Dossier : T‐2124‐23
Référence : 2025 CF 110
[traduction française]
Ottawa (Ontario), le 20 janvier, 2025
En présence de madame la juge Strickland
ENTRE : |
BRINK’S, INCORPORATED, BRINK’S GLOBAL SERVICES INTERNATIONAL, INC., ET BRINK’S SHWEIZ AG
|
demanderesses |
et |
AIR CANADA |
défenderesse |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] La Cour est saisie d’une requête et d’une requête incidente, toutes deux présentées dans le but d’obtenir un jugement sommaire.
[2] Brink’s, Incorporated, Brink’s Global Services International, Inc. et Brink’s Schweiz AG [collectivement, Brink’s] ont conclu un contrat avec Air Canada pour le transport aérien d’une cargaison de billets de banque et d’une cargaison de lingots d’or [collectivement, les cargaisons] de Zurich, en Suisse, à Toronto, au Canada. Immédiatement après leur arrivée à Toronto, les cargaisons ont été volées alors qu’elles étaient en la possession d’Air Canada. Brink’s a intenté contre Air Canada une action en dommages‐intérêts pour les cargaisons volées. Elle présente une requête par laquelle elle demande à notre Cour de rendre un jugement sommaire en sa faveur pour la somme, en dollars canadiens [CAD], équivalant à la valeur des cargaisons, soit 1 734 835 francs suisses [CHF] et 14 988 920,58 dollars américains [USD], au motif qu’il n’y a pas de véritable question litigieuse. Subsidiairement, Brink’s demande à la Cour de trancher par voie de procès sommaire la question de savoir si la limite de responsabilité prévue au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international [la Convention de Montréal], incorporée au droit fédéral canadien par l’effet de la Loi sur le transport aérien, LRC 1985, c C‐26, s’applique en l’espèce.
[3] Par voie de requête incidente, Air Canada demande à la Cour de rendre un jugement sommaire limitant sa responsabilité à l’égard de la demande de Brink’s conformément au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention de Montréal à la somme prévue par cette disposition, soit 8 811 droits de tirage spéciaux du Fonds monétaire international [DTS] pour la cargaison d’or et 1 177 DTS pour la cargaison de billets de banque.
Le contexte
Les parties
[4] Brink’s, Incorporated, une société constituée en vertu des lois du Delaware, est un fournisseur mondial de services de gestion d’argent et d’objets de valeur, de solutions numériques de vente au détail, ainsi que de services par guichet automatique. Brink’s Global Services International, Inc. et Brink’s Schweiz AG sont des filiales de Brink’s, Incorporated. Brink’s Global Services International, Inc. est une société constituée en vertu des lois du Delaware dont le siège est situé à Miami, en Floride. Brink’s Schweiz AG est une société constituée en vertu des lois du canton de Zurich, en Suisse. Brink’s fournit, entre autres, des solutions de logistique et de sécurité pour le transport international de marchandises de grande valeur.
[5] Air Canada est une société prorogée sous le régime de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, LRC 1985, c C‐44, et elle est autorisée à exercer ses activités de transporteur aérien au Canada et à l’étranger.
Les témoignages
[6] Brink’s a déposé, à l’appui de sa requête, l’affidavit souscrit le 28 juin 2024 par M. Simon Grimmett, gestionnaire principal des systèmes internes chez Brink’s, Incorporated [l’affidavit de M. Grimmett].
[7] Air Canada a déposé, à l’appui de sa requête incidente, l’affidavit souscrit le 27 juin 2024 par M. Sebastian Cosgrove, directeur du service à la clientèle internationale pour Air Canada Cargo [l’affidavit de M. Cosgrove], ainsi qu’un deuxième affidavit de M. Cosgrove, souscrit le 28 juin 2024, en réponse à l’affidavit de M. Grimmett [l’affidavit en réponse de M. Cosgrove].
[8] Les deux déposants ont été contre‐interrogés sur leurs affidavits, et la transcription de ces contre‐interrogatoires figure dans les dossiers dont je dispose.
Les événements précédant la perte
[9] Les faits pertinents qui ont précédé le vol des cargaisons sont essentiellement incontestés.
i. La procédure de réservation
[10] Dans son affidavit, M. Grimmett donne des renseignements généraux sur la procédure de réservation habituelle que suivent les transitaires comme Brink’s et les transporteurs aériens comme Air Canada pour le transport de marchandises. Il fournit également les détails de la réservation pour le transport des cargaisons.
[11] Comme le décrit M. Grimmett dans son affidavit, la première étape de la procédure de réservation consiste à produire des lettres de transport aérien. Il en existe deux types : la lettre de transport aérien de groupage et le bordereau de groupage. La lettre de transport aérien de groupage est délivrée sous la forme d’un formulaire du transporteur sur lequel figurent déjà les renseignements d’identification de ce dernier. Elle porte également un numéro d’identification unique composé de onze chiffres, dont les trois premiers désignent la compagnie aérienne responsable du transport des marchandises, et les huit autres représentent le numéro de série de l’envoi (fret). Le bordereau de groupage est délivré par un transitaire, comme Brink’s, à l’exportateur, c’est‐à‐dire l’expéditeur des marchandises.
[12] En 2010, l’Association du transport aérien international [l’IATA] a lancé la lettre de transport aérien électronique [la LTAE de l’IATA]. La LTAE de l’IATA permet de transmettre par voie électronique aux transporteurs aériens les renseignements de la lettre de transport aérien de groupage et du bordereau de groupage. En 2019, elle est devenue le contrat de transport par défaut pour tous les envois de fret aérien sur les voies commerciales entre pays signataires.
[13] La LTAE de l’IATA est établie au moyen des messages transmis par échange de données informatisées [EDI]. Comme les compagnies aériennes n’acceptent pas de recevoir directement les messages des transitaires, les messages par EDI entre transitaires et transporteurs aériens sont fréquemment transmis par l’intermédiaire de tiers, soit des fournisseurs de systèmes collectifs de fret, qui offrent aux intervenants du fret aérien des plateformes intégrées pour l’échange et l’utilisation de données. C’est ainsi que sont notamment échangés entre transitaires et transporteurs aériens les messages relatifs au bordereau d’expédition [FWB] et à la liste des marchandises [FHL]. Selon l’affidavit de M. Grimmett, les messages FWB sont l’équivalent électronique de la lettre de transport aérien de groupage. Les messages FHL sont l’équivalent du bordereau de groupage.
[14] Au début de la procédure de réservation, Brink’s doit d’abord créer une nouvelle lettre de transport aérien de groupage. Pour ce faire, elle doit saisir des données précises dans le système de transport international de Brink’s [le système], notamment les renseignements sur l’expéditeur et la compagnie aérienne, ainsi que le type de service requis. Une fois les données saisies, le système génère automatiquement le prochain numéro de lettre de transport aérien de groupage parmi une série de numéros disponibles préalablement attribués à Brink’s par la compagnie aérienne visée.
ii. La cargaison d’or
[15] Le 13 avril 2023, Valcambi SA [Valcambi], une société d’affinage de métaux précieux, a envoyé une demande de réservation à Brink’s pour le transport de Zurich à Toronto d’une cargaison de lingots d’or dont le poids brut s’élevait à 400,19 kg et la valeur, à 13 612 696,75 CHF [la cargaison d’or]. Dès la réception de la demande de réservation, Brink’s a créé une lettre de transport aérien de groupage pour la cargaison d’or en entrant les données nécessaires dans son système, lequel a ensuite généré automatiquement le prochain numéro de lettre de transport aérien de groupage disponible parmi ceux attribués par Air Canada, en l’occurrence le numéro 014 6290 1182.
[16] Le même jour, Brink’s a envoyé à Air Canada un courriel de réservation dont l’objet était « Brink’s VAL Booking 014‐6290 1182 / ZRH‐YYZ »
, et dans le corps du courriel figuraient les mots « 10 Colli 250kg Gold VAL/EAW »
. Dans son affidavit, M. Grimmett affirme que « VAL »
est un code de manutention spéciale qui signifie [traduction] « objet de valeur »
, tandis que « EAW »
signifie que le transitaire ne fournira aucun dossier d’accompagnement. Air Canada a envoyé un courriel de confirmation de la réservation pour le transport de la cargaison d’or. Ce courriel était principalement constitué d’un tableau présentant les renseignements relatifs à la réservation, notamment les suivants : [traduction] « le poids réel - 250 kg; la description des marchandises - OR; le code de marchandise - VAL; la valeur déclarée - S.V.D.; si le transport a été prépayé - OUI; le produit - AC Sûreté; et les codes de manutention spéciale - PRI VAL EAW »
. Selon l’affidavit de M. Grimmett, PRI signifie [traduction] « priorité »
.
[17] Le 14 avril 2023, Brink’s a transmis à Air Canada trois messages FWB relativement à la cargaison d’or au moyen de CCS‐UK (le fournisseur de système collectif de fret utilisé par Brink’s). Ces messages comprenaient notamment les mentions suivantes : « SSR/BRINK S SECURED AIRFREIGHT SPECIAL SUPERVISION IS REQUESTED VALUABLE CARGO »
et « /NG/GOLD GOLDBARSSEALS 0 »
. Brink’s affirme que le code « SSR »
signifie [traduction] « demande de service spécial »
.
[18] Brink’s a également transmis à Air Canada trois messages FHL au moyen de CCS‐UK. Ces messages comprenaient notamment les mentions suivantes : « TXT/GOLD-GOLD-GOLD-GOLD-GOLD-GOLD-GOLD-GOLD- GOLD-GOLD-GOLD-GOLD-G »
et « CVD/CHF/PP/NVD/13612696.75/XX »
. Brink’s affirme que selon les messages FHL, la valeur de la cargaison d’or était de 13 612 696,75 CHF. Or, selon Air Canada, la valeur pécuniaire figurant dans les messages FHL est la valeur déclarée pour la douane.
[19] Peu après, Brink’s a répondu au courriel de confirmation que lui avait envoyé Air Canada en lien avec la cargaison d’or. Jointe à son courriel de réponse était la version finale de la lettre de transport aérien de groupage pour la cargaison d’or, intitulée [traduction] « lettre de transport aérien »
[la lettre de transport aérien de la cargaison d’or].
[20] La lettre de transport aérien de la cargaison d’or comprend notamment les renseignements d’identification de l’expéditeur et des précisions sur le vol. Elle comprend également le texte qui suit :
[traduction]
Il est convenu que les marchandises décrites dans le présent document sont en bon état apparent (sauf indication contraire) et acceptables pour le transport, SOUS RÉSERVE DES MODALITÉS DU CONTRAT AU VERSO DU PRÉSENT DOCUMENT. L’EXPÉDITEUR EST PRIÉ DE PORTER ATTENTION À L’AVIS CONCERNANT LA LIMITATION DE LA RESPONSABILITÉ DU TRANSPORTEUR. L’expéditeur peut augmenter le seuil de cette limite de responsabilité en déclarant une valeur plus élevée pour le transport et en payant une somme supplémentaire, au besoin.
[21] La lettre de transport aérien de la cargaison d’or contient les renseignements suivants : la mention [traduction] « S.V.D. »
, qui signifie « sans valeur déclarée »
, à la case [traduction] « Valeur déclarée au départ »
; la mention « NCV »
pour «
no customs value »
, qui signifie « aucune valeur en douane »
, à la case [traduction] « Valeur déclarée pour la douane »
; « XXX »
à la case [traduction] « Montant de l’assurance »
; les termes [traduction] « LINGOTS D’OR »
dans la colonne [traduction] « nature et quantité des marchandises »
; « 400,19 kg »
dans la colonne [traduction] « Poids brut »
; « 400,5 kg »
dans la colonne [traduction] « Poids de taxation »
; la lettre « S »
(ce qui, selon Brink’s, signifie [traduction] « tarif supérieur »
) dans la colonne [traduction] « Classification du tarif »
; « 23,60 $/kg »
dans la colonne [traduction] « Tarif/montant »
; et « 9 451,80 »
dans la colonne « Total »
. La mention [traduction] « UNE SUPERVISION SPÉCIALE EST DEMANDÉE POUR LE FRET AÉRIEN SÉCURISÉ DE BRINK’S : CARGAISON DE VALEUR »
figure au recto de la lettre de transport aérien de la cargaison d’or.
iii. La cargaison de billets de banque
[22] Brink’s a suivi une procédure de réservation similaire en ce qui a trait à la cargaison de billets de banque.
[23] Le 14 avril 2023, Raiffeisen Schweiz [Raiffeisen], une banque commerciale suisse, a présenté une demande de réservation auprès de Brink’s pour le transport de Zurich à Toronto d’une cargaison de billets de banque dont le poids brut s’élevait à 53,18 kg et la valeur, à 1 945 843 USD [la cargaison de billets de banque]. Dès la réception de la demande de réservation, Brink’s a créé une lettre de transport aérien de groupage, à laquelle le numéro 014 ZRH 6290 1193 a été attribué suivant le prochain numéro de lettre de transport aérien de groupage disponible parmi ceux relatifs à Air Canada.
[24] Le même jour, Brink’s a envoyé à Air Canada un courriel de réservation dont l’objet était « VAL BOOKING BRINKS / 014‐6290 1193 »
. Air Canada a envoyé un courriel de confirmation de la réservation pour le transport de la cargaison de billets de banque. Ce courriel était, lui aussi, principalement constitué d’un tableau présentant les renseignements relatifs à la réservation, notamment les suivants : [traduction] « le poids réel, 80 kg; la description des marchandises - BILLETS DE BANQUE; le code de désignation - VAL; la valeur déclarée - S.V.D.; si le transport a été prépayé - OUI; le produit - AC Sûreté; et les codes de manutention spéciale - PRI VAL EAW »
.
[25] Brink’s a également transmis à Air Canada un message FWB relativement à la cargaison de billets de banque. Ce message comprenait notamment les mentions suivantes : « SSR/BRINK S SECURED AIRFREIGHT SPECIAL SUPERVISION IS REQUESTED VALUABLE CARGO »
et « /NG/BANKNOTES BANKNOTES »
.
[26] De plus, Brink’s a transmis à Air Canada un message FHL relativement à la cargaison de billets de banque. Ce message portait les mentions « TXT/BANKNOTES – BANKNOTES-BANKNOTES »
et « CVD/CHF/PP/NVD/1945843/XXX »
. Encore une fois, Brink’s fait valoir que le message FHL précise la valeur des billets de banque, alors qu’Air Canada soutient que la somme inscrite dans le message FHL correspond à la valeur déclarée pour la douane.
[27] Peu après, Brink’s a répondu au courriel de confirmation que lui avait envoyé Air Canada en lien avec la cargaison de billets de banque. Jointe à son courriel de réponse était la version finale de la lettre de transport aérien de groupage pour la cargaison de billets de banque [la lettre de transport aérien de la cargaison de billets de banque]. À l’instar de la lettre de transport aérien de la cargaison d’or, elle comprend notamment les renseignements d’identification de l’expéditeur, des précisions sur le vol ainsi que l’avis de limitation de responsabilité.
[28] La lettre de transport aérien de la cargaison de billets de banque contient les renseignements suivants : la mention [traduction] « S.V.D. »
à la case [traduction] « Valeur déclarée au départ »
; la mention « NCV »
à la case [traduction] « Valeur déclarée pour la douane »
; « XXX »
à la case [traduction] « Montant de l’assurance »
; les termes [traduction] « BILLETS DE BANQUE »
dans la colonne [traduction] « Nature et quantité des marchandises »
; « 53,18 kg »
dans la colonne [traduction] « Poids brut »
; « 53,5 kg »
dans la colonne [traduction] « Poids de taxation »
; la lettre « S »
dans la colonne [traduction] « Classification du tarif »
; « 11 »
dans la colonne [traduction] « Tarif/montant »
; et « 588,50 »
dans la colonne « Total »
. La mention [traduction] « UNE SUPERVISION SPÉCIALE EST DEMANDÉE POUR LE FRET AÉRIEN SÉCURISÉ DE BRINK’S : CARGAISON DE VALEUR »
figure au recto de la lettre de transport aérien de la cargaison de billets de banque.
iv. AC Sûreté et les tarifs de fret
[29] Brink’s a choisi le service sécurisé d’Air Canada AC Sûreté pour le transport des cargaisons. Ce produit offre une manutention spéciale pour les marchandises de grande valeur. Selon Air Canada, les envois au moyen d’AC Sûreté bénéficient de mesures de sécurité complémentaires, d’un niveau de priorité plus élevé pour le chargement, et de délais de remise et de récupération des marchandises plus courts.
[30] Le site Web d’Air Canada indique qu’AC Sûreté garantit le transport sûr et sécuritaire de certaines marchandises y compris celles dont la valeur déclarée est égale ou supérieure à 1 000 CAD/USD par kilogramme, ou lorsqu’un expéditeur souscrit une assurance pour le même montant par kilogramme, quelle que soit la marchandise. Il indique aussi que les marchandises visées, peu importe la valeur déclarée ou le montant de l’assurance souscrite, sont des « envois de valeur »
. Les marchandises visées comprennent l’or, l’argent ou les billets de monnaie. Le site Web indique également que « [p]our tous les envois de valeur, des frais fixes de manutention et une taxe à la valeur sont calculés selon un pourcentage de la valeur déclarée pour le transport aérien »
et que la responsabilité d’Air Canada Cargo est limitée par les tarifs et les accords internationaux. De plus, différentes options de manutention spéciale sont disponibles en fonction de la valeur déclarée de l’envoi ou du niveau de service sélectionné au moment de la réservation, et « les tarifs d’expédition varient considérablement en fonction de la classe, des exigences de manutention et des options [que l’expéditeur a choisi] »
.
[31] L’IATA publie un manuel des règlements et des tarifs de fret aérien intitulé The Air Cargo Tariffs and Rules [les TACT], dans lequel le tarif spécifique pour le fret de valeur est fixé à 200 % du tarif général de transport de marchandises. Les tarifs inscrits dans les lettres de transport aérien pour les cargaisons d’or et de billets de banque correspondent aux tarifs pour le fret de valeur selon les TACT, à savoir 11 $ par kilogramme pour les billets de banque et 26 $ par kilogramme pour l’or.
[32] Cependant, les parties s’entendent pour dire que les tarifs de fret inscrits au recto des lettres de transport aérien pour les cargaisons d’or et de billets de banque ne sont pas les tarifs de fret qu’Air Canada a réellement facturés à Brink’s; ils représentent les tarifs de fret nominaux de ces marchandises, utilisés pour éviter de divulguer les tarifs qui ont été négociés par les parties.
[33] AC Sûreté fixe ses propres tarifs [les tarifs d’AC Sûreté]. Je fais remarquer que la grille des tarifs d’AC Sûreté est assujettie à une ordonnance de confidentialité puisqu’il s’agit de renseignements commerciaux sensibles. Ainsi, dans les présents motifs, il n’est pas fait mention des tarifs réels facturés ou de tout autre renseignement confidentiel.
[34] Dans son affidavit, M. Cosgrove indique que les tarifs figurant dans la grille des tarifs d’AC Sûreté ne s’appliquent qu’aux entités et aux personnes qui utilisent le service AC Sûreté pour le transport de marchandises; les tarifs ne sont pas autrement mis à la disposition du public en général. Lorsqu’il a été contre-interrogé au sujet de son affidavit, M. Cosgrove a ajouté que pour obtenir les tarifs d’AC Sûreté, les clients doivent posséder un compte Air Canada. Il est indiqué dans la grille des tarifs d’AC Sûreté que le transport entre la Suisse et le Canada est assujetti à un tarif minimum pour toute marchandise dont le poids est inférieur à la limite fixée et à un tarif (fixe) standard pour toute autre marchandise de grande valeur. Ces tarifs sont plus bas que les tarifs affichés par Air Canada à l’intention du public, lesquels sont établis en fonction des TACT.
[35] Dans son affidavit, M. Grimmet affirme que le 11 septembre 2023, Air Canada a facturé à Brink’s le transport d’une cargaison d’or au tarif fixe standard établi dans la grille des tarifs d’AC Sûreté, majoré de frais de 4 CHF pour le transfert électronique de documents à Air Canada. La facture a été payée le 2 octobre 2023. Dans son affidavit, il indique également que les mêmes tarifs et frais de transfert électronique de documents avaient été appliqués sur la facture qu’Air Canada a envoyée à Brink’s le 10 décembre 2023 pour le transport d’une cargaison de billets de banque et que la facture a été payée le 3 janvier 2024. Bien que M. Cosgrove ait indiqué dans son affidavit que le transport de la cargaison de billets de banque n’avait pas été facturé en raison du commencement des procédures judiciaires dans la présente affaire, il s’est ravisé lorsqu’on lui a présenté, en contre-interrogatoire, l’une des pièces jointes à l’affidavit de M. Grimmett qui indiquait que le transport de la cargaison de billets de banque avait été facturé et payé.
v. Le vol des cargaisons
[36] Le 17 avril 2023, les cargaisons ont été transportées sur le vol AC881 d’Air Canada en partance de l’aéroport de Zurich, en Suisse, et à destination de l’aéroport international Pearson de Toronto.
[37] Les cargaisons ont été volées peu de temps après leur arrivée à destination alors qu’elles se trouvaient dans les installations d’Air Canada Cargo à l’aéroport international Pearson de Toronto. Le ou les suspects seraient entrés en possession des cargaisons après avoir présenté des lettres de transport aérien frauduleuses aux employés d’Air Canada.
[38] Le 19 avril 2023, Raiffeisen et Valcambi ont demandé à Brink’s de les indemniser pour le vol des cargaisons. Le 4 mai 2023, Brink’s a versé une somme de 1 734 835 CHF à Raiffeisen et une somme de 14 988 920,58 USD à Valcambi.
[39] Brink’s a écrit à Air Canada le 27 avril 2023 pour exiger le remboursement intégral de ses pertes et des dommages découlant du vol des cargaisons. En réponse, Air Canada a affirmé être strictement responsable des dommages subis par Brink’s à hauteur d’une somme équivalente en CAD aux limites de responsabilité maximales prévues au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention de Montréal, à savoir, 8 811 DTS (environ 11 591,75 USD) pour la cargaison d’or et 1 177 DTS (environ 1 540,39 $ US) pour la cargaison de billets de banque.
[40] Brink’s a ensuite intenté l’action dans la présente affaire.
La Convention de Montréal
Le caractère exclusif
[41] Les parties conviennent que leurs droits et obligations respectifs concernant les cargaisons sont régis exclusivement par la Convention de Montréal. Si Air Canada a soulevé la question dans ses observations écrites, l’avocat de Brink’s a confirmé devant moi que son client reconnaît que la Convention de Montréal régit tous les droits et obligations des parties relativement à sa demande d’indemnisation. Il n’est donc pas nécessaire que je traite de ce point.
La Convention
[42] La Convention de Montréal est un traité international qui régit la responsabilité des transporteurs aériens et l’étendue de l’indemnisation du préjudice dont ils sont responsables. Elle s’applique à tout transport international de personnes, de bagages ou de marchandises, effectué par aéronef contre rémunération (art 1(1)). Elle a été ratifiée par le Canada en 2002 et a été incorporée au droit canadien en 2003 par l’effet de la Loi sur le transport aérien et, plus précisément, par le paragraphe 2(2.1) et par l’annexe VI de cette loi.
[43] Le préambule de la Convention de Montréal reconnaît l’importante contribution de la convention précédente, la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, signée à Varsovie le 12 octobre 1929 [la Convention de Varsovie] et celle d’autres instruments connexes à l’harmonisation du droit aérien international privé; la nécessité de moderniser et de refondre la Convention de Varsovie et les instruments connexes; et l’importance d’assurer la protection des intérêts des consommateurs dans le transport aérien international et de la nécessité d’une indemnisation équitable fondée sur le principe de réparation.
[44] Comme je l’explique plus loin, avant l’adoption de la Convention de Montréal, la Convention de Varsovie avait fait l’objet de plusieurs protocoles d’amendement, notamment le Protocole portant modification de la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international signée à Varsovie le 12 octobre 1929 fait à La Haye le 28 septembre 1955 [le Protocole de La Haye] et le Protocole de Montréal no 4 portant modification de la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international signée à Varsovie le 12 octobre 1929 amendée par le Protocole fait à La Haye le 28 septembre 1955 [le Protocole de Montréal no 4]. En vertu de la Loi sur le transport aérien, la Convention de Varsovie (art 2, 3, 4, 5 et 6; Annexe I), le Protocole de La Haye (art 2 et 6; Annexe III) et le Protocole de Montréal no 4 (art 2 et 5; Annexe IV) ont également force de loi au Canada. Toutefois, l’article 55 de la Convention de Montréal prévoit que celle-ci l’emporte sur toutes règles s’appliquant au transport international par voie aérienne entre les États parties à la Convention de Montréal du fait que ces États sont communément parties à la Convention de Varsovie, au Protocole de La Haye, au Protocole de Montréal no 4 et à d’autres conventions et protocoles mentionnés.
[45] Aux fins de la requête et de la requête incidente en l’espèce, les dispositions les plus pertinentes de la Convention de Montréal sont les suivantes :
Article 22 — Limites de responsabilité relatives aux retards, aux bagages et aux marchandises
[...]
3 Dans le transport de marchandises, la responsabilité du transporteur, en cas de destruction, de perte, d’avarie ou de retard, est limitée à la somme de 17 droits de tirage spéciaux par kilogramme, sauf déclaration spéciale d’intérêt à la livraison faite par l’expéditeur au moment de la remise du colis au transporteur et moyennant le paiement d’une somme supplémentaire éventuelle. Dans ce cas, le transporteur sera tenu de payer jusqu’à concurrence de la somme déclarée, à moins qu’il prouve qu’elle est supérieure à l’intérêt réel de l’expéditeur à la livraison.
[...]
Article 11 — Valeur probante des documents
1 La lettre de transport aérien et le récépissé de marchandises font foi, jusqu’à preuve du contraire, de la conclusion du contrat, de la réception de la marchandise et des conditions du transport qui y figurent.
[...]
Article 23 — Conversion des unités monétaires
1 Les sommes indiquées en droits de tirage spéciaux dans la présente convention sont considérées comme se rapportant au droit de tirage spécial tel que défini par le Fonds monétaire international. La conversion de ces sommes en monnaies nationales s’effectuera, en cas d’instance judiciaire, suivant la valeur de ces monnaies en droit de tirage spécial à la date du jugement. La valeur, en droit de tirage spécial, d’une monnaie nationale d’un État partie qui est membre du Fonds monétaire international, est calculée selon la méthode d’évaluation appliquée par le Fonds monétaire international à la date du jugement pour ses propres opérations et transactions. La valeur, en droit de tirage spécial, d’une monnaie nationale d’un État partie qui n’est pas membre du Fonds monétaire international, est calculée de la façon déterminée par cet État.
[...]
Article 25 — Stipulation de limites
Un transporteur peut stipuler que le contrat de transport peut fixer des limites de responsabilité plus élevées que celles qui sont prévues dans la présente convention, ou ne comporter aucune limite de responsabilité.
Article 26 — Nullité des dispositions contractuelles
Toute clause tendant à exonérer le transporteur de sa responsabilité ou à établir une limite inférieure à celle qui est fixée dans la présente convention est nulle et de nul effet, mais la nullité de cette clause n’entraîne pas la nullité du contrat qui reste soumis aux dispositions de la présente convention.
Article 27 — Liberté de contracter
Rien dans la présente convention ne peut empêcher un transporteur de refuser la conclusion d’un contrat de transport, de renoncer aux moyens de défense qui lui sont donnés en vertu de la présente convention ou d’établir des conditions qui ne sont pas en contradiction avec les dispositions de la présente convention.
[...]
Article 29 — Principe des recours
Dans le transport de passagers, de bagages et de marchandises, toute action en dommages-intérêts, à quelque titre que ce soit, en vertu de la présente convention, en raison d’un contrat ou d’un acte illicite ou pour toute autre cause, ne peut être exercée que dans les conditions et limites de responsabilité prévues par la présente convention, sans préjudice de la détermination des personnes qui ont le droit d’agir et de leurs droits respectifs. Dans toute action de ce genre, on ne pourra pas obtenir de dommages-intérêts punitifs ou exemplaires ni de dommages à un titre autre que la réparation.
[46] Je fais observer que bien que le paragraphe 3 de l’article 22 ci-dessus fixe la limite de responsabilité du transporteur à 17 DTS par kilogramme, cette limite a été révisée pour passer à 22 DTS par kilogramme, conformément au processus de révision prévu à l’article 24, et cette nouvelle limite a pris effet le 28 décembre 2019. Les parties conviennent que la limite de 22 DTS par kilogramme est celle en vigueur.
Les questions en litige
[47] Selon moi, les questions en litige soulevées dans la requête ainsi que dans la requête incidente en l’espèce peuvent être formulées ainsi :
L’affaire peut-elle être tranchée par jugement sommaire?
Est-ce que la limite de responsabilité énoncée au paragraphe 3 de l’article 22 en ce qui concerne les pertes et l’avarie découlant du vol des cargaisons s’applique à Air Canada, en tant que transporteur, ou est-ce qu’il s’agit plutôt d’un cas visé par l’exception énoncée à ce même paragraphe qui permettrait à Brink’s de bénéficier d’une limite de responsabilité plus élevée? En ce qui concerne la majoration de la limite :
Est-ce que Brink’s a fait, au moment de la remise des cargaisons à Air Canada, une déclaration spéciale d’intérêt à la livraison?
Est-ce que Brink’s a payé une somme supplémentaire, au besoin?
Le jugement sommaire
[48] Brink’s soutient que les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles] régissant les jugements sommaires doivent recevoir une interprétation large et propice à la proportionnalité et à l’accès équitable à un règlement abordable, expéditif et juste des demandes (renvoyant à Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7 [Hryniak] aux para 4-5). De plus, le juge peut rendre un jugement sommaire si le processus lui permet de faire les constatations nécessaires quant aux faits et d’appliquer le droit aux faits de la cause (renvoyant à Graymar Equipment (2008) Inc c Cosco Pacific Shipping Ltd, 2018 CF 974 au para 16; Milano Pizza Ltd c 6034799 Canada Inc, 2018 CF 1112 aux para 33-40).
[49] Brink’s soutient en outre que, dans cette affaire, il n’y avait aucun litige quant à la question de savoir si une requête en jugement sommaire était indiquée. La question de savoir si les limites de responsabilité financières prévues au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention de Montréal s’appliquent à la demande d’indemnisation de Brink’s peut être tranchée sur le fondement du dossier de preuve dont la Cour dispose. Plus précisément, la Cour est en mesure de déterminer si Brink’s a fait une déclaration spéciale d’intérêt à la livraison et a payé une somme supplémentaire à l’égard des cargaisons; il s’agit là des seules questions à trancher dans le cadre des requêtes.
[50] Air Canada soutient que, suivant le paragraphe 215(1) des Règles, il n’existe pas de véritable question litigieuse si la demande est dénuée de fondement juridique compte tenu du droit ou de la preuve invoquée, ou si le juge dispose de la preuve nécessaire pour trancher justement et équitablement le litige (renvoyant à Canada c Bezan Cattle Corporation, 2023 CAF 95 au para 138). Air Canada soutient que les demandes d’indemnisation de Brink’s pour tous dommages excédant la limite de responsabilité prévue au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention de Montréal (22 DTS par kilogramme) ne sont pas fondées et que rien ne démontre que Brink’s a déclaré une valeur pour le transport, fait une déclaration spéciale d’intérêts ou payé une somme supplémentaire pour le transport des cargaisons. Étant donné qu’Air Canada a admis sa responsabilité stricte pour les dommages subis dans la mesure de la limite de responsabilité financière prévue au paragraphe 3 de l’article 22, il n’y a pas d’autre question litigieuse.
[51] À mon avis, il convient de trancher la présente affaire par jugement sommaire, conformément aux paragraphes 213(1) et 215(1) des Règles. Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Manitoba c Canada 2015 CAF 57 :
[15] Suivant le paragraphe 215(1) des Règles des Cours fédérales, s’il « n’existe pas de véritable question litigieuse », la Cour « rend » un jugement sommaire. Sur la question de l’« [a]bsence d’une véritable question litigieuse », la jurisprudence des Cours fédérales, qui doit tenir compte des objectifs d’équité, de célérité et de rentabilité énoncés à l’article 3 des Règles, est conforme aux valeurs et aux principes formulés dans l’arrêt Hryniak. Pour reprendre ce qui est dit dans l’arrêt Burns Bog Conservation Society c. Canada, 2014 CAF 170, il n’y a « pas de véritable question » s’il n’y a pas de « fondement juridique » à la demande compte tenu du droit ou de la preuve invoquée (aux paragraphes 35 et 36). Selon les termes employés dans l’arrêt Hryniak, il n’y aura pas de « question de ce genre » si la demande est dénuée de fondement juridique ou si le juge dispose de « la preuve nécessaire pour trancher justement et équitablement le litige » (au paragraphe 66). L’arrêt Hryniak fait également allusion à de « nouveaux pouvoirs » qui peuvent aider le juge à trancher ces questions (au paragraphe 44). Mais selon le libellé des Règles des Cours fédérales, ces pouvoirs n’interviennent qu’à une étape ultérieure de l’analyse prévue à l’article 216 des Règles.
[52] Autrement dit, il n’existe pas de véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès lorsque le juge saisi de la requête est en mesure de tirer les conclusions de fait nécessaires et d’appliquer les règles de droit aux faits et lorsque la procédure de jugement sommaire constitue un moyen proportionné, plus expéditif et moins coûteux d’arriver à un résultat juste (Patterned Concrete Mississauga Inc. c Bomanite Toronto Ltd, 2021 CF 314 au para 4, renvoyant à Hryniak, au para 49).
[53] En l’espèce, les questions soulevées par les deux parties constituent les deux côtés d’une même médaille. Elles reposent toutes sur la question de savoir si Brink’s a fait une déclaration spéciale d’intérêt à la livraison et a payé une somme supplémentaire, au besoin, au sens du paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention de Montréal. La question peut être tranchée en fonction des principes d’interprétation législative et du dossier de preuve dont la Cour dispose, notamment au moyen des affidavits présentés par les parties, des pièces qui y sont jointes et des transcriptions des contre-interrogatoires. La conclusion à laquelle la Cour parviendra sur cette question sera déterminante quant à l’issue de l’action puisque : l’exclusivité de la Convention de Montréal est admise par Brink’s; Air Canada a admis sa responsabilité stricte pour les dommages subis dans les limites de responsabilité applicables énoncées au paragraphe 3 de l’article 22; et le fait de trancher la question de savoir si Brink’s a fait une déclaration spéciale d’intérêts et a payé une somme supplémentaire permettra de déterminer la somme à payer par Air Canada.
[54] Par conséquent, la Cour doit déterminer si Brink’s peut démontrer qu’elle satisfait aux conditions pour déroger à la limite de responsabilité prévue au paragraphe 3 de l’article 22. Une fois que cette question aura été tranchée, il n’existera pas d’autre véritable question litigieuse.
Le paragraphe 3 de l’article 22 – Limites de responsabilité
A. La déclaration spéciale d’intérêt
La position de Brink’s
[55] Brink’s soutient que, suivant une interprétation juste du paragraphe 3 de l’article 22, la preuve dans cette affaire démontre qu’elle a fait une déclaration spéciale d’intérêt.
[56] Brink’s affirme que, parce que la Convention de Montréal est un traité international incorporé au droit canadien, le sens des mots utilisés au paragraphe 3 de l’article 22 doit être déterminé d’après la Convention de Vienne sur le droit des traités, RT Can 1980 no 37 [la Convention de Vienne] (renvoyant à Febles c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68 au para 11), et plus particulièrement le paragraphe 31(1) de cette convention. L’approche de l’interprétation des traités internationaux est semblable à l’approche nationale de l’interprétation législative, à l’exception du fait que, contrairement aux lois nationales, « les traités doivent être interprétés "de manière à appliquer les véritables intentions des parties" »
(renvoyant à Canada c Alta Energy Luxembourg S.A.R.L., 2021 CSC 49 au para 37). De plus, s’appuyant sur l’arrêt Thibodeau c Air Canada, 2014 CSC 67 [Thibodeau], Brink’s soutient que, compte tenu de l’objectif de la Convention de Montréal qui est d’assurer l’uniformité internationale, les tribunaux nationaux doivent porter une grande attention à la jurisprudence internationale et se montrer « particulièrement réticents à [s’]écarter du fort consensus international qui s’est progressivement établi sur son interprétation »
(Thibodeau, au para 50).
[57] Compte tenu de ce qui précède, et du fait que la Convention de Montréal ne définit pas l’expression « déclaration spéciale d’intérêt à la livraison »
, pas plus qu’elle n’en prescrit la forme, le point de départ de l’interprétation du paragraphe 3 de l’article 22 consiste à examiner le sens clair de son libellé, qui reflète ce que les parties à la convention ont convenu (renvoyant à Brink’s Limited v South African Airways, 93 F 1996d 1022 (93d CIR 3) à la p 1027 [South African Airways]).
[58] À cet égard, Brink’s fait valoir que la position d’Air Canada selon laquelle l’expéditeur doit déclarer la « valeur »
pécuniaire précise de la marchandise pour déroger aux limites de responsabilité prévues au paragraphe 3 de l’article 22 est incompatible avec le sens ordinaire du texte, qui fait référence à l’« intérêt » de l’expéditeur
et non à la valeur de la marchandise. Le terme « interest »
ne figurait pas dans la version anglaise de la Convention de Varsovie (« intérêt »
dans la version française), laquelle exigeait qu’un expéditeur fournisse « a special declaration of value at delivery ».
L’utilisation du terme «
interest »
dans la version anglaise de la Convention de Montréal (qui demeure « intérêt »
dans la version française) témoigne de l’intention des rédacteurs d’élargir la portée du paragraphe 3 de l’article 22. Brink’s s’appuie sur les définitions du dictionnaire pour étayer sa position selon laquelle les termes anglais « value » (valeur)
et « interest » (intérêt)
ont des sens différents.
[59] Brink’s mentionne également que le paragraphe 3 de l’article 22 précède le paragraphe 4 de l’article 22, une disposition qui traite de la conversion des DTS et dans laquelle le terme anglais « value »
est utilisé. Brink’s soutient que l’intention des rédacteurs ressort du choix de ne pas utiliser le terme anglais «
value »
au paragraphe 3 de l’article 22 et de ne pas restreindre le sens de l’expression « special declaration of interest »
lorsqu’ils ont choisi de remplacer le terme anglais « value »
par le terme anglais « interest »
.
[60] Brink’s reconnaît que la Convention de Montréal est [traduction] « un traité entièrement nouveau qui unifie et remplace le système de responsabilité découlant de la Convention de Varsovie »
(citant Ehrlich v American Airlines, Inc, 360 F 3d 366, (2d CIR 2004) à la p 371). Toutefois, elle soutient que bon nombre des dispositions de la Convention de Montréal sont tirées directement de la Convention de Varsovie et des nombreuses modifications qui y ont été apportées (renvoyant à Lavergne v ATIS Corp, 767 F Supp 2d 301 (RMR 2011) à la p 307). Ainsi, lorsqu’une formulation n’a pas été conservée et a été modifiée, les tribunaux ne doivent pas ignorer les révisions ainsi jugées nécessaires par les rédacteurs de la Convention de Montréal (renvoyant à Underwriters at Lloyds Subscribing to Cover Note B0753PC1308275000 v Expeditors Korea Ltd, 882 F 3d 1033 (11th Cir 2018) à la p 1045). Selon Brink’s, les rédacteurs de la Convention de Montréal comprenaient que le terme anglais « interest »
avait une signification différente du terme anglais « value »
, car autrement ils n’auraient pas changé le libellé anglais du paragraphe 3 de l’article 22. À l’appui de cette interprétation, Brink’s renvoie à l’arrêt Badar v Swissport USA, Inc, 53 F 4th 739 (2d CIR 2022) [Badar] à la p 747, dans lequel la Cour d’appel des États-Unis pour le deuxième circuit présente une interprétation semblable.
[61] Brink’s soutient également qu’Air Canada se fonde exclusivement sur l’ancien courant jurisprudentiel qui interprétait l’expression « special declaration of value »
et non l’expression « special declaration of interest »
énoncée au paragraphe 3 de l’article 22 de la version anglaise de la Convention de Montréal actuellement en vigueur. Brink’s affirme que ces affaires n’aident pas la Cour dans son exercice d’interprétation.
[62] De plus, selon Brink’s, le fait d’interpréter l’expression « déclaration spéciale d’intérêt »
de la manière étroite proposée par Air Canada minerait l’objet de la Convention de Montréal. Le préambule de la Convention de Montréal mentionne une considération supplémentaire qui ne figure pas dans la Convention de Varsovie, soit « l’importance d’assurer la protection des intérêts des consommateurs dans le transport aérien international et la nécessité d’une indemnisation équitable fondée sur le principe de réparation »
(renvoyant à International Air Transport Association c Office des transports du Canada, 2022 CAF 211 au para 96). Brink’s renvoie à des articles, à la jurisprudence américaine, aux discussions du Sénat américain ainsi qu’aux paragraphes 150 et 160 de l’arrêt Thibodeau pour appuyer sa position selon laquelle la Convention de Montréal marque le pas vers une transition visant à accroître la protection des consommateurs et des passagers, et le paragraphe 3 de l’article 22 doit être interprété dans ce contexte. Selon Brink’s, dans les circonstances, il serait incohérent de ne pas considérer une mention telle que [traduction] « UNE SUPERVISION SPÉCIALE EST DEMANDÉE POUR LE FRET AÉRIEN SÉCURISÉ DE BRINK’S : CARGAISON DE VALEUR »
, inscrite au recto des lettres de transport aérien des cargaisons d’or et de billets de banque, comme une « déclaration spéciale d’intérêt à la livraison »
.
[63] Brink’s fait également valoir que le paragraphe 3 de l’article 22 ne prévoit pas que la « déclaration spéciale d’intérêt »
doit expressément figurer au recto de la lettre de transport aérien. À cet égard, Brink’s affirme que non seulement la Convention de Montréal ne définit pas l’expression « déclaration spéciale d’intérêt à la livraison »
, mais aussi que rien dans le libellé du paragraphe 3 de l’article 22 n’indique la manière de documenter cette déclaration ou la forme particulière qu’elle doit prendre (renvoyant à Delta Air Lines, Inc. v Chimet, SpA, 619 F 3d 288 [Chimet] à la p 297; Durunna v Air Canada, 2013 ABPC 31 [Durunna] au para 69; Koliada v Lufthansa German Airlines, [2001] OJ No 2960 [Koliada] au para 8; Foord v United Air Lines Inc, 2006 ABPC 103 au para 38). Par conséquent, la position d’Air Canada selon laquelle, pour faire une « déclaration spéciale d’intérêt à la livraison »
, l’expéditeur doit déclarer expressément la valeur pécuniaire de la marchandise dans la case [traduction] « Valeur déclarée au départ »
de la lettre de transport aérien d’Air Canada n’est pas prescrite par le libellé du paragraphe 3 de l’article 22 et n’est pas fondée en droit. Brink’s soutient qu’aucun des jugements cités par Air Canada n’appuie sa position selon laquelle une valeur déclarée au départ est synonyme de déclaration spéciale d’intérêt à la livraison ou tient lieu de pareille déclaration. Au contraire, si les jugements cités mentionnent que la saisie d’une valeur pécuniaire dans la case relative à la valeur déclarée au départ d’une lettre de transport aérien constitue, selon l’expression anglaise, une « special declaration of value »
, aucun n’indique qu’il s’agit de la seule façon de faire une déclaration spéciale.
[64] Par exemple, dans l’affaire Chimet, la Cour d’appel des États-Unis pour le troisième circuit a fait observer que [traduction] « le libellé [de la Convention de Montréal] suggère que des éléments de preuve autres que la lettre de transport aérien peuvent être pris en considération »
pour déterminer s’il y a eu déclaration spéciale d’intérêt (à la p 299).
[65] Brink’s fait valoir que les tribunaux avaient reconnu bien avant l’entrée en vigueur de la Convention de Montréal que l’objet évident d’une déclaration spéciale était [traduction] « d’informer le transporteur du risque qu’il assume lorsqu’il transporte une cargaison de valeur et de lui permettre de prendre les mesures nécessaires pour réduire ce risque »
(renvoyant à Orlove v Philippine Air Lines, 257 F 2d 384 (2d CIR 1958) [Orlove] à la p 388). De plus, si l’on tient compte de cet objet conjointement avec l’expression « déclaration spéciale d’intérêt à la livraison »
, il est inconcevable de penser que la mention [traduction] « UNE SUPERVISION SPÉCIALE EST DEMANDÉE POUR LE FRET AÉRIEN SÉCURISÉ DE BRINK’S : CARGAISON DE VALEUR »
n’aurait pas pour effet de hausser les limites de responsabilité financières énoncées au paragraphe 3 de l’article 22.
[66] Brink’s soutient que la Convention de Montréal a préséance. Les articles 26 et 49 interdisent expressément aux transporteurs d’établir une limite de responsabilité inférieure à celle fixée par la convention. Toutefois, pour sa part, Air Canada soutient que les modalités figurant au verso de ses lettres de transport aérien pour les cargaisons d’or et de billets de banque [les conditions du contrat de transport d’Air Canada], les modalités tarifaires de transport international d’Air Canada [les tarifs de fret d’Air Canada] et le libellé de la résolution 600b de l’IATA, intitulée Air Waybill – Conditions of Contract [la résolution 600b de l’IATA], l’emportent sur le libellé de la Convention de Montréal.
[67] Il est stipulé dans les conditions du contrat de transport d’Air Canada (clause 2.2) que, dans la mesure où cela ne contredit pas les règles relatives à la responsabilité prévues dans la Convention de Varsovie ou la Convention de Montréal, le transport et les autres services connexes fournis par le transporteur sont assujettis aux lois et aux règlements gouvernementaux applicables, aux dispositions de la lettre de transport aérien, aux conditions de transport du transporteur et aux règlements tarifaires applicables du transporteur.
[68] La clause 6.1 des conditions du contrat de transport d’Air Canada stipule qu’« [e]n ce qui concerne le fret accepté pour le transport, la Convention de Varsovie et la Convention de Montréal autorisent l’expéditeur à majorer la limite de responsabilité en déclarant une valeur supérieure pour le transport et en payant des frais supplémentaires au besoin »
. Brink’s affirme que, selon l’interprétation du libellé par Air Canada, l’expéditeur serait tenu de déclarer la valeur des marchandises au recto de la lettre de transport aérien pour que les limites de responsabilité énoncées au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention de Montréal soient majorées. Toutefois, cette interprétation ne tient pas compte du fait que le libellé (c.-à-d. l’usage du terme « autorisent »
) est permissif et non impératif. Par conséquent, et contrairement aux observations d’Air Canada, rien dans les conditions du contrat de transport d’Air Canada n’indique que la valeur doit figurer au recto de la lettre de transport aérien pour que la clause 6.1 soit respectée. De plus, si on y trouvait pareille mention, les conditions du contrat de transport d’Air Canada seraient en conflit avec la Convention de Montréal, qui exige une déclaration spéciale d’intérêt à la livraison, et non une déclaration spéciale de valeur. Quoi qu’il en soit, Brink’s a déclaré la valeur pécuniaire des cargaisons lorsqu’elle a transmis les messages FHL à Air Canada. Brink’s a également fait une déclaration spéciale d’intérêt : en communiquant la valeur des cargaisons à Air Canada au moment de réserver le transport; en indiquant avoir besoin d’une supervision spéciale au recto des lettres de transport aérien des cargaisons d’or et de billets de banque; en indiquant qu’il s’agissait d’une cargaison « de valeur »
; et en ayant recours au service AC Sûreté.
[69] À l’instar des conditions du contrat d’Air Canada, Brink’s soutient que la disposition 37(E) des tarifs de fret d’Air Canada fait expressément référence à la Convention de Montréal et confirme que cette dernière doit avoir préséance en cas de conflit. La disposition 38(G)(A) des tarifs de fret d’Air Canada prévoit que [traduction] « [s]auf si l’expéditeur a fait une déclaration spéciale de valeur pour le transport et qu’il a payé la somme supplémentaire applicable,
la responsabilité du transporteur n’excède pas la limite prévue dans la convention applicable [...] ».
Toutefois, rien dans les tarifs de fret d’Air Canada ne prévoit que cette « valeur »
doit figurer au recto de la lettre de transport aérien. En fait, la disposition (G)(A) indique que [traduction] « si l’expéditeur a fait une déclaration spéciale de valeur pour le transport, il est convenu que toute responsabilité ne peut en aucun cas dépasser la valeur déclarée pour le transport indiquée au recto de la lettre de transport aérien ou dans le dossier d’expédition »
. Selon les tarifs de fret d’Air Canada, le « dossier d’expédition »
s’entend de [traduction] « tout dossier relatif au contrat de transport qui est conservé par le transporteur et qui est attesté par des moyens autres qu’une lettre de transport aérien ».
Brink’s soutient que les messages FHL mentionnaient la valeur des cargaisons, mais que cette information n’était pas requise, car tout ce que Brink’s devait faire pour bénéficier de l’exception prévue au paragraphe 3 de l’article 22 était de formuler une déclaration spéciale d’intérêt à la livraison. Dans la mesure où le libellé des tarifs de fret d’Air Canada reprend le « libellé archaïque »
de la Convention de Varsovie en ce qui concerne la déclaration spéciale, les dispositions de la Convention de Montréal s’appliquent puisque c’est cette dernière qui a préséance.
[70] Brink’s prétend également qu’Air Canada s’appuie à tort sur la clause 13 de ses tarifs de fret. Elle affirme que, d’après son analyse de ces dispositions, l’exigence énoncée dans les tarifs de fret d’Air Canada selon laquelle l’expéditeur doit faire une déclaration quant à la valeur de toutes les [traduction] « marchandises de valeur »
est « démentie par la réalité de la situation, à savoir qu’Air Canada accepte sciemment (et régulièrement) de transporter des
"marchandises de valeur
" par l’intermédiaire de son service AC Sûreté sans que la valeur réelle soit déclarée au recto de la lettre de transport aérien »
. Brink’s invoque le fait qu’Air Canada a accepté de transporter des [traduction] « marchandises de valeur »
à 24 reprises, documentées aux fins de la présente affaire, où aucune « valeur »
n’avait été déclarée au recto de la lettre de transport aérien. En contre-interrogatoire, M. Cosgrove a confirmé qu’il était coutumier pour Brink’s d’inscrire la mention [traduction] « S.V.D. » dans la case [traduction] « Valeur déclarée au départ »
de la lettre de transport aérien lorsqu’elle utilisait AC Sûreté. Selon Brink’s, Air Canada ne peut pas tenter maintenant d’appliquer rétroactivement une disposition de ses tarifs qu’elle a mise de côté à maintes reprises (renvoyant à la décision Williams Dental Co, Inc v Air Exp Intern, 824 F Supp 435 (SDNY 1993) à la p 442).
[71] En outre, Brink’s soutient que la résolution 600b de l’IATA reprend le même libellé que celui des conditions du contrat de transport d’Air Canada, y compris celui de la clause 2.2. Par conséquent, dans la mesure où la résolution 600b de l’IATA entre en conflit avec la Convention de Montréal en ce qu’elle permet à l’expéditeur d’augmenter la limite de la responsabilité en déclarant une valeur plus élevée (plutôt qu’un intérêt) pour le transport, le libellé de la Convention de Montréal doit prévaloir. Quoi qu’il en soit, bien qu’Air Canada s’appuie sur les normes établies dans la résolution 600b de l’IATA, il n’y a aucune obligation contractuelle exécutoire ni aucun précédent juridique qui l’oblige à respecter celles-ci.
[72] Compte tenu de ce qui précède, Brink’s soutient qu’il ne fait aucun doute qu’elle a fait une déclaration spéciale concernant son intérêt à l’égard des cargaisons. La réservation du service AC Sûreté pour l’envoi de marchandises constitue à elle seule une « déclaration spéciale »
. En choisissant un produit qui s’affiche comme reconnaissant que certains articles de grande valeur nécessitent une manutention spéciale, Brink’s a formulé une déclaration spéciale d’intérêt à l’endroit des cargaisons. La position contraire d’Air Canada est peu plausible et est incompatible tant avec le sens ordinaire du paragraphe 3 de l’article 22 qu’avec les objectifs globaux de la Convention de Montréal.
[73] Brink’s fait également valoir que la manière dont Air Canada répond à un expéditeur ayant choisi d’utiliser AC Sûreté confirme que le recours à ce service constitue une déclaration spéciale d’intérêt à la livraison. Brink’s fait référence à la preuve d’Air Canada selon laquelle chaque fois qu’un expéditeur sélectionne le service AC Sûreté, les codes de manutention spéciale « PRI »
(qui permet de désigner des [traduction] « envois prioritaires »
) et « VAL
» (qui permet de désigner l’envoi [traduction] d’« objets de valeur »)
sont automatiquement ajoutés à la lettre de transport aérien. Ces actions témoignent d’une compréhension mutuelle claire que, lorsqu’un expéditeur choisit de transporter des marchandises au moyen du service AC Sûreté, cet expéditeur fait une déclaration spéciale au sens du paragraphe 3 de l’article 22.
[74] En tout état de cause, une preuve abondante vient appuyer l’affirmation de Brink’s selon laquelle elle avait fait une déclaration spéciale d’intérêt à la livraison des cargaisons, notamment les éléments suivants :
Le code de manutention spéciale
« VAL »
figurant dans l’objet et le corps des courriels de confirmation de réservation pour les deux cargaisons;Les lettres de transport des deux cargaisons comportaient la mention de demande de service spécial suivante : [traduction]
« UNE SUPERVISION SPÉCIALE EST DEMANDÉE POUR LE FRET AÉRIEN SÉCURISÉ DE BRINK’S : CARGAISON DE VALEUR »
;Les messages FWB et FHL pour l’or indiquaient que la nature et la quantité des marchandises correspondaient à plus de 400 kg d’or, dont la valeur est aussi facile à déterminer que celle de toute monnaie;
Les listes des marchandises pour les deux cargaisons décrivaient la valeur pécuniaire des marchandises comme suit : i) [traduction] « OR-OR-OR-OR-OR-OR-OR-OR-OR-OR-OR-OR-O » d’une valeur de 13 612 696,75 CHF; et ii) [traduction] « Billets de banque » d’une valeur de 1 945 843 USD.
La position d’Air Canada
[75] Comme Brink’s, Air Canada fait valoir que, pour déterminer le sens du libellé des dispositions pertinentes de la Convention de Montréal, il faut recourir aux règles du droit international sur l’interprétation des traités telles qu’elles sont énoncées dans la Convention de Vienne et appliquées dans la jurisprudence des États membres.
[76] En ce qui concerne le texte de la Convention de Montréal et le contexte des mots qui y sont employés, Air Canada soutient que, contrairement à ce qu’affirme Brink’s, le libellé pertinent du paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention de Montréal correspond exactement à celui de la version française du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention de Varsovie, et à celui des versions authentiques anglaise, française et espagnole de l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 22 du Protocole de La Haye et de l’alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 22 du Protocole de Montréal no 4. Par conséquent, le mot «
interest »
au paragraphe 3 de l’article 22 de la version anglaise de la convention de Montréal n’a pas fait l’objet d’une modification, n’est pas nouveau et n’indique pas d’intention de la part des rédacteurs [traduction] « d’adopter une interprétation large du champ d’application de la convention en ce qui concerne la responsabilité en cas de perte de marchandises »
comme l’avance Brink’s. À l’appui de sa position, Air Canada dresse l’historique derrière l’adoption du libellé d’origine de la Convention de Varsovie, ainsi que des modifications qui y ont été apportées.
[77] Quant à la Convention de Montréal et à la Convention de Varsovie, Air Canada soutient que ces instruments ont pour objectif fondamental d’assurer la certitude et la prévisibilité (renvoyant à Thibodeau, au para 41; Morris v KLM Royal Dutch Airlines, [2002] UKHL 7, [2002] 2 AC 628 [KLM], au para 150). Par ailleurs, contrairement à ce qu’affirme Brink’s, l’objet de la Convention de Montréal diffère selon qu’il vise des marchandises ou des passagers et les consommateurs en général. Air Canada fait valoir que lors des travaux préparatoires à la rédaction de la Convention de Montréal, les parties ont traité de l’objet de la convention en ce qui a trait aux marchandises et ont confirmé qu’une déclaration de valeur est synonyme de déclaration d’intérêt. De plus, selon des sources secondaires, Brink’s n’a pas fait de déclaration spéciale d’intérêt.
[78] Air Canada soutient en outre que la valeur déclarée pour le transport est une déclaration spéciale d’intérêt au sens du paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention de Montréal.
[79] Le paragraphe 1 de l’article 11 de la Convention de Montréal dispose que la lettre de transport aérien fait foi de la conclusion du contrat, de la réception de la marchandise et des conditions de transport qui y figurent. Il est indiqué entre autres au recto des lettres de transport aérien des lingots d’or et des billets de banque que [traduction] « l’expéditeur peut augmenter la limite de responsabilité en déclarant une valeur plus élevée et en payant un supplément, au besoin »
. Les conditions du contrat de transport d’Air Canada et la résolution 600b de l’IATA, intégrée dans la résolution 672 intitulée Form of Multilateral E-Airwaybill Agreement [la résolution 672 de l’IATA], contiennent une disposition identique. Dans son affidavit, M. Grimmett indique que la LTAE de l’IATA est le modèle contractuel par défaut. En contre-interrogatoire, M. Grimmett a reconnu que le modèle contractuel « par défaut »
comprend les conditions du contrat de transport d’Air Canada. Air Canada soutient qu’il n’existe aucune preuve démontrant que les cargaisons n’ont pas été transportées conformément aux conditions de son contrat de transport ou, en tout état de cause, aux conditions de transport normalisées de l’IATA, qui sont identiques.
[80] Air Canada affirme que, aux termes de ses tarifs de fret qui sont intégrés dans les conditions de son contrat de transport, l’expéditeur doit faire une déclaration de valeur sur la lettre de transport aérien accompagnant chacune des cargaisons, ce qui la distingue de la déclaration de valeur en douane. Cette déclaration de valeur peut se traduire par la mention « sans valeur déclarée »
(S.V.D.
).
[81] Selon Air Canada, son contrat de transport et ses tarifs de fret, le sens ordinaire du libellé de la Convention de Montréal, ainsi que la jurisprudence des États parties à cet instrument et à la Convention de Varsovie, dans sa version modifiée, permettent tous de confirmer que la valeur déclarée pour le transport est analogue ou semblable à une déclaration spéciale d’intérêt à la livraison. À cet égard, Air Canada invoque l’arrêt United International Stables Ltd v Pacific Western Airlines Ltd, 1969 CanLII 827 (BCSC) [Pacific Western] aux pages 73‐75, renvoyant à l’arrêt Corocraft, Ltd v Pan American Airways Inc, [1969] 1 All ER 82, (Cour d’appel du Royaume‐Uni, Chambre civile) [Corocraft] à la page 84, au paragraphe C et à la décision Westminster Bank, Ltd v Imperial Airways, Ltd, [1936] 2 All ER 890 (Division du Banc du Roi du Royaume‐Uni) [Westminster Bank] aux pages 897‐898. (Air Canada invoque également les jugements Piano Remittance Corp v Varig Brazilian Airlines, Inc, 18 Avi 18,381 (SD NY, 1984) 18,383, conf par 755 F 2d 914 (2d Cir, 1985); Perera Co, Inc v Varig Brazilian Airlines, Inc, 19 Avi 17,810 (US 2nd Cir, 1985), à 17,811‐17,812; Plaza Recycling Company, Inc v British Airways, Inc, 19 Avi 17,385 (NY SC, 1985), à 17,385, conf par 19 Avi 18,422 (NY SC, 1986), à 18,422 et 18,424; Shawcross and Beaumont: Air Law
, LexisNexis, numéro 189, septembre 2024 [Shawcross et Beaumont], aux pp 980‐990).
[82] Air Canada fait valoir que c’est à tort que Brink’s s’appuie sur les décisions Durunna et Koliada, entre autres, puisque ces dernières n’ont aucune valeur jurisprudentielle, qu’elles se distinguent de l’espèce au motif qu’on n’y a pas tenu compte des circonstances concernant une partie avisée, et que, par ailleurs, l’affaire Koliada concernait des bagages enregistrés (et non une cargaison). De plus, Air Canada est d’avis que ces décisions sont erronées. De même, dans l’arrêt Chimet, la cour ne fait aucune distinction entre la déclaration spéciale de valeur et la déclaration spéciale d’intérêt. Cet arrêt n’est par ailleurs d’aucune utilité pour Brink’s, puisque la cour saisie de cette affaire n’avait pas jugé que les mentions indiquant une cargaison de valeur au recto de la lettre de transport aérien équivalaient à une déclaration spéciale d’intérêt. De plus, en l’espèce, outre les lettres de transport aérien des cargaisons d’or et des billets de banque, Brink’s n’a présenté aucune preuve qui indiquerait qu’elle a fait une déclaration spéciale d’intérêt.
[83] Par ailleurs, le fait de préciser la nature des marchandises ne constitue pas en soi une déclaration spéciale, et l’argument de Brink’s à cet égard n’est pas étayé par le sens ordinaire du libellé de la Convention de Montréal. Rien dans la Convention de Montréal, la Convention de Varsovie, les conditions du contrat de transport d’Air Canada, les tarifs de fret d’Air Canada ou la jurisprudence des tribunaux des États signataires des conventions ne vient appuyer l’argument de Brink’s. Cependant, Air Canada a invoqué des sources secondaires au soutien de sa position.
[84] Air Canada fait valoir que, aux termes de la convention de Montréal, Brink’s était responsable de l’exactitude des indications et déclarations concernant la marchandise inscrites par elle ou en son nom dans la lettre de transport aérien, ainsi que de celles fournies et faites par elle ou en son nom au transporteur. Comme les lettres de transport aérien font foi, jusqu’à preuve contraire, de la conclusion des contrats relatifs aux cargaisons, mais que ces lettres n’indiquaient aucune valeur déclarée pour le transport par Brink’s, il était loisible à cette dernière de présenter des éléments de preuve pour démontrer qu’elle avait déclaré une valeur. Toutefois, Brink’s a admis qu’elle n’avait aucun document ou renseignement attestant qu’elle avait fait une déclaration de valeur pour le transport auprès d’Air Canada. Selon les conditions du contrat de transport d’Air Canada et les tarifs de fret d’Air Canada Cargo, le transporteur doit avoir déclaré la valeur de l’envoi pour invoquer l’exception relative à la limitation de la responsabilité au titre du paragraphe 3 de l’article 22.
[85] En outre, la déclaration de la valeur en douane n’est pas une déclaration de valeur pour le transport ni une déclaration spéciale d’intérêt. Cette affirmation est conforme aux tarifs de fret d’Air Canada, aux obligations de Brink’s au titre du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention de Montréal et à la jurisprudence internationale concernant cette convention (et la Convention de Varsovie, dans sa version modifiée). Comme Brink’s n’a pas fait de déclaration de valeur pour le transport, l’analyse devrait s’arrêter là. Toutefois, et en tout état de cause, cette interprétation est étayée par le sens ordinaire du libellé de la Convention de Montréal et permet d’éviter un résultat irrégulier ou illogique. En effet, il est illogique pour un transporteur de payer une somme supplémentaire sans avoir déclaré une valeur pour le transport puisque cela revient à verser une somme pour absolument rien. Par ailleurs, une somme supplémentaire sera exigée si le transporteur a préalablement fait une déclaration de valeur, la somme étant tributaire de cette déclaration.
Analyse
i. Les principes d’interprétation
[86] Comme le soutiennent les parties, la Convention de Vienne énonce les règles d’interprétation des traités internationaux (Association du transport aérien international c Canada (Office des transports), 2024 CSC 30 [Association du transport aérien international] au para 39; Thibodeau, au para 35; Pushpanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 RCS 982 aux para 51‐52).
[87] Comme le fait observer la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Association du transport aérien international :
[39] La Convention de Vienne est le point de départ pour déterminer le champ d’application de la Convention de Montréal (voir Pushpanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, par. 51‐52; Thomson c. Thomson, [1994] 3 R.C.S. 551, p. 577‐78). L’article 31 de la Convention de Vienne précise que la Convention de Montréal, comme tous les traités, doit être interprétée « de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but ». Ou, comme l’a dit notre Cour, « [l]e point de départ de l’interprétation d’une disposition d’un traité consiste en l’examen du sens ordinaire de ses termes » (Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68, [2014] 3 R.C.S. 431, par. 16). La version anglaise de l’article 31 de la Convention de Vienne utilise le terme « ordinary meaning » et, dans la version anglaise de ses motifs dans l’arrêt Febles, notre Cour a employé l’expression « plain meaning ». En français, tant le texte de la Convention de Vienne que les motifs de la Cour dans Febles utilisent l’expression « sens ordinaire ». Je considère que ces expressions signifient la même chose, à savoir que l’analyse commence par l’examen des termes choisis par les États parties à la Convention de Montréal.
[88] L’article 32 de la Convention de Vienne est rédigé ainsi : « [i]l peut être fait appel à des moyens complémentaires d’interprétation, et notamment aux travaux préparatoires et aux circonstances dans lesquelles le traité a été conclu, en vue, soit de confirmer le sens résultant de l’application de l’article 31, soit de déterminer le sens lorsque l’interprétation donnée conformément à l’article 31 : a) laisse le sens ambigu ou obscur; ou b) conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable »
.
[89] Au paragraphe 11 de l’arrêt Deep Vein Thrombosis [2005] UKHL 72, la Chambre des lords a énoncé les principes d’interprétation applicables à l’article 17 de la Convention de Montréal :
[traduction]
1) le point de départ consiste à examiner le sens naturel du libellé de l’article 17, la version française prévalant en cas d’incompatibilité avec la version anglaise [...];
2) la convention doit être examinée dans son ensemble et faire l’objet d’une interprétation téléologique;
3) les termes de la convention ne doivent pas être interprétés suivant des principes de droit interne ou des règles d’interprétation nationales;
4) il convient, et il est souhaitable, de s’appuyer sur les décisions pertinentes rendues par les tribunaux d’autres États parties à la convention, mais le poids à accorder à ces décisions dépend de la juridiction et de la qualité de l’analyse.
[90] La Chambre des lords a ajouté que l’équilibre établi par la Convention de Montréal entre les intérêts des passagers et ceux des compagnies aériennes ne doit pas être déformé par une approche judiciaire en matière d’interprétation reposant sur le bien-fondé de l’affaire et que [traduction] « l’interprétation juridique n’est pas fallacieuse simplement parce qu’elle a des conséquences sévères »
(citant Husain v Olympic Airways (2004) 124 S Ct 1221, 1234; voir également King v Bristow Helicopters Ltd, [2002] UKHL 7; KLM, aux para 25‐82; Plourde c Service aérien FBO inc (Skyservice), 2007 QCCA 739 [Plourde] au para 51, renvoyant à Paul S Dempsey et Michael Milde, International Air Carrier Liability: The Montreal Convention of 1999, Montréal, Université McGill, 2005, à la p 47, qui présentent des principes semblables concernant l’interprétation des traités internationaux).
[91] Ainsi, la Convention de Vienne est le point de départ de l’interprétation du paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention de Montréal.
a) Le sens ordinaire
[92] Il y a deux occurrences du mot « intérêt »
au paragraphe 3 de l’article 22. La première occurrence figure dans le passage suivant : « [...] sauf déclaration spéciale d’intérêt à la livraison faite par l’expéditeur au moment de la remise du colis au transporteur et moyennant le paiement d’une somme supplémentaire éventuelle »
. Selon une interprétation littérale, le mot « intérêt »
dans cet extrait pourrait revêtir plusieurs sens. En effet, comme le souligne Brink’s, le mot « intérêt »
peut désigner une préoccupation ou une participation de nature juridique, un titre, un droit de propriété, un intérêt pécuniaire, un privilège, une immunité ou un avantage (selon les définitions du mot anglais «
interest »
dans les ouvrages Oxford Concise Dictionary, Black’s Law Dictionary, Merriam-Webster Dictionary et Cambridge Dictionary). Cependant, cette phrase, à elle seule, n’est pas particulièrement utile pour déterminer le sens du mot.
[93] À mon avis, le mot « intérêt »
dans la deuxième phrase du paragraphe 3 de l’article 22 a un sens restreint s’il est interprété littéralement. Ce passage dispose que, sauf déclaration spéciale d’intérêt à la livraison faite par l’expéditeur et moyennant le paiement d’une somme supplémentaire éventuelle, « le transporteur sera tenu de payer jusqu’à concurrence de la somme déclarée, à moins qu’il prouve qu’elle est supérieure à l’intérêt réel de l’expéditeur à la livraison »
. Il ressort de la simple lecture de cette phrase que l’« intérêt »
de l’expéditeur doit correspondre à la valeur pécuniaire déclarée de la marchandise, ou du moins l’inclure. En effet, ce passage du paragraphe 3 de l’article 22 prévoit un exercice comparatif entre « la somme déclarée »
et « l’intérêt réel »
de l’expéditeur afin de déterminer lequel est « supérieur »
aux fins de l’appréciation de la responsabilité du transporteur. Il serait impossible de réaliser cet exercice en l’absence d’une somme déclarée et si aucune valeur
pécuniaire n’était associée à « l’intérêt réel »
de l’expéditeur.
[94] Il est vrai que les mots « valeur »
et « intérêt »
(respectivement value et interest en anglais) ont des significations différentes. Selon le dictionnaire Merriam-Webster, le mot interest
désigne [traduction] « un droit, un titre ou une participation légale à l’égard d’une chose »
. D’après le Cambridge Dictionary, interest
désigne [traduction] « une participation ou un droit prévu par la loi, généralement à l’égard d’une activité commerciale ou de biens matériels »
. Le Black’s Law Dictionary définit le mot interest
comme étant [traduction] « une participation légale à l’égard d’une chose; tout ou partie d’une revendication ou d’un droit issu de la loi ou de l’equity relativement à un bien »
. En l’espèce, Brink’s n’était pas propriétaire des cargaisons. Elle a participé à leur transport en tant que transitaire ayant vraisemblablement passé un contrat avec les propriétaires des cargaisons en vue de leur livraison au destinataire. Cependant, l’intérêt de Brink’s est nécessairement lié à la valeur des cargaisons, comme en témoigne le fait qu’elle en a remboursé la valeur aux propriétaires.
[95] Brink’s fait en outre valoir que le sens du mot « valeur »
tel qu’il est employé dans d’autres articles de la Convention de Montréal est différent de celui du mot « intérêt »
tel qu’il figure au paragraphe 3 de l’article 22 de la convention. Elle attire notamment l’attention sur le paragraphe 4 de l’article 22 qui concerne la détermination de la limite de responsabilité du transporteur en cas d’avarie d’une partie des marchandises :
4 En cas de destruction, de perte, d’avarie ou de retard d’une partie des marchandises, ou de tout objet qui y est contenu, seul le poids total du ou des colis dont il s’agit est pris en considération pour déterminer la limite de responsabilité du transporteur. Toutefois, lorsque la destruction, la perte, l’avarie ou le retard d’une partie des marchandises, ou d’un objet qui y est contenu, affecte la valeur d’autres colis couverts par la même lettre de transport aérien ou par le même récépissé ou, en l’absence de ces documents, par les mêmes indications consignées par les autres moyens visés à l’article 4, paragraphe 2, le poids total de ces colis doit être pris en considération pour déterminer la limite de responsabilité.
[Non souligné dans l’original.]
[96] Le paragraphe 4 de l’article 22 applique la limite de responsabilité énoncée au paragraphe 3 de cette disposition aux situations d’avarie d’une partie des marchandises. La mention de la valeur d’autres colis n’est pertinente que dans la mesure où cette valeur est affectée par le dommage, auquel cas la responsabilité du transporteur s’étendra également à ces colis, conformément à la limite de responsabilité applicable à la somme des DTS par kilogramme prévue au paragraphe 3 de l’article 22. À mon avis, cette disposition n’est d’aucun secours à Brink’s, puisqu’il faut examiner en contexte l’utilisation des mots, comme celle liée au mot « valeur »
dans cette disposition. De plus, en pareil cas, la limite de responsabilité est en fin de compte liée au poids déclaré des colis/marchandises, et non à leur valeur.
[97] Brink’s fait également valoir que le fait de limiter la « déclaration spéciale d’intérêt »
à une somme pécuniaire est incompatible avec le sens ordinaire du texte. Cependant, et cet élément est très important à mon avis, même si une simple lecture du paragraphe 3 de l’article 22 donnait à penser que le mot « intérêt »
avait une signification plus large que la valeur déclarée, pour qu’une déclaration spéciale d’« intérêt »
ait un effet concret, et donc qu’elle appuie l’objet de la Convention de Montréal, elle doit désigner ou inclure la valeur pécuniaire des marchandises; c’est dans ces conditions que l’exception à la limite de la responsabilité du transporteur au titre de cette disposition s’appliquera.
[98] En effet, aux termes du paragraphe 3 de l’article 22, sauf déclaration spéciale faite par une partie, la responsabilité du transporteur est limitée à la somme de 17 DTS par kilogramme (ou à toute somme de DTS par kilogramme modifiée et en vigueur). Le montant de la valeur déclarée ou de toute autre valeur précise de la marchandise n’est pas requis aux fins de cette disposition. Il suffit d’indiquer le poids de la marchandise, qui doit figurer sur la lettre de transport aérien (alinéa c) de l’article 5 de la Convention de Montréal). Si une partie fait une déclaration spéciale (et paie une somme supplémentaire éventuelle), la responsabilité du transporteur n’est plus limitée à une somme établie en fonction du poids de la marchandise et est dorénavant fondée sur la « déclaration spéciale d’intérêt »
à la livraison à destination. Il sera donc tenu de payer « jusqu’à concurrence de la somme déclarée »
. Cette responsabilité majorée ne peut être évaluée que si la valeur pécuniaire de la marchandise a été déclarée. Autrement dit, le paragraphe 3 de l’article 22 donne la possibilité à l’expéditeur de bénéficier d’une limite de responsabilité correspondant à une somme supérieure. L’expéditeur peut, ou non, faire ce choix. Dans l’affirmative, l’expéditeur doit déclarer la valeur pécuniaire de la marchandise et payer une somme supplémentaire éventuelle pour pouvoir bénéficier de la limite majorée. Comme je l’explique plus loin, il n’est pas nécessaire que la valeur déclarée figure au recto de la lettre de transport aérien, mais la valeur pécuniaire de la marchandise doit être communiquée au transporteur pour que les limites majorées prévues au paragraphe 3 de l’article 22 s’appliquent. En outre, cette interprétation est conforme à l’objet de la Convention de Montréal.
[99] À mon avis, cet élément est déterminant. Toute autre conclusion conduirait à un résultat qui serait manifestement absurde ou déraisonnable (article 32 de la Convention de Vienne) ou à des « résultats anormaux »
, ce contre quoi l’arrêt Plourde (au paragraphe 51) mettait en garde. De plus, comme je l’explique également plus loin, une telle conclusion irait à l’encontre de l’objectif consistant à instaurer des règles uniformes applicables aux réclamations découlant du transport aérien (voir Shawcross et Beaumont, aux pp 980‐990).
[100] Comme le soutient Brink’s, si le libellé de la Convention de Montréal ne peut raisonnablement faire l’objet que d’une seule interprétation, alors la démarche interprétative par la cour s’arrête là (renvoyant à l’arrêt South African Airways, à la p 1027). À mon avis, tel est le cas en l’espèce.
[101] Toutefois, par souci d’exhaustivité, je poursuis l’analyse de l’interprétation des instruments législatifs.
b) Le but ou l’objet de la Convention de Montréal
[102] Dans l’arrêt Thibodeau, la Cour suprême a mentionné les nombreuses tentatives faites en vue de réviser la Convention de Varsovie, notamment le Protocole de Montréal no 4 et le Protocole de La Haye, qui ont finalement abouti à la Convention de Montréal (Thibodeau, au para 32). De plus, comme la Convention de Montréal avait notamment pour objet « de moderniser et de refondre la Convention de Varsovie et les instruments connexes »
(préambule de la Convention de Montréal) et comme les objets de la Convention de Varsovie et de la Convention de Montréal sont les mêmes, les décisions et commentaires concernant la Convention de Varsovie ont aidé à comprendre ces objets (Thibodeau, au para 31).
[103] Pour interpréter la Convention de Montréal, la Cour suprême dans l’arrêt Thibodeau a examiné l’historique et le but de la convention :
[41] La Convention de Varsovie (et par le fait même la Convention de Montréal qui lui a succédé) avait trois principaux objectifs : instaurer des règles uniformes applicables aux réclamations découlant du transport aérien international; protéger le secteur du transport aérien international en limitant la responsabilité du transporteur; et assurer l’équilibre entre cet objectif de protection et l’intérêt des passagers et des autres qui cherchent à obtenir réparation. Ces objectifs répondaient aux craintes que plusieurs régimes juridiques s’appliquent au transport aérien international, ce qui pourrait se traduire par une absence d’uniformité ou de prévisibilité quant à la responsabilité du transporteur ou aux droits des passagers et des autres utilisateurs du service. Tant les passagers que les transporteurs risquaient de subir les conséquences de ce manque d’uniformité. On croyait également que l’industrie naissante du transport aérien international avait besoin d’être protégée des litiges potentiellement ruineux entre plusieurs États et d’une responsabilité pratiquement illimitée.
[42] Comme le résume brièvement un texte, la Convention de Varsovie visait [traduction] « à éliminer plusieurs des conflits pouvant survenir dans le transport aérien international, à instaurer un système de documentation reconnu internationalement, à assujettir les réclamations à un délai de prescription, à résoudre les questions de compétence et, ce qui est peut-être le plus important, à imposer des limites très strictes à la responsabilité des transporteurs » : Fountain Court Chambers, Carriage by Air (2001), p. 3. Du point de vue des passagers et des expéditeurs, ces limites étaient contrebalancées par une inversion du fardeau de la preuve en leur faveur, de sorte que, dès lors que les dommages étaient prouvés, la faute du transporteur était présumée : ibid. Voir aussi Dempsey, p. 309‐310; Shawcross and Beaumont, p. VII-105 à VII-105A; A. Field, « International Air Carriage, The Montreal Convention and the Injuries for Which There is No Compensation » (2006), 12 Canta. L.R. 237, p. 239; L. Chassot, Les sources de la responsabilité du transporteur aérien international : entre conflit et complémentarité (2012), p. 45‐46.
[104] Dans l’arrêt Association du transport aérien international rendu ultérieurement, la Cour suprême a cité les paragraphes ci-dessus de l’arrêt Thibodeau au paragraphe 46 de ses motifs, puis s’est exprimée ainsi :
[48] Dans l’arrêt Thibodeau, la juge Abella, dissidente sur un autre point, s’est attardée plus longuement dans ses motifs sur l’historique et le but de la Convention de Montréal, hérités de la convention qui l’a précédée :
La Convention de Varsovie qui l’a précédée a vu le jour en 1929 pour aider l’industrie naissante du transport aérien à prendre son envol. À l’époque, la technologie de l’aviation en était à ses débuts. Les accidents étaient monnaie courante, et de nombreux pilotes et passagers y ont été blessés ou y ont trouvé la mort.
Les transporteurs aériens ont réagi en obligeant les passagers à signer des renonciations déchargeant les transporteurs de toute responsabilité en cas de préjudice. Lorsqu’un accident se produisait, les passagers en question ne pouvaient obtenir réparation pour les blessures ou les pertes qu’ils subissaient.
La Convention de Varsovie se voulait une tentative de protéger à la fois les transporteurs aériens et les passagers. Les transporteurs bénéficieraient de l’instauration d’un régime uniforme de responsabilité limitée qui les mettait à l’abri des risques financiers et de l’incertitude engendrée par les accidents, tandis que les passagers profiteraient de la possibilité d’obtenir une indemnité limitée au montant fixé d’avance en cas de décès ou de lésions — environ 8 300 $US par passager — et de l’interdiction pour les transporteurs d’obliger les passagers à les décharger de toute responsabilité. [...] [par. 151‐53]
Comme l’a expliqué la juge Abella, la reconnaissance croissante que les limites de responsabilité fixées par la Convention de Varsovie étaient trop basses, ainsi qu’une plus grande attention de la part des gouvernements pour un régime juridique davantage favorable aux passagers, ont donné lieu à des efforts à la pièce en vue d’élargir la responsabilité des transporteurs. Cela a conduit à des efforts de mise à jour de la Convention de Varsovie qui ont culminé par la Convention de Montréal de 1999. Par comparaison avec l’ancien accord,
les États parties à la Convention de Montréal se souciaient davantage de l’importance d’« assurer la protection des intérêts des consommateurs dans le transport aérien international et [de] la nécessité d’une indemnisation équitable fondée sur le principe de réparation » (Convention de Montréal, préambule; Ehrlich c. American Airlines, Inc., 360 F.3d 366 (2d Cir. 2004), p. 371 (note en bas de page 4)).
(Thibodeau, par. 159)
[105] À mesure que la sécurité s’améliorait dans le secteur, les gouvernements ont délaissé la protection de la viabilité financière des transporteurs aériens pour se pencher sur l’instauration d’un régime juridique plus favorable aux passagers. L’accent était désormais mis sur l’augmentation des limites exceptionnellement faibles de la responsabilité des transporteurs aériens établies dans la Convention de Varsovie. Divers protocoles ont ensuite été adoptés, puis les transporteurs ont conclu l’Accord de Montréal de 1966. Finalement, la Convention de Montréal a été ratifiée :
[159] La Convention de Montréal se voulait ainsi une solution de rechange au régime à la pièce qui visait à augmenter les limites de responsabilité établies par la Convention de Varsovie de 1929. Les rédacteurs de la Convention de Montréal ont maintenu un régime de responsabilité uniforme, semblable à celui de la Convention de Varsovie, mais alors que la Convention de Varsovie avait pour principal objectif de limiter la responsabilité des transporteurs afin de favoriser la croissance de l’industrie naissante de l’aviation civile, les États parties à la Convention de Montréal se souciaient davantage de l’importance d’« assurer la protection des intérêts des consommateurs dans le transport aérien international et [de] la nécessité d’une indemnisation équitable fondée sur le principe de réparation » (Convention de Montréal, préambule; Ehrlich c. American Airlines, Inc., 360 F.3d 366 (2d Cir. 2004), p. 371 (note en bas de page 4)).
(Thibodeau, au para 159)
[106] Bien que les arrêts Thibodeau et Association du transport aérien international concernaient tous deux des demandes d’indemnisation présentées par des passagers et que les États parties à la Convention de Montréal se souciaient davantage de renforcer les mesures de protection pour les passagers que de protéger l’industrie naissante du transport aérien (voir Weiss v El Isreal Airlines Ltd, 433 F Supp 2d 361, 365 (SDNY 2006) au para 6), la convention demeure fondée sur les objectifs généraux d’assurer l’équilibre entre les intérêts concurrents des transporteurs aériens et des utilisateurs de leurs services, et de garantir l’uniformité dans le traitement des réclamations découlant du transport aérien international (voir l’arrêt Thibodeau, au para 41). Il en est ainsi non seulement pour les demandes d’indemnisation de passagers, mais aussi pour les réclamations concernant des marchandises.
[107] Par conséquent, l’interprétation selon laquelle la « déclaration spéciale d’intérêt »
faite par l’expéditeur doit correspondre à la valeur pécuniaire de la marchandise, ou l’indiquer, appuie l’objectif de la Convention de Montréal du fait qu’elle assure l’équilibre entre les intérêts des transporteurs aériens et ceux des consommateurs. Plus précisément, les expéditeurs savent ainsi que les transporteurs sont strictement responsables de la perte de marchandises ou des dommages causés à celles-ci, et qu’ils peuvent demander réparation. En contrepartie, les transporteurs peuvent limiter leur responsabilité selon les conditions prévues au paragraphe 3 de l’article 22, comme convenu par les États signataires. L’interprétation ci-dessus favorise également l’uniformité dans le traitement et l’issue des demandes de réparation. En outre, elle permet aux transporteurs aériens de disposer des renseignements nécessaires au cas où l’expéditeur choisirait de hausser la limite et ainsi de prendre des mesures, comme l’imposition de tarifs de fret plus élevés, le versement d’une somme supplémentaire ou l’obligation pour l’expéditeur d’assurer la marchandise, pour se protéger en cas de majoration des limites de responsabilité. Elle aide aussi les transporteurs à démontrer, le cas échéant, qu’une « [somme] est supérieure à l’intérêt réel de l’expéditeur à la livraison »
(Convention de Montréal, au para 3 de l’art 22).
[108] Si la déclaration spéciale d’intérêt faite par l’expéditeur ne correspondait pas à la valeur pécuniaire de la marchandise, le transporteur ne serait pas en mesure de déterminer si une limite de responsabilité majorée s’applique au titre du paragraphe 3 de l’article 22, ce qui irait à l’encontre de l’objectif consistant à instaurer des règles uniformes applicables aux réclamations découlant du transport aérien.
c) Les travaux préparatoires et l’intention des rédacteurs
[109] Brink’s soutient que le mot « interest »
dans la version anglaise de la Convention de Montréal est nouveau, car il ne figurait pas dans la version anglaise de la Convention de Varsovie, qui exigeait que l’expéditeur fasse une « special declaration of the value at delivery » («
déclaration spéciale d’intérêt à la livraison » dans la version française) . Elle fait valoir que cette modification du libellé est très importante, puisqu’elle indique l’intention des rédacteurs d’élargir la portée du paragraphe 3 de l’article 22. Toutefois, Air Canada soutient que, comme les versions anglaises de la Convention de Varsovie et des protocoles d’amendement subséquents contiennent le mot « interest »
, l’utilisation de ce mot dans la version anglaise de la Convention de Montréal n’était pas nouvelle et ne témoignait pas d’une intention d’élargir la portée du paragraphe 3 de l’article 22.
[110] Je souscris à l’argument d’Air Canada sur ce point.
[111] La Convention de Varsovie a été rédigée en français à l’origine (Convention de Varsovie, art 36). La disposition pertinente de la Convention de Varsovie, dans sa version française originale, est reproduite à côté de sa version anglaise dans l’annexe I de la Loi sur le transport aérien et est libellée ainsi :
22 (2) Dans le transport de bagages enregistrés et de marchandises, la responsabilité du transporteur est limitée à la somme de deux cent cinquante francs par kilogramme, sauf déclaration spéciale d’intérêt à la livraison faite par l’expéditeur au moment de la remise du colis au transporteur et moyennant le paiement d’une taxe supplémentaire éventuelle. Dans ce cas, le transporteur sera tenu de payer jusqu’à concurrence de la somme déclarée, à moins qu’il ne prouve qu’elle est supérieure à l’intérêt réel de l’expéditeur à la livraison.
[Non souligné dans l’original.]
[112] L’expression « [d]éclaration spéciale d’intérêt à la livraison »
dans la version française se traduit par « special declaration of interest upon delivery »
dans la version anglaise. Cette formulation donne à penser que les rédacteurs de la version originale de la Convention de Varsovie avaient envisagé d’employer le mot «
interest »
, et non « value »
(ou « valeur »
en français).
[113] Air Canada fait en outre valoir que l’alinéa m) de l’article 8 de la Convention de Varsovie démontre qu’il n’existe aucune différence de sens entre les expressions « special declaration of value »
et « déclaration spéciale d’intérêt à la livraison »
. L’alinéa m) de l’article 8 est libellé ainsi :
Article 8
La lettre de transport aérien doit contenir les mentions suivantes :
[...]
m) le montant de la valeur déclarée conformément à l’article 22, alinéa (2);
[114] En français, les termes « the amount of the value declared in accordance with Article 22(2) »
sont rendus par « le montant de la valeur déclarée conformément à l’article 22, alinéa (2) »
. Air Canada soutient donc que les mots « interest »
et « value »
sont synonymes.
[115] Air Canada invoque également deux protocoles portant modification de la Convention de Varsovie, soit le Protocole de La Haye et le Protocole de Montréal no 4, figurant en annexe de la Loi sur le transport aérien.
[116] Le Protocole de La Haye a été rédigé en 1955 et est entré en vigueur au Canada en 1963 (Ludecke c Lignes aériennes Canadien Pacifique Ltée, [1979] 2 RCS 63 à la p 71). L’alinéa a) de l’article 22 du Protocole de La Haye est rédigé en ces termes :
Dans le transport de bagages enregistrés et de marchandises, la responsabilité du transporteur est limitée à la somme de deux cent cinquante francs par kilogramme, sauf déclaration spéciale d’intérêt à la livraison faite par l’expéditeur au moment de la remise du colis au transporteur et moyennant le paiement d’une taxe supplémentaire éventuelle. Dans ce cas, le transporteur sera tenu de payer jusqu’à concurrence de la somme déclarée, à moins qu’il ne prouve qu’elle est supérieure à l’intérêt réel de l’expéditeur à la livraison.
[Non souligné dans l’original.]
[117] De même, l’article VII du protocole no 4 de Montréal, rédigé en 1975 et entré en vigueur au Canada en 1998, a modifié l’article 22 de la Convention de Varsovie en supprimant les mots « et de marchandises »
au paragraphe 2 de l’article 22 et en y ajoutant le nouvel alinéa b) :
b) Dans le transport de marchandises, la responsabilité du transporteur est limitée à la somme de 17 Droits de Tirage spéciaux par kilogramme, sauf déclaration spéciale d’intérêt à la livraison faite par l’expéditeur au moment de la remise du colis au transporteur et moyennant le paiement d’une taxe supplémentaire éventuelle. Dans ce cas, le transporteur sera tenu de payer jusqu’à concurrence de la somme déclarée, à moins qu’il ne prouve qu’elle est supérieure à l’intérêt réel de l’expéditeur à la livraison.
[Non souligné dans l’original.]
[118] À cet égard, il convient de souligner que le Protocole de La Haye et le Protocole de Montréal no 4 indiquent qu’ils ont été rédigés en plusieurs « textes authentiques »
, dont une version anglaise, et que « [e]n cas de divergence, le texte en langue française, langue dans laquelle la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929 avait été rédigée, fera foi »
(Protocole de Montréal no 4, article XXV; Protocole de La Haye, article XXVII).
[119] Ainsi, alors que la version d’origine en anglais de la Convention de Varsovie comprend l’expression « special declaration of value »
, cette formulation a été modifiée par les deux protocoles d’amendement, dans lesquels figure l’expression « special declaration of interest »
. Les protocoles d’amendement sont conformes à la version d’origine en français de la Convention de Varsovie qui fait « foi »
, dans laquelle figurait le mot « intérêt »
, et non le mot « valeur »
. À mon avis, cet historique concernant la modification du libellé n’appuie pas la position de Brink’s selon laquelle les rédacteurs de la Convention de Montréal avaient l’intention d’élargir la portée du paragraphe 3 de l’article 22.
[120] En ce qui a trait aux travaux préparatoires, Air Canada renvoie la Cour au point 9 qui porte sur l’examen du projet de convention (qui est devenu la Convention de Montréal) de l’ordre du jour du procès-verbal de la cinquième séance du groupe « Les amis du Président »
tenue à Montréal le 20 mai 1999, lors de la Conférence internationale de droit aérien. Voici un extrait du procès-verbal de la séance concernant le contenu de ce qui allait plus tard devenir le paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention de Montréal :
[traduction]
En ce qui concerne le paragraphe 3, qui traite du transport de marchandises, il n’y a eu aucun changement à la suite des discussions, compte tenu des arguments présentés portant que le transport de marchandises concerne des parties qui sont bien avisées et capables de protéger leurs propres intérêts, qui ont la possibilité, en tout état de cause, de faire la déclaration spéciale d’intérêt mentionnée au paragraphe 3, et qui sont donc en mesure de contracter une assurance couvrant la valeur véritable des marchandises, selon leur estimation. Voilà pourquoi, à la lumière des arguments invoqués lors de discussions antérieures du groupe, aucune modification n’a été apportée à la somme.
[Non souligné dans l’original.]
[121] Cet extrait ne permet pas de répondre directement à la question de savoir ce que les rédacteurs entendaient par « déclaration spéciale d’intérêt »
et semble plutôt traiter de la raison pour laquelle la limite de la responsabilité relative aux marchandises (DTS par kilogramme) n’a pas été augmentée. Or, cette preuve est utile, car elle confirme que le mot « intérêt »
était utilisé dans les instruments précédant l’adoption de la Convention de Montréal et, élément important, que les rédacteurs avaient envisagé que les expéditeurs puissent se protéger jusqu’à concurrence de [traduction] « la valeur véritable des marchandises, selon leur estimation »
, en faisant une déclaration spéciale d’intérêt.
[122] De même, Air Canada mentionne le procès-verbal de la treizième séance de la Conférence internationale sur le droit aérien (Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international), tenue à Montréal du 10 au 28 mai 1999, pour souligner que les passagers et les marchandises font l’objet d’un traitement distinct :
[traduction]
11. L’article 21 A (Limites de responsabilité), qui traite de la quantification de la responsabilité pour les dommages causés par les délais ou découlant du transport de bagages et de marchandises, était le résultat d’un examen approfondi [...]. De même, en ce qui concerne les marchandises, la limite de 17 DTS avait été maintenue pour tenir compte de deux éléments, soit le fait que l’expéditeur a la possibilité de faire une déclaration spéciale et de payer une somme supplémentaire, de sorte que la responsabilité peut aller au-delà de cette somme et être couverte par une assurance, et les préoccupations exprimées lors de la Conférence, à savoir que, dans le cas de marchandises, il faut reconnaître que l’on a affaire à des expéditeurs avertis et à des personnes qui, de toute évidence, s’intéressent à ces aspects et sont davantage sur un pied d’égalité avec les transporteurs aériens que les passagers qui enregistrent leurs bagages. C’est dans ce contexte que le libellé actuel avait été élaboré.
[Non souligné dans l’original.]
[123] À mon avis, cet extrait confirme simplement que les rédacteurs de la Convention de Montréal savaient que les expéditeurs avaient la possibilité de faire une déclaration spéciale pour hausser la limite de responsabilité et que, comme les expéditeurs de marchandises étaient informés de cette option, il n’était pas nécessaire d’augmenter la limite de 17 DTS par kilogramme.
[124] Les travaux préparatoires invoqués par Air Canada ne sont pas particulièrement utiles aux fins de l’interprétation du paragraphe 3 de l’article 22, car ils ne traitent pas explicitement de ce que l’on entend en anglais par le terme «
special declaration of interest »
, par rapport au terme «
special declaration of value »
. Toutefois, comme je le mentionne plus haut, ces travaux préparatoires indiquent que les rédacteurs envisageaient que les expéditeurs puissent se protéger, c’est‐à‐dire protéger leur intérêt relatif aux marchandises jusqu’à concurrence de la valeur qu’ils leur attribuaient, en faisant une déclaration spéciale d’intérêt qui, à mon avis, se traduit nécessairement par une valeur pécuniaire.
[125] Cela dit, je fais également remarquer que les parties n’ont présenté à la Cour aucun ouvrage de doctrine, aucune jurisprudence, ni aucune autre source expliquant pourquoi le mot « value »
a été remplacé par le mot « interest »
dans la version anglaise du Protocole de La Haye, ou pourquoi le mot « interest »
est également utilisé dans la version anglaise du Protocole de Montréal no 4 et, en fin de compte, dans la Convention de Montréal. Les parties n’ont pas non plus présenté de source traitant explicitement des questions de savoir s’il existe une différence entre les expressions « special declaration of value »
et « special declaration of interest »
en anglais, et en quoi ceux-ci diffèrent. Cependant, étant donné que le changement de terminologie a pour effet d’aligner la version anglaise de la Convention de Varsovie sur sa version française, qui fait foi, et qu’il ne semble exister aucune jurisprudence ni aucun commentaire concernant ce changement au fil des quelque 60 années qui se sont écoulées depuis l’entrée en vigueur de la convention en 1955, la modification du libellé appuie le point de vue d’Air Canada selon lequel les termes sont synonymes ou, selon moi, qu’une déclaration spéciale d’intérêt doit nécessairement correspondre à la valeur pécuniaire déclarée de la marchandise en cause, ou l’indiquer.
d) La jurisprudence
[126] En outre, la jurisprudence soutient la position selon laquelle une déclaration spéciale d’intérêt correspond à la valeur pécuniaire de la marchandise en cause, ou l’indique.
[127] À cet égard, je fais observer que Brink’s invoque l’arrêt Badar pour étayer son point de vue selon lequel, en utilisant le terme « special declaration of interest »
dans la version anglaise du paragraphe 2 de l’article 22, les rédacteurs de la Convention de Montréal avaient l’intention d’élargir le sens de l’expression « special declaration of value »
.
[128] L’affaire Badar concernait la perte de la dépouille d’un défunt par une compagnie aérienne. Les demandeurs avaient fait valoir que le terme « marchandises »
n’était pas défini dans la Convention de Montréal et qu’il devrait être interprété de façon restreinte pour englober uniquement des [traduction] « produits commerciaux »
ou d’autres articles auxquels la société n’attachait pas une importance particulière, ce qui, selon eux, excluait donc les restes humains. La cour saisie de l’affaire n’était pas de cet avis, et elle a conclu que les demandes d’indemnisation des demandeurs étaient régies par la convention. Pour parvenir à cette conclusion, elle avait tenu compte des principes d’interprétation des traités, ainsi que de l’historique et de l’application de la Convention de Montréal. Elle a notamment jugé qu’une interprétation inclusive du terme «
cargo »
(ou « marchandises »
en français) était particulièrement appropriée pour les motifs suivants : d’une part, la version anglaise de l’article 1 de la Convention de Varsovie disposait que la convention s’appliquait aux « persons, luggage or goods »
(soit aux « personnes, bagages ou marchandises » selon la version française de la convention) et, d’autre part, les rédacteurs de la version anglaise de la Convention de Montréal [traduction] « utilis[ai]ent le terme "cargo" (dont le sens est, à tout le moins, plus large que celui de "goods"), ce qui donn[ait] à penser que le champ d’application de la Convention de Montréal à cet égard ne se limit[ait] pas aux marchandises commerciales »
. En outre, l’interprétation du terme anglais «
cargo »
de manière à inclure les restes humains était conforme à l’un des objectifs de la Convention de Montréal, soit l’uniformité. Exclure des éléments qui ne sont pas aisément assimilés à des marchandises porterait atteinte à cet objectif.
[129] Brink’s affirme que, suivant l’arrêt Badar, notre Cour peut tirer une conclusion concernant les modifications du libellé du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention de Varsovie et du paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention de Montréal, à savoir, plus particulièrement que les rédacteurs souhaitaient attribuer à l’expression « special declaration of interest »
une portée plus large qu’à l’expression « special declaration of the value »
et que, par conséquent, une déclaration de la valeur pécuniaire des marchandises n’est pas requise. Premièrement, je ne suis pas convaincue que l’arrêt Badar nous permette de tirer une conclusion sur l’interprétation d’une disposition et d’un mot différents. Deuxièmement, à mon avis, le fait que l’utilisation du mot « interest »
dans les instruments en anglais soit antérieure à la Convention de Montréal mine cet argument. Troisièmement, j’estime que toute intention des rédacteurs à cet égard ressortirait clairement des travaux préparatoires ou d’autres sources, ce qui n’est pas le cas. Enfin, si l’utilisation dans le texte anglais du mot « interest »
plutôt que du mot « value »
visait effectivement à élargir le sens, il ne s’ensuivrait pas logiquement qu’une « special declaration of interest »
exclurait ou n’inclurait pas une « special declaration of value »
. Comme je l’ai déjà mentionné, je ne suis pas convaincue que ce soit le cas, compte tenu du contexte. De plus, si l’on s’appuie sur l’arrêt Badar, il semble qu’une interprétation inclusive soit indiquée. En d’autres termes, si le mot « interest »
a une portée plus large, il devrait inclure le terme « declared value »
. Comme je l’ai mentionné dans les motifs qui précèdent, il ressort du sens ordinaire du paragraphe 3 de l’article 22 et de l’application concrète de cette disposition qu’une déclaration de la valeur pécuniaire des marchandises doit correspondre à la déclaration spéciale d’intérêt de l’expéditeur, ou l’inclure.
[130] Dans le même ordre d’idées, Brink’s invoque le paragraphe qui suit de l’opinion dissidente dans l’arrêt Thibodeau :
[160] Comme le montrent ces faits, il est à la fois paradoxal et anormal d’un point de vue historique de donner au changement de formulation entre l’article 24 de la Convention de Varsovie et l’article 29 de la Convention de Montréal une interprétation qui a pour effet de réduire la protection accordée aux consommateurs et d’accroître celle accordée aux transporteurs. Personne n’a prétendu à quelque moment que ce soit que la nouvelle convention visait à réduire la faculté des passagers de poursuivre les transporteurs.
[131] Dans l’arrêt Thibodeau, la Cour suprême du Canada a jugé qu’il n’existait aucune preuve indiquant que les États parties entendaient remplacer la portée exclusive, limitée à certains objets, de l’article 24 de la Convention de Varsovie par une règle universelle d’exclusivité à l’article 29 de la Convention de Montréal. En l’espèce, rien n’indique que, par l’utilisation de l’expression « special declaration of interest »
dans la version anglaise du Protocole de La Haye et, par la suite, l’utilisation de cette même expression anglaise au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention de Montréal, les rédacteurs avaient l’intention d’étendre la portée de ce qui était visé au départ par l’expression « special declaration of value »
. En outre, il convient de répéter que, si Brink’s affirme que l’utilisation du mot « interest »
élargit la portée de la déclaration spéciale, elle cherche également à faire valoir que cette dernière n’oblige pas l’expéditeur à déclarer la valeur pécuniaire des marchandises afin de se prévaloir de la limite de responsabilité majorée. J’ai quelques difficultés à accepter cette interprétation à la fois extensive et restrictive.
[132] Brink’s invoque également la décision Koliada, rendue par la Cour des petites créances de la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Dans cette affaire, le passager demandeur avait informé un représentant de la compagnie aérienne que ses bagages contenaient un ordinateur portable d’une valeur de 3 000 $, un appareil photo d’une valeur de 600 $ et un habit d’une valeur de 600 $. Comme il était préoccupé par la sécurité en soute de ces biens personnels, il a demandé s’il devait payer un supplément et on lui a répondu que ce n’était pas nécessaire. À son arrivée, le demandeur a constaté que ses biens avaient disparu. La compagnie aérienne a fait valoir que sa responsabilité était limitée au titre de l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention de Varsovie. La Cour a jugé que, comme la Convention de Varsovie n’impose aucune forme particulière de déclaration de la valeur, la déclaration faite de vive voix par le demandeur au sujet de la valeur des marchandises était suffisante. De plus, le paiement d’une somme supplémentaire est facultatif et dépend de la demande du transporteur. Dans cette affaire, la compagnie aérienne n’avait demandé aucun supplément, même après que son représentant avait été informé par le demandeur de la valeur de chaque objet. La cour a conclu que le demandeur avait satisfait aux exigences d’exclusion figurant à l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 22, et qu’il pouvait donc bénéficier d’une limite de responsabilité plus élevée.
[133] Je fais tout d’abord remarquer que la décision Koliada a été rendue en 2001. La Cour des petites créances devait trancher la question de savoir si le demandeur avait respecté l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 22 de l’annexe III de la Loi sur le transport aérien. L’annexe III reprend le Protocole de La Haye, dont voici un extrait : « [...] sauf déclaration spéciale d’intérêt à la livraison faite par l’expéditeur au moment de la remise du colis au transporteur et moyennant le paiement d’une somme supplémentaire éventuelle »
. Cependant, dans la décision Koliada, la Cour des petites créances a déclaré que le paragraphe 2 de l’article 22 impose une limite à la responsabilité du transporteur et que celui-ci ne peut [traduction] « être responsable que pour un nombre précis de francs par kilogramme, à moins que le passager déclare une valeur pour les biens qu’il confie au transporteur et paie des frais sur demande »
(non souligné dans l’original). Ainsi, dans cette décision, la Cour des petites créances semble considérer la [traduction] « déclaration spéciale d’intérêt »
exigée comme étant une déclaration de la valeur pécuniaire du bien.
[134] Brink’s s’appuie également sur la décision Durunna, qui examine la décision Koliada. Dans cette analyse, la Cour provinciale de l’Alberta a déclaré que [traduction] « [l]e juge suppléant [dans la décision Koliada] a[vait] fait observer que, aux fins de l’application de l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention de Varsovie, pour déterminer si une "déclaration spéciale" a été faite, une [...] "déclaration de la valeur faite de vive voix suffit" »
et qu’il ressortait clairement des commentaires du juge suppléant que [traduction] « ce qui était déterminant était la déclaration de la valeur »
(Durunna, au para 71, non souligné dans l’original).
[135] Les décisions Koliada et Durunna ne lient pas notre Cour. En outre, Shawcross et Beaumont affirment, et je suis du même avis, que la décision Durunna est erronée pour d’autres raisons (à la p 994, note 3). Toutefois, il convient de souligner que ces deux affaires traitent la « déclaration spéciale d’intérêt »
exigée comme s’il s’agissait d’une déclaration de la valeur pécuniaire du bien.
[136] Je fais également remarquer que ce qui était en cause dans l’affaire Koliada était une réclamation visant des bagages présentée par un seul passager. Bien que la Cour des petites créances ait conclu que la déclaration de vive voix du demandeur, qui portait sur la valeur des marchandises, était suffisante, il est très peu probable que cette conclusion s’applique dans le contexte d’une demande qui est liée à des marchandises et qui met en cause des parties averties.
[137] L’affaire Chimet se rapproche beaucoup plus de l’espèce sur le plan factuel. Dans cette affaire, la lettre de transport en question ne comportait aucune référence explicite à une valeur déclarée et la cour devait trancher la question de savoir comment la valeur d’une marchandise pouvait par ailleurs être déclarée.
[138] Dans l’affaire Chimet, l’expéditeur cherchait à transporter une cargaison d’environ 100 kilogrammes de platine pur, qui avait été volée avant d’atteindre sa destination. Delta Air Lines, le transporteur, a cherché à limiter sa responsabilité pour la perte au titre du paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention de Montréal. Le litige portait sur la question de savoir si Chimet avait déclaré une valeur plus élevée lors de l’expédition des marchandises. Deux documents étaient en cause : la lettre de transport aérien imprimée sur un formulaire standard de l’IATA et un récépissé de livraison. La lettre de transport aérien comprenait des champs qui, selon la cour, [traduction] « sembl[aient] avoir été conçus pour permettre à l’expéditeur d’inscrire des valeurs pour les marchandises »
(Chimet, à la p 292). Sur la lettre de transport, les lettres [traduction] « NVD »
(No Value Declared, qui signifie « aucune valeur déclarée »
) étaient inscrites dans le champ intitulé [traduction] « Valeur déclarée pour le transport »
. La lettre de transport comportait également plusieurs entrées qui semblaient détailler le contenu de la cargaison. Dans le champ intitulé [traduction] « Nature et quantité des marchandises (avec dimensions ou volume) »
de la lettre de transport, il était inscrit [traduction] « PLATINE PUR »
(Chimet, à la p 292), après quoi figurait la mention suivante :
[traduction]
VAL VAL VAL VAL
LE TRANSPORT FINAL DE L’AÉROPORT À L’ADRESSE DU DESTINATAIRE DOIT ÊTRE EFFECTUÉ PAR DES COURTIERS EN DOUANE OU DES MESSAGERS SPÉCIALISÉS DANS L’ACHEMINEMENT DE MARCHANDISES DE VALEUR
[139] Au verso de la lettre de transport aérien se trouvait un avis mentionnant que, conformément à la Convention de Varsovie, [traduction] « la responsabilité du transporteur [était] limitée en cas de perte, à moins qu’une valeur plus élevée ne soit déclarée à l’avance et qu’un supplément ne soit payé, le cas échéant »
(Chimet, à la p 293). Les modalités du contrat comprenaient la clause suivante :
[traduction]
5. Si la somme inscrite au recto de la lettre de transport aérien en tant que « Valeur déclarée pour le transport » représente un montant supérieur aux limites de responsabilité applicables mentionnées dans l’avis ci-dessus et dans les présentes modalités et si l’expéditeur a payé tout supplément pouvant être exigé par les tarifs, les conditions de transport ou les règlements du transporteur, cela constitue une déclaration spéciale de valeur et, dans ce cas, la limite de responsabilité du transporteur correspond à la somme ainsi déclarée.
[140] Le récépissé de livraison mentionnait le numéro de la lettre de transport aérien, le poids de la cargaison, la destination et le transporteur. Il comprenait également une entrée où était inscrit le chiffre [traduction] « 3 050 000 EUR »
(Chimet, à la p 293).
[141] La Cour d’appel des États-Unis pour le troisième circuit a mentionné que le paragraphe 3 de l’article 22 ne précise pas comment la [traduction] « déclaration spéciale d’intérêt »
doit être documentée, mais qu’il exige la transmission d’un document (généralement une lettre de transport aérien) pour l’enregistrement des indications relatives au transport (renvoyant aux paragraphes 1 et 2 de l’article 4, au paragraphe 4 de l’article 7, aux paragraphes 1 et 2 de l’article 10 et au paragraphe 1 de l’article 11) (Chimet, à la p 297). Cette cour a fait observer que la Convention de Montréal désigne la lettre de transport aérien et le récépissé de marchandises comme les principaux moyens d’enregistrer les conditions de transport. La Convention de Montréal prévoit également que l’expéditeur est responsable de la création de la lettre de transport aérien (paragraphe 1 de l’article 7), de l’exactitude de cette lettre et de tout dommage causé par des inexactitudes dans celle-ci (article 10) (Chimet, à la p 298). En ce qui concerne l’argument de Delta Air Lines selon lequel Chimet ne s’était pas acquittée de sa responsabilité de faire « une déclaration spéciale d’intérêt »
au titre du paragraphe 3 de l’article 22, la cour fait remarquer ce qui suit à la page 298 de ses motifs :
[traduction]
Nous partageons l’opinion selon laquelle Chimet n’a pas indiqué dans la lettre de transport qu’elle a fait une déclaration spéciale d’intérêt ou qu’elle a payé une somme supplémentaire. La lettre de transport ne mentionne pas expressément de valeur déclarée, et Chimet était responsable de créer cette lettre et d’en vérifier l’exactitude. Nous souscrivons également à l’affirmation générale de Delta selon laquelle la lettre de transport aérien constitue habituellement le principal moyen pour documenter les conditions de transport. Nous ne sommes toutefois pas d’avis que le présent litige puisse être tranché de manière définitive en examinant uniquement la lettre de transport aérien.
[Non souligné dans l’original.]
[142] De plus, malgré le fait qu’elle ne souscrivait pas à la suggestion de Chimet selon laquelle le récépissé de livraison servait de [traduction] « récépissé de marchandises »
« fai[sant] foi, jusqu’à preuve du contraire »
de la valeur déclarée au titre de l’article 11 de la Convention de Montréal, la Cour d’appel des États-Unis a conclu que la preuve documentaire dans le dossier dont elle disposait ne permettait pas de trancher le litige de manière définitive :
[traduction]
Aucune disposition de la Convention de Montréal n’exclut la prise en compte d’éléments de preuve extrinsèques pour déterminer les modalités du contrat de transport. Au contraire, le libellé de la Convention donne à penser que d’autres éléments de preuve que la lettre de transport aérien peuvent être pris en considération. Si la Convention désigne la lettre de transport aérien comme la méthode par défaut pour constater des « indications relatives au transport », elle envisage également la possibilité d’employer « tout autre moyen » pour constater de telles indications. Paragraphe 2 de l’article 4; voir également le paragraphe 1 de l’article 10 (faisant référence aux « données enregistrées par les autres moyens prévus au paragraphe 2 de l’article 4 »); paragraphe 3 de l’article 10 (idem). En outre, l’article 11 prévoit simplement que « [l]a lettre de transport aérien et le récépissé de marchandises font foi, jusqu’à preuve du contraire, de la conclusion du contrat, de la réception de la marchandise et des conditions du transport qui y figurent ». Paragraphe 1 de l’article 11. Les termes choisis — par opposition à des mots plus explicites comme « concluante » ou « complète » — prévoit clairement la possibilité que la lettre de transport aérien ou le récépissé de marchandises puissent être réfutés par d’autres éléments de preuve. Voir le Black’s Law Dictionary (8e édition, 2004) (qui définit prima facie evidence (« font foi, jusqu’à preuve du contraire » dans la version française) comme étant une « [p]reuve qui établit un fait ou qui confirme un jugement, à moins qu’une preuve contraire soit produite » [non en italique dans l’original]). Le récépissé de livraison fournit au moins quelques éléments de preuve permettant de réfuter la position de Delta selon laquelle aucune valeur supplémentaire n’a été déclarée. Compte tenu de la divergence apparente entre la lettre de transport et le récépissé de livraison, ainsi que des incohérences potentielles dans la lettre de transport elle-même, la Cour de district n’a pas commis d’erreur en tenant compte de la capacité des parties à recueillir des éléments de preuve supplémentaires sur cette question en litige.
(Chimet, à la p 299)
[143] En fin de compte, la Cour d’appel des États-Unis a conclu que les éléments de preuve dont Chimet avait besoin pour établir si une valeur avait été déclarée ne pouvaient être obtenus qu’en Italie, et a donc confirmé le rejet de l’action pour cause de forum non conveniens.
[144] À mon avis, l’arrêt Chimet est important dans la présente affaire parce que, en ce qui concerne le paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention de Montréal, la Cour d’appel des États-Unis a explicitement conclu que Chimet n’avait pas indiqué dans la lettre de transport qu’elle avait fait une déclaration spéciale d’intérêt ou payé une somme supplémentaire. En effet, la lettre de transport ne mentionnait pas expressément de valeur déclarée. À mon avis, cette conclusion vient confirmer le fait que, aux fins du paragraphe 3 de l’article 22, une déclaration d’intérêt doit correspondre à la valeur pécuniaire des marchandises, ou l’indiquer. Or, cette déclaration peut éventuellement être faite ailleurs qu’au recto d’une lettre de transport aérien.
[145] Brink’s invoque également l’arrêt Pacific Western. Dans cette affaire, la Cour suprême de la Colombie-Britannique [la CSCB] a fait remarquer que le paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention de Varsovie est libellé ainsi : « [...] sauf déclaration spéciale d’intérêt à la livraison faite par l’expéditeur au moment de la remise du colis au transporteur et moyennant le paiement d’une taxe supplémentaire éventuelle »
. Ce passage a été [traduction] « quelque peu modifié »
dans le Protocole de La Haye : « [...] sauf déclaration spéciale d’intérêt à la livraison faite par l’expéditeur au moment de la remise du colis au transporteur et moyennant le paiement d’une somme supplémentaire éventuelle »
. Dans l’affaire Pacific Western, le transporteur défendeur avait fait valoir que la demanderesse n’avait pas eu l’intention de faire de déclaration spéciale et qu’elle ne semblait pas en avoir fait une. Cependant, au recto de la lettre de transport aérien, la valeur déclarée par les expéditeurs pour le transport était de 68 000 $. De plus, dans cette affaire, la lettre de transport aérien prévoyait expressément que l’inscription d’une somme de 68 000 $ constituait une déclaration spéciale de valeur. L’alinéa d) de l’article 2 des modalités du contrat prévoyait ce qui suit :
[traduction]
2d) Dans les cas de transport assujetti à la Convention, l’expéditeur reconnaît qu’il a eu l’occasion de faire une déclaration spéciale de la valeur des marchandises à la livraison et que la somme inscrite au recto de la lettre de transport aérien sous le champ « Valeur déclarée par l’expéditeur — Pour le transport », si elle est supérieure à 250 francs-or français (soit 65 milligrammes et demi d’or d’un degré d’affinage de 900 millièmes) ou à leur équivalent par kilogramme, constitue une telle déclaration spéciale de la valeur.
[146] La CSCB s’est exprimée ainsi :
[traduction]
L’importance de cette mention dans la lettre de transport aérien a été commentée par Lord Denning, maître des rôles, à la page 84 de l’arrêt Corocraft Ltd. et al v. Pan Amer. Airways, Inc. :Il est important de noter que les expéditeurs n’ont déclaré aucune valeur aux fins de transport. Ils ont inscrit sur la lettre de transport (ou la note d’expédition) les lettres « NVD », qui signifient « aucune valeur déclarée ». S’ils avaient déclaré la valeur de la cargaison pour le transport et payé une somme supplémentaire, ils auraient eu le droit (en cas de perte par la faute de la défenderesse) de récupérer la valeur totale de 1 194 livres, 13 shillings et 8 pence. Compte tenu de cette omission (à savoir ne pas avoir déclaré la valeur à des fins de transport ni payé une somme supplémentaire), la défenderesse avait une responsabilité très limitée.
L’arrêt Westminster Bank, Ltd. v. Imperial Airways, Ltd., [1936] 2 All E.R. 890, accorde une importance similaire à pareille inscription sur la lettre de transport aérien.
La déclaration spéciale figurant au recto de la lettre de transport aérien n’est pas ambiguë et ne doit pas être écartée ou traitée comme autre chose qu’une déclaration spéciale.
[147] Les jugements cités par la CSCB (Corocroft et Westminster Bank) concernent la Convention de Varsovie et non la Convention de Montréal. Or, l’arrêt Pacific Western portait sur le libellé du Protocole de La Haye, qui est le même que celui du paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention de Montréal. Dans cet arrêt, il a été conclu que selon cette disposition, un expéditeur qui fait une déclaration spéciale d’intérêt ne peut se prévaloir de limites de responsabilité plus élevées s’il n’a pas déclaré la valeur pécuniaire de la cargaison. Par ailleurs, s’il fait pareille déclaration de valeur pour le transport, celle-ci peut être considérée comme une « déclaration spéciale d’intérêt »
au titre de la Convention de Montréal.
[148] Peu importe si, comme le soutient Air Canada, l’arrêt Pacific Western établit le principe selon lequel [traduction] « une valeur déclarée pour le transport constitue une déclaration spéciale d’intérêt à la livraison »
, à mon avis, il ressort de cet arrêt qu’une déclaration spéciale d’intérêt doit désigner ou inclure une déclaration de la valeur pécuniaire des marchandises si l’expéditeur cherche à se prévaloir de limites de responsabilité majorées.
[149] À cet égard, Brink’s fait valoir qu’il serait erroné de donner au paragraphe 3 de l’article 22 une interprétation
qui inclurait le mot [traduction] « valeur »
. Toutefois, la jurisprudence, y compris les arrêts Chimet et Pacific Western, n’étaye pas ce point de vue. En outre, à mon avis et comme je le mentionne plus haut, la déclaration spéciale d’intérêt prévue au paragraphe 3 de l’article 22 doit, dans la pratique, désigner ou inclure une déclaration de la valeur pécuniaire des marchandises si l’expéditeur cherche à se prévaloir de limites de responsabilité plus élevées. S’il n’y a pas de déclaration de valeur sur la lettre de transport aérien ou si d’autres éléments de preuve n’établissent pas cette valeur, le transporteur est exposé à une responsabilité inconnue. Une telle situation va à l’encontre de l’objet de la Convention de Montréal.
ii. Comment la valeur doit-elle être déclarée?
[150] Brink’s fait également valoir qu’en tout état de cause, la Convention de Montréal n’exige pas que l’expéditeur indique la valeur des marchandises sur la lettre de transport aérien et, qu’ en l’espèce, elle a fourni d’autres éléments de preuve montrant la valeur des marchandises, ce qui lui donne le droit de se prévaloir de limites de responsabilité plus élevées.
[151] Comme le soutient Brink’s, l’article 8 de la version d’origine de la Convention de Varsovie énumère les renseignements que les lettres de transport aérien doivent contenir. Selon l’alinéa m) de l’article 8, elle doit inclure « le montant de la valeur déclarée conformément à l’article 22, alinéa (2) »
.
[152] L’article 8 a été supprimé dans le Protocole de La Haye et a été remplacé par une liste d’exigences plus courte qui n’incluait pas le poids des marchandises ou leur valeur déclarée. Dans le Protocole de Montréal no 4, l’article 8 du Protocole de La Haye a été supprimé et remplacé par un libellé différent, qui comprend « la mention du poids de l’expédition »
. La valeur des marchandises n’est pas requise. L’alinéa c) de l’article 5 de la Convention de Montréal, qui concerne le contenu des lettres de transport aérien ou des récépissés de marchandises, exige également une indication du poids de l’expédition, mais n’exige pas que l’expéditeur indique la valeur des marchandises sur la lettre de transport aérien. Le paragraphe 1 de l’article 11 de la Convention de Montréal dispose que la lettre de transport aérien ou le récépissé de marchandises fait foi, jusqu’à preuve du contraire, de la conclusion du contrat, de la réception de la marchandise et des conditions du transport qui y figurent. Le paragraphe 2 de l’article 11 prévoit que les énonciations de la lettre de transport aérien et du récépissé de marchandises, relatives au poids, aux dimensions et à l’emballage de la marchandise ainsi qu’au nombre des colis, font foi jusqu’à preuve du contraire.
[153] Brink’s soutient, et Air Canada reconnaît, que la valeur des marchandises ne doit pas nécessairement être indiquée au recto de la lettre de transport aérien, car le paragraphe 3 de l’article 22 ne le prescrit pas (voir aussi Durunna, au para 69; Shawcross et Beaumont, aux p 980-990; Chimet, à la p 299; Koliada, au para 8). Toutefois, les deux parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si, en l’espèce, Brink’s a présenté des éléments de preuve établissant la valeur des cargaisons, de sorte qu’elle pourrait se prévaloir de limites de responsabilité majorées.
[154] Brink’s fait valoir que les éléments de preuve établissant qu’elle a fait une [traduction] « déclaration spéciale d’intérêt » sont les suivants : elle a choisi de transporter les cargaisons par l’intermédiaire d’AC Sûreté, au moyen [traduction] « [d’]un produit qui s’affiche comme reconnaissant que "certains articles de grande valeur exigent une manutention particulière" »
; Air Canada a ajouté les codes de manutention spéciale « PRI »
(qui permet de désigner des [traduction] « envois prioritaires »
) et « VAL »
(qui permet de désigner l’envoi [traduction] « [d’]objets de valeur »
) aux lettres de transport aérien en question; le code de manutention spéciale « VAL »
se trouvait dans l’objet et le corps des courriels de confirmation de réservation pour les deux cargaisons; les lettres de transport des deux cargaisons comportaient la mention de demande de service spécial [traduction] « UNE SUPERVISION SPÉCIALE EST DEMANDÉE POUR LE FRET AÉRIEN SÉCURISÉ DE BRINK’S : CARGAISON DE VALEUR »
; et des messages FWB et FHL accompagnant les cargaisons d’or indiquaient que la nature et la quantité des marchandises correspondaient à plus de 400 kilogrammes d’or [traduction] « dont la valeur est aussi facile à déterminer que celle de toute monnaie »
.
[155] Je prends acte du fait que l’utilisation de mots (ou d’abréviations) comme [traduction] « objets de valeur »
, « SÉCURISÉ »
et « SUPERVISION SPÉCIALE »
indique que Brink’s considérait les cargaisons comme étant précieuses. Ce fait est d’ailleurs démontré par la réservation effectuée par Brink’s pour le transport des cargaisons par l’entremise d’AC Sûreté, qui sert aux marchandises de grande valeur (bien que je note au passage qu’il est établi qu’Air Canada remplit automatiquement la lettre de transport aérien avec les termes PRI et VAL lorsqu’un expéditeur a recours aux services d’AC Sûreté). Toutefois, et en tout état de cause, je juge que cette preuve ne constitue pas en soi une « déclaration spéciale d’intérêt »
aux fins du paragraphe 3 de l’article 22 parce qu’elle ne comprend pas la valeur pécuniaire des marchandises.
[156] À cet égard, Shawcross et Beaumont traitent des déclarations d’intérêts faites au titre de la Convention de Varsovie et du Protocole de La Haye de la manière suivante (notes en bas de page omises) :
[traduction]
La déclaration d’intérêt est importante, car elle fixe en fait une limite de responsabilité plus élevée. Comme l’a fait remarquer un tribunal américain :Celui qui expédie des marchandises à une valeur déclarée nettement inférieure à leur valeur réelle afin de bénéficier d’un tarif de fret réduit fait le pari que les marchandises ne seront pas perdues en raison de la négligence d’une personne.
Il n’y a aucune indication quant à la forme que doit prendre la déclaration; une déclaration faite de vive voix semble satisfaire aux exigences de la disposition. Comme pareille pratique serait difficilement acceptable dans l’usage courant en matière commerciale, les transporteurs prévoient généralement dans leurs modalités de contrat une disposition selon laquelle l’expéditeur reconnaît qu’il a eu l’occasion de faire une déclaration spéciale quant à la valeur des marchandises à la livraison et de désigner comme déclaration spéciale l’inscription sur la lettre de transport aérien d’une « valeur déclarée pour le transport ».
Le libellé précis dans les modalités pertinentes du contrat doit être examiné dans chaque cas, mais, de façon générale, les tribunaux ne considèrent pas une déclaration de valeur faite dans un autre but comme constituant une déclaration d’intérêt aux fins de l’article 22, même si elle est incluse dans la lettre de transport aérien. C’est ce qui a été établi dans le cas de déclarations de valeur à des fins douanières et à des fins d’assurance. Il a été souligné que la convention fait mention d’une déclaration « spéciale », ce qui signifie que la déclaration doit avoir pour but de faire appliquer les dispositions de l’article 22. La forme de la déclaration étant prescrite uniquement par des clauses contractuelles, le transporteur pourrait être empêché, par l’application des principes généraux du droit des contrats, d’invoquer les clauses en question.
(aux pp 980-990, non souligné dans l’original.)
[157] La question est donc celle de savoir si la preuve établit que Brink’s a communiqué la valeur pécuniaire des cargaisons à Air Canada de manière à ce que s’appliquent les limites majorées prévues au paragraphe 3 de l’article 22.
[158] Brink’s soutient que les listes des marchandises ont décrit la valeur pécuniaire des marchandises comme étant de 13 612 696.75 CHF pour la cargaison d’or et de 1 945 843 USD pour la cargaison de billets. À cet égard, elle renvoie également aux renseignements du bordereau de groupage qui, selon elle, ont été générés par Air Canada en fonction de renseignements fournis par Brink’s ou en son nom.
[159] En réponse, Air Canada s’appuie sur le contre-interrogatoire de M. Grimmett. Ce dernier a été renvoyé à la pièce I de son affidavit, qui est le bordereau d’expédition pour la cargaison de billets de banque transmis par Brink’s au CCS-UK et qui comprend la mention « CVD/CHF/PP/PP/NVD/NCV/XX »
. Il a ensuite été renvoyé à la pièce K, qui est le message FHL que CCS-UK a envoyé à Air Canada et qui contient la mention « CVD/CHF/PP/NVD/1945843/XXX »
. M. Grimmett a confirmé que les chiffres de ce dernier message ont remplacé la mention « NCV »
(No Customs Value, qui signifie « aucune valeur en douane »
) dans la pièce I et que la valeur figurant dans la liste des marchandises est la valeur pour la douane. Ce qu’Air Canada tente de démontrer est que, bien que M. Grimmett déclare, aux paragraphes 48 et 49 de son affidavit, que les données de la liste des marchandises transmises à Air Canada le 14 avril 2023 [traduction] « reflétaient la valeur du transport »
comme étant de 1 945 843 USD, les pièces en question démontrent que c’est en fait la valeur pour la douane qui a été communiquée.
[160] Air Canada renvoie également au contre-interrogatoire de M. Grimmett concernant la copie physique du bordereau de groupage de Brink’s pour la cargaison des billets de banque, jointe en tant que pièce EE à l’affidavit de M. Grimmett. Le bordereau de groupage indique une [traduction] « valeur pour la douane »
et une [traduction] « valeur pour le transport »
, toutes deux d’une somme de 1 945 843 USD. Cependant, M. Grimmett a confirmé en contre-interrogatoire que les bordereaux de groupage de Brink’s sont des documents internes de la société et qu’ils n’ont pas été transmis à Air Canada. M. Grimmett a confirmé que c’était également le cas pour le bordereau d’expédition, la liste des marchandises et le bordereau de groupage de Brink’s pour la cargaison d’or. Il n’a pu relever aucun document ni aucune communication où Brink’s aurait informé Air Canada de la valeur déclarée pour le transport des cargaisons.
[161] Dans son affidavit en réponse, M. Cosgrove indique que les bordereaux de groupage de Brink’s mentionnés par M. Grimmett n’ont jamais été transmis à Air Canada, comme l’a confirmé M. Grimmett dans son contre-interrogatoire. De plus, M. Cosgrove affirme que parmi tous les renseignements que Brink’s a transmis à Air Canada concernant les cargaisons, seule une valeur pour la douane ou une valeur en douane a été déclarée par Brink’s. Cette dernière n’a pas déclaré à Air Canada de valeur pour le transport.
[162] De plus, M Cosgrove déclare dans son affidavit en réponse que la valeur indiquée dans les listes de marchandises est la valeur déclarée pour la douane. Selon son témoignage, les renseignements contenus dans le message de Brink’s concernant la liste de marchandises et ceux qu’Air Canada a reçus de CCS-UK, après avoir été saisis dans le logiciel de fret d’Air Canada, sont les renseignements du bordereau de groupage figurant à la pièce T de l’affidavit de M. Cosgrove. Il ne s’agit pas là d’une déclaration de la valeur pour le transport. Au contraire, la mention « NVD »
(qui signifie « aucune valeur déclarée »
) est inscrite, et seule une valeur en douane de 1 945 843 CHF est indiquée, ce qui confirme que, dans son message FHL, Brink’s a uniquement déclaré une valeur pour la douane.
[163] Après examen des éléments de preuve, je suis d’accord pour dire que ceux-ci établissent que la valeur des cargaisons communiquée par Brink’s au moyen des messages FHL ne constituait qu’une déclaration de la valeur des cargaisons à des fins douanières. De plus, il s’agit du seul cas où Brink’s a communiqué une valeur pécuniaire à Air Canada en ce qui concerne les cargaisons.
[164] La question est donc celle de savoir si une valeur déclarée pour la douane constitue une « déclaration spéciale d’intérêt »
.
[165] Brink’s soutient qu’une déclaration de valeur pour la douane constitue une « déclaration spéciale d’intérêt »
au sens du paragraphe 3 de l’article 22. Je ne suis pas de cet avis.
[166] Les lettres de transport aérien des lingots d’or et des billets de banque prévoient des valeurs déclarées distinctes pour la douane et pour le transport. Elles comprennent notamment une case [traduction] « Valeur déclarée pour le transport »
et une case distincte [traduction] « Valeur déclarée pour la douane »
. Pour les deux cargaisons, les entrées dans ces cases sont respectivement « NVD »
(qui signifie « aucune valeur déclarée »
) et « NCV »
(qui signifie « aucune valeur en douane »
). Cette distinction donne à penser que ces deux valeurs servent des fins différentes.
[167] L’article 16 de la Convention de Montréal dispose que « [l]’expéditeur est tenu de fournir les renseignements et les documents qui, avant la remise de la marchandise au destinataire, sont nécessaires à l’accomplissement des formalités de douane [...] »
. Je fais remarquer que, bien qu’une valeur déclarée pour la douane puisse être nécessaire pour le transport international de marchandises, une « déclaration spéciale d’intérêt »
ne l’est pas. Il s’agit plutôt d’une option qui permet aux expéditeurs de se prévaloir d’une limite de responsabilité majorée du transporteur au titre du paragraphe 3 de l’article 22, à condition qu’ils paient une somme supplémentaire, le cas échéant.
[168] À cet égard, M. Cosgrove mentionne dans son affidavit que, selon sa compréhension et son expérience, la valeur déclarée pour la douane relativement aux cargaisons en question concerne le gouvernement du Canada et l’expéditeur, Brink’s, notamment pour ce qui est des droits de douane, des tarifs ou des taxes applicables qui sont imposés sur les cargaisons lorsqu’ils traversent les frontières internationales. Une déclaration de valeur pour le transport est établie entre la compagnie aérienne et l’expéditeur pour ce qui est du tarif de fret et des frais de transport de la cargaison qui sont applicables.
En revanche, une déclaration spéciale d’intérêt pour la livraison à destination
concerne directement la relation entre le transporteur et l’expéditeur, puisqu’elle avise le transporteur de la nature des marchandises et de la valeur de ce que celui-ci transporte pour l’expéditeur, et ces renseignements éclairent à leur tour la façon dont le transporteur traitera les marchandises dans le processus de transport aérien.
[169] Comme l’a exprimé Air Canada, la déclaration de la valeur détermine la façon dont elle répondra à la demande de transport, alors que la déclaration de valeur aux fins des douanes a peu d’incidence sur la relation entre le transporteur et l’expéditeur.
[170] Il convient également de faire observer que, dans le contexte de l’application de la Convention de Varsovie, il a été conclu dans l’arrêt Corocraft qu’une déclaration de la valeur aux fins des douanes, sans plus, n’était pas une « déclaration spéciale de valeur »
(Corocraft, à la p 84, au para C). Par ailleurs, mais toujours concernant la Convention de Varsovie, dans l’ouvrage intitulé The Liability Regime of the International Air Carrier : A Commentary on the Present Warsaw System, publié en 1981, l’auteur, René H. Mankiewicz, affirme que [traduction] « [l]’indication de la valeur de la cargaison aux fins des douanes n’est pas la déclaration de la valeur prévue au paragraphe 2 de l’article 22 »
de la Convention de Varsovie. De façon semblable, je juge qu’une déclaration de valeur aux fins des douanes n’est pas une déclaration spéciale d’intérêt aux termes du paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention de Montréal.
[171] Par conséquent, bien que la preuve confirme que Brink’s a indiqué à Air Canada la nature des cargaisons et l’a informé qu’il s’agissait de cargaisons de valeur, rien ne démontre que Brink’s a déclaré à Air Canada la valeur pécuniaire de celles-ci, ce qui est nécessaire pour établir l’existence d’une « déclaration spéciale d’intérêt à la livraison »
aux termes du paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention de Montréal et pour déclencher l’application de la limite de responsabilité majorée du transporteur. Comme Brink’s n’a pas satisfait à cette condition, la responsabilité d’Air Canada, fondée sur le poids des cargaisons en cause, est limitée à 22 DTS par kilogramme.
iii. Les conditions du contrat de transport
[172] Enfin, pour clore l’analyse de cette condition nécessaire à l’application de l’exception à la limite de responsabilité prévue au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention de Montréal, j’examine les arguments des parties sur les conditions de transport et la question de savoir si ces conditions sont en contradiction avec ce même paragraphe 3 de l’article 22. Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’elles ne le sont pas.
[173] Le paragraphe 1 de l’article 11 de la Convention de Montréal prévoit que la lettre de transport aérien et le récépissé de marchandises font foi, jusqu’à preuve du contraire, de la conclusion du contrat, de la réception de la marchandise et des conditions du transport qui y figurent. L’article 27, qui porte sur la liberté de contracter, prévoit que les transporteurs peuvent établir des conditions de transport, pourvu qu’elles ne soient pas en contradiction avec la Convention de Montréal. Toutefois, selon l’article 47, qui porte sur la nullité des dispositions contractuelles, toute clause tendant à exonérer le transporteur contractuel ou le transporteur de fait de leur responsabilité en vertu du chapitre III (sur la responsabilité du transporteur et l’étendue de l’indemnisation du préjudice) ou à établir une limite inférieure à celle qui est fixée dans le chapitre III est nulle et de nul effet.
[174] Comme je le mentionne précédemment, il est indiqué au recto des lettres de transport aérien des lingots d’or et des billets de banque que le transport est soumis aux conditions du contrat de transport d’Air Canada figurant au verso du document et que l’expéditeur est prié de consulter l’avis sur la limite de responsabilité du transporteur. La mention suivante se trouve au verso des lettres :
[traduction]
AVIS SUR LA LIMITE DE RESPONSABILITÉ DES TRANSPORTEURS
Si le voyage se termine ou fait escale dans un pays autre que celui de départ, la Convention de Montréal ou la Convention de Varsovie pourraient s’appliquer à la responsabilité du transporteur en cas de perte, d’avarie ou de retard du fret. La limite de responsabilité du transporteur, conformément à ces conventions, est la même que celle donnée au sous-paragraphe 4, à moins qu’une valeur inférieure ne soit déclarée. Si le transport a lieu uniquement au Canada, [...]
CONDITIONS DU CONTRAT
2.1 Le transport est assujetti aux règles relatives à la responsabilité créée par la Convention de Varsovie ou par la Convention de Montréal, sauf si ledit transport n’est pas un « transport international » au sens que lui donne la convention applicable.
2.2 Dans la mesure où cela ne contredit pas ce qui précède, le transport et les autres services connexes fournis par chaque transporteur sont assujettis :
2.2.1 [...]
2.2.2 aux dispositions de la lettre de transport aérien, aux conditions de transport ainsi qu’aux règles, règlements, horaires (mais pas aux heures de départ et d’arrivée indiquées) et règlements tarifaires applicables du transporteur en question, qui font partie du présent contrat [...]
5.1 À moins que le transporteur n’ait consenti un crédit au destinataire sans l’autorisation écrite de l’expéditeur, ce dernier garantit le paiement de tous les frais de transport dus conformément aux règlements tarifaires, aux conditions de transport et aux règlements connexes du transporteur, aux lois applicables (notamment les lois nationales mettant en œuvre la Convention de Varsovie et la Convention de Montréal) [...]
6.1 En ce qui concerne le fret accepté pour le transport, la Convention de Varsovie et la Convention de Montréal autorisent l’expéditeur à majorer la limite de responsabilité en déclarant une valeur supérieure pour le transport et en payant des frais supplémentaires au besoin.
(Non souligné dans l’original.)
[175] Les parties renvoient également la Cour à divers documents de l’IATA. M. Grimmett a affirmé que la LTAE de l’IATA est le contrat de transport par défaut pour tous les envois de fret aérien sur les voies commerciales entre pays signataires. Il a ajouté que les conditions générales relatives aux messages par EDI figurent dans la résolution 672 de l’IATA, le modèle d’entente multilatérale de l’IATA sur la lettre de transport aérien électronique. En contre-interrogatoire, après avoir été renvoyé aux conditions générales de la résolution 672 de l’IATA (ainsi que la résolution 600i de l’IATA, que j’examine ci-après) et de la résolution 600b de l’IATA, M. Grimmett en est venu à convenir que le contrat de transport par défaut des parties comprend les conditions du transporteur, en l’occurrence Air Canada.
[176] À l’affidavit de M. Grimmett est jointe une annonce de l’IATA qui explique que la LTAE de l’IATA deviendrait dorénavant le contrat de transport par défaut pour tous les envois de fret aérien sur les voies commerciales entre pays signataires et qui comprend un lien vers le manuel de sa mise en œuvre [le manuel de l’IATA]. Le manuel de l’IATA indique entre autres que la lettre de transport aérien constitue le contrat de transport entre l’expéditeur et le transporteur, et qu’elle est régie par la résolution 600a de l’IATA, intitulée The Air Waybill
, et la résolution 600b de l’IATA, intitulée Air Waybill – Conditions of Contract
. Il explique également que la résolution 672 de l’IATA contient une entente standard unique que les compagnies aériennes et les transitaires peuvent signer une fois avec l’IATA pour ensuite commencer à utiliser les LTAE de l’IATA avec toutes les autres parties à l’entente.
[177] Il suffit de dire dans l’affaire qui nous occupe que la résolution 672 de l’IATA contient un [traduction] « avis sur la limite de responsabilité des transporteurs »
et prévoit que les conditions contractuelles détaillées dans la résolution 600i de l’IATA s’appliquent à tous les contrats de fret, sauf dans deux cas qui ne se sont pas présents en l’espèce. (La résolution 600i de l’IATA est l’annexe A de la résolution 672 de l’IATA. Cette dernière indique, dans un avis, que les dispositions de la résolution 600i de l’IATA, dont les conditions contractuelles qui y sont énoncées, sont incorporées par renvoi dans la résolution 672 de l’IATA.) La résolution 600i de l’IATA contient notamment les dispositions suivantes :
[traduction]
2./2.1 Le transport est assujetti aux règles relatives à la responsabilité créée par la Convention de Varsovie ou par la Convention de Montréal, sauf si ledit transport n’est pas un « transport international » au sens que lui donne la convention applicable.
2.2 Dans la mesure où cela ne contredit pas ce qui précède, le transport et les autres services connexes fournis par chaque transporteur sont assujettis :
2.2.1 [...]
2.2.2 aux dispositions des conditions de transport ainsi qu’aux règles, règlements, horaires (mais pas aux heures de départ et d’arrivée indiquées) et règlements tarifaires applicables du transporteur en question, qui font partie du présent contrat [...]
6./6.1 En ce qui concerne le fret accepté pour le transport, la Convention de Varsovie et la Convention de Montréal autorisent l’expéditeur à majorer la limite de responsabilité en déclarant une valeur supérieure pour le transport et en payant des frais supplémentaires au besoin.
(Non souligné dans l’original.)
[178] La résolution 600b de l’IATA prévoit que les conditions du contrat et les avis qu’elle contient, dont ceux qui suivent, doivent figurer sur une lettre de transport aérien :
[traduction]
I. AVIS FIGURANT AU RECTO DE LA LETTRE DE TRANSPORT AÉRIEN
Il est entendu que les marchandises décrites dans la présente lettre de transport aérien sont acceptées pour le transport apparemment en bon état (sauf tel que signalé) et SOUS RÉSERVE DES CONDITIONS DU CONTRAT INDIQUÉES AU VERSO DE LA PRÉSENTE LETTRE DE TRANSPORT AÉRIEN. TOUTES LES MARCHANDISES PEUVENT ÊTRE TRANSPORTÉES PAR N’IMPORTE QUEL AUTRE MOYEN, NOTAMMENT PAR LA ROUTE, OU PAR N’IMPORTE QUEL AUTRE TRANSPORTEUR, SAUF SI DES INSTRUCTIONS CONTRAIRES SONT DONNÉES PAR L’EXPÉDITEUR, ET SI CE DERNIER ACCEPTE QUE L’ENVOI SOIT ACHEMINÉ PAR DES ESCALES INTERMÉDIAIRES QUE LE TRANSPORTEUR JUGERA APPROPRIÉES. ON ATTIRE L’ATTENTION DE L’EXPÉDITEUR SUR L’AVIS À PROPOS DE LA LIMITE DE RESPONSABILITÉ DU TRANSPORTEUR. L’expéditeur peut augmenter cette limite de responsabilité en déclarant une valeur supérieure pour le transport et en payant un supplément, le cas échéant.
II. CONDITIONS DU CONTRAT AU VERSO DE LA LETTRE DE TRANSPORT AÉRIEN
AVIS SUR LA LIMITE DE RESPONSABILITÉ DES TRANSPORTEURS
Si le voyage se termine ou fait escale dans un pays autre que celui de départ, la Convention de Montréal ou la Convention de Varsovie pourraient s’appliquer à la responsabilité du transporteur en cas de perte, d’avarie ou de retard du fret. La limite de responsabilité du transporteur, conformément à ces conventions, est la même que celle donnée au sous-paragraphe 4, à moins qu’une valeur supérieure ne soit déclarée.
CONDITIONS DU CONTRAT
[...]
2./2.1 Le transport est assujetti aux règles relatives à la responsabilité créée par la Convention de Varsovie ou par la Convention de Montréal, sauf si ledit transport n’est pas un « transport international » au sens que lui donne la convention applicable.
1.2 Dans la mesure où cela ne contredit pas ce qui précède, le transport et les autres services connexes fournis par chaque transporteur sont assujettis :
2.2.1 aux lois et aux règlements gouvernementaux applicables;
2.2.2 aux dispositions de la lettre de transport aérien, aux conditions de transport ainsi qu’aux règles, règlements, horaires (mais pas aux heures de départ et d’arrivée indiquées) et règlements tarifaires applicables du transporteur en question, qui font partie du présent contrat et qui peuvent être vérifiés dans tout aéroport ou tout autre bureau de ventes de fret à partir duquel le transporteur assure des services réguliers. Lorsque le transport est à destination ou au départ des États-Unis, l’expéditeur et le destinataire sont autorisés à recevoir, sur demande, un exemplaire gratuit des conditions de transport du transporteur, lesquelles conditions précisent entre autres :
2.2.2.1 les limites de la responsabilité du transporteur en cas de perte, d’endommagement ou de retard des marchandises, notamment des marchandises fragiles ou périssables;
[...]
6./6.1 En ce qui concerne le fret accepté pour le transport, la Convention de Varsovie et la Convention de Montréal autorisent l’expéditeur à majorer la limite de responsabilité en déclarant une valeur supérieure pour le transport et en payant des frais supplémentaires au besoin.
[...]
7.2.1 en cas de perte, d’endommagement ou de retard d’une expédition, le poids à utiliser pour déterminer la limite de responsabilité du transporteur sera celui qui sert à calculer les frais de transport de ladite expédition; et
7.2.2 en cas de perte, d’endommagement ou de retard d’une partie d’une expédition, le poids de l’expédition indiqué en 7.2.1 sera établi au prorata des colis couverts par la même lettre de transport aérien et dont la valeur est modifiée par la perte, l’endommagement ou le retard en question. Le poids applicable en cas de perte ou d’endommagement d’un ou de plusieurs articles dans un colis sera celui du colis au complet.
(Non souligné dans l’original.)
[179] Le point que soulève Air Canada dans ses observations est le suivant : les conditions du contrat, en particulier celles relatives à la responsabilité contenues dans le [traduction] « contrat par défaut »
de l’IATA (c’est-à-dire la résolution 600i de l’IATA incorporée dans la résolution 672 de l’IATA et les conditions du contrat de transport d’Air Canada), sont essentiellement les mêmes que celles qui, selon la résolution 600b de l’IATA, doivent figurer dans une lettre de transport aérien. Autrement dit, la résolution 600i de l’IATA, la résolution 600b de l’IATA et les lettres de transport d’Air Canada en question indiquent toutes que la Convention de Varsovie et la Convention de Montréal permettent à un expéditeur de hausser la limite de responsabilité en déclarant une valeur plus élevée pour le transport et en payant des frais supplémentaires, au besoin. Autre point important à mon avis, les résolutions 600i et 600b de l’IATA traitent la Convention de Montréal de la même manière que la Convention de Varsovie, en ce qu’elles précisent que les deux instruments permettent à l’expéditeur de majorer la limite de responsabilité à condition de déclarer une valeur plus élevée pour le transport.
[180] Air Canada soutient que, si la façon dont Brink’s interprète le paragraphe 3 de l’article 22 était acceptée, le résultat serait absurde, puisque tous les contrats internationaux de transport seraient en contravention avec la Convention de Montréal.
[181] À mon avis, les résolutions 600i et 600b de l’IATA démontrent que, si un transporteur souhaite se prévaloir d’une limite de DTS par kilogramme plus élevée que celle par défaut applicable au titre du paragraphe 3 de l’article 22, il lui est loisible de le faire. Je ne suis pas d’accord avec Brink’s pour dire qu’Air Canada s’appuie sur les conditions de son contrat de transport ou son tarif de fret pour [traduction] « supplanter »
le libellé de la Convention de Montréal. Dans la Convention de Montréal, l’utilisation de conditions de transport est explicitement envisagée, pourvu qu’elles ne soient pas en contradiction avec les dispositions de la convention (art 27). Dans la présente affaire, les conditions de transport indiquent comment l’expéditeur et le transporteur peuvent se prévaloir de la limite majorée autorisée au paragraphe 3 de l’article 22, soit en déclarant une valeur plus élevée pour le transport et en payant des frais supplémentaires, au besoin. Autrement dit, les conditions de transport indiquent à l’expéditeur et au transporteur comment effectuer une déclaration spéciale d’intérêt. À mon avis, cette indication n’est pas en contradiction avec le paragraphe 3 de l’article 22.
[182] Les documents de l’IATA proposent également une interprétation, soit celle du secteur des transporteurs aériens internationaux, selon laquelle la déclaration spéciale d’intérêt visée aux termes du paragraphe 3 de l’article 22 est une déclaration de la valeur pécuniaire de la marchandise aux fins du transport.
[183] Air Canada mentionne également son tarif de fret, qui, soutient-elle, est incorporé aux conditions de son contrat de transport. Dans le tarif d’Air Canada, les [traduction] « marchandises de valeur »
sont définies comme un envoi qui contient un ou plusieurs des articles énumérés, dont des [traduction] « lingots d’or »
, de l’or sous plusieurs autres formes ou des billets de banque. Le terme [traduction] « Convention »
est défini comme désignant la Convention de Varsovie modifiée par le Protocole de La Haye ou le Protocole de Montréal no 4 ou la Convention de Montréal, selon ce qui s’applique au transport au titre du tarif. Les autres sections pertinentes du tarif de fret d’Air Canada sont les suivantes :
[traduction]
13. DÉCLARATION DE LA VALEUR
(A) L’expéditeur doit faire une déclaration de valeur pour le transport sur les lettres de transport aérien relatives à tous les envois, que des taxes basées sur la valeur soient applicables ou non.
(B) La valeur ainsi déclarée peut s’élever à toute somme, étant entendu que « SVD » (sans valeur déclarée) puisse constituer une telle déclaration.
(C) Nonobstant les paragraphes (A) et (B) ci-dessus, dans le cas d’envois de valeur (tels qu’ils sont définis à la règle no 1 du présent tarif), l’expéditeur doit soit :
(1) déclarer une valeur aux fins du transport qui ne peut être inférieure à :
(a) toute valeur déclarée aux fins des douanes;
(b) toute somme assurée;
(c) toute somme figurant sur la facture commerciale de l’expéditeur;
(d) toute somme indiquée sur les documents d’exportation douaniers, la valeur la plus élevée devant être retenue; ou
(e) souscrire une assurance par l’intermédiaire du transporteur à la hauteur de la valeur réelle des marchandises.
21. LIMITES DE VALEUR
(A) LIMITE DE VALEUR DES MARCHANDISES À EXPÉDIER
Aucune expédition de marchandises dont la valeur déclarée est supérieure à 500 000 USD ou 500 000 CAD ne sera acceptée, sauf en cas d’accord préalable conclu entre l’expéditeur et le transporteur.
(B) [...]
29. DROIT D’INSPECTION DU TRANSPORTEUR
Le transporteur se réserve le droit d’examiner l’emballage et le contenu de tout envoi et de vérifier l’exactitude ou la suffisance des renseignements ou des documents qui lui sont présentés relativement à toute expédition, sans qu’il s’agisse pour lui d’une obligation.
37. LOIS ET DISPOSITIONS APPLICABLES
(A) Le transport effectué en vertu des présentes est soumis aux règles et limitations de responsabilité établies par la Convention de Varsovie, sauf dans le cas où ce transport n’est pas un « transport international » au sens de la Convention.
[...]
(D) Dans les cas de transport assujetti à la Convention, l’expéditeur reconnaît qu’il a eu l’occasion de faire une déclaration spéciale de la valeur des marchandises à la livraison et que la somme inscrite au recto de la lettre de transport aérien dans le champ destiné à la « valeur déclarée par l’expéditeur – pour le transport », si elle est supérieure à 250 francs-or français (20 USD ou 20 CAD) par kilogramme, constitue une telle déclaration spéciale de la valeur.
(E) Aux fins du transport international régi par la Convention de Montréal de 1999, les règles en matière de responsabilité énoncées dans la Convention de Montréal de 1999 font partie intégrante du présent tarif et l’emportent sur toute disposition du présent tarif incompatible avec ces règles, le cas échéant.
38. LIMITATION DE LA RESPONSABILITÉ
[...]
(G)(A) Sauf si l’expéditeur a fait une déclaration spéciale de valeur pour le transport et qu’il a payé la somme supplémentaire applicable, la responsabilité du transporteur n’excède pas la limite prévue dans la convention applicable ou, si aucune convention ne s’applique, la somme de 22 DTS par kilogramme de marchandise détruite, perdue, endommagée ou livrée en retard. Si l’expéditeur a fait une déclaration spéciale de valeur pour le transport, il est convenu que toute responsabilité ne peut en aucun cas dépasser la valeur déclarée pour le transport indiquée au recto de la lettre de transport aérien ou dans le dossier d’expédition. Toutes les réclamations sont sous réserve de la présentation d’une preuve de leur valeur.
(Non souligné dans l’original.)
[184] En outre, l’article 48, concernant le service priorité 1 d’Air Canada pour le fret général, prévoit que le transport des marchandises énumérées n’est pas accepté au titre du tarif de fret d’Air Canada, ce qui comprend les marchandises de valeur. L’article 49, concernant le service standard pour le fret général, contient la même disposition.
[185] Air Canada soutient que ces dispositions de son tarif de fret démontrent qu’un expéditeur peut choisir de ne pas déclarer la valeur de la marchandise, mais à ses propres risques et périls. Je suis d’accord pour dire que la décision de faire ou non la déclaration de la valeur pécuniaire de la marchandise appartient à l’expéditeur. Si, en dépit de ce que prévoient les dispositions du tarif de fret d’Air Canada, les conditions du contrat de transport d’Air Canada figurant dans les lettres de transport aérien en cause ainsi que les résolutions 600i et 600b de l’IATA, l’expéditeur ne fait pas de déclaration de la valeur pécuniaire, la limite de responsabilité du transporteur ne peut pas être majorée et la responsabilité du transporteur est limitée à 17 DTS par kilogramme (ou à la somme fixée après la révision prévue à l’article 24).
[186] Par conséquent, bien que Brink’s fasse observer qu’Air Canada a déjà accepté à 24 occasions d’expédier des marchandises de valeur sans exiger une déclaration de leur valeur pécuniaire au recto des lettres de transport aérien relatives à ces envois, ce fait n’est d’aucun secours pour elle. Brink’s a pour pratique habituelle de ne pas faire de déclaration de la valeur pécuniaire. Or, en ne déclarant pas la valeur pécuniaire des marchandises à transporter ou en ne communiquant pas celle-ci autrement Brink’s assume les risques y afférents.
[187] En conclusion, pour tous les motifs mentionnés précédemment, je conclus que Brink’s n’a pas fait de déclaration spéciale d’intérêt à la livraison, déclaration qui constitue la première condition nécessaire pour se prévaloir d’une limite de responsabilité majorée au titre du paragraphe 3 de l’article 22.
B. Est-ce que Brink’s a payé une somme supplémentaire?
[188] Pour qu’un expéditeur puisse déroger à la limite de responsabilité prévue au paragraphe 3 de l’article 22, il doit établir non seulement qu’il a fait une déclaration spéciale d’intérêt, mais aussi qu’il a payé une somme supplémentaire, s’il y a lieu. Le cas échéant, la deuxième exigence s’ajoute à la première. Par conséquent, comme j’ai conclu que Brink’s n’avait pas fait de déclaration spéciale d’intérêt, son affirmation selon laquelle elle est en droit de se prévaloir de l’exception à la limite de responsabilité et de réclamer un montant plus élevé ne peut être retenue.
[189] Toutefois, par souci d’exhaustivité, j’examine également la deuxième exigence prévue au paragraphe 3 de l’article 22.
La position de Brink’s
[190] Brink’s soutient que le paiement d’une somme supplémentaire est facultatif, car il [traduction] « nécessite une demande de paiement de la part du transporteur »
(renvoyant à Koliada, au para 9). Dans la présente affaire, nul ne conteste qu’en choisissant AC Sûreté, Brink’s a payé un taux de fret plus élevé que celui qu’elle aurait payé si elle avait choisi de faire expédier les cargaisons par fret général. Brink’s fait valoir qu’elle a choisi de profiter de l’offre d’Air Canada de garantir le transport sûr et sécuritaire de marchandises particulières en acceptant de payer les frais supplémentaires d’AC Sûreté.
[191] De plus, la section d’AC Sûreté sur le site Web d’Air Canada indique que les « tarifs d’expédition varient considérablement en fonction de la classe, des exigences de manutention et des options [choisies] »
. Brink’s affirme que tel est précisément le cas dans la présente affaire, car les frais qu’elle a payés pour les services spécialisés d’AC Sûreté étaient supérieurs de plus de 250 % à ceux qu’elle aurait payés si elle avait fait expédier les cargaisons par fret général. De plus, le dossier montre clairement que le taux de fret figurant sur la lettre de transport aérien est un taux [traduction] « nominal »
utilisé pour éviter de révéler le véritable taux négocié par les parties. Par conséquent, lorsqu’Air Canada affirme qu’elle a facturé à Brink’s le taux de fret standard du programme d’AC Sûreté pour le transport de marchandises de valeur de chacune des cargaisons, taux qui était inférieur au taux nominal figurant sur les lettres de transport aérien, elle ne fait que brouiller les pistes. Brink’s ne souscrit pas non plus au point de vue d’Air Canada selon lequel la décision Westminster Bank permet de trancher la question.
La position d’Air Canada
[192] Air Canada soutient que Brink’s ne lui a pas payé de somme supplémentaire pour l’expédition des cargaisons. La preuve établit plutôt qu’Air Canada a facturé à Brink’s le taux de fret standard d’AC Sûreté applicable à tous les clients d’AC Sûreté pour l’expédition de marchandises de valeur à destination et à partir de la Suisse. Ce taux est également celui du fret standard qu’Air Canada avait facturé pour les 24 expéditions de marchandises de valeur de Brink’s en 2023. Les seuls frais supplémentaires étaient des frais de manutention de 4 CHF qu’Air Canada avait facturés à Brink’s à la fois pour ses marchandises de valeur et pour les marchandises générales. Air Canada invoque la décision Westminster Bank à l’appui de cette position.
Analyse
[193] À mon avis, la preuve n’établit pas que Brink’s a payé une somme supplémentaire dans les circonstances.
[194] Il est vrai que Brink’s a fait expédier les cargaisons par l’intermédiaire d’AC Sûreté, un service qui, selon Air Canada, vise [traduction] « précisément le transport sûr et sécuritaire de marchandises de valeur »
et qui garantit, entre autres, « un niveau de priorité plus élevé »
pour le chargement et le transport des marchandises, une manutention et une mise en sûreté des marchandises dans des aires d’attente, la coordination d’agents de sécurité de tierces parties (au besoin), une chaîne de possession à des fins de traçabilité; et des [traduction] « [p]rocessus de transport et de manutention visant à assurer la sûreté des envois »
.
[195] Il est également vrai que les frais d’expédition de marchandises par l’intermédiaire d’AC Sûreté sont plus élevés que les frais d’expédition de marchandises ordinaires ou régulières, comme le montrent la grille tarifaire d’AC Sûreté et la grille tarifaire d’AC Général Cargo pour les marchandises générales.
[196] Cependant, selon la preuve d’Air Canada, les marchandises de valeur, dont l’or et les billets de banque, ne peuvent pas être expédiées en tant que marchandises générales. Elles doivent être expédiées par l’intermédiaire d’AC Sûreté. Air Canada affirme que 24 des envois documentés expédiés pour Brink’s ont été réalisés au moyen d’AC Sûreté. Brink’s n’a produit aucun élément de preuve pour réfuter cette affirmation. Autrement dit, elle n’a pas établi qu’Air Canada accepte d’expédier des marchandises de valeur en tant que marchandises générales.
[197] Par conséquent, dans le contexte de l’expédition de marchandises de valeur, les taux d’AC Sûreté sont les taux standard qu’Air Canada propose aux clients qui ont passé un contrat avec elle, comme Brink’s, et qui peuvent donc en bénéficier. À mon avis, il ne s’agit pas d’une « somme supplémentaire »
, c’est-à-dire des frais plus élevés ou d’autres frais qui s’ajoutent aux premiers.
[198] Dans son affidavit, M. Cosgrove indique qu’une déclaration, de la part de Brink’s, de la valeur de l’envoi aurait donné lieu à une renégociation du taux de fret, à une discussion au sujet d’une assurance adéquate et au paiement de frais supplémentaires pour le transport. À mon avis, si des frais supplémentaires avaient été facturés et payés pour des services autres que les services standard d’AC Sûreté, il s’agirait d’une « somme supplémentaire »
. D’un point de vue contextuel, cette procédure cadre avec l’objet de la déclaration d’intérêt, qui est de signaler au transporteur le risque de majoration de la limite de responsabilité afin que celui-ci puisse gérer le risque d’une façon qu’il juge appropriée (voir Orlove, à la p 388, dans le contexte de la Convention de Varsovie).
[199] L’argument d’Air Canada repose en grande partie sur la décision Westminster Bank, qui, selon elle, permet de trancher la question de savoir si Brink’s a payé une somme supplémentaire. Dans cette décision, la Division du Banc du Roi a affirmé ce qui suit à la page 898 :
[traduction]
Il suffit de dire qu’aucune déclaration spéciale n’a été faite. Toutefois, même si une déclaration spéciale a été faite, je ne pense pas que l’expéditeur a effectué un paiement supplémentaire. Imperial Airways transporte des marchandises à certains taux. Il y a ce que j’appellerais le taux ordinaire pour les marchandises générales et un taux applicable, fixé par la société, aux fourrures, aux peaux, aux autres marchandises de valeur, aux œuvres d’art, etc. Il s’agit de taux ad valorem. De même, il existe des taux ad valorem applicables au transport de lingots d’or et d’espèces, et Imperial Airways annonce que des taux spéciaux peuvent être accordés sur demande pour le transport de lingots vers des destinations européennes. Les marchandises en question dans la présente affaire étaient des lingots d’or, et, pour évaluer la somme à payer, il était nécessaire, étant donné que le taux était ad valorem, d’inclure la valeur de l’or, ce qui explique, à mon avis, l’inclusion des mots « Valeur de 9 000 £ » dans la colonne intitulée « Qualité et nature des biens ». Les marchandises en question étant des lingots, il ne fait aucun doute qu’un taux plus élevé que celui applicable aux marchandises ordinaires a été payé, mais je ne pense pas qu’un paiement supplémentaire ait été effectué. À mon avis, le mot « supplémentaire » signifie qu’un paiement s’ajoutait à celui du taux ordinaire applicable au transport des marchandises en question. En l’espèce, le seul taux applicable au transport des lingots est le taux ad valorem qui a été payé. Le taux payé est, en fait, le taux habituel applicable au transport de lingots, qui est plus élevé que celui applicable aux marchandises ordinaires, et je ne peux accepter l’argument selon lequel, puisque ce taux est supérieur au taux applicable aux marchandises ordinaires, le paiement de ce taux constituait un paiement supplémentaire.
[200] Brink’s soutient que les passages de la décision Westminster Bank sur lesquels Air Canada s’appuie sont des remarques incidentes d’un jugement de 1936. Selon elle, la jurisprudence plus récente et le libellé de la Convention de Montréal indiquent clairement qu’une somme supplémentaire doit être demandée et, pour que l’exception ne s’applique pas, refusée. Le paragraphe 3 de l’article 22 qualifie la somme supplémentaire de somme « éventuelle »
(«
if so required »
dans la version anglaise). Comme la cour l’a fait observer dans la décision Durunna, [traduction] « ces mots peuvent être interprétés comme signifiant qu’il incombe au [transporteur] de demander un paiement supplémentaire si une déclaration spéciale a été faite »
(au para 77). Citant le paragraphe 9 de la décision Koliada, Brink’s ajoute que, dans la décision Durunna, le tribunal a fait observer que le [traduction] « paiement d’une somme supplémentaire est facultatif »
, car il [traduction] « nécessite une demande de paiement de la part du transporteur »
.
[201] Brink’s fait également valoir que, chose plus importante encore, les faits sous-jacents de l’affaire Westminster Bank se distinguent de l’espèce. Dans cette affaire, la pratique du transporteur était de facturer un taux ad valorem. Par conséquent, le coût d’expédition de l’or était nécessairement plus élevé que celui des marchandises [traduction] « ordinaires »
, de moindre valeur. Pour cette raison, la Cour a conclu, dans une remarque incidente, que, bien que le coût d’expédition de l’or soit plus élevé que celui de marchandises de moindre valeur, l’expéditeur n’avait pas payé une « somme supplémentaire »
en sus de ce qu’il en coûtait pour faire expédier les marchandises de façon régulière. Brink’s fait valoir que, dans la présente affaire, Air Canada ne facture pas un taux ad valorem et qu’elle applique un taux au transport de marchandises générales et un taux plus élevé par l’intermédiaire d’AC Sûreté au transport de marchandises de valeur. L’affaire Westminster Bank se distingue de la présente affaire sur ce point.
[202] Je fais d’abord remarquer que je ne suis pas d’accord avec Brink’s que la décision Durunna appuie la proposition selon laquelle un paiement supplémentaire doit être demandé et refusé. Il semble évident que, si un transporteur demande un paiement supplémentaire et que l’expéditeur refuse de faire un tel paiement, il est très peu probable que le transporteur accepte de transporter la marchandise. Accepter de le faire (si un intérêt particulier a été déclaré) reviendrait à assumer sans compensation le risque associé à une limite de responsabilité plus élevée. Le paragraphe 3 de l’article 22 exige seulement le paiement d’une somme supplémentaire éventuelle.
[203] Il est également important de faire observer qu’il a été jugé dans la décision Durunna que les mots «
if so required »
dans la version anglaise pouvaient être interprétés comme signifiant qu’il incombe au transporteur de demander un paiement supplémentaire, mais que, même si cette interprétation était acceptée, elle ne s’appliquerait que si une déclaration spéciale était faite. Or, ce n’est pas le cas en l’espèce.
[204] Dans l’affaire Westminster Bank, la pratique du transporteur consistait à facturer aux expéditeurs un taux ad valorem pour le transport de l’or. Pour cette raison, il était nécessaire d’indiquer la valeur de l’or à expédier de sorte que le calcul du fret soit proportionnel à la valeur de l’or. Le taux ad valorem, qui était le seul taux applicable au transport de l’or, a été payé. La cour dans cette affaire a conclu que le paiement de ce taux, bien que supérieur au taux applicable à d’autres marchandises, ne constituait pas un paiement supplémentaire.
[205] Dans l’affaire qui nous occupe, la preuve établit qu’Air Canada applique un taux au transport de marchandises générales et un taux plus élevé (par l’intermédiaire d’AC Sûreté) au transport de marchandises de grande valeur. La page Web d’AC Sûreté indique que l’or, l’argent et les billets de banque, peu importe la valeur déclarée ou le montant de l’assurance souscrite, sont considérés comme des marchandises de grande valeur. Elle indique également que des options variables de manutention spéciale sont proposées selon la valeur déclarée de l’envoi ou du niveau de service sélectionné au moment de la réservation. Il peut s’agir de services d’escorte non armée ou de la coordination de services de gardes de sécurité d’une tierce partie. Pour ce qui est des frais d’expédition, le site Web indique qu’ils peuvent varier considérablement en fonction de la classe, des exigences de manutention et des options choisies.
[206] À mon avis, il s’agit d’une situation semblable à celle de l’affaire Westminster Bank, car, bien qu’Air Canada facture un taux de fret plus élevé pour l’expédition de marchandises de valeur, il s’agit de son taux standard pour ce service. Selon la preuve présentée par Air Canada, ce taux est le seul proposé pour l’expédition de marchandises de valeur, qui ne peuvent pas être expédiées comme des marchandises générales (et donc qui ne peuvent bénéficier du taux applicable aux marchandises générales). Le taux d’AC Sûreté peut varier en fonction de la valeur déclarée (en l’espèce, la valeur n’a pas été déclarée) ou du niveau des services fournis. Rien dans la preuve n’indique que des services supérieurs aux services standard d’AC Sûreté ont été facturés et payés en l’espèce.
[207] Brink’s signale que les lettres de transport aérien des lingots d’or et des billets de banque portent la mention : [traduction] « UNE SUPERVISION SPÉCIALE EST DEMANDÉE POUR LE FRET AÉRIEN SÉCURISÉ DE BRINK’S : CARGAISON DE VALEUR »
. Contre-interrogé sur son affidavit, M. Cosgrove a affirmé que, si l’expédition est réservée par l’intermédiaire d’AC Sûreté, elle bénéficie d’une priorité de chargement plus élevée et, à l’arrivée, les marchandises sont entreposées dans un dépôt de sûreté. De plus, en fonction de la valeur déclarée de l’envoi, des exigences supplémentaires de manutention spéciale peuvent s’appliquer (par exemple, si des gardes armés sont requis). Il a également affirmé que la mention « UNE SUPERVISION SPÉCIALE EST DEMANDÉE POUR LE FRET AÉRIEN SÉCURISÉ DE BRINK’S : CARGAISON DE VALEUR »
figurant au recto des lettres de transport aérien relatives aux cargaisons n’amène pas Air Canada à traiter la cargaison en question différemment des autres marchandises. Air Canada procède plutôt en fonction du produit qui est effectivement réservé : AC Sûreté ou AC Général Cargo. L’expéditeur peut faire une demande dans l’encadré destiné aux [traduction] « remarques sur la manutention »
de la lettre de transport aérien, qui sert à fournir des instructions supplémentaires jugées indiquées, mais Air Canada n’est pas nécessairement tenue d’y donner suite.
[208] À mon avis, il semble évident au vu de la preuve que, si Brink’s souhaitait une supervision spéciale supérieure à celle fournie par le service d’AC Sûreté, elle aurait dû indiquer ce dont elle avait besoin et en négocier les conditions avec Air Canada. Or, rien dans la preuve dont je dispose n’indique qu’elle l’a fait ni qu’une somme supplémentaire lui a été facturée pour une surveillance spéciale ou autre. Dans son affidavit, M. Cosgrove indique qu’Air Canada n’a facturé aucuns frais à Brink’s pour le transport des cargaisons en plus du taux de fret standard indiqué dans la grille tarifaire d’AC Sûreté. Brink’s ne le conteste pas. J’accepte également l’argument d’Air Canada selon lequel, si Brink’s avait voulu obtenir des services supérieurs aux services standard d’AC Sûreté, elle les aurait obtenus en faisant une déclaration de la valeur, ce qu’elle n’a pas fait dans la présente affaire.
[209] Pour ces motifs, je conclus que Brink’s n’a pas payé de somme supplémentaire et que le paiement d’une telle somme aurait été exigé si elle avait demandé des services supérieurs aux services standard d’AC Sûreté. Par conséquent, cette condition du paragraphe 3 de l’article 22 n’a pas non plus été remplie, et la limite de responsabilité majorée ne s’applique pas.
Conclusion
[210] En conclusion, au vu de la preuve dont je dispose, je conclus que Brink’s n’a satisfait à aucune des deux exigences nécessaires pour que soit déclenchée l’application de la limite de responsabilité majorée autorisée par le paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention de Montréal. Brink’s n’a pas établi qu’elle avait fait une déclaration spéciale d’intérêt à la livraison des cargaisons. Ce seul élément est déterminant. Cependant, en tout état de cause, Brink’s n’a pas non plus établi qu’elle a payé une somme supplémentaire lorsqu’elle a réservé le transport des cargaisons auprès d’Air Canada.
[211] Par conséquent, la responsabilité d’Air Canada pour la perte des cargaisons volées est limitée à 22 DTS par kilogramme, le montant prescrit par le paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention de Montréal (révisé au titre de l’article 24), soit 8 811 DTS pour la cargaison d’or et 1 177 DTS pour la cargaison de billets de banque.
Les dépens
[212] Brink’s et Air Canada ont toutes deux demandé l’adjudication de leurs dépens respectifs relatifs à la requête et à la requête incidente sur la base d’une indemnisation substantielle. Cependant, aucune des parties n’a présenté d’observations sur le montant réel des dépens à adjuger.
[213] L’article 400 des Règles confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire d’adjuger les dépens. L’article 407 des Règles prévoit que, sauf ordonnance contraire de la Cour, les dépens sont taxés en conformité avec la colonne III du tableau du tarif B. Comme aucune situation justifiant une ordonnance exceptionnelle d’adjudication des dépens ne m’a été signalée et qu’au vu des documents dont je dispose, j’estime qu’il n’en existe aucune, Air Canada a droit aux dépens pour sa réponse à la requête en jugement sommaire et pour sa requête incidente en jugement sommaire, qui seront établis en fonction de la colonne III du Tarif B.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-2124-23
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
La requête en jugement sommaire de Brink’s est rejetée;
La requête incidente en jugement sommaire d’Air Canada est accueillie;
La responsabilité d’Air Canada envers Brink’s concernant la perte de chacune des cargaisons est limitée à la somme prévue au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention de Montréal, soit 22 droits de tirage spéciaux par kilogramme de fret pour chaque cargaison;
Air Canada doit payer ces sommes à Brink’s;
Air Canada a droit aux dépens relatifs à sa réponse à la requête de Brink’s et à sa requête incidente, qui seront établis en fonction de la colonne III du tarif B.
« Cecily Y. Strickland »
Juge
Traduction certifiée conforme
Mélanie Lefebvre
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER AU DOSSIER
DOSSIER :
|
T-2124-23 |
INTITULÉ DE LA CAUSE :
|
BRINK’S, INCORPORATED, BRINK’S GLOBAL SERVICES INTERNATIONAL, INC., ET BRINK’S SHWEIZ AG c AIR CANADA
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
TORONTO (ONTARIO)
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 18 NOVEMBRE 2024
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LA JUGE STRICKLAND
|
DATE DES MOTIFS :
|
le 20 janvier 2025
|
COMPARUTIONS :
Ryder Gilliland Corey Groper |
POUR LES DEMANDERESSES |
Clay S. Hunter |
POUR LA DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
DMG Advocates LLP
Toronto (Ontario)
|
POUR LES DEMANDERESSES |
Paterson MacDougall LLP
Toronto (Ontario)
|
POUR LA DÉFENDERESSE |