Date : 20250116
Dossier : IMM-10765-23
Référence : 2025 CF 90
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Toronto (Ontario), le 16 janvier 2025
En présence de monsieur le juge Pentney
ENTRE : |
CHARITY NMASHIE GERALD NII KLU NMASHIE ELIANA NAA ADJELEY NMASHIE JOEL NII ADJETEY NMASHIE |
demandeurs |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] Charity Nmashie [la demanderesse principale] et ses trois enfants [ensemble, les demandeurs] sont des citoyens du Ghana. La demanderesse principale affirme avoir été menacée par des membres de la famille de sa mère, qui ont lancé des accusations de sorcellerie contre elle et sa mère. Elle a expliqué que les menaces ont commencé en 2009 puis que d’autres, qu’elle a signalées à la police, ont suivi en 2012. Les policiers lui ont alors dit qu’il s’agissait d’une question à régler au sein de la famille. Les membres de la famille ont exigé que la demanderesse principale et sa mère se soumettent à un rituel traditionnel afin de prouver qu’elles n’étaient pas des sorcières, mais elles ont refusé parce qu’elles sont chrétiennes.
[2] Lorsque de nouvelles menaces ont été proférées en 2016, la demanderesse principale et son frère ont réinstallé leur mère à un autre endroit. En septembre 2017, les demandeurs sont venus au Canada, où l’époux de la demanderesse principale (le père des enfants) faisait ses études de doctorat. La demanderesse principale affirme qu’elle a reçu d’autres menaces en mai 2019, et elle a demandé l’asile en juillet 2019.
[3] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a refusé d’accorder l’asile aux demandeurs parce qu’ils n’avaient pas établi de manière crédible les allégations résidant au cœur de leurs demandes. Lors du premier appel, la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a jugé que la SPR avait commis des erreurs dans son évaluation de la crédibilité, mais elle a néanmoins rejeté l’appel, car elle estimait que les demandeurs n’avaient pas fourni une preuve crédible suffisante pour établir l’existence d’un risque persistant au Ghana.
[4] La décision de la SAR a été annulée à la suite d’un contrôle judiciaire : Nmashie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 437. La juge Go a conclu que la SAR avait violé le droit des demandeurs à l’équité procédurale en examinant une nouvelle question sans les en aviser et sans leur donner l’occasion de répondre. La SPR avait rejeté la demande pour des motifs liés à la crédibilité, tandis que la SAR a jugé que les demandeurs n’avaient pas réussi à démontrer qu’ils étaient exposés à une possibilité sérieuse ou à une probabilité de subir de la violence physique à l’avenir. La SAR a donc renvoyé l’affaire pour nouvelle décision.
[5] Une nouvelle formation de la SAR a effectué un nouvel examen de l’appel des demandeurs, qui ont eu la possibilité de déposer des observations supplémentaires. Les demandeurs ont ajouté un addenda à leurs observations écrites et ont cherché à déposer de nouveaux éléments de preuve. La SAR a jugé les nouveaux éléments de preuve inadmissibles parce qu’ils n’étaient pas crédibles et ne répondaient donc pas au critère juridique énoncé dans l’arrêt Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 96 [Singh]. Elle a rejeté l’appel des demandeurs au motif qu’ils n’avaient pas établi l’existence d’un risque de préjudice physique ni d’une possibilité sérieuse qu’ils subissent un préjudice psychologique ou émotionnel qui équivaut à de la persécution. Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de cette décision de la SAR.
[6] Les demandeurs avancent trois arguments : (i) ils ont été privés de leur droit à l’équité procédurale parce que la SAR a soulevé de nouvelles questions et ne leur a pas donné la possibilité d’y répondre; (ii) la SAR a commis une erreur en rejetant leurs nouveaux éléments de preuve; (iii) la SAR a commis une erreur en leur imposant un fardeau plus lourd que celui qui leur incombait en droit, car elle s’est concentrée uniquement sur leur risque de préjudice physique. Ils font valoir que la SAR n’a pas respecté les directives énoncées dans la décision antérieure de la juge Go.
[7] Les arguments des demandeurs ne me convainquent pas.
[8] Dans leurs observations écrites, les demandeurs ont fait valoir que la SAR avait bafoué leur droit à l’équité procédurale en rejetant leurs demandes pour de nouveaux motifs sans préavis. Bien que cet argument n’ait pas été formulé durant les plaidoiries, je m’arrête ici pour préciser que je ne suis pas convaincu qu’il y ait eu un manquement à l’équité procédurale. Les demandeurs étaient au courant de la nouvelle question à trancher au sujet du risque éventuel, puisqu’elle avait été soulevée dans la première décision de la SAR, et ils ont eu l’occasion de présenter des observations supplémentaires lors du nouvel examen de leur dossier. Ils n’ont pas été pris par surprise, et la SAR n’a soulevé aucune nouvelle question lorsqu’elle a réexaminé leur demande. Je suis convaincu que la SAR a satisfait aux exigences de l’équité procédurale lorsqu’elle a effectué le nouvel examen de l’appel des demandeurs : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 RCF 121.
[9] Le rejet par la SAR des nouveaux éléments de preuve que les demandeurs cherchaient à présenter était fondé sur le critère énoncé au paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27, et est conforme à l’arrêt Singh de la Cour d’appel fédérale. La SAR était tenue d’appliquer strictement ce critère pour décider si elle devait ou non admettre les nouveaux éléments de preuve présentés par les demandeurs (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Davoodabadi, 2019 CF 350 au para 20, citant Singh, aux para 34-35). Elle ne disposait pas du pouvoir discrétionnaire de passer outre aux exigences de ce critère (Singh, au para 63).
[10] Il incombait aux demandeurs d’établir que les nouveaux éléments de preuve étaient admissibles aux termes du paragraphe 110(4) de la LIPR. La décision de la SAR selon laquelle ils ont omis de le faire est tout à fait raisonnable : Tejuoso c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 903 au para 29. La SAR a soigneusement expliqué ses conclusions sur la crédibilité des nouveaux éléments de preuve, et il n’appartient pas aux cours de révision d’apprécier à nouveau les éléments de preuve : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653 [Vavilov] au para 125.
[11] Le fait qu’un autre décideur aurait pu évaluer différemment les nouveaux éléments de preuve n’est pas suffisant pour que la Cour conclue que la décision de la SAR est injuste ou déraisonnable. Les réserves émises par la SAR au sujet des éléments de preuve découlaient des documents eux-mêmes, et la SAR n’était pas obligée d’informer les demandeurs de ces réserves ou de leur donner la possibilité d’y répondre. Les demandeurs devaient présenter leurs meilleurs arguments à la SAR, et l’évaluation que cette dernière a faite de leurs nouveaux éléments de preuve est conforme au cadre juridique et est fondée sur un examen minutieux. C’est tout ce que la SAR était tenue de faire dans les circonstances.
[12] Je ne suis pas convaincu que la SAR a imposé aux demandeurs un fardeau plus élevé que celui qui leur incombait en droit ou qu’elle s’est concentrée à tort sur le risque de préjudice physique à l’exclusion du préjudice psychologique. Cet argument est contredit par une lecture simple de la décision de la SAR, qui a clairement tenu compte des risques allégués de préjudice physique aux mains de membres de la famille ainsi que de l’allégation selon laquelle la demanderesse principale serait mise à l’écart et ostracisée par des membres de la famille. La SAR a conclu à l’absence de menace physique et, lorsqu’elle a jugé que les menaces psychologiques n’équivalaient pas à de la persécution, elle s’est prononcée sur ce qu’elle devait précisément examiner selon la loi. Je ne vois aucune raison de remettre en cause cet aspect de la décision. La preuve des demandeurs sur ce point est examinée en détail par la SAR, et les demandeurs ne soulignent aucun élément de preuve essentiel qui aurait été ignoré, ni aucune autre circonstance exceptionnelle qui amènerait notre Cour à modifier les conclusions de fait tirées par la SAR (Vavilov, au para 125).
[13] Dans l’ensemble, je ne suis pas convaincu que la SAR a négligé de suivre les directives énoncées par la juge Go lors du contrôle judiciaire précédent. Les demandeurs ont eu la possibilité de présenter de nouvelles observations avant que la SAR ne réexamine l’affaire, et ils ont saisi l’occasion qui leur a été donnée. Le fait que la SAR ait jugé qu’ils n’avaient pas prouvé ce qu’ils avançaient n’était pas inéquitable sur le plan procédural ni déraisonnable. Cette décision était plutôt fondée sur l’évaluation faite par la SAR de la preuve au dossier et des observations des demandeurs.
[14] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune question de portée générale n’est certifiée.
JUGEMENT dans le dossier IMM-10765-23
LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :
-
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
-
Il n’y a pas de question de portée générale à certifier.
« William F. Pentney »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM-10765-23 |
INTITULÉ : |
CHARITY NMASHIE, GERALD NII KLU NMASHIE, ELIANA NAA ADJELEY NMASHIE, JOEL NII ADJETEY NMASHIE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
LIEU DE L’AUDIENCE : |
TORONTO (ONTARIO) |
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 13 JANVIER 2024 |
JUGEMENT ET MOTIFS |
LE JUGE PENTNEY |
DATE DES MOTIFS : |
LE 16 JANVIER 2025 |
COMPARUTIONS :
Lylie Ngninkeu |
POUR LES DEMANDEURS |
Gerald Grossi |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Lylie Ngninkeu, avocate North York (Ontario) |
POUR LES DEMANDEURS |
Procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |