Dossier : T‑877‑22
T‑901‑22
Référence : 2025 CF 27
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 6 janvier 2025
En présence de monsieur le juge Southcott
Dossier : T‑877‑22
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ENTRE :
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SEA TOW SERVICES INTERNATIONAL, INC.
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demanderesse/
défenderesse reconventionnelle
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et
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C‑TOW MARINE ASSISTANCE LTD.
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défenderesse/
demanderesse reconventionnelle
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Dossier : T‑901‑22
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ET ENTRE :
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C‑TOW MARINE ASSISTANCE LTD.
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demanderesse
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et
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SEA TOW SERVICES INTERNATIONAL, INC.
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défenderesse
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JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS
I. Aperçu
[1] La présente décision porte sur les deux instances connexes mentionnées ci‑dessus, dans lesquelles la Cour a été appelée à trancher divers différends entre les parties découlant de leur emploi de marques de commerce similaires.
[2] Sea Tow Services International, Inc. [Sea Tow] a été constituée en société dans l’État de New York en 1983. Elle propose un modèle d’adhésion prépayée pour l’offre de services nautiques aux plaisanciers, notamment des services de remorquage, de livraison de carburant et de réparations, ainsi que d’autres services aux membres. Sea Tow est propriétaire des marques de commerce SEA TOW & Design, un dessin‑marque, et SEA TOW, des mots servant de marque, [collectivement, les marques SEA TOW] visées par les enregistrements canadiens portant respectivement les nos LMC870561 et LMC870562 [les enregistrements]. Voici la marque SEA TOW & Design :
[3] C‑Tow Marine Assistance Ltd. [C‑Tow] est établie au Canada et a été constituée en société en Colombie‑Britannique [la C.‑B.] en 2006. Son modèle d’affaires et les services qu’elle fournit sont semblables à ceux qu’offre Sea Tow. C‑Tow a produit des demandes d’enregistrement, en cours d’examen, pour les marques de commerce C‑TOW, un mot servant de marque, et C‑TOW & Design, un dessin‑marque, [collectivement, les marques C‑TOW]. Elle affirme que ses prédécesseurs en titre et elle emploient les marques C‑TOW au Canada depuis 1984. Voici la marque C‑TOW & Design :
[4] Le 21 avril 2022, C‑Tow a déposé l’avis de demande qui a ouvert le dossier T‑901‑22 [la demande]. Dans la demande, elle conteste la validité des enregistrements des marques SEA TOW et sollicite de la Cour une ordonnance en vue de les faire radier du registre des marques de commerce [le registre], au titre de l’article 57 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13 [la Loi].
[5] Le 28 avril 2022, Sea Tow a déposé la déclaration par laquelle a été introduite l’action à l’encontre de C‑Tow correspondant au dossier T‑877‑22. Dans la déclaration, elle allègue que C‑Tow a porté atteinte à ses droits à l’égard des marques SEA TOW [l’action]. C‑Tow a déposé une défense et demande reconventionnelle, dans laquelle elle conteste la validité des enregistrements des marques SEA TOW pour les mêmes motifs que ceux invoqués dans la demande.
[6] Le 29 septembre 2023, dans le cadre de l'action, Sea Tow a déposé un avis de requête, aux termes duquel elle sollicite de la Cour un jugement sommaire à l’égard de certains éléments de la défense et demande reconventionnelle de C‑Tow ainsi que la radiation de certains de ses paragraphes en conséquence [la requête]. C‑Tow convient que les questions soulevées par Sea Tow se prêtent à un jugement sommaire, mais elle soutient que la Cour devrait se prononcer en sa faveur sur ces questions.
[7] Le 5 octobre 2023, le juge adjoint Trent Horne [le juge adjoint Horne], qui a assuré la gestion de l’action et de la demande, a ordonné que la demande et la requête soient instruites ensemble. La Cour a entendu les plaidoiries relatives à la demande, suivies de celles relatives à la requête, les 9 et 10 juillet 2024.
[8] Certains des éléments de preuve produits en lien avec les deux affaires font l’objet d’une ordonnance de confidentialité rendue le 5 juillet 2024 dans le but de protéger les renseignements confidentiels des parties qui sont sensibles sur le plan commercial. Ainsi, une version confidentielle du jugement et des motifs a été soumise aux parties le 6 janvier 2025 afin qu’elles puissent proposer des passages à caviarder dans la version publique de la décision, laquelle serait publiée ultérieurement. Le 13 janvier 2025, chacune des parties a proposé, par écrit, des passages à caviarder de manière à protéger des renseignements jugés sensibles sur le plan commercial. Aucune des propositions de caviardage n’est contestée.
[9] J’estime que les passages ciblés sont minimes et que leur caviardage ne nuit pas à l’intelligibilité de la décision. En outre, ces passages concernent des renseignements confidentiels sensibles sur le plan commercial. J’estime également que le caviardage des passages ciblés permet l’atteinte d’un juste équilibre entre la protection des renseignements confidentiels et l’intérêt public à l’égard de procédures judiciaires ouvertes et accessibles. Ainsi, les passages que les parties ont proposés par écrit le 13 janvier 2025 sont caviardés dans la présente version publique du jugement et des motifs.
[10] La présente décision porte à la fois sur la demande et sur la requête. Pour les motifs exposés plus en détail ci‑après, j’accueillerai la demande (en partie) et ordonnerai donc que les enregistrements des marques SEA TOW soient radiés du registre. S’agissant de la requête en jugement sommaire, je donnerai gain de cause à C‑Tow.
II. Le contexte
[11] Le 20 décembre 2002, Sea Tow a produit, auprès du registraire des marques de commerce [le registraire], une demande pour l’enregistrement des marques SEA TOW en liaison avec des services qui, de façon générale, étaient associés à diverses catégories d’assistance nautique pour plaisanciers. Les demandes d’enregistrement ont été accueillies en 2007, à la condition que Sea Tow dépose une déclaration d’emploi des marques. Sea Tow a demandé plusieurs prorogations de délai, mais n’a finalement jamais déposé la déclaration requise, de sorte que ses demandes d’enregistrement ont été réputées abandonnées le 29 septembre 2010.
[12] Le 9 septembre 2010, soit avant la date à laquelle ses demandes antérieures ont été réputées abandonnées, Sea Tow a produit de nouvelles demandes pour l’enregistrement des marques SEA TOW en liaison avec des services qui, bien que définis différemment, étaient encore une fois associés à diverses catégories d’assistance nautique et de services aux membres. Les nouvelles demandes d’enregistrement étaient fondées sur l’emploi antérieur des marques de commerce aux États‑Unis, comme le permettait le paragraphe 16(2) de la Loi dans sa version alors en vigueur. Sea Tow a obtenu les enregistrements des marques SEA TOW le 3 février 2014.
[13] Les enregistrements des marques SEA TOW ont plus tard fait l’objet d’une procédure en vue de leur annulation pour non‑usage, à la suite des avis donnés par le registraire le 13 février 2017, en application de l’article 45 de la Loi. Le registraire a conclu que Sea Tow avait employé les marques SEA TOW au Canada pendant la période pertinente du 13 février 2014 au 13 février 2017, mais seulement en liaison avec certains des services visés par les enregistrements. Sea Tow a interjeté appel de cette décision devant la Cour fédérale. Dans la décision Sea Tow Services International, Inc c Trademark Factory International Inc, 2021 CF 550 [Sea Tow], la juge Janet Fuhrer a accueilli l’appel et conclu que Sea Tow avait employé les marques SEA TOW au Canada pendant la période pertinente, en liaison avec un plus grand nombre de services visés par les enregistrements (mais pas la totalité). À la suite de cette instance, les enregistrements sont demeurés valides en liaison avec les services suivants (conformément à la décision Sea Tow) :
SEA TOW & Design, enregistrement no LMC870561
(1) Services d’association, nommément promotion des intérêts de plaisanciers; services aux membres, nommément offre de rabais aux membres sur les services de tiers ainsi qu’organisation de l’offre aux membres, par un réseau de franchisés et ses partenaires autorisés, d’un accès aux services à prix réduit et prépayés suivants : services d’assurance, services de voyages, nommément services de location de voitures et de réservation de chambres d’hôtel à prix réduit, services éducatifs, nommément services éducatifs en matière de sécurité nautique, services d’information en ligne, nommément information sur la sécurité nautique, publications, nommément magazines portant sur des questions d’intérêt et des nouvelles concernant la communauté de plaisanciers.
(2) […]
(3) Services de cartographie marine et de consultation en la matière.
(4) Plongée et sauvetage sous-marin; sauvetage de navires; livraison de carburant et d’autres fournitures par bateau.
SEA TOW, enregistrement no LMC870562
(1) Services d’association, nommément promotion des intérêts de plaisanciers; services aux membres, nommément offre de rabais aux membres sur les services de tiers ainsi qu’organisation de l’offre aux membres, par un réseau de franchisés et ses partenaires autorisés, d’un accès aux services à prix réduit et prépayés suivants : services d’assurance, services de voyages, nommément services de location de voitures et de réservation de chambres d’hôtel à prix réduit, services éducatifs, nommément services éducatifs en matière de sécurité nautique, services d’information en ligne, nommément information sur la sécurité nautique, publications, nommément magazines portant sur des questions d’intérêt et des nouvelles concernant la communauté de plaisanciers.
(2) plongée et sauvetage sous‑marin; sauvetage de navires; livraison de carburant et d’autres fournitures par bateau; services de cartographie marine et de consultation en la matière.
[14] Entre‑temps, le 18 novembre 2015, C‑Tow a produit des demandes pour l’enregistrement des marques C‑TOW. Bien que cela ne soit pas directement pertinent en l’espèce, je crois comprendre qu’un examinateur a mentionné que les enregistrements des marques SEA TOW faisaient obstacle à l’enregistrement des marques C‑TOW.
[15] Comme je l’ai mentionné plus haut, C‑Tow a déposé la demande par laquelle elle conteste la validité des enregistrements des marques SEA TOW le 21 avril 2022. Dans la demande, elle invoque trois motifs d’invalidité :
- Sea Tow n’était pas la personne ayant droit d’obtenir l’enregistrement des marques SEA TOW (sur le fondement de l’alinéa 18(1)d) de la Loi);
- Sea Tow a produit de mauvaise foi ses demandes d’enregistrement des marques SEA TOW (sur le fondement l’alinéa 18(1)e) de la Loi);
- Les marques SEA TOW n’étaient pas distinctives à l’époque où a été introduite la demande contestant la validité des enregistrements (sur le fondement de l’alinéa 18(1)b) de la Loi).
[16] L’article 19 de la Loi crée une présomption de validité à l’égard des marques déposées (voir Loblaws Inc c Columbia Insurance Company, 2019 CF 961 [Loblaws] au para 22). Partant, il incombe à C‑Tow de réfuter cette présomption de validité en faisant la preuve d’au moins un des motifs d’invalidité qu’elle a invoqués (voir Enigmatus, SRO v Playtika Ltd, 2024 FC 751 au para 167).
[17] S’agissant du premier motif de nullité invoqué, C‑Tow soutient que Sea Tow n’était pas la personne ayant droit d’obtenir l’enregistrement des marques SEA TOW au Canada, étant donné que ces marques créaient de la confusion avec ses propres marques C‑TOW qu’elle avait antérieurement employées au Canada, ce qui allait à l’encontre de l’article 16 de la Loi dans sa version en vigueur le 9 septembre 2010 (date à laquelle Sea Tow a produit les demandes qui lui ont permis d’obtenir les enregistrements).
[18] Il importe toutefois de souligner que C‑Tow a présenté la demande plus de cinq ans après la date d’enregistrement des marques SEA TOW. Vu l’effet conjugué des paragraphes 17(1) et (2) de la Loi, il s’ensuit que C‑Tow ne peut obtenir gain de cause sur le fondement de ce motif d’invalidité, à moins que Sea Tow ait adopté les marques SEA TOW au Canada alors qu’elle était au courant de l’emploi antérieur par C‑Tow des marques C‑TOW au Canada. Suivant ce principe, selon lequel la validité des enregistrements ne peut être contestée pour ce motif, à moins que C‑Tow n’établisse que Sea Tow était au courant de l’emploi antérieur des marques C‑TOW à la date à laquelle elle a adopté les marques SEA TOW au Canada, la date d’adoption des marques SEA TOW est un point important dans le présent litige.
[19] Les parties s’entendent pour dire que la date d’adoption est définie par l’article 3 de la Loi, qui dispose qu’une marque de commerce est réputée avoir été adoptée par une personne, lorsque cette personne ou son prédécesseur en titre a commencé à l’employer au Canada ou à l’y faire connaître, ou, si la personne ou le prédécesseur en question ne l’avait pas antérieurement ainsi employée ou fait connaître, lorsque l’un d’eux a produit une demande d’enregistrement de cette marque au Canada.
[20] Toutefois, comme je l’expliquerai plus loin dans les présents motifs, les parties ne s’entendent ni sur l’interprétation de l’article 3 ni sur la date à laquelle chacune d’elles a employé pour la première fois ses marques respectives. En ce qui concerne les marques C‑TOW, le désaccord porte sur la question de savoir si la preuve démontre que C‑Tow, qui a été constituée en société en 2006, est la successeure en titre des propriétaires antérieurs de ces marques.
[21] En novembre 2022 et en avril 2023, C‑Tow a signifié à Sea Tow les éléments de preuve à l’appui de la demande, notamment ceux relatifs à son exposé sur la chaîne de titres. Ces éléments de preuve comprenaient l’affidavit souscrit le 18 novembre 2022 par le propriétaire et chef de la direction de C‑Tow, M. Andrew Cardiff, [le premier affidavit de M. Cardiff] ainsi que l’affidavit souscrit le 11 avril 2023 par M. Wayne Skinner, l’ancien actionnaire majoritaire de C‑Tow [le premier affidavit de M. Skinner]. Il ressort de ces affidavits que M. Cardiff a acheté la société de M. Skinner et de deux actionnaires minoritaires de C‑Tow à la fin de 2008, ce que nul ne conteste.
[22] Cela étant dit, aux paragraphes 4 à 7 de son premier affidavit, reproduits ci‑dessous, M. Cardiff expose également sa compréhension de l’historique de l’entreprise avant la constitution en société de C‑Tow en 2006 :
[traduction]
4. En 1984, le capitaine Jim MacDonald et son associé, Steve Ackles, ont démarré l’entreprise C‑Tow. Vers 1993, M. MacDonald a racheté la part de M. Ackles, puis, en 1997, il a constitué l’entreprise en société sous la dénomination sociale « C‑Tow Marine Assistance Ltd. » (l’entreprise et la société ci‑après désignées collectivement « C‑Tow »).
5. En 2002, M. MacDonald est décédé, et Paul Dupres [sic] a acheté C‑Tow.
6. En 2005, M. Dupres [sic] a vendu C‑Tow à Wayne Skinner.
7. Le ou vers le 6 novembre 2006, la société a été dissoute pour défaut de production. C‑Tow Marine Assistance Ltd. a à nouveau été constituée en société le ou vers le 23 novembre 2006 et elle est toujours en activité à ce jour. Les résultats de la recherche de C‑Tow dans le registre des entreprises figurent à la pièce A jointe au présent affidavit.
[23] Après avoir reçu les éléments de preuve présentés par C‑Tow à l’appui de la demande, Sea Tow a signifié sa requête en jugement sommaire dans l’action le 29 septembre 2023. La requête est en grande partie fondée sur le fait que, dans son premier affidavit, M. Cardiff considère la société constituée en 1997 sous le nom de C‑Tow Marine Assistance Ltd. (une société distincte portant le même nom que C‑Tow) [la société de 1997] comme faisant partie de la chaîne de titres des marques C‑TOW. Comme le premier affidavit de M. Cardiff indique que la société de 1997 a été dissoute le 6 novembre 2006, et en l’absence de documents faisant état d’une cession des droits relatifs aux marques de commerce avant la dissolution, Sea Tow soutient dans la requête que, selon l’article 344 du Business Corporations Act de la C.‑B., SBC 2002, c 57, ces droits ont été dévolus au gouvernement de la C.‑B. au moment de la dissolution. Sea Tow a donc fait valoir que la date de premier emploi des marques C‑TOW que pouvait revendiquer C‑Tow était sa date de constitution en société, à savoir le 23 novembre 2006.
[24] Dans la requête, Sea Tow a en outre affirmé qu’aux termes de l’article 3 de la Loi, sa date d’adoption la plus tardive des marques SEA TOW était le 20 décembre 2002, soit la date à laquelle elle avait produit sa première demande pour l’enregistrement de ces marques. Elle a soutenu que, suivant le paragraphe 17(2) de la Loi, la validité des enregistrements des marques SEA TOW était incontestable, étant donné que Sea Tow ne pouvait avoir été au courant de l’emploi des marques C‑TOW par C‑Tow à la date d’adoption des marques SEA TOW en 2002, puisque l’emploi des marques C-TOW n’avait débuté qu’en 2006. Sea Tow a donc sollicité de la Cour un jugement sommaire et une ordonnance radiant les portions de la défense et demande reconventionnelle de C‑Tow qui étaient fondées sur ce motif d’invalidité. (Dans la requête, Sea Tow a également sollicité la radiation des portions de la défense et demande reconventionnelle dans lesquelles il était invoqué l’absence de caractère distinctif comme motif d’invalidité, mais elle n’a par la suite présenté aucune observation à l’appui de cette demande.)
[25] Le 3 novembre 2023, C‑Tow a signifié les éléments de preuve sur lesquels elle entendait s’appuyer pour contester la requête. Ces éléments de preuve comprenaient le premier affidavit de M. Cardiff et le premier affidavit de M. Skinner, ainsi que de nouveaux affidavits de ces deux témoins. L’un après l’autre, ces nouveaux affidavits ont ensuite été remplacés par d’autres (pour des raisons qui ne semblent pas importantes). Ainsi, le dossier de requête comportait l’affidavit souscrit le 4 décembre 2023 par M. Cardiff [l’affidavit subséquent de M. Cardiff] ainsi que l’affidavit souscrit le 1er décembre 2023 par M. Skinner [l’affidavit subséquent de M. Skinner]. Lorsque C‑Tow a signifié sa preuve en réponse à la requête, elle a informé Sea Tow qu’elle entendait également s’appuyer sur ces nouveaux affidavits dans le contexte de la demande.
[26] Fait important, dans son affidavit subséquent, M. Cardiff reprend l’historique des marques C‑TOW et affirme que son témoignage antérieur concernant le rôle de la société de 1997 était inexact [traduction] « en raison d’une certaine négligence involontaire de [sa] part »
. Il déclare qu’en fait, la société de 1997 n’était pas liée à l’entreprise C‑Tow qu’il possède maintenant et qu’elle avait peut-être été enregistrée par un capitaine mécontent anciennement au service de C‑Tow, du nom de Mitch Rivest, qui l’aurait fait par dépit ou vengeance, à la suite de certains désaccords qu’il avait eus avec M. MacDonald. Dans son affidavit subséquent, M. Skinner ne modifie pas le témoignage qu’il a donné dans son premier affidavit, mais il fournit des précisions supplémentaires.
[27] C-Tow a ensuite présenté une requête au titre de l’article 312 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles], en vue d’obtenir l’autorisation de déposer les affidavits subséquents de M. Cardiff et de M. Skinner à l’appui de la demande. Le juge adjoint Horne a examiné cette requête dans la décision du 22 janvier 2024 (C‑Tow Marine Assistance Ltd v Sea Tow Services International, Inc, 2024 FC 101 [la décision du juge adjoint Horne]). Il a conclu que, s’il admettait les affidavits, Sea Tow subirait un préjudice, étant donné qu’elle avait sans aucun doute pris des décisions quant à la preuve qu’elle présenterait dans le contexte de la demande et à sa position sur la requête [en jugement sommaire et en radiation] en se fondant sur la preuve qu’avait signifiée C‑Tow à l’appui de la demande. Selon le juge adjoint Horne, Sea Tow pouvait raisonnablement s’attendre à ce que les éléments de preuve présentés par C‑Tow à l’appui de la demande, en particulier ceux relatifs à l’historique de son entreprise, soient [traduction] « dans la boîte »
(au para 54). La Cour était d’accord avec Sea Tow pour dire que le fait que C‑Tow avait revu et modifié l’historique de l’entreprise dans d’autres affidavits s’apparentait davantage à un fractionnement de la preuve qu’à l’examen de questions nouvelles ou inattendues (au para 56).
[28] Le juge adjoint Horne a néanmoins fait remarquer que la demande et la requête étaient [traduction] « indissociables »
, compte tenu du fait qu'elles devaient être entendues ensemble et du chevauchement des questions à trancher dans le contexte de chacune, notamment l’historique de l’entreprise de C‑Tow. Il craignait surtout que le juge appelé à statuer sur le fond des deux affaires ne soit tenu de tirer des conclusions de fait sur des instances étroitement liées en se fondant sur des affidavits différents, voire contradictoires, rédigés par les mêmes auteurs. Le fait que le juge dispose des mêmes éléments de preuve dans les deux dossiers servirait l’intérêt de la justice (voir les para 63 et 64).
[29] C’est pourquoi la Cour a accueilli la requête de C‑Tow et a, en retour, permis à Sea Tow de signifier et de produire une contre‑preuve tant dans le dossier de la demande que dans celui de la requête. Si le juge adjoint Horne s’est prononcé en faveur de la requête présentée par C‑Tow au titre de l’article 312 des Règles, il a toutefois adjugé à son encontre les dépens qu'il a fixés. (Cette adjudication de dépens valait uniquement pour la préparation de Sea Tow à l’audition de la requête au titre de l’article 312 des Règles et sa présence à celle‑ci. La question des dépens associés à tout autre affidavit déposé par Sea Tow, aux contre‑interrogatoires, à l’ensemble des autres étapes préalables à l’audition de la demande et de la requête ainsi qu’à l’audience conjointe, y compris les frais engagés inutilement, a été laissée à la discrétion du juge qui présiderait l’audience conjointe.)
[30] Les 9 et 10 juillet 2024, j’ai entendu les plaidoiries relatives à la demande, suivies de celles relatives à la requête, fondées sur les dossiers constitués par les parties, puis j’ai entendu leurs observations au sujet des dépens relatifs aux deux instances.
III. Les questions en litige
A. Introduction
[31] Comme je l’ai expliqué plus haut dans la mise en contexte des instances, il y a un chevauchement considérable entre les questions que la Cour doit trancher dans le cadre de la demande et dans celui de la requête. Dans leur dossier respectif, chacune des parties définit ces questions de façon quelque peu différente. Cela étant dit, il ressort également des observations présentées par écrit et de vive voix que les parties s’entendent sur certaines questions.
[32] Par exemple, l’énoncé des questions que soulève C‑Tow dans la demande comprend, à titre secondaire, la question de savoir si C‑Tow est une « personne intéressée »
visée par le paragraphe 57(1) de la Loi. Le paragraphe 57(1) dispose que la compétence de la Cour pour ordonner la radiation d’une inscription dans le registre est subordonnée à la demande d’une « personne intéressée »
qui, selon l’article 2 de la Loi, s’entend, entre autres, de toute personne qui est atteinte ou a des motifs valables d’appréhender qu’elle sera atteinte par une inscription dans le registre. Je ne comprends pas pourquoi Sea Tow conteste le fait que C‑Tow est atteinte par les enregistrements et qu’elle a la qualité pour présenter la demande.
[33] Plus concrètement, l’allégation d’invalidité invoquée par C‑Tow au titre de l’alinéa 18(1)d) de la Loi, selon laquelle Sea Tow n’était pas la personne ayant droit d’obtenir l’enregistrement des marques SEA TOW, repose sur l’article 16 de la Loi dans sa version en vigueur à la date de production des demandes d’enregistrement de Sea Tow en 2010. Sous réserve des dispositions de l’article 17 de la Loi relatives à l’incontestabilité des enregistrements, l’article 16 priverait Sea Tow des droits conférés par les enregistrements si les marques SEA TOW créaient de la confusion avec une marque antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne. Dans ses observations écrites, C‑Tow a soulevé la question de savoir si les marques SEA TOW créaient de la confusion avec les marques C‑TOW et a avancé des arguments à l’appui de sa position; cependant, cette question (à une exception près, précisée plus loin) ne fait l’objet d’aucun débat entre les parties.
[34] Il va peut‑être de soi que les parties reconnaissent le risque de confusion entre leurs marques. La démarche de C‑Tow entreprise par le dépôt de la demande dans le but de faire radier les enregistrements des marques SEA TOW repose en partie sur le fait que la similitude des marques respectives des parties est susceptible de créer de la confusion. L’allégation formulée par Sea Tow dans sa déclaration afférente à l’action, selon laquelle l’emploi par C‑Tow des marques C‑TOW a porté atteinte aux droits de Sea Tow à l’égard des marques SEA TOW, est également fondée sur le fait que la similitude des marques est susceptible de créer de la confusion. Dans ses observations orales, Sea Tow a expliqué que sa position était plus nuancée en ce qui concerne la question du caractère distinctif qu’a soulevée C‑Tow dans la demande. Elle a fait valoir que les marques SEA TOW conservaient leur caractère distinctif sous l’angle de la présentation, et ce, même si leur forme sonore n’était pas distinctive par rapport à celle des marques C‑TOW. Cela étant dit, exception faite de cette nuance, les parties s’entendaient pour dire que leurs marques créaient de la confusion. Il ne s’agit donc pas d’une question que la Cour doit trancher.
B. La demande (dossier T‑901‑22)
[35] Ayant tendu cette toile de fond, je formule en ces termes les questions à trancher dans le contexte de la demande :
- La date de premier emploi des marques C‑TOW par C‑Tow est-elle antérieure à la date d’adoption des marques SEA TOW par Sea Tow?
- Dans l’affirmative, Sea Tow était‑elle au courant de l’emploi antérieur des marques C‑TOW par C‑Tow lorsqu’elle a adopté les marques SEA TOW?
- Les demandes d’enregistrement de Sea Tow ont‑elles été produites de mauvaise foi?
- À la date à laquelle a été introduite la demande, les marques SEA TOW étaient‑elles distinctives des services offerts par Sea Tow?
C. La requête (dossier T‑877‑22)
[36] Je définis ainsi les questions à trancher dans le contexte de la requête :
- Les questions que soulève la requête se prêtent‑elles à un jugement sommaire en faveur de Sea Tow ou de C‑Tow?
- La date de premier emploi des marques C‑TOW par C‑Tow est-elle antérieure à la date d’adoption des marques SEA TOW par Sea Tow?
- Dans l’affirmative, Sea Tow était‑elle au courant de l’emploi antérieur des marques C‑TOW par C‑Tow lorsqu’elle a adopté les marques SEA TOW?
D. Les objections
[37] Enfin, je tiens à faire remarquer qu’au cours de mon examen des questions mentionnées ci‑dessus, je devrai traiter de certaines objections soulevées par les parties au sujet de la preuve. Lors d’une conférence de gestion des instances tenue dans les semaines qui ont précédé l’audience, les avocats ont expliqué que chacune des parties avait des réserves quant à certains éléments de preuve produits par l’autre. Il a été convenu que chaque partie présenterait ses objections, ainsi que ses réponses aux objections émises par l’autre partie, lorsqu’elle traiterait des éléments de preuve en question dans ses observations orales. J’ai également demandé aux parties qu’elles fournissent, dans les jours précédant l’audience, des observations écrites sur les objections qu’elles pourraient soulever à l’audience, puis répondent par écrit aux observations de l’autre.
[38] Les objections formulées par C‑Tow portaient sur divers paragraphes de l'affidavit du principal déposant de Sea Tow, le capitaine Joseph Frohnhoefer, troisième du nom, affidavit souscrit le 12 mars 2024 [l’affidavit du capitaine Frohnhoefer], auquel sont également joints les affidavits qu’il avait souscrits les 12 septembre 2017 et 22 octobre 2020, dans le contexte de l’instance au titre de l’article 45 de la Loi devant la juge Fuhrer [les affidavits relatifs à l'article 45]. Depuis 2002, le capitaine Frohnhoefer a occupé divers postes au sein de l’entreprise Sea Tow avant d’en devenir le chef de la direction. Il est le fils du fondateur de Sea Tow, le capitaine Joseph Frohnhoefer, deuxième du nom. C‑Tow a soutenu que certaines portions du témoignage du capitaine Frohnhoefer constituaient du ouï‑dire, une opinion irrecevable, un argument inapproprié ou un avis juridique. Elle a demandé à la Cour de radier les passages litigieux de l’affidavit ou de n’y accorder aucun poids ni valeur probante.
[39] De même, Sea Tow a soulevé des objections au ouï‑dire à l’égard de certains passages des affidavits de M. Cardiff et de M. Skinner. Elle a souligné que la preuve par ouï‑dire était présumée inadmissible et a demandé à la Cour de tirer des conclusions défavorables dans les cas où C‑Tow n’avait pas offert le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels, comme le prévoit le paragraphe 81(2) des Règles.
[40] Sea Tow a également dressé les listes suivantes : a) les questions posées par C‑Tow lors du contre‑interrogatoire des témoins de Sea Tow auxquelles celle‑ci s’opposait pour divers motifs; b) les réponses données en contre‑interrogatoire par les témoins de Sea Tow sous réserve des objections soulevées par ses avocats, conformément au paragraphe 95(2) des Règles; et c) les portions du témoignage livré par M. Cardiff lors de son réinterrogatoire auxquels se sont opposés les avocats de Sea Tow, au motif qu’elles portaient sur des points qui n’avaient pas été soulevés lors de son contre‑interrogatoire.
[41] Certes, les parties ont formulé de longues listes d’objections dans les documents écrits qu’elles ont fournis avant la tenue de l’audience, mais il n’est pas nécessaire que la Cour se prononce sur bon nombre d’entre elles pour qu’elle puisse examiner les questions soulevées dans la demande et la requête. L’exemple le plus évident est celui des avocats de C‑Tow qui ont indiqué à l’audience qu’ils ne s’appuieraient pas sur le témoignage de M. Cardiff portant sur des faits antérieurs à son achat de C‑Tow en 2008. De façon plus générale, bon nombre des objections formulées par les parties visent des éléments de preuve que les parties n’ont pas invoqués à l’audience ou que la Cour n’a pas considérés comme pertinents dans son analyse.
[42] Partant, je ne procéderai pas à une analyse détaillée de chacune des objections soulevées par les parties. J’en traiterai plutôt, selon les besoins, lors de mon analyse de la preuve en lien avec les questions de fond à trancher et de mon appréciation de l’incidence des éléments de preuve potentiellement pertinents et importants contre lesquels une objection a été soulevée.
IV. Analyse
A. La demande (dossier T‑901‑22)
(1) La date de premier emploi des marques C‑TOW par C‑Tow et ses prédécesseurs en titre est-elle antérieure à la date d’adoption des marques SEA TOW par Sea Tow?
(a) L’emploi des marques C‑TOW par C‑Tow et ses prédécesseurs en titre
(i) Introduction
[43] C‑Tow a prétendu qu’elle pouvait retracer l’historique d’emploi des marques C‑TOW par ses prédécesseurs en titre depuis 1984. Comme je l’ai mentionné plus haut, M. Cardiff n’a pas une connaissance directe de l’historique d’emploi des marques C-TOW avant 2008. C‑Tow dispose de peu de documents commerciaux antérieurs à 2006, et elle a reconnu que les documents déposés au registre des entreprises ainsi que les témoignages sur lesquels elle s’était appuyée pour reconstituer la chaîne de titres présentaient des lacunes. Elle a cependant soutenu que ces éléments de preuve étaient suffisants pour établir la chaîne de propriété des marques C‑TOW ainsi que l’intention de chaque propriétaire de transférer au propriétaire suivant ses droits à l’égard des marques et de l’entreprise.
(ii) Les documents déposés au registre des entreprises (de 1985 à 2004)
[44] Selon C‑Tow, l’entreprise a été fondée en 1984 par Jim MacDonald et Steve Ackles, tous deux maintenant décédés. M. Cardiff a joint à son deuxième affidavit des copies des avis de décès de M. MacDonald, décédé en 2002, et de M. Ackles, décédé en 2021, et je ne comprends pas pourquoi Sea Tow conteste l’admissibilité de ces documents.
[45] C‑Tow a dit qu’en 1985, MM. MacDonald et Ackles avaient constitué leur entreprise en société sous le nom d’A&M C‑Tow Assistance Ltd. [A&M] et que c’était sous cette enseigne qu’avaient fait affaire les deux hommes au départ, puis uniquement M. MacDonald à compter de 1990. Pour confirmer ces faits, C‑Tow s’est fondée sur des copies certifiées (le 4 avril 2024 par le registraire des entreprises de la C.‑B. [le registraire de la C.‑B.]) des documents concernant A&M déposés auprès du registraire de la C.‑B. Ces documents comprennent les suivants : a) le certificat de constitution, montrant la constitution en société d’A&M le 15 juillet 1985; b) un mémoire des conventions daté du 2 juillet 1985, prétendument signé par MM. MacDonald et Ackles, dans lequel il est mentionné que chacun avait souscrit 50 % des actions de la société; et c) un rapport annuel et une liste des administrateurs, prétendument signés par M. MacDonald en date du 30 septembre 1992, qui indiquent que M. Ackles n’était plus un administrateur d’A&M depuis le 1er septembre 1990 et que M. MacDonald en était désormais l’unique administrateur [collectivement, les documents certifiés d’A&M].
[46] M. Cardiff a également joint à son affidavit subséquent une copie du résumé d’entreprise pour A&M et des documents connexes qui ont été obtenus au nom de M. Cardiff auprès du registraire de la C.‑B. Ces documents révèlent que la société A&M a été dissoute pour défaut de production le 16 décembre 1994.
[47] C‑Tow a affirmé que, deux semaines après la dissolution d’A&M, M. MacDonald avait constitué une nouvelle société, appelée Pacific Marine Assistance Network Inc. [Pacific], sous l’enseigne de laquelle il avait continué à exploiter l’entreprise. Elle a ajouté qu’à la suite du décès de M. MacDonald en 2002, son épouse, Barbara MacDonald, était devenue administratrice de Pacific, et qu’en 2004, un partenaire de M. MacDonald, Harry Woodman, avait été nommé administrateur. Elle a déclaré que M. Woodman avait ensuite exploité l’entreprise sous l’enseigne Pacific jusqu’à ce qu’elle soit vendue à Paul Dupré en 2004 ou en 2005.
[48] À titre de preuve de la chronologie des faits précédant la vente à M. Dupré, C‑Tow a produit des copies certifiées des documents concernant Pacific déposés auprès du registraire de la C.‑B. Ces documents comprennent les suivants : a) le certificat de constitution, montrant la constitution en société de Pacific le 28 décembre 1994; b) les rapports annuels relatifs à diverses années entre 1995 et 2001, qui montrent que M. MacDonald était l’unique administrateur de Pacific; c) une liste des administrateurs qui témoigne du remplacement de M. MacDonald par Mme MacDonald le 15 septembre 2002 (date du décès de M. MacDonald); et d) une liste des administrateurs qui montre que M. Woodman a été ajouté à la liste le 1er février 2004 [collectivement, les documents certifiés de Pacific].
[49] Sea Tow a remis en question l’admissibilité ou la valeur probante de ces documents déposés au registre des entreprises pour plusieurs motifs. Tout d’abord, en ce qui concerne les documents certifiés d’A&M et les documents certifiés de Pacific [collectivement, les documents certifiés], Sea Tow a fait observer que C‑Tow avait versé ces documents dans son dossier de demande sans avoir obtenu au préalable l’autorisation de la Cour, au titre de l’article 312 des Règles, de déposer des éléments de preuve additionnels après l’expiration du délai pour le dépôt de sa preuve.
[50] C‑Tow n’a pas laissé entendre que la Cour lui avait accordé une telle autorisation, et, selon mon interprétation de la décision du juge adjoint Horne, celui‑ci ne lui a pas accordé l’autorisation de déposer ces documents. En revanche, C‑Tow a également versé les documents certifiés dans son dossier de réponse à la requête, en l’occurrence de plein droit. Conformément au raisonnement suivi dans la décision du juge adjoint Horne, je juge qu’il ne serait pas approprié de trancher essentiellement les mêmes questions dans le contexte de la demande et dans celui de la requête en me fondant sur des dossiers différents. J’ai demandé aux avocats de Sea Tow quel préjudice, le cas échéant, le dépôt tardif des documents certifiés dans le dossier de demande causerait à leur cliente. Leur réponse s’articulait autour de leurs chances de succès sur la question de l’incontestabilité des enregistrements, plutôt que sur un préjudice quelconque qui découlerait du moment du dépôt. Par conséquent, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire pour permettre l’inclusion des documents certifiés dans le dossier de demande.
[51] Aux termes de l’article 24 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C‑5 [la LPC], l'attestation des documents certifiés par le registraire de la C.‑B. permet leur admission en preuve, sans qu’il ne soit nécessaire de prouver davantage. Sea Tow a toutefois soutenu que les documents sur lesquels C‑Tow entendait s’appuyer soulevaient également des doutes quant au ouï‑dire et qu’ils n’étaient donc pas admissibles pour établir la véracité de certains éléments de leur contenu.
[52] Si Sea Tow connaissait l’exception à la règle du ouï‑dire applicable aux documents publics produits par des fonctionnaires, elle a cependant soutenu que l’exception ne s’appliquait qu’aux inscriptions ou aux déclarations faites par des fonctionnaires (voir R v Bellman, 1938 CarswellNB 10 aux para 40, 41, [1938] 3 DLR 548 (CSNB (division d’appel)) (QL)). Partant, Sea Tow reconnaissait que les documents obtenus auprès du registraire de la C.‑B. étaient admissibles, par exemple, pour établir qu’une société donnée avait été constituée à une certaine date. Elle était toutefois d’avis que ces documents n’étaient pas admissibles, par exemple, pour établir qu’une personne était devenue administratrice d’une société, ou avait cessé de l’être, à une certaine date. Elle a fait valoir que les renseignements de cette nature ne constituaient pas une déclaration faite par un fonctionnaire (en l’occurrence, le registraire de la C.‑B.), mais plutôt une déclaration des représentants de la société, à laquelle ne s’appliquait pas l’exception à la règle du ouï‑dire qui vaut pour les documents publics.
[53] Cette thèse me pose problème, car les dossiers certifiés reflètent le fait, par exemple, que des rapports annuels et des listes des administrateurs ont été déposés et enregistrés à des dates particulières. À mon avis, une fois qu’un document dressant la liste des administrateurs de la société a été déposé et enregistré, il est admissible pour prouver que ces personnes en sont les administrateurs.
[54] De plus, C‑Tow a fait valoir que les documents déposés par une société constituaient des pièces commerciales admissibles, puisqu’ils relevaient de l’exception à la règle du ouï‑dire énoncée à l’article 30 de la LPC. Elle a soutenu qu’il importait peu, pour les besoins de cette exception, que les documents aient été obtenus auprès du registraire de la C.‑B., plutôt que tirés des dossiers de la société. Je souscris à cet argument. Les documents comme les rapports annuels et les listes des administrateurs ont manifestement été établis dans le cours ordinaire des affaires et relèvent donc de l’exception relative aux pièces commerciales.
[55] Par conséquent, je prends acte du fait que les documents définis plus haut témoignent des renseignements suivants : a) A&M a été constituée en société le 15 juillet 1985; b) M. Ackles a cessé d’être administrateur le 1er septembre 1990, mais M. MacDonald est demeuré administrateur jusqu’à la dissolution d’A&M, le 16 décembre 1994; c) Pacific a été constituée en société le 28 décembre 1994; d) M. MacDonald a été l’unique administrateur de Pacific jusqu’à son décès, le 15 septembre 2002; e) Mme MacDonald est devenue administratrice de Pacific à compter de la date du décès de M. MacDonald; f) M. Woodman est devenu administrateur de Pacific le 1er février 2004.
(iii) La preuve offerte par Peter Longhi et de Peter Howard‑Jones (des membres de C‑Tow)
[56] Pour démontrer le lien entre ces sociétés et l’entreprise qui, selon elle, a utilisé les marques C‑TOW pendant cette période d'environ 20 ans, C‑Tow a produit les affidavits de témoins qui connaissaient l’entreprise à l’époque. Dans leurs affidavits souscrits en novembre 2022, ces témoins, Peter Longhi et Peter Howard‑Jones, expliquent qu’ils sont des membres de longue date de ce qu’ils appellent l’entreprise C‑Tow et ils fournissent des précisions sur leur relation avec l’entreprise.
[57] M. Longhi affirme qu’à l’exception d’une interruption de son adhésion pendant une ou deux années à compter de 1999, il a été membre de l’entreprise C‑Tow depuis la fin des années 1980, alors qu’elle était détenue et exploitée par M. MacDonald. Il a joint à son affidavit des photographies de sa carte de membre, qui a expiré en avril 2018. M. Longhi explique qu’il a eu recours aux services d’assistance nautique de l’entreprise à deux reprises, en 1992 et en 1997, à la suite de pannes d’équipement sur son bateau. Il ajoute qu’à ces deux occasions, le bateau de service qui est venu l’aider portait la marque de commerce C‑TOW sur la timonerie ou sur la coque. Il affirme avoir reçu des formulaires de renouvellement d’adhésion par la poste jusqu’au milieu des années 2000 environ (après quoi les renouvellements s’effectuaient en ligne) et précise que la marque figurait également sur ces formulaires. Il décrit également les services aux membres qu’il a reçus, notamment des rabais sur d’autres programmes d’adhésion, ainsi que des renseignements météorologiques et des données de géolocalisation par satellite au moyen d’une application mobile. Il affirme que, depuis environ 15 ans, à la suite du renouvellement de son adhésion, il reçoit une breloque de porte‑clés en plastique portant la marque de commerce et le numéro de téléphone de l'entreprise C‑Tow.
[58] De même, M. Howard‑Jones affirme avoir été client et membre de ce qu’il appelle l’entreprise C‑Tow depuis environ 28 ans. Il raconte qu’il a reçu de l’assistance nautique à deux reprises, en juillet 1996 et en juin 2003 ou 2004, à la suite de pannes d’équipement sur son bateau. Il explique que, depuis qu’il est devenu membre de l’entreprise C‑Tow, il a renouvelé son adhésion chaque année. À la fin des années 1990 et au début des années 2000, le renouvellement de l’adhésion s’effectuait par la poste (par la suite, les demandes se faisaient en ligne), et il recevait une trousse comprenant les renseignements relatifs au renouvellement de son adhésion ainsi que des rabais sur des produits et services offerts par diverses entreprises. Il affirme que les marques de commerce C‑TOW figuraient sur les formulaires de renouvellement d’adhésion et sur sa carte de membre.
(iv) La preuve offerte par Bruce Falkins (exploitant d’une station‑service)
[59] C‑Tow s’est également appuyée sur l’affidavit souscrit le 19 octobre 2022 par un témoin du nom de Bruce Falkins, qui, à ses dires, connaissait M. MacDonald. M. Falkins exploite une station‑service située à Fishermans Cove, dans la municipalité de district de West Vancouver, en C.‑B., dont il est propriétaire depuis plus de 39 ans. Il raconte que sa relation avec M. MacDonald remonte à l’époque où celui‑ci est arrivé à Bowen Island, en C.‑B., vers 1985 ou 1986, alors que M. MacDonald exploitait déjà l’entreprise C‑Tow sur l’île de Vancouver avec son partenaire d’affaires, M. Ackles.
[60] M. Falkins explique que la première fois qu'il l'a rencontré, M. MacDonald avait déjà un bateau pneumatique de 18 pieds (5,5 mètres) portant de chaque côté des décalcomanies de la marque de commerce C‑TOW. Il a ajouté qu’au moins dès le début des années 1990, M. MacDonald avait affiché du matériel publicitaire à sa station‑service ainsi que dans d’autres entreprises de la région de Vancouver et de Howe Sound. À la station‑service de M. Falkins, il y avait également une affiche faisant la promotion des services d’assistance nautique offerts par l’entreprise de M. MacDonald et sur laquelle figurait son indicatif d’appel sur la radio VHF « CTOW CTOW CTOW »
.
[61] M. Falkins se souvient des dépliants de l’entreprise de M. MacDonald qui étaient distribués aux clients potentiels et sur lesquels apparaissait une photographie de son bateau portant la marque C‑TOW. Il raconte que M. MacDonald présentait son entreprise comme étant l’équivalent du [traduction] « club automobile de la mer »
, l’équivalent pour les plaisanciers de la British Columbia Automobile Association [l'association automobile de la C.‑B.], et qu’il proposait un modèle d’adhésion selon lequel les clients payaient un certain montant annuel pour avoir accès à des services de remorquage et autres services connexes d’intervention nautique. Il se souvient que, depuis au moins la fin des années 1980, l’entreprise effectuait le sauvetage de bateaux et répondait à des appels à l’aide ponctuels de non-membres. Il confirme que, dans les régions avoisinant Howe Sound, Bowen Island et Vancouver, les clients étaient forcément exposés à la marque C‑TOW, étant donné qu’elle apparaissait sur les bateaux qui leur venaient en aide ainsi que sur le matériel publicitaire dans la région.
[62] M. Falkins témoigne également au sujet d’étapes ultérieures de l’exploitation de l’entreprise. Il affirme que M. MacDonald a acheté un plus grand bateau dans les années 1990, en raison de l’expansion de l’entreprise, et que ce bateau était peint en jaune et blanc, et arborait l’inscription « C‑TOW »
de chaque côté. Après le décès de M. MacDonald en 2002, M. Falkins a acheté ce bateau et a commencé à travailler pour l’entreprise dans la région de West Vancouver, pour le compte du nouveau propriétaire. Il affirme qu’il voit encore des capitaines de C‑Tow naviguer dans les environs de Vancouver et précise que leurs vêtements, tout comme leurs bateaux, portent la marque C‑TOW.
(v) La preuve offerte par Maria Steernberg (photographe marine)
[63] C‑Tow s’est également appuyée sur la preuve offerte par Maria Steernberg, une photographe marine, qui a souscrit un affidavit le 26 octobre 2022. Dans son affidavit, Mme Steernberg explique qu’elle a exploité pendant plus de 30 ans l’entreprise Sea Snaps Marine Photography Ltd. [Sea Snaps], qui se spécialisait en photographie marine. Elle affirme qu’elle a découvert de ce qu’elle appelle l’entreprise C‑Tow vers 1985, lorsque M. MacDonald, l’un des fondateurs de l’entreprise, était arrivé à Bowen Island, en C.‑B. Comme je l’expliquerai plus en détail ci‑après, lors du contre‑interrogatoire sur son affidavit, Mme Steernberg a corrigé son témoignage afin d’être plus précise et a déclaré que c’était en 1985 (plutôt que vers 1985) qu’elle avait découvert l’entreprise, à l’époque où M. MacDonald était arrivé à Bowen Island.
[64] Mme Steernberg atteste que l’entreprise C‑Tow fournissait des services dans les environs de divers ports le long de la côte de la C.‑B., du moins à partir du moment où elle l’a découverte. Les bateaux utilisés par les capitaines de C‑Tow, dont M. MacDonald, dans le cadre des activités de l’entreprise arboraient généralement la marque de commerce C‑TOW. Les démarches de l’entreprise pour faire la promotion de ses services dans les marinas et les entreprises connexes situées dans les régions de Vancouver et du Nord‑Ouest du Pacifique, ainsi que sa distribution de dépliants sur lesquels figurait la marque, étaient familières à Mme Steernberg. Elle explique qu’elle avait des formulaires d’adhésion et des dépliants de C‑Tow sur son propre bateau et qu’elle les distribuait à d’autres navigateurs.
[65] Mme Steernberg a joint à son affidavit treize photographies qu’elle avait prises. Elle explique qu’on y voit des bateaux de C‑Tow arborant la marque de commerce C‑TOW lors d’opérations d’assistance nautique à la suite d’incidents. Selon elle, les photographies datent approximativement des années 1985 à 1993 (elle a clarifié plus précisément en contre‑interrogatoire qu’elles dataient de 1985 à 1993). Sea Tow a mis en doute la fiabilité de son témoignage au sujet des photographies. D’abord, elle a fait observer que, lors de son contre‑interrogatoire, Mme Steernberg avait commencé son témoignage en apportant un certain nombre de corrections à son affidavit. Elle a également fait valoir que celle‑ci avait refusé de reconnaître l’erreur manifeste qu’elle avait commise en affirmant que la toute première photographie avait été prise à English Bay, alors qu’elle avait été prise à Point Atkinson.
[66] En ce qui a trait aux corrections, Sea Tow faisait allusion à l'explication donnée par Mme Steernberg selon laquelle, lorsqu’elle disait, dans son affidavit, qu’un fait s'était produit ou qu’une photographie avait été prise [traduction] « vers »
une année en particulier, elle avait été en mesure de clarifier que le fait ou la photographie correspondait bien à l’année mentionnée. Elle a expliqué que ces corrections étaient le résultat d’une revue de ses dossiers, qui indiquaient les années précises des photographies en question.
[67] Je tiens également à souligner que les avocats de Sea Tow ont établi, en contre‑interrogatoire, que Sea Snaps avait été constituée en société en 1988. En réponse à leurs questions à cet égard, Mme Steernberg a été plus claire en disant que, s’il était vrai qu’elle avait pris les plus anciennes photographies, elle avait toutefois commis une erreur dans son affidavit en les attribuant à Sea Snaps (la société) dès 1985. Enfin, j’ai examiné l’extrait du contre‑interrogatoire dans lequel les avocats de Sea Tow ont mis en doute le lieu de la première photographie, qui aurait été prise en 1985.
[68] Je suis conscient que, lorsqu’un témoin tente de corriger son témoignage, cela peut nécessiter un examen minutieux. Cependant, Mme Steernberg a expliqué la raison de ces corrections, à savoir que ses dossiers lui avaient permis d’établir les dates des photographies (et, si je comprends bien, celles des faits connexes) avec une précision qui dépassait ses connaissances à la date où elle avait souscrit son affidavit. Quant à Sea Tow, elle n’a fourni aucun motif permettant de douter de cette explication. De même, je prends acte du fait que Mme Steernberg a commis une erreur en attribuant les plus anciennes de ses photographies à sa société, alors que celle‑ci n’avait pas encore été constituée. Encore une fois, son explication, selon laquelle elle réalisait des photographies marines avant la constitution de la société, est raisonnable.
[69] En ce qui concerne la question de savoir si Mme Steernberg a commis une erreur quant au lieu de la toute première photographie jointe à son affidavit, la Cour n’a pas à procéder à un examen géographique pour trancher la question. Lors de l’audience, Sea Tow a fait valoir que, si le lieu était mal identifié dans ses dossiers, il se pouvait que la date de la photographie y soit aussi erronée. Je ne trouve aucun fondement à cet argument. Même si Sea Tow parvenait à établir qu’il y avait véritablement eu erreur sur le lieu, cela ne permettrait pas de conclure que la date était erronée. À mon avis, aucun des points soulevés par Sea Tow ne vient miner la fiabilité du témoignage de Mme Steernberg.
[70] Avant de passer à l’appréciation de la mesure dans laquelle le témoignage de Mme Steernberg ainsi que ceux de MM. Longhi et Howard‑Jones étayent l'exposé de C‑Tow sur la chaîne de titres, je retracerai le reste de cet exposé (depuis le décès de M. MacDonald en 2002 jusqu’à l’acquisition de C‑Tow par M. Cardiff en 2008) et traiterai des éléments de preuve sur lesquels il repose.
(vi) La preuve offerte par Wayne Skinner
[71] C‑Tow a reconnu qu’elle ne connaissait pas le rôle précis de Mme MacDonald et/ou de M. Woodman dans la propriété et/ou l’exploitation de Pacific, à la suite du décès de M. MacDonald en 2002. Elle a toutefois soutenu que les détails précis de leur rôle n’étaient pas importants et elle s’est plutôt concentrée sur les éléments de preuve qui indiquaient que l’entreprise avait été acquise par M. Dupré en 2004 ou en 2005, vendue par M. Dupré à M. Skinner en 2005, puis (après que celui‑ci eut constitué l’entreprise en société sous le nom de C‑Tow) vendue par M. Skinner à M. Cardiff.
[72] C‑Tow s’est principalement appuyée sur le témoignage de M. Skinner en ce qui concerne ces étapes de l’historique de l’entreprise. Dans son affidavit subséquent, M. Skinner explique que vers 2001 (année qu’il a modifiée en contre‑interrogatoire et qui est devenue 2002), il a acquis une entreprise de bateaux-taxis en C.‑B., qui desservait la région de Howe Sound. Il affirme que, peu de temps après son acquisition, il est devenu un capitaine au service de C‑Tow dans la région de Howe Sound et qu’il a alors reçu une décalcomanie du logo et de la marque de commerce C‑TOW, afin qu’il l’appose sur son bateau‑taxi. M. Skinner n’a jamais rencontré M. MacDonald, qui est décédé en 2002. Lorsqu’il est devenu capitaine pour C‑Tow, il était en fait au service de M. Woodman, qu’il décrit comme l’ami et le partenaire de M. MacDonald qui dirigeait l’entreprise de façon temporaire, en attendant de trouver un acheteur.
[73] M. Skinner explique que, bien qu’il ait manifesté un certain intérêt à acheter l’entreprise, celle‑ci a été vendue à M. Dupré (un partenaire de M. Woodman, selon M. Skinner) et qu’il a continué de travailler comme conducteur de bateau pour C‑Tow. Il déclare avoir racheté l’entreprise de M. Dupré vers 2005. Il affirme que, lorsqu’il a acheté l’entreprise, il a acquis les éléments essentiels tels que le fonds commercial, y compris la marque de commerce et l’image de marque, les listes de membres, les listes d’envoi, le numéro du service de répartition ainsi que les contrats avec les capitaines.
[74] M. Skinner affirme qu’il a constitué la société C‑Tow (à savoir la société qui est partie aux présentes instances) en 2006, parce qu’il voulait céder 10 % de l’entreprise à ses répartiteurs, Paul Thomas et son épouse, Maggie Thomas.
[75] M. Skinner traite également de l’emploi des marques C‑TOW au cours de la période où il a exploité l’entreprise. Il déclare que, à l’instar de l’ancien propriétaire, il a continué l’envoi postal aux membres de leurs documents de renouvellement d’adhésion, notamment les formulaires de renouvellement et les cartes de membre portant les marques C‑TOW. Vers 2006, il a commencé à tenir un kiosque dans des salons nautiques de Vancouver et de Victoria, en C.‑B., afin de faire connaître l’entreprise et d’attirer de nouveaux membres. Il installait de grandes affiches et distribuait des dépliants imprimés, et tout cela portait les marques C‑TOW. Il remettait également sa carte professionnelle – sur laquelle figuraient encore une fois les marques C‑TOW – à des capitaines et à des annonceurs, ainsi qu’à de potentiels clients et clients de bateaux‑taxis.
[76] Vers 2008, M. Skinner a vendu sa part de 90 % de C‑Tow à M. Cardiff. Il est également question de cette dernière étape de l'exposé sur la chaîne de titres dans l’affidavit subséquent de M. Cardiff. Celui‑ci y mentionne son acquisition des actions de C‑Tow, soit les 90 % détenus par M. Skinner et les autres 10 % détenus par M. et Mme Thomas. Il a joint à cet affidavit des pièces à l’appui. Je ne comprends pas pourquoi Sea Tow conteste cette preuve ou la réalisation de la transaction.
[77] Sea Tow a soulevé des objections à l’égard d’autres extraits des témoignages de M. Skinner et de M. Cardiff. Comme je l’ai déjà mentionné, la Cour n’a pas à examiner les objections concernant le témoignage de M. Cardiff au sujet des faits antérieurs à son acquisition de C‑Tow, puisque C‑Tow ne s’est pas appuyée sur cette portion de son témoignage. Toutefois, Sea Tow s’oppose également à certains extraits du témoignage de M. Skinner, au motif qu’ils constituent du ouï‑dire inadmissible.
[78] Dans son affidavit subséquent, M. Skinner mentionne que vers 2002, l’entreprise a été vendue à M. Dupré, qu’il décrit comme étant le partenaire de M. Woodman. Sea Tow a fait remarquer que, lors de son contre‑interrogatoire, M. Skinner avait déclaré que c’était M. Woodman qui lui avait dit que l’entreprise avait été vendue à M. Dupré. Compte tenu de cet extrait, Sea Tow a soutenu que le témoignage de M. Skinner constituait du ouï‑dire. Elle a également porté à l’attention de la Cour que M. Skinner avait déclaré, en contre‑interrogatoire, qu’il ne savait pas vraiment qui était M. Dupré et que, s’il croyait que celui‑ci était un partenaire de M. Woodman, il ne savait toutefois pas exactement comment M. Dupré était entré en jeu. M. Skinner a également précisé, en contre‑interrogatoire, que M. Dupré avait en fait acquis l’entreprise en 2004 ou en 2005 – et non en 2002, comme l’indique son affidavit – et qu’il n’avait fait la connaissance de M. Dupré qu’après cette acquisition. Il a également confirmé qu’il ne savait pas à qui M. Dupré avait racheté l’entreprise.
[79] Sea Tow ne m’a pas convaincu que cette portion de la preuve tirée de l’affidavit subséquent de M. Skinner constituait du ouï‑dire. Certes, le fait pour M. Skinner de rapporter ce que lui a dit M. Woodman constituerait du ouï‑dire. Toutefois, comme l’a souligné C‑Tow, M. Skinner était un capitaine au service de C‑Tow à l’époque où M. Dupré est entré en jeu. Ainsi, le fait que M. Woodman l’ait informé de l’achat de l’entreprise par M. Dupré ne signifie pas qu’il n’a pas également eu une connaissance directe de ce fait. Les questions que Sea Tow a posées à M. Skinner en contre‑interrogatoire ne permettent pas de conclure que les seuls renseignements dont il disposait au sujet de l’achat de l’entreprise provenaient de M. Woodman. Il est évident que M. Skinner a appris que M. Dupré avait acheté l’entreprise, étant donné qu’il a finalement racheté l’entreprise à M. Dupré.
[80] Cela dit, Sea Tow a établi en contre‑interrogatoire que M. Skinner ne savait que peu de choses de la transaction d’achat de l’entreprise par M. Dupré. Je reviendrai sur ce point un peu plus loin, lorsque j’apprécierai la mesure dans laquelle la preuve produite par C‑Tow étaye son exposé sur la chaîne de titres.
[81] Dans son affidavit subséquent, M. Skinner affirme également qu’après son acquisition de l’entreprise, M. Dupré a éprouvé des difficultés à l'exploiter. Sea Tow a soutenu que ce témoignage reposait sur ce que d’autres avaient dit à M. Skinner. Encore une fois, je ne peux pas en déduire autant. M. Skinner était un capitaine au service de C‑Tow à l’époque où M. Dupré participait à l’entreprise et, si celui‑ci a eu de la difficulté à l’exploiter, les connaissances de M. Skinner à cet égard pourraient découler de ses propres observations. Sea Tow n’a pas établi qu’il s’agissait d’une preuve par ouï‑dire. Cela dit, la motivation de M. Dupré à vendre l’entreprise importe peu.
(vii) Analyse de la chaîne de titres de C‑Tow
[82] Compte tenu des éléments de preuve examinés plus haut, C‑Tow a soutenu qu’elle s’était acquittée de son fardeau de reconstituer, selon la prépondérance des probabilités, la chaîne de titres des marques C‑TOW jusqu’à ses premiers prédécesseurs. Elle s’est appuyée en grande partie sur des jugements qui confirment qu’en l’absence de preuve directe, la cession des droits sur une marque de commerce peut s’inférer. Comme l’a expliqué la Cour aux paragraphes 15 et 16 de la décision Wing Wah Food Manufactory Products Inc c China Brands Food Products Inc, 2005 CF 1611 [Wing Wah], conf par 2006 CAF 387, le paragraphe 48(1) de la Loi (qui traite de la transférabilité des marques de commerce) n’exige nullement que le transfert soit constaté par écrit. Il demeure possible de conclure qu’il y a eu transfert des droits sur une marque de commerce, et ce, malgré l’absence de preuve documentaire à l’appui.
[83] De même, dans la décision Philip Morris Inc v Imperial Tobacco Ltd et al, [1985] FCJ No 1231 (QL), 7 CPR (3d) 254 (CF 1re inst) [Philip Morris FC], conf par Philip Morris Inc c Imperial Tobacco Ltd, [1987] ACF no 849 (CAF) (QL) [Philip Morris CAF], autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [1988] 1 RCS xii, la Cour a expliqué que, malgré l’absence de preuve directe confirmant le transfert des droits sur une marque de commerce, le transfert peut s’inférer des faits établis par la preuve (voir Philip Morris FC, aux para 13, 41).
[84] Comme C‑Tow l’a reconnu, sa preuve est loin d’être parfaite. Cela étant dit, compte tenu des principes énoncés dans la jurisprudence mentionnée ci‑dessus, je suis convaincu que C‑Tow a établi, au moyen d’éléments de preuve admissibles, des faits dont on peut déduire, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle est la successeure en titre d’une série de propriétaires des marques C‑TOW qui remonte à la constitution en société d’A&M, le 15 juillet 1985. Je suis conscient que l'exposé de C‑Tow a pour point de départ la création de l’entreprise par M. MacDonald en 1984. Cependant, aucun de ses témoins n’a fourni de renseignements remontant plus loin que 1985.
[85] Les témoignages de MM. Longhi, Howard‑Jones et Falkins, ainsi que celui de Mme Steernberg, démontrent l’emploi des marques C‑TOW (ou de marques suffisamment semblables pour avoir le même effet pour les besoins de l’analyse requise) depuis le milieu des années 1980 (lorsque M. Falkins et Mme Steernberg ont rencontré M. MacDonald pour la première fois, soit en 1985, comme l’a confirmé Mme Steernberg) jusqu’en 2022 (lorsque MM. Longhi et Howard‑Jones ont témoigné du maintien de leur statut de membre de C‑Tow et de leur exposition aux marques depuis le début de leur adhésion dans les années 1980 ou 1990).
[86] Je suis conscient que ces témoins n’établissent aucun lien entre ce qu’ils savent au sujet de M. MacDonald et de l’entreprise C‑Tow et les sociétés A&M et Pacific à proprement parler. Cela étant dit, on ne pourrait s’attendre à ce que ces témoins possèdent une telle connaissance. Après avoir examiné leurs témoignages parallèlement aux documents d’A&M et de Pacific déposés au registre des entreprises, lesquels montrent le rôle de M. MacDonald (et, pendant une certaine période, de M. Ackles) au sein de ces sociétés au cours de la période allant de 1985 jusqu’à son décès en 2002, je juge que la preuve est suffisante pour conclure que les droits sur les marques C‑TOW appartenaient à A&M depuis sa constitution en société en 1985 jusqu’à sa dissolution en 1994, puis à Pacific, à compter de sa constitution en société en 1994. Je suis conscient que deux semaines se sont écoulées entre la dissolution d’A&M et la constitution en société de Pacific. Cependant, compte tenu de la participation continue de M. MacDonald à l’entreprise (comme le confirment les documents certifiés de Pacific), j’en déduis que les droits nécessaires sur les marques de commerce ont été transférés par l'intermédiaire des sociétés et des personnes intéressées qui se sont succédé, de sorte que Pacific a détenu ces droits depuis sa constitution en société en 1994, jusqu’au décès de M. MacDonald en 2002 et par la suite.
[87] À la suite du décès de M. MacDonald, Mme MacDonald et, plus tard, M. Woodman sont devenus administrateurs de Pacific. Compte tenu de ces renseignements, combinés aux témoignages de MM. Longhi, Howard‑Jones et Falkins, lesquels attestent la continuité de l’entreprise jusqu’en 2022, il est raisonnable de déduire que Mme MacDonald et/ou M. Woodman ont pris part à l’exploitation de l’entreprise avant sa vente à M. Dupré.
[88] La vente à M. Dupré est, selon moi, l'élément le moins évident de la chaîne de titres. Aucun témoin ne possédait une connaissance directe des détails de cette transaction. En effet, Sea Tow a souligné que, même si M. Cardiff avait confirmé en contre‑interrogatoire qu’il avait été demandé à M. Dupré de produire un affidavit dans le cadre de la présente instance, aucun ne l’avait été. Sea Tow a fait valoir que la Cour devrait tirer une inférence défavorable de cette omission et donc conclure que, si le témoignage de M. Dupré avait été fourni, il aurait été contraire à la thèse de C‑Tow ou, du moins, il ne l’aurait pas étayée.
[89] Les parties ont défendu des positions opposées quant au droit qui régit les circonstances dans lesquelles il convient de tirer une inférence défavorable de l’omission d’appeler un témoin susceptible de connaître des faits pertinents. C‑Tow a renvoyé la Cour à l’explication suivante, tirée du paragraphe 10 de l’arrêt Caron Transport Ltd c Williams, 2020 CAF 106 [Caron] :
Un décideur est autorisé à tirer une conclusion défavorable dans certaines circonstances. Ces circonstances sont décrites comme suit dans l’ouvrage d’Alan Bryant, Sidney Lederman et Michelle Fuerst, Sopinka, Lederman & Bryant: The Law of Evidence in Canada, 5e éd. (Toronto : LexisNexis Canada, 2018), au paragraphe 6.471 :
[traduction]
Dans les instances civiles, une inférence défavorable peut être tirée lorsque la partie au litige omet, sans explication, de témoigner, de produire des témoignages par affidavit à l’appui d’une demande ou d’assigner un témoin qui aurait une connaissance des faits et qui serait disposé à aider cette partie. Dans le même ordre d’idées, une inférence défavorable peut être tirée à l’égard d’une partie qui n’assigne pas de témoin‑clé dont elle a le contrôle exclusif, sans fournir d’explication. Une telle inférence ne peut toutefois être tirée que dans les cas où les éléments de preuve du témoin qui n’a pas été convoqué auraient été supérieurs à d’autres éléments de preuve semblables. Le défaut de convoquer un témoin‑clé équivaut à admettre implicitement que les éléments de preuve du témoin absent iraient à l’encontre de la preuve de la partie, ou tout au moins qu’ils ne l’appuieraient pas.(Non souligné dans l’original.)
[90] C‑Tow a insisté sur l’explication donnée dans l’arrêt Caron, selon laquelle une inférence défavorable peut être tirée lorsque, sans explication, un témoin‑clé n’est pas appelé par la partie qui en a le contrôle exclusif. Elle‑ a affirmé que, puisqu’elle n’a aucun contrôle sur M. Dupré, rien ne permet de tirer une inférence défavorable de son omission de témoigner dans les présentes instances.
[91] Sea Tow a invoqué les paragraphes 45 à 48 de l’arrêt Deyab c Canada, 2020 CAF 222 [Deyab], autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 39587 (le 10 juin 2021), [2021] CSCR no 65 (QL), à l’appui de la proposition selon laquelle il n’est pas nécessaire que le témoin soit un employé de la partie visée ni qu’il soit sous son contrôle pour qu’une inférence défavorable puisse être tirée de l’omission d’appeler le témoin. Je ne suis pas convaincu que l’arrêt Deyab appuie cette proposition ou, du moins, son application aux faits de l’espèce. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale [la CAF] s’est penchée sur une décision rendue par la Cour canadienne de l’impôt dans le contexte d’un contribuable qui n’avait pas appelé son comptable ni son aide‑comptable à témoigner. La Cour canadienne de l’impôt a tiré une conclusion défavorable de l’absence de documents financiers importants à la disposition du contribuable, ce qui, à son avis, minait la crédibilité du témoignage et des affirmations de celui‑ci.
[92] Au paragraphe 46 de l’arrêt Deyab, la CAF a cité les paragraphes 6.471 et 6.472 de l’ouvrage de Sidney N. Lederman, Alan W. Bryant et Michelle K. Fuerst, Sopinka, Lederman & Bryant: The Law of Evidence in Canada, 5e éd. (LexisNexis Canada, 2018) [Sopinka], où il est question du principe selon lequel une inférence défavorable peut être tirée lorsque la partie au litige omet de convoquer un témoin qui aurait une connaissance personnelle des faits et qui serait disposé à aider cette partie ou dont la partie a le contrôle exclusif. Dans l’extrait cité de l’ouvrage Sopinka, il est également question du principe selon lequel une inférence défavorable devrait être tirée seulement après l’établissement d’une preuve à première vue par la partie sur laquelle repose le fardeau de la preuve. La CAF a fait remarquer que la seule objection qu’avait formulée le contribuable à l’égard de l'inférence défavorable tirée par la Cour canadienne de l’impôt était le manquement allégué du ministre à d’abord établir la preuve à première vue, argument que la CAF a rejeté.
[93] Partant, l’arrêt Deyab porte sur ce dernier principe. Si je suis conscient que le comptable ou l’aide‑comptable du contribuable n’étaient probablement pas les employés de ce dernier, il semble que l'inférence défavorable tirée par la Cour canadienne de l’impôt était fondée sur le fait qu’ils auraient été disposés à témoigner pour le compte du contribuable. Elle est donc conforme à l’exigence selon laquelle il faut présumer que le témoin était disposé à aider la partie ou être sous son contrôle exclusif.
[94] Sea Tow n’a relevé aucun motif permettant à la Cour de conclure que M. Dupré serait forcément disposé à aider C‑Tow ou qu’il est sous son contrôle exclusif. En outre, je tiens à souligner que Sea Tow a fourni à la Cour l’extrait pertinent de la sixième édition de l’ouvrage Sopinka, où les auteurs ont ajouté le principe selon lequel le décideur ne doit pas tirer d'inférence défavorable lorsque l’une ou l’autre des parties aurait pu appeler le témoin si elle avait jugé qu'il était important (voir Woods v Jackiewicz, 2020 ONCA 458 au para 27). Sea‑Tow n’a avancé aucune raison expliquant pourquoi elle n’aurait pas pu appeler M. Dupré à témoigner.
[95] Comme la Cour ne peut tirer l'inférence défavorable sollicitée par Sea Tow, la question est de savoir si, en appliquant les principes énoncés dans les décisions Wing Wah et Philip Morris FC, la preuve est suffisante pour conclure que les droits sur les marques C‑TOW sont passés entre les mains de M. Dupré avant leur acquisition par M. Skinner. À mon avis, la preuve est suffisante. C‑Tow n’a pas à établir les détails ni les modalités précises de la transaction par laquelle M. Dupré a obtenu le titre de propriété de Pacific (ni le nom des administrateurs de Pacific qui ont conclu la transaction à la suite du décès de M. MacDonald). Dans la décision Philip Morris FC, la Cour était disposée à conclure que la chaîne de titres requise existait, car, même s’il lui avait été présenté deux versions différentes des faits, les deux versions appuyaient cette conclusion (voir les para 34‑40). En l’espèce, M. Skinner a travaillé pour l’entreprise durant la période où M. Dupré était à la tête de l’entreprise et, comme en témoigne le fait qu’il a ultérieurement racheté l’entreprise à M. Dupré, il a appris que M. Dupré en avait fait l’acquisition.
[96] M. Skinner a déclaré que, lorsqu’il avait racheté l’entreprise à M. Dupré, il avait obtenu les éléments essentiels à son exploitation, y compris ce qu’il a décrit comme le logo et la marque de commerce C‑TOW. Puisqu'il n'y avait pas de volet corporatif à cette transaction, j’en déduis que M. Dupré a personnellement acquis l’entreprise par l’achat d’actifs, après quoi il était en mesure de céder ces actifs, y compris les droits sur les marques de commerce C‑TOW, à M. Skinner en 2005.
[97] À partir de cette étape, la chaîne de titres est simple. M. Skinner a constitué la société C‑Tow (la partie aux présentes instances) en 2006, dans le but de donner à ses répartiteurs une participation de 10 % dans l’entreprise, et il a transféré à C‑Tow les droits sur les marques de commerce C‑TOW. Je suis conscient qu’il n’y a aucune preuve directe de ce transfert. Cela étant dit, conformément à l’analyse effectuée dans la décision Wing Wah (où il était question d’une société de personnes prédécesseure d’une société liée), je suis disposé à conclure que ce transfert a eu lieu.
[98] Avant de conclure que C‑Tow a bien retracé la chaîne de titres, je me suis penché sur la position de Sea Tow selon laquelle on ne peut se fier à cet exposé, étant donné qu’il a changé à plusieurs reprises au cours des présentes instances. Dans la plupart des cas, je n’ai pas à examiner le détail de ces changements. Les changements découlent du témoignage de M. Cardiff. Je conviens de la pertinence de l’observation présentée par Sea Tow, selon laquelle, si C‑Tow s’était fondée sur son témoignage pour reconstituer la chaîne de titres, le fait qu’il a modifié à maintes reprises les détails de cette chaîne (conjugué aux objections au ouï‑dire formulées par Sea Tow) soulèverait des doutes quant à la fiabilité (voire à l’admissibilité) de ce témoignage. Cependant, C‑Tow a pris la sage décision de ne pas s’appuyer sur le témoignage de M. Cardiff pour établir la chaîne de titres avant l’acquisition de l’entreprise par ce dernier en 2008.
[99] J’accepte l’observation formulée par les avocats de C‑Tow selon laquelle, ne possédant aucune connaissance directe de l’historique de l’entreprise, M. Cardiff s’était efforcé de reconstituer la chaîne de titres au moyen des documents déposés au registre des entreprises ainsi que des témoignages d’autres témoins, mais son récit comportait des erreurs. Selon moi, M. Cardiff était trop désireux de se fonder sur des faits dont il n’avait aucune connaissance et de les intégrer à son propre témoignage. Une telle démarche jetterait effectivement un doute sur sa fiabilité en tant que témoin si C‑Tow s’était appuyée sur son témoignage pour établir la chaîne des titres. Je juge cependant que M. Cardiff n’a pas délibérément cherché à induire la Cour en erreur.
[100] Cela dit, j’estime nécessaire de traiter d’un élément de l’évolution de l'exposé sur la chaîne de titres qui concerne le rôle potentiel de la société de 1997. Comme je l’ai déjà mentionné, selon le premier affidavit de M. Cardiff, M. MacDonald a, en 1997, constitué la société de 1997 pour l’exercice de ses activités (l'exposé étant alors qu’auparavant, l’entreprise de M. MacDonald était une entreprise individuelle). Comme je l’ai également fait remarquer plus haut dans les présents motifs, le témoignage de M. Cardiff au sujet de la société de 1997, dont sa dissolution le 6 novembre 2006 ainsi que l’absence de tout document faisant état de la cession des droits sur les marques de commerce C‑TOW avant cette dissolution, constituait une grande partie du fondement de la requête de Sea Tow en vue d’obtenir un jugement sommaire dans l’action.
[101] M. Cardiff et C‑Tow ont par la suite rétracté son témoignage selon lequel la société de 1997 avait joué un rôle dans la chaîne de titres. Sea Tow a néanmoins soutenu que la Cour devrait examiner le rôle de la société de 1997 et conclure qu’elle crée une rupture de la chaîne en date du 6 novembre 2006. Elle a ajouté que la Cour devrait se fonder sur la preuve tirée de l’affidavit du capitaine Frohnhoefer au sujet de M. Rivest, le dirigeant présumé de la société de 1997.
[102] Le capitaine Frohnhoefer fait remarquer que certains documents obtenus auprès du registraire de la C.‑B. et joints à l’affidavit subséquent de M. Cardiff portent sur la société de 1997, et que, selon ces documents, M. Rivest était l’unique actionnaire, administrateur et dirigeant de cette société. Il explique que, grâce aux recherches qui ont été effectuées à la demande des avocats de Sea Tow dans le but de retracer M. Rivest et qui ont permis de retrouver le fils de ce dernier, il a pris contact avec le fils en janvier 2024, et ils ont eu une discussion à la fin du mois. Il affirme que le fils se souvenait que son père était un conducteur de bateau au service de C‑Tow et qu’à l’occasion, il aidait son père et passait du temps à bord d’un bateau nommé « C‑Tow Thunder »
. Le fils a également informé le capitaine Frohnhoefer qu’à l’époque, son père naviguait sur un bateau sans accès à Internet.
[103] Au début de février 2024, le fils a mis le capitaine Frohnhoefer en contact avec son père, M. Rivest. Le capitaine Frohnhoefer affirme que, durant leur bref échange initial, M. Rivest lui a déclaré qu’il était propriétaire du nom « C‑Tow »
et du logo. Il ajoute qu’à cette occasion, ils n’ont pas été en mesure d’avoir une discussion approfondie, car M. Rivest roulait en direction sud en provenance des Territoires du Nord‑Ouest. Il affirme toutefois qu’ils ont poursuivi leur conversation le 12 mars 2024 en après‑midi, immédiatement avant qu’il souscrive son affidavit, et qu’il avait l’intention de lui parler à nouveau. Aucun autre élément de preuve n’a été déposé au dossier de la Cour, que ce soit de la part de M. Rivest ou en lien avec d’autres discussions entre le capitaine Frohnhoefer et lui.
[104] Il n’est guère étonnant que Sea Tow ait cherché à s’appuyer sur la preuve selon laquelle M. Rivest a dit au capitaine Frohnhoefer qu’il était propriétaire du nom « C‑Tow »
et du logo. Autrement, l’opposition de Sea Tow à l'exposé de C‑Tow sur la chaîne de titres ne serait fondée sur aucun élément de preuve étayant une interprétation différente de l’historique, selon laquelle il est possible que les droits sur les marques C‑TOW aient appartenu à des personnes autres que celle figurant dans la chaîne présentée par C‑Tow.
[105] C‑Tow a soutenu que le témoignage du capitaine Frohnhoefer sur les propos que lui aurait tenus M. Rivest constituait du ouï‑dire inadmissible et qu’il n’était donc d’aucune utilité pour Sea Tow. Elle a également fait valoir que le capitaine Frohnhoefer avait des raisons de fournir une version des faits qui servait ses propres intérêts. En réponse, Sea Tow a prétendu que le témoignage du capitaine Frohnhoefer à cet égard n’était pas entièrement du ouï‑dire, étant donné que le fait qu’il avait pris contact avec le fils de M. Rivest et lui avait parlé, grâce aux renseignements obtenus par l’enquêteur privé de Sea Tow, relevait de la connaissance directe du capitaine Frohnhoefer. Sea Tow a également avancé que, suivant la règle énoncée dans l’arrêt Browne v Dunn (1894), 6 R 67, 1893 CanLII 65 (Ch des lords) [Browne], C‑Tow ne pouvait contester le témoignage du capitaine Frohnhoefer au motif qu’il servait ses propres intérêts, parce que C‑Tow ne l’avait pas contre‑interrogé sur ce point.
[106] Je souscris à ces arguments avancés par Sea Tow. Cependant, la règle énoncée dans l’arrêt Browne ne porte pas sur la question de la preuve par ouï‑dire soulevée à l’égard de ce témoignage, et Sea Tow n’a pas expliqué en quoi le fait que le capitaine Frohnhoefer avait parlé à M. Rivest ou à son fils aurait une valeur particulièrement probante quant à quelque question en litige importante, sauf, peut‑être, pour invoquer l’exception raisonnée à la règle du ouï‑dire. S’agissant de l’admissibilité des propos de M. Rivest rapportés par le capitaine Frohnhoefer comme preuve de la véracité de leur contenu, Sea Tow a en effet cherché à invoquer l’exception raisonnée et a fait valoir qu’une telle preuve était à la fois nécessaire et fiable.
[107] À l’appui de cette position, Sea Tow a souligné qu’aucune partie n’avait retrouvé M. Rivest avant février 2024. De plus, selon l’échéancier fixé par le juge adjoint Horne, Sea Tow devait produire sa contre‑preuve au plus tard le 12 mars 2024. Si je comprends bien, Sea Tow a fait valoir que la deuxième conversation entre le capitaine Frohnhoefer et M. Rivest avait eu lieu le jour‑même de cette date limite, de sorte qu’il est nécessaire de se fonder sur la preuve par ouï-dire, puisqu’il n’aurait plus été possible de déposer un affidavit de M. Rivest auprès de la Cour. En ce qui concerne la fiabilité, elle a soutenu que le témoignage du capitaine Frohnhoefer sur les propos que lui avait tenus M. Rivest pouvait être considéré comme fiable, parce qu’il concordait avec le premier affidavit de M. Cardiff.
[108] Ces arguments me semblent peu fondés. Sea Tow n’a pas expliqué pourquoi elle n’aurait pu demander le report de la date limite du 12 mars 2024 dans le but d’obtenir un affidavit de M. Rivest, et l’analyse effectuée par le juge adjoint Horne dans sa décision ne porte certainement pas à croire qu’il n’aurait pu être disposé à accueillir une telle demande. Je suis d’avis que l’argument de la fiabilité n’est pas convaincant non plus. Même en supposant que la concordance avec d’autres éléments de preuve puisse attester la fiabilité du ouï‑dire, la preuve tirée du premier affidavit de M. Cardiff concernant la société de 1997 a non seulement été rétractée par son auteur, mais elle ne concorde pas avec les propos de M. Rivest rapportés par le capitaine Frohnhoefer. Selon le premier affidavit de M. Cardiff, la société de 1997 avait été constituée par M. MacDonald. Comme Sea Tow n’a pas satisfait au critère de l’exception raisonnée à la règle du ouï‑dire, je conclus que le témoignage du capitaine Frohnhoefer concernant les propos que lui a tenus M. Rivest durant leurs conversations est inadmissible.
(viii) Conclusion sur l’emploi des marques C‑TOW par C‑Tow et ses prédécesseurs en titre
[109] Pour conclure sur cette portion de l’analyse, je suis convaincu que C‑Tow est la successeure en titre des utilisateurs des marques C‑TOW depuis 1985.
(b) L’adoption des marques SEA TOW par Sea Tow
(i) Introduction
[110] Après avoir tiré la conclusion présentée plus haut, la Cour doit examiner la date à laquelle Sea Tow a adopté les marques SEA TOW, afin de déterminer si cette date est antérieure à la date de premier emploi des marques C‑TOW par C‑Tow et ses prédécesseurs en titre.
[111] Contrairement au cas de C‑Tow, il n’y a aucune chaîne de titres à tracer en ce qui concerne les droits de propriété de Sea Tow sur les marques SEA TOW. La même société est propriétaire de ces marques depuis sa constitution dans l’État de New York en 1983. En fait, le litige entre les parties porte sur la date à laquelle Sea Tow a commencé à employer ou à faire connaître les marques SEA TOW au Canada et, compte tenu de cet emploi ou de cette révélation et des demandes de Sea Tow pour l’enregistrement des marques SEA TOW au Canada, sur la date à laquelle Sea Tow est réputée avoir adopté les marques SEA TOW aux termes de l’article 3 de la Loi.
(ii) La révélation au Canada
[112] Selon Sea Tow, les marques SEA TOW ont été révélées au Canada dès juillet 1984, lorsqu’un article du New York Times a traité des services de Sea Tow et de son emploi des marques SEA TOW. Le capitaine Frohnhoefer a joint à son affidavit une copie de l’article en question ainsi que les résultats d’une recherche d’articles tirés des archives de journaux américains, dont le New York Times, remontant à 1984 et couvrant chaque décennie jusqu’aux années 2020.
[113] La date de ces éléments de preuve les rend potentiellement importants, puisque la première est antérieure à 1985. Cependant, aux termes de l’article 5 de la Loi, une marque de commerce est réputée révélée au Canada en liaison avec des services seulement si les services sont annoncés en liaison avec cette marque et si elle est bien connue au Canada par suite de cette annonce. Sea Tow n’a fourni aucune preuve permettant de conclure que les publications de 1984 ou de 1985, voire celles qui ont suivi, ont fait en sorte que les marques SEA TOW soient bien connues au Canada.
[114] Toujours en ce qui concerne la révélation de ses marques au Canada, Sea Tow a fait valoir les points suivants :
- Sea Tow a fait mention qu’elle avait participé à des salons nautiques, y compris à la fin des années 1980, au Canada et dans des villes frontalières américaines. Dans son affidavit, le capitaine Frohnhoefer affirme que des articles de l’époque publiés dans des journaux canadiens ont traité de la participation de Sea Tow à ces salons. Il a joint à son affidavit une copie de l’un de ces articles qui date de 1987;
- Le capitaine Frohnhoefer a joint à son affidavit une copie d’une annonce de Sea Tow parue dans la publication de juin 2019 du Island Angler, qui porte la mention [traduction]
« Votre guide de la pêche sur l’île de Vancouver »
; - Sea Tow a déposé comme pièce au contre‑interrogatoire de M. Longhi un exemplaire du Canadian Yachting d’avril 2015, dans lequel un article mentionne Sea Tow;
- Sea Tow a fait valoir que son site Web, www.seatow.com, est accessible à tous au Canada. Le capitaine Frohnhoefer déclare que les marques SEA TOW apparaissent sur le site Web depuis au moins février 2014. Il fait aussi remarquer qu’il y figure un article datant d’octobre 2015 intitulé [traduction]
« Conseils pour les plaisanciers hivernants naviguant en eaux inconnues »
. Il mentionne également l’application mobile Sea Tow, qui fournit des renseignements météorologiques et des données de localisation pour le Canada; - Sea Tow a fait remarquer que M. Falkins et M. Rick Layzell, le président de la Boating Ontario Association [association des plaisanciers de l’Ontario] qui a produit un affidavit pour C‑Tow, ont reconnu qu’ils avaient entendu parler de Sea Tow.
[115] Il convient de rappeler que l’article 5 de la Loi s’applique, et je suis d’avis que ces éléments de preuve ne me permettent pas de conclure que l’annonce mentionnée par Sea Tow a fait en sorte que les marques SEA TOW soient bien connues au Canada. Les documents présentés à l’appui des observations sont des annonces et des articles isolés. Je juge également que le témoignage de M. Falkins n’est guère utile à Sea Tow. S’il a vu, il y a quelques années, une émission de télévision dans laquelle étaient présentées les activités de Sea Tow en Floride, il affirme toutefois, dans son affidavit, qu’en plus de 39 ans comme homme d’affaires dans l’industrie canadienne de la navigation de plaisance, il n’a jamais vu de bateaux de Sea Tow dans les eaux de la C.‑B., ni entendu un capitaine de Sea Tow sur la radio VHF, ni vu d’annonces pour Sea Tow en C.‑B. De même, M. Layzell affirme qu’il n’a jamais vu un bateau ni un capitaine de Sea Tow au Canada et qu’il a vu des kiosques de Sea Tow uniquement dans des salons nautiques aux États‑Unis.
(iii) L’emploi au Canada – les titulaires de licence des marques SEA TOW exerçant leurs activités dans les eaux canadiennes
[116] Sea Tow a déclaré qu’elle avait commencé à employer les marques SEA TOW au Canada dans les années 1980. Elle s’est appuyée sur la preuve contenue dans l’affidavit du capitaine Frohnhoefer, selon laquelle, dans les années 1980 et 1990, des titulaires de licence des marques SEA TOW rattachés à des marinas américaines situées dans les États du Michigan (le long du lac Sainte‑Claire et près de Détroit), de l’Ohio et de New York (à Buffalo) exerçaient leurs activités dans les eaux canadiennes. Selon Sea Tow, cette preuve montre que les titulaires de licence du Michigan et de l’Ohio exerçaient leurs activités depuis au moins mars 1986.
[117] Dans le même ordre d’idées, le capitaine Frohnhoefer affirme, dans son affidavit, que, dans les années 1980, Sea Tow avait plusieurs franchisés établis aux États‑Unis qui exerçaient leurs activités dans les régions des Grands Lacs, du lac Sainte‑Claire et de la rivière Détroit. Il ajoute qu’à l’intérieur de ces plans d’eau, les zones d’exploitation de ces franchisés s’étendaient dans les eaux canadiennes, qui auraient été fréquentées par des plaisanciers canadiens. Il a joint à son affidavit une liste des franchisés de Sea Tow en date du 17 mars 1986 et du nombre de membres de Sea Tow associés à chacun. Il explique qu’en octobre 1986, un certain nombre de ces franchisés ont conclu un accord de régionalisation et de licence avec Sea Tow et qu’en juin 1993, Sea Tow a conclu un accord de licence visant l’exploitation d’un établissement Sea Tow à Buffalo, dans l’État de New York. Des copies de ces ententes sont jointes à titre de pièces à l’affidavit du capitaine Frohnhoefer.
[118] Dans son affidavit, le capitaine Frohnhoefer explique que les capitaines au service des franchisés de Sea Tow qui naviguaient dans les eaux transfrontalières traversaient régulièrement les eaux canadiennes pour fournir des services à la suite d’une demande d’aide. De plus, les plaisanciers naviguant en eaux canadiennes dont la radio était réglée sur la voie VHF 16 auraient normalement reçu les messages radio « SEA TOW, SEA TOW, SEA TOW »
lorsque des membres de Sea Tow ou d’autres plaisanciers lançaient un appel de détresse pour obtenir de l’aide de Sea Tow.
[119] Tout d’abord, je tiens à souligner que, mis à part la mention générale des activités exercées par les franchisés de Sea Tow dans les années 1980, la date précise la plus ancienne mentionnée dans l’affidavit du capitaine Frohnhoefer et dans la pièce jointe remonte à 1986. Cette date n’est pas antérieure à 1985, soit l’année de premier emploi des marques C‑TOW par les prédécesseurs en titre de C‑Tow.
[120] Je souscris également à la réponse qu’oppose C‑Tow à cette preuve : il ne suffit pas de démontrer l’emploi des marques SEA TOW en liaison avec des services fournis au Canada. Comme l’a reconnu le capitaine Frohnhoefer en contre‑interrogatoire, les ports d’attache des franchisés énumérés dans la preuve en question se trouvaient aux États‑Unis, et il ne disposait d’aucun élément de preuve précis montrant que des capitaines au service de ces franchisés étaient effectivement passés dans les eaux canadiennes ou avaient déjà accosté leur bateau au Canada. En outre, selon mon interprétation de l’accord de régionalisation et de licence d’octobre 1986, celui‑ci s’appliquait à une région nommée la [traduction] « Région des Grands Lacs »
, qui y est définie comme étant la région regroupant l’ensemble des voies navigables qui relèvent du neuvième district de la Garde côtière. Cette définition semble renvoyer aux eaux sous la juridiction de la Garde côtière américaine, et Sea Tow n’a produit aucune preuve contraire ou permettant de conclure que cette juridiction s’étendait, selon certains critères, aux eaux canadiennes.
(iv) L’emploi au Canada – les titulaires de licence sur les marques SEA TOW exerçant leurs activités à Leamington et à Trent Severn, en Ontario
[121] Sea Tow a expliqué que sa première titulaire de licence établie au Canada, Sea Tow Lake Erie Islands, était une entreprise constituée le 5 mai 1987 qui exerçait ses activités depuis la marina de Casper’s Landing & Marina, située sur le lac Érié, à Kingsville (près de Leamington), en Ontario. Dans son affidavit, le capitaine Frohnhoefer déclare que cette franchisée canadienne a exercé ses activités pendant au moins deux ans. Il a joint à son affidavit une copie de l’accord de licence en question, des factures que Sea Tow avait établies au nom de la franchisée en 1987 (dont une facture pour 5 000 dépliants), ainsi que des copies d’articles de journaux et d’annonces qui sont parus dans le Windsor Star et le Leamington Post, et qui portaient sur Sea Tow ainsi que la franchise de Leamington.
[122] Sea Tow a notamment déposé l’affidavit souscrit le 11 mars 2024 par Clarence Scott Holland, un rédacteur indépendant qui vit dans la région de Leamington depuis les années 1950. M. Holland explique que, dans les années 1980, sa famille habitait près de la marina Casper’s Landing & Marina et qu’elle louait un local à la marina voisine pour y vendre de l’essence et autres fournitures aux plaisanciers. Au cours des années 1980, M. Holland a occupé divers postes à cette marina pendant la saison de navigation de plaisance. Il se souvient que des personnes du nom de Scott Kennedy et de Mike Grainger exploitaient ce qu’il appelle une entreprise SEA TOW, depuis la marina Casper’s Landing & Marina.
[123] Selon M. Holland, cette entreprise offrait des services d’assistance nautique de base pour le lac Érié, et M. Kennedy ou M. Grainger était de garde depuis le bureau de Sea Tow situé à la marina, au cas où il recevrait un appel radio VHF d’un bateau en détresse. Il a également fourni de l’essence au bateau qui était utilisé pour répondre aux appels des plaisanciers en détresse; celui‑ci portait l’inscription SEA TOW sur la poupe.
[124] Dans son affidavit, le capitaine Frohnhoefer mentionne également un titulaire de licence qui a travaillé depuis la marina de Bobcaygeon sur la voie navigable Trent‑Severn, en Ontario, de 2003 à 2004. Il a confirmé en contre‑interrogatoire que ce titulaire de licence avait contrevenu à maintes reprises au contrat de franchise entre 2003 et 2005, et il a reconnu comme pièce la lettre par laquelle Sea Tow avait résilié ce contrat. La lettre fait mention du défaut d’équiper ses bateaux, d’entreprendre l’exploitation de la franchise et d’en assurer une supervision adéquate et régulière, ainsi que de produire des rapports sur les redevances. Le capitaine Frohnhoefer ne se souvenait pas s’il existait des éléments de preuve montrant que ce franchisé avait fourni des services nautiques ou qu’il avait généré des revenus.
[125] C‑Tow a reconnu que les franchises de Leamington et de Trent‑Severn constituaient l’entrée de Sea Tow sur le marché canadien. Elle a toutefois soutenu que la franchise de Trent‑Severn n’avait jamais été en activité et que, par conséquent, elle ne comptait pas comme un emploi des marques SEA TOW au Canada. Quant à la franchise de Leamington, C‑Tow a fait valoir qu’il n’y avait aucune preuve de membres ni de revenus associés à cet endroit. Elle a souligné que cette franchise n’avait été en activité que pendant deux ans environ et qu’elle avait été abandonnée il y a de cela des décennies.
[126] Je suis d’accord avec C‑Tow pour dire qu’en l’absence de preuve démontrant que la franchise de Trent‑Severn a effectivement fourni des services, Sea Tow ne peut se fonder sur cette franchise pour démontrer l’emploi des marques SEA TOW au Canada. L’analyse de la franchise de Leamington est toutefois plus complexe. Ensemble, les témoignages du capitaine Frohnhoefer et de M. Holland établissent clairement que cette franchise était en activité, qu’elle fournissait des services au Canada et qu’elle faisait voir les marques SEA TOW dans le cadre de ses activités. Cependant, la Cour doit également examiner la question de savoir si la courte vie de cette franchise, qui a fermé boutique il y a de cela des décennies, constitue un abandon de l’emploi des marques SEA TOW qui ferait obstacle à la reconnaissance de leur adoption au titre de l’article 3 de la Loi. Cette question requiert un exercice d’interprétation de la Loi, sur lequel je reviendrai plus loin dans les présents motifs.
(v) L’emploi au Canada – les membres de Sea Tow au Canada
[127] Sea Tow a également invoqué le fait qu’elle compte des membres canadiens pour établir l’emploi des marques SEA TOW au Canada. D’après le témoignage du capitaine Frohnhoefer, les dossiers de Sea Tow font état de plus de [PASSAGE CAVIARDÉ] membres actifs ayant une adresse au Canada en décembre 2022, et de [PASSAGE CAVIARDÉ], avant 2000. Depuis les années 1980, Sea Tow a compté plus de [PASSAGE CAVIARDÉ] membres ayant une adresse au Canada. Il ajoute que, selon les données de décembre 2022, l’adhésion de membres canadiens génère des revenus annuels de plus de [PASSAGE CAVIARDÉ] $ US, ce qui représente plus de [PASSAGE CAVIARDÉ] $ US au fil du temps, dont plus de [PASSAGE CAVIARDÉ] $ US entre 2014 et 2017.
[128] Le capitaine Frohnhoefer affirme également que Sea Tow envoyait régulièrement à ses membres canadiens des trousses d’adhésion et des lettres de renouvellement, ainsi que des courriels et des bulletins d’information mensuels. Sea Tow a déposé les affidavits de deux membres canadiens de longue date, Mme Joanne Milligan et M. Donald Barr.
[129] Dans son affidavit souscrit le 12 mars 2024, M. Barr explique qu’il est un marin marchand à la retraite et qu’il a été plaisancier pendant plus de 50 ans avant de se retirer des flots et de vendre son bateau en 2017. En tant que plaisancier, il a beaucoup navigué au Canada, aux États‑Unis et dans les Caraïbes. Il passait habituellement ses étés à sa résidence située à Mahone Bay, en Nouvelle‑Écosse, et ses hivers, aux États‑Unis (principalement en Floride) et dans les Caraïbes. Il se souvient d’avoir entendu parler de Sea Tow pour la première fois dans les années 1980, bien qu’il ne puisse en déterminer la date exacte.
[130] Depuis au moins les années 1980 et jusqu’à la vente de son bateau en 2017, M. Barr a été membre de Sea Tow. Il se rappelle être devenu membre avant un voyage à Cuba et, avec son adhésion, avoir reçu une carte sur laquelle figurait son numéro de membre, le logo SEA TOW ainsi que des renseignements sur la façon de communiquer avec Sea Tow en cas d’urgence. Avant de quitter la Nouvelle‑Écosse pour l’hiver, il faisait des appels dans la région où il avait l’intention de naviguer pour savoir quelles marinas étaient affiliées à Sea Tow. Il a été remorqué par Sea Tow à au moins deux reprises – une fois, après qu’il eut fait sauter sa transmission, puis une autre alors qu’il se trouvait sur son voilier au large des côtes de la Floride par vent nul. En contre‑interrogatoire, M. Barr a confirmé que Sea Tow n’était pas affiliée à sa marina en Nouvelle‑Écosse et a déclaré qu’au cours des années où il avait été membre de Sea Tow, cette entreprise n'était pas présente dans cette province.
[131] Dans son affidavit souscrit le 12 mars 2024, Mme Mulligan se décrit comme étant une infirmière et directrice de services de santé à la retraite ainsi qu'une citoyenne canadienne résidant à Little Britain, en Ontario. En 2000, son conjoint et elle ont acheté une propriété située à Bonita Springs, en Floride. Entre 2002 et 2022, ils ont été propriétaires de trois bateaux qu’ils gardaient sur cette propriété ou dans une marina voisine. Ils n’ont ramené aucun de ces bateaux au Canada. En novembre 2001, à l’époque de l’achat de leur premier bateau, Mme Mulligan et son conjoint ont adhéré au programme de Sea Tow. À la suite de leur adhésion, ils ont reçu des renseignements sur les avantages aux membres ainsi qu’une carte portant leur numéro de membre, le logo SEA TOW et des renseignements sur la façon de communiquer avec Sea Tow en cas d’urgence. Ils conservaient leurs documents d’adhésion avec leurs bateaux, en Floride.
[132] L’adhésion de Mme Mulligan était associée à la succursale de Sea Tow de la marina de Bonita Bay. Elle se souvient d’avoir vu des bateaux de Sea Tow peints en jaune et arborant les mots « SEA TOW »
, et elle affirme posséder un exemplaire d’un autocollant pour fenêtre de tribord qu’ils avaient reçu de Sea Tow et qui montrait les marques SEA TOW. Elle a joint à son affidavit une copie de l’autocollant. Elle affirme avoir fait appel à Sea Tow à une occasion, pour faire remorquer leur bateau après qu’ils se furent échoués. Lors de son contre‑interrogatoire, elle a confirmé que cet échouement s’était produit au large des côtes de la Floride et que c’était en Floride qu’elle avait vu les bateaux arborant les mots SEA TOW.
[133] C‑Tow a soutenu que ces témoignages étayaient uniquement le fait que Sea Tow avait fourni des services à des personnes ayant une adresse au Canada, et non qu’elle avait fourni des services au Canada. Il est évident que ni M. Barr ni Mme Mulligan n’ont reçu de services nautiques de Sea Tow au Canada. Cependant, les enregistrements ne visent pas uniquement des services nautiques, mais également une gamme de services aux membres. En effet, compte tenu du témoignage du capitaine Frohnhoefer dans les affidavits relatifs à l'article 45, la juge Fuhrer a conclu qu’au cours de la période pertinente allant de 2014 à 2017, Sea Tow avait fourni des services aux membres, soit des rabais et des offres spéciales chez des entreprises tierces au Canada.
[134] Il ne fait aucun doute que cette analyse s’applique aux cas de Mme Mulligan et de M. Barr, c’est‑à‑dire qu’en tant que membres de Sea Tow, ces catégories de services aux membres leur étaient offertes durant la période allant de 2014 à 2017. Cette période n’est toutefois pas particulièrement pertinente pour trancher la question qui nous occupe, à savoir si la date de premier emploi des marques C‑TOW par C‑Tow et ses prédécesseurs en titre (qui remonte à 1985) est antérieure à la date d’adoption des marques SEA TOW par Sea Tow. Ni le témoignage du capitaine Frohnhoefer ni ceux de Mme Mulligan et de M. Barr n’étayent que Sea Tow a fourni des services aux membres tels que des rabais pour les services de tiers au Canada au cours d’une période antérieure qui pourrait être pertinente pour la présente analyse.
[135] Je prends acte de l’observation formulée par Sea Tow selon laquelle, dans leurs témoignages, Mme Mulligan et M. Barr déclarent qu’ils ont reçu des services alors qu’ils étaient au Canada, en Ontario et en Nouvelle‑Écosse respectivement. Après lecture des paragraphes de leurs affidavits auxquels Sea Tow a renvoyé, cette observation semble faire référence aux documents d’adhésion qui ont été envoyés à ces membres canadiens. Cependant, je conviens avec C‑Tow qu’il ne ressort pas de façon particulièrement claire de leur témoignage que Mme Mulligan et M. Barr ont reçu ces documents à leurs adresses canadiennes. De plus, même si je concluais que les documents ont été reçus au Canada, je ne vois pas comment ces documents correspondent à l’une des catégories de services aux membres visés par les enregistrements. Comme l’a expliqué la juge Fuhrer dans la décision Sea Tow, le terme « services aux membres »
précède le mot « nommément »
dans les enregistrements, ce qui signifie qu’il ne décrit pas des services autonomes.
[136] Enfin, je tiens à faire remarquer que, dans leurs documents (mais non dans leurs observations orales), les deux parties ont porté une grande attention à la preuve relative au fait que des membres de Sea Tow avaient communiqué avec C‑Tow pour demander de l’aide au Canada. Chaque partie soutient que cette preuve étaye sa propre position dans le litige. Dans le contexte de ses arguments relatifs au caractère distinctif (qui seront examinés plus loin dans les présents motifs), C‑Tow a soutenu que ces faits témoignaient de la confusion entre les marques respectives des parties et a prétendu que ces personnes avaient adhéré au programme de Sea Tow alors qu’elles voulaient adhérer à celui de C‑Tow. Sea Tow a contesté cette interprétation des faits et a soutenu qu’ils confirmaient plutôt l’emploi des marques SEA TOW au Canada par la prestation de services au pays, puisque Sea Tow a finalement remboursé ses membres pour le coût des services d’assistance fournis par C‑Tow, conformément à leur contrat d’adhésion.
[137] Si je comprends bien, Sea Tow a fait valoir que, lorsqu’un membre a besoin d’aide dans une région non desservie par l’une de ses franchises et qu’une entreprise tierce fournit le service requis à sa place, Sea Tow rembourse le membre des frais qu’il a payés à l’entreprise tierce, et qu’un tel fait constitue un service fourni par Sea Tow. Je retiens cet argument et je conviens que, dans les cas où un tel fait comprend la prestation de services d’assistance par une entreprise tierce dans les eaux canadiennes, et ce, même si l’entreprise est C‑Tow, Sea Tow a fourni un service au Canada.
[138] Cependant, je comprends que les faits relatés par les membres de Sea Tow se sont produits entre 2020 et 2022. La juge Fuhrer a déjà conclu que Sea Tow avait employé les marques SEA TOW au Canada au cours de la période allant de 2014 à 2017. Tout comme leur emploi au cours de cette période, l’emploi des marques SEA TOW au Canada entre 2020 et 2022 n’est pas particulièrement pertinent pour l’analyse à laquelle se livre la Cour, étant donné qu’il vient bien après le dernier fait dans la chaîne de titres de C‑Tow, soit sa constitution en société en 2006.
(vi) La production des demandes pour l’enregistrement des marques SEA TOW au Canada
[139] Enfin, Sea Tow a fait valoir – peut‑être avec le plus de vigueur – qu’aux termes de l’article 3 de la Loi, elle a adopté ses marques au Canada au plus tard en 2002, lorsqu’elle a produit sa première série de demandes pour l’enregistrement de ses marques. En revanche, C‑Tow a soutenu que, s’il était vrai que la date à laquelle Sea Tow avait adopté ses marques correspondait à la date à laquelle elle en avait demandé l’enregistrement, il convenait toutefois d’utiliser la date de production de la deuxième série de demandes (soit les demandes produites en 2010, qui lui ont permis d’obtenir les enregistrements).
[140] Aucun débat de faits précis entre les parties ne requiert l’attention de la Cour dans cette portion de l’analyse. La question en litige est en fait une question de droit, soit celle de savoir si les termes « une demande d’enregistrement de cette marque au Canada »
utilisés à l’article 3 de la Loi renvoient à une demande qui a mené à l’enregistrement de la marque pertinente (comme le soutient C‑Tow) ou s’ils peuvent renvoyer à une demande d’enregistrement antérieure qui a finalement été abandonnée (comme le soutient Sea Tow). Tout comme la question soulevée plus haut dans les présents motifs, soit celle de savoir si l’emploi des marques SEA TOW associé à la franchise de Leamington de 1987 à 1989 (emploi qui, selon C‑Tow, a été abandonné par la suite) compte pour l’adoption des marques aux termes de l’article 3, la réponse à la présente question requiert un exercice d’interprétation de la Loi, auquel je me livrerai dans la section qui suit.
(vii) Interprétation de l’article 3 de la Loi
[141] L’article 3 de la Loi est ainsi rédigé :
[142] Comme point de départ de la présente analyse, je tiens à souligner que les versions française et anglaise de la Loi ont également force de loi. Cela étant dit, aucune partie n’a présenté d’observations selon lesquelles il existe des différences entre les deux versions qui auraient une incidence sur l’analyse requise.
[143] Il est bien établi en droit que, selon la méthode moderne d’interprétation des lois, il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. Cette méthode commande une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble (Hypothèques Trustco Canada c Canada, 2005 CSC 54 au para 10).
[144] Invoquant le libellé de l’article 3, Sea Tow a insisté sur le fait que l’article 3 faisait référence au moment où une personne ou son prédécesseur avait produit « une »
demande d’enregistrement de cette marque au Canada, et non à « la »
demande d’enregistrement de cette marque au Canada. Partant, elle a fait valoir que le libellé de la Loi prévoyait que plus d’une demande pouvait être produite pour l’enregistrement d’une marque au Canada et qu’elle avait donc le droit de se fonder sur sa demande de 2002 pour définir la date d’adoption, et ce, même si ce n’était pas cette demande qui avait mené à l’obtention des enregistrements.
[145] Les observations de C‑Tow portaient davantage sur une analyse téléologique. Selon elle, la position de Sea Tow n’était pas conforme aux principes de base sous‑tendant les marques de commerce en tant que forme de monopole. Elle a soutenu que la portée de tout monopole conféré par la loi devait être adéquatement limitée par l’objet de la loi habilitante, afin d’éviter tout abus de ce monopole. Elle a ajouté que, dans le contexte des marques de commerce, ce monopole était fondé sur le principe selon lequel le propriétaire emploie la marque pour distinguer ses produits et/ou services de ceux des autres, et ainsi donner aux consommateurs l’assurance qu’ils achètent d’une source particulière (voir Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22 au para 21).
[146] C‑Tow a avancé que, comme l’emploi d’une marque était un élément essentiel des principes sous‑tendant le monopole conféré par la loi, il était absurde de la part de Sea Tow de soutenir qu’elle pouvait se fonder sur une demande antérieure – qui avait été abandonnée en l’absence de l’emploi requis – pour établir l’existence de droits qui seraient demeurés intacts jusqu’à une demande ultérieure qui, elle, avait mené à l’obtention des enregistrements. Elle était d’avis que l’interprétation défendue par Sea Tow allait à l’encontre de la notion d’abandon d’une demande, lequel emporte la perte de l’ensemble des droits relatifs à cette demande, et que cette interprétation était assimilable à une stratégie de renouvellement à perpétuité, ce qui était contraire aux limites fondamentales des monopoles conférés par la loi. Elle a reconnu que la notion de renouvellement à perpétuité relevait généralement du domaine des brevets (voir, p. ex., Whirlpool Corp c Camco Inc, 2000 CSC 67 au para 37), mais a soutenu que la préoccupation sous‑jacente s’appliquait également aux marques de commerce.
[147] À titre d’analyse contextuelle, C‑Tow a invoqué l’article 17 de la Loi, qui semble être le seul article de la Loi dans lequel est employée la notion d’adoption (au sens de l’article 3). L’article 17 est ainsi libellé :
[148] C‑Tow a fait remarquer que, selon le paragraphe 17(2), l’enregistrement était incontestable, à moins qu’il ne fût établi que la personne qui avait adopté au Canada la marque de commerce déposée l’avait fait alors qu’elle était au courant de l’emploi ou de la révélation antérieur d’une autre marque créant de la confusion. Insistant sur la mention, dans cette disposition, de l’adoption de « la marque de commerce déposée »
, elle a soutenu que, lorsque l’article 3 définissait l’adoption comme ayant lieu au moment de la production d’une demande d’enregistrement de la marque, la disposition renvoyait à la demande qui avait permis à la marque de devenir une marque déposée. C‑Tow a également fait observer que, si les marques SEA TOW visées par les enregistrements associés aux demandes de Sea Tow de 2010 étaient les mêmes que celles ayant fait l’objet des demandes de 2002, les services visés par les demandes de 2002 et de 2010 n’étaient toutefois pas identiques.
[149] À titre d’argument opposé, Sea Tow a soutenu, lors de l’audience, que l’incontestabilité conférée par les articles 3 et 17 (combinés à l’article 21, qui autorise, dans certaines circonstances, l’emploi simultané de marques créant de la confusion) reflétait l’intention du législateur d’offrir une protection complète aux propriétaires de marques de commerce dont les enregistrements avaient survécu cinq ans sans contestation. Si de tels enregistrements ne sont pas tout à fait incontestables, puisque le paragraphe 17(2) permet de contester un enregistrement dans les cas où la personne qui a adopté la marque déposée l’a fait alors qu’elle était au courant de l’emploi ou de la révélation antérieur au Canada d’une marque créant de la confusion, Sea Tow a toutefois affirmé qu’il était conforme à la protection accrue assurée par l’incontestabilité d’interpréter l’adoption comme englobant la production d’une demande antérieure qui n’a mené à aucun enregistrement.
[150] Je conclus que les observations formulées par C‑Tow sont plus convaincantes. J’accepte l’observation de Sea Tow selon laquelle l’intention qu’avait le législateur lorsqu’il a adopté l’article 17 et les dispositions connexes était d’accorder une protection accrue aux marques de commerce n’ayant fait l’objet d’aucune contestation pendant cinq ans. Toutefois, cette protection est assurée par les restrictions, expressément énoncées à l’article 17, quant aux circonstances dans lesquelles une telle marque peut être contestée. Sea Tow n’a fourni aucun motif permettant à la Cour de conclure que son interprétation de l’article 3 est nécessaire à l’atteinte de cet objectif ou même particulièrement compatible avec celle‑ci. Comme l’a soutenu C‑Tow, la Loi crée essentiellement un régime fondé sur l’emploi et, même dans le contexte de la protection accrue conférée aux marques cinq ans après leur enregistrement, je juge qu’il n’est pas conforme à l’objet de la Loi de conclure qu’elle ouvre la porte à une forme de renouvellement à perpétuité sur la base d’une demande abandonnée qui ne reflète pas nécessairement l’emploi de la marque pertinente.
[151] S’agissant du contexte législatif, je souscris à la position de C‑Tow selon laquelle le paragraphe 17(2) est pertinent. Cependant, je juge qu’il convient également d’examiner le rôle de l’article 16 de la Loi. Selon ma compréhension, les parties s’entendent pour dire que la version pertinente de l’article 16 est celle qui était en vigueur entre le 1er janvier 1996 et le 12 août 2014, dont voici le libellé :
[152] Je tiens à rappeler que le motif d’invalidité au cœur de la présente analyse est fondé sur l’alinéa 18(1)d) de la Loi, à savoir que, sous réserve de l’article 17, l’auteur de la demande n’était pas la personne ayant droit d’obtenir l’enregistrement. Lorsque Sea Tow a produit ses demandes de 2010, elle a revendiqué l’emploi et l’enregistrement antérieurs de ses marques aux États‑Unis comme fondement de son droit. L’alinéa 16(2)a), tel qu’il était alors libellé, précisait les circonstances dans lesquelles l’emploi antérieur au Canada d’une marque de commerce empêchait le requérant qui se fondait sur l’enregistrement et l’emploi sa marque dans un autre pays d’en obtenir l’enregistrement au Canada. Aux termes de cette disposition, le requérant a le droit d’obtenir l’enregistrement de sa marque de commerce, à moins qu’à la date de production de la demande, sa marque crée de la confusion avec une marque antérieurement employée ou révélée au Canada.
[153] Par conséquent, c’est au titre de l’article 16 que Sea Tow perd potentiellement son droit à l’enregistrement des marques SEA TOW. Le paragraphe 16(2) contient à la fois les expressions « une demande »
et « la demande »
, mais il ressort clairement du libellé de cette disposition que les deux expressions renvoient à la demande qui vise l’enregistrement spécifique faisant l’objet de l’examen au titre de cette disposition. Cette interprétation réfute l’argument de Sea Tow selon lequel, en utilisant l’expression « une demande »
à l’article 3, le législateur visait la possibilité qu’une demande parmi plusieurs serve à établir la date d’adoption.
[154] En outre, en ce qui concerne la confusion avec une marque antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne (comme le prévoit l’alinéa 16(2)a)), l’examen au titre du paragraphe 16(2) doit s’effectuer par rapport à la date de production de la demande. À mon avis, la Loi serait empreinte d’une incohérence injustifiée si, en revanche, l’examen au titre du paragraphe 17(2) de la question de savoir si, à la date de production de sa demande d’enregistrement, le propriétaire de la marque de commerce était au courant de l’emploi ou de la révélation antérieur d’une marque créant de la confusion, pouvait s’effectuer par rapport à la date de production d’une demande d’enregistrement différente. La préoccupation concernant une telle incohérence est renforcée par le fait que, comme dans la présente affaire, les services visés par les différentes demandes produites peuvent ne pas être identiques.
[155] Compte tenu des faits de l’espèce, je conclus que la date à laquelle Sea Tow a produit une demande pour l’enregistrement des marques SEA TOW (au sens de l’article 3 de la Loi) est le 9 septembre 2010.
[156] Il découle de l’analyse qui précède que, sans tenir compte de l’examen de la question de savoir si Sea Tow peut être réputée avoir adopté les marques SEA TOW au cours de la période allant de 1987 à 1989 par leur emploi en liaison avec la franchise de Leamington, la date d’adoption au titre de l’article 3 est le 9 septembre 2010. Certes, cette date est, elle aussi, postérieure au premier emploi des marques C‑TOW par les prédécesseurs en titre de C‑Tow, qui remonte à 1985, mais l’adoption des marques SEA TOW par Sea Tow au cours de la période allant de 1987 à 1989 pourrait toujours être pertinente pour la question dont la Cour est saisie, étant donné que – comme je l’examinerai un peu plus loin – les premiers éléments de preuve sur lesquels C‑Tow s’appuie pour montrer que Sea Tow était au courant de l’emploi des marques de C‑Tow ne remontent qu’à 1992. Je passerai donc au deuxième volet de l’exercice d’interprétation de l’article 3, qui est nécessaire pour trancher cette question.
[157] Sea Tow a contesté la thèse de C‑Tow selon laquelle la longue période de non‑emploi des marques SEA TOW au Canada à la suite de leur emploi de 1987 à 1989 témoigne de l’abandon de ces marques. Sea Tow a fait remarquer que l’article 3 de la Loi, qui dispose que la date d’adoption d’une marque correspond, entre autres choses, à la date à laquelle la personne a commencé à l’employer au Canada, ne traite aucunement des incidences de l’abandon ultérieur de la marque. Elle a ajouté que le libellé de l’article 3 pouvait être comparé, par exemple, à celui des paragraphes 16(4) et (5) (reproduits plus haut), qui disposaient expressément que le droit, pour un requérant, d’obtenir l’enregistrement d’une marque n’était pas atteint par la production antérieure d’une demande d’enregistrement, ou l’emploi ou la révélation antérieur d’une marque créant de la confusion par une autre personne, si cette autre personne avait abandonné sa marque.
[158] Dans ses observations écrites déposées dans le cadre des présentes instances, C‑Tow s’est appuyée sur la jurisprudence pour étayer sa position selon laquelle l’abandon des marques SEA TOW, à la suite de leur emploi en liaison avec la franchise de Leamington, écartait la possibilité qu’il soit tenu compte de cet emploi pour définir la date d’adoption aux termes de l’article 3. Citant le paragraphe 34 de la décision EAB Tool Company Inc c Norske Tools Ltd, 2017 CF 898 [EAB], C‑Tow a soutenu qu’après 1989, Sea Tow avait disparu du marché canadien et qu’elle avait renoncé aux droits, s’il en est, qu’elle avait pu acquérir sur les marques de commerce pendant leur période d’emploi en liaison avec la franchise de Leamington.
[159] À l’audience, j’ai fait part aux avocats de C‑Tow de mon avis selon lequel la décision EAB n’étayait pas leur position, du moins pas directement. Après avoir reçu et examiné les observations subséquentes de C‑Tow, je demeure de cet avis. Dans l’affaire EAB, EAB sollicitait un jugement déclaratoire portant que la défenderesse (Norske) avait, entre autres choses, usurpé ses marques de commerce déposées. Nul ne contestait la validité de ces marques. La seule question que devait trancher la Cour était en fait celle de savoir si EAB avait établi que les marques de Norske créaient de la confusion avec les siennes (voir le para 25). Dans le cadre de l’analyse relative à la confusion qu’elle devait effectuer, la Cour a examiné les facteurs énoncés à l’article 6 de la Loi, notamment la période pendant laquelle les marques respectives des parties avaient été en usage.
[160] Après s’être penché sur ce facteur, puis avoir conclu qu’il jouait en faveur d’EAB, le juge Locke a exposé son raisonnement en ces termes (au para 34) :
Norske fait valoir que les origines de sa marque TRADE‑A‑BLADE remontent aux années 1970, avant la conception de la marque EXCHANGE‑A‑BLADE d’EAB. Cependant, il serait inapproprié de tenir compte des premières années d’emploi de la marque TRADE‑A‑BLADE au moment d’examiner la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage. Après avoir fait usage de la marque TRADE‑A‑BLADE au Canada pendant quelques années, celle-ci n’a été utilisée par personne entre 1982 et 2016. À mon avis, cela constitue manifestement une disparition complète et durable de la marque du marché canadien. Aux fins de la présente analyse, c’est comme si la marque TRADE‑A‑BLADE n’avait jamais été sur le marché avant 2016.
[161] Je juge que cette décision n’est d’aucune utilité directe pour C‑Tow, car le juge Locke s’était penché sur un facteur expressément prévu par la Loi (la période pendant laquelle les marques avaient été en usage) pour l’analyse relative à la confusion. Je comprends que la décision EAB et, bien entendu, ce facteur prévu par la loi s’inscrivent dans la logique de la position de C‑Tow, à savoir qu’il existe un principe général imprégnant la Loi selon lequel les parties ne peuvent se fonder sur des marques tombées en désuétude ou abandonnées pour établir l’existence de droits sur une marque de commerce. Cependant, si ce n’est pour étayer de manière générale la position de C‑Tow, la décision EAB n’est pas pertinente.
[162] C‑Tow s’est également appuyée sur les conclusions tirées dans les jugements Philip Morris CAF et Marineland Inc c Marine Wonderland & Animal Park Ltd, [1974] 2 CF 558 (CF 1re inst) [Marineland].
[163] Dans l’arrêt Philip Morris CAF, la CAF a traité de la notion de l’abandon et (au para 29) s’est appuyée sur l’explication donnée dans la décision Marineland pour réitérer que le simple non‑usage d’une marque de commerce n’équivaut pas nécessairement à son abandon et que le non‑usage doit être aussi accompagné de l’intention d’abandonner. La CAF a conclu (au para 31) que le juge de première instance dans Philip Morris FC n’avait commis aucune erreur lorsqu’il avait conclu que la preuve démontrait que la défenderesse dans cette affaire n’avait pas abandonné sa marque ni n’avait eu l’intention de l’abandonner. Cependant, si ce n’est pour fournir une bonne explication du critère relatif à l’abandon, l’arrêt Philip Morris CAF n’est d’aucune utilité directe pour permettre à C‑Tow d’établir que la notion d’abandon doit implicitement être prise en compte dans le cadre de l’application de l’article 3. L’un des motifs d’invalidité de l’enregistrement examiné dans l’arrêt Philip Morris CAF était, aux termes du paragraphe 18(1) de la Loi, le fait que la marque avait été abandonnée. Partant, tout comme dans la décision EAB, une disposition législative exigeait expressément que le décideur se penche sur la question de l’abandon.
[164] S’agissant de la décision Marineland, il est plus difficile d’apprécier si elle étaye davantage l’argument avancé par C‑Tow. Dans cette affaire, la Cour était saisie de l’appel de la décision par laquelle le registraire des marques de commerce avait rejeté l’opposition de l’appelante, Marine Wonderland, à la demande de l’intimée, Marineland, pour l’enregistrement du mot « Marineland »
comme marque de commerce. Parmi les motifs de rejet de l’appel énoncés par la Cour, il convient de mentionner sa conclusion (aux pp 574 et 575) selon laquelle l’appelante avait abandonné sa marque de commerce au Canada après une longue période de non‑usage.
[165] Dans l’affaire Marineland, l’un des motifs d’opposition invoqués s’apparentait à celui qui est à l’étude dans la présente affaire, à savoir que (aux termes de l’alinéa 16(1)a) de la Loi dans sa version en vigueur à l’époque pertinente) Marineland n’avait pas droit à l’enregistrement de sa marque, parce qu’elle créait de la confusion avec une marque antérieurement employée par Marine Wonderland. Pour tenter de démontrer l’emploi antérieur de sa marque, Marine Wonderland avait déposé des éléments de preuve relatifs à la production et de la diffusion, entre 1958 et 1964, d’une série de films associés à sa marque. Dans le cadre de son appréciation de cette preuve, la Cour a souligné qu’il incombait à Marine Wonderland de démontrer qu’elle n’avait pas abandonné sa marque (à la p 574). Après s’être penchée sur la preuve et sur la longue période de non‑usage des marques qui avait suivi la dernière phase de production de films, en 1958, et de distribution, en 1964, la Cour a conclu que Marine Wonderland ne s’était pas acquittée de ce fardeau (à la p 575).
[166] Mon analyse de la mesure dans laquelle la décision Marineland étaye l’interprétation de l’article 3 avancée par C‑Tow est entravée par l’absence d’observations de la part de l’une ou l’autre des parties au sujet de la version de la Loi qui s’appliquait dans cette affaire. Comme je l’ai déjà mentionné, la version de l’article 16 qui s’applique en l’espèce comportait des dispositions interdisant expressément l’opposition à l’enregistrement d’une marque de commerce sur le fondement d’une marque abandonnée. Si la conclusion tirée dans la décision Marineland, selon laquelle il incombait à Marine Wonderland de prouver qu’elle n’avait pas abandonné sa marque, était fondée sur des dispositions semblables à celles de l’article 16 ou d’une autre disposition de la Loi dans sa version en vigueur à l’époque, comme dans la décision EAB, alors l’examen par la Cour de la question de l’abandon reposait sur un fondement législatif. En l’absence de telles dispositions adoptées à ce stade de l’historique de la Loi, l’analyse exposée dans la décision Marineland traduit davantage, comme l’a fait valoir C‑Tow, l’existence d’un principe général dont le décideur doit tenir compte dans l’application de la Loi.
[167] Comme les parties n’ont présenté aucune observation utile sur ce point en ce qui concerne l’affaire Marineland, je refuse de trancher la question. Je souscris toutefois à la position de C‑Tow selon laquelle les précédents jurisprudentiels qu'elle invoque et, bien entendu, les dispositions de la Loi à l’appui de ces précédents témoignent du fait que la Loi crée essentiellement un régime fondé sur l’emploi. Cette conclusion se situe dans la ligne de mon analyse et de ma propre conclusion sur le premier volet de l’exercice d’interprétation de l’article 3. Tout comme il va à l’encontre de l’objet de la Loi de conclure que celle‑ci confère des droits sur la base d’une demande abandonnée qui ne reflète pas nécessairement l’emploi de la marque pertinente, il est également contraire à son objet de conclure qu’elle confère des droits sur la base d’un emploi abandonné.
[168] Avant de tirer cette conclusion, j’ai tenu compte de l’argument formulé par Sea Tow selon lequel une telle interprétation de l’article 3 n’est pas étayée par son libellé. Je tiens toutefois à faire remarquer que, s’il est vrai que l’article 3 ne mentionne pas expressément la notion d’abandon, le législateur a néanmoins choisi les mots « a commencé à l’employer au Canada »
dans le passage pertinent de l’article 3. Selon moi, il s’inscrit dans la logique du libellé de la Loi d’interpréter le mot « commencé »
comme dénotant le début d’un emploi qui s’est poursuivi.
[169] Enfin, après avoir appliqué le critère relatif à l’abandon énoncé dans les décisions Marineland et Philip Morris FC, je suis convaincu que Sea Tow avait abandonné ses marques au Canada, étant donné, d’une part, qu’elle avait cessé de les employer au Canada après la fermeture de la franchise de Leamington et, d’autre part, que, par la suite, elle ne les y a pas employées à nouveau pendant une longue période. Par conséquent, et compte tenu de l’analyse de la Loi qui précède, je conclus que l’exploitation de la franchise de Leamington ne permet pas de conclure que Sea Tow a adopté les marques SEA TOW entre 1987 et 1989.
(viii) Conclusion
[170] Pour conclure sur cette portion de l’analyse, je suis convaincu que Sea Tow est réputée avoir adopté les marques SEA TOW le 9 septembre 2010. Par conséquent, la date de premier emploi des marques C‑TOW par C‑Tow et ses prédécesseurs en titre est antérieure à la date d’adoption des marques SEA TOW par Sea Tow.
(2) Sea Tow a‑t‑elle adopté les marques SEA TOW alors qu’elle était au courant de l’emploi antérieur des marques C‑TOW?
[171] Après avoir tiré la conclusion qui précède, il reste à trancher la question de savoir si, lorsque Sea Tow a adopté ses marques le 9 septembre 2010, elle connaissait les marques C‑TOW. Pour prouver que Sea Tow les connaissait, C‑Tow s’est fondée sur trois éléments de preuve : a) une lettre datée du 7 décembre 1992, que M. MacDonald avait adressée au père du capitaine Frohnhoefer [la lettre de 1992]; b) une série d’appels entre Sea Tow et C‑Tow vers 2006, concernant le sauvetage en eaux canadiennes d’un membre de Sea Tow; et c) une conversation entre le père du capitaine Frohnhoefer et M. Cardiff en 2009.
[172] La lettre de 1992 a été produite en preuve par le capitaine Frohnhoefer, comme pièce jointe à son affidavit. Dans son affidavit, il décrit qu’elle contient des dépliants plus anciens et que M. MacDonald y dit que plusieurs conducteurs de bateau de service avec qui il a travaillé ont [traduction] « abandonné leur carrière de navigation »
. La lettre semble porter, en haut de page, un timbre avec le nom « C‑Tow Assistance »
et une adresse située à Bowen Island, en C.‑B.
[173] Lors de son contre‑interrogatoire, le capitaine Frohnhoefer a confirmé qu’en date du 7 décembre 1992, son père savait que C‑Tow existait; je ne comprends pas pourquoi Sea Tow a prétendu que cette lettre ne prouvait pas qu’elle était au courant de l’emploi des marques C‑TOW. (En fait, sa position, comme il en a été question plus haut dans les présents motifs, était que l’utilisatrice des marques C‑TOW n’était pas une prédécesseure en titre de C‑Tow.) Je souscris à la position de C‑Tow selon laquelle cette lettre démontre que, dès décembre 1992, Sea Tow était au courant de l’emploi antérieur des marques C‑TOW par la prédécesseure en titre de C‑Tow.
[174] Par souci de rigueur, j’examinerai également les autres éléments de preuve corroborant le fait que Sea Tow en était au courant. Les communications de 2006 sont étayées par le premier affidavit de M. Skinner, dans lequel celui‑ci raconte ce qui suit :
[traduction]
Je me souviens d’un incident en particulier survenu après l’achat de l’entreprise, vers 2006. Sea Tow avait appelé, des États‑Unis, nos répartiteurs, parce que l’un de ses membres se trouvait en eaux canadiennes, près de Desolation Sound, en C.‑B., et que son équipe ne pouvait pas traverser la frontière. Elle avait appelé C‑Tow pour lui demander de porter assistance à son membre. J’ai personnellement participé à cette opération, car je communiquais avec le répartiteur de Sea Tow et avec celui de C‑Tow, afin d’assurer le bon déroulement du sauvetage du membre de Sea Tow par C‑Tow.
[175] Encore une fois, je ne comprends pas pourquoi Sea Tow a prétendu que ces communications ne prouvaient pas la connaissance requise de sa part quant à l’emploi des marques C‑TOW. Je souscris à la position de C‑Tow selon laquelle ces communications en témoignent.
[176] Enfin, la conversation de 2009 entre le père du capitaine Frohnhoefer et M. Cardiff est étayée par le premier affidavit de M. Cardiff, dans lequel celui‑ci explique que sa première communication avec Sea Tow a eu lieu après que le père du capitaine Frohnhoefer eut téléphoné au numéro public du service de répartition de C‑Tow, en 2009. Il précise qu’à l’époque, il gérait l’ensemble des appels au service de répartition. Il a eu une brève conversation d’ordre général au sujet des activités de C‑Tow et de l’industrie avec le père du capitaine Frohnhoefer, qui a fait part de son intérêt à le rencontrer en personne.
[177] M. Cardiff explique également que vers 2010, le capitaine Frohnhoefer a communiqué avec lui par courriel pour explorer officieusement la possibilité d’ouvrir des négociations pour l’achat de l’entreprise C‑Tow et qu’il a de nouveau manifesté son intérêt à le rencontrer. Les communications concernant l’acquisition potentielle de C‑Tow par Sea Tow se sont poursuivies tout au long de 2011 et jusqu’en 2012, mais la rencontre n’a pas eu lieu, et les négociations n’ont abouti à aucune entente. M. Cardiff a joint à son affidavit ce qu’il décrit comme étant la suite d’un échange de courriels entre lui et le capitaine Frohnhoefer commençant en 2011.
[178] Encore une fois, Sea Tow a soutenu que ces communications ne prouvaient pas qu’elle était au courant de l’emploi des marques C‑TOW. Cela étant dit, en ce qui concerne l’époque à laquelle ont eu lieu ces communications, je tiens à faire observer que, dans son affidavit, le capitaine Frohnhoefer déclare que M. Cardiff et lui ont eu diverses conversations au sujet de l’intégration de C‑Tow au réseau de franchisés de Sea Tow à compter de 2011. Ce témoignage concorde avec celui de M. Cardiff, si ce n’est que, selon le capitaine Frohnhoefer, ces conversations ont commencé en 2011 (soit à une époque postérieure à la date d’adoption des marques SEA TOW par Sea Tow qui, selon ma conclusion, remonte à 2010), alors que M. Cardiff a déclaré que c’était [traduction] « vers 2010 »
que le capitaine Frohnhoefer avait communiqué avec lui pour la première fois.
[179] Étant donné que M. Cardiff s’est montré peu précis quant à la date de la prise de contact du capitaine Frohnhoefer, je préfère le témoignage de ce dernier, selon lequel la conversation a débuté en 2011. Cette conclusion n’enlève toutefois rien au témoignage de M. Cardiff selon lequel le père du capitaine Frohnhoefer a engagé la toute première conversation dans cette suite de faits en 2009 (et le témoignage du capitaine Frohnhoefer ne contredit pas ce fait). Je prends acte du fait que ces communications démontrent la connaissance requise de la part de Sea Tow quant à l’emploi des marques C‑TOW en 2009, soit avant la date d’adoption des marques SEA TOW par Sea Tow, en 2010.
[180] Compte tenu de ces conclusions selon lesquelles Sea Tow était au courant de l’emploi antérieur des marques C‑TOW, C‑Tow s’est acquittée de son fardeau de démontrer que Sea Tow n’était pas la personne ayant droit d’obtenir les enregistrements des marques SEA TOW. C‑Tow a donc droit au jugement déclaratoire sollicité portant que les enregistrements sont invalides.
[181] Avant de passer au prochain motif d’invalidité, je tiens à préciser que, puisque j’ai conclu que Sea Tow n’avait adopté ses marques qu’en 2010, la conclusion qui précède – selon laquelle elle était au courant de l’emploi antérieur des marques C‑TOW en 2009 – ferait en sorte que C‑Tow ait gain de cause dans la demande, et ce, même si celle‑ci n’avait pas été en mesure d’établir qu’elle était la successeure en titre de l’un ou l’autre des utilisateurs des marques C‑TOW avant sa constitution en société en 2006.
(3) Les demandes d’enregistrement de Sea Tow ont‑elles été produites de mauvaise foi?
[182] Bien que les conclusions ci‑dessus soient déterminantes pour l’issue de la demande, j’examinerai néanmoins les autres motifs d’invalidité invoqués par C‑Tow, dont le premier est celui fondé sur l’alinéa 18(1)e) de la Loi, selon lequel les demandes d’enregistrement de Sea Tow ont été produites de mauvaise foi.
[183] C‑Tow a présenté peu d’observations à l’appui de ce motif d’invalidité. Elle a prétendu que, dans le contexte de l’alinéa 18(1)e), la mauvaise foi était une notion flexible, mais qu’elle s’entendait généralement du fait, pour le requérant, de manquer à une obligation légale ou morale à l’égard d’un tiers (voir Beijing Judian Restaurant Co Ltd c Meng, 2022 CF 743 [Beijing Judian] au para 36; Blossman Gas, Inc c Alliance Autopropane Inc, 2022 CF 1794 au para 120). C‑Tow a fait remarquer que le décideur avait conclu à la mauvaise foi dans les cas où le propriétaire de la marque déposée était clairement au courant des droits du tiers et savait qu’ils ciblaient tous deux les mêmes consommateurs, mais n'avait pas tenu compte de ces faits au moment de produire sa demande d’enregistrement (voir Cheung's Bakery Products Ltd c Easywin Ltd, 2023 CF 190 aux para 88‑90).
[184] S’appuyant sur ces précédents, C‑Tow a soutenu que Sea Tow savait qu’elle exerçait ses activités au Canada depuis des décennies et que les deux sociétés ciblaient les mêmes consommateurs dans le même domaine d’activité. Même si elle savait que les marques des deux sociétés étaient identiques sur le plan sonore [en anglais] et qu’elles créeraient donc de la confusion, Sea Tow a demandé et obtenu les enregistrements. C‑Tow a soutenu que la conduite de Sea Tow constituait de la mauvaise foi, car celle‑ci ne pouvait croire qu’elle avait le droit d’employer les marques SEA TOW au Canada.
[185] Les arguments de C‑Tow ne me convainquent pas. Certes, Sea Tow n’a pas eu gain de cause sur le fondement de ses arguments visant à démontrer l’emploi de ses marques au Canada au début de l’historique de la société, mais ces arguments n’étaient pas frivoles. Sea Tow exerce ses activités et semble employer ses marques aux États‑Unis depuis des décennies. Si les liens peu nombreux entre ses activités et le Canada n’ont pas suffi, à l’issue d’une analyse rigoureuse, pour confirmer la validité de ses marques, ils sont néanmoins, à mon avis, suffisants pour empêcher la Cour de conclure que Sea Tow a produit ses demandes d’enregistrement de mauvaise foi en 2010. À l’évidence, les faits de l’espèce diffèrent nettement des circonstances qui, dans la décision Beijing Judian par exemple, ont été assimilées à de la mauvaise foi, car la preuve indiquait que le défendeur avait l’intention d’employer la marque pertinente pour extorquer de l’argent à la demanderesse ou obtenir de l’argent de tiers (voir le para 50).
[186] Par conséquent, je rejette l’allégation de C‑Tow selon laquelle les enregistrements sont invalides, au motif que Sea Tow a produit les demandes afférentes de mauvaise foi.
(4) À la date à laquelle a été introduite la demande, les marques SEA TOW étaient‑elles distinctives des services offerts par Sea Tow?
[187] Le dernier motif d’invalidité invoqué par C‑Tow est celui fondé sur l’alinéa 18(1)b) de la Loi, selon lequel les marques SEA TOW n’étaient pas distinctives à la date à laquelle C‑Tow a introduit la demande, soit le 21 avril 2022. Selon l’article 2, « distinctive »
s’entend de la marque de commerce qui distingue véritablement les produits ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire de ceux d’autres personnes, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi. Les trois conditions du caractère distinctif sont les suivantes : a) la marque et les produits ou services doivent avoir un lien entre eux; b) le propriétaire de la marque doit faire usage de ce lien dans la fabrication et la vente de ses produits ou la vente de ses services; et c) ce lien doit permettre au propriétaire de la marque de distinguer ses produits ou services de ceux d’autres personnes (voir, p. ex., Yiwu Thousand Shores E‑Commerce Co Ltd c Lin, 2021 CF 1040 [Yiwu] au para 29).
[188] La marque de commerce tire son caractère distinctif de sa capacité à indiquer, de façon distinctive, la source d’un produit, d’un procédé ou d’un service afin qu’idéalement, les consommateurs sachent ce qu’ils achètent et en connaissent la provenance. Autrement dit, une marque de commerce doit être distinctive d’une seule source. Elle ne peut pas créer de la confusion au sujet de la source des produits et services qui y sont associés (voir Yiwu, au para 32).
[189] En ce qui concerne la confusion, Sea Tow a reconnu (étant donné qu’une telle reconnaissance est indissociable de ses allégations d’usurpation à la base de l’action) que les marques SEA TOW et les marques C‑TOW créaient de la confusion, mais elle a soutenu que les marques SEA TOW conservaient néanmoins leur caractère distinctif. Sea Tow a fait valoir que, si les marques étaient identiques sur le plan sonore [en anglais], la graphie des mots servant de marque était toutefois très différente, et la présentation des dessins‑marques, encore davantage. Sea Tow a fait remarquer que, dans certains cas, le premier mot serait l’élément le plus important pour établir le caractère distinctif d’une marque (Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, 2011 CSC 27 aux para 63, 64).
[190] En revanche, C‑Tow a fait valoir que les mots « SEA TOW »
étaient très évocateurs, voire carrément descriptifs, des principaux services offerts par Sea Tow, de sorte que les marques SEA TOW étaient des marques faibles possédant un faible caractère distinctif inhérent (Prince Edward Island Mutual Insurance c Insurance Co of Prince Edward Island, T‑733‑96, le 29 janvier 1999 (CF 1re inst), [1999] ACF no 112 (QL) au para 32, conf par A‑112‑99, le 31 août 2000 (CAF), [2000] ACF no 2154 (QL)). Elle a ajouté que Sea Tow n’avait pas renforcé ses marques intrinsèquement faibles en démontrant qu’elles avaient acquis un caractère distinctif au Canada, ce qui requiert un emploi continu sur le marché (Reynolds Presto Products Inc c PRS Mediterranean Ltd, 2013 CAF 119 au para 22).
[191] Cependant, les observations présentées par les parties portent essentiellement sur la question de savoir si, en date du 21 avril 2022, les marques C‑TOW étaient devenues suffisamment connues sur le marché canadien pour faire perdre aux marques SEA TOW leur caractère distinctif, de telle sorte que leurs enregistrements seraient invalides. Les parties ne s’entendaient pas sur le critère à appliquer à cette analyse, compte tenu de la jurisprudence de notre Cour et de la CAF. J’y reviendrai sous peu. Cela étant dit, je reconnais que, dans les circonstances de l’espèce, il convient de procéder à l’analyse de la présence relative des parties sur le marché, afin d’apprécier le caractère distinctif des marques SEA TOW qui, comme l’a fait valoir C‑Tow, ne possèdent aucun caractère distinctif inhérent.
[192] Je suis d’accord avec Sea Tow pour dire que les marques SEA TOW peuvent conserver leur caractère distinctif même si elles créent de la confusion avec les marques C-TOW. Comme l’a fait remarquer Sea Tow, s’il est vrai que l’emploi répandu par des concurrents puisse faire perdre à une marque son caractère distinctif, cela ne se produit pas automatiquement du simple fait de leur usurpation par un tiers (Mr P’s Mastertune Ignition Services Ltd c Tune Masters, [1984] ACF no 536 (CF 1re inst) (QL) au para 96). Partant, même s’il ressort nécessairement de la position des deux parties que leurs marques respectives créent de la confusion, ce fait n’est pas déterminant pour l’analyse du caractère distinctif. L’examen de la présence relative des parties sur le marché servira de base à l’appréciation du caractère distinctif acquis par les marques SEA TOW grâce à leur emploi par Sea Tow, et de la possible perte de leur caractère distinctif en raison de l’emploi des marques C‑TOW par C‑Tow.
[193] Comme je l’ai mentionné plus haut, les parties ne s’entendaient pas sur le critère ou la norme à appliquer pour effectuer cette analyse. Selon C‑Tow, pour savoir si elle a démontré que les marques C‑TOW sont suffisamment connues pour faire perdre aux marques SEA TOW leur caractère distinctif, la Cour devrait appliquer la norme énoncée dans les termes suivants, au paragraphe 34 de la décision Bojangles’ International LLC c Bojangles Café Ltd, 2006 CF 657 [Bojangles’] :
Une marque doit être connue au moins jusqu’à un certain point pour annuler le caractère distinctif établi d’une autre marque, et sa réputation au Canada devrait être importante, significative ou suffisante. Cela est conforme à la jurisprudence. […]
[194] Sea Tow n’était pas de cet avis et elle a plutôt demandé à la Cour de se fonder sur le paragraphe 99 de la décision Services Alimentaires A & W du Canada Inc c Les Restaurants McDonald du Canada Ltée, 2005 CF 406 [A&W], où, selon elle, il était énoncé que la partie qui conteste la validité de l’enregistrement d’une marque sur le fondement de l’emploi qu'elle fait d’une marque concurrente doit démontrer que la marque contestée est [traduction] « si peu distinctive qu’elle ne distingue pas les produits ou services du propriétaire de la marque de commerce des produits ou services offerts par des tiers »
. Elle a également invoqué le paragraphe 29 de l’arrêt Miranda Aluminium Inc c Miranda Windows & Doors Inc, 2010 CAF 104 [Miranda CAF], où la CAF a confirmé la conclusion tirée par la juge de première instance, selon laquelle l’emploi du nom « Miranda »
par l’appelante n’avait pas « détruit »
le caractère distinctif du nom, tel qu'il était utilisé par l’intimée, en amenant les consommateurs à croire qu’il existait une source concurrente pour les produits et services en question.
[195] S’appuyant sur ces jugements, Sea Tow a fait valoir que, suivant la norme applicable, la Cour devait examiner si l’emploi des marques C‑TOW par C‑Tow avait fait perdre aux marques SEA TOW tout caractère distinctif ou, autrement dit, avait détruit leur caractère distinctif.
[196] Je souscris à la position de C‑Tow à cet égard. Dans l’affaire A&W, il n’était pas question d’une partie alléguant que l’emploi de sa propre marque avait fait perdre à la marque de l’autre partie son caractère distinctif. De plus, je tiens à faire remarquer que des arguments semblables à ceux avancés par Sea Tow ont été soulevés devant la Cour dans la décision Sadhu Singh Hamdard Trust c Navsun Holdings Ltd, 2018 CF 42 [Sadhu Singh CF], dans laquelle je me suis prononcé en ces termes (aux para 30, 31) :
[30] Je ne souscris pas à la thèse de la fiducie selon laquelle Miranda CAF prescrit un critère pour décider à quel moment l’usage d’une marque par une partie a détruit le caractère distinctif de la marque d’une autre partie. En revanche, la déclaration par la Cour d’appel fédérale sur laquelle la fiducie s’appuie est une description d’une conclusion de fait du juge de première instance à l’égard de laquelle la Cour d’appel n’a relevé aucune erreur. L’analyse pertinente dans la décision en première instance figure aux paragraphes 38 à 42 de Miranda Aluminum Inc. c Miranda Windows & Doors Inc., 2009 CF 669 [Miranda CF], dans lesquels la juge Simpson a conclu que l’usage par la demanderesse du nom Miranda ne visait pas à présenter la demanderesse comme une entreprise distincte et a conclu que le caractère distinctif de la marque de la défenderesse n’était pas touché.
[31] Je ne vois aucun motif de conclure que Miranda CAF change quoi que ce soit au droit établi dans Bojangles, affaire dans laquelle le juge Noël a examiné la jurisprudence entourant la norme de preuve qui doit être satisfaite pour démontrer qu’une marque de commerce est suffisamment connue pour annuler le caractère distinctif d’une autre marque de commerce et a décrit cette norme de la façon citée par la Commission en l’espèce. Je ne relève aucune erreur de droit dans le fait que la Commission se fonde sur Bojangles.
[197] En appel, la CAF a confirmé, au paragraphe 12, que le critère du caractère distinctif était celui énoncé dans la décision Bojangles’ (voir Sadhu Singh Hamdard Trust c Navsun Holdings Ltd, 2019 CAF 10 [Sadhu Singh CAF], autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 38550 (le 11 juillet 2019), 2019 CanLII 62558 (CSC)).
[198] Sea Tow a soutenu que l’affaire Saghu Singh (CF et CAF) se distinguait de la présente affaire, car il s’agissait d'une procédure d’opposition et que, en revanche, l’arrêt Miranda CAF portait sur une procédure de radiation, comme en l’espèce. Sea Tow a souligné que le fardeau de preuve était différent dans les affaires de radiation. Comme l’a expliqué la CAF dans l’arrêt Remo Imports Ltd c Jaguar Cars Ltd, 2007 CAF 258, [2008] 2 RCF 132 [Remo], dans les affaires d’opposition, le fardeau de preuve incombe à la partie qui demande l’enregistrement d’une marque, alors que dans les affaires portant sur une radiation, il incombe à la partie qui demande la radiation d’une marque déposée.
[199] J’accepte l’explication fournie dans l’arrêt Remo concernant la partie sur qui repose le fardeau de preuve dans ces deux types d’instances, mais je juge que cette différence ne permet pas de conclure que le critère énoncé dans la décision Bojangles’ ne s’applique pas également aux deux types d’instances. Je tiens également à faire remarquer que la Cour a appliqué ce critère dans la décision Loblaws, dans le contexte d’une procédure de radiation (au para 30). (La décision Loblaws a été confirmée en appel (2021 CAF 29), mais la CAF n’a pas traité de ce point précis.)
[200] Partant, j’appliquerai à la présente affaire le critère énoncé dans la décision Bojangles’. Cela étant dit, j’accepte également l’observation formulée par Sea Tow, selon laquelle il est rare qu’une partie soit en mesure, à elle seule, de faire perdre à une marque son caractère distinctif (Suzanne's Inc c Auld Phillips Ltd, 2005 CAF 429 [Auld Phillips]). Une telle conclusion demeure toutefois possible, comme dans l’arrêt Auld Phillips (voir aux para 6, 7) et la décision Sadhu Singh CF.
[201] Guidé par ces principes, j’examinerai la preuve et les observations présentées par les parties et me concentrerai sur le passé récent de leurs activités respectives, jusqu’à la date pertinente du 21 avril 2022. Ce faisant, je tiens à souligner que le caractère distinctif ne peut être acquis que par l’emploi de la marque au Canada. Par conséquent, la Cour doit tenir compte uniquement du marché canadien (Sadhu Singh CF, aux para 40-44, conf par Sadhu Singh CAF, aux para 9, 10).
[202] J’accepte les observations des parties selon lesquelles leurs membres respectifs sont exposés à leurs marques respectives. À titre d’exemple, M. Cardiff explique que, jusque vers 2012, les membres demandaient ou renouvelaient leur adhésion en remplissant un formulaire papier sur lequel figuraient les marques C‑TOW. Depuis, les membres peuvent devenir membre ou renouveler leur adhésion en ligne, sur le site Web de C‑Tow. Des trousses d’adhésion sont expédiées à chaque nouveau membre, et elles contiennent une carte de membre, une lettre de confirmation et des autocollants, tous portant les marques C‑TOW. De façon similaire, le capitaine Frohnhoefer explique que Sea Tow envoie régulièrement des trousses d’adhésion et des lettres de renouvellement à ses membres canadiens, ainsi que des courriels et des bulletins d’information mensuels, sur lesquels figurent les marques SEA TOW.
[203] M. Cardiff explique aussi que C‑Tow fournit des services ponctuels à des non‑membres, auquel cas ceux‑ci reçoivent une facture portant les marques C‑TOW. Lorsque C‑Tow fournit une assistance nautique à ses membres ou à des non‑membres, les plaisanciers sont exposés aux marques C‑TOW, car les capitaines qui viennent à leur aide sont contractuellement tenus d’apposer les marques sur leurs bateaux. Les capitaines reçoivent également des vêtements portant les marques C‑TOW et ils les portent souvent dans l’exercice de leurs fonctions au service de C‑Tow.
[204] D’après la liste de membres jointe au premier affidavit de M. Cardiff, C‑Tow comptait, en 2022, plus de [PASSAGE CAVIARDÉ] membres dont l’adresse était située entre la C.‑B. et Terre‑Neuve. M. Cardiff explique que la base de données actuelle répertorie uniquement les adhésions depuis 2000, mais que certains membres ont maintenu leur adhésion depuis les années 1980 et 1990. Par comparaison, l’affidavit du capitaine Frohnhoefer indique qu’en décembre 2022, les dossiers de Sea Tow faisaient état de plus de [PASSAGE CAVIARDÉ] membres actifs ayant des adresses d’un bout à l’autre du Canada. La base de données de Sea Tow montre que l’entreprise comptait plus de [PASSAGE CAVIARDÉ] membres avant 2000, année durant laquelle la base de données a été réinitialisée en raison de l’installation d’un nouveau logiciel.
[205] Ainsi, il est évident que le nombre de membres de C‑Tow est considérablement plus élevé que le nombre de membres canadiens de Sea Tow.
[206] Quant aux revenus respectifs des parties, C‑Tow a affirmé que ses revenus étaient au-delà de 25 fois plus élevés qu'en 2007. Les états financiers joints au premier affidavit de M. Cardiff font état de revenus de l’ordre de [PASSAGE CAVIARDÉ] $ en 2007, de [PASSAGE CAVIARDÉ] $ en 2014, de [PASSAGE CAVIARDÉ] $ en 2021 et de [PASSAGE CAVIARDÉ] $ en 2022. Ces revenus proviennent principalement des ventes d’adhésions et de la prestation de services de remorquage, quoiqu’une part des revenus légèrement plus grande corresponde aux services. De son côté, Sea Tow a soutenu, sur la base de l’affidavit du capitaine Frohnhoefer, qu’en décembre 2022, les achats d’adhésion par des Canadiens généraient des revenus annuels de plus de 35 000 $ US. Elle n’a présenté aucun élément de preuve montrant que, dans son passé récent, la société avait tiré des revenus grâce à la prestation de services nautiques au Canada.
[207] Encore une fois, un écart considérable sépare les chiffres des parties.
[208] C‑Tow a également attiré l’attention de la Cour sur son matériel et ses activités publicitaires qui font voir les marques C‑TOW, notamment l’utilisation d’affiches, de dépliants et de cartes professionnelles; la participation à des salons nautiques lors desquels elle distribue des produits dérivés arborant les marques C‑TOW; la publication d’annonces dans des magazines et des cahiers publicitaires, à l’intention des plaisanciers canadiens et de la côte ouest; l’exploitation de son site Web depuis au moins l’an 2000 et d’une application qui fournit des renseignements météorologiques et autres données connexes; et une présence active sur les médias sociaux. M. Cardiff dresse la liste des dépenses publicitaires depuis 2007, qui ont été de l’ordre de [PASSAGE CAVIARDÉ] $ par année au cours des dernières années.
[209] La preuve présentée par Sea Tow indique également que la société participe à des salons nautiques, au Canada et aux États‑Unis, notamment dans les villes frontalières, et que des annonces et des reportages au Canada ont fait état de sa participation à de tels salons. Cependant, cette preuve semble avoir trait à des activités remontant aux années 1980 et 1990. Je constate que, parmi les autres éléments de preuve de Sea Tow mentionnés plus haut dans les présents motifs, se trouvent deux annonces un peu plus récentes, mais isolées, parues dans des publications canadiennes : a) une annonce de Sea Tow parue dans la publication de juin 2019 de l'Island Angler; et b) un exemplaire du Canadian Yachting d’avril 2015, dans lequel un article mentionne Sea Tow.
[210] Comme je l’ai aussi mentionné plus haut dans les présents motifs, Sea Tow a également fait valoir que son site Web était accessible à tous au Canada et qu’il s’y trouvait un article datant d’octobre 2015 intitulé [traduction] « Conseils pour les plaisanciers hivernants naviguant en eaux inconnues »
. Elle a ajouté qu’elle offrait l’application mobile Sea Tow, qui fournit notamment des renseignements météorologiques et des données de localisation pour le Canada.
[211] C‑Tow a contre‑interrogé le capitaine Frohnhoefer sur la preuve publicitaire. Il a confirmé que Sea Tow n’avait fourni aucune donnée sur le nombre de personnes situées au Canada qui avaient consulté son site Web au cours d’une période quelconque. Il n’avait pas non plus fourni de données sur le nombre de personnes situées au Canada qui avaient utilisé des services en lignes, comme des services à prix réduit. Il a également confirmé que Sea Tow n’avait fourni aucune donnée sur le nombre de personnes au Canada qui avaient téléchargé l’application Sea Tow. C‑Tow a attiré l’attention de la Cour sur l’explication donnée aux paragraphes 147 et 148 de l’arrêt Miller Thomson SENCRL, srl c Hilton Worldwide Holding LLP, 2020 CAF 134, [2021] 1 RCF 323, selon laquelle les données mesurables de sites Web, telles que le nombre de fois qu’un site Web affichant une marque a été consulté par des personnes au Canada, peuvent aider la partie étrangère qui cherche à s’appuyer sur l’emploi de sa marque sur son site Web.
[212] À mon avis, la preuve ne permet pas de conclure que les marques SEA TOW ont acquis un caractère distinctif important au Canada; qui plus est, je conclus que la présence nettement plus importante des marques C‑TOW sur le marché a fait perdre aux marques SEA TOW tout caractère distinctif. Je n’ai aucune difficulté à conclure que les marques C‑TOW sont devenues suffisamment connues au Canada pour faire perdre aux marques SEA TOW leur caractère distinctif.
[213] Je tiens à faire remarquer que, pour tirer cette conclusion, je n’ai pas jugé nécessaire d’examiner les interprétations divergentes, données par les parties, des circonstances dans lesquelles des membres de Sea Tow avaient demandé de l’aide à C‑Tow au Canada ni la question de savoir si ces faits témoignent d’une réelle confusion. Comme je l’ai expliqué plus haut, la question de savoir si les marques respectives des parties créent de la confusion n’est pas la question que doit trancher la Cour en l’espèce.
[214] Je tiens également à souligner que je me suis penché sur l’argument avancé par Sea Tow en lien avec le fait qu’en 2015 et en 2017, C‑Tow avait enregistré les noms de domaine seatowcanada.com et seatow.ca, respectivement, et qu’elle les avait redirigés vers le site Web de C‑Tow. Selon Sea Tow, ces démarches signifiaient que C‑Tow reconnaissait le caractère distinctif de la marque de commerce SEA TOW au Canada. Je ne suis pas particulièrement convaincu de la logique de son argument. En outre, quelle que soit cette logique, je suis d’avis qu’elle n’aurait pas une incidence importante sur l’analyse du caractère distinctif exposée plus haut.
[215] Enfin, j’ai examiné l’argument de Sea Tow selon lequel il n’est pas nécessaire au maintien d’un enregistrement que la marque visée possède un caractère distinctif exclusif à l’échelle nationale (voir les art 21, 32(2) de la Loi). Je retiens ce point à titre de question de principe. Dans la décision Alibi Roadhouse Inc c Grandma Lee’s International Holdings Ltd, T‑245‑96, le 10 octobre 1997 (CF 1re inst), [1997] ACF no 1329 (QL), la Cour a expliqué que, tant qu’une marque de commerce demeure distinctive dans un secteur géographique bien défini du marché pertinent, elle demeure distinctive. Cependant, comme dans la décision Sadhu Singh CF (voir le para 72), la Cour n’a reçu aucun élément de preuve qui lui permettrait de conclure que les marques SEA TOW possèdent un caractère distinctif dans un secteur géographique particulier du marché canadien.
[216] En conclusion, je juge que C‑Tow s’est acquittée de son fardeau de démontrer que les marques SEA TOW n’étaient pas distinctives des services offerts par Sea Tow à l’époque de l'introduction de la demande. C‑Tow a donc droit au jugement déclaratoire sollicité portant que les enregistrements sont invalides pour ce motif.
(5) Conclusion sur la demande
[217] Il ressort des analyses exposées plus haut que les enregistrements sont invalides aux termes des alinéas 18(1)b) et 18(1)d) de la Loi, et que C‑Tow a droit à une ordonnance radiant du registre les enregistrements, au titre de l’article 57 de la Loi. Je rendrai mon jugement en conséquence, essentiellement en la forme demandée par C‑Tow dans son avis de demande et son mémoire des faits et du droit déposés dans le cadre de la demande.
B. La requête (dossier T‑877‑22)
(1) Les questions que soulève la requête se prêtent‑elles à un jugement sommaire en faveur de Sea Tow ou de C‑Tow?
[218] Le paragraphe 213(1) des Règles dispose qu’une partie peut présenter une requête en jugement sommaire à l’égard de toutes ou d’une partie des questions que soulèvent les actes de procédure d’une action. De plus, le paragraphe 215(1) des Règles dispose que si, par suite d’une telle requête, la Cour est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence. Comme l’a expliqué la juge McTavish au paragraphe 25 de la décision Milano Pizza Ltd c 6034799 Canada Inc, 2018 CF 1112 [Milano Pizza], le jugement sommaire a pour objet de permettre à la Cour de statuer sommairement sur des actions qui ne devraient pas se rendre à procès, parce qu’elles ne soulèvent pas de véritable question litigieuse qui devrait donner lieu à un procès, épargnant ainsi les ressources judiciaires limitées et améliorant l’accès à la justice.
[219] Dans la présente affaire, les parties s’entendaient pour dire que les questions soulevées dans la requête se prêtaient à un jugement sommaire. En fait, C‑Tow était d’avis que la Cour devrait rendre un jugement sommaire, mais en sa faveur. Elle a fait observer l’explication donnée dans la décision Milano Pizza selon laquelle la Cour a le pouvoir de rendre un jugement sommaire en faveur de la partie qui répond à la requête en jugement sommaire, dans les cas où l’ordonnance sollicitée relève de la portée de la requête (aux para 110‑112). Je ne comprends pas pourquoi Sea Tow a contesté la position de C‑Tow selon laquelle la question que soulève la requête se prête à un jugement sommaire en faveur de la partie dont les arguments sauront convaincre la Cour.
[220] La requête soulève la question de savoir si les enregistrements sont incontestables, de telle sorte que même le tout premier emploi des marques C‑TOW par C‑Tow ne peut leur être opposé. Sea Tow demande donc à la Cour de déclarer irrecevable la défense et demande reconventionnelle dans laquelle C‑Tow soutient que les marques SEA TOW sont invalides aux termes de l’alinéa 18(1)d) de la Loi. De son côté, C‑Tow demande à la Cour de déclarer les enregistrements invalides sur le fondement de l’alinéa 18(1)d). Ainsi, les deux parties demandent à la Cour de trancher la même question, sur laquelle elle s’est prononcée plus haut dans le contexte de la demande.
[221] Il est de jurisprudence constante que le tribunal saisi d’une requête en jugement sommaire ne doit pas se prononcer sur les questions de crédibilité (Milano Pizza, au para 37). Cela étant dit, la conclusion que j’ai tirée, dans le contexte de la demande, sur les arguments des parties articulés autour de la question de l’invalidité au titre de l’alinéa 18(1)d) reposait sur le caractère suffisant de la preuve et l’interprétation de la Loi, sans qu’il soit nécessaire de traiter de questions importantes ayant trait à la crédibilité. Par conséquent, je ne vois aucun obstacle à rendre un jugement sommaire sur la question que soulève la requête. En fait, il serait singulier si, après que la Cour eut tranché la question que soulève la demande, cette même question devait être portée devant les tribunaux dans le contexte de l’action.
[222] Pour les mêmes motifs, je ne vois aucun obstacle à rendre un jugement sommaire en faveur de C‑Tow, même si elle n’a pas officiellement présenté de requête incidente.
(2) La date de premier emploi des marques C‑TOW par C‑Tow est-elle antérieure à la date d’adoption des marques SEA TOW par Sea Tow?
[223] Les conclusions que j’ai tirées sur cette question dans le contexte de la demande emportent les mêmes conclusions à l’égard de cette question soulevée dans le contexte de la requête. La date de premier emploi des marques C‑TOW par C‑Tow et ses prédécesseurs en titre est antérieure à la date d’adoption des marques SEA TOW par Sea Tow.
(3) Dans l’affirmative, Sea Tow était‑elle au courant de l’emploi antérieur des marques C‑TOW par C‑Tow lorsqu’elle a adopté les marques SEA TOW?
[224] Encore une fois, les conclusions que j’ai tirées sur cette question dans le contexte de la demande emportent les mêmes conclusions à l’égard de cette question soulevée dans le contexte de la requête. Sea Tow a adopté les marques SEA TOW, alors qu’elle était au courant de l’emploi antérieur des marques C‑TOW par C‑Tow et ses prédécesseurs en titre.
(4) Conclusion sur la requête
[225] Il s’ensuit que les enregistrements sont invalides aux termes de l’alinéa 18(1)d) de la Loi, et que les allégations en ce sens formulées par C‑Tow dans sa défense et demande reconventionnelle déposée dans l’action sont fondées. Par conséquent, le jugement que je rendrai accordera la réparation liée à cette question en la forme demandée par C‑Tow dans son mémoire des faits et du droit déposé dans le cadre de la requête.
[226] Comme je l’ai déjà mentionné dans les présents motifs, la requête visait également à faire radier des portions de la défense et demande reconventionnelle dans lesquelles C‑Tow invoquait l’absence de caractère distinctif comme motif d’invalidité. Sea Tow n’a toutefois présenté aucune observation à l’appui de cette demande. C‑Tow n’a, elle non plus, demandé aucune réparation en sa faveur sur cette question que soulève la requête, à savoir un jugement déclaratoire portant que les enregistrements sont invalides aux termes de l’alinéa 18(1)b) de la Loi, ou que les allégations en ce sens qu’elle a formulées dans sa défense et demande reconventionnelle déposée dans l’action sont fondées. Par conséquent, je ne traiterai pas de cette question que soulève la requête.
V. Les dépens
[227] Lors de la conférence de gestion des instances tenue dans les semaines qui ont précédé l’audience des présentes instances, il a été décidé que les parties feraient valoir leurs positions sur les dépens relatifs aux deux dossiers à la fin de l’audience et qu’elles devraient déposer des observations écrites et des documents à l’appui au plus tard la veille du premier jour d’audience. Dans leurs observations écrites respectives, les deux parties ont demandé à la Cour d’adjuger les dépens sous forme de somme globale correspondant à un pourcentage des dépens avocat‑client réels. À la fin de l’audience, les parties ont également fourni des documents visant à établir la somme de ces dépens réels. Comme les deux parties avaient déposé ces documents après la date prévue dans l’échéancier fixé lors de la conférence de gestion des instances et se trouvaient donc dans la même situation, la Cour a autorisé ces dépôts.
[228] L’un des arguments avancés par C‑Tow dans ses observations sur les dépens présentées de vive voix était celui selon lequel, advenant que la Cour accorde une réparation en sa faveur à l’issue de la requête, cela mettrait pour ainsi dire fin à l’action, de telle sorte que la Cour devrait lui adjuger les dépens relatifs à l’action dans son ensemble. Comme les parties n’avaient pas autrement discuté de la question de savoir si certains éléments de l’action subsisteraient après une telle décision, j’ai demandé à Sea Tow de me faire savoir quelle était sa position sur ce volet des observations sur les dépens présentées par C‑Tow. Les avocats de Sea Tow ont affirmé qu’il était difficile de répondre à cette question sans connaître les détails de la décision de la Cour sur le fond de la requête. Sea Tow a donc proposé que, dans l’éventualité où la Cour se prononcerait en faveur de C‑Tow (et lui accorderait réparation) dans le contexte de la requête, les parties aient l’occasion de présenter des observations écrites supplémentaires, mais limitées, sur l’effet de cette décision sur l’action et sur les dépens afférents à celle‑ci.
[229] Je souscris à cette proposition. Je préfère disposer de ces observations supplémentaires avant d’examiner l’observation présentée par C‑Tow selon laquelle la Cour devrait maintenant statuer sur les dépens afférents à l’action dans son ensemble. Le jugement que je rendrai permettra donc aux parties – d’abord à Sea Tow, en tant que demanderesse dans l’action, puis à C‑Tow – de présenter ces observations écrites supplémentaires. Comme je trancherai ce volet de la question des dépens ultérieurement, je différerai également ma décision sur les dépens afférents à la demande et à la requête. Donc, à la lumière des observations et documents dont je dispose déjà ainsi que des observations écrites supplémentaires que les parties présenteront conformément au jugement, je me prononcerai, dans une décision distincte, sur les dépens afférents aux deux instances.
[230] Je tiens également à faire remarquer que, si l’issue de la requête ne met pas techniquement fin à l’action, cette issue ainsi que celle de la demande peuvent toutefois guider les parties dans la négociation du règlement de l’action et, peut‑être, de la question globale des dépens. Dans le jugement que je rendrai, la première échéance fixée pour la présentation d’autres observations sur les dépens sera 30 jours après la date du jugement, afin de donner aux parties l’occasion de s’engager dans de telles négociations qui pourraient porter leurs fruits.
JUGEMENT dans le dossier T‑877‑22
LA COUR STATUE :
Relativement à la requête en jugement sommaire présentée par la demanderesse et défenderesse reconventionnelle, Sea Tow, la Cour donne gain de cause à la défenderesse et demanderesse reconventionnelle, C‑Tow, et déclare ce qui suit :
s’agissant des enregistrements canadiens portant les nos LMC870561 et LMC870562 pour les marques de commerce de Sea Tow, la défenderesse C‑Tow a antérieurement employé les marques C‑Tow dont la similitude est susceptible de créer de la confusion, aux termes du paragraphe 17(1) de la Loi et de l’article 16 de la Loi dans sa version en vigueur le 9 septembre 2010;
la demanderesse Sea Tow était au courant de l’emploi antérieur par la défenderesse C‑Tow des marques C‑Tow dont la similitude était susceptible de créer de la confusion, aux termes du paragraphe 17(2) de la Loi, et, partant, les marques SEA TOW ne sont pas incontestables;
par conséquent, la défense et demande reconventionnelle de C‑Tow, selon laquelle les enregistrements canadiens portant les nos LMC870561 et LMC870562 sont invalides, en raison de l’emploi antérieur des marques C‑TOW par C‑Tow, est valide;
La Cour tranchera la question des dépens afférents à la requête et celle de savoir si elle devrait, à ce stade‑ci, adjuger les dépens afférents à l’action lorsqu’elle aura reçu les observations des parties, conformément à l’échéancier et aux exigences qui suivent :
dans les 30 jours suivant la date du présent jugement, la demanderesse devra signifier et déposer des observations écrites, d’au plus trois pages, traitant des points suivants: a) les effets sur l’action de la décision de la Cour relative à la requête, et la question de savoir si, par conséquent, la Cour devrait, à ce stade‑ci, adjuger les dépens afférents à l’action; b) sa position à l’égard de la façon dont les dépens devraient être adjugés [collectivement, les points relatifs aux dépens afférents à l’action];
dans les 10 jours suivant la signification des observations de la demanderesse sur les points relatifs aux dépens afférents à l’action, la défenderesse devra signifier et déposer des observations écrites, d’au plus trois pages, traitant des points relatifs aux dépens afférents à l’action.
JUGEMENT dans le dossier T‑901‑22
LA COUR STATUE :
La demande de la demanderesse C‑Tow est accueillie en partie;
La Cour déclare que les enregistrements canadiens nos LMC870561 et LMC870562 sont invalides aux termes des alinéas 18(1)b) et 18(1)d) de la Loi;
La Cour rejette les allégations d’invalidité formulées par la demanderesse sur le fondement de l’alinéa 18(1)e) de la Loi;
La Cour ordonne au registraire de radier du registre les enregistrements canadiens nos LMC870561 et LMC870562;
La Cour tranchera la question des dépens afférents à la demande lorsqu’elle aura reçu les observations écrites additionnelles des parties, conformément au jugement dans le dossier T‑877‑22, rendu à la même date que le présent jugement.;
« Richard F. Southcott »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
T‑877‑22 |
INTITULÉ :
|
SEA TOW SERVICES INTERNATIONAL, INC c C‑TOW MARINE ASSISTANCE LTD |
DOSSIER :
|
T‑901‑22 |
INTITULÉ :
|
C‑TOW MARINE ASSISTANCE LTD c SEA TOW SERVICES INTERNATIONAL, INC |
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
TORONTO (ONTARIO) |
DATES DE L’AUDIENCE :
|
LES 9 ET 10 JUILLET 2024 |
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE SOUTHCOTT
|
DATE DU JUGEMENT |
le 6 janvier 2025
|
COMPARUTIONS :
Evan Nuttall
Kwan T. Loh
Emily Miller
|
POUR LA DEMANDERESSE/DÉFENDERESSE/DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE (C‑Tow Marine Assistance Ltd.)
|
R. Scott MacKendrick
Tamara Winegust
Christie Bates
|
POUR LA DÉFENDERESSE/DEMANDERESSE/DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE (Sea Tow Services International, Inc.) |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Smart & Biggar Vancouver (Colombie‑Britannique) |
POUR LA DEMANDERESSE/DÉFENDERESSE/DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE (C‑Tow Marine Assistance Ltd.)
|
Bereskin & Parr S.E.N.C.R.L., s.r.l. |
POUR LA DÉFENDERESSE/DEMANDERESSE/DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE (Sea Tow Services International, Inc.) |