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Date : 20250116


Dossier : IMM-11281-23

Référence : 2025 CF 97

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 16 janvier 2025

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

HEIDAR SAYEKAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Heidar Sayekan est un citoyen de l’Iran. Il sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent des visas [l’agent] du consulat général du Canada à Varsovie a rejeté la demande de résidence permanente qu’il avait présentée dans la catégorie des travailleurs autonomes au titre du paragraphe 12(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, et du paragraphe 100(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement].

[2] M. Sayekan, qui vit en Iran avec son épouse et sa fille, est calligraphe. Il a présenté une demande de résidence permanente en juillet 2019 avec l’aide d’un représentant rémunéré. Dans une lettre jointe à la demande de résidence permanente, le représentant du demandeur a mentionné qu’un plan d’affaires et des résultats de test de langue récents seraient fournis ultérieurement.

[3] Le 25 mars 2023, un autre agent des visas a envoyé une lettre à M. Sayekan pour lui donner l’occasion de transmettre des renseignements supplémentaires. Selon M. Sayekan, celui‑ci avait déjà présenté une demande complète et il n’était donc pas nécessaire de fournir des documents supplémentaires.

[4] Le 13 juillet 2023, l’agent a rejeté la demande de résidence permanente présentée par M. Sayekan. Les notes consignées par l’agent dans le Système mondial de gestion des cas indiquent ce qui suit :

[traduction]

[…] J’ai examiné les documents fournis. Une demande visant l’obtention de documents à jour a été envoyée en 2023. Aucune réponse n’a été reçue. L’évaluation s’est poursuivie selon les documents contenus dans le dossier. Le demandeur principal a présenté sa demande en tant que calligraphe. La lettre du représentant indique que le demandeur principal suit des cours afin d’améliorer ses compétences linguistiques en anglais, mais je suis d’avis qu’il est préférable de parler couramment une langue avant d’immigrer dans un nouveau pays et de fonder une entreprise. La lettre du représentant précise aussi que les résultats du demandeur au test de langue de l’IELTS seraient fournis. Ils n’ont pas été reçus. Il n’est pas nécessaire de passer ce test, mais le fait que les résultats n’aient pas été fournis m’amène à douter davantage de la capacité du demandeur principal à travailler dans l’une des deux langues officielles du Canada. Le demandeur principal affirme que ses compétences linguistiques en anglais sont de niveau moyen, mais, compte tenu de l’observation formulée dans la lettre du représentant concernant les efforts consacrés par le demandeur principal pour les améliorer, je ne suis pas convaincu que ses compétences linguistiques actuelles soient suffisantes pour lui permettre de travailler en contact avec la clientèle au Canada. Le représentant a également mentionné dans sa lettre que le demandeur principal effectuerait une étude de marché approfondie et présenterait la preuve de cette étude ainsi qu’un plan d’affaires. Aucun des deux documents n’a été reçu. Il est à noter que ces documents ne sont pas requis. Cependant, bien que le demandeur principal ait déposé une preuve de son travail de calligraphie en Iran, il n’a pas réussi à me convaincre qu’il pouvait se servir de cette expérience au Canada. Selon l’annexe 6A, il souhaite travailler comme calligraphe et donner des cours de calligraphie en Colombie-Britannique. Le demandeur principal fait référence à la communauté iranienne, mais il n’a pas réussi à me convaincre qu’il existe une demande suffisante provenant de cette clientèle pour les services qu’il compte offrir. De plus, il n’a pas réussi à me convaincre qu’il existe une demande sur le marché canadien en général pour ce type de service ou qu’il possède les compétences nécessaires pour percer ce marché. Dans l’ensemble, le demandeur principal n’a pas de plan raisonnable pour exercer les activités voulues au Canada en tant que travailleur autonome, de sorte que je ne suis pas convaincu qu’il a l’intention et qu’il est en mesure d’être travailleur autonome au Canada. Le demandeur principal n’a pas suffisamment expliqué comment il contribuerait de manière importante aux activités du Canada, n’a pas fourni de données à l’appui et n’a pas présenté une preuve qui suffit à étayer ses affirmations à cet égard. Décision : Après avoir examiné tous les renseignements au dossier, je ne suis pas convaincu que le demandeur a l’intention réelle de créer son propre emploi au Canada et de contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada, et qu’il a la capacité nécessaire pour y arriver. Je ne suis pas convaincu que le demandeur répond à la définition de travailleur autonome énoncée à l’article 88 du Règlement. En application du paragraphe 100(2) du Règlement, je mets fin à l’examen de la demande et la rejette. Action requise : Veuillez envoyer une lettre de refus. Il n’y a aucun remboursement à effectuer.

[5] La décision de l’agent est susceptible de contrôle par la Cour selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 10). La Cour n’interviendra que si la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

[6] Les critères « de justification, d’intelligibilité et de transparence » sont remplis lorsque les motifs permettent à la Cour de comprendre le raisonnement ayant mené à la décision et de décider si celle‑ci appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Vavilov, aux para 85‑86, renvoyant à Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).

[7] Les questions d’équité procédurale sont assujetties à un exercice de révision qui est particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte, même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54). La question fondamentale demeure celle de savoir si un demandeur a eu possibilité complète et équitable d’être entendu (Siffort c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 351 au para 18).

[8] M. Sayekan affirme que la décision de l’agent est inéquitable sur le plan procédural à deux égards. Premièrement, il soutient que l’agent a rendu une décision en se fondant sur un dossier incomplet, puisqu’il avait en réalité déposé un plan d’affaires et des résultats de test de langue récents (renvoyant à Guo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 883 [Guo]). Deuxièmement, il fait valoir qu’il était inéquitable de la part de l’agent des visas de ne pas mentionner, dans la lettre dans laquelle celui‑ci l’invitait à fournir des renseignements supplémentaires, qu’un plan d’affaires et des résultats de test de langue récents étaient manquants (renvoyant à Mohitian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1393 [Mohitian]).

[9] L’affaire Guo peut être distinguée de l’espèce. Dans l’affaire Guo, le dossier certifié du tribunal comprenait une lettre d’accompagnement énumérant les documents manquants, ce qui permettait d’inférer que les documents avaient été fournis à l’agent des visas, mais qu’ils n’avaient pas été versés au dossier (au para 18). En l’espèce, la lettre d’accompagnement préparée par le représentant de M. Sayekan indiquait qu’un plan d’affaires et des résultats de test de langue seraient fournis ultérieurement. Rien n’étaye l’affirmation de M. Sayekan selon laquelle son représentant a fourni l’un ou l’autre de ces documents à une date ultérieure. À l’opposé, la preuve par affidavit présentée pour le compte du défendeur confirme que l’agent n’a jamais reçu le plan d’affaires de M. Sayekan ni ses résultats de test de langue récents.

[10] Lorsqu’un document ne figure pas dans le dossier certifié du tribunal, la Cour présume qu’il n’était pas à la disposition du décideur, sauf si la preuve produite par le demandeur démontre le contraire. Une simple affirmation ne suffit pas (Adams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1104 au para 19). D’après la preuve présentée par les parties, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur n’a fourni à l’agent ni plan d’affaires ni résultats de test de langue récents.

[11] L’affaire Mohitian peut elle aussi être distinguée de l’espèce. Un agent des visas n’est nullement tenu de demander des précisions au sujet d’une demande incomplète ou d’en combler les lacunes, d’aider le demandeur à établir le bien-fondé de sa demande, d’informer le demandeur de réserves concernant le respect des exigences de la loi, de fournir au demandeur un résultat provisoire à chaque étape du processus de demande ou de lui offrir d’autres possibilités de répondre à des doutes ou de corriger des lacunes (Lv c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 935 [Lv] au para 23).

[12] L’obligation d’équité procédurale dont doit s’acquitter un agent des visas dans ces circonstances se situe à l’extrémité inférieure du spectre, et il incombait à M. Sayekan de présenter une preuve permettant d’établir qu’il remplissait les conditions préalables pour se voir accorder la résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs autonomes (Lv, au para 22; Hamza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 264 aux para 22‑23).

[13] Le défendeur fait remarquer que l’agent des visas n’était peut-être pas au courant, lorsque celui-ci a donné à M. Sayekan la possibilité de fournir des renseignements supplémentaires, que le plan d’affaires et les résultats de test de langue que le demandeur s’était engagé à présenter n’avaient pas été déposés. Il semble que la lettre correspondait à un formulaire standard couramment envoyé aux demandeurs avant qu’une décision soit rendue.

[14] La décision de l’agent est équitable sur le plan procédural. Elle est aussi raisonnable.

[15] Dans sa demande, M. Sayekan a décrit ses compétences linguistiques en anglais comme étant [traduction] « de niveau moyen ». Il était loisible à l’agent de conclure, en se fondant sur l’autoévaluation de M. Sayekan de ses compétences linguistiques et sur le fait que ce dernier s’était engagé à transmettre des résultats de test de langue récents, que les compétences actuelles du demandeur en anglais étaient insuffisantes. En l’absence d’un plan d’affaires ou d’une étude de marché, l’agent pouvait conclure que M. Sayekan n’avait pas démontré qu’il serait en mesure de réussir en tant que travailleur autonome au Canada, ou que l’entreprise qu’il comptait fonder contribuerait de manière importante aux activités économiques du pays.

[16] Toute personne qui présente une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs autonomes doit démontrer que « des efforts importants ont été déployés avant la présentation de la demande en vue de faire progresser un projet bien conçu, bien documenté et bien exécuté, qui indique une possibilité sérieuse de réussite économique ». « [U]n élément fondamental de toute demande est la démonstration que les projets ont été conçus en détail et que des mesures concrètes ont été prises pour assurer la mise en œuvre qui mènera à une activité économique réussie afin de répondre aux exigences imposées à un travailleur autonome immigrant au sens du paragraphe 88(1) » du Règlement (Rassouli c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 961 au para 25, citant Wei c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 982).

[17] Il était raisonnable pour l’agent de conclure que la preuve ne suffisait pas à démontrer que M. Sayekan avait réalisé l’étude de marché nécessaire ou qu’il avait conçu un plan cohérent et crédible en vue de s’établir au Canada comme travailleur autonome. L’agent n’a pas mis en doute les compétences en calligraphie de M. Sayekan, mais il n’était pas convaincu que ces compétences lui permettraient de créer une entreprise viable. L’agent s’est penché sur la question de savoir s’il existait une demande suffisante pour des services de calligraphie, tant au sein de la communauté iranienne en Colombie-Britannique qu’au sein de la population canadienne en général, et a conclu que la preuve présentée ne permettait pas de répondre à cette question par l’affirmative.

[18] Le défendeur précise que rien n’empêche M. Sayekan de présenter une nouvelle demande de résidence permanente au Canada au titre de la catégorie des travailleurs autonomes, en y joignant cette fois un plan d’affaires et des résultats de test de langue récents.

[19] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune partie n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel.

 


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire.

« Simon Fothergill »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-11281-23

INTITULÉ :

HEIDAR SAYEKAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 JANVIER 2025

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

DATE DES MOTIFS :

LE 16 JANVIER 2025

COMPARUTIONS :

James Feliks Morrison

POUR LE DEMANDEUR

Saudia Samad

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Zarei Law

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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