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Date : 20250107


Dossier : IMM-1526-24

Référence : 2025 CF 39

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 7 janvier 2025

En présence de monsieur le juge A. Grant

ENTRE :

JOSUE LIMMONG AHUDAY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. APERÇU

[1] La Cour est saisie de la présente demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section de l’immigration [la SI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Dans cette décision, la SI a conclu que le demandeur était interdit de territoire au Canada au titre de l’alinéa 35(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [la LIPR] au motif qu’il existait des motifs raisonnables de croire qu’il était complice de crimes perpétrés par les autorités philippines.

[2] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la présente demande doit être rejetée. La SI n’a pas commis d’erreur fatale lorsqu’elle a conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur avait volontairement contribué, de manière importante et en toute connaissance de cause, aux crimes commis par la police philippine dans le contexte de la « guerre contre la drogue » menée par le président Rodrigo Duterte. Elle a établi un lien direct entre les fonctions du demandeur en tant que policier et les crimes contre l’humanité commis par les autorités philippines; bref, ses conclusions étaient dûment justifiées au regard des faits et des principes juridiques applicables. La décision ne renferme aucune erreur justifiant une intervention de la Cour.

II. CONTEXTE

A. Les faits

[3] Le demandeur, Josue Limmong Ahuday, est citoyen des Philippines. Il a travaillé comme policier au sein de la Police nationale des Philippines [la PNP] et a été affecté au poste de Jose Abad Santos, à Tondo, dans le district de Manille, de janvier 2012 à juin 2021. Après avoir obtenu son diplôme d’études collégiales, il s’est joint à la PNP, car il s’agissait d’un choix de carrière respectable. De janvier 2012 à décembre 2016, il a été affecté à l’unité de patrouille mobile et était chargé de surveiller les routes et les véhicules dans la zone qui lui était assignée, d’apporter son aide en cas d’accident de la route, ainsi que d’effectuer des contrôles à la recherche d’objets interdits et de personnes suspectes.

[4] Rodrigo Duterte a été président des Philippines de juin 2016 à juin 2022. Pendant son mandat, il a mis sur pied une guerre contre la drogue, que la PNP a menée par l’intermédiaire d’une stratégie connue sous le nom [traduction] « opération double canon ». Dans les faits, cette opération était une [traduction] « campagne nationale d’assassinats » bien documentée et mise en place par l’État, dans le cadre de laquelle les policiers étaient encouragés à faire feu sur des personnes ayant un lien quelconque avec la drogue et de les tuer dans une tentative de lutter contre la criminalité. Les trafiquants et les consommateurs de drogue ont été la cible d’exécutions arbitraires et illégales de la part de la PNP dans le cadre de cette campagne pilotée par le gouvernement. Selon de nombreux rapports, cette campagne d’exécutions extrajudiciaires, qui visait essentiellement des quartiers pauvres de Manille et d’autres zones urbaines, avait déjà fait 7 000 victimes à la fin du mois de janvier 2017.

[5] L’opération Tokhang, qui faisait partie intégrante de l’opération double canon, avait pour objectif de dresser des « listes de surveillance » de consommateurs et de trafiquants de drogue connus en prévision de visites dans le cadre desquelles la police et les autorités locales les sommaient de « se rendre ». Dans le cas où un suspect refusait de se rendre, la police tentait de [traduction] « vérifier » s’il consommait de la drogue en interrogeant ses amis et ses voisins. Ces visites servaient souvent à confirmer l’identité et l’emplacement d’une personne qui avait été ciblée en raison de sa consommation présumée de drogue, et se soldaient fréquemment par la mort violente de cette dernière.

[6] Des « coups de filet » étaient fréquemment effectués dans le cadre de l’opération Tokhang. Après qu’une unité de lutte contre la drogue eut procédé à des « vérifications » concernant une personne soupçonnée d’être liée à la drogue, et l’eut inscrit à une liste de surveillance, une équipe antidrogue, qui était souvent formée d’agents d’infiltration, organisait un faux « coup de filet » dans le cadre duquel elle effectuait une descente chez le suspect. Trop souvent, ces descentes se soldaient par l’assassinat extrajudiciaire de la personne ciblée.

[7] En décembre 2016, le demandeur a été affecté à une unité de lutte contre la drogue au sein de son poste de police. Il a travaillé dans cette unité jusqu’en février 2017, soit pendant environ trois mois. Les témoignages de M. Ahuday et de ses témoins indiquent que ses tâches constituaient notamment à se rendre chez les gens pour tenter de convaincre les présumés consommateurs de drogue de [traduction] « se rendre » et de les aiguiller, à des fins de « vérifications », vers d’autres unités de lutte contre la drogue, vers l’équipe du « renseignement », ou en vue d’un autre suivi. Son équipe au sein de l’unité de lutte contre la drogue effectuait des « activités de sensibilisation dans la collectivité » et visitait des maisons à la recherche de personnes soupçonnées d’être liées à la drogue. En parallèle, elle travaillait avec une deuxième équipe de lutte contre la drogue, qui procédait à des actions plus concrètes d’application de la loi, y compris des coups de filet et des descentes.

[8] M. Ahuday a demandé à quitter l’unité au motif que ce poste était dangereux, qu’il allait se marier et, selon ses propres dires, qu’il voulait rester en vie. Quelques années après avoir quitté l’unité, il a reçu une médaille pour « la mise en œuvre de la campagne de lutte contre les drogues illicites ». Il n’a jamais affirmé qu’il avait cherché à quitter l’unité de lutte contre la drogue parce qu’il entretenait des réserves quant à la nature de la guerre contre la drogue menée par le président Duterte.

[9] Après avoir quitté l’unité de lutte contre la drogue, le demandeur a continué à travailler au sein du même poste de la PNP, et il a obtenu une promotion en mai 2019. Il a démissionné en juin 2021 dans le seul but d’immigrer au Canada.

[10] Il a déménagé au Canada en juin 2021 muni d’un permis de travail ouvert pour conjoint, et son nom figurait dans la demande de résidence permanente de sa femme à titre d’époux à charge.

[11] En mai 2023, le demandeur a reçu une lettre dans laquelle l’Agence des services frontaliers du Canada l’informait qu’il avait été déclaré interdit de territoire au Canada pour atteinte aux droits humains ou internationaux au titre de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR. Le ministre n’a pas allégué que M. Ahuday avait directement commis des crimes contre l’humanité. L’allégation à son endroit indiquait plutôt que, à titre de policier durant la campagne de lutte contre la drogue aux Philippines, il avait été complice d’actes commis dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique lancée contre une population civile, aux termes des articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre [la LCCHCG]. Compte tenu de ces allégations, le dossier de M. Ahuday a été déféré à la SI aux fins d’enquête.

B. La décision faisant l’objet du contrôle

[12] La SI a conclu que le demandeur était interdit de territoire au Canada au titre de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR. Elle s’est fondée sur la preuve documentaire présentée par le ministre pour conclure qu’il existait des motifs raisonnables de croire que la PNP, en tant qu’instrument principal de la guerre contre la drogue du président Duterte, avait commis des crimes contre l’humanité. Elle s’est ensuite penchée sur les activités du demandeur au sein de la PNP et, plus particulièrement, de l’unité de lutte contre la drogue.

[13] Après avoir évalué ces activités au regard du critère de complicité énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40 [Ezokola], la SI a conclu que M. Ahuday était complice des crimes associés à la guerre contre la drogue menée par M. Duterte. Elle a jugé que le demandeur avait volontairement contribué, de manière importante et en toute connaissance de cause, aux crimes contre l’humanité commis par la PNP, notamment à titre de membre de son unité de lutte contre la drogue. À cet égard, la SI a tiré les conclusions factuelles suivantes.

[14] La SI a conclu ce qui suit en ce qui concerne le caractère volontaire de la contribution du demandeur :

  • Rien ne prouvait que le travail du demandeur comme policier était involontaire; il s’est joint aux forces policières de façon volontaire et n’a pas allégué qu’il avait été affecté à l’unité de lutte contre la drogue contre son gré ou sous l’effet d’une quelconque contrainte, ou même que cette affectation était obligatoire.

  • Le demandeur a continué de travailler comme policier à la suite de l’élection du président Duterte en juin 2016 et après que celui-ci a déclaré publiquement qu’il souhaitait éliminer les personnes soupçonnées de participer à des activités liées à la drogue.

  • Le témoignage du demandeur concernant la question de savoir pourquoi il a quitté l’unité de lutte contre la drogue était incohérent. Il a d’abord déclaré qu’il avait réintégré son ancienne unité parce que son poste de police procédait à un [traduction] « remaniement », mais a par la suite affirmé, dans son témoignage, qu’il avait demandé à quitter l’unité de lutte contre la drogue parce qu’il se mariait, était préoccupé par les dangers associés à cette affectation, et voulait « rester en vie ». Sa requête en vue d’être transféré de l’unité a été accueillie, ce qui montre qu’il n’était pas obligé ou contraint d’y rester.

  • Le demandeur a continué de travailler comme policier au sein de la PNP après son passage dans l’unité de lutte contre la drogue, et il a même participé, avec succès, à un concours en vue d’obtenir une promotion;

  • Le demandeur a quitté la police en 2021 pour la seule raison qu’il avait l’intention d’immigrer au Canada; rien ne prouvait qu’il n’aurait pas pu démissionner de la PNP à n’importe quel moment avant cette date. De plus, lorsqu’il a remis sa démission, il a informé son supérieur qu’il retournerait dans la police s’il en avait la possibilité.

[15] La SI a conclu ce qui suit au sujet des connaissances du demandeur relatives aux crimes contre l’humanité commis par la PNP et par l’unité de lutte contre les drogues :

  • Dans son témoignage, le demandeur a indiqué qu’il savait que la police, notamment l’unité de lutte contre la drogue, se livrait à des activités dangereuses, y compris qu’elle devait [traduction] « neutraliser ces toxicomanes » qui étaient armés, et qu’il avait entendu parler de choses qui se passaient dans d’autres postes de police, mais en aucun cas dans le sien. La SI a conclu que le demandeur était au moins au courant des abus et des meurtres commis par les unités de lutte contre la drogue de la PNP, bien qu’il ait affirmé que de tels actes ne s’étaient pas produits au poste où il travaillait;

  • L’affirmation du demandeur selon laquelle le poste de la PNP où il travaillait n’avait aucun lien avec des événements de ce genre contredisait la preuve et n’était pas crédible. La preuve objective comprenait de nombreux récits concernant des coups de filet menés depuis le poste de la PNP de Manille, où travaillait le demandeur, lesquels s’étaient soldés par l’assassinat de consommateurs de drogues, y compris des opérations dirigées par M. Manny Israel, le superviseur direct du demandeur. Plusieurs autres rapports mentionnaient les nombreuses morts suspectes survenues à Tondo, le district où était situé le poste du demandeur. Le président lui-même a « fait état des meurtres liés à la drogue sanctionnés à Tondo ».

  • Dans son témoignage, un collègue du demandeur a affirmé que ce dernier avait été personnellement témoin de descentes dans le cadre desquelles la police avait défoncé des portes, ce qui était cohérent avec la preuve objective concernant les coups de filet. La SI a fait remarquer que, compte tenu de la preuve, il était très peu probable que le demandeur n’ait pas été au courant de décès liés à la drogue découlant d’activités menées à partir du poste où il travaillait. Ses déclarations contraires n’étaient pas crédibles. La SI a conclu que, compte tenu du caractère public de ces événements survenus au poste de police où le demandeur travaillait, il existait des motifs raisonnables de croire que celui-ci était pleinement au courant de la violence et des décès liés à la drogue engendrés par les actions menées par l’unité de lutte contre la drogue.

[16] Enfin, la SI a conclu ce qui suit au sujet de l’importance de la contribution de M. Ahuday :

  • Le demandeur a déclaré avoir participé à l’opération Tokhang, qu’il a décrite comme un programme pacifique d’activités de service communautaire visant à inciter les présumés consommateurs de drogue à se rendre aux autorités à des fins d’éducation et de traitement. Dans son témoignage, il a affirmé qu’il n’avait jamais rencontré quelqu’un qui ne s’était pas conformé aux demandes de la police, et qu’il n’avait jamais été témoin d’un recours à la force de la part de ses collègues, qui employaient plutôt une stratégie de [traduction] « tolérance maximale ».

  • La SI a conclu que le témoignage du demandeur à cet égard manquait de crédibilité, puisqu’il ne concordait pas avec l’information consignée dans sa demande de résidence permanente selon laquelle [traduction] « les interventions à la suite d’appels concernant des cas de violence liée à la drogue » faisaient partie de sa description de tâches lorsqu’il travaillait pour l’unité de lutte contre la drogue, ainsi que son témoignage devant la SI selon lequel il avait demandé à quitter l’unité parce que cette affectation était dangereuse;

  • La preuve objective indique que l’opération Tokhang, qui était liée à l’application de la loi, comportait ou entraînait régulièrement des rencontres violentes, y compris des exécutions extrajudiciaires perpétrées dans le contexte de faux « coups de filet » organisés par la police;

  • Le témoignage du demandeur selon lequel il prenait en note les noms des présumés consommateurs de drogue qu’il rencontrait pour ensuite les transmettre au service du renseignement comme forme de validation était conforme aux descriptions des tactiques policières énoncées dans la preuve objective sur la situation dans le pays. Selon cette preuve, la police rencontrait des personnes soupçonnées de consommer de la drogue, afin de confirmer leur identité et leurs coordonnés pour ensuite les sommer de se rendre; ces individus étaient par la suite retrouvés morts, tués par balle dans le cadre de descentes effectuées par des hommes armés ou par la police;

  • Le témoignage du demandeur a permis de confirmer, à tout le moins, que son équipe au sein de l’unité de lutte contre la drogue travaillait en parallèle avec une équipe du renseignement qui effectuait des coups de filet dont la preuve objective a permis de confirmer qu’ils ont joué un rôle déterminant au moment de localiser et de cibler des individus qui ont par la suite été assassinés dans des circonstances suspectes. La SI a conclu que l’unité du demandeur avait offert des renseignements et, par extension, un soutien opérationnel aux équipes chargées d’appliquer la loi et dans le contexte des coups de filet à venir. Elle a jugé qu’il s’agissait d’une participation pleine et directe aux activités de l’unité.

  • Le fait que le demandeur a reçu une médaille de mention élogieuse pour la « mise en œuvre de la campagne de lutte contre les drogues illicites » étayait la conclusion selon laquelle sa contribution au sein de l’unité était importante et pas simplement accessoire;

  • Rien ne prouvait que les connaissances du demandeur ou l’importance de sa participation étaient amoindries parce que son affectation au sein de l’unité de lutte contre la drogue avait été brève. Il a clairement participé à des activités qui supposaient, à tout le moins, un rôle de soutien important auprès d’autres équipes chargées de lutter contre la drogue. De plus, il a continué de travailler pour la PNP jusqu’en 2021, et l’unique raison pour laquelle il a démissionné à ce moment-là était qu’il avait l’intention d’immigrer au Canada.

[17] La SI a résumé ses conclusions de la façon suivante :

À la lumière des dépositions des témoins et des éléments de preuve objectifs, j’estime qu’il y a des motifs raisonnables de croire que M. Ahuday a participé de façon significative et consciente à l’opération Tokhang en tant que policier au sein d’une équipe de l’unité de lutte contre la drogue de la PNP. Il avait une connaissance approfondie de la campagne antidrogue, des opérations policières de l’unité de lutte contre la drogue (bien qu’il n’ait reconnu aucun acte répréhensible) et des fonctions particulières de son équipe. M. Ahuday a participé pleinement et directement aux fonctions de l’unité de lutte contre la drogue de la PNP et de l’équipe dont il faisait partie, et son superviseur, qui a témoigné, l’a décrit comme un participant dans le cadre de ces responsabilités. Dans un tel contexte, M. Ahuday a témoigné au sujet des visites effectuées aux domiciles de résidents, en compagnie des représentants du barangay ou non, pour tenter de convaincre les présumés consommateurs de drogue de « se rendre » et les aiguiller, à des fins de « vérification », vers l’autre unité de lutte contre la drogue ou l’équipe du « renseignement » ou en vue d’un autre suivi. Comme le montrent les éléments de preuve objectifs, ces activités ont directement contribué à des meurtres ciblés de consommateurs et de trafiquants de drogue par la PNP, à la demande du président Duterte. J’estime que la durée et l’ampleur des contributions de M. Ahuday, même de la façon dont il les a décrites, ont contribué directement à la campagne antidrogue, quoique pendant une période limitée.

III. CADRE JURIDIQUE

[18] L’alinéa 35(1)a) de la LIPR énonce ce qui suit :

35 (1) Emportent interdiction de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux les faits suivants :

a) commettre, hors du Canada, une des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre;

[19] Le paragraphe 6(1) de la LCCHCG est ainsi libellé :

6 (1) Quiconque commet à l’étranger une des infractions ci-après, avant ou après l’entrée en vigueur du présent article, est coupable d’un acte criminel et peut être poursuivi pour cette infraction aux termes de l’article 8 :

a) génocide;

b) crime contre l’humanité;

c) crime de guerre.

[20] Par ailleurs, le paragraphe 6(3) de la LCCHCG définit l’expression « crime contre l’humanité » de la façon suivante :

crime contre l’humanité Meurtre, extermination, réduction en esclavage, déportation, emprisonnement, torture, violence sexuelle, persécution ou autre fait — acte ou omission — inhumain, d’une part, commis contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes et, d’autre part, qui constitue, au moment et au lieu de la perpétration, un crime contre l’humanité selon le droit international coutumier ou le droit international conventionnel ou en raison de son caractère criminel d’après les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations, qu’il constitue ou non une transgression du droit en vigueur à ce moment et dans ce lieu.

[21] Dans l’arrêt Ezokola, la Cour suprême du Canada a énoncé une notion de complicité axée sur la contribution, qui permet de déterminer si un individu a été complice de crimes contre l’humanité. Le critère a été formulé dans le contexte de l’exclusion prévue à l’alinéa a) de la section F de l’article premier de la Convention relative aux réfugiés, mais s’applique aussi aux conclusions d’interdiction de territoire rendues au titre de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR. Selon le cadre établi dans l’arrêt Ezokola, un individu sera uniquement jugé inadmissible à la protection des réfugiés lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’il a volontairement apporté une contribution consciente et significative aux crimes ou au dessein criminel d’une organisation. Dans l’arrêt Ezokola, la Cour suprême a énoncé six considérations non exhaustives dans le but d’aider les décideurs chargés d’établir la présence de ces facteurs axés sur la contribution :

  • a)la taille et la nature de l’organisation;

  • b)la section de l’organisation à laquelle le demandeur d’asile était le plus directement associé;

  • c)les fonctions et les activités du demandeur d’asile au sein de l’organisation;

  • d)le poste ou le grade du demandeur d’asile au sein de l’organisation;

  • e)la durée de l’appartenance du demandeur d’asile à l’organisation (surtout après qu’il a pris connaissance de ses crimes ou de son dessein criminel);

  • f)le mode de recrutement du demandeur d’asile et la possibilité qu’il a eue ou non de quitter l’organisation.

[22] L’arrêt Ezokola indique clairement qu’un acquiescement passif ou une simple association avec une organisation ayant commis des crimes internationaux ne permet pas d’étayer une conclusion de complicité. Il doit plutôt exister un lien entre l’individu et les crimes ou le dessein criminel du groupe : Ezokola, aux para 8, 77. Cependant, un individu peut être complice d’un crime auquel il n’a ni assisté, ni contribué matériellement : Ezokola, au para 77.

[23] Il convient aussi de mentionner que ce lien n’exige pas que la contribution [traduction] « vise la perpétration de crimes identifiables précis »; elle peut également viser un « dessein commun plus large » : Ezokola, au para 87, faisant référence à R. (J.S. (Sri Lanka)) c Secretary of State for the Home Department, [2010] UKSC 15, [2011] 1 AC 184 au para 38. Toutefois, dans le cas où l’organisation est multiforme (et qu’elle exerce des activités légitimes et des activités criminelles) le lien entre la contribution de l’individu et le dessein criminel peut être plus ténu : Ezokola, au para 94; Bedi c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1550 au para 26; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2021 CF 993 aux para 30-32.

[24] En ce qui concerne l’importance de la contribution d’un individu, la Cour suprême a servi la mise en garde suivante au paragraphe 88 de l’arrêt Ezokola :

Étant donné que toute forme ou presque de contribution apportée à un groupe peut être considérée comme favorisant la réalisation de son dessein criminel, le degré de contribution doit être soupesé avec soin. L’exigence voulant que la contribution soit significative se révèle cruciale afin d’éviter un élargissement déraisonnable de la notion de participation criminelle en droit pénal international.

[25] L’existence d’abus systématiques, généralisés et communs de la part d’un groupe permet d’établir un lien accru entre la complicité individuelle et les crimes ou le dessein criminel, en comparaison avec une situation où les abus sont discrets, peu fréquents et commis par quelques personnes : Talpur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 822 [Talpur] au para 39.

[26] Il existe une distinction entre les normes de preuve utilisées dans l’évaluation d’une exclusion au titre de l’article premier de la section F de la Convention relative aux réfugiés ainsi que d’une interdiction de territoire au titre de l’article 35 de la LIPR. Dans l’arrêt Ezokola, la Cour suprême a appliqué la norme des « raisons sérieuses de penser », qui est incorporée dans le libellé de l’article premier de la section F de la Convention relative aux réfugiés. Par ailleurs, la norme associée aux cas d’interdiction de territoire est communément appelée norme des « motifs raisonnables de croire », et est codifiée à l’article 33 de la LIPR :

Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

[Non souligné dans l’original.]

[27] Il existe peut-être une certaine incertitude quant aux différences entre ces deux normes sur le plan pratique, mais je conclus que cette question n’est pas déterminante en l’espèce : Khachatryan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 167 au para 24.

IV. QUESTIONS EN LITIGE

[28] La seule question à trancher dans la présente affaire est celle de savoir si la SI a raisonnablement conclu que M. Ahuday était interdit de territoire au Canada au titre de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR pour cause de complicité dans la perpétration de crimes contre l’humanité découlant de son emploi au sein de la PNP et de sa participation aux activités de lutte contre la drogue de cette dernière.

[29] Je fais remarquer que, lorsqu’il soulève cette question, le demandeur ne conteste pas le fait que des membres de la PNP ont bel et bien commis des crimes contre l’humanité au cours du mandat du président Duterte.

V. NORME DE CONTRÔLE

[30] Les parties conviennent que la présente affaire est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 10, 16, 23, 25.

[31] Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision « doit tenir compte du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous-jacent à celle-ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée » (Vavilov, au para 15). Il s’agit d’une norme empreinte de déférence, mais néanmoins rigoureuse, qui n’est pas une « simple formalité » ni un moyen visant à soustraire les décideurs administratifs à leur obligation de rendre des comptes (Vavilov, au para 13).

[32] Il convient aussi de mentionner que les cas d’interdiction de territoire sont susceptibles de mettre en cause des droits importants. Les allégations associées à des cas comme la présente affaire sont invariablement graves, tout comme les conséquences d’une décision fondée sur ces allégations. En l’espèce, par exemple, la possibilité que le demandeur demeure au Canada, où il vit maintenant depuis longtemps, dépendra probablement de l’issue de la procédure relative à l’interdiction de territoire. Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a mentionné que les motifs présentés à l’appui d’une décision — la justification de cette décision — doivent refléter les enjeux. En l’espèce, ceux-ci se situent à un niveau modérément élevé : Vavilov, au para 133.

VI. ANALYSE

[33] Comme je le mentionne plus haut, le demandeur ne conteste pas les conclusions de la SI selon lesquelles des membres de la PNP ont commis des crimes contre l’humanité dans le contexte de la guerre contre la drogue menée par M. Duterte. Étant donné que ce volet de la décision de la SI n’est pas contesté, je me concentre sur l’analyse effectuée par cette dernière concernant la complicité du demandeur dans ces crimes.

[34] Les affirmations générales qui suivent résument bien les arguments du demandeur :

i. La preuve dont disposait la SI ne permettait pas d’établir l’existence de motifs raisonnable de croire que le demandeur était complice de crimes contre l’humanité;

ii. Le demandeur ne s’est pas livré à des actes de torture ou à d’autre abus, n’était pas au courant de tels actes et n’a pas fait preuve d’aveuglement volontaire à cet égard. Par conséquent, il n’a pas volontairement contribué, de manière importante et en toute connaissance de cause, au dessein criminel d’une quelconque instance de la PNP.

[35] Pour les motifs exposés ci-après, et malgré tout le respect que je dois au demandeur, je ne souscris pas à ces observations. Je conclus également que la SI n’a pas commis d’erreur en concluant qu’il existait des motifs raisonnables de croire que M. Ahuday avait volontairement contribué, de manière importante et en toute connaissance de cause, aux crimes commis par la police philippine dans le contexte de la guerre contre la drogue menée par M. Duterte et, par conséquent, qu’il était complice de ces crimes. Il est possible de suivre le raisonnement de la SI sans buter sur une erreur déterminante qui justifierait l’intervention de la Cour.

[36] M. Ahuday fait valoir que la PNP est une force policière importante et que tous ses membres n’ont pas été complices des crimes commis par le régime de M. Duterte. Il fait aussi remarquer que, pendant la majeure partie de sa carrière, il a exercé des activités de faible niveau comme appliquer des règlements de la circulation. Il soutient que, compte tenu de son rôle précis au sein des forces policières, la SI a commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’il était complice des crimes de la PNP. Il allègue aussi que la SI a, dans une certaine mesure, commis une erreur en faisant un amalgame entre la PNP dans son ensemble et l’unité de lutte contre la drogue, qui était plus directement responsable de mener la guerre contre la drogue.

[37] À l’appui de cet argument, le demandeur se fonde sur la décision Talpur, rendue par la Cour, qui mettait également en cause un policier ainsi que des allégations de complicité dans des crimes commis par une force policière. En particulier, il fait valoir que les conclusions tirées par la Cour dans cette affaire établissent effectivement un seuil relatif à la complicité dans un tel contexte, et que les activités entreprises par M. Ahuday dans la présente affaire se situaient en deçà de ce seuil. En toute déférence, je ne suis pas d’accord.

[38] Dans l’affaire Talpur, un agent des visas a conclu que le demandeur, qui avait travaillé comme policier dans la région du Sindh, au Pakistan, était complice de crimes contre l’humanité, puisqu’il avait joué un rôle opérationnel et direct dans les activités de la police même s’il avait affirmé n’avoir jamais été présent sur les lieux des crimes. Il avait notamment participé à des arrestations, des interrogatoires et des enquêtes dans une région où les incidents de torture commis par la police étaient bien connus, généralisés et communs : Talpur, aux para 38-39. Mon collègue le juge Manson a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur. Il a ainsi rejeté l’argument du demandeur selon lequel l’agent avait effectivement conclu que tous les policiers du Sindh étaient complices d’abus. L’agent s’était plutôt concentré sur les activités opérationnelles et directes effectuées par le demandeur, et avait raisonnablement conclu qu’il était complice des crimes en question.

[39] Après avoir examiné le raisonnement de mon collègue le juge Manson dans la décision Talpur, je conviens que cette affaire est pertinente quant à l’espèce, mais je ne suis pas d’accord pour dire qu’elle appuie l’argumentaire du demandeur compte tenu de ses ressemblances factuelles avec la présente affaire. En l’espèce, comme dans l’affaire Talpur, le décideur n’a pas simplement fondé son analyse de la complicité sur l’emploi du demandeur au sein d’une force policière. La SI a reconnu que l’appartenance passive à une organisation ne saurait fonder une conclusion de complicité, et elle s’est plutôt concentrée sur le rôle précis du demandeur au sein de l’unité de lutte contre la drogue ainsi que sa contribution à cette dernière. Dans le même ordre d’idées, je rejette aussi l’observation du demandeur selon laquelle la SI a confondu les différents rôles de la PNP et de l’unité de lutte contre la drogue. Au contraire, l’essentiel de son analyse portait sur la période (certes brève) au cours de laquelle le demandeur a travaillé au sein de l’unité.

[40] En particulier, la SI s’est presque exclusivement concentrée sur le rôle du demandeur dans les actions liées à l’opération Tokhang, et elle a exposé les liens opérationnels et directs entre cette activité et les crimes contre l’humanité perpétrés par la police en faisant abondamment référence à la preuve documentaire.

[41] En effet, les liens intrinsèques entre la participation du demandeur à l’opération Tokhang et les crimes commis par la force policière sont envisagés dans la structure même de l’opération double canon du président Duterte. Comme la SI l’a fait remarquer, le premier « canon » de cette opération concernait les activités liées à l’opération Tokhang (désigner les présumés consommateurs et trafiquants de drogue, mener des enquêtes à leur sujet, procéder à des vérifications et les sommer de se rendre), alors que le second « canon » consistait en des violations systémiques et généralisées des droits de la personne, y compris l’exécution extrajudiciaire des individus ciblés dans le cadre de l’opération Tokhang.

[42] Je conclus également que, pour arriver à cette conclusion, la SI a, de façon raisonnable, mis en doute les descriptions « relativement anodines » de l’opération Tokhang fournies par le demandeur. Elle a fait remarquer que ces descriptions étaient « très différentes » des éléments de preuve objectifs et précis présentés par le ministre. Cette preuve établissait non seulement qu’il existait un lien direct entre l’opération Tokhang, l’application de la loi et la violence, mais aussi que de telles activités s’étaient produites au poste de police où le demandeur avait travaillé pendant toute sa carrière,

[43] Par exemple, la SI a mentionné un article faisant état de plusieurs décès associés à de présumés « coups de filet » auxquels des policiers qui étaient employés au même poste que le demandeur avaient participé. Un autre rapport, qui attestait l’assassinat de six personnes survenu avant que le demandeur ne soit affecté à l’unité de lutte contre la drogue, nommait directement le superviseur du demandeur. Compte tenu de ces renseignements, il était raisonnable de la part de la SI d’accorder davantage de poids à la preuve documentaire relative à l’opération Tokhang qu’au témoignage du demandeur.

[44] Je conclus aussi que, contrairement à ce qu’affirme le demandeur, la SI a raisonnablement pris en compte la durée de son affectation au sein de la PNP et, en particulier, au sein de l’unité de lutte contre la drogue. Elle a accepté que son affectation dans cette unité avait seulement duré trois mois environ, mais a également conclu que ce facteur n’amoindrissait pas nécessairement sa connaissance des événements ni l’importance du rôle qu’il avait joué dans ceux-ci. En particulier, la SI a mentionné que l’opération Tokhang semblait « pleinement mise en œuvre » au moment où le demandeur avait travaillé au sein de l’unité de lutte contre la drogue, et qu’elle avait déjà mené à des exécutions extrajudiciaires. Bien que la durée du service soit un important facteur énoncé dans l’arrêt Ezokola, je conclus que la SI n’a pas commis d’erreur dans son examen de ce facteur.

[45] Le demandeur soutient aussi que la SI a commis une erreur en confondant une contribution volontaire, consciente et importante à une organisation avec une contribution volontaire, consciente et importante aux crimes ou au dessein criminel d’une organisation. En d’autres termes, il fait valoir que la SI a commis une erreur en omettant d’accepter que, même s’il avait peut-être contribué à la PNP de façon consciente, volontaire et importante, il n’avait pas contribué de la sorte aux crimes ou au dessein criminel de l’organisation.

[46] Là encore, je ne suis pas d’accord avec le demandeur. La SI a examiné l’ensemble de la preuve dont elle disposait et a raisonnablement conclu que le demandeur avait volontairement contribué, de manière importante et en toute connaissance de cause, aux crimes associés à la guerre contre la drogue du président Duterte. Cette contribution découle de la participation du demandeur à l’opération Tokhang, dont la SI a raisonnablement conclu qu’elle était étroitement liée aux actions de lutte contre la drogue ayant notamment mené à l’assassinat ciblé de personnes soupçonnées d’avoir des liens avec la drogue.

[47] Compte tenu de l’objet et de la précision de l’analyse de la SI, l’argument selon lequel cette dernière a, de façon déraisonnable, fondé ses conclusions sur le simple fait que le demandeur travaillait pour la PNP ou sur le type de raisonnement relatif à la [traduction] « culpabilité par association » que la Cour suprême a cherché à corriger dans l’arrêt Ezokola est sans fondement. Au contraire, les motifs de la SI traitaient de la preuve dont elle disposait et étaient justifiés au regard des principes juridiques applicables, et ses conclusions faisaient état d’une analyse rationnelle.

[48] À l’appui de son argument, le demandeur fait référence à des propos soulevés par des auteurs de doctrine, selon lesquels plusieurs décisions rendues depuis 2013 donnent à penser qu’il existe une forme de glissement dans la rigueur des analyses de la complicité dans le droit canadien des réfugiés malgré le fait que l’arrêt Ezokola avait pour but d’éliminer les conclusions d’exclusion fondées sur la culpabilité par association : Aneta Bajic, Chun He et Andrew Koltun, « Eliminating Guilt by Association: Reviewing the Limits of Ezokola in Canadian Refugee Law Complicity Decision-Making (2013-2020) » (2023) 55:1 Ottawa L Rev à la p 49. Le demandeur laisse entendre que ce glissement se reflète dans la décision de la SI, qui a adopté une approche trop large relativement au principe de la complicité.

[49] Je ne formulerai pas de commentaires quant à la question de savoir si la portée des conclusions relatives à la complicité s’est élargie au cours des dernières années. Peu importe que ce soit le cas ou non, je conclus que la SI a tiré des conclusions raisonnables à partir des faits dont elle disposait dans la présente affaire. Je conclus aussi qu’elle a clairement justifié ses réserves quant à la crédibilité du témoignage du demandeur et qu’elle a adhéré aux principes énoncés dans l’arrêt Ezokola. En particulier, j’ai conclu que la SI avait, de façon raisonnable (et, en fait, avec minutie) conclu que chaque élément du cadre énoncé dans l’arrêt Ezokola confirmait que le demandeur avait volontairement contribué, de manière importante et en toute connaissance de cause, aux crimes associés à la guerre contre la drogue menée par le président Duterte.

[50] Enfin, le demandeur soutient que la SI a commis une erreur en omettant de dûment prendre en compte son témoignage ainsi que la preuve qu’il avait présentée, et que [traduction] « la preuve dont elle disposait ne permettait pas d’établir l’existence de motifs raisonnable de croire qu’il avait été complice de crimes contre l’humanité ». En tout respect, il s’agit très clairement d’une demande afin que la Cour examine de nouveau la preuve dont la SI disposait. La SI a évalué, de manière approfondie, la preuve présentée par le demandeur, y compris la preuve selon laquelle il ne fait l’objet d’aucune procédure criminelle aux Philippines, et a raisonnablement expliqué pourquoi cette preuve n’était pas déterminante dans le contexte de l’analyse de la complicité. En outre, tout au long de ses motifs, elle a présenté un raisonnement intelligible, transparent et justifié à l’appui de ses évaluations défavorables quant à la crédibilité du témoignage incohérent de M. Ahuday, ainsi que des raisons pour lesquelles elle a accordé davantage de poids à la preuve documentaire.

VII. QUESTION CERTIFIÉE

[51] Le demandeur propose la question suivante en vue de sa certification :

[traduction]

« Quel est le degré de complicité requis pour satisfaire aux différents volets du critère énoncé dans l’arrêt Ezokola dans le cas d’un policier ou d’un fonctionnaire issu d’un pays où l’État commandite des exécutions extrajudiciaires, et où sont commis des crimes contre l’humanité bien répertoriés? »

[52] À mon avis, cette question ne doit pas être certifiée au motif qu’elle est mal formulée et que, de toute manière, elle a déjà trouvé réponse dans l’arrêt Ezokola. J’affirme qu’elle est mal formulée vu que, dans le contexte de crimes internationaux, le [traduction] « degré de complicité » satisfait nécessairement aux exigences énoncées dans l’arrêt Ezokola. La complicité est une [traduction] « doctrine qui attribue une responsabilité criminelle à une personne ayant participé à un crime sans y avoir contribué matériellement » : Marina Aksenova, Complicity in International Criminal Law (Oxford : Hart, 2016). En ce sens, la question ne porte pas sur le degré de complicité, mais plutôt sur la question de savoir si la complicité est présente en tant que principe du droit pénal international.

[53] Si la question visait plutôt à saisir le degré de contribution requis pour emporter complicité de la part d’un policier ou d’un fonctionnaire employé par une entité ayant commis des crimes internationaux, c’est exactement la question à laquelle la Cour suprême a répondu dans l’arrêt Ezokola. M. Ezokola, par exemple, était un haut fonctionnaire en République démocratique du Congo. Il s’ensuit que la question proposée ne devrait pas être certifiée.

VIII. CONCLUSION

[54] Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. La SI a raisonnablement conclu que M. Ahuday avait volontairement contribué, de manière importante et en toute connaissance de cause, aux crimes contre l’humanité commis par les unités de lutte contre la drogue de la PNP dans le contexte de la guerre contre la drogue menée par le président Duterte, et qu’il est donc interdit de territoire au Canada au titre de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR.

[55] Je reconnais que M. Ahuday ne sera pas satisfait par l’issue de la décision. J’admets également que, à titre de policier subalterne de carrière, il a été confronté à des circonstances difficiles lorsque la guerre contre la drogue a été déclenchée. Je conclus néanmoins que la SI a soigneusement examiné le témoignage et les arguments du demandeur, et que ses motifs sont justifiés au regard des faits et du droit.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-1526-24

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Angus G. Grant »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean-François Malo, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1526-24

 

INTITULÉ :

JOSUE LIMMONG AHUDAY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 NOVEMBRE 2024

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRANT

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 7 janvier 2025

 

COMPARUTIONS :

Alastair Clarke

POUR LE DEMANDEUR

 

Cynthia Lau

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Clarke Immigration Law

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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