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Date : 20 250 116


Dossier : IMM-12999-23

Référence : 2025 CF 95

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 janvier 2025

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

AXEL FERNANDO SANTOS VEGA

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, Axel Fernando Santos Vega, est un citoyen du Mexique âgé de 30 ans.

[2] Le demandeur allègue avoir été témoin d’un assassinat en décembre 2021 au Mexique alors qu’il se rendait à son travail. Il pense que l’assassinat a été commis par les membres d’un cartel. Le lendemain, les agresseurs seraient apparemment venus au lieu de travail du demandeur, l’auraient menacé de le tuer s’il signalait ce qu’il avait vu et exigé qu’il leur paie 20 000 pesos. Le demandeur leur aurait répondu qu’il n’avait pas les fonds nécessaires, mais les membres du cartel lui ont fait savoir qu’ils reviendraient chercher l’argent. Le demandeur déclare avoir quitté son emploi une semaine plus tard puis être resté caché chez lui.

[3] En mars 2022, le demandeur a quitté le Mexique pour se rendre au Canada et a présenté une demande d’asile. Il prétend craindre d’être persécuté par un cartel parce qu’il a vu certains de ses membres commettre un assassinat et qu’il ne leur a pas payé la somme qu’ils exigeaient.

[4] La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande d’asile parce qu’elle a conclu que le demandeur disposait d’une possibilité de refuge intérieur (la PRI) valable à Merida, dans l’État du Yucatan. Le demandeur a interjeté appel de cette décision à la Section d’appel des réfugiés (la SAR) au motif que la SPR avait commis une erreur en examinant la preuve de façon pointilleuse et « [avait] fait preuve de zèle pour trouver des contradictions ». Il a également fait valoir que les problèmes d’interprétation à l’audience de la SPR constituaient un manquement à l’équité procédurale.

[5] La SAR a rejeté l’appel du demandeur, ce qui a donné lieu à la demande de contrôle judiciaire en l’espèce.

I. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[6] Les questions à trancher en l’espèce sont les suivantes :

  1. Le demandeur a-t-il été privé de son droit à l’équité procédurale parce que la traduction de son témoignage était inadéquate?

  2. La SAR a-t-elle rendu une décision déraisonnable concernant la PRI parce qu’elle n’a pas adéquatement tenu compte du fait que le demandeur avait été témoin d’un assassinat commis par les membres d’un cartel?

[7] L’équité procédurale doit être examinée selon une norme qui s’apparente à celle de la « décision correcte » même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée : Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [Canadien Pacifique] au para 54; voir aussi Heiltsuk Horizon Maritime Services Ltd c Atlantic Towing Limited, 2021 CAF 26 au para 107. Selon cette approche, la cour de révision doit se demander si le processus décisionnel était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, « en mettant nettement l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne » (Canadien Pacifique, au para 54). La question fondamentale demeure donc celle de savoir « si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre » (Canadien Pacifique, au para 56).

[8] La deuxième question doit être évaluée conformément au cadre régissant le contrôle selon la norme de la décision raisonnable établi dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], et récemment confirmé dans l’arrêt Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21.

[9] En résumé, d’après le cadre décrit dans l’arrêt Vavilov, le rôle de la cour de révision consiste à examiner les motifs fournis par le décideur administratif et à déterminer si la décision est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes (Vavilov, au para 85, Mason, au para 8). Il incombe aux demandeurs de démontrer que « la lacune ou la déficience [invoquée] […] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, au para 100). À moins de circonstances exceptionnelles, une cour de révision ne modifiera pas les conclusions de fait; ce n’est pas son rôle d’apprécier à nouveau la preuve (Vavilov, au para 125).

II. Analyse

A. Le demandeur n’a pas été privé de son droit à l’équité procédurale

[10] Dans son appel devant la SAR, le demandeur a fait valoir qu’il y avait eu atteinte aux principes de justice naturelle parce que des problèmes d’interprétation ont nui à plusieurs reprises à la compréhension de son témoignage par la SPR. Il a donné quelques exemples où des mots n’ont pas été correctement traduits et a souligné un cas où ses propos en espagnol n’ont pas été traduits du tout. La SAR a écouté l’enregistrement audio de l’audience de la SPR et a conclu qu’il n’y avait pas eu de manquement à l’équité procédurale.

[11] Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en tirant cette conclusion parce que les problèmes de traduction ont fait en sorte que la SPR se méprenne sur le sens de son témoignage. Il donne un exemple notable, où l’interprète a omis le mot « Jalisco » dans sa traduction, alors qu’il s’agit d’une information cruciale, puisque le cartel de Jalisco Nouvelle Génération [CJNG] est reconnu comme un des plus puissants et des plus violents du Mexique. Le demandeur soutient que la SAR n’a pas tenu compte de ce fait, ce qui a entaché son analyse du risque auquel il était exposé à l’endroit proposé comme PRI.

[12] Cet argument ne me convainc pas. La SAR a écouté l’enregistrement audio de l’audience de la SPR et a analysé la supposée omission du mot « Jalisco » par le traducteur. Elle a constaté que ce dernier avait bien prononcé le mot « Jalisco » et que le demandeur avait mentionné dans son témoignage qu’il ne connaissait pas le nom du cartel dont il avait reçu des menaces. La SAR a conclu que, bien que l’interprétation n’ait pas été parfaite, le demandeur a pu raconter son histoire et le commissaire de la SPR l’a comprise.

[13] Le demandeur n’a pas établi qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale à cause d’une traduction inadéquate. Comme l’a souligné à juste titre la SAR, la loi n’exige pas la perfection de la part des interprètes; ils doivent respecter une norme fondée sur des critères précis, soit la continuité, la fidélité, la compétence, l’impartialité et la concomitance : R c Tran, 1994 CanLII 56 (CSC), [1994] 2 RCS 951 à la p. 985. De surcroît, le demandeur devait démontrer que les erreurs de traduction étaient sérieuses, réelles et importantes et qu’elles ont nui à sa capacité à répondre aux questions sur des points importants : Paulo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 990 aux para 28–32; Gebremedhin c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 497 au para 14. Je ne suis pas convaincu que le demandeur ait démontré de telles erreurs en l’espèce ou que la SAR n’ait pas traité ses arguments au sujet de la traduction de manière appropriée.

B. La SAR a effectué une analyse raisonnable de la PRI

[14] Le demandeur soutient que la SAR n’a pas saisi la nature du risque auquel il serait exposé partout au Mexique parce qu’il avait été témoin de l’assassinat d’une personne fortunée par les membres d’un cartel. Il a raconté que les assassins ne portaient pas de couvre-visage et qu’il avait donc pu voir leurs visages; il courait donc un risque grave parce qu’il pouvait les identifier. Il soutient que la SAR n’a pas compris que le cartel serait motivé à le retrouver parce qu’il avait été témoin d’un assassinat perpétré par ses membres. Il affirme que la SAR, en raison de cette erreur, a fait fausse route dans son analyse de la PRI.

[15] La SAR a mis en doute la motivation du cartel en partie parce que le demandeur n’a pas été recherché au cours de la période comprise entre décembre 2021, date à laquelle il a été menacé, et mars 2022, date de son départ du Mexique. Le demandeur soutient que l’analyse de la SAR ne tient pas compte de la preuve qu’il a présentée pour démontrer qu’il est resté caché pendant cette période et que le cartel savait où il travaillait mais pas où il vivait. Selon le demandeur, la SAR a eu tort de tirer une conclusion défavorable du fait que le cartel n’a pas réussi à le retrouver pendant une période aussi courte.

[16] Le demandeur affirme également que l’analyse de la PRI est déraisonnable parce qu’il n’échappera jamais au risque d’être retrouvé par le cartel et qu’il serait donc condamné à vivre dans la peur s’il était contraint de retourner au Mexique. Les données objectives sur les conditions dans le pays montrent que les cartels sont en mesure de suivre les personnes qu’ils souhaitent retrouver partout au Mexique. Le demandeur s’appuie sur cette preuve pour démontrer que l’analyse de la SAR concernant les risques auxquels il serait exposé et la question de savoir s’il serait raisonnable pour lui de s’installer à Merida est déraisonnable sous ces deux aspects.

[17] Je ne suis pas d’accord. La SAR a examiné attentivement les éléments de preuve, compte tenu à la fois de l’expérience vécue par le demandeur après avoir été menacé et des risques auxquels il pourrait être confronté s’il retournait au Mexique. L’analyse de la SAR est ancrée dans la preuve et est expliquée de manière logique et claire. C’est tout ce qu’exige la norme de la décision raisonnable.

[18] La SAR a accepté le fait que les cartels étaient capables de retrouver des personnes s’ils étaient suffisamment motivés à le faire, mais elle a conclu que le demandeur n’avait pas démontré une telle motivation de leur part à son endroit. Le fait qu’il ait continué d’habiter au même endroit après avoir été menacé est un facteur manifestement pertinent, compte tenu des éléments de preuve décrivant la capacité des cartels à trouver des personnes. En outre, il était raisonnable pour la SAR de prendre en considération la preuve relative au genre de situations qui semblent motiver les cartels à consacrer du temps et des ressources à retrouver certaines personnes.

[19] Le désaccord du demandeur envers la façon dont la SAR a apprécié les éléments de preuve ne suffit pas à rendre cette évaluation déraisonnable. Il incombe au demandeur de démontrer que la décision en appel est entachée par le fait que la SAR s’est fondamentalement méprise sur la preuve ou ne s’est pas attaquée aux questions clés, ou encore par une lacune importante dans la logique de son analyse sur un élément essentiel (Vavilov, au para 100). Je ne suis pas convaincu que le demandeur ait démontré que la SAR a commis une de ces erreurs.

[20] Conformément à l’analyse exposée ci-dessus, je rejetterai l’argument du demandeur concernant l’analyse de la PRI par la SAR.

III. Conclusion

[21] Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[22] Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-12999-23

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« William F. Pentney »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


DOSSIER :

IMM-12999-23

INTITULÉ :

AXEL FERNANDO SANTOS VEGA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience en mode hybride tenue à Toronto (Ontario) et par vidéoconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 JANVIER 2024

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 JANVIER 2025

 

COMPARUTIONS :

Mary Jane Campigotto

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nicola Shahbaz

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Campigotto Law Firm

Cabinet d’avocats

Windsor (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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