demande »
(au para 46).
[30] Puisque n’a pas été plaidé autrement que « en passant » la question du caractère théorique d’un contrôle judiciaire autorisé après le renvoi du demandeur, ce qui pourrait suggérer un élément de per incuriam de la part de notre Cour, je préfère ne pas chercher à disposer de l’argument sans un examen complet et contradictoire qui n’a pas eu lieu. Il suffit plutôt de constater que, quant au fond, la demande de contrôle est sans mérite. Voici pourquoi.
[31] D’abord, l’argumentaire référant au test tripartite pour l’obtention d’une injonction interlocutoire (ou un sursis judiciaire) n’avance pas la cause du demandeur. Ce test ne trouve aucune application en l’espèce.
[32] Il n’y a pas davantage de mérite à l’argument que le fait que l’agent de renvoi n’ait pas convoqué le demandeur à une entrevue constitue une atteinte à l’équité procédurale. Ce que le droit requiert est qu’une personne puisse présenter ses arguments, qu’elle puisse participer raisonnablement au débat qui la concerne. Le demandeur a cherché à faire son cheval de bataille de la décision Cenelia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 942 (CanLII). Or, cette décision ne lui est d’aucun recours. Dans cette décision, le demandeur plaidait et démontrait qu’un avis de convocation à une audition de la Section d’appel de l’immigration ne lui était jamais parvenu, étant entre les mains d’une voisine, si bien qu’il n’avait pu se rendre à l’audition pour y être entendu. Dans notre cas, le demandeur n’a jamais été empêché de faire valoir ses arguments et de présenter sa preuve. C’est plutôt la décision Ren c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 1345 (CanLII), qui me semble bien résumer l’état du droit :
[36] Il incombait au demandeur de présenter des éléments de preuve à l’appui de sa demande de report et de la justifier. Voir la décision Williams c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 274, au paragraphe 30. L’agente n’a pas à poser des questions ou à fournir des éléments de preuve quant à la question de savoir pourquoi la demande devrait être accueillie. L’agente a l’obligation légale d’exécuter dès que possible la mesure de renvoi du demandeur. C’est au demandeur de convaincre l’agente que son renvoi n’est pas raisonnablement possible et qu’un report est nécessaire. L’agente n’avait aucune obligation de procéder à une entrevue du demandeur ou de discuter avec lui relativement à sa demande. Voir la décision John c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 420 (CanLII), [2003] ACF no 583 (CF 1re instance). Le demandeur a eu amplement l’occasion de présenter ses éléments de preuve et ses arguments à l’agente. Il était également représenté par un avocat, qui avait fait la demande.
[33] Le demandeur a aussi suggéré, davantage qu’il n’a démontré, que le décideur administratif n’avait pas tenu compte de tous les éléments pertinents en rendant sa décision. Quels sont ces éléments? On ne trouve rien d’autre que (1) la préférence du demandeur à témoigner de vive voix lors d’un éventuel procès criminel au sujet de l’agression dont il a été victime, (2) le fait qu’un dossier serait ouvert auprès de la CNESST relativement à cette agression et (3) la consultation d’un psychologue à la suite de cette agression. Le demandeur était tenu de démontrer que le décideur administratif n’avait pas agi raisonnablement. Cela n’a pas été fait. Comme le note le défendeur, le décideur administratif a pris en considération tous ces arguments. C’est plutôt que le demandeur n’a soumis aucune preuve en soutien de prétentions générales.
[34] Le demandeur n’a cité aucune autorité en soutien à sa proposition selon laquelle son renvoi du Canada aurait dû être suspendu en raison des conséquences de l’agression dont il a été victime. L’article 50 de la LIPR prévoit des cas où une mesure de renvoi est suspendue. Le demandeur n’a pas cherché à se prévaloir de ces cas et la jurisprudence ne le favorise pas (Macatagay c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 665 (CanLII), au para 10; Idahosa c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) (CAF), 2008 CAF 418 (CanLII), [2009] 4 RCF 293). En l’espèce, aucune démonstration n’a été faite en quoi l’article 50 aurait pu trouver application ou en quoi la décision de ne pas accorder le sursis administratif pourrait être déraisonnable.
[35] En somme, le demandeur n’a pas établi en vertu des allégations qu’il invoque que la décision du décideur administratif serait déraisonnable, comme il devait le faire.
[36] S’éviter son renvoi du Canada ne pouvait dépendre des raisons invoquées par le demandeur. Comme il a si souvent été dit, le pouvoir de l’agent de renvoi est très limité. Les facteurs souvent cités relèvent de la maladie, de raisons à l’encontre de voyages ou de la fin de l’année scolaire d’enfants. Sans être une liste exhaustive, ces facteurs reflètent le genre de circonstances qui justifiaient un report de renvoi. Rien de tel n’existait en notre espèce, ou à tout le moins n’a été invoqué et démontré.
IV. Conclusion
[37] Le défendeur note que puisque c’est la décision de l’agent responsable du renvoi, un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada, dont il est question, c’est le Ministre de la sécurité publique et de la Protection civile qui doit être désigné comme défendeur. Il a raison. La désignation du défendeur a donc été amendée en conséquence.
[38] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties ont été consultées et elles sont d’avis qu’il n’existe pas de question grave de portée générale qui devrait être certifiée en vertu de l’article 74 de la LIPR. C’est un avis que la Cour partage.
JUGEMENT au dossier IMM-11496-22
LA COUR STATUE ce qui suit :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
La désignation appropriée du défendeur est « ministre de la Sécurité publique et la Protection civile ». C’est la désignation utilisée dans ce jugement.
Il n’y a aucune question à certifier.
« Yvan Roy »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-11496-22 |
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INTITULÉ :
|
AHMED FALL c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET LA PROTECTION CIVILE |
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
TENUE par vidéoconférence |
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 16 décembre 2024 |
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JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE Roy |
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DATE DES MOTIFS : |
LE 23 janvier 2025
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COMPARUTIONS :
Me Ibrahima Bocar Thiam |
Pour le demandeur |
Me Larissa Foucault |
Pour le défendeur |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Me Ibrahima Bocar THIAM Montréal (Québec) |
Pour le demandeur |
Procureur général du Canada Montréal (Québec) |
Pour le défendeur |