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Date : 20250122


Dossier : IMM-15856-23

Référence : 2025 CF 127

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 22 janvier 2025

En présence de madame la juge Whyte Nowak

ENTRE :

YUANZE GAO

YANG ZHANG

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs, Yuanze Gao [le demandeur principal] et son épouse, Yang Zhang, sont des citoyens de la Chine qui ont demandé des visas de résident temporaire [les VRT] pour rendre visite à leur famille au Canada.

[2] Dans des décisions datées du 4 décembre 2023 [les décisions], un agent des visas [l’agent] a refusé de délivrer les VRT demandés parce qu’il n’était pas convaincu que les demandeurs quitteront le Canada à l’expiration de la période de séjour autorisé. Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire des décisions de l’agent au motif qu’elles sont déraisonnables. Pour les motifs exposés ci-dessous, je suis d’accord avec eux.

[3] Les décisions étaient fondées sur deux facteurs énoncés : (i) les actifs et la situation financière des demandeurs sont insuffisants pour financer le but déclaré de leur voyage (selon les notes versées dans le Système mondial de gestion des cas, les relevés bancaires déposés ne précisent pas l’origine des fonds, de sorte que l’agent n’est pas convaincu que les demandeurs disposent de fonds suffisants pour leur visite d’un mois) et (ii) le but de la visite des demandeurs au Canada n’est pas compatible avec un séjour temporaire [traduction] « compte tenu des détails fournis dans la demande ».

[4] Je suis d’accord avec les parties pour dire que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 16-17 et 23-25). La Cour doit être convaincue que les décisions possèdent les caractéristiques exigées pour tout exercice du pouvoir public, c’est-à-dire qu’elles sont justifiées, intelligibles et transparentes pour ceux qui en font l’objet (Vavilov aux para 95, 99), sans apprécier de nouveau la preuve (Vavilov aux para 95, 125).

[5] Les demandeurs soutiennent qu’il était déraisonnable pour l’agent de rejeter leurs demandes en s’appuyant sur les motifs générés par l’outil d’IA Chinook 3+, qui n’a pas correctement pris en compte et évalué les documents et les profils présentés à l’appui de leurs demandes puis a généré des motifs qui ne sont pas intelligibles.

[6] Dans la décision Mehrara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 1554 [Mehrara], le juge Battista a conclu que l’utilisation du programme d’IA Chinook 3+ par les décideurs administratifs n’annule pas la présomption qui est établie depuis longtemps en droit administratif, selon laquelle un décideur est présumé avoir examiné toute la preuve portée à sa connaissance (Mehrara, au para 46 qui renvoie à Chatrath c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 958 au para 35).

[7] Il incombe donc aux demandeurs de démontrer que l’agent n’a pas tenu compte d’éléments de preuve importants ou contredisant ses conclusions (Mehrara, au para 47). J’estime que les demandeurs en l’espèce y sont parvenus en mettant en lumière une quantité importante de renseignements financiers qui n’ont pas été mentionnés par l’agent ainsi que des éléments de preuve qui correspondent à un séjour temporaire.

[8] L’agent s’est fondé seulement sur les relevés bancaires des demandeurs (qui font état d’économies totalisant 134 000 $) et n’a pas pris acte des autres documents des demandeurs qui avaient une incidence sur les motifs qu’il a invoqués pour refuser de délivrer les VRT. Il s’agissait des suivants :

  • (i)les lettres d’emploi des demandeurs indiquant leurs profils d’emploi stables de même que leurs revenus mensuels et annuels;

  • (ii)les documents financiers fournis par les membres de la famille des demandeurs au Canada qui prévoient les accueillir pendant leur séjour, y compris le revenu du ménage (162 036,00 $), les documents fiscaux, le titre de propriété de leur résidence ainsi qu’une lettre de soutien de la sœur du demandeur principal confirmant qu’elle avait l’intention de payer toutes les dépenses des demandeurs au Canada en guise de cadeau de mariage;

  • (iii)la confirmation par la sœur du fait que la visite des demandeurs représente un voyage de noces tardif et une occasion de rendre visite à la famille, étant donné que les demandeurs se sont mariés pendant la pandémie de COVID-19;

  • (iv)la preuve des antécédents de voyage favorables du demandeur principal.

[9] Le défendeur soutient que les décisions sont raisonnables et que les demandeurs ont simplement omis de présenter une demande complète, ce qui était leur responsabilité, mais il passe sous silence les problèmes flagrants liés à l’insuffisance des motifs de l’agent. Ce dernier n’a pas examiné les renseignements importants fournis par les demandeurs dans leurs demandes qui vont à l’encontre de ses motifs, ce qui amène notre Cour à se demander s’il les a vraiment pris en considération (Ul Zaman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 268 au para 30).

[10] Je souligne en dernier lieu que j’ai interrogé le conseil du défendeur à l’audience sur la signification du deuxième facteur sous-tendant la conclusion de l’agent énoncée dans les décisions et qui est libellé ainsi : [traduction] « Le but de votre visite au Canada n’est pas compatible avec un séjour temporaire compte tenu des détails que vous avez fournis dans votre demande. » Le conseil du défendeur a exhorté la Cour à interpréter les décisions de manière globale et a soutenu qu’elles étaient fondées sur un motif unique lié aux informations financières insuffisantes présentées par les demandeurs. Or les décisions contiennent le terme [TRADUCTION] « facteurs » et présentent l’insuffisance des renseignements financiers et l’incompatibilité de l’objectif déclaré avec un séjour temporaire en tant qu’éléments distincts. Par conséquent, l’interprétation des motifs avancée par le défendeur ne peut être défendue, ce qui rend cet aspect des motifs de l’agent inintelligible et ajoute au caractère déraisonnable des décisions.

[11] Les demandeurs se sont acquittés du fardeau qui leur incombait de démontrer que les décisions sont déraisonnables. La demande en l’espèce sera donc accueillie.


JUGEMENT dans le dossier IMM-15856-23

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. L’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvelle décision.

  3. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« Allyson Whyte Nowak »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


DOSSIER :

IMM-15856-23

INTITULÉ :

YUANZE GAO, YANG ZHANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 JANVIER 2025

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WHYTE NOWAK

DATE DES MOTIFS :

LE 22 JANVIER 2025

COMPARUTIONS :

Bahar Karbakhsh-Ravari

POUR LES DEMANDEURS

Brendan Stock

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bahar Karbakhsh-Ravari

Avocat

Markham (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

TORONTO (ONTARIO)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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